MARIE STUART ET LE COMTE DE BOTHWELL

 

V. — VOYAGE DE MARIE STUART A GLASGOW. SES LETTRES SUPPOSÉES À BOTHWELL.

 

 

Darnley, irrité de la grâce de Morton, avait ainsi quitté de nouveau la reine et porté son dépit près de son père à Glasgow (fin de décembre 1566). Il tomba malade dans les premiers jours de janvier 1567. Si nous demandons à Buchanan de quel mal, la réponse est immanquable Le roi n'était pas à un mille de Stirling[1], quand une douleur si violente envahit toutes les parties de son corps, qu'on y reconnaissait bien les effets non d'une simple maladie, mais d'un crime de la main des hommes. La preuve, c'est qu'à Glasgow des pustules livides sortirent de tous côtés, avec de telles douleurs et des souffrances si générales, qu'il respirait à peine, comme un homme à l'extrémité. Et la reine ne voulut pas même souffrir qu'un médecin se rendit près de lui !

On se doute bien que l'histoire d'Écosse du même auteur confirme la Detectio.

Là aussi, la reine empoisonne son mari au départ de Stirling, pensant que, s'il meurt loin de la cour, le crime en sera mieux caché. Mais la rapidité du mal trompe ses combinaisons. On demanda le médecin de la reine ; elle lui défendit d'y aller, par la double crainte qu'il dérobât le malade à la mort, et qu'il y eût trop de monde pour constater les signes du poison[2].

L'accusateur, à force d'assurance, ébranle Robertson ; mais les documents de l'époque renversent encore une fois son échafaudage. Le comte de Bedford, parti d'Édimbourg le 6 janvier 1567, écrit de Berwick le 9 à Cecil : Darnley est malade de la petite vérole à Glasgow ; la reine lui a envoyé son médecin pour le soigner. Drury, prévôt de Berwick, mande à Cecil le 23 janvier, que Glasgow est un foyer de petite vérole, et qu'il a entendu dire que la reine compte ramener Darnley à Édimbourg, aussitôt qu'il pourra supporter le froid de l'air[3].

Nouvel exemple de la vérité dite d'abord avec simplicité, avant que la calomnie se soit emparée des faits pour les fausser systématiquement.

Que dans des siècles où un prince ne pouvait pas être frappé dé mort subite ou d'une maladie extraordinaire, sans que l'on criât au crime, quelques-uns dans le peuple aient cru d'abord au poison, cela se comprend. Mais que Buchanan, parfaitement informé, se soit avili à de telles impostures, c'est un de ces faits qui ne peuvent que déshonorer en face de la justice et de la postérité, la faction qui n'a pas rougi d'employer ces armes méprisables.

Si Marie avait été la femme luxurieuse, hypocrite et atroce que l'on dit, ne lui eût-il pas été facile de dépêcher près du malade qui se confiait à elle, quelque émissaire de mort ? Bien peu alors guérissaient de la petite vérole. Quelle occasion plus propice à cacher un crime ? Quand au premier appel de son mari, elle se priva du médecin qui la soignait depuis son enfance, elle souffrait toujours de douleurs aiguës dans le côté. Elle pouvait craindre aussi, que la contagion ne parvint jusqu'au berceau de son fils, sur qui reposaient tant d'espérances. C'était donc un véritable sacrifice que d'envoyer son propre médecin à Glasgow. Il était naturel qu'elle s'abstînt de s'y rendre immédiatement de sa personne, et qu'elle s'éloignât du foyer d'infection, en se transportant de Stirling à Holyrood.

Mais la fatalité de leur mauvaise situation poursuivait les deux époux. Ceux qui ne voulaient pas de rapprochement prirent leurs mesures en conséquence.

Un certain William Walcar, de Glasgow, se présenta devant la reine à Stirling, et lui révéla que le roi et son père préparaient secrètement des forces pour la détrôner, pour couronner sin fils et gouverner au nom de l'enfant[4]. Il disait en avoir été informé par un autre habitant de Glasgow, William Hiegate. Tous deux étaient au service de l'archevêque de cette ville, le fidèle ambassadeur de Marie en France.

Marie se hâta de convoquer son Conseil privé, et cette alerte lui fournit un motif de plus de se transporter de Stirling à Édimbourg. Là, le premier émoi calmé, elle fit venir Walcar et Hiegate. Celui-ci nia tout, mais il dit avoir entendu parler d'un projet de mettre le roi en arrestation. La reine se convainquit bientôt que c'étaient des commérages saris fondement. Cependant ils avaient couru tout le royaume. ; et Marie apprit qu'on avait parlé d'elle en termes amers à la petite cour de Glasgow. D'après Adam Blackwood, qui, après Leslie, est, dit Robertson[5], celui des défenseurs de Marie Stuart qui s'entoura de plus de lumières, et il le prouve bien en disant que la maladie de Darnley était la petite vérole ; d'après cette autorité, le comte de Murray s'efforçait d'envenimer les inquiétudes de la reine, et lui conseillait de courir à Glasgow s'assurer de la personne du traître présumé, son mari. Elle n'en voulut rien faire[6]. Cet incident n'était pas fini qu'il en survint un autre plus étrange et plus dangereux. L'inconsidéré jeune homme, si mal inspiré à l'égard de sa femme, ne l'était pas mieux envers Élisabeth. Roulant dans sa tête malsaine des projets à double fin, en Angleterre et en Écosse, il avait noué des intelligences chez les Anglais pour s'emparer de Scarborough, forteresse maritime du comté d'York, et des fies de Scilly, afin de s'ouvrir un double accès dans ce royaume, si une insurrection venait à y éclater, ou bien si Élisabeth mourait sans enfants. Ces menées furent dévoilées par un des agents, le 16 janvier 1567[7].

Les soucis dont son mari ne cessait de l'accabler, réveillèrent le mécontentement de Marie ; et en écrivant à l'archevêque de Glasgow, touchant Hiegate et Walcar, elle termina sa lettre ainsi : Pour ce qui est du roi notre époux, Dieu connaît de quelle manière nous nous sommes toujours comportée envers lui ; et sa conduite et sa reconnaissance sont connues également de Dieu et du monde. Nos sujets impartiaux en sont témoins et le condamnent, nous n'en doutons pas, au fond de leur cœur. Nous le trouvons toujours occupé à espionner nos actions, qui, avec l'aide de Dieu, seront telles en tout temps que personne n'ait occasion de se scandaliser, ni de rapporter sur notre compte rien que d'honorable. Cependant lui, son père et leurs fauteurs parlent de manière à nous faire voir que ce ne serait pas la bonne volonté qui leur manquerait pour nous causer de la peine, si leur puissance égalait leurs visées. Mais Dieu se charge d'abaisser leur force et de leur ôter les moyens d'exécution. Car nous croyons bien qu'ils ne trouveront personne ou bien peu de gens qui approuvent leurs conseils ou les projets qu'ils imaginent pour notre déplaisir[8].

Ce langage est sévère. Le souvenir des anciennes fautes de Lennox et de Darnley s'est représenté tout à coup à l'esprit de celle qui en a déjà tant souffert ; elle se soulage dans le cœur d'un ami. Mais est-ce à dire qu'elle ne respire plus que le mépris et la haine ? et qu'après de telles paroles, il n'y ait plus de place pour la réconciliation ? Une femme ne peut-elle pas se plaindre, même vivement et avec humeur, de l'ingratitude de son mari, sans avoir pour cela l'intention de le trahir et de l'assassiner ? M. Mignet n'exagère-t-il pas la sévérité en disant, au sujet de l'affaire d'Hiegate : Quoi qu'il en soit, elle conservait ses sentiments de défiance et d'animosité à l'égard de Darnley, et l'accusait de comploter contre elle. (T. I, p. 257.)L'accusait ! Est-ce d'elle que venait donc l'accusation ? N'est-ce pas Walcar qui, le premier, dénonça Lennox et son fils ? Et les ministres de Marie, quel fut leur rôle dans cette occasion ? M. Mignet n'en parle pas. On sait pourtant qu'ils ont été accusés de bonne source d'avoir cherché à grossir l'incident ; l'historien lui-même parait admettre, deux pages plus loin, qu'ils ne furent pas les derniers à charger Darnley, puisqu'il rapporte qu'un ordre d'arrêter ce prince mort ou vif fut présenté à la reine et qu'elle refusa de le signer[9]. — Le pauvre et foible jeune homme auquel ce dessein étoit attribué n'avoit ni autorité, ni parti, ni caractère.

Rien de plus vrai. Mais il n'en avait pas moins été le plus turbulent, le plus inconséquent et même le plus criminel des maris. Il nous semble que la plainte poussée par Marie dans sa lettre du 20 janvier est naturelle. Dans la situation, c'est en quelque sorte l'impatience douloureuse de la mère ; elle croyait avoir ramené l'enfant prodigue, et il lui échappe : hélas ! sera-ce toujours à recommencer ?

Elle avait promis à son mari d'aller le voir ; car elle apprit qu'il était repentant et désireux de sa présence[10]. Au fond, elle souhaitait un rapprochement. Telle n'est pas, on doit le supposer, l'opinion de Buchanan. Il n'est point de forfait trop lourd dont on ne puisse la charger. D'après lui, elle vit d'abord en adultère public avec Bothwell. En second lieu, elle veut, comme à Craigmillar, tuer son fils pour frayer à son amant le chemin du trône. Elle transporte l'enfant à Édimbourg, sous prétexte que l'air de Stirling est trop froid et trop humide : Il était facile de voir qu'elle avait une tout autre pensée. En troisième lieu, maintenant qu'elle tient son fils, elle veut tenir aussi son mari. Le poison n'a pas réussi ; elle trouvera un autre moyen de s'en défaire[11]. De ces griefs, M. Mignet laisse tomber le second, l'infanticide. Il conserve les deux autres, et annonce en ces mots le départ de la reine : Le lendemain du jour où elle s'exprimait avec cette sévérité soupçonneuse sur Darnley, elle partait pour Glasgow, et allait prodiguer à celui qu'elle jugeait si défavorablement et qu'elle détestait toujours, les témoignages les plus affectueux. (P. 259.)Qu'elle détestait toujours ! Mais nous avons donné précédemment des faits dont la signification est bien différente ; et nous ne saurions accorder que la lettre du 20 janvier soit de quelqu'un qui déteste. Marie a repoussé le divorce ; elle n'a pas profité de la petite vérole pour dissimuler un crime ; plus récemment encore, elle n'a pas voulu signer l'ordre d'arrestation de son mari. N'importe : tout ce qui chez d'antres serait considéré comme des signes certains d'affection persistante, est pris de sa part comme des preuves de haine : la haine habile et inextinguible, qui se contraint sans relâche et sans fatigue, en couvant sa vengeance.

D'après le journal de Murray, qui a fait loi, la reine partit d'Édimbourg le 21 janvier ; arrivée à Glasgow le soir du 23, elle y passa les journées des 24, 25 et 26, et en repartit le 27 pour Édimbourg, où elle rentra le 30. Le journal de Birrel et le journal des Événements (occurrents) placent au 20 janvier le départ d'Édimbourg, et au 31 janvier le retour dans cette capitale. Sir William Drury, prévôt de Berwick, dit à Cecil dans une lettre du 23 janvier : Lord Darnley est malade de la petite vérole à Glasgow ; la reine se mit en route hier pour cette ville. Mais comme il est à Berwick, il ne parle que par ouï dire. Écrivant de nouveau le même jour, un peu plus tard, il est beaucoup moins affirmatif : J'apprends que la reine a l'intention de se transporter près de lui et de le ramener, dès qu'il pourra supporter la rigueur de la saison[12]. Il se peut que la reine ait fixé d'abord son départ au 20 ou au 21, qu'ensuite elle l'ait reculé jusqu'au 24, où il eut lieu comme nous allons l'établir.

Voilà des questions de dates bien minutieuses. Rappelons-nous qu'il s'en est déjà présenté et qu'elles ont contribué puissamment à laver Marie Stuart des reproches les plus accablants en apparence. Il en sera de même ici, car elles jetteront de la lumière sur un des problèmes les plus fameux de cette histoire, à savoir si les lettres ignominieuses que Marie aurait écrites de Glasgow à Bothwell, sont authentiques ou non.

Jusqu'ici, nous avons suivi Marie Stuart d'un château ou d'une ville à l'autre, par les indications de lieux et de dates que portent les actes de son gouvernement dans les divers registres de la chancellerie. Ces renseignements ont trouvé confirmation dans des documents d'un autre genre, tels que les correspondances des personnages de la cour. Ils sont donc par eux-mêmes dignes de confiance ; c'est comme en France, où l'on peut suivre la vie errante de François Ier ou d'Henri II, d'après les endroits d'où sont datées leurs ordonnances.

Or, il existe dans les registres du sceau privé deux actes signés de Marie Stuart à Édimbourg, le 22 janvier, portant, l'un, don d'un canonicat de Dunkeld à James Hering ; l'autre, confirmation à André Moncrief d'une pension de quarante marcs que lui faisait l'évêque de Murray[13]. Le 24 janvier, autre acte nommant James Inglis, tailleur de l'enfant royal ; et mandat confirmatif d'une rente viagère constituée par James Boyd de Trogrig au profit de Marguerite Chalmer, sa nouvelle épousée. Celle-ci était catholique. Ces deux pièces, inscrites au registre du sceau privé, sont mentionnées aussi à la même date sur un autre registre, celui des signatures[14]. Goodall en tire la conséquence que Marie Stuart était encore à Édimbourg dans la matinée du 24 janvier.

Robertson combat cette conclusion. Les actes des registres publics ne sont pas, dit-il, des originaux, mais des expéditions en latin ou des copies faites en vertu d'un mandat de la chancellerie, signé à Édimbourg le 24 janvier. De tout cela, ajoute-t-il, ne doit-on pas conclure avec toute probabilité qu'il est difficile d'ajouter foi à des témoignages qui ne s'appuient que sur des copies ou des traductions ?[15] Bien, ai la contestation portait sur le fond même des actes ; mais cela ne signifie rien, dès qu'il ne s'agit que de la date. D'ailleurs, il n'y a pas une autorité seulement, il y en a deux, puisque le registre des signatures porte les mêmes indications que le registre du sceau privé.

Autre objection de Robertson : Tous les actes publics étaient rendus alors au nom du roi et de la reine ; donc, on ne pourra tirer de ces pièces aucune preuve légale, si ce n'est que le roi et la reine les ont signées conjointement à Édimbourg, le 24 janvier. s Cependant aucun fait n'est « mieux constaté dans l'histoire que la présence du roi à Glasgow, le 24 janvier 1567. L'historien écossais découvre à l'appui de son argumentation, que le registre des actes publics contient s la copie d'un acte délivré à Archibald Edmonston, dans lequel il est dit : le présent acte est signé par nos souverains — c'est-à-dire le roi et la reine — à Édimbourg, le 24 janvier 1567. De sorte, continue-t-il, que si l'on voulait donner une entière confiance aux registres de cette époque, ou s'en rapporter aux arguments que nous réfutons, il serait prouvé que, non-seulement la reine se trouvait à Édimbourg le 24 janvier de cette année, mais encore que le roi y était aussi. Robertson ne fait pas attention que lui-même détruit ses propres raisonnements un peu plus bas. Il rappelle en effet sur l'autorité de Buchanan et de Knox, et nous n'avons pas de motif de les suspecter ici, que les absences fréquentes du roi nuisant trop à l'expédition des affaires, parce que les lois exigeaient pour les actes publics les signatures du roi et de la reine, on avait fait graver en relief la signature du roi que l'on apposait à côté de celle de la reine. Ainsi, l'on comprend sans effort que l'acte relatif à Edmonston ait été signé par la reine le 24 janvier à Édimbourg, et pourvu de la signature du roi, quoique ce prince fût à Glasgow. Cette pièce, posée d'abord comme contradictoire à la thèse de Goodall, concourt plutôt à la soutenir et à confirmer la présence de la reine à Édimbourg le 24 janvier.

Robertson ajoute : Tout porte à croire qu'à cette époque, la date des ordonnances émanées du souverain était arbitraire et laissée à la disposition d'un secrétaire.... Cet abus devint même si fréquent.... qu'un acte du parlement de 1592 déclara coupable de haute trahison quiconque se permettrait de mettre une fausse date à une signature.

La première de ces deux phrases exprime une conjecture gratuite, que les faits antérieurs à janvier 1567 n'autorisent pas. Quant à l'acte de 1592, il constate seulement que des abus, assez graves pour provoquer une pénalité terrible, s'introduisirent dans la chancellerie pendant la longue minorité de Jacques VI, mais pas du tout que ces abus existassent vingt-cinq ans auparavant. Enfin notre auteur cite deux actes, datés d'Édimbourg fin d'avril 1567, alors que Marie était momentanément prisonnière de Bothwell à Dunbar[16]. Ce serait un indice du désordre que cette révolution, que nous raconterons bientôt, jetait déjà dans l'État ; mais ce ne serait pas une preuve que ce désordre et ces fraudes existassent auparavant, lorsque le royaume était encore dans une situation régulière. On sait aussi que Marguerite Chalmer, au bénéfice de laquelle fut rédigé un des actes du 24, était catholique ; il n'est guère vraisemblable que le chancelier Huntly, et le clerc du registre, sir James Balfour, tous deux protestants très-animés, eussent inséré par fraude, dans les archives, une mesure favorable à quelqu'un de l'ancienne religion.

En résumé, pendant la période du règne de Marie Stuart que nous venons de parcourir, une concordance frappante existe entre les séjours de la reine dans les diverses localités, les dates des registres officiels, et les indications que fournissent les correspondances[17]. Nous pensons donc que les arguments de Robertson, d'ailleurs la plupart vagues et conjecturaux, manquent de portée ; qu'il n'y a aucune bonne raison de croire qu'un système d'indications démontré exact jusqu'au 20 janvier 1567, devienne tout à coup un guide infidèle ; qu'enfin dans la circonstance dont il s'agit, Marie Stuart ne quitta pas Édimbourg avant le 24 janvier.

Comme elle ne pouvait pas ramener directement son mari au château d'Édimbourg, ni à Holyrood, par la raison que la situation de ces résidences les exposait au vent glacial du nord-est ou à l'humidité du Forth, et qu'il était d'usage que les convalescents de cette maladie purgeassent une quarantaine avant de rentrer dans les habitudes ordinaires de la vie, Marie fit disposer le château de Craigmillar, situé à deux milles au sud d'Édimbourg, dans une exposition abritée. Elle se munit de sa propre litière, moyen de transport beaucoup plus doux pour un homme relevant de maladie, que les chariots grossiers en usage : tous préparatifs qui ne ressemblent pas à des plans d'assassinat. Vers cette époque, on avait vu arriver le comte de Morena, ambassadeur du duc de Savoie, attendu vainement dès le mois de décembre précédent, pour le baptême du prince. Il était accompagné du P. Edmond, de la société de Jésus. L'un et l'autre devaient préparer les voies à l'évêque de Mondovi, désigné légat du pape en Écosse, avec mission d'entraîner Marie à se mettre à la tête d'un mouvement des catholiques d'Écosse et d'Angleterre. Ils comptaient sur le concours de Darnley qui, depuis sa rupture avec les lords du Conseil, était devenu catholique plus ardent. N'est-il pas clair que si la reine avait été la criminelle et publique esclave d'un protestant obstiné comme Bothwell, ces habiles observateurs s'en seraient aperçus du premier coup d'œil, et qu'ils en auraient rendu compte à leurs cours, avec des plaintes amères ? Or, ce que l'on connaît de leurs dépêches ne renferme pas la moindre allusion à ce genre de scandale. Tout ce qu'ils reprochent à Marie, c'est de n'avoir pas accédé à leurs plans de ligne catholique[18].

Marie Stuart allant chercher Darnley, quitta Edimbourg le24 janvier. Elle passa la nuit à Callendar[19], chez lord et lady Livingston, ses sincères amis, quoique protestants. Le journal de Murray place dans son cortège les comtes d'Huntly et de Bothwell. Cela ne fait pas difficulté surtout pour le second, qui étant shériff du Lothian, devait accompagner sa souveraine jusqu'aux limites du comté. Le même journal porte que, le second jour, la reine arriva à Glasgow et qu'elle rencontra sur la route Thomas Crawford, envoyé du comte de Lennox, et sir James Hamilton, avec le reste mentionné dans sa lettre (lettre de Marie à Bothwell). Les comtes d'Huntly et de Bothwell retournèrent le même soir à Édimbourg, et Bothwell y coucha. Beaucoup de noblesse, en particulier les Hamiltons, rallièrent le cortège royal. Le 25 au soir, comme elle approchait de Glasgow, Marie vit s'avancer à sa rencontre Thomas Crawford, capitaine au service du comte de Lennox[20]. Crawford annonça que le comte l'avait chargé de présenter à Sa Grâce ses respects et ses excuses de n'être pas venu en personne, parce qu'il était indisposé ; il n'aurait pas osé non plus paraître devant elle, avant de savoir quelles étaient ses dispositions envers lui, à cause du langage sévère qu'elle avait tenu sur son compte à Robert Cunningham, son serviteur, à Stirling ; cela lui avait donné lieu de croire qu'il avait encouru le déplaisir de Sa Majesté. — En effet, vers l'époque du baptême, Lennox avait écrit à son fils de venir le trouver, s'il voyait que la reine ne fit pas assez de compte de lui. Probablement, Robert Cunningham avait été le porteur de cette missive, et la reine avait pu s'irriter à bon droit contre son beau-père, chez qui elle n'avait jamais trouvé qu'un ennemi. Cette espèce de défi blessa Marie Stuart ; elle répliqua : Il n'y a pas de remède contre la peur. — Les craintes de mon maitre, reprit Crawford, ne proviennent pas d'aucun tort qu'il se connaisse, mais seulement des paroles froides et rudes que vous avez adressées à son serviteur. — Il ne craindrait pas, s'il n'était coupable. — Je connais assez Sa Seigneurie, dit encore Crawford, pour savoir qu'elle ne souhaiterait rien tant que chacun portât les secrets de son cœur écrits sur le visage. — Avez-vous quelqu'autre commission ? demanda la reine. — Non, répondit-il. — Alors taisez-vous, dit-elle sèchement ; et elle poussa son cheval vers la ville, où elle n'entra qu'à la nuit.

Cette scène vive et dramatique a été racontée par Thomas Crawford lui-même. C'est lui aussi qui a rendu compte des entretiens qui eurent lieu entre les deux époux à Glasgow. Il produisit son récit en forme de déposition sous la foi du serment, le 9 décembre 1568, devant les commissaires anglais à Londres. A cette époque, Marie, réfugiée en Angleterre, avait accepté le débat avec ses ennemis, par devant le gouvernement anglais. Elle croyait, dans sa naïve bonne foi, qu'on y lutterait à ciel ouvert, sous les auspices d'un juge loyal ; mais Élisabeth et Cecil ne donnèrent la parole qu'aux accusateurs. Parmi eux, Crawford se vengea de l'accueil mortifiant qu'il s'était attiré. Il prétendit avoir reçu les confidences de Darnley, après chaque conversation de ce dernier avec la reine, et les avoir mises immédiatement par écrit, mot pour mot, afin de les communiquer au comte de Lennox, qui n'osait pas se montrer, dit-il, à cause du déplaisir de sa souveraine[21]. Sa déclaration contient, sans aucun doute, certaines portions de vérité, mais submergées dans un fond d'imposture tendant à incriminer Marie. Nous allons le suivre, en tâchant de démêler le vrai et le faux.

Dès en arrivant, la reine se rendit seule chez le roi. On lit dans M. Mignet, que Darnley fut étonné de cette visite inattendue[22]. Comment inattendue ? Dès les premiers temps de sa maladie, sa pensée ne s'était-elle pas tournée vers sa femme ? ne lui avait-il pas demandé son médecin n'avait-il pas, d'après l'évêque de Ross, témoin si digne de foi, exprimé le désir de la voir ? Buchanan ne parle-t-il pas des lettres tendres qu'elle lui avait écrites ? Le projet de ce voyage pouvait-il être ignoré à Glasgow, lorsque Drury en écrivait de Berwick à Cecil dès le 23, comme d'une chose arrangée ? Darnley pouvait-il ne pas savoir que Marie arrivait, puisque Lennox, qui demeurait dans le château de Glasgow, à côté de lui, avait envoyé un de ses officiers au-devant d'elle ?

Crawford a rapporté qu'après les premiers compliments, les deux époux échangèrent des récriminations aigres, amères et injurieuses[23]. Darnley dit à Marie que sa dureté pour lui avait été l'unique cause de sa maladie ; qu'il était bien puni d'avoir fait d'elle son idole ; qu'elle l'avait constamment laissé seul : assertions si dépourvues de raison et de vérité, mais si bien liées avec le système des ennemis de Marie Stuart, qu'on ne peut se défendre de suspecter la sincérité du narrateur. Ils s'apaisèrent ensuite. Darnley témoigna du repentir, s'excusa sur sa jeunesse et protesta de son inaltérable attachement pour Marie. Elle, de son côté, lui rappela les plaintes et les soupçons qu'il avait élevés contre elle, son projet de quitter l'Écosse, l'affaire d'Hiegate et de Walcar. 11 soutint qu'il n'y était pour rien, que c'était un coup monté par ses ennemis pour le faire périr. A ce sujet, il tenait du laird de Minto qu'elle avait refusé de souscrire un ordre d'arrestation contre lui : Je ne croirai jamais, ajouta-t-il, que vous qui êtes ma chair, vous vouliez me faire du mal ; et si quelqu'autre l'essayait, malheur à lui, à moins de me surprendre dans mon sommeil. Il la pressa aussi de lui tenir compagnie plus exacte, se plaignant qu'elle trouvât toujours quelqu'affaire pour se retirer chez elle et ne pas passer plus de deux heures ensemble. En effet, soit exiguïté du château où logeaient déjà Lennox et le roi, soit défiance à l'égard de Lennox, ou pour ne pas exposer trop directement les gens de sa suite à la contagion de la petite vérole, Marie Stuart était descendue au palais de l'archevêque, qu'une distance de cent pas environ séparait du château. Les nobles accourus des cantons circonvoisins formaient une cour ; les affaires affluaient également ; tout cela créait à Marie des devoirs qui la retenaient une partie du temps éloignée de son mari.

Aux instances de Darnley, pour reprendre la vie en commun, elle répondit qu'il devait achever d'abord son traite ment par une médecine et des bains ; c'était la coutume du temps[24]. Elle avait disposé, pour terminer sa cure, le château de Craigmillar, où elle pourrait être avec lui sans être loin de son fils. Je vous suivrai, dit-il, partout où vous voudrez, à condition que nous aurons même lit et même table, et que nous vivrons désormais comme mari et femme. — Mon voyage, lui dit-elle, n'est pas à autre fin ; si telle n'avait pas été mon intention, je ne serais pas venue de si loin vous chercher. Il en sera selon vos désirs. En finissant ces mots, elle lui tendit la main avec la promesse de l'aimer autant que jamais ; et lui, promit de faire tout ce qu'elle voudrait et d'aimer tout ce qu'elle aimait. Une réconciliation si cordiale ne faisait pas le compte de Crawford, ni, sans doute, de Lennox. Le premier, quand le jeune roi lui raconta cet entretien, s'efforça d'en flétrir l'heureuse impression : Il n'aimait pas, dit-il, cette idée de la reine de le mettre à Craigmillar ; car, si elle désirait sa société, pourquoi ne pas le prendre tout de suite dans leur propre résidence à Édimbourg ? Le conduire à Craigmillar, c'était le traiter moins en mari qu'en prisonnier. Ce langage perfide éveillait les craintes et caressait l'orgueil de Darnley. Crawford prétend que celui-ci répondit qu'en effet il aurait quelque inquiétude sans la confiance que lui inspiraient les promesses de la reine. Il voulait néanmoins se remettre entre ses mains et la suivre, dût-elle lui couper la gorge. C'est ici un de ces mots qui sentent la fraude. Darnley savait fort bien que Marie n'avait jamais coupé la gorge à personne, qu'elle était bonne et pitoyable à chacun. Les paroles qu'on prête au jeune roi sont invraisemblables. Comment supposer qu'après une effusion si tendre, lorsque les portes du bonheur intime se rouvrent sous ses instances passionnées, il parle de celle qu'il a implorée comme on ferait d'une furie, et que la naïve expression de ses vœux exaucés, le premier objet qu'il aperçoive dans l'avenir soit le poignard ? Crawford veut donner à entendre que Darnley croyait sa femme capable de tout. On conçoit du reste qu'il ne se souciât pas de Craigmillar, parce que le châtelain, sir Simon de Preston, prévôt d'Édimbourg, était beau-frère de Lethington et l'un des assassins de Riccio. La reine condescendit à sa répugnance. C'est ce qu'attesta plus tard, devant le conseil d'Angleterre, Nelson, l'un des serviteurs de Darnley : Il avait été dit d'abord à Glasgow que le roi irait habiter Craigmillar ; mais comme il montra de l'éloignement pour cet endroit, on changea de dessein, et il fut décidé qu'il s'établirait à Kirk-of-Field[25]. Il est donc certain qu'en quittant Édimbourg, Marie Stuart ne songeait pas à cette dernière maison ; on la choisit pour elle en son absence.

Nous avons indiqué, chemin faisant, des invraisemblances et des faussetés manifestes dans la déposition de Thomas Crawford. Il est difficile aussi de comprendre que le père et le fils, vivant sous le même toit, Crawford, au lieu de rapporter successivement au premier les conversations avec le second, jugeât à propos de les mettre par écrit. C'était beaucoup de précaution. Mais il n'était pas le seul à écrire : de son côté, Marie Stuart adressait, dit-on, de Glasgow à Bothwell, quatre lettres d'amour, qui sont contre elle les pièces principales au procès. La première est de tous points conforme au récit de Crawford, ce récit qu'il écrivit à l'heure même, pendant que Marie, retirée dans sa chambre, mandait, assure-t-on, à son complice des détails identiques. De là, on déduit la certitude des faits qui concordent ensemble par deux voies si opposées.

Mais ne serait-il pas possible que les lettres à Bothwell et la déposition de Crawford, ayant été produites par Murray, à la fin de 1568, devant les commissaires anglais, eussent été composées simultanément pour s'entraider, pour apporter aussi un fraternel soutien à la Detectio de Buchanan, et à cet autre auxiliaire qu'on fabriqua dans le même temps, le journal de Murray, un puits de mensonges ? L'infatigable miss Agnès Strickland a tiré des archives du duc d'Hamilton deux lettres du comte de Lennox, l'une au comte de Murray, régent d'Écosse ; l'autre à ses fidèles serviteurs, Thomas Crawford, Robert Cunningham et John Stuart de Periven. A la date de ces lettres, écrites à Chiswick, 11 juin 1568, il n'y avait pas un mois que Marie avait cherché un refuge près de sa cousine. Ses ennemis préparaient les documents dont ils comptaient l'accabler au tribunal partial d'Élisabeth. Dès le mois de mai 1568, John Wood, secrétaire du régent, avait été envoyé près de la reine d'Angleterre, porteur de l'offre de Murray, de la prendre pour juge entre sa sœur et lui. Communication secrète avait été donnée au gouvernement anglais des lettres attribuées à Marie Stuart ; car, avant de se risquer en public, on voulait savoir officieusement ce qu'il en penserait[26]. L'actif secrétaire se rendit aussi à Chiswick, chez le comte de Lennox[27], qu'il s'agissait sans doute d'inspirer, et qui écrivit alors les deux lettres dont nous venons de parler.

Dans la principale, celle au comte de Murray, il appelle d'abord la reine la destructrice de tous ses amis et serviteurs. Les lettres qu'elle a écrites de sa propre main fournissent des preuves suffisantes pour la condamner[28]. Il dit qu'il voudrait que l'on recherchât par tous les moyens possibles de nouveaux faits, non-seulement contre elle, mais aussi contre tous ceux qui l'avaient suivie en Angleterre, et que l'on vit comment on s'y prendrait pour dresser les articles qu'il leur avait envoyés — à ses fidèles serviteurs — ; savoir : la nature de la querelle de la reine avec le roi avant le baptême ; le voyage du roi à Glasgow, sa maladie dans cette ville, la cause de sa maladie ; s'il y eut apparence de poison et quels furent ses médecins. Ensuite, les déclarations d'Hiegate et ce qui a été dit à Stirling ; l'époque de l'arrivée de la reine à Glasgow ; comment elle était accompagnée ; les paroles échangées entre elle et Thomas Crawford quand elle arriva devant la ville ; combien de temps elle y demeura avec le roi ; sa manière et ses moyens d'être agréable au roi ; si elle envoyait habituellement des messages à Édimbourg et par qui ; quelles femmes étaient en sa compagnie ou dans sa chambre.

Lennox continue, en exhortant Murray, à réunir contre la reine et contre Hamilton, archevêque de Saint-André, des preuves de leur complicité dans l'assassinat de Darnley ; il voudrait que l'on tint quelque chose des serviteurs de la reine — il ne s'en trouva jamais un seul pour déposer contre son ancienne maîtresse —. Sa conclusion est qu'il faut consigner tous les arguments et les preuves possibles contre lord Hernies, lord Fleming, lord Livingston, lord Gland Hamilton et tous ceux qui sont passés en Angleterre ; et, en même temps, tout ce que l'on pourra dire sur l'intimité de la reine avec Bothwell à l'époque du meurtre, avant et après[29]. Pour nous tenir à la première partie de cette missive, nous ne nous arrêterons pas à démontrer combien il serait extraordinaire et absurde que Lennox, voulant être renseigné sur ce qui se serait passé à Glasgow seize mois auparavant sous ses yeux, dans sa maison, s'adressât au comte de Murray qui était fort loin de là ? A quoi donc ont servi les narrations écrites de Crawford ? Cette lettre n'a qu'une explication possible : c'est le rappel d'un programme que le comte a tracé à ses affidés et au régent. Maintenant le cadre et complet ; qu'ils achèvent de le remplir. Ce sera l'objet de la déposition de Crawford. Si nous nous en rapportons an serment officiel que cet agent de Lennox prêta, en décembre 1568, devant les commissaires anglais, il avait rédigé tout cela dès le mois de janvier 1567 à l'intention du comte de Lennox, mot pour mot, et son dialogue avec la reine en avant de Glasgow, et les conversations sans témoins que Darnley lui avaient racontées. Si, au contraire, nous nous en rapportons à la lettre de juin 1568, qui nous découvre le fond vrai des choses, nous avons le droit de conclure que le fameux manuscrit de janvier 1567 n'existait pas, et que ce fut seulement à l'approche des conférences d'Angleterre, qu'on le rédigea par un travail en commun. Quand donc, six mois après les instructions de son patron (juin-décembre 1568), Crawford joindra triomphalement son témoignage conforme à celui de la Detectio, du journal de Murray, et des lettres de Marie Stuart à Bothwell, nous en déclinerons l'autorité comme d'une pièce fabriquée après coup[30].

Il est un autre genre de preuves qui aurait pesé davantage dans la balance. Puisqu'on disait que l'épouse avait abreuvé son mari de mépris et d'affronts domestiques, Lennox avait dû recevoir les plaintes d'un fils qui ne se contraignait guère sur ses mécontentements. N'aurait-il pas édifié l'opinion en publiant quelque lettre de l'infortuné jeune homme, le cri d'un cœur qui succombe sous l'outrage ? Apparemment on ne trouva rien dans les papiers de Darnley pour incriminer les mœurs de sa femme. Il ne sera fait mention que d'une seule lettre du fils au père sur Marie, et celle-là, écrite peu de jours avant la catastrophe, respirera l'amour.

De la source qui produisit la déposition de Crawford, la Detectio et le journal de Murray, sortirent également les lettres de Marie Stuart à Bothwell.

Ces lettres sont au nombre de huit : les quatre premières, écrites pendant le voyage de Glasgow, janvier 1567 ; les trois suivante, de Stirling, avril 1567, immédiatement avant l'enlèvement de la reine par Bothwell ; la dernière, sans indication de temps ni de lieu, et dépourvue de signification. Viennent ensuite deux contrats ou promesses de mariage entre les deux amants ; enfin, douze pièces de vers appelées les sonnets, adressées, comme les lettres, à Bothwell. L'authenticité.des unes et des autres est un des grands problèmes de l'histoire moderne. C'est avec les lettres que l'on a marqué Marie Stuart du stigmate du crime. Les lettres à la main, on sanctionne les noires trahisons sous lesquelles elle succomba. A peine le juge qui lui signifie sa condamnation laisse-t-il échapper quelques mots d'ironique pitié.

Nous soutenons que ces lettres ont été forgées. D'abord un premier motif général : c'est que les faits qu'elles viennent étayer sont faux. N'avons-nous pas établi jusqu'ici que Marie Stuart n'était pas la maîtresse de Bothwell, qu'elle ne ressentait pas à l'égard de son mari la haine qu'on lui attribue, que les faits prétendus d'amour et d'animosité dont ces allégations s'autorisent, sont controuvés ou totalement dénaturés ? Par conséquent, les lettres que produit l'accusation ne peuvent pas être authentiques, puisqu'elles énoncent des actes et des sentiments en contradiction directe avec la vérité. Elles ne sauraient être autre chose qu'une des parties du vaste système de calomnies que nous muions percer à jour.

Si, maintenant, on les examine de près, on apercevra partout et à chaque instant, soit dans leur origine et leur contenu, soit dans les pièces destinées à les compléter et à les appuyer, des difficultés et des impossibilités de tout genre, dont la fraude, quelque habile qu'elle soit, ne saurait se garantir dans une entreprise aussi compliquée.

D'abord, rien de plus ténébreux que leur histoire. Ces documents, lettres et sonnets, étaient en français, on nous le dit du moins ; car les originaux supposés, qu'il importait essentiellement aux adversaires de Marie Stuart de mettre sous les yeux du monde entier pour légitimer leurs actes, ne sortirent jamais du cercle étroit de ceux qui avaient intérêt à les accréditer et à s'en servir. Jamais ils ne furent communiqués à Marie Stuart ni à ses commissaires en Angleterre, malgré leurs demandes réitérées[31]. Ils disparurent dès le seizième siècle, c'est-à-dire aussitôt qu'ils eurent fourni une arme pour diffamer la reine captive. Jamais ils ne furent imprimés. En revanche, les gouvernements écossais et anglais en répandirent quatre traductions. La première se ft dans les circonstances les plus suspectes. Nous avons vu plus haut que lorsque, en mai 1568, Marie Stuart, vaincue par son frère, eut été forcée de chercher sur le territoire anglais une hospitalité qui lui coûta si cher, Murray expédia en toute hâte son secrétaire John Wood près de la reine Élisabeth ; il le munit, non pas des lettres ou des copies des lettres à Bothwell, mais, comme il le dit lui-même dans ses instructions à un autre agent, le 29 juin 1568, de copies desdites lettres traduites en notre langue, c'est-à-dire en écossais[32]. N'est-il pas bien extraordinaire que, s'il existait un texte primitif en français de la main de Marie Stuart, Murray, pour en communiquer le contenu à la reine d'Angleterre, ait jugé à propos de le mettre en écossais, langue beaucoup moins familière à cette princesse que le français, dont elle se servait pour correspondre avec la reine d'Écosse, et même si peu familière, que Chalmers déclare avoir vu au Paper Office une traduction anglaise de ces lettres, faite sur le texte écossais pour l'usage personnel d'Élisabeth, qui l'a notée de sa plume[33]. Chalmers démontre, par les extraits de Sadler, un des commissaires de Cecil à York, que ce fut également un texte écossais que Murray communiqua dans cette ville en grand mystère aux Anglais, Sadler ayant rapporté des expressions écossaises, qu'il appelle les propres mots de la reine d'Écosse et tracés de sa main[34]. Un détail qui n'est pas dénué de valent, c'est que Murray, en donnant un reçu à Morton qui venait de lui confier toutes ces pièces, le 16 septembre 1568, omit de dire en quelle langue elles étaient écrites ; même omission des trois commissaires anglais, lorsqu'ils racontent à Élisabeth, le 11 octobre suivant, qu'on leur a montré une horrible et longue lettre comme de la propre main de la reine d'Écosse[35]. Suivent les extraits qu'ils ont pris également en langue vulgaire[36], c'est-à-dire en écossais. Auraient-ils, eux aussi, traduit comme Murray, le français du texte original ? Le 8 décembre 1568 seulement, dans les conférences transportées à Westminster, il fut articulé que les lettres étaient en français[37].

La prétendue traduction écossaise que Goodall regarde, croyons-nous, avec toute raison, comme l'original premier de cette correspondance supposée[38], servit de type pour une traduction latine dont Buchanan fut l'auteur ; et cette dernière fut mise en français[39], sans Compter la traduction anglaise, qui ne figure plus dans les collections imprimées.

N'eût-il pas été beaucoup plus facile, et surtout plus conforme à la loyauté et à la justice, de publier le originaux eux-mêmes, au lieu de se perdre dans ce labyrinthe de traductions ? Depuis quand condamne-t-on un accusé sur des pièces qu'on ne montre pas ! Elles étaient en français ! Pourquoi donc, si on voulait les vulgariser dans cette langue, prendre la peine de les déguiser sous une triple traduction, pour arriver à les présenter dans une version française de troisième main, et quelle version ? Les seuls documents capables de faire autorité, on les ensevelit dans le mystère ; et l'on ne donne l'essor qu'à de prétendus équivalents, dépourvus par cela même de toute autorité.

Ces différents libelles, c'est-à-dire la vie de Marie Stuart ou Detectio, les lettres, les sonnets, etc., qui n'existaient encore qu'en manuscrit en 1568, parurent en Angleterre par les soins de lord Cecil en latin et en anglais, vers la fin de 1571 ; la traduction française de la Detectio, accompagnée des lettres et sonnets dans la même langue, en février 1572, sous un faux nom, celui de Thomas Waltem à Édimbourg, en réalité soit à la Rochelle, soit plutôt à Londres[40]. Nous n'avons pas à traiter ici cette question de lieu, quoique intéressante. Disons cependant que des trois endroits que l'on indique, la France nous parait le moins vraisemblable. La traduction française, surtout en ce qui est des lettres, pro-, vient évidemment d'un homme qui savait peu l'écossais — peut-être n'eut-il pas ce texte sous les yeux —, et très-faiblement le français. Cette version, reproduite dans le recueil dit Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX, imprimé à Middelbourg en Hollande (1578), fourmille de fautes également grossières et ridicules, quant aux mots et quant au sens. Nous croyons impossible qu'une rédaction si barbare ait été écrite par un Français et en France[41].

Comment ces lettres, à la possession desquelles Bothwell devait attacher le plus grand prix, tombèrent-elles entre les mains de ses plus cruels ennemis ? Ceux-ci gardèrent le silence sur ce point pendant quinze mois.

Enfin, le 16 septembre 1568, lorsque allaient commencer les conférences d'Angleterre et qu'il fallait se mettre en règle, Morton remit les papiers au comte de Murray, en racontant que Bothwell, obligé de fuir précipitamment d'Édimbourg, les avait oubliés au château ; que, au moment de quitter l'Écosse après sa défaite irréparable et l'emprisonnement de la reine à Lochleven, il avait envoyé un de ses serviteurs, George Dalgleish, avec mission de lui rapporter une petite cassette d'argent doré qui contenait ces lettres et d'autres papiers ; que lui, Morton, avait capturé et le porteur et le coffret, le 20 juin 1567[42]. Knox complète ce récit, en ce que air James Balfour, commandant du château d'Édimbourg — ami de Bothwell avant sa chute, son ennemi dès que la fortune chancela —, aurait averti sous main le comte de Morton de la venue de Dalgleish et du précieux butin qu'il remportait[43].

Dalgleish fut arrêté, en effet, le 20 juin 1567, et interrogé le 26 à Édimbourg par Morton, Athol, le prévôt de Dundee, et le laird Kirkcaldy de Grange[44]. Ils le questionnèrent sur l'assassinat de Darnley ; mais, chose bien surprenante, ils ne proférèrent pas un mot au sujet de la cassette ni des papiers qu'elle contenait ; cela, six jours après qu'ils s'en seraient emparés. Le malheureux fut pendu le 3 janvier 1568, sans qu'il existe aucune trace d'interrogatoire sur ce point, qui, assurément, en valait la peine. Huit mois seulement après sa mort, on s'avisa de révéler qu'on avait saisi la cassette entre ses mains[45].

Sir James Balfour, dont l'autorisation était indispensable à Dalgleish pour pénétrer au château et fouiller dans le mobilier royal, ne fut pas appelé davantage à fournir des explications devant le Conseil privé, où l'on voit cependant qu'il siégeait de juillet à décembre 1567[46]. Plus tard on prit un moyen détourné pour donner à cette histoire une sorte de consistance.

Il y avait parmi les serviteurs de Bothwell un Français, nommé Nicolas Hubert, et désigné par le sobriquet de Paris. C'est lui qu'on fit le porteur de plusieurs des lettres de Marie, notamment la première de Glasgow et la première de Stirling. Réfugié en Danemark avec son maitre, il fut livré par Frédéric II, roi de ce pays, à Murray, qui l'enferma au château d'Édimbourg, février 1568. Là, oublié en apparence, 'il ne fut pas-produit, ni à l'époque où Morton annonça comment il avait saisi la cassette, ni pendant les conférences d'Angleterre, qui durèrent d'octobre 1568 à janvier 1569. Pourtant quel écrasant témoignage il aurait pu rendre contre la reine sur sa correspondance et son intrigue avec Bothwell ! Murray laissa ce précieux auxiliaire se morfondre dans la nuit du cachot. Il ne s'en souvint que pour le transporter tout à coup dans son propre château de Saint-André, à la fin de juillet 1569.

Quand elle apprit qu'il possédait un prisonnier si important, Élisabeth lui expédia coup sur coup trois messagers pour le réclamer. Mais l'habile homme avait pressenti la difficulté ; dès le 15 août, Paris était pendu à Saint-André, sans jugement. Le régent exprima son regret que l'exécution eût été faite avant l'arrivée des lettres de Sa Majesté : Mais j'ai la confiance, ajouta-t-il, que le témoignage qu'il a laissé sera trouvé assez authentique pour que la valeur n'en paraisse douteuse ni à Votre Altesse, ni à ceux à qui la nature fournit les plus puissants motifs — les Lennox — de désirer le digne châtiment du crime ; et il envoya deux interrogatoires subis par Hubert le 9 et le 10 août 1569, incriminant : le premier, le comte de Bothwell ; le second, Marie Stuart ; plus, Maitland de Lethington et sir James Balfour, avec lesquels Murray s'était brouillé depuis peu. La mention de leurs noms dans cette pièce préparait l'arrestation de Maitland, qui eut lieu le même mois. Hubert mort, on lui faisait dire tout ce que l'on voulait sur la complicité de Marie Stuart, sur les lettres qu'il avait colportées entre les deux amants ; tant qu'il avait vécu, on l'avait couvert d'un silence impénétrable. Sur l'échafaud, le calomniateur malgré lui déclara qu'il n'avait jamais porté de lettres de cette sorte, et que la reine n'était pour rien dans l'assassinat du roi[47].

L'acte original de la deuxième confession de Paris finit en ces termes : La teneur de cette déclaration et déposition, marquée à chaque page de la propre main dudit Nicolas Hubert[48], ayant été lue en sa présence, il l'a reconnue dans toutes ses parties et ses clauses pour être incontestablement vraie, en présence de M. George Buchanan, mettre du collège de Saint-Léonard à Saint-André, de M. John Wood, sénateur du collège de justice, et de Robert Ramsay, rédacteur de cette déclaration, au service de Sa Grâce milord Régent[49].

En d'autres termes, l'acte a été dressé par l'homme qui avait composé la Detectio l'année précédente, et par deux secrétaires du régent. Cecil trouva la caution légère au moins pour le public, et demanda une expédition certifiée de la confession de Paris, comme on lèverait une copie légalisée sur la minute régulière. Alors on dressa une copie dont on fit disparaître les trois noms, et on leur substitua l'affirmation d'Alexandre Hay, secrétaire du Conseil privé du roi et notaire public — ita est, Alexander Hay, scriba secreti consilii S. D. N. regis ac notarius publicus. Ce notaire est une autre créature de Murray ; il certifie ce qu'il n'a ni vu ni entendu, puisque les trois précédents personnages seuls ont été indiqués comme ayant reçu la confession d'Hubert[50]. Apparemment, cette double confession ne trouva créance nulle part dans l'origine, puisque Buchanan lui-même ne la publia pas à la suite de la Detectio, avec les confessions des autres accusés ; et Keith remarque (p. 366) qu'il n'en fit jamais usage dans ses écrits. C'est avec le temps qu'elle a fait illusion. Quelle odeur nauséabonde de fourbe et de scélératesse s'exhale de ces ténébreuses officines d'Edimbourg et de Saint-André ! Jamais l'allure franche et nette de la vérité. Toujours la démarche oblique, les embûches, l'horreur du soleil, comme dans une caverne de faux-monnayeurs. Obscurité quant aux originaux, et obscurité calculée, puisqu'on les tint sous le boisseau ; obscurité sur la saisie des lettres, puisqu'on ne l'articula qu'au bout de quinze mois ; obscurité dans la procédure, puisqu'on n'interrogea pas celui-ci, qu'on ne fit parler celui-là qu'après sa mort ; fourberie certaine, puisque dans la rédaction de l'acte on prend les imposteurs sur le fait. Voilà sous quels auspices se présente le dossier.

Comme ces lettres se rapportent à deux faits séparés par un espace de trois mois, le voyage de Marie Stuart à Glasgow à la fin de janvier 1567, et son voyage à Stirling sur la fin d'avril, nous sommes obligés de les partager aussi en deux groupes, afin de suivre la marche des événements. Ici donc nous parlerons seulement des quatre lettres de Glasgow. Pour en donner d'abord une idée sommaire, la première contient le récit du voyage de la reine depuis le moment où Bothwell prit congé delle après l'avoir accompagnée une partie du chemin, l'entrevue de Marie et ses explications avec Darnley, ses hypocrites protestations de tendresse à son mari, ses ardentes protestations d'amour à Bothwell, sa jalousie contre la femme du comte, et ses transparentes allusions au projet arrêté entre eux de se défaire du roi. La seconde lettre exprime des plaintes sur le silence de Bothwell qui ne lui a rien fait dire. Marie annonce à son complice quel jour elle amènera l'homme au lieu convenu et lui demande ses instructions. Dans la troisième, qui roule sur le même fond d'idées, elle s'excuse humblement, en alléguant son amour et sa jalousie, d'avoir écrit au comte quoiqu'il le lui eût défendu, et lui demande encore de ses nouvelles. — Nouveaux transports passionnés dans la quatrième ; ardent désir d'obéir à Bothwell en tout et d'achever leur entreprise ; chagrin des soupçons jaloux, que celui qu'elle aime paraît avoir conçus contre sa fidélité.

Maintenant étudions la première lettre en détail. Elle est d'une longueur démesurée[51], sans signature et sans date. Mais comme la seconde est datée de Glasgow ce samedy matin, que Marie est censée être arrivée dans cette ville le jeudi soir 23 janvier, et que, dès le samedi matin, elle fait allusion au messager, déjà en route porteur de la première, il est clair que celle-ci est du vendredi 24 janvier, au plus tard. Elle se divise en deux parties inégales, dans la proportion de trois à deux cinquièmes.

Le mieux serait de la transcrire en entier, parce que l'analyse, en la resserrant, atténuera les superfétations, les redites qui l'alourdissent, et lui donnera un mérite relatif de rapidité et d'enchaînement qu'elle est loin de posséder en effet. Elle mettra mieux en relief quelques endroits qui tranchent par un tour plus vif et un certain bonheur d'expression. Ainsi émondée, elle gagnera contre notre thèse. N'importe.

Marie Stuart est censée entrer ainsi en matière : Estant partie du lieu où j'avoye laissé mon cœur, dit-elle à Bothwell, il se peut aisément juger quelle estoit ma contenance, avec ce que peut un corps sans cœur, qui a esté cause que jusques à la disnée je n'ay pas tenu grand propos ; aussi personne ne s'est voulu avancer, jugeant bien qu'il n'y faisoit bon[52].

Ensuite elle rapporte sa rencontre et son dialogue avec Thomas Crawford, divers incidents peu compréhensibles, relatifs à des Hamiltons et autres qui se joignirent à son escorte, et elle en vient au roi. Il a demandé à Joachim pourquoi elle ne loge pas près de lui ; pourquoi elle est venue, si c'est pour une réconciliation ; si Bothwell l'a suivie ; si j'avais pris Paris et Gilbert, afin qu'ils m'écrivissent....[53] Gif I had takin Paris and Gilbert to wryte to me. Puis sa conversation avec Darnley : Je l'ai enquis de ses lettres où il s'estoit plaint de la cruauté d'aucuns. Il aespondit qu'il estoit aucunement estonné[54], et qu'il se trouvoit si joyeux de me voir, qu'il pensoit mourir de joye. Cependant il estoit offensé de ce que j'eslois ainsi pensive. Elle va souper. Celuy qui vous porte ces lettres, dit-elle à Bothwell, vous fera entendre de ma venue. Ensuite elle retourne près de Darnley. Il me déclara son mal, adjoustant qu'il ne vouloit point faire de testament, sinon cestuy seul, c'est qu'il me laisseroit tout ; et que j'avoye esté la cause de sa maladie pour l'ennuy qu'il avoit porté que j'eusse l'affection tant éloignée de luy. Il se plaint de la rigueur avec laquelle elle le traite, et il s'humilie : Je confesse que j'ay grandement offensé.... j'ay aussi péché à l'encontre d'aucuns de vos citoyens, ce que vous m'avez pardonné'[55]. Je suis jeune.... je ne vous demande rien davantage, sinon que nous ne faisions qu'une table et un lict, comme ceux qui sont mariez : à cela si vous ne consentez, je ne releverai jamais de ce lict.... Dieu sçayt quelle peine je porte de ce que j'ay fait de vous un Dieu[56], et que je ne pense à autre chose qu'à vous. Il fut question ensuite du projet qu'il avait formé de quitter l'Écosse, de l'affaire d'Hiegate que les deux interlocuteurs quittent et reprennent tour à tour, du château de Craigmillar, où elle comptait le mener[57], de l'ordre de l'arrêter mort ou vif qu'un du Conseil avait présenté à la reine et qu'elle avait refusé de signer'[58]. Il dit qu'il ne peut rien soupçonner de moy, et qu'il ne croira jamais que moy, qui suis sa propre chair, luy fasse aucun des-plaisir ; et qu'il sçavoit bien que j'avois refusé de souscrire à cela ; et que si quelqu'un cherchoit à lui oster la vie, qu'il feroit en sorte qu'elle luy seroit chèrement vendue.... Il veut qu'elle veille près de lui, parce qu'il ne peut bien dormir, et je faingnoye, dit-elle, que tout cela me sembloit vray et que m'en soucioye beaucoup. Elle continue : Je[59] ne l'ay jamais veu mieux porter, ne parler si doucement ; et si je n'eusse appris par l'expérience combien il avoit le cœur mol comme cire, et le mien estre dur comme diamant, et lequel nul trait ne pouvait percer, sinon descoché de vostre main, peu s'en eust fallu que je n'eusse pitié de luy : toutesfois ne craignez point, ceste forteresse sera conservée jusqu'à la mort ; mais vous, regardez que vous ne laissiez surprendre la vostre par ceste nation infidèle[60], qui avec non moindre opiniastreté débattra le mesme avec vous. J'estime qu'ils ont esté enseignez en mesme école. Cestuy-ci a tousjours la larme à l'œil ; il salue tout le monde.... Aujourd'huy le sang est sorty du nez et de la bouche à son père ; vous donc devinez maintenant quel est ce présage. Je ne l'ay point encore veu, car il se tient en sa chambre.... Ne vous prent-il pas envie de rire de me voir ainsi Mien mentir, au moins de si bien dissimuler en disant vérité ?... Je le poursuy par force de flatteries et prières, afin qu'il s'assure de moi.... Nous sommes conjoints avec deux espèces d'hommes infidèles[61]. Le diable nous veuille séparer, et que Dieu nous conjoingne jamais.... Voilà ma foy, et veux mourir en icelle.

Elle écrit mal, Bothwell ne pourra pas lire ; il devra deviner la moitié des choses ; mais elle a une grande joie de lui écrire pendant que les autres dorment : Puisque de ma part je ne puis dormir comme eux, ni ainsy que je voudroye, c'est-à-dire entre les bras de mon très-cher amy, duquel je prie Dieu qu'il vueille destourner tout mal et luy donner bon succès. Je m'en vay pour trouver mon repos jusques au lendemain, afin que je finisse icy ma Bible (my Byttill) ; mais je suis faschée que ce repos m'empesche de vous escrire de mon fait, parce qu'il dure tant[62].... Je suis toute nue[63], et m'en vay coucher, et néantmoins je ne puis me tenir que je ne barbouille encore bien mal ce qui me reste de papier. Maudit soit le tavelé qui me donne tant de travaux ; car, sans luy, j'avoye matière plus belle pour discourir. Il n'a pas esté beaucoup rendu diforme, toutesfois il en a pris beaucoup. Il m'a quasy tuée de son halène....

C'est sur cette imprécation et sur une table des matières résumant tout ce qui précède, que finit la première partie de la lettre[64].

La seconde partie débute par une allusion aux amours de Marie et de Bothwell : Pendant le souper, le sieur de. Livingston en a plaisanté tout bas avec lady Reres[65]. En sortant de table, la reine s'appuie sur lui pour se chauffer devant le feu : Voylà, lui dit-il, une belle visitation de telles gens[66], mais toutesfois la joye de vostre venue ne leur peut estre si grande, combien est la fascherie à celuy qui a esté délaissé seul aujourd'huy, et qui ne sera jamais joyeux jusques à ce qu'il vous ayt veuê. De rechef[67], je luy demanday qui estoit cesluy-là ? Luy, m'embrassant plus estroitement, me respondit : C'est l'un de ceux qui vous ont laissée. Vous pouvez deviner qui est cestuy-là[68].

Cette scène effrontée sert d'acheminement au langage de plus en plus compromettant que Marie tient à son amant. Après quelques mots sur un bracelet qu'elle fait pour lui, elle dit : Maintenant je vien à ma délibération odieuse. Vous the contraignez de tellement dissimuler que j'en ay horreur, veu que vous me forcez de ne jouer pas seulement le personnage d'une trahistresse[69]. Qu'il vous souvienne que, si l'affection de vous plaire ne me forçoit, j'aymeroye mieux mourir que de commettre ces choses ; car le cœur me seigne en icelles. Bref, il ne veut venir avec moy, sinon soubs cette condition, que je luy promette d'user en commun d'une seule table et d'un mesme lict, comme auparavant, et que je ne l'abandonne si souvent ; et que, si je le fay ainsy, il fera tout ce que je voudray, et me suivra.

Darnley examine alors avec sa femme quel plan de conduite ils devront tenir à l'égard des seigneurs. Mais, à en juger par les paroles qu'on prête à l'un et à l'autre, leurs idées ne sont pas claires. En effet, Marie, après avoir averti de nouveau Bothwell qu'elle dissimulait vis-à-vis de son mari, en feingnant que je croyoye à ses belles[70] promesses, que je m'y accorderoye pourveu qu'il ne changeast d'advis, poursuit : Mais cependant qu'il regardast que personne n'en sceust rien, parce que les seigneurs ne pourroient estre offensez de nos propos, ni conséquemment nous en vouloir mal ; ains seroient en crainte de ce qu'il m'auroit suivy[71] ; et si nous pouvions estre d'accord ensemble, qu'il pourroit donner ordre qu'ils entendroient combien peu ils l'avoient estimé ; item, de ce qu'il m'avoit conseillé que je ne recerchasse la bonne grâce d'aucuns sans luy[72] ; et pour ces raisons qu'ils seroient en grand soupçon si je troubloye ainsi maintenant la face du théâtre qui avoit esté appresté pour jouer une autre fable. Alors, estant grandement joyeux, il adjousta et pensez-vous que pour cela ils vous en estiment davantage ? Mais je suis bien aise que vous avez fait mention des seigneurs ; maintenant je croye que vous désirez que nous vivions ensemblement en paix ; car, s'il n'estoit ainsi, beaucoup plus grandes fucheries nous pourroient advenir à tous deux que nous ne craignons ; mais à présent je veux ce que vous voulez et aimeray ce que vous aimerez, et désire que pareillement vous-acquériez leur amitié ; car, puisqu'ils ne pourchassent à m'oster la vie, je les aime tous également. — Touchant ce chef, dit la reine à Bothwell, le porteur vous récitera plusieurs particularités, d'autant qu'il y a trop de choses qui restent à écrire et qu'il est déjà tard. Vous ajouterez foy selon vostre parole. En somme, il ira où vous voudrez par mon commandement[73]. Hélas ! je n'ay jamais trompé personne ; mais je me submets en toutes choses à vostre volonté. Faictes-moy sçavoir ce que je doy faire, et quoy qu'il en puisse advenir, je vous obéiray. Et pensez en vousmesme si pouvez trouver quelque moyen plus couvert que[74] par breuvage, car il doit prendre médecine et estre baigné à Cragmillar.... Brief, à ce que j'en puis entendre, il est en grand soupçon[75] ; néantmoins, il adj uste beaucoup de foy à ma parole, mais non encore tant qu'il n'en descouvre quelque chose ; toutesfois, je confesseray et recongnoistray tout devant luy, si vous le trouvez bon[76]. Mais si ne m'esjouirayje jamais à tromper celuy qui se fie en moy ; néantmoins vous me pouvez commander en toutes choses. Ne concevez donc point de moy aucune sinistre opinion, puisque vousmesme estes cause de cela ; car je ne le feroye jamais contre luy pour ma vengeance[77] particulière. Cependant il m'a donné atteinte du lieu suspect, et a jusques icy discouru bien au vif que ses fautes sont cogneuës ; mais qu'il y en a qui en commettent de plus grandes, encore qu'ils estiment qu'elles soient cachées par silence, et toutes fois que les hommes parlent des grands aussi bien que des petits[78].

Darnley cependant n'est pas entièrement rassuré : Quant à Reres, il dit, je prie Dieu que les services qu'elle vous fait vous soient à honneur. Il dit aussy qu'il y en a qui croient, et que de sa part il l'estime véritable, je n'ay point en moi la puissance de moy-mesme, d'autant que j'ay refusé les conditions qu'il avait offertes. Brief, il est certain qu'il se doute de ce que sçavez et de sa vie mesmes. Quant au reste, soudain que je luy propose deux ou trois bonnes paroles, il se resjouit et n'a point de crainte[79].

De là Marie passe à diverses choses : le bracelet qu'elle brode pour Bothwell, et qu'elle lui recommande bien de ne pas laisser voir ; de l'argent à lui envoyer ; la colère du roi chaque fois qu'il entend prononcer le nom de Bothwell, de Murray ou de Lethington ; l'affluence des Hamiltons. Le porteur de la lettre, confident des secrets de l'un et de l'autre, dira le surplus au comte, comme s'il restait encore quelque chose à dire après cette rapsodie interminable.

Maintenant donc, mon cher amy, puisque, pour vous complaire, je n'espargne ny mon honneur, ny ma conscience, ny les dangers, ny mesme ma grandeur, quelle qu'elle puisse estre, je vous prie que vous le preniez en bonne part, et non selon l'interprétation du faux frère de vostre femme[80], auquel je vous prie aussi n'adjouster aucune foy contre la plus fidèle amye que vous avez eue ou que vous aurez jamais. Ne regardez point à celle de laquelle les feintes larmes ne vous doivent estre de si grand poix que les fidèles travaux que je souffre, afin que je puisse mériter de parvenir en son lieu. Pour lequel obtenir, je trahis, voire contre mon naturel, ceux qui m'y pourroient empescher. Dieu me le vueille pardonner et vous doint, mon amy unique, tel sucez et félicité que vostre humble et fidèle amye le souhaitte, laquelle espère en brief autre récompense de vous, pour ce mien fascheux labeur.

Elle s'arrache enfin à ses loquaces transports par quelques phrases plus vives que le traducteur a émaillées de non-sens. Excusez mon ignorance à escrire et relisez mes lettres. Excusez la briefveté des charactères[81], car hier je n'avoye point de papier, quand j'écrivis ce qui est au mémoire[82]. Ayez souvenance de vostre amye et lui rescrivez souvent. Aimez-moy comme je vous aime et ayez mémoire du propos de Mlle de Reres.

Des Anglois.

De sa mère.

Du comte d'Arghley (Argyle).

Du comte de Bothwell.

Du logis d'Édimbourg.

C'est ainsi que la lettre se termine.

Cette fin est étrange. Que l'écrivain, manquant de papier la veille, au milieu de sa lettre, ait employé, comme on le prétend, la feuille où étaient ses notes ; cela peut s'admettre à la rigueur, quoiqu'il soit étonnant que le développement soit venu finir juste au-dessus des notes préparées ; mais ici, aux derniers mots, à quoi bon cette seconde table des matières, qui d'ailleurs a le défaut de n'en être pas une ? car elle ne correspond pas aux développements de la seconde partie. Comment Marie prie-t-elle le comte de Bothwell de se souvenir du comte de Bothwell ? Pourquoi ce logis d'Édimbourg, quand, dans cette lettre et la suivante, la résidence de Craigmillar seule est sur le tapis ? Veut-on faire croire que le crime de Kirk-of-Field se combine déjà ? Que signifient aussi ces mots : des Anglois, de sa mère ?

Les trois autres lettres datées de Glasgow, beaucoup moins longues, sont aussi très-importantes ; mais, pour ne pas abuser ici, nous nous réservons d'y puiser en temps utile. La première et principale suffira comme spécimen de fond et de forme ; elle montre ce que vaut cette traduction française, publiée par les soins de Cecil et de Murray, et nous ramène plus fortement à cette question : Puisqu'ils avaient les originaux français de la main de Marie Stuart, pourquoi, au lieu de les imprimer tout simplement, avoir donné de préférence une traduction barbare faite sur l'écossais et le latin ? N'est-ce pas une présomption très-sérieuse en faveur de l'opinion de Goodall, que les originaux français n'existaient pas, et que les lettres premières furent composées en écossais[83] ?

Un illustre défenseur de Marie Stuart, le prince Labanoff, s'est voué à exhumer, des archives et des bibliothèques, la correspondance de la malheureuse reine, depuis sa plus tendre jeunesse jusqu'au jour où elle monta sur l'échafaud. Il a enrichi la science d'un trésor du plus grand prix. Grâce à lui, nous possédons en nombre considérable les lettres de Marie Stuart. Que l'on compare leur style simple et noble, leur allure nette et dégagée. la vigueur de la pensée dès qu'elle s'anime, à la marche embarrassée et décousue de la lettre à Bothwell. Comment concevoir que la passion, et la passion effrénée, ne suggère à une femme d'esprit et d'élan que de plates ignominies ! En vain aussi dirait-on, pour expliquer l'épaisse obscurité du texte, que des complices, préméditant un grand crime, doivent s'écrire à mots couverts. Encore faut-il que le mystère de leurs communications ne dégénère pas en un pathos inintelligible.

Parfois on fait faire à Marie de l'érudition. Elle qui, dans sa correspondance authentique, s'inquiète peu de l'Antiquité et de la Fable, y songe dans sa troisième missive à Bothwell, qui probablement ne s'en souciait guère. L'endroit est trop curieux, et le talent du traducteur en français y triomphe trop bien, pour ne pas le citer. La reine se défend contre les soupçons jaloux du comte. Elle les prend en bonne part à cause qu'ils proviennent de l'amitié qu'il lui porte, dont tant de devoirs que je fay, dit-elle, me rendent certaine et assurée. Quant à moy, je n'en désespéreray jamais, et vous prie que, suivant vos promesses, vous me faciez entendre votre affection ; autrement, j'estimeray que cela se faist par mon malheureux destin et par la faveur des astres envers celles qui, toutesfois, n'ont une tierce partie de loyauté et volonté que j'ay de vous obéir, si elles, comme si j'estoye une seconde amie de Jason, malgré moy, occupent le premier lieu de faveur ; ce que je ne dy pour vous accomparer à cet homme en l'infélicité qu'il avoit, ny moy avec une femme toute esbignée de miséricorde comme estoit celle-là....[84] (Teulet, p. 41-42.) D'où vient ce rapprochement entre Marie Stuart et Médée ? C'est qu'à l'époque où l'on écrira la Detectio, les ennemis de Marie lui prêteront l'intention d'immoler son fils à l'ambition de Bothwell. Elle n'aura pas, comme Médée, de père à égorger ; mais elle tournera comme elle sa fureur sur le fruit de ses entrailles. Au reste, la comparaison, absurde en ce point, pèche de plus en ce que la reine vient la seconde dans l'ordre de date ; et quand elle ambitionne de supplanter, dans le cœur de Bothwell, la première femme en possession, elle joue le rôle de Glaucé et non de Médée. N'importe, cela fournira de beaux mouvements d'éloquence à l'auteur de l'Actio contre cette empoisonneresse et sanguinaire[85]. L'auteur, c'est-à-dire Buchanan, comptait-avec orgueil, parmi ses plus beaux titres littéraires, la traduction de plusieurs tragédies d'Euripide ; entre autres la Médée. Il avait concentré ses complaisances sur cette œuvre. Depuis qu'on l'avait jouée pour la première fois dans un collège de Bordeaux en 1543, il l'avait retravaillée assidûment. Une nouvelle édition parut à Bâle en 1568 ; lui-même dédia sa traduction à Jacques VI en 1576[86]. Une allusion au personnage tragique, objet alors de tous ses soins, glissée dans les lettres, compagnes obligées du libelle de la Detectio, ne trahit-elle pas la main du vaniteux faussaire[87] ?

Mais une preuve très-frappante, selon nous, de la participation de Buchanan à la contexture des lettres à Bothwell, c'est la place que lady Reres y occupe. Nécessairement il fallait que la coupable principale eût une confidente et une aide de ses amours.

Buchanan, dans la Detectio, choisit lady Reres[88]. Elle était d'une famille catholique, nièce du cardinal Beaton[89], par conséquent bonne à diffamer. Nous l'avons vue figurer dans la &tertio comme une ancienne maîtresse de Bothwell ; puis, devenue vieille, comme l'ignoble instrument qui aurait livré Marie Stuart à la violence du comte en septembre 1566, et, quelques nuits après, aurait arraché la comte de son lit pour le traîner chez la reine. Mais nous avons vu aussi combien cette histoire est mensongère. La Detectio raconte ensuite que, pendant que la reine séjournait à Coldingham après sa maladie de Jedburgh, lady Reres voulant, selon son office accoutumé, lui amener Bothwell pendant la nuit, fut surprise et reconnue par les gardes. Le journal de Murray, frère jumeau de la Detectio, fixe la date au 10 novembre. Mais nous avons établi, par des pièces certaines auxquelles le lecteur peut se reporter[90], que c'est encore une calomnie et que la reine habita Kelso du 9 au 11 novembre. Il n'est pas probable non plus que lady Reres fût si chargée d'années que le veut Buchanan, puisqu'elle accoucha au château d'Édimbourg en même temps que Marie Stuart[91]. De là donc il résulte que Buchanan a menti sur lady Reres comme sur Marie Stuart. C'est lui qui l'a introduite dans la Detectio et dans le journal de Murray ; c'est lui aussi qui l'introduit dans les lettres de Glasgow, sous les mêmes traits, de même que dans la deuxième confession de Paris[92], où nous avons déjà surpris la main qui a écrit la Detectio. Lorsque Bothwell fit de sa sœur, lady Coldingham, la principale dame de service, au grand mécontentement des deux sœurs lady Reres et lady Buccleuch, celles-ci éclatèrent en plaintes ; mais ni le Conseil privé d'Écosse, ni les commissaires anglais ne les appelèrent jamais à déposer sur le contenu des lettres, ni sur quoi que ce fût des actions de Marie Stuart[93].

Certaines paroles, que les lettres placent dans la bouche des personnages, n'ont pas pu être prononcées par eux, parce qu'elles sont trop contraires aux données vraies de l'histoire.

Darnley ne peut pas dire à Marie qu'il ne fera pas de testament, si ce n'est pour l'instituer son héritière, parce que ni lui, ni son père ne possédaient absolument rien en Écosse ; ils ne vivaient que de l'argent de leur femme et belle-fille. Quant à leurs biens d'Angleterre, ils étaient fort réduits[94] ; Elisabeth les avait séquestrés, et l'on savait bien qu'elle n'en laisserait jamais aller une parcelle à sa cousine. Darnley peut-il dire que sa maladie — la petite vérole — provient de ce que sa femme ne l'aime plus ? Comment aussi peut-il la prier de ne plus l'abandonner si souvent ? N'était-ce pas lui, au contraire, qui l'avait vingt fois abandonnée, quoi qu'elle fit pour le retenir ou le ramener ? L'abandon était la tactique conjugale de l'étourdi dans ses exigences et ses colères. Que veut-on par là ? Le poser faussement en agneau et en victime.

En conséquence, sa femme sera une tigresse ; celle qui dans la réalité ne savait que pardonner, tient presque le langage d'un monstre. Elle écrit ce que l'on n'écrit pas ; est-il dans la nature de faire parade du crime qu'on a commis, de celui qu'on va commettre ? Elle se vante de son cœur de diamant, et insulte au cœur de cire de son mari. Ne semble-t-elle pas trépigner sur un cadavre, quand elle dit : Aujourd'huy le sang est sorty du nez et de la bouche à son père ; vous donc devinez maintenant quel est ce présage. Ce sont de ces mots dont la violence même dénote la détestable rhétorique de la fraude. On la fait parler des races infidèles — lady Gordon et Darnley —, dont le diable devrait les séparer, sur un ton d'impiété brutale opposé absolument aux habitudes de sa vie entière, mais tout à fait conforme à la manière d'un Buchanan. L'histoire nous montre Marie occupée deux fois de lady Gordon ; c'est pour lui donner des marques d'amitié, sa robe de noces, puis un legs dans le testament qu'elle fait avant ses couches.

A la vérité, les paroles odieuses qui lui coûtent si peu, semblent tempérées çà et là par des velléités de remords. Mais en réalité il n'y a pas un instant d'hésitation ; toujours le crime endurci. Tout cela se couronne par la comparaison que dans la troisième lettre elle établit entre elle et Médée. Sans doute les preuves que nous apportons en ce moment sont surtout des preuves morales ; mais nous ne les en croyons pas moins fortes, et, de plus, nous pensons qu'elles tirent beaucoup d'autorité des résultats matériels auxquels nous sommes parvenus. Aucun des faits sur lesquels on a bâti les amours de Marie Stuart et de Bothwell n'a résisté à l'examen. La vie antérieure de Marie Stuart est, au contraire à ce qu'on a dit, en complète discordance avec les lettres.

Parmi les menaces et les plaisanteries indignes que prodigue Marie, il en est une sur la maladie de Darnley qu'il faut relever plus particulièrement : Il — Darnley — n'a pas esté beaucoup rendu diforme ; toutes fois il en a pris beaucoup. L'expression est vague, elle peut s'entendre de la petite vérole, comme aussi du poison que, d'après Buchanan, on aurait administré au roi à Stirling, et qui aurait causé la maladie de Glasgow. C'est le commentaire qui va nous découvrir le vrai sens ; l'auteur de l'Actio ne s'y prend pas à deux fois. Nous empruntons la traduction française dans les Mémoires de l'Estat de France (T. I, p. 129, v.) : Voulant aller à Glascow, elle fit bailler le poison à son mary. Par qui, diras-tu ? Comment ? Quel ? D'où l'avoit-elle pris ? Me demandes-tu cela ? Comme si à meschans princes il manquoit mais meschans ministres et serviteurs. Mais tu insisteras possible, et m'enquerras qui estoyent ces serviteurs. Premièrement, je respon qu'il appert du venin : car encore que l'impudence des hommes voulust desnier une chose si clere et notoire ; néantmoins la façon de sa maladie le prouvera comme estant nouvelle, non accoustumée, mesmes inconue aux médecins, principalement à ceux qui avoient moins fréquenté l'Italie et l'Espagne ; d'autant qu'il sortoit de tout son corps des vessies coulourées avec douleur en tous ses membres, et une puanteur insupportable. On dira que ces signes sont douteux et communs à d'autres maladies. Or si ceste cause se plaidoit devant Caton le Censeur, nous serions bien d'accord, veu qu'il s'estoit persuadé qu'une femme adultère estoit aussi empoisonneresse. Cerchons-nous en ceci un meilleur tesmoin que Caton, duquel l'antiquité a estimé les sentences estre autant d'oracles ? De nouveaux arguments viennent fortifier cette puissante preuve : mais afin qu'on puisse satisfaire mesmes aux plus revesches, mettons en avant un tesmoin royal. Lisez donc l'épistre de la royne, je di épistre escrite de sa propre main. Que veulent dire ces mots : il n'a pas esté beaucoup rendu difforme, et toutes fois il en a pris beaucoup. Le fait mesme, la maladie, les vessies, et la puanteur le déclarent, assavoir qui print ce qui lui donna quelque difformité, qui est le venin....

Enfin elle dit qu'il faut user de purgation, et puis elle ordonne qu'il soit mené à Cragmillar, où les médecins etce qui estoit encore plus dangereux que tous les médecinselle y puisse assister. Joint qu'elle demande conseil à Bothwell s'il pourroit inventer quelque moyen secret par forme de médecine, pour s'en aider estant à Cragmillar et par les bains. Voyez comme le tout s'accorde. Il en a beaucoup pris, il le faut purger, et ce à Cragmillar, a savoir en un désert et en lieu pour n'estre fréquenté, comme à perpétrer un si malheureux forfait, et pour user de médecine ; mais quelle ? C'est de celle mesme dont il avoit prins beaucoup auparavant, etc.

Il est donc bien entendu que Marie Stuart a voulu parler du poison qu'elle a fait donner à son mari, quoique la vérité historique ne parle que de la petite vérole. Plus loin encore, dans la même lettre, noua avons vu qu'elle dit à Bothwell : Faictes moy açavoir ce que je doy faire, et quoy qu'il en puisse advenir, je vous obéiray. Et pensez en vous-mesme si pouvez trouver quelque moyen plus couvert que par breuvage, car il doit prendre médecine et astre baigné à Cragmillar[95].

Dans la seconde lettre, du samedi 25 janvier : Quant à moy, encore que je n'oye rien de nouveau de vous, toutesfois selon la charge que j'ay reçue, j'ameine l'homme avec moy lundy à Cragmillar, où il sera tout le mercredy[96]. Pour en finir d'abord avec la seconde de ces deux citations, il y a deux faussetés : 1° Elle n'amène pas l'homme à Craigmillar, puisqu'au moment où l'on dit qu'elle envoya sa lettre, elle avait abandonné ce premier projet à la prière de Darnley ; 2° Elle ne l'y amène pas le lundi (27 janvier), puisque partie de Glasgow ce jour-là, elle mit quatre jours entiers, comme nous le verrons bientôt, à rentrer à Édimbourg. Il ne pourra donc pas être à Craigmillar le mercredi. Prenons maintenant la première citation et les mots essentiels, si pouvez trouver quelque moyen plus couvert que par breuvagegif se can find out ony main secreit inventioun by medicine. Au premier moment ce que, traduction de by, parait inexplicable[97], et l'on croit qu'il s'agit d'un projet d'empoisonnement prochain à Craigmillar. Mais by est un idiotisme écossais du seizième siècle ; il signifie sans, et indique des moyens autres que ceux dont on vient de parler, et dans l'espèce, autre chose que le breuvage empoisonné qu'on lui a déjà fait prendre — à Stirling —, et qui n'a pas produit son effet[98]. On persiste donc à faire dire à Marie Stuart qu'elle a empoisonné son mari, et il est impossible qu'elle le dise, la maladie ayant été la petite vérole. Crime supposé, lettre supposée.

Dans l'ordre matériel, il y a de singulières difficultés et impossibilités sur la manière, le temps, le lieu, et sur certains hommes que cette correspondance met en scène. Marie écrit-elle à Bothwell de l'aveu de celui-ci, ou non ? Il semble, d'après les lettres I et II, qu'ils étaient convenus de correspondre ensemble. Dans la première : Voilà ce que j'ay depesché pour mon premier jour, espérant achever demain le reste. Je vous escry toutes choses, encor qu'elles soient de peu d'importance, afin qu'en eslisant les meilleures, vous en fassiez jugement. (Teulet, p. 16). — J'ay une grande joye en vous escrivant pendant que les autres dorment.... Faites-moy sçavoir ce que vous avez délibéré de faire touchant ce que sçavez, afin que nous nous entendions l'un l'autre, et que rien ne se fasse autrement. (P. 18, 19. — V. aussi p. 27, 32, 34.) La lettre II porte : Il semble qu'avec vostre absence soit joinet l'oubly, veu qu'au partir vous me promistes de vos nouvelles... je vous prie, faictes-moy sçavoir bien au long de vos affaires, et ce qu'il me faut faire. (Teulet, p. 36, 38.) De plus, dans la deuxième confession de Paris, Bothwell annonce à celui-ci que la reine, pendant son voyage, lui donnera des lettres pour les lui porter. (Teulet, p. 934.) Or voilà que, dans la lettre III, la scène change subitement : Maintenant j'ay violé l'accord ; car vous aviez deffendu que je n'escrivisse ou que je n'envoyasse par devers vous. (Teulet, p. 41.) Marie s'excuse de son mieux d'avoir écrit, sur ce qu'elle a voulu l'empêcher de soupçonner son amour. Étranges conspirateurs ; ils se séparent : l'une va chercher la victime, l'autre va préparer l'assassinat ; et Bothwell a défendu à sa complice de lui envoyer ni lettres, ni messagers. Il ne veut pas s'entendre avec elle sur le crime qu'ils préparent en commun ! Jaloux étrange : il ne souffre pas que celle qu'il aime de l'amour le plus soupçonneux, lui donne signe de vie pendant le temps qu'ils vont être loin l'un de l'autre.

Mais, autre question, où est Bothwell pendant ces mêmes jours ? Nous savons qu'aux termes du journal de Murray il avait accompagné la reine, le 23 janvier, jusqu'aux environs de Glasgow, et qu'il était revenu coucher à Édimbourg. La deuxième confession de Paris porte la même indication, en ajoutant que le comte avait partagé la couche de la reine à Callendar, du 22 au 23. Il passa la journée du 24 janvier à Édimbourg, dit le journal, occupé de bon matin à examiner le logement que l'on préparait pour le roi. — Mensonge, puisque Craigmillar était le lieu destiné et tout prêt. Marie, arrivée le soir du 23 à Glasgow, ne savait pas encore que Darnley repousserait Craigmillar, et par conséquent elle ne pouvait pas avoir chargé déjà Bothwell de chercher un autre gîte. Toujours d'après la même autorité du journal, le comte partit d'Édimbourg le soir du 24 pour le Liddisdale, dont il ne revint que le 28 du même mois. Marie Stuart assurément devait savoir ses projets en prenant congé de lui près de Glasgow[99]. Alors on se demande d'où vient son inquiétude si grande de n'en avoir pas de lettre, dès le samedi matin (25 janvier), date de la seconde de ses missives. L'espérance de recevoir des nouvelles m'a quasy jetté en aussi grande joye que je dois recevoir à vostre venue, laquelle vous avez différée plus que ne m'aviez promis. (Teulet, p. 36-7.) Comment se peut-il que s'étant quittés le 23 dans la journée, elle pour continuer vers Glasgow, lui pour se rendre à Édimbourg et au Liddisdale, elle s'étonne, le matin du 25, qu'il ne soit pas de retour auprès d'elle. Glasgow est à soixante milles d'Édimbourg ; le Liddisdale est au moins à cette distance au delà de la capitale. Bothwell est donc fort loin de Marie. En ce cas, pourquoi lui écrit-elle comme s'il était tout proche ? Lett. III (Teulet, p. 44-5) : Je m'en vay coucher et vous dy adieu. Faites-moy certaine de bon matin de vostre portement.... Ceste lettre fera volontiers ce que je ne pourray faire moy-mesme, si d'aventure, comme je train, vous ne dormez déjà. Lett. IV (Teulet, p. 47). Que si vous ne me mandez des nouvelles ceste nuict, de ce que vous voulez que je fasse, je m'en dépescheray et me hazarderay de l'entreprendre. On ne parle ainsi que quand on est voisin l'un de l'autre. Sans compter que pendant que ces lettres donnent lieu de croire Bothwell dans le voisinage immédiat de Glasgow, et que le journal de Murray l'envoie dans le Liddisdale, la deuxième confession de Paris (Teulet p. 93) le met à Édimbourg : trois endroits à la fois.

Le rôle attribué à Paris, porteur du premier de ces fameux messages, est ridicule et inadmissible. Pendant le voyage d'Édimbourg à Glasgow, Bothwell avait fait entrer son fidèle serviteur dans la maison de la reine, sans doute pour se ménager des intelligences parmi la domesticité du palais. Le comte lui dit qu'il s'en allast avec la royne, et qu'il regardast bien à ce qu'elle feroit[100]. La reine, de son côté, l'admet tout de suite dans sa plus haute et plus intime confiance. Cet homme que sa première confession (Teulet, p. 79-93) nous montre dans la situation du plus humilié des valets, toujours tremblant devant le pied ou la main de son maitre, et tout à fait ignorant du complot jusqu'aux derniers jours, en devient ici la cheville ouvrière longtemps à l'avance. Il voit tout, il est au courant de tout. Il assiste aux scènes les plus particulières. En lui donnant à porter des lettres si dangereuses pour elle, Marie ne prend la précaution ni de les fermer, ni de les sceller[101]. A quoi bon ? Il en sait plus que les lettres elles-mêmes. Lett. I (Teulet, p. 24). Au commencement, il — Darnley, dans son entrevue avec Marie — parloit fort asprement, comme vous récitera celuy qui porte les présentes. Était-il donc en tiers avec le roi et la reine, dans ces conversations que Crawford affirme s'être passées sans témoins ? Plus loin (p. 27), Darnley vient de dire à Marie : A présent, je veux ce que vous voudrez et aimeray ce que vous aimerez.... A quoi elle ajoute : Touchant ce chef, le porteur vous récitera plusieurs particularités. — (p. 32) Il — Darnley — me prie que je soye demain assez à temps pour le voir lever. Afin que je le face court, ce porteur vous dira le surplus. On se demande, non sans stupeur, ce que peut être le surplus d'une lettre de quatorze pages in-folio[102]. Que de choses ne faut-il pas que ce porteur sache, pour être capable d'ajouter au message ! A vrai dire pourtant, Paris n'est pas seul à recevoir le flux des confidences de la reine. Tout autre l'égale en importance ; tel celui qui remettra la troisième lettre commençant ainsi : J'ai veillé plus tard là-haut que je n'eusse fait, si ce n'eust été pour tirer — de Darnley — ce que ce porteur vous dira ; que je trouve la plus belle commodité pour excuser vostre affaire qui se pourroit présenter. J'ay promis que je lui méneroy demain cestuy-là. Vous ayez en soin, si la chose vous semble commode. (Teulet, p. 40.) Encore un émissaire instruit de tout ce que Darnley a dit, et porteur aussi de beaux logogriphes. La deuxième confession de Paris complète le tableau (Teulet, p. 93). Bothwell a ordonné à son ancien valet de bien regarder à ce que fera la reine. La reine à son tour, en le chargeant de sa première lettre, accompagnée de lettres pour Lethington, lui dit : et voyés les parler ensemble — Bothwell et Lethington —, et regardés la façon de faire et quelle mine ilz feront. Paris ne manque pas de répéter sa leçon à Bothwell : Voicy des lettres que la Royne vous envoye et aussi à Monsieur de Liddington, vous priant de les luy délivrer, et que je vous vis parler ensemble, pour veoir vos façons de faire et comment vous vous accordiez ensemble. Bothwell trouve cela tout simple ; et Paris, mis tour à tour au-dessus de la reine et des plus grands seigneurs, transporte sa surveillance olympienne d'un côté à l'autre. Au fait, Marie n'a rien de caché pour lui. Elle lui fera part de son dessein d'épier le roi. Elle lui expliquera aussi qu'il s'agit de savoir lequel est le meilleur pour loger le roi, de Craigmillar ou de Kirk-of-Field — notons que la première lettre, au sujet de laquelle se donnent ces instructions, n'indique pas cette alternative et qu'il n'y est question que de Craigmillar, à même que dans les trois autres lettres de Glasgow —. Est-il un moyen de descendre plus bas encore ? Oui ; après avoir fait litière devant ce valet de son honneur de reine, elle fait litière aussi de toute pudeur et de son honneur de femme. Elle le charge de dire à Bothwell que le roy la vouloit baliser, mais elle n'a pas voullu de peur de sa maladie.... et plus, ce dit-elle, voua dirés à Monsieur de Boduel que je ne vais jamais vers le roy, que Reres n'y est et voyt tout ce que je fais. (Teulet, p. 94.) Encore lady Reres, c'est-à-dire les fictions de Buchanan. Au risque de trop nous répéter, redisons que plus ces peintures ressemblent à l'héroïne scandaleuse de la Detectio, moins elles conviennent à la malheureuse reine, telle que la montre la vérité. Il n'est pas difficile sans doute de choisir dans ces documents frelatés, certains extraits mieux tournés que le reste, et de s'en tenir à ceux-là. On l'a fait ; mais il faut considérer l'ensemble pour juger avec justice.

Enfin, il y a dans la question de temps et de dates des impossibilités palpables.

D'après le système du journal de Murray, Marie, arrivée à Glasgow le 23 janvier (le soir), y séjourne les 24, 25 et 26 (vendredi, samedi et dimanche), et repart le 27 (lundi) avec Darnley. Durant ces trois jours, elle expédie quatre épîtres à Bothwell, la première le 24, la seconde le samedi matin, 25.

— Admettons pour le moment ces dates, bien que nous ayons établi ailleurs que Marie Stuart ne partit d'Édimbourg que le 24 au plus tôt. —

Elle ne put pas se mettre à sa première lettre avant le deuxième jour de son arrivée à Glasgow, soit le vendredi 24[103] ; car elle dit au commencement (Teulet, p. 6) : Le roy appela hier Joachim. Et même elle ne commença que le troisième jour : Quant au reste, touchant Guillaume Hiegait, il l'a confessé, mais non jusques au jour d'après mon arrivée (Teulet, p. 11). Cette manière de parler la place évidemment au 25 janvier.

Vers le milieu de la lettre elle s'arrête : Voylà ce que j'ay depesché pour mon premier jour, espérant achever demain le reste (Teulet, p. 16) ; et encore : J'ay une grande joie en vous escrivant pendant que les autres dorment (p. 18) ; — je m'en vay pour trouver mon repos jusqu'au lendemain, afin que je finisse icy ma Bible (p. 18). Ceci a rempli la journée du 25 janvier. Le 26, elle ne reprend qu'assez tard : J'ay aujourd'hui travaillé jusqu'à deux heures en ce brasselet, pour y enfermer la clef qui est jointe au bas avec deux petites cordes (p. 22). — Je ne l'ay — Darnley — point veu ceste après-disnée, parce que je faisoye votre brasselet (p. 30). Elle écrivit assez avant dans la nuit : Le porteur vous récitera plusieurs particularitez, d'autant qu'il y a trop de choses qui restent à escrire et qu'il est desjà tard (p. 27). — Il est tard ; néantmoins je ne désire jamais cesser de vous escrire (p. 34).

En conséquence, Paris ne put partir avec la première lettre que le lendemain matin, lundi 27. Alors qu'on nous apprenne pourquoi la seconde lettre est datée du samedi matin 25 ; pourquoi, dans cette seconde, la reine s'impatiente de n'avoir pas encore la réponse de Bothwell à celle du 24 — qui ne sera achevée que le 26 — ? Si Paris m'apportoit ce pourquoy j'avoye envoyé, j'espère que je me porteroye mieux (2e lettre, p. 38). Il fallut bien au messager la journée du 27 pour parcourir les soixante milles de Glasgow à Édimbourg.

Dès en arrivant, il vit son ancien maitre qui lui dit : Ha ! Paris, tu es le bienvenu, et il lui remit, outre la lettre qui le concernait, des lettres de la reine pour Lethington[104] — 2e confess. de Paris, dans Teulet, p. 94-5 ; — il n'est pas hors de propos de rappeler que, d'après le journal de Murray, Bothwell était alors dans le Liddisdale les 25, 26, 27 et 28 janvier, n'importe —. Le comte témoigne peu d'empressement au messager. Il ne lui assigne aucun rendez-vous. Le lendemain, le dict Paris dict qu'il vint au logis dudict Bothwell par trois fois le chercher, inutilement. Il le découvre enfin du côté de Kirk-of-Field, reçoit sa réponse après diner, va voir Lethington et repart. Tout cela remplit la journée du 28. Il retourne à Glasgow où il ne peut être que le 29, et où il doit retrouver la reine. Elle lui avait dit en l'envoyant : Paris, hâtez-vous de revenir ; car je ne bougeray d'ici jusques au temps que m'aurés raporté la réponse. Il s'acquitte envers elle du message dont l'ont chargé Bothwell et Lethington. Il n'a pas assisté à leur colloque ; mais monsieur de Boduel lui avoit dict qu'ils avoient parlé de bon visage ensemble ; et que ledict sieur de Liddington estoit du tout à luy et que le logis estoit prest (2e confess.). Nous avons déjà remarqué qu'il n'est jamais parlé que de Craigmillar dans les lettres de Glasgow ; et que dans l'interrogatoire de Paris au contraire il n'est question que de l'autre maison, celle de Kirk-of-Field, dont Marie n'a pas touché un mot. Il y a une difficulté insoluble : c'est que Paris ne put pas retrouver la reine à Glasgow, car elle en était partie dès le lundi 27 janvier. Donc, même en suivant le système des accusateurs, il n'y aurait de place pendant le séjour de Marie Stuart à Glasgow que pour la rédaction d'une seule lettre, la première ; le temps manque pour le voyage de l'envoyé et son retour, avec les réponses des complices, à plus forte raison pour les trois autres lettres dont on ne sait plus que faire. Ainsi, c'est par leur propre chronologie que ces documents sont convaincus de fraude. Que serait-ce si nous avions pris comme base les vraies dates ? Savoir, le départ d'Édimbourg le 24, l'arrivée à Glasgow le 25, la rédaction de la lettre les 27 et 28, l'arrivée de Paris à Édimbourg le 29, son séjour dans cette ville le 30, son retour le 31 à Glasgow que la reine avait quitté le 27.

Résumons ces observations sur les lettres que Marie Stuart est accusée d'avoir écrites de Glasgow à Bothwell. Les prétendus originaux ne furent jamais produits en public. On ne les fit connaître que par des traductions, dont l'une, française, est à chaque instant dépourvue de sens, tandis qu'on persistait à dérober à la lumière les originaux écrits, disait-on, en français.

Le parti de Murray ne parla de cette précieuse capture qu'au bout de quinze mois, n'éclaircit jamais ce point par des recherches judiciaires, et ne publia les aveux supposés de l'intermédiaire prétendu de cette correspondance qu'après l'avoir fait mourir. En ce qui regarde la valeur intrinsèque des lettres, le style est absolument différent du style authentique de Marie Stuart. Le style et la personnalité de Buchanan, au contraire, y sont reconnaissables. Certaines paroles attribuées aux deux époux ne peuvent pas avoir été dites, parce qu'elles sont contradictoires à leur situation respective. L'exagération de scélératesse prêtée à Marie Stuart éveille justement la défiance, d'autant plus que des preuves irréfragables ont établi que Marie Stuart était incapable de telles passions, qu'elle n'avait pas de haine contre son mari et qu'elle n'était pas la maîtresse de Bothwell.

L'accusation d'empoisonnement du roi est ridicule et insoutenable. La manière dont se fait la correspondance entre les deux amants est en contradiction et avec les lettres elles-mêmes, et avec les autres documents présentés pour les appuyer. Ainsi Bothwell veut et ne veut pas à la fois que Marie lui écrive. Il est dans trois endroits simultanément selon les lettres, le journal de Murray et la confession de Paris. Ce Paris devient contre toute vraisemblance et par les moyens les plus puérils, le centre, le moteur et le surveillant de la trame entière. Enfin les dates telles qu'elles résultent de la première lettre créent un véritable chaos, où toutes les parties de l'édifice se disjoignent. Pour finir, la Detectio, l'Actio, la déposition de Crawford, le journal de Murray, la deuxième confession de Paris, les lettres à Bothwell constituent un tout. Nous avons établi que la Detectio, l'Actio, le journal de Murray mentent constamment, que la déposition de Crawford et la confession de Paris portent des signes manifestes de falsification. Les lettres, qui contiennent les mêmes faits présentés sous le même aspect pour le même but, ne peuvent être aussi que des pièces supposées. D'ailleurs, qui sont ceux qui les produisirent pour accuser Marie Stuart du meurtre de son mari ? Les mêmes hommes qui, par la suite, furent condamnés pour avoir été les auteurs de l'assassinat. Plus d'une preuve de la fausseté de ces lettres viendra encore s'offrir d'elle-même dans la suite du récit.

Outre les lettres missives, nous savons que la providentielle cassette contenait des contrats ou promesses de mariage, des sonnets ou poésies amoureuses, et toutes autres lettres échangées entre la reine et le comte de Bothwell : c'est du moins ce que spécifie le reçu que le comte de Murray donna au comte de Morton, le 16 septembre 1568, lorsque à l'approche des conférences d'York, Morton lui remit la cassette qui devait être aussi du voyage en Angleterre[105]. Une dépêche de Murray, postérieure d'un an (15 octobre 1569), fixa le nombre des lettres missives à huit[106]. Quinze mois après (22 janvier 1571), Morton, partant pour de nouvelles conférences en Angleterre, reçut de Lennox, alors régent, le coffret de vermeil avec les lettres missives, les contrats ou promesses de mariage, les sonnets ou poésies amoureuses, et autres lettres qu'il contenait, au nombre de vingt-et-une, échangées entre la reine et le comte de Bothwell[107]. — Augmentation de nombre inattendue et assez étrange. Mais ce n'est pas de cela que nous voulons parler, quoique l'article des lettres ne soit pas épuisé, tant s'en faut. Il s'agit maintenant des contrats ou promesses de mariage et des sonnets.

Le mémorandum de Buchanan, dans la Detectio, ne dénonce au fond de la cassette qu'une seule promesse de mariage signée par Marie à Bothwell. Murray, Morton et Lennox, plus adroits, en tirèrent deux : la première en français, sans date, et, comme les lettres, de la main de Marie Stuart. Goodall l'a retrouvée à la bibliothèque Cotton ; il affirme (1754) qu'elle est matériellement fausse[108]. Or voici qui est singulier : dans le système des accusateurs de Marie Stuart, tous les originaux que la cassette renfermait, se perdirent. Il en est un pourtant, le document signalé par Goodall, qui aurait échappé au naufrage ; et d'après la déclaration de cet historien, dont la probité a toujours défié le soupçon, il serait évidemment supposé !

La seconde promesse de mariage est datée du 5 avril, et en écossais, de la main, dit-on, du comte d'Huntly. Marie et Bothwell y auraient seulement apposé leur signature. Ici la difficulté est d'un autre genre : c'est qu'on y parle longuement, et à plusieurs reprises, de la double action en divorce intentée déjà par Bothwell et sa femme, l'un contre l'autre, tandis qu'on sait avec certitude qu'elle ne fut entamée que les 27 et 29 du même mois. Peut-on croire à l'authenticité d'un tel document ?

Les sonnets, au nombre de douze, se composent chacun des quatorze vers réglementaires, sauf le VIIIe où il n'y en a que treize ; et le XIIe, six seulement. Ils sont dans les deux langues, écossaise et française, le texte français étant la traduction de l'autre[109]. On a eu raison de le dire, c'est de méchante poésie. Inspirés d'aussi bas que les lettres de Glasgow, ils développent le même thème : passion brutale de Marie Stuart, jalousie contre lady Bothwell, sécheresse de l'amant qu'aucun sacrifice n'émeut, et qui, contradiction bizarre, est à la fois jaloux et glacé. Marie vante son dévouement : car elle a tout livré à Bothwell. Honneur et conscience, parents et amis ; pour lui, dit-elle, elle a tout hasardé ou quitté ; tandis que Jane Gordon, en épousant le comte, n'a eu qu'à jouir paisiblement du haut rang où son mariage l'a élevée. Et cependant, elle n'aime pas celui à qui elle est tant redevable, lui qui en beauté, bonté et constance n'a point de second. Elle préfère un fascheux sot qu'elle amoit chèrement[110]. D'ailleurs, elle est si froide ; elle s'habille mal ; elle ne sait pas tourner une lettre. A présent qu'elle va être dépossédée de son mari, elle commence seulement à voir qu'elle était de mauvais jugement ; elle lui fait écrire par d'autres ses plaintes et ses paroles fardées, qu'elle emprunte à quelque auteur luisant. Simulant la douleur, elle jette les hauts cris ; elle touche et persuade : Vous la croyez, las ! trop je l'apperçoy... Suivent les doléances de Marie de ce que-Bothwell l'estime légère, qu'il soupçonne qu'un autre amour la transporte, que ses paroles sont du vent ; ses protestations, qu'elle veut vivre et mourir assujettie à ses lois, ses angoisses de ce qu'il la laisse se morfondre seule la nuit, pendant qu'elle languit à l'attendre.

On n'a pas assigné de dates à ces plates élucubrations. Mais d'après la peinture de la douleur de Jane Gordon, quand elle s'aperçoit tardivement qu'elle a méconnu le bonheur qui va être perdu pour elle, on ne peut les placer qu'au moment où Bothwell en vient au divorce, c'est-à-dire vers la fin d'avril 1567.

L'authenticité des stances ne nous parait pas plus admis-site que celles des lettres. Nous persistons à soutenir qu'entre l'auteur des sonnets et Marie Stuart il y a un abîme pour les pensées et pour le style. De plus, la fraude est manifeste en plusieurs endroits. Au tableau des plaintes, des lamentations de lady Gordon, et de ses efforts désespérés pour retenir le mari qui la quitte, nous pourrions opposer le silence de l'histoire. En fait, lady Jane parait s'être décidée aisément. Elle accepta un domaine comme compensation et s'unit bientôt à un autre époux[111]. En aucun temps, elle ne se plaignit de Marie Stuart.

Nous irons tout de suite, et nous nous y bornerons, à deux passages décisifs. Dans le IIe sonnet, Marie dit de Bothwell :

Entre ses mains et en son plain pouvoir,

Je mets mon fils, mon honneur et ma vie,

Mon païs, mes subjets....

Son fils ! nous voici en pleine Detectio. C'est là que cette mère dénaturée veut d'abord verser du poison à son premier-né. Comme elle ne réussit pas, elle ramène l'enfant de Stirling à Edimbourg : elle sera du moins maîtresse de le livrer à celui qui a tué le père. — Est-il nécessaire de dire que cette pensée abominable n'exista jamais que dans le cerveau des calomniateurs ? La preuve, c'est que, dès le 19 mars 1567, Marie avait placé son fils à Stirling, sous la garde du comte de Mar, oncle de Murray, par conséquent à l'abri des entreprises de Bothwell[112]. Comment donc pourrait-elle dire vers le temps du divorce, à la fin d'avril, qu'elle a mis l'enfant dans les mains de son amant ? N'est-il pas clair que c'est une œuvre de faussaires.

Mais le sonnet ix est encore plus frappant. Pour lui, c'est toujours Marie qui vante les preuves d'amour qu'elle a prodiguées au comte :

Pour lui aussi j'ai jetté mainte larme,

Premier qu'il fust de ce corps possesseur,

Duquel alors il n'avoit pas le cœur.

Puis me donna un autre dur alarme,

Quand il versa de son sang mainte dragme,

Dont de grief me vint laisser douleur

Qui m'en pensa oster la vie, et frayeur

De perdre, las le seul rempart qui m'arme.

Sous cette forme ; les trois premiers vers n'ont pas de sens. On ne conçoit pas qu'elle ait répandu tant de larmes pour un homme à qui elle n'avait abandonné ni son corps, ni son cœur. C'est que les contre-sens fleurissent dans la traduction en vers, comme dans la traduction en prose. Voici le texte écossais :

For him also I powrit out mony teiris

First quhen he made himself possessor of this body,

Of this quhilk then he had not the hart.

C'est-à-dire : Pour lui je versai mainte larme, quand pour la première fois — first quhen (when) — il se rendit possesseur de ce corps dont alors il n'avait pas le cœur[113]. — Encore la Detectio. Le lecteur, en effet, n'aura pas oublié qu'elle raconte comment, une certaine nuit de la fin de septembre 1566, lady Reres introduisit Bothwell dans la chambre royale, où il triompha de Marie par la violence[114]. C'est ainsi qu'il se serait rendu possesseur de ce corps dont il n'avait pas le cœur, et qu'il aurait fait répandre bien des larmes à la victime de sa brutalité. Mais qu'on se souvienne aussi que cette ignoble invention de Buchanan a reçu de l'examen des faits le démenti le plus catégorique. Il est d'autant plus évident que le sonnet a en vue la défaite prétendue de Marie Stuart, qu'exactement fidèle à la chronologie de la Detectio, il rappelle immédiatement après cette scène des derniers jours de septembre la blessure de Bothwell au combat de Jedburgh qui eut lieu le 7 octobre suivant, et qu'il fait allusion à la maladie que l'émotion de ce dernier événement aurait causée à la reine, autre imposture comme nous l'avons démontré en son temps, et autre indice que les sonnets n'ont pas une origine de meilleur aloi que les faussetés sur) le voyage de 3edburgh.

Comment admettre que Marie Stuart ait exercé sa veine poétique sur un fait qui n'était pas arrivé, — qui n'arriva que dans la Detectio, — qu'elle ait chanté effrontément l'offense qu'elle n'avait pas essuyée ? Ce n'est donc pas elle qui a pu composer ces vers. L'auteur, c'est le calomniateur infâme qui a écrit la Detectio, afin de fortifier les fables d'un libelle par un autre libelle. Marie Stuart n'a pas à répondre des sonnets, et des lettres pas plus que des sonnets.

 

*****

 

APPENDICE.

 

M. Mignet a consacré l'appendice G de son premier volume (p. 427) à l'examen de l'authenticité des lettres, qu'il décide par l'affirmative.

Il se pose deux questions : 1° si les copies qui nous restent des lettres sont conformes, quant à leur contenu, aux originaux perdus ou détruits ; e si ces originaux perdus ou détruits étaient de la main même de Marie Stuart.

La première question, il la résout par la conformité de la traduction française imprimée, avec les extraits que sir Ralph Sadler, l'un des trois commissaires anglais à York en octobre 1568, prit dans les originaux que Murray leur communiqua. Nous avouons ne pas apercevoir l'utilité de cette démonstration. Le texte français nous ayant été donné comme une traduction des originaux, il va de soi qu'il concorde avec eux, comme la copie avec l'imprimé. Mais cela ne prouve pas que les originaux qui ont servi de type soient de vrais originaux. Les versions auront beau se ressembler entre elles, elles ne sauraient donner un brevet d'authenticité au texte primitif, ni établir que celui-ci n'a pas été forgé.

Il aurait été plus intéressant d'approfondir un autre point que nous avons déjà indiqué dans le cours de ce chapitre, et sur lequel nous voulons insister : Murray, en offrant de soumettre son débat avec sa sœur au jugement d'Élisabeth, ajoute, le 22 juin 1568, que déjà il a chargé John Wood, son secrétaire, de mettre sous les yeux de cette princesse les copies des lettres de Marie, qu'il a fait traduire en écossais (Goodall, App., p. 76). De plus, les extraits pris par les commissaires anglais à York pour Élisabeth et Cecil, sont en écossais (Goodall, App., p. 150. —Chalmers, t. I, p. 436 ; t. III, p. 282-7). Cependant Murray soutint à Londres (fin de 1568) que les originaux étaient en français. S'il en est ainsi, on ne comprend pas pourquoi il prit la peine de les mettre en écossais. Serait-ce qu'Élisabeth et ses ministres entendaient mieux cette langue que le français ? Cependant c'est en français qu'Élisabeth correspond habituellement avec Marie Stuart. Il y a plus : nous rappellerons que Chalmers (t. II, p. 435) dit que l'on conserve au Paper Office la première lettre de Marie Stuart à Bothwell, traduite de l'écossais en anglais pour la satisfaction d'Élisabeth — ce n'était donc pas un moyen de plaire à Élisabeth que de lui mettre du français en écossais —, et d'autres extraits des lettres, annotés de la plume de cette reine et de son ministre. Pourquoi tant de complications, si les originaux étaient en français ? Ne sont-ce pas autant de signes de fraude ? Et cela ne veut-il pas dire que le texte primitif fut la prétendue traduction écossaise de Murray ? C'est là ce qui eût mérité l'attention de M. Mignet.

Sur la deuxième question, celle de savoir si ces invisibles originaux étaient ou non de la main de Marie Stuart, le savant historien cite :

A. L'affirmation du Conseil privé d'Écosse, c'est-à-dire Morton et les siens. On nous permettra, pour les nombreuses raisons déjà développées dans ce travail, de récuser des gens dont les noms sont synonymes de mensonge et de trahison. Dans ce Conseil d'Écosse qui, le 4 décembre 1567, affirma reconnaître l'écriture de Marie, siégeait Kirkcaldy de Grange, dont M. Mignet rappelle, comme une preuve contre la reine, qu'il mourut chevaleresquement pour elle en 1573[115]. Cela est vrai ; mais il faudrait dire qu'en 1567 Kirkcaldy, pensionnaire d'Élisabeth, était un des ennemis les plus acharnés de Marie Stuart, et bien loin de prévoir alors le changement qui plus tard le conduisit d'un parti dans l'autre. Ainsi lorsqu'il avoue reconnaître l'écriture de la reine, il ne faut pas se figurer un homme qui, quoique désolé de découvrir le crime d'un de ses amis, s'incline néanmoins devant la force de la vérité.

Ce même Conseil privé, dans sa déclaration du 4 décembre 1567 (App., p. 62), proteste que, si la reine a été frappée de déchéance et emprisonnée à Lochleven, cela est arrivé par sa faute, attendu que, d'après diverses lettres secrètes, écrites et signées de sa propre main, qu'elle envoya à James, comte de Bothwell, principal exécuteur de cet horrible meurtre, tant avant qu'après le crime, et d'après son mariage impie et déshonorant avec lui, etc., il est très-certain qu'elle était complice de l'assassinat de son mari légitime. Ils la détrônèrent le 15 juin 1567, et la transportèrent à Lochleven dans la nuit du 16 au 17 ; or, par la suite (le 16 septembre 1568), ils affirmèrent avoir saisi les lettres le 20 juin 1567. Ils auraient donc agi le 16 juin, d'après les preuves qui ne seraient tombées entre leurs mains que quatre jours après. Voilà une difficulté que les adversaires de Marie Stuart feraient bien de résoudre.

B. Le parlement, dans son acte du 15 décembre 1567 (Goodall, App., p. 66-9), aurait adopté l'opinion du Conseil.

En réalité, il ne fit que répéter mot pour mot l'affirmation du Conseil privé au sujet des lettres, toutefois avec une variante importante, c'est qu'elles s'ont dite seulement écrites de la main de la reine ; on ne les dit plus signées. C'est en vain que Robertson a essayé d'expliquer cette différence par une distraction du greffier. Tout est grave dans un tel procès ; répétons encore que tout y est irrégulier.

Au reste, la déclaration de ce parlement ne ressemble en aucune façon à une instruction judiciaire ; c'est un bill d'indemnité pour tous ceux qui ont pris part au renversement de la reine.

M. Mignet fait remarquer que parmi les membres de cette assemblée figuraient Argyle, Huntly et Herries, amis de la reine, et qu'aucun d'eux ne protesta contre l'authenticité des lettres. — D'abord, nous disons que rien absolument ne prouve, n'indique même que les lettres aient été communiquées au Conseil privé, ni au parlement. Nous avons traduit ci-dessus avec une rigoureuse exactitude les mots employés dans le seul passage de l'acte du Conseil et de l'acte du parlement, relatif à ces fameuses lettres. Les actes authentiques ne font d'ailleurs aucune allusion, si légère qu'elle soit, à une enquête, ou bien à une communication spéciale devant le parlement. C'est l'observation que firent huit mois après trente-cinq nobles réunis à Dunbarton (12 septembre 1568) ; parmi eux étaient Argyle, Huntly et Herries (Goodall, t. II, p. 361). Pas un mot non plus sur la manière dont ces pièces seraient tombées entre les mains de Morton et de Murray, ni sur la cassette qui les aurait contenues. On conçoit donc qu'il aurait été fort difficile aux amis de Marie de, contester l'authenticité de documents maintenus ainsi dans les nuages. Mais puisque M. Mignet parle de protestations, comment oublie-t-il que ces trois seigneurs protestèrent contre l'abdication qui avait été arrachée cinq mois auparavant à leur maîtresse, qu'ils renouvelèrent la demande faite par Marie elle-même dès son arrestation, que l'on prît le parlement pour juge ; qu'ils réclamèrent contre l'injustice de frapper un accusé sans l'entendre, et demandèrent une instruction régulière sur les crimes reprochés à la reine ? Il va sans dire qu'ils demandèrent inutilement. A la vérité, ils signèrent les actes du parlement ; mais ils maintinrent expressément leurs réserves, et déclarèrent l'année suivante qu'ils savaient, s'ils ne signaient pas, la vie de la reine en danger. Or, plus d'une circonstance de cette tragique histoire donne les couleurs de la vérité à leurs paroles (voyez les pièces authentiques dans Goodall, t. II, p. 169, 344, 360-1. — Leslie, A Defence of queene Marie's honour, dans Anders, t. I, p. 45. — Miss Strickland, t. VI, p. 41). On voit ce qu'il faut croire de l'adhésion tacite d'Herries, Argyle et Huntly à l'authenticité des lettres. A notre tour, nous demanderons la permission de poser quelques questions.

Pourquoi Morton et Murray ne publièrent-ils pas alors les lettres ? Pourquoi ne souffrirent-ils pas que Marie comparût devant l'assemblée ? Qu'avaient-ils à craindre, puisqu'ils possédaient les preuves écrasantes de son crime ? A défaut de Marie, pourquoi ne citèrent-ils pas les dames du palais, témoins de la vie de la reine, et qui étaient des leurs, comme les comtesses de Mar et de Murray, comme lady Lethington, l'une des quatre Marie qui avaient été élevées avec la reine dès sa première enfance, lady Reres, lady Buccleuch, lady Coldingham, sœur de Bothwell et veuve de lord John de Coldingham, frère naturel de Marie Stuart ? Ne pouvaient-ils pas connaître par elles tous les secrets de la vie de leur reine déchue ? Ne tenait-on pas alors en prison quatre domestiques et complices de Bothwell, Hepburn, Hay, Powrie et Dalgleish, qui fut plus tard désigné comme porteur de la cassette ? Pourquoi ne les avoir pas produits en public ? Ils devaient pourtant connaître l'intrigue de leur maitre avec sa souveraine. Pourquoi, et ceci est encore plus fort, avoir supprimé les déclarations qu'ils venaient de faire en septembre devant le Conseil privé sur les vrais assassins, déclarations qu'on altéra et qu'on ne publia falsifiées qu'après avoir exécuté précipitamment les coupables, le 3 janvier 1568 ? (Tytler, t. VI, p. 22, 23, 31-32, édit. ma.) Les ennemis de Marie auraient-ils agi de cette manière s'ils avaient eu de vraies lettres ? (Voyez miss Strickland, t. VI, p. 41 et suivantes.)

C. L'impression des commissaires anglais à York.

Cela n'est pas une preuve. Ils rapportent que Murray, Lethington, etc., leur ont présenté les lettres comme de la main de la reine d'Écosse ; et que, si cela est, il est difficile de ne pas la croire coupable.

M. Mignet reproduit quelques mots d'une lettre du duc de Norfolk qui semblent la condamner (Goodall, t. II, p. 154). C'était au début des conférences d'York, le 12 octobre 1568 ; mais ce qui suivit inspira sans doute une opinion tout autre au duc, puisqu'il médita bientôt d'épouser Marie ; et si sérieusement, que cela le conduisit à l'échafaud en 1572.

D. Le Conseil privé d'Angleterre compara les lettres à Bothwell avec d'autres lettres authentiques de Marie Stuart, et reconnut l'authenticité de l'écriture.

Cette vérification se fit à huis-clos, à l'exclusion des commissaires de Marie Stuart. Parmi les conseillers d'Élisabeth siégeaient les ducs de Northumberland et de Westmoreland qui bientôt après s'armèrent en faveur de Marie Stuart (novembre 1569). D'autres, Arundel, Sussex, Clinton et Norfolk soutinrent que la reine d'Écosse avait le droit d'être entendue dans sa défense ; et leur énergie paralysa les mauvaises intentions de Cecil contre la prisonnière. Il y a plus : ils demandèrent qu'Élisabeth la replaçât sur le trône avec sanction de son droit de succéder au trône d'Angleterre (miss Strickland, t. VI, p. 287-8, 313-4). Si donc ifs n'avaient pas refusé à leur reine de certifier l'identité de l'écriture, il faut croire que l'épreuve ne les avait pas convaincus. Attribuât-on la conduite de Norfolk à l'ambition d'une couronne, il ne saurait en être de même chez le reste du Conseil.

E. M. Mignet accorde beaucoup de confiance à l'assertion du comte de Lennox écrivant, en juillet 1570, à sa femme qui n'avait pas quitté l'Angleterre, qu'il est assuré de la culpabilité de la reine, « non-seulement Dar sa propre connaissance à lui, mais d'après des écrits de sa propre main à elle, les confessions des gens conduits à la mort et d'autres preuves infaillibles.

Le comte se borne à ces phrases générales qui auraient quelque poids, si on pouvait le croire véridique. Mais ces lignes mêmes renferment un mensonge grossier, lorsqu'il allègue les confessions des gens conduits à la mort. Il était, au contraire, de notoriété publique que tous ceux des serviteurs et complices de Bothwell qui avaient payé leur crime de leur vie, avaient déclaré constamment sur l'échafaud que la reine était étrangère à l'assassinat (Innocence de Marie, royne d'Écosse, dans Jebb, t. II, p. 474-5. — Goodall, t. II, p. 213, 359. — Chalmers, t. II, p. 450. — Tytler, t. VI, p. 19-20, 31-32, édit. 1845. — Miss Strickland, t. VI, p. 273). N'oublions pas non plus que Lennox avait poussé son fils dans le complot contre Riccio, où il ne visait à rien moins que de détrôner et même de faire périr sa bru, dont il avait toujours été l'ennemi implacable, sans en avoir reçu que des bienfaits.

Deux ans avant cette lettre à la comtesse de Lennox, il avait paru aux conférences de Londres, le 89 novembre 1568, pour accuser Marie du meurtre de Darnley. Il remit un mémoire écrit, lequel, entre autres preuves, contenait quatre lettres dont deux avaient été écrites à la reine d'Écosse, et les deux autres écrites par elle en réponse à celles-ci. (Goodall, App., p. 208-9.) Qu'est-ce que ces lettres ? Le procès-verbal ne s'explique pas. Ce n'est pas la correspondance que Lennox échangea avec sa belle-fille après la mort de Darnley ; car elle se composait de dix lettres, dont sept seulement ont été conservées (Keith les a reproduites, p. 369 et suivantes). Ces quatre lettres n'ont pas laissé de trace au procès. Il faut donc que ceux devant qui elles furent produites ne les aient pas jugées susceptibles d'être admises et de peser dans la balance. Voilà probablement-les écrits de la propre main de Marie, que Lennox, en 1570, se vante de posséder. Il était dans le caractère de ce vil personnage de mentir quand même.

F. M. Mignet ajoute qu'il parait que l'évêque de Ross lui-même, John Leslie, l'ardent défenseur de Marie à York et à Londres, et toute sa vie, avoua, en 1571, devant Thomas Wilson, qu'il croyait à la culpabilité de cette princesse.

Wilson était une âme damnée de Cecil, collaborateur de Buchanan, l'un de ceux qui traduisaient en bel écossais — il s'en vante — les libelles latins et anglais contre Marie Stuart. Quelle foi mérite-t-il quand il écrit à Cecil que l'évêque de Ross lui a dit que la reine, sa maîtresse, n'était guère propre au mariage ; que son premier mari, le roi de France, elle l'avait empoisonné, comme il le savait de bonne source ; le second, Henri Darnley, elle l'avait assassiné ; en troisième lieu, elle avait épousé l'assassin et l'avait conduit sur le champ de bataille pour le faire tuer. (Miss Strickland, t. VI, p. 233, not. 2.) Il est regrettable qu'un maître en histoire admette un pareil témoin contre l'admirable évêque, une des plus nobles figures de son temps ; plus regrettable encore qu'au lieu de citer intégralement les paroles de Wilson, il retranche ce qui regarde le premier mari, ainsi que le dernier membre de phrase relatif au troisième, et réduise la citation à cette phrase tronquée : Upon speech that.... she bath consented to murder of her Tate howsebande the lorde Darnlye.... she matched with the murderer. Sur le sujet que.... elle consentit au meurtre de feu son mari lord Darnley.... qu'elle épousa le meurtrier. Un texte n'est-il pas absolument dénaturé par de telles suppressions ?

H. M. Mignet ne tient pas compte des dénégations ultérieures de Marie au sujet des prétendues lettres à Bothwell, attendu qu'elle désavoua, en janvier 1569, des lettres qu'elle aurait réellement envoyées en Écosse un mois auparavant, et dont le gouvernement anglais avait la copie.

Voici le fait : au moment où, bien contrairement à Murs espérances, Cecil et Murray virent que la majorité du conseil privé d'Angleterre inclinait en faveur de Marie (après la vérification des lettres), et qu'Élisabeth pourrait être entraînée de leur côté, Murray fit remettre tout à coup à cette dernière des lettres interceptées, dit-il, par ses agents, et que Marie aurait écrites au lord d'Arbroath et à d'autres de ses amis en Écosse. Elles étaient remplies des plaintes les plus amères contre Élisabeth. Sans date et sans signature, elles étaient non pas en français, mais en anglais imitant l'écossais[116].

Élisabeth, toujours prête à prendre feu, s'emporta et ordonna de transporter de force la captive de Bolton à Tutbury. En chemin, le 27 janvier 1569, on fit part à Marie et de sa lettre supposée et de l'irritation de la reine d'Angleterre. Elle écrivit aussitôt (27 et 28 janvier 1569) à Élisabeth et à Cecil qu'elle avait seulement envoyé en Écosse des proclamations pour exhorter lord Arbroath et ses amis à lui rester fidèles. Elle protesta qu'elle n'y avait inséré aucune expression injurieuse pour sa cousine, et désavoua nettement l'une de ces lettres qu'on lui représenta. Ce qui la rend très-croyable, c'est que, par une lettre confidentielle et chiffrée du 18 janvier 1569, c'est-à-dire neuf jours avant qu'elle eût connaissance de cette nouvelle affaire, elle avait recommandé à l'archevêque de Saint-André, chef de son parti en Écosse, d'éviter soigneusement de rien insérer dans ses proclamations qui pût offenser la reine d'Angleterre, à la discrétion de laquelle elle se trouvait : Je vous prie, lui disait-elle, de vous exprimer sur Sa Majesté d'une manière si respectueuse, que l'on ne puisse pas trouver matière à prendre quelque avantage contre moi. (Miss Strickland, t. VI, p. 218-338, d'après les correspondances anglaises.) C'est bien là le langage de la situation. Concluons qu'en effet, elle n'avait pas écrit les lettres violentes interceptées par Murray avec tant d'à-propos.

I. Revenant aux lettres à Bothwell, M. Mignet les compare avec la déposition de Crawford, ces preuves infaillibles, ces faits à sa connaissances personnelle, dont parle Lennox sa femme. Mais nous avons déjà vu ce qu'il faut penser du récit de Crawford, et pourquoi l'identité qui se rencontre entre ses assertions et la première lettre de Glasgow est aussi complète que peu significative. La deuxième confession de Paris, que M. Mignet invoque, n'est pas une meilleure autorité. Nous l'avons établi surabondamment dans le cours de ce chapitre.

J. Enfin, M. Mignet termine en disant que ces lettres sont de plus confirmées par la conduite de Marie Stuart avant et après le meurtre. — Nous disons qu'elles sont en contradiction radicale avec la conduite de Marie avant le meurtre. Car nous avons démontré que la passion de Marie pour Bothwell est un roman calomnieux, démenti pas à pas par les faits. Ses lettres font partie de ce roman et doivent tomber en même temps que lui. Nous disons encore que la conduite de Marie après le meurtre s'expliquera par de tout autres circonstances, que des raisons de libertinage et de complicité homicide.

Maintenant, après avoir parcouru les arguments sur lesquels le redoutable adversaire de Marie Stuart appuie l'authenticité des lettres, nous ferons une question : Est-ce là une instruction complète ? Tout cela, c'est ce qu'on peut appeler les preuves extrinsèques. Mais les preuves intrinsèques, où sont-elles ? Comment se prononcer sur l'authenticité de documents de cette espèce, sans les analyser, sans les apprécier en eux-mêmes ? M. Mignet a laissé de côté cette partie de la question. S'il a intercalé dans le corps de son ouvrage des emprunts tirés des lettres, c'est comme pièces de conviction, et non pas comme matière et objet d'une discussion critique. Quant à nous, nous avons cru devoir commencer par là dans le cours même de la narration, sauf à répondre ici séparément à l'appendice G de l'illustre écrivain.

 

 

 



[1] Le journal de Murray, les mémoires de Crawford et l'histoire d'Holinshed s'accordent à dire que la maladie n'éclata qu'à Glasgow. Mais Buchanan change les choses et suppose une explosion immédiate au sortir de Stirling, pour mieux prouver l'empoisonnement. (Keith, p. 364 et note a.)

[2] Detectio, p. 4. — Rerum. Scotic. l. XVIII, p. 349.

[3] Chalmers, t. III, p. 109 et note f. — Miss Strickland, t. V, p. 80. Le Journal de Birrel et le Journal des événements (Of occurrents) nomment aussi la petite-vérole. Birrel ajoute que l'on parlait de poison, chose inévitable à cette époque.

[4] Lettre de Marie Stuart à l'archevêque de Glasgow, 20 janvier 1567. — Keith, Préf., p. VII, VIII. — Labanoff, I, p. 395.

[5] Robertson, t. II, p. 180.

[6] Miss Strickland, t. V, p. 91, 92.

[7] Chalmers, t. II, p. 529, note u. — Miss Strickland, t. V, p. 85, 87.

[8] Keith, Préface, p. VIII. — Labanoff, t. I, p. 398.

[9] Mignet, t. I, p. 259. — Miss Strickland, t. V, p. 103, d'après la déposition de Thomas Crawford.

[10] John Leslie, A defense of the queens Marie's honour. — Anderson, t. I, p. 11, 12.

[11] Detectio, p. 4, 5. — Rer. Scot., l. XXIII, pr 349, 350. — Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 117 : La royne commença à se plaindre de la maison où son fils estoit nourry, comme incommode, ajoustant que le lieu estant froid et humide, il estoit à craindre que quelque catarre n'endommageast l'enfant, mais il apparoistra clairement que cela se faisoit à autre intention : veu que toutes ces incommoditez qu'elle alléguoit estoyent esloingnées de la maison. Et au contraire qu'elles estoyent en celle où l'on le vouloit mettre asavoir, en lieu bas et marescageux. Ainsi l'enfant qui à peine entroit au septiesme mois (il y a ici à la marge : la royne empoisonne son fils), par un grand-hiver fust mené à Édimbourg, auquel lieu, comme le premier coup d'essay eust peu succédé, et que la force du poison eust été vaincue par la fermeté naturelle du corps, afin de mettre en évidence ce qu'elle avoit conceu dés si longtemps, elle remit sus nouveaux conseils pour faire mourir le roy. Elle s'en va donc à Glasgow.... Comprenne qui pourra.

[12] Miss Strickland, t. V, p. 114-115, d'après Chalmers, t. II, p. 547, 548, note o. Tytler donne dans ses Proofs and illustrations, XVII, une lettre de Drury à Cecil du 23 janvier 1567, où se trouve seulement la mention du départ de la reine pour Glasgow, la veille. Ce n'est pas une raison de douter de l'exactitude de Chalmers pour la seconde citation de Drury. Celui-ci aura très-bien pu récrire le même jour et redresser son affirmation du matin, eu annonçant le départ non pas effectué, mais imminent de Marie.

[13] Goodall, t. I, p. 122. — Chalmers, t. II, p. 446. Chalmers affirme avoir découvert deux autres actes de la même date.

[14] Goodall, t. I, p. 120. — Chalmers, t. II, p. 447. — Miss Strickland, t. V, p. 113, 114 et note 2.

[15] Robertson ne songea pas à faire l'application de ce principe judicieux aux lettres de Marie Stuart à Bothwell, quoiqu'on n'en ait eu que des traductions.

[16] Robertson, Dissertation critique sur le meurtre du roi Henri, t. p.189-197. Cet historien allègue encore qu'on voit, par une lettre originale de l'évêque de Ross, que, le 25 octobre 1566, Marie était en danger de mort ; cependant on trouve dans les registres publics un acte qui aurait été signé ce jour-là, si l'on s'en rapportait aux termes de ce même acte. La reine, quoique très-malade, avait sa connaissance ; même la lettre de l'évêque de Ross la montre s'occupant des affaires. Il n'est pas impossible que, le 25 octobre, elle ait accordé quelque grâce qu'on aura inscrite à son jour dans le registre, et qu'elle l'ait signée un peu plus tard. Peut-être Robertson aurait-il bien fait d'indiquer l'objet de cet acte.

[17] Par exemple, pour le voyage d'Altos, juillet-août 1566, les divers voyages de Stirling à Édimbourg et réciproquement, en septembre, les assises de Jedburgh, les voyages qui remplissent les trois derniers mois de cette année.

[18] Miss Strickland, t. V, p. 107, 111, 116, et dans Labanoff, t. VII, p. 105 : le nonce du pape en France à Cosme Ier, grand-duc de Toscane, Paris, 16 mars 1567.

[19] Ou Callender, à dix-huit milles à l'0. d'Édimbourg. (Keith, p. 291, note d.)

[20] Tytler est tombé dans une méprise assez grave, en faisant de Crawford un envoyé de Darnley (History of Scotland, t. V, p. 378, édit. 1845). A la lecture de cette entrevue entre Marie et Crawford, on sentira combien la vérité historique est dénaturée, dès que l'envoyé parle au nom de Darnley au lien de parler au nom de Lennox. C'est alors Darnley qui s'excuse de n'être pas venu ; c'est sur lui que tombent les paroles sévères de la reine. Elles deviennent inexplicables, si l'on songe qu'elle sait bien que son mari est malade. Rien au contraire de plus légitime à l'endroit de Lennox.

[21] Anderson, t. IV, 2e partie, p. 168, 169. — Goodall, Append. p. 245, 246. La signature de Cecil apposée au dos de cette pièce (miss Strickland, t. V, p. 117, note 4, p. 123, note 1) n'est pas faite pour la rendre plus imposante.

[22] T. I, p. 249.

[23] Sur le séjour de Glasgow, miss Strickland, t. V, p. 117, 128. — Tytler, t. V, p. 379-380, édit. 1845. — Mignet, t. I, p. 269, 261.

[24] Miss Strickland explique (t. V, p. 131 et note 1) que la petite vérole était redoutée à l'égal de la peste, parce qu'on n'en connaissait pas encore le traitement ; qu'on transportait immédiatement hors des villes ceux qu'elle atteignait et qu'on leur interdisait l'accès des murs jusqu'à parfaite guérison. Il a existé longtemps des maisons en pleins champs appelées maisons des pestiférés (pest-house) où l'on confinait les lépreux et les malades de la petite-vérole. Moins que personne, la reine pouvait introduire son mari à l'intérieur d'Édimbourg ; on l'aurait accusée de vouloir infecter du venin ses sujets. Déjà Inox, du haut de la chaire, lui avait imputé les fièvres et les maladies contagieuses qui s'étaient manifestées dans plusieurs cantons qu'elle avait parcourus.

[25] Anderson, t. IV, 2e partie, p. 165. — Goodall, Append., p. 244. Nelson fut retrouvé vivant sous les ruines de Kirk-of-Field, après l'explosion.

[26] Goodall, Append., p. 73, 76. — Miss Strickland, t. IV, p. 136, 146, 147.

[27] Miss Strickland, t. VI, p. 270, 286.

[28] Voyez là-dessus notre appendice au présent chapitre, E.

[29] Miss Strickland, t. V, p. 120-122.

[30] Crawford parait avoir été l'un de ces hommes effrontément audacieux que les chefs de parti lancent en avant pour désigner les victimes. Plus tard, la chute de Marie consommée, Maitland et Murray se brouillèrent. Le second attira le premier à Stirling par de feintes caresses, sous prétexte d'une séance du Conseil privé (août 1569). Soudain Thomas Crawford entre dans la salle et déclare au nom du comte de Lennox qu'il accuse Maitland d'être l'un des assassins du roi (ce qui était vrai). Murray fait arrêter le secrétaire et fixe le jour du procès. Mais l'énergie de Kirkcaldy de Grange, ami de Malt-and, et la mort prématurée de Murray sauvèrent l'accusé pour un temps. Pendant l'interrègne qui sépara la fin de Murray de la régence de Lennox, Maitland subit un simulacre de jugement le 14 février 1570. Crawford ne parut plus dans l'affaire. (Goodall, t. I, p. 397-398 ; Chalmers, t. III, p. 579 et suivantes.)

[31] Goodall, Append., p. 289, 297, 298, 342.

[32] Instructions de Murray à Middlemore, dans Goodall, Append., p.75-76.

[33] Chalmers, t. II, p. 435. — Voyez aussi notre Appendice à la fin de ce chapitre.

[34] Chalmers, t. III, p. 282-287.

[35] Goodall, Append., p. 142.

[36] Goodall, Append., p. 149-153.

[37] Goodall, Append., p. 235.

[38] Goodall, t. I, p. 80.

[39] M. Mignet (t. I, p. 429) croit que la version française a été faite sur l'écossais. Goodall a démontré parfaitement (t. I, ch. IV) que le français fut calqué sur le latin. Telle est aussi l'opinion de M. Teulet (Lettres de Marie Stuart, avertissement, p. IX). En effet, l'examen attentif des trois textes ne peut pas laisser d'incertitude.

[40] Voyez la lettre d'Alexandre Ray, clerc du conseil privé du régent, à John Knox, Leith, 14 décembre 1571 ; dans Goodall, Append., p. 371, 375-376. — C'est du cabinet de Cecil que partaient toutes ces publications mensongères, même celles en écossais. Miss Strickland cite (t. VI, p. 223, note 2) une lettre de Thomas Wilson, un des sous-secrétaires de Cecil, à son patron (8 novembre 1571) : J'envoie sous ce pli à Votre Honneur tout ce qu'il y a de traduit en bel écossais, vous priant de m'envoyer Paris (la confession de Paris) scellé hermétiquement. On ne saura pas d'où cela vient.

[41] Pour tout ce qui tient au texte français des lettres de Marie Stuart à Bothwell, M. Mignet cite constamment ces Mémoires de l'Estat de France. On les prendrait pour des documents précieux et authentiques, tandis que ce n'est qu'une très-mauvaise traduction de la Detectio et d'un autre pamphlet non moins fallacieux. Veut-on savoir ce que cela vaut comme critique historique ? Voici de quelle manière sont racontées (t. I, p. 175) l'évasion de Marie Stuart hors de Lochleven et sa fuite en Angleterre en 1568 : Enfin après avoir corrompu ses gardes par argent et par belles promesses, elle se desrobe du château en habit dissimulé. Mais pensant tenir la route de France, elle aborda en une ville d'Angleterre, ou estant reconnue par quelques-uns, quoy qu'on l'eust receue assez honorablement, si est-ce que peu après, la royne d'Angleterre la donna en garde à un seigneur du pays, et s'asseure de sa personne.

[42] Goodall, Append., p. 90. — Detectio, mémorandum : Que dans le château d'Édimbourg il avait été laissé par le comte de Bothwell, avant sa fuite, et qu'il fit chercher par un certain George Dalgleish, son serviteur, qui fut pris par le comte de Morton, un petit coffret doré, long d'un peu moins d'un pied, orné en divers endroits de la lettre F, en caractère romain, surmonté d'une couronne royale, et que dans ledit coffret étaient certaines lettres et écrits bien connus, et que l'on peut affirmer avoir été écrits par la reine d'Écosse, de sa propre main, au comte de Bothwell.

Outre les lettres, le coffret contenait une pièce en français, en caractères romains, que l'on reconnaît pour avoir été écrite par ladite reine d'Écosse de sa propre main et qui est une promesse de mariage faite par elle au dit Bothwell. Cette pièce sans date semblerait, à en juger par certains passages, avoir été écrite après la mort du roi ; mais on est fondé à croire le contraire. (Teulet, Lettres de Marie Stuart, p. 105, Goodall, t. II, p. 53.) Nous n'avons pas voulu diviser ce mémorandum. Nous ne discuterons pas la dernière phrase, qui trouvera sa place dans la suite du récit.

[43] Knox, p. 447.

[44] Anderson, t. II, p. 173, pour le procès-verbal de cet interrogatoire.

[45] Goodall, Append., p. 66. — Chalmers, t. I, p. 368, note 2, et t. III, p. 468, 469, fait observer que le journal de Birrel, qui rapporte l'arrestation d'un certain Blackader le 17 juin 1567, est muet sur celle de Dalgleish, avec sa cassette et ses lettres ; que l'Histoire de Jacques VI, ouvrage contemporain, garde le même silence ; que James Melvil, que les nobles employèrent à détacher James Balfour, commandant du château d'Édimbourg, du parti de la reine, et qui ensuite fut envoyé par eux au-devant de Murray à Berwick, le 10 août 1567, pour le mettre au courant de tout ce qu'ils avaient fait pendant qu'il était en France, alors qu'ils avaient renversé Marie Stuart, ne dit pas un mot de la saisie de ces précieuses lettres. Ceux-là seuls en parlèrent, qui les employèrent contre la reine après les avoir fabriquées.

[46] Lettre de Robert Melvil à Cecil, 1er juillet 1567, dans Tytler, t, V, p. 439, édit. 1845.

[47] Leslie, A Defence of queens Marie's honour, dans Anderson, t. I, p. 19.

[48] Marquée, non pas signée ; il ne savait pas écrire. (Goodall, t. I, p. 145. Chalmers, t. II, p. 343, note o. Miss Strickland, t. VII, p. 17.)

[49] Anderson a supprimé cette dernière phrase si importante, que Chalmers a rétablie d'après l'original du Paper Office, t. II, p. 343, note o.

[50] Sur tous ces faits, Chalmers, t. II, p. 342 et suivantes ; t. III, p. 310. — Miss Strickland, t. VI, p. 201, 202 ; t. VII. 14-17.

[51] Elle tient quatorze pages petit in-f°., dans Anderson, t. II, p. 131-144.

[52] Nous reproduisons la traduction qui se trouve dans les Mémoires de l'Estat de France, et dans le volume de M. Teulet, Lettres de Marie Stuart. Dès cette première phrase, il y a contre-sens sur les textes écossais et latin. Il faudrait pendant la disnée. Cette inexactitude, peu importante en elle-même, est le prélude de beaucoup d'autres plus graves.

[53] Ces derniers mots sont singuliers ; Paris, venu avec la reine, lui écrira donc, ou écrira pour elle ? Mais sa deuxième confession, en 1569, montre qu'il ne savait pas écrire. (Chalmers, t. I, p. 343, note o. — Miss Strickland, t. V, p. 165, note ; t. VII, p. 17.) On ne comprend guère non plus que Darnley connaisse si bien Paris, attendu que Paris vient seulement de quitter, à Callendar, le 23 janvier, le service de Bothwell pour celui de la reine.

[54] Estonné, dans le français du seizième siècle, a souvent le sens d'ému. Nous avons expliqué plus haut que la venue de sa femme n'a pas pu le surprendre. La cruauté d'aucuns devient, quelques phrases plus bas, la cruauté de Marie, qui ne veut pas accepter ses promesses et son repentir.

[55] Glorieux galimatias. Le texte écossais veut dire : De même ont failli aussi beaucoup de vos sujets, à qui vous avez pardonné. (Goodall, t. I, p. 91, 92.)

[56] Il n'est pas croyable que Darnley parle ainsi, lui qui a été le fléau et presque l'assassin de celle à qui il était tant redevable.

[57] Il adjousta qu'il avoit entendu que j'avoye amené une litière, et qu'il eust mieux aymé aller ensemble avec moy. J'estime qu'il pensoit que je le voulusse envoyer prisonnier quelque part. A cette époque on voyageait à cheval. Marie avait une litière qu'elle avait apportée et réservée pour le convalescent. Elle devait refaire à cheval la route du retour à côté de son mari. Comment Darnley peut-il dire qu'il aurait préféré aller avec elle ? D'où vient aussi cette idée de prison que rien ne motive ?

[58] Un du Conseil. Il ne faut pas faire beaucoup de chemin pour trouver le nom de Bothwell. Mais l'écossais porte : that sum of the Counsaell had brocht, plusieurs du Conseil. Buchanan a jugé à propos de rendre en latin sum par le singulier quemdam e Concilio. Étrange atteinte au texte.

[59] L'écossais porte : Vous ne l'avez jamais vu.

[60] En écossais, that fals race, qu'il faudrait traduire en français par cette espèce ou cette race infidèle, comme nous disons en manière de reproche familier, mauvaise race. Il s'agit de la femme de Bothwell, lady Jane Gordon, qui par le fait ne disputa pas du tout le cœur ni la main de Bothwell à Marie, et se prêta sans aucune résistance au divorce.

[61] Même contre-sens que plus haut, twa fals races, son mari et la femme de Bothwell.

[62] Complication de fautes. Bybill ne veut pas dire Bible, mais lettre, écrit, court poème. Au lieu d'afin que..., il faut dire où je finirai ma lettre. Le traducteur applique mal à propos les mots parce qu'il dure tant au sommeil de la reine ; Goodall et Teulet les expliquent par : mais je regrette de ne pas pouvoir vous en écrire davantage, parce que cette lettre est déjà si longue. (Goodall, t. I, p. 86, 87 : Teulet, p. 19, note 1.) Ce sens lui-même est peu satisfaisant ; il y a bien d'autres endroits rétifs à la clarté et au bon sens.

[63] Erreur bien digne de Buchanan. Au lieu du texte I am irkit, je suis fatiguée, il a lu nakit, je suis nue (belle tenue pour se mettre à écrire la nuit, à Glasgow, au cœur de l'hiver ! mais le cynisme de la reine n'en sera que plus révoltant).

[64] Du messager du père sur le chemin ; — du dire du sieur Jacques Hambleton ; — de ce que le prévost (laird) de Lusse m'a rapporté, etc. ; — de ce qu'il (Darnley) s'est enquis à Joachim ; — du règlement de la famille (contre-sens, pour mon état de maison) ; — de ma suite ; — de la cause de mon arrivée ; — de Joseph ; — item du devis entre moy et luy ; — de la volonté qu'il a de me complaire et de sa repentance ; — de l'interprétation de ses lettres ; — du fait de Guillaume Hiegait et de son départ ; — du sieur de Levingstoun.

[65] Lady Reres dont nous avons vu que Buchanan a fait la complice officieuse des deux amants.

[66] Non-sens, pour : un beau (ou un triste) voyage que d'aller voir des malades.

[67] Ces deux mots que rien ne justifie ne sont pas dans le texte écossais.

[68] Le rôle inconvenant qu'on donne ici à Livingston a pour objet de flétrir, dans la personne de ce seigneur, un der amis les plus dévoués et les plus honorables de Marie Stuart.

[69] Le sens : que vous me faites jouer presque le personnage d'une traîtresse.

[70] Ce mot belles n'est pas dans l'écossais. Buchanan l'a introduit dans le latin, sans doute pour aiguiser l'ironie.

[71] Non-sens, au lieu de : ils seraient en crainte de ce qu'il les avait menacés que si nous pouvions être d'accord ensemble, etc.

[72] Le sens est : par d'autres que par lui.

[73] Ces deux dernières phrases sont des contre-sens. Elles signifient : Je me fie en lui (le porteur) d'après votre parole. En somme, il (Darnley) ira partout où je voudrai. — La version française dans le texte est un contresens perfide. — Summa, he will ga upon my word to all places. — Breviter, meo jussu quovis ibit. — Du quovis. qui signifie n'importe où, on a fait deux mots : quo vis, où vous voudrez.

[74] M. Teulet, p. 28, note 1, veut supprimer comme dépourvu de sens ce que, qui, nous le verrons plus loin, constitue la signification de la phrase.

[75] Rien absolument dans ce qui précède n'a pu donner lieu au grand soupçon de Darnley. Il vient de dire : A présent je veux ce que vous voulez et aimeray ce que vous aimerez.

[76] La phrase est mal traduite : Néanmoins j'obtiendrai cela de lui, si vous voulez que je lui confesse tout. Mais elle n'est pas plus intelligible.

[77] Nous avons établi précédemment que Marie ne haïssait pas Darnley, qu'elle avait contribué de son mieux à sa guérison. Elle n'a donc aucun motif de parler de vengeance.

[78] Rétablissons le sens : Il m'a donné quelque atteinte de ce que je crains, et même bien au vif. Il va jusqu'à dire (il avoue) que ses fautes ont été publiques ; mais qu'il y a des gens qui commettent des fautes et s'imaginent qu'on n'en parlera jamais ; et cependant on parle des grandes et des petites. — L'exactitude de la traduction n'élucide guère la pensée.

[79] Voilà des énigmes. — Quelles conditions a-t-elle refusées ? La lettre la montre accordant toutes les demandes de son mari, sincèrement ou non, peu importe. — Qu'est-ce à dire la puissance d'elle-même ? Est-ce sa passion pour Bothwell ? Mais puisque Darnley n'en est encore qu'à s'en douter, il ne peut pas tenir ce langage. Serait-ce pour préparer ce que dirent les ennemis de la reine, que Bothwell l'avait ensorcelée ? — Darnley craint pour son honneur et pour sa vie : quant au reste, il n'a point de crainte. Cette expression ridicule devrait être remplacée d'après le texte, par : mais en définitive....

[80] Le comte de Huntly. Encore une énigme. Comment Bothwell ne prendrait-il pas en bonne part tous ces sacrifices que Marie Stuart lui faits ? Quelle est cette interprétation du perfide beau-frère, un des défenseurs de Marie ?

[81] Excusez ma mauvaise écriture.... Excusez mon griffonnage.

[82] Les notes qui terminent la 1re partie.

[83] Voir, à la fin de ce chapitre, un appendice où sont discutés les motifs d'après lesquels M. Miguel a cru pouvoir admettre l'authenticité des lettres.

[84] Pourquoi encore ces non-sens inextricables lorsqu'on avait les originaux ? — Médée fut dépossédée de l'amour de Jason par Glaucé ; le traducteur prend Médée pour la deuxième femme de Jason et renverse cette histoire, sans compter qu'en mettant le pluriel pour le singulier, il suppose que Marie Stuart parle de rivales nombreuses, au lieu d'une seule. — Ces erreurs plaisantes viennent du texte latin où Buchanan a mis étourdiment illas pour illam. — Le texte écossais porte : Autrement je penserai que mon malheur et la bonne étoile de celle qui n'a pas le tiers de la fidélité et de la volonté que j'ai de vous obéir, lui ont donné sur moi et bien malgré moi l'avantage que remporta la seconde maîtresse de Jason....

[85] Mettez en mémoire ceste partie des lettres escrites à Bothwell, où elle s'appelle Médée, c'est-à-dire une femme qui ne tient point de mesure en amour, ny en haine. (Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 126.)

[86] Buchan op., Freebairn, 1715. Préf., p. V. — Vie de Buchanan, p. 5. — Lettre de Buchanan à Rogersius, Édimbourg, 9 novembre 1579.

[87] Cette observation est de miss Strickland, t. VI, p. 229.

[88] M. Mignet fait à la Detectio l'honneur de la citer une fois (t. I, p. 300). C'est pour lady Reres, qui avait la réputation d'être la complaisante de Marie Stuart. M. Mignet applique à lady Reres la quatrième lettre, mais en faisant bien des violences au texte. La lettre est de Glasgow, janvier. Il s'agit du mariage prochain de Marguerite Carwood, une des suivantes de la reine, mariage qui eut lieu la nuit de la mort de Darnley. M. Mignet substitue lady Reres à Marguerite. Comme lady Reres était mariée, il supprime de son extrait l'endroit où Marie Stuart ait allusion au mariage imminent de sa suivante. Il transporte d'autorité la lettre en avril, avant l'enlèvement de la reine par Bothwell ; en même temps il dit que Bothwell remplaça lady Reres par sa propre sœur lady Coldingham. Il oublie que Bothwell ne mit lady Coldingham près de la reine qu'à Dunbar, après l'enlèvement. (Miss Strickland, t. V, p. 197, note 1.)

[89] Miss Strickland, t. V, p. 197, note 1.

[90] Voir chapitre IV.

[91] Miss Strickland, t. IV, p. 340 et note.

[92] Teulet, 2e confession de Paris, p. 94 : Marie charge Paris de dire à Bothwell que lady Reres est témoin qu'elle ne se laisse pas embrasser par le roi. — P. 97 : Reres à Holyrood, la nuit, allait chercher Bothwell pour le conduire chez la reine. — P. 103 : De même à Callendar. — Paris déclare avoir connu dans cet endroit les privautés entre la reine et Bothwell, janvier 1567. Cependant ce Paris était depuis des années le serviteur de confiance du comte ; comment est-il possible qu'il ne et rien de l'intrigue de son maitre qui aurait été publique dés l'été de 1566 ?

[93] Miss Strickland, t. V, p. 298.

[94] Miss Strickland donne de tristes détails sur la pauvreté des Lennox en Angleterre. T. II, vers la fin.

[95] 1re lettre, Teulet, p. 28.

[96] Teulet, p. 37.

[97] Telle est l'opinion de M. Teulet, p. 28, note 1.

[98] Goodall, t. I, p. 327, établit ici le sens de by, dont il est fait d'ailleurs le même emploi quelques lignes plus haut dans la même lettre (Teulet, p. 26, ligne 6 du texte écossais). — Voyez aussi le Dictionnaire écossais de Jamieson, avec supplém., 4 vol., Édimbourg, 1841, à l'article be, t. III (1er du supplém.), n° 6 : (Be) without the aid ofin another way than. L'auteur cite à l'appui deux phrases du seizième siècle, après lesquelles il ajoute : this might be rendered besicles ; as denoting other mitans besides those referred to. (Be-) sans l'aide de, par d'autres moyens que.... — cela peut se rendre par outre, comme indiquant des moyens autres que ceux dont on a parié. — Goodall rapporte que Buchanan avait écrit d'abord quam per medicinam dans une copie que l'on croit être celle qu'il présenta à Élisabeth, et cela fut rendu en français que par breuvage. Mais au moment d'imprimer le texte latin, il s'aperçut que l'argumentation de l'Actio roulait sur une médecine à donner secrètement, tandis que la lettre parlait de faire secrètement quelque chose qui ne serait pas une médecine. Le quam fut donc effacé pour le besoin de la cause : mais avec l'étourderie qu'on apporta dans toutes ces traductions, il subsista dans la version française.

Il est vrai que les mots qui suivent, car il doit prendre médecine et estre baigné à Craigmillar, semblent être dans le sens d'un plan d'empoisonnement futur. Mais ils peuvent signifier : attendu que chacun sait que pour achever sa cure il doit prendre médecine à Craigmillar et s'y baigner, s'il succombe à cette médecine l'empoisonnement sera trop manifeste ; cherchons autre chose.

[99] Une phrase de la seconde lettre parait faire allusion à l'absence de Bothwell loin d'Édimbourg : Je vous prie, faictes-moy sçavoir bien au long de vos affaires, et ce qu'il me faut faire, si sous n'estes de retour quand je seray là arrivée. (Teulet, p. 38.) — Arrivée à Édimbourg en l'absence du comte. Citons le journal de Murray. Janvier 23. La reine arriva à Glasgow ; et, sur le chemin, elle rencontra Thomas Crawford, envoyé du comte de Lennox, et sir James Hamilton, avec le reste mentionné dans sa lettre. Les comtes d'Huntly et de Bothwell retournèrent le soir même à Édimbourg, et Bothwell coucha dans la ville. — 24. La reine resta à Glasgow ce jour-là, et les 25 et 26. Elle eut avec le roi l'entretien dont elle rend compte ; et elle écrivit son récit et ses autres lettres à Bothwell. Ce 24, on vit Bothwell occupé de très-bonne heure à visiter le logement qu'on préparait pour le roi ; et, le même soir, il partit pour le Liddisdale. — 27. La reine, conformément à sa commission, comme elle dit dans sa lettre, amena le roi de Glasgow à Callendar, sur le chemin d'Édimbourg. — 28. La reine amena le roi à Linlithgow. Elle y passa la matinée, jusqu'à ce qu'un avis de Bothwell, apporté par Hob Ormiston, l'un des assassins, lui apprit qu'il revenait à Édimbourg. Le même jour, le comte de Bothwell rentra du Liddisdale à Édimbourg.

[100] Deuxième confession de Paris, Teulet, p. 93.

[101] Les lettres que Morton présenta au Conseil d'Angleterre à Londres, comme les originaux, ne portaient ni sceau, ni suscription, pas plus que de signature.

[102] Dans Anderson, t. II.

[103] Cette discussion est empruntée en grande partie à Goodall, t. I, p. 119-120.

[104] La Lettre de Marie à Bothwell garde un silence absolu sur ces lettres ou cette lettre à Lethington, bien que ce dernier y soit mentionné, mais simplement pour dire que Darnley enrage quand elle parle de lui (Teulet, Lettres, I, p. 31). Cela s'explique : en 1567, époque où l'on produisit ces lettres, Lethington était avec Morton et Murray dans le parti victorieux : on ne pouvait pas penser à dénoncer sa participation à l'assassinat du roi. Mais en août 1569, époque des deux confessions de Paris, il était ennemi de ses anciens associés. Murray, qui tenait le pouvoir, avait résolu de se défaire de cet adversaire dangereux ; c'est pour cela qu'il inséra dans la deuxième confession certains faits de nature à le compromettre et à fournir des motifs suffisants de le mettre en arrestation ; ce qui eut lieu.

[105] Goodall, Append., p. 90.

[106] Goodall, Append., p. 87.

[107] Goodall, Append., p. 91.

[108] Nous n'avons pas vu que Robertson, qui combat Goodall sur quelques points, ait parlé des deux promesses de mariage, ni relevé cette affirmation de son devancier. — Nous aurons à parler plus tard et plus amplement de ces deux pièces, au moment du mariage de Bothwell avec Marie. Ici nous es mentionnons à leur rang dans l'inventaire de la cassette.

[109] Teulet, p. 65-76.

[110] Sonnet, IV.

[111] Voyez chapitre VIII.

[112] Voyez plus loin chapitre VII.

[113] Nous avons reproduit le texte de M. Teulet qui a suivi celui des Mémoires de l'Estat de France (t. I, p. 171). Anderson a donné le sens exact (t. II, p. 120) :

Pour lui, aussi je jette mainte l'arme (sic),

Premier quand il se fit de ce corps possesseur, etc.

[114] Voyez chapitre III.

[115] Voyez notre chapitre VIII.

[116] Nous nous en rapportons là-dessus à l'affirmation de miss Strickland.