LE ROI DE ROME (1811-1832)

 

CHAPITRE VIII. — LES INTRIGUES DE FOUCHÉ ET DE METTERNICH EN 1815.

 

 

On a lu, dans une dépêche du prince de Talleyrand à Louis XVIII, que M. de Metternich, interrogé par M. de Montrond sur les sentiments de l'Autriche à l'égard de la régence de Marie-Louise, aurait sèchement répondu : La régence ? Nous n'en voulons point[1]. Les documents et les faits que j'ai étudiés imposent, comme ou va le voir, un démenti absolu à cette assertion. Les relations de Fouché et de Metternich au début des Cent-jours, leurs communes intrigues au sujet du renversement de Napoléon et son remplacement éventuel par Napoléon II ou par le duc d'Orléans. — car Louis XVIII ne venait dans leurs combinaisons qu'en troisième ligne, — sont un très intéressant point d'histoire qui doit former une des parties essentielles de ce récit. Ces intrigues si curieuses ont donné lieu à ce que l'on a appelé la a mission d'Ottenfels

M. Thiers avait posé, en 1849, à M. de Metternich, —quelques mois avant la mort du chancelier, — la question suivante : La mission de M. Werner[2] à Bâle est certaine. Quels en étaient l'objet et l'importance ? Ce point a de la gravité, car cette mission, en brouillant Napoléon avec Fouché, eut des conséquences assez sérieuses. On verra bientôt que l'affaire d'Ottenfels n'eut aucune action décisive sur les sentiments du duc d'Otrante, puisque, dès sa rentrée au ministère de la police, il était disposé à trahir l'Empereur. D'autre part, le prince Richard de Metternich admet que le récit de M. Thiers[3] est assez fidèle, ce qui s'expliquerait, d'après lui, par les renseignements que M. de Metternich lui aurait communiqués. On verra aussi quelle confiance il faut attacher à ces renseignements. Rien n'est si compliqué que les machinations de Fouché et de Metternich à propos de l'éventualité de la régence de Marie-Louise avec Napoléon II, et il m'a fallu les regarder de bien près pour en découvrir tous les ressorts. Mais pour comprendre clairement cette question, il convient de revenir un peu en arrière.

A peine Louis XVIII, après vingt-cinq années d'exil, était-il monté sur le trône, que les fautes de son ministère et les imprudences de son entourage lui avaient aliéné beaucoup d'esprits. Le mécontentement s'était étendu de la vieille armée napoléonienne à la nation[4]. Aussi des complots allaient-ils menacer l'autorité royale. Ils étaient formés par des individus experts en agitation, et parmi eux devait reparaitre un des hommes les plus adroits et les plus dangereux de la Révolution : j'ai nommé Fouché, duc d'Otrante. Celui-ci ne pouvait se consoler d'être arrivé trop tard à la curée de 1814. Il espérait cependant avoir bientôt une forte compensation, car il se rendait parfaitement compte que les fautes de la Restauration amèneraient à bref délai une réaction fatale. Lorsque les violences des ultras eurent répandu dans le pays un véritable malaise et fourni un prétexte naturel d'agitation, il recommença à comploter. Il s'était remis en relation avec le prince de Talleyrand, auquel il avait confié ses intérêts pour le maintien de ses dotations. Avant le départ de l'ambassadeur pour Vienne, il était allé plusieurs fois rue Saint-Florentin sans avoir l'avantage de le trouver et de lui faire ses adieux[5]. Il aurait désiré lui parler des affaires intérieures de la France et surtout des Français qu'on avait exclus des places et qu'on allait obliger à quitter le pays. Votre Altesse, disait-il, peut s'en rapporter à moi sur la situation des choses et les dispositions secrètes des esprits... Bientôt il n'y aura ici de tranquillité pour personne. Il le priait de se souvenir quelquefois d'un homme qui lui était et lui serait toujours attaché[6].

D'accord avec lui et prévoyant une catastrophe prochaine, il avait pensé à faire offrir le pouvoir au duc d'Orléans, puis à -Napoléon II avec Marie-Louise régente. Toutes les combinaisons éloignaient naturellement l'Empereur, qu'on devait envoyer aux Açores ou à Sainte-Lucie. Talleyrand, qui était en rapport avec les diverses coteries parisiennes, savait par Fouché, Jaucourt et d'Hauterive que l'autorité de Louis XVIII était battue en brèche, et il prenait déjà ses dispositions, suivant son habitude, pour se ranger du côté du plus fort. D'autre part, Fouché s'était entendu avec le duc de Dalberg pour correspondre plus aisément avec le prince de Metternich, auquel il faisait part de toutes ses inquiétudes sur la triste situation de la monarchie. Aussi le ministre de François II, si l'on en croit le duc de Rovigo, avait-il fait adresser au duc d'Otrante, au commencement de l'année 1815, ces trois questions : 1° Qu'arriverait-il si Napoléon reparaissait ; 2° si le roi de Rome se montrait à la frontière, appuyé par un corps autrichien ; 3° si simplement une révolution éclatait en France ? A la première question, Fouché aurait répondu que tout dépendrait du premier régiment français ; à la seconde, que toute la France se prononcerait pour le roi de Rome ; à la troisième, que la révolution aurait lieu en faveur du duc d'Orléans. Ces prévisions étaient exactes. En attendant, Fouché se tenait adroitement à l'écart et laissait à d'autres le soin de préparer le terrain. On travaillait l'armée et les ouvriers. De nombreux généraux consultés acceptaient volontiers l'idée d'une régence[7]. On n'attendait plus qu'une réponse de Vienne pour commencer, rapporte le duc de Rovigo, lorsque Napoléon débarque à Cannes. Il se fait précéder de proclamations et du bruit que sa femme et son fils viennent le joindre, si bien que tout le monde le croit. Le duc de Rovigo ajoute que ce langage était si conforme à celui que tenaient les gens de M. Fouché, que tout le monde fit compliment au duc d'Otrante d'un événement dont il était intérieurement mécontent.

Chose plaisante, la rumeur accentuée de l'arrivée de Marie-Louise et du roi de Rome[8] fit croire à Fouché que Talleyrand l'avait joué en disposant l'Autriche à céder ce précieux dépôt et en prévenant Napoléon du moment favorable pour quitter l'île d'Elbe. Ce ne fut pas cette seule hypothèse qui détermina Fouché à agir. A la nouvelle de la marche de l'Empereur sur Paris, il vit la monarchie perdue ; se dérobant alors aux agents du Roi qui voulaient l'emmener de force à Gand, il prit son parti. Le jour de la rentrée de Napoléon, il apparut. Cette fois, il était satisfait, car son plus redoutable rival était retenu à Vienne. Le duc d'Otrante allait pouvoir conduire les affaires à son gré, caresser et tromper Napoléon beaucoup trop crédule, préparer sa chute et dicter ses conditions au successeur, quel qu'il fût, de l'Empereur. Il reprit le ministère de la police, où se trouvaient déjà ses créatures, et, affectant une vive émotion, dit à Napoléon : Sire, vous m'avez sauvé la vie. J'étais caché depuis huit jours pour fuir la persécution !

De son côté, Talleyrand se croyait joué par Fouché. Quand il apprit la rentrée de son ami au ministère, il n'en douta plus. Les deux rusés compères s'observaient sans rien dire, redoutant chacun, de la part de l'autre, quelque rouerie nouvelle, lorsque Talleyrand, ayant été maladroitement proscrit par un décret impérial[9], résolut de se prononcer contre le nouveau régime. Il conseilla à Metternich d'envoyer à Fouché un courrier secret chargé de connaitre les sentiments réels de ce dernier et de lui offrir, à la condition que Napoléon disparût, c'était la condition nécessaire et toujours invoquée, — l'appui de l'Autriche pour réinstaller, à son choix, Louis XVIII, la régence ou le duc d'Orléans. Talleyrand laissait, comme on le voit, le champ libre aux intrigues de Fouché.

Le 25 mars, le duc d'Otrante eut avec le baron Pasquier, dans son jardin, un entretien mystérieux. Il lui dit audacieusement que l'Empereur était plus fou que jamais, et que son affaire serait faite avant quatre mois. Il ne demandait pas mieux que les Bourbons revinssent, mais il fallait que les affaires fussent arrangées un peu moins bêtement que l'année précédente. Des garanties bonnes et solides étaient nécessaires. Il invita donc Pasquier à se tenir prêt au moindre signal, ce qui indiquait bien que Fouché était disposé à trahir Napoléon, qui ne l'avait employé qu'à regret sur le conseil de ses intimes[10]. Or, Fouché jouait cyniquement son double jeu, paraissant servir à la fois les intérêts du Roi et ceux de l'Empereur. Mais si, contrairement à ses prévisions, le régime impérial se maintenait par des victoires, il pouvait être, sinon emprisonné, du moins jeté dehors à la première occasion. C'était une de ses craintes. Son entretien avec Pasquier le prouve. Il cherchait donc d'autres combinaisons politiques, soit avec Marie-Louise, soit avec Louis XVIII, soit avec le duc d'Orléans. Il correspondait secrètement, comme je l'ai dit, avec Metternich, allant jusqu'à livrer l'état de certains armements ; mais, de crainte d'être découvert, il demandait à Wellington, en avril 1815, de lui procurer un asile en Angleterre, au cas où il serait proscrit.

Ces préliminaires, importants à connaître, nous amènent précisément aux rapports de Fouché avec Metternich, c'est-à-dire à ceux qui ont trait à la mission du baron d'Ottenfels à Bâle. Dans ses Mémoires, le chancelier autrichien appelle cette mission un incident dans l'histoire des Cent-jours, et il parait ne lui accorder qu'une valeur légère On verra bientôt que c'était là plus qu'un incident. Metternich dit que Fouché, après avoir repris le portefeuille de la police au retour de Napoléon, faisait voir pour la seconde fois ce singulier mélange de soumission aux volontés de l'Empereur et d'insubordination qui le caractérisait. Ce ministre, ajoutait-il, voyait parfaitement clair dans la situation de Napoléon et de la France. Il savait on ne peut mieux ce que voulaient et pouvaient les puissances alliées ; aussi ne croyait-il pas à la victoire finale de Napoléon revenu sur le trône de France. Il m'envoya donc à Vienne un agent secret, chargé de proposer à l'empereur François de laisser proclamer empereur le roi de Rome. En même temps, il me faisait prier d'expédier un affidé à Bâle pour qu'on pût s'entendre sur les moyens d'exécution de l'entreprise. L'empereur François était incapable de se prêter à une démarche pareille ; le ministre de la police française pouvait seul se faire illusion à cet égard[11]... Cette façon de narrer les choses n'est pas exacte. M. de Metternich, qui redoutait encore la puissance et le génie militaires de Napoléon, profita de l'offre de Fouché pour tenter de renverser au plus tôt le pouvoir renaissant de l'Empereur. Il résolut de caresser la vanité et l'ambition du duc d'Otrante, et, pour cela, il lui laissa entrevoir que, dans un avenir prochain, lui, Fouché, serait peut-être appelé à jouer le rôle considérable que Talleyrand avait su prendre en 1814. Telle est la vérité.

A la fin du mois d'avril, le comte Perregaux, chambellan de service auprès de Napoléon, lui annonça qu'un premier commis de la banque Eskelès et Cie, de Vienne, était arrivé à Paris pour des règlements de comptes avec la banque Perregaux, Laffitte, Baguenault et Delchert ; il ajouta que ce voyage, dont l'urgence ne lui paraissait pas justifiée, devait avoir un motif secret. Le 28 avril, Réal fut averti, rechercha le commis, le fit arrêter et conduire à l'Élysée, où Napoléon lui-même l'interrogea[12]. On examina ses papiers, qui n'avaient rien de mystérieux. On avait arrêté par précaution son jeune fils venu avec lui ; puis on avait promis à l'agent autrichien de le rendre à la liberté, ainsi que son enfant, s'il avouait qu'il avait une mission secrète. Il déclara — c'est le chancelier Pasquier qui le raconte — que le prince de Metternich l'avait chargé d'une mission secrète auprès du duc d'Otrante ; qu'il avait déjà vu deux fois ce dernier, la veille et l'avant-veille, à l'hôtel de la Police générale. Il ajouta que le but de sa mission était d'engager le duc d'Otrante à envoyer promptement à Bide, à l'auberge des Trois Rois, une personne de sa confiance intime, laquelle y trouverait un secrétaire du prince de Metternich sous le nom de Henri Werner. Quant à lui, ses pouvoirs consistaient dans une lettre en chiffres du prince de Metternich (il l'avait laissée au duc d'Otrante) et dans un bordereau avec le quel celui qui en serait porteur se ferait reconnaître de M. Henri Werner. Il expliqua à peu près le contenu de ce bordereau, qui était resté aussi dans les mains de M. Fouché. La lettre de Metternich était écrite en caractères sympathiques, et le prince avait remis au commis une poudre spéciale pour faire ressortir l'écriture. Le rendez-vous avec Henri Werner était fixé au 1er mai. Napoléon songea tout de suite à faire arrêter Fouché et saisir ses : papiers ; puis il réfléchit que les papiers devaient être en sûreté, loin de toute recherche[13]. Alors il résolut d'approfondir l'affaire, mais très secrètement.

Deux heures après, Fouché vint, comme il le faisait chaque jour, travailler chez l'Empereur. Le travail terminé, Napoléon l'emmena dans le jardin de l'Élysée et mit la conversation sur la politique des diverses puissances, cherchant évidemment à le faire parler. Fouché ne dit mot de la lettre de Metternich et ne manifesta aucun embarras. Dès qu'il fut parti, Napoléon appela un de ses secrétaires, Fleury de Chaboulon, celui qui lui avait rendu tant de services à l'île d'Elbe, et qui l'avait décidé au retour. Il lui expliqua ce qu'il attendait de lui : prendre des passeports chez le duc de Vicence, aller à Bâle et chercher à savoir ce que voulait cet Henri Werner. Fleury reçut en même temps, de la main de l'Empereur, un ordre ainsi libellé :

Paris, 28 avril 1815. — Le lieutenant-général Rapp, notre aide de camp, les généraux commandant à Huningue et nos agents civils et militaires, à qui le présent ordre sera communiqué, accorderont pleine et entière confiance au chevalier Fleury, notre secrétaire, et lui faciliteront, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, la communication avec Bâle, soit pour y passer, soit pour en faire venir des individus[14]. La relation impériale de L'île d'Elbe et les Cent jours, celles de Fleury de Chaboulon[15] et de Pasquier, disent que l'Empereur ne parla à son ministre de l'agent secret que plusieurs jours après, lorsque Fouché, averti par Réal, vint faire l'aveu d'une lettre venue de Vienne. Mais les minutes des lettres de Napoléon placent cet aveu le jour même de l'interrogatoire de l'agent autrichien et du départ de Fleury. Je trouve en effet à la date du 29 avril 1815[16] un billet de Napoléon au comte Réal, où l'Empereur lui mande ces détails précis : Fouché m'a parlé hier de cet homme. Il supposait que c'était un mystificateur. Il paraitrait que cet homme aurait menti et lui aurait apporté une lettre à l'encre sympathique qui était pour... — l'adresse du banquier à qui il en a remis une autre en même temps (sic). — Interrogez là-dessus ces individus. Il pourrait avoir remis d'autres lettres à d'autres personnes. Tout me porte donc à croire qu'après son travail habituel avec l'Empereur, Fouché a été aussitôt prévenu de ce qui avait été découvert, et qu'il est revenu auprès de Napoléon pour lui dire simplement la chose, en affectant de la considérer comme ridicule et en laissant croire qu'il n'était peut-être pas la seule personne à laquelle l'agent de Metternich eût remis une lettre confidentielle. Et ici je reprends la version impériale : L'Empereur demanda seulement s'il savait ce qu'était devenu son agent. Le duc d'Otrante balbutia et finit par avouer qu'il venait d'apprendre que la préfecture de police l'avait fait arrêter. Il était donc bien évident que la confidence n'était faite que parce que l'intrigue était éventée. Il eût été bien sans doute, dès ce moment, de faire arrêter ce ministre ; mais l'Empereur jugea plus prudent d'attendre le retour de l'agent qu'il avait envoyé à Bâle, et se contenta de défendre à Fouché de donner suite à cette négociation[17].

Napoléon avait dit à Fleury de profiter de la circonstance pour faire connaitre à M. de Metternich sa position et ses intentions pacifiques, et tâcher d'établir un rapprochement entre lui et l'Autriche. Fleury, qui ne voulait pas se laisser devancer par l'agent véritable de Fouché, ne perdit pas une minute. Il se pourvut d'une commission d'inspecteur général des vivres, et le 3 mai se présenta à Bâle, sous le prétexte d'y faire de nombreux achats. On est, disait-il avec humour, toujours bien reçu des Suisses avec de l'argent. Il se rendit sans obstacle à l'auberge des Trois Rois, où devait descendre M. Werner. Celui-ci était déjà arrivé depuis le 1er mai. L'agent secret de Metternich, disent les notes de l'éditeur des Mémoires, était le baron d'Ottenfels, alors secrétaire aulique à la chancellerie d'État. Il avait reçu l'ordre de se rendre incognito à Bide, sous le pseudonyme de Henri Werner, et de s'y rencontrer à l'hôtel des Trois Rois avec l'affidé de Fouché... Comment Metternich, qui prétend avoir été convié à cette négociation par Fouché, finit-il par y accéder ?... L'empereur d'Autriche lui aurait dit de communiquer l'affaire au Tsar et au roi Frédéric-Guillaume, et de leur laisser le soin de décider si l'on devait envoyer un homme de confiance à Bâle pour s'édifier sur les vues et les desseins de l'auteur de la proposition. Les deux souverains voulurent bien y acquiescer. Je chargeai de cette mission, dit Metternich, un employé de mon département. Je lui indiquai les signes auxquels il reconnaîtrait l'agent français et lui recommandai de bien écouter sans rien répondre.

Voici maintenant les instructions écrites que le secrétaire aulique avait reçues de Metternich lui-même, s'il rencontrait aux Trois Rois une personne qui se dirait envoyée par le duc d'Otrante et le prouverait par une copie du même document ainsi conçu : Le 9 avril 1815. Les puissances ne veulent pas de Napoléon Bonaparte. Elles lui feront une guerre à outrance, désirant ne pas la faire à la France[18]. Elles désirent savoir ce que veut la France et ce que vous voulez. Elles ne prétendent point s'immiscer dans les questions de nationalité et dans les désirs de la nation, relativement à son gouvernement ; mais elles ne sauraient, dans aucun cas, souffrir Bonaparte sur le trône de France. Envoyez une personne qui possède votre confiance exclusive au lieu que vous indiquera le porteur. Elle y trouvera à qui parler[19]. C'était la lettre écrite par Metternich, mais sans signature et avec de l'encre sympathique, lettre qui démontre que Metternich a fixé lui-même le rendez-vous à Bâle et ce qu'il attendait de Fouché.

Le baron d'Ottenfels devait dire qu'il avait été envoyé à Bâle par le cabinet autrichien pour s'aboucher avec la personne de confiance déléguée par le duc d'Otrante, en vertu d'une invitation qui lui aurait été adressée directement à Paris. Il devait ajouter que le duc d'Otrante connaissait le but de sa mission ; qu'il savait que les puissances ne voulaient plus traiter avec Napoléon Bonaparte, et qu'il s'agissait de s'expliquer sur le choix de la personne destinée à le remplacer, sans avoir recours préalablement à une guerre redoutable pour tous. On pouvait donc faire la chose pacifiquement. Si la France désirait Louis XVIII, les puissances l'engageraient à rentrer en vertu d'un nouveau pacte, en le priant d'éloigner les émigrés et d'écarter les entraves que les alentours du Roi avaient mises à l'établissement d'un nouvel ordre de choses. Si la France, au contraire, voulait le duc d'Orléans, les puissances serviraient d'intermédiaire pour engager le Roi à se désister de ses prétentions. Enfin, si la France préférait la régence, la lettre de Metternich répondait à cette hypothèse par ces cinq mots bien clairs : On ne s'y refusera pas. Toutefois les instructions du baron d'Ottenfels contenaient cette restriction relative à la régence : L'Autriche, la première, est loin de la désirer :

a. — Parce qu'une longue minorité du souverain offre une infinité de chances de désordres ;

b. — Parce que l'Autriche ne se soucie pas d'exercer une influence directe en France, ce dont elle pourrait être accusée bientôt par cette nation et par les autres puissances de l'Europe[20].

Mais ce n'était là qu'une précaution diplomatique, car, quelque temps après, l'Autriche elle-même offrira nettement la régence.

Le baron d'Ottenfels ne devait faire d'ouvertures officieuses qu'après avoir écouté tout ce que l'envoyé du duc d'Otrante pouvait avoir à lui dire. Par excès de prudence, Metternich avait ajouté : Il ne lui donnera dans aucun cas rien par écrit et se dira spécialement homme de ma confiance. Il sera prêt à retourner à Vienne sur-le-champ avec les ouvertures dont pourrait le charger la personne munie des communications du duc d'Otrante. Ces détails prouvent bien que Metternich et son souverain n'ont pas eu la moindre hésitation à se prêter' à une entrevue qui devait les fixer sur les points les plus importants de la situation et les préserver peut-être d'une guerre nouvelle où ils auraient eu plus à perdre qu'à gagner, étant données les compétitions si ardentes des alliés. Fleury, déterminé à bien jouer son rôle, annonce donc au faux Werner qu'il était chargé par quelqu'un de Paris de s'entretenir avec lui : Ils se montrent leurs signes de ralliement, puis ils se mettent à causer. Werner fait d'abord à Fleury les politesses d'usage ; il lui dit ensuite qu'il l'attendait depuis deux jours, et qu'il commençait à craindre que Fouché ne se-fût désisté. Fleury, qui ne savait rien et qui ne voulait cependant pas se compromettre, répond, en s'avançant pas à pas, que la lettre de Metternich laissait bien quelques incertitudes,' mais que le ministre de la police était prêt à offrir au chef du cabinet autrichien toutes les preuves de son dévouement. Lui, son agent de confiance, devait répondre en toute franchise aux ouvertures qui lui seraient faites. Il demandait donc nettement ce qu'on attendait de lui. Werner, qui ne devait point parler, répond alors que Metternich a l'espoir qu'un homme aussi prévoyant que Fouché n'a dû accepter le ministère de la police que pour épargner aux Français les malheurs de la guerre civile et ceux de la guerre étrangère. Il compte bien qu'il secondera les efforts des alliés pour se débarrasser de Bonaparte. Par quels moyens ? demande Fleury sans sourciller. — M. de Metternich, déclare Werner, ne m'a point entièrement communiqué ses vues à cet égard. On voit que les deux agents jouaient serré. Fleury insiste. M. Fouché, ajoute alors Werner, pourrait trouver les moyens de délivrer la France de Bonaparte, sans que les alliés répandissent de nouveaux flots de sang.

Je ne connais que deux moyens, dit brutalement Fleury : le premier, c'est de l'assassiner...

L'assassiner ! s'écrie Werner ; jamais un tel moyen ne s'offrit à la pensée de M. de Metternich !

Le second moyen, poursuit Fleury sans se déconcerter, c'est de conspirer contre Napoléon... M. de Metternich et les alliés ont-ils déjà quelques relations d'établies ?

Ils n'en ont aucune. A peine a-t-on eu le temps à Vienne de s'entendre. C'est à M. Fouché à préparer, à combiner ses plans...

Alors Fleury change de langage et va droit au but que lui avait recommandé l'Empereur. Il affirme audacieusement que les alliés ont été trompés, et qu'il n'est plus facile de soulever la France contre Napoléon. Les ennemis des Bourbons sont devenus ses partisans. Sur ce, Werner s'étonne et objecte que cette affirmation est entièrement contraire aux rapports venus de Paris. Fleury soutient que l'accueil enthousiaste fait à l'Empereur depuis le golfe de Jouan jusqu'à la capitale montre qu'il a pour lui aussi bien la nation que l'armée. Werner veut protester. Fleury, sans l'écouler, développe et soutient énergiquement cette idée. D'ailleurs, comment Napoléon aurait-il pu faire la loi à des millions d'hommes disséminés sur sa route ? La nation, quoi qu'on en dise, approuve les sentiments de l'armée pour son chef Et l'approche des alliés, loin de diviser les Français, les réunira plus étroitement encore. Alors Werner croit que son interlocuteur veut lui assurer que la France secondera, comme autrefois, les projets de conquête de Napoléon. Fleury proteste. La France veut les garanties que lui ont refusées les Bourbons, mais elle veut aussi la paix. Si l'Empereur refusait cela, Fouché et les véritables patriotes se réuniraient pour se défaire de lui. Mais, répond Werner, le duc d'Orléans procurerait à la France ces garanties. — Le duc d'Orléans aurait contre lui les partisans de Louis XVIII, de Napoléon et de la régence. — Eh bien, alors, les alliés pourraient consentir à vous donner le jeune Napoléon et la régence. — Un peuple qui a été en guerre avec lui-même et avec ses voisins a besoin d'être conduit par un homme qui sache tenir ferme les rênes du gouvernement... — Mais l'on pourrait vous composer un conseil de régence qui répondrait à l'attente des alliés et de la France. Ottenfels livrait ainsi la pensée secrète de l'Autriche et des alliés.

Fleury fait immédiatement remarquer que les difficultés et les périls viendront des hommes de guerre rivaux et jaloux. Il n'y a qu'un seul homme qu'on pourrait placer à la tête du gouvernement, c'est le prince Eugène. Que dirait M. de Metternich de cette proposition ?... Werner répond qu'il ne le sait pas. Et les alliés ?... Les alliés non plus. D'ailleurs, cette question n'ayant point été prévue, Werner ne peut ni ne doit y répondre. Fleury reprend ses affirmations Le seul chef qui convienne à la France, c'est Napoléon, non plus l'ambitieux et le conquérant, mais l'homme corrigé par l'adversité. S'il est tel que Fouché l'espère maintenant, Fouché s'estimera heureux de pouvoir concourir, avec Metternich, à établir la bonne harmonie entre l'Autriche et la France, et à restreindre en même temps la puissance de l'Empereur, de telle façon qu'il ne puisse plus troubler la tranquillité universelle. Voilà quel doit être aussi le but des alliés... Au surplus, Fleury se chargera de rendre compte à Fouché de ce qu'il a entendu ; mais à supposer qu'on écarte Napoléon, qu'en fera-t-on ?... — Je l'ignore, répond Werner ; M. de Metternich ne s'est point expliqué à cet égard. Je lui soumettrai cette question. Je lui ferai connaître votre opinion sur la situation de la France et de Napoléon ; mais je prévois d'avance combien les sentiments actuels de M. Fouché lui causeront de l'étonnement... — Les circonstances changent les hommes, conclut sentencieusement Fleury. M. Fouché a pu détester l'Empereur quand il tyrannisait la France, et s'être réconcilié avec lui depuis qu'il veut la rendre libre et heureuse. Tel est succinctement le premier entretien de Fleury et d'Ottenfels[21]. Les deux agents, après quelques autres propos sur divers sujets, convinrent de se rendre immédiatement à leurs postes respectifs, et de se retrouver huit jours après à Bâle.

Fleury, au bout de quatre jours, vint rapporter à l'Empereur les détails de son entrevue. Celui-ci fut satisfait de son empressement, et se félicita de ce que Metternich n'avait rien projeté contre sa vie. Avez-vous demandé à M. Werner, interrogea-t-il ensuite, des nouvelles de l'Impératrice et de son fils ?Oui, Sire. Il m'a dit que l'Impératrice se portait bien, et que le jeune prince était charmant. — Vous êtes-vous plaint qu'on violait à mon égard le droit des gens et les premières lois de la nature ? Lui avez-vous dit combien il est odieux d'enlever une femme à son mari, un fils à son père ; qu'une telle action est indigne des peuples civilisés ?... — Sire, je n'étais que l'ambassadeur de M. Fouché... Ce nom rappela les intrigues qu'il fallait découvrir. Fouché, confia l'Empereur à Fleury, pendant votre absence est venu me raconter l'affaire. Il m'a tout expliqué à ma satisfaction. Son intérêt n'est point de me tromper. Il a toujours aimé l'intrigue, il faut bien le laisser faire... Ainsi, Napoléon s'était, une fois de plus, laissé duper par son ministre. Plus tard à Sainte-Hélène, et après avoir vu de quelles trahisons il avait été la victime, il regretta : de ne l'avoir point fait arrêter. Cependant, là encore, il affirma que cette arrestation aurait produit un éclat qui eût brusquement suspendu une négociation si importante. Fleury remarque de son côté, pour expliquer une telle indulgence, que Fouché avait le don de plaire et de persuader au plus haut degré, et qu'il avait su obtenir de l'Empereur plus de confiance que celui-ci ne désirait lui en accorder.

Se conformant aux ordres de Napoléon, qui lui dit d'aller raconter sa mission à Fouché, Fleury se rendit auprès du ministre de la police et lui fit un récit complet de l'affaire, sans lui indiquer toutefois la date précise de la seconde entrevue.

Belle mission ! s'écria audacieusement Fouché, voilà comment est l'Empereur !... Il se méfie toujours de ceux qui le servent le mieux !.... Savez-vous que vous m'avez donné de l'inquiétude ? Si l'on vous avait vendu, on aurait bien pu vous envoyer dans quelque forteresse et vous y garder jusqu'à la paix !... Fleury, en entendant ces menaces indirectes, ne se troubla point. Il répliqua que, devant des intérêts aussi grands, il ne fallait pas songer à soi. J'avais d'abord, reprit Fouché, regardé tout cela comme une mystification ; mais je vois bien que je m'étais trompé. Et le vieux renard, paraissant enchanté de ce qu'avait dit Fleury à Ottenfels, déclara que cette conférence pouvait ouvrir les yeux à Metternich. Pour achever de le convaincre, dit-il sans sourire, je lui écrirai et je lui peindrai avec tant de clarté et de vérité la situation réelle de la France, qu'il sentira que le meilleur parti à prendre est d'abandonner les Bourbons à leur malheureux sort et de nous laisser nous arranger à notre guise avec Bonaparte. Quand vous serez près de partir, venez me revoir, et je vous remettrai une lettre. Puis, semblant s'ouvrir entièrement à Fleury : Je n'avais point parlé tout de suite à Napoléon de la lettre de Metternich, parce que son agent ne m'avait point remis la poudre nécessaire pour faire reparaître l'écriture. Il a fallu avoir recours à des procédés chimiques qui ont demandé du temps. Enfin il lui lut la lettre qui forme l'annexe des instructions d'Ottenfels. Vous voyez qu'elle ne dit rien, ajouta-t-il avec une incroyable indifférence... Ainsi, une lettre où l'on refusait de traiter avec Napoléon, où l'on parlait de guerre à outrance contre lui, où l'on invitait enfin Fouché à révéler ce qu'il voulait, une telle lettre ne disait rien !... Sans vouloir remarquer l'incrédulité de Fleury, Fouché ajouta qu'il méprisait et détestait les Bourbons, au moins avec autant de violence que Napoléon les méprisait et les détestait lui-même. Fleury quitta le ministre de la police, certain, cette fois, qu'il venait de parler à un traître ; puis il alla faire part à l'Empereur de sa conviction. A sa grande surprise, Napoléon ne la partagea point. Il rassura seulement Fleury sur les insinuations menaçantes de Fouché, et lui dit qu'il n'avait rien à craindre.

Or, au moment même de la première entrevue de Fleury et de Werner, il s'était passé à Paris un incident qui montre une fois de plus combien Fouché était perfide. M. Pasquier, qui tenait à être renseigné sur les événements, était venu le 2 mai demander à Fouché l'autorisation de séjourner quinze jours à Paris. Celui-ci l'avait engagé à y demeurer tout le temps qu'il voudrait, car l'Empereur allait être obligé de partir pour l'armée, et, une fois parti, disait-il cyniquement, nous resterons maitres du terrain. Je veux bien qu'il gagne une ou deux batailles, il perdra la troisième, et alors notre rôle à nous commencera. Croyez-moi, nous amènerons un bon dénouement...[22] Le chancelier Pasquier a raison de dire que cette trahison de Fouché est une des particularités les plus singulières de cette époque. Mais ce qui est plus singulier, c'est que Napoléon, averti par ses meilleurs serviteurs, ait pu si longtemps ménager le duc d'Otrante Cette indulgence ne s'explique, je le répète, que par sa confiance en lui-même et par la résolution secrète de faire justice quand les événements le permettraient. Il parait certain, affirme Bignon, que Napoléon n'avait fait que différer jusqu'à sa première victoire la mise en jugement de ce ministre[23].

Quelques jours après, Fleury retourna chez Fouché chercher la lettre promise. Celui-ci, après s'être étonné de son prompt départ, lui 'remit deux lettres au lieu d'une pour M. de Metternich. Dans la première, il déclarait que le trône de Napoléon, soutenu par la confiance et l'amour des Français, n'avait rien à redouter des attaques des alliés Dans la seconde, il discutait habilement les ouvertures faites par Werner et il concluait après examen des trois propositions : République, Régence, Orléans, que Napoléon était le seul chef possible. Il est permis de croire que M. de Metternich dut recevoir, par un agent secret, une troisième lettre qui le mit un peu mieux au courant des réelles intentions de Fouché.

Fleury revint auprès de Napoléon et lui montra la seconde lettre, mais, il chercha vainement à faire ressortir les sous-entendus qui s'y trouvaient. Il n'y vit, dit-il, que les éloges donnés à son génie ; le reste lui échappa[24].

Le faux Werner fut exact au nouveau rendez-vous. Il dit à Fleury qu'il avait rapporté à M. de Metternich la conversation franche et loyale qu'ils avaient eue ensemble. Il s'est empressé, affirma-t-il, d'en rendre compte aux souverains alliés, et les souverains ont pensé qu'elle ne devait rien changer à la résolution qu'ils ont prise de ne jamais reconnaître Napoléon pour souverain de la France et de n'entrer personnellement avec lui dans aucune négociation. Puis il fit cette importante confidence : Mais, en même temps, je suis autorisé à vous déclarer formellement qu'ils renoncent à rétablir les Bourbons sur le trône, et qu'ils consentent à vous donner le jeune prince Napoléon. Ils savent que la régence était, en 1814, l'objet des vœux de la France, et ils s'estiment heureux de pouvoir les accomplir aujourd'hui[25]. — Mais que ferez-vous de l'Empereur ? redemanda Fleury, car c'était là le point important à connaître. — Commencez par le déposer. Les alliés prendront ensuite, et selon les événements, la détermination convenable. Ils sont grands, généreux et humains, et vous pouvez compter qu'on aura pour Napoléon les égards dus à son rang, à son alliance et à son malheur. De la part d'une puissance qui avait toujours protesté contre l'envoi trop clément de son ennemi à Ille d'Elbe et qui aurait voulu les Açores ou les petites Antilles pour lieu de détention de l'Empereur, ces assertions étaient vraiment peu rassurantes. Fleury voulut savoir si l'Empereur serait prisonnier des alliés ou libre de choisir sa retraite. Je n'en sais pas davantage, se borna à répondre Werner. — Je vois, riposta Fleury, que les alliés voudraient qu'on leur livrât Napoléon pieds et poings liés. Jamais les Français ne se rendront coupables d'une pareille lâcheté ! Il fit alors valoir l'adhésion unanime de la France et sa ferme volonté, si on l'attaquait, de se défendre. Werner objecta que les Français n'avaient plus ni artillerie, ni cavalerie, ni argent pour faire la guerre. Fleury lui démontra en peu de mots qu'il se trompait. Alors Werner jura que les alliés ne poseraient point les armes tant que Napoléon serait sur le trône, car M. de Metternich l'avait chargé de dire que l'Autriche agissait d'un commun accord avec les autres puissances, et qu'elle n'entamerait aucune négociation sans leur assentiment.

Fleury essaya de prouver éloquemment à Werner de quelle gloire le nom de M. de Metternich serait entouré, si le ministre autrichien consentait à devenir le médiateur de l'Europe et à défendre la cause de l'humanité. L'agent français crut découvrir (chose étonnante !) quelque émotion chez son interlocuteur, qui s'empressa d'affirmer que M. de Metternich accepterait le rôle de médiateur, si rien ne l'en empêchait. Fleury lui lut ensuite les lettres de Fouché, qui le surprirent beaucoup. Le faux Werner ajouta qu'elles surprendraient encore plus M. de Metternich. Il me répétait, disait-il, la veille de mon départ, que le duc d'Otrante lui avait témoigné en toute occasion une haine invétérée contre Bonaparte, et que, même en 1814, il lui avait reproché de ne l'avoir point fait enfermer dans un château fort... Il faut que M. Fouché, pour croire au salut de l'Empereur, ignore totalement ce qui se passe à Vienne ; ce qu'on lui a fait dire par M. de Montrond[26] et par M. Bresson le ramènera sans doute à des idées différentes et lui fera sentir qu'il doit, pour ses intérêts personnels et pour celui de la France, seconder les efforts des alliés... — Napoléon personnellement n'est rien pour nous, répéta Fleury, mais son existence sur le trône se trouve tellement liée au bonheur et à l'indépendance de la nation que nous ne pourrions le trahir sans trahir aussi la patrie... Le parti le plus sage est de se borner à lui lier les mains, de manière à l'empêcher d'opprimer de nouveau la France et l'Europe. Si M. de Metternich approuve ce parti, il nous trouvera tous disposés à seconder secrètement ou ouvertement ses vues salutaires... Fleury affirme encore une fois qu'il est ainsi le fidèle interprète du duc d'Otrante. L'homme de Metternich dit, en quittant Fleury, qu'il répétera textuellement à son ministre tout ce qu'il a entendu. Les deux agents conviennent ensuite d'un nouveau, rendez-vous pour le 7 juin.

Fleury redit à l'Empereur les détails de son second entretien, et Napoléon parut en concevoir quelques espérances. Ces messieurs, remarquait-il, commencent à s'adoucir, puisqu'ils m'offrent la régence. Mon attitude leur impose. Qu'ils me laissent encore un mois, et je ne les craindrai plus ! Fleury insista sur les allures mystérieuses de Montrond et de Bresson. L'Empereur finit par admettre que Fouché le trahissait. Je regrette, ajouta-t-il, de ne pas l'avoir chassé, avant qu'il fût venu me découvrir l'intrigue de Metternich. A présent, l'occasion est manquée. Il crierait partout que je suis un tyran soupçonneux et que je le sacrifie sans motif... Napoléon craignait aussi de jeter en France quelque alarme, car les adversaires du régime impérial n'auraient pas manqué de dire que sa cause était perdue, puisque le ministre le plus habile l'abandonnait. L'Empereur recommanda ensuite à Fleury d'aller voir Fouché et de le laisser bavarder à son aise. Mais l'air contraint et les captieux efforts du ministre de la police pour connaître toutes les paroles d'Ottenfels prouvèrent à Fleury que ses soupçons étaient fondés.

Le prince Richard de Metternich affirme que dès la seconde entrevue de Bâle, la mystification devint si évidente que les pourparlers furent tout simplement rompus... Ils ne le furent pas aussi simplement qu'il le suppose, ni dès la seconde entrevue, puisque le baron d'Ottenfels, dont la confiance dans Fleury était plus grande qu'on ne veut le reconnaître aujourd'hui, avait paru accepter une troisième entrevue. Seulement, comme je l'ai dit, il est plus que probable que dans l'intervalle Fouché avait trouvé le moyen d'éclairer Metternich. Napoléon s'en doutait bien, et si Waterloo eût été un succès comme Fleurus, le duc d'Otrante eût été révoqué et emprisonné. Un soir, Lavalette entendit Napoléon dire à Fouché : Vous êtes un traitre ; il ne tiendrait qu'à moi de vous faire pendre, et tout le monde applaudirait[27]. Il paraîtrait que Fouché aurait froidement répondu : Sire, je ne suis point de l'avis de Votre Majesté. Mais il comprit une fois de plus combien l'Empereur le méprisait. Il devait se venger de ce mépris en faisant tous ses efforts pour anéantir le régime impérial.

Lorsque approcha le moment fixé pour la troisième entrevue de Bide, Fleury alla demander à Napoléon ses ordres à ce sujet. L'Empereur voulut s'opposer au départ de son zélé serviteur. Metternich devait être averti par Fouché. L'agent ne viendrait plus. Des périls certains attendraient Fleury à Bâle... Celui-ci insista. L'Empereur le laissa enfin partir, mais en lui recommandant beaucoup de prudence... Ce que Napoléon avait prévu arriva en partie. Ottenfels ne reparut point. Ainsi se termina cette négociation qui peut-être aurait réalisé bien des espérances, si M. Fouché ne l'eût point fait échouer. Fleury fait observer au cours de son récit que l'Angleterre, dans le mémorandum du 27 avril, et l'Autriche, dans la déclaration du 9 mai, avaient dit qu'elles ne s'étaient point engagées, par le traité du 29 mars, à rétablir Louis XVIII sur le trône, et que leurs intentions n'étaient point de poursuivre la guerre dans la vue d'imposer à la France un gouvernement quelconque. C'étaient les paroles mêmes d'Ottenfels prononcées dans la première entrevue. Napoléon, les ayant retrouvées là, dit un jour à son lever, comme il l'avait déjà dit à Fleury : Eh bien ! messieurs, on m'offre déjà la régence ! Il ne tiendrait qu'à moi de l'accepter. Or Fouché s'empara de ce mot et fit donner une grande publicité aux propositions de Metternich pour diminuer ainsi le nombre des partisans de Napoléon. On voit d'ici le thème. Napoléon était d'un égoïsme odieux, puisqu'il aurait pu assurer à sa dynastie une succession paisible et épargner à la France les horreurs d'une lutte sans merci. Mais ce qu'on ne disait pas, c'est que la question réitérée de Fleury : Que fera-t-on de Napoléon ? n'était toujours demeurée sans réponse. On connait celle que fit l'Angleterre trois mois après.

Fouché avait encore dirigé sur Vienne, et cela d'accord avec l'Empereur, un de ses familiers, M. de Saint-Léon, qui avait porté à Metternich une lettre du même style que la lettre remise à Ottenfels par Fleury. Elle est datée du 23 avril 1815. Elle mérite d'être examinée de près.

Tous les événements, disait Fouché, ont confirmé ce que je vous prédisais il y a un mois. Vous étiez trop préoccupé pour m'entendre. Écoutez-moi aujourd'hui avec attention et confiance. Fouché faisait alors remarquer qu'ils pouvaient tous deux influer puissamment sur les destinées très prochaines et peut-être éternelles de la France, de l'Autriche et de l'Europe. On trompait Metternich sur ce qui se passait et sur ce qu'on préparait. Napoléon d'avait pas seulement pour lui une soldatesque ivre de guerre... L'armée était tirée du sein de la nation tout entière, et la nation se rangeait autour de Napoléon et de son trône. Les Bourbons, réduits à chercher partout la Vendée, ne l'avaient pas trouvée dans la Vendée même. Ils avaient à peine quelques petites bandes tremblantes dans le Midi. Sans doute, Napoléon avait beaucoup gêné la liberté, mais sans la détruire. La gloire était pour la France une compensation : Elle n'a pu supporter l'avilissement où l'avait jetée le gouvernement des Bourbons. Le peuple français veut la paix ; mais si on le force à la guerre, il se croit sûr avec Napoléon de n'être pas humilié ![28]

Fouché discutait alors le refus des puissances de reconnaitre Napoléon et leur volonté, d'obliger la France à choisir un autre prince. Il constatait que cette prétention portait atteinte au droit des gens, et que, de tous les sentiments de la nature, la haine était celui qui paraissait avoir le plus d'empire sur le cœur des rois. La France, d'ailleurs, était prête à se défendre. Avec un million d'hommes elle était résolue à maintenir le chef qui faisait son orgueil : Dans cette guerre, qui sera réellement une croisade contre l'indépendance d'une nation, la contagion des principes de la Révolution française pourra passer chez des peuples trop ignorants et trop barbares encore pour qu'elle serve à leur bonheur. A l'approche de l'empereur Napoléon et de ses armées marchant au feu en chantant la liberté, les rois peuvent être abandonnés de leurs sujets, comme les Bourbons l'ont été par les soldats sur lesquels ils comptaient le plus... Fouché paraissait impatient de connaître au plus tôt les secrets desseins de Metternich. Il désirait entre autres lui faire demander par son agent Saint-Léon ce qu'on pourrait faire et obtenir en adoptant le duc d'Orléans. M. Fouché, dit Pasquier qui rapporte ce fait[29], voulait avoir plusieurs cordes à son arc. Il avait remis à M. de Saint-Léon une lettre que celui-ci avait cachée dans la selle d'un harnois. Il ne la remit pas dans le premier moment et voulut, sur sa simple parole ; trancher du négociateur. Mais, voyant que ce qu'il pouvait dire dé son chef était peu écouté, il se décida enfin à remettre la lettre dont il était porteur. Talleyrand, faisant part de cette missive à Metternich, le prit sur le ton léger. Il dit que Saint-Léon était un agent bénévole de M. Mollien, et il ajouta même e un peu de mes affaires y. Il fit croire que cet agent était venu avec des intentions menaçantes de la part de Napoléon ; toutefois il se hâta de déclarer : Saint-Léon est un fort bon et galant homme, mais qui entend les affaires politiques à peu près comme Dupont de Nemours, que l'on m'enverrait sûrement aussi, s'il n'était pas parti pour l'Amérique[30]. Le chancelier Pasquier est dans le vrai quand il conclut ainsi : a Toutes ces menées, toutes ces intrigues ne devaient conduire à rien, la situation étant de celles qui. ne se dénouent que sur les champs de bataille.

Il ressort cependant bien des choses importantes de l'affaire d'Ottenfels. On y trouve d'abord la preuve de la trahison évidente de Fouché, trahison que l'Empereur finit par reconnaitre et ne sut pas châtier[31]. Il subissait ainsi la faute d'avoir repris un pareil misérable, faute dont souffrira bientôt Louis XVIII lui-même. On peut constater ensuite que les entrevues de Bâle ont amené, par contre-coup, le rapprochement définitif de Talleyrand et de Fouché, et leur union étroite dans les mêmes intrigues et les mêmes complots. Mais c'est. Fouché qui, cette fois, devait paraître le plus en avant, précipiter, dès Waterloo, la chute de l'Empereur, lui refuser tout moyen de tenter un effort suprême, envoyer des émissaires à Gand, puis les désavouer cyniquement, tromper à la fois les royalistes, les libéraux et les bonapartistes, enfin revenir comme pis aller aux Bourbons. Louis XVIII acceptera ses services et fera, comme on l'a dit, le plus cruel sacrifice qu'ait fait un frère et un roi.

Il faudrait être bien naïf pour croire que Fouché ait un seul moment regretté ses palinodies et les trahisons qui ont signalé sa conduite. Il s'en félicita, au contraire, devant Fleury de Chaboulon. Il lui dit un jour qu'il avait prévu que Napoléon ne pourrait se soutenir, et qu'il avait dû préférer le bien de la France à toute autre considération !... M. Thiers, ajoutant un peu trop de confiance aux Mémoires de Lavalette, a reproché à l'Empereur d'avoir dit crûment à Fouché ce qu'il pensait de lui et d'avoir provoqué ainsi une défection irrémédiable. L'entretien du 25 mars avec Pasquier prouve suffisamment que le duc d'Otrante était déjà résolu à trahir Napoléon, puisque cet entretien précède d'un mois l'affaire d'Ottenfels.

Après les diverses intrigues que cette affaire a révélées, il convient encore de faire remarquer la manière dégagée avec laquelle la maison d'Autriche et son premier ministre y traitaient les Bourbons. Si la France veut leur retour, ce ne sera qu'en vertu d'un nouveau pacte. Ils devront éloigner les émigrés et changer de politique. Si la France aime mieux le duc d'Orléans, les puissances serviront d'intermédiaire pour engager le Roi et sa ligne à se désister de leurs prétentions... Voilà ce qui s'appelle malmener le principe sacré de la légitimité, qui avait été si hautement invoqué au congrès de Vienne ! Enfin, l'Autriche va jusqu'à dire que si la France désire la régence, elle ne s'y refusera pas. Et bientôt l'Autriche offrira elle-même cette régence, oubliant tout à fait les Bourbons, dont elle avait paru, au retour de l'île d'Elbe, vouloir défendre les droits. Le généralissime de la coalition, le prince de Schwarzenberg, était d'accord avec Metternich pour traiter le Roi et les princes avec un dédain vraiment inouï. Ainsi, le 12 mai 1815, Schwarzenberg osait écrire à Metternich[32] : Comment voudrait-on persuader aux Français que Louis XVIII est l'homme qu'il leur faut, tandis que son état de décrépitude ne leur assure pas une année de règne ? Serait-ce l'imbécile d'Angoulême ou le ridicule Berry qui doit leur offrir la perspective d'un brillant règne ? Schwarzenberg pensait bien que Metternich déterminerait Fouché à préférer le duc d'Orléans, qui serait toujours plus homogène à la France actuelle. Mais il fallait avant tout, suivant Schwarzenberg, faire disparaître Napoléon de la scène qu'il n'a que trop longtemps souillée de sa présence outrageante pour l'humanité[33]. Puis, revenant aux Bourbons qu'il honore des mêmes injures : Ces gens-là, dit le généralissime, ne sont plus faits pour régner. Il me semble que nos baïonnettes peuvent les mettre sur le trône, mais jamais elles ne parviendront à les y soutenir. Cette constatation prouvait qu'il fallait choisir d'autres chefs pour la France, après avoir renversé ce Napoléon dont on redoutait toujours la popularité.

Metternich était de cet avis. Le premier prétendant venu, pourvu qu'il ne fût pas jacobin, ferait probablement l'affaire. Puis le hasard arrange les choses même les plus difficiles. Ne savait-on pas, d'ailleurs, que l'empereur Alexandre ne cachait point ses sympathies pour le duc d'Orléans ?... En se prononçant trop nettement pour telle ou telle résolution, les alliés pouvaient craindre de maintenir autour de l'usurpateur des hommes utiles à sa politique. L'Angleterre, il est vrai, par l'organe de lord Clancarty, paraissait devoir soutenir le souverain légitime ; mais elle se heurtait à une telle opposition de la part du tsar, qu'elle se décidait, elle aussi, à attendre les événements.

Talleyrand, qui informait exactement Louis XVIII, lui faisait entendre que le moyen.de. se concilier l'Europe serait de composer un ministère où chaque parti trouvât des garanties. En résumé, les alliés déclaraient que la présence de Bonaparte était incompatible avec le maintien de la paix en Europe, mais, en même temps, qu'ils ne cherchaient pas à imposer à la France l'obligation de prendre telle ou telle dynastie. Au fond, chacun agissait dans son intérêt ; nul n'était sincère. Telle était la situation en mai 1815. Il fallut que Marie-Louise, à qui Alexandre avait lui-même offert la régence, refusât formellement de retourner en France ; il fallut que le duc d'Orléans déclinât les propositions secrètes de Fouché et de Talleyrand ; il fallut enfin que la possibilité d'une sorte de gouvernement fédératif ou républicain causât la plus grande frayeur à Metternich et aux Anglais, pour que Louis XVIII retrouvât quelques chances de ressaisir le pouvoir. Mais à quelles conditions ?... Wellington imposa Fouché, et Metternich, Talleyrand. Les alliés, oubliant leur serment de ne faire la guerre qu'à Bonaparte, allaient rançonner impitoyablement la France, comme si elle était encore gouvernée par leur pire ennemi.. Il convient cependant de reconnaître — et ce n'est que simple équité — que le. Roi, secondé par le duc de Richelieu, montra le plus grand courage et la plus grande dignité au milieu de formidables épreuves[34], car même vaincue, quand elle a un chef qui la comprend, il faut toujours compter avec la France.

Tout me porte à croire que, si Marie-Louise avait exercé la régence avec un conseil imposé par les alliés, la France n'aurait pas tenu la noble attitude qui, sans pouvoir venir à bout de toutes les exigences de l'Europe, imposa du moins le respect. On voit par le récit détaillé de la mission d'Ottenfels que M. de Metternich a eu tort de ne considérer cette mission que comme un incident. C'était quelque chose de plus en effet : c'était une forte intrigue. Elle a prouvé que l'empereur d'Autriche et son premier ministre étaient, en avril 1815, de concert avec Fouché, prêts à toutes les propositions, disposés à toutes les éventualités, tant était grande encore la terreur que leur inspirait Napoléon.

 

 

 



[1] 13 avril 1815, Mémoires, t. III.

[2] Il s'agissait du baron François d'Ottenfels-Gschwind, qui avait pris le pseudonyme de Werner pour s'entendre à Bâle, au nom de Metternich avec un affidé de Fouché.

[3] Le Consulat et l'Empire, t. XIX.

[4] Pour en avoir une certitude complète, il suffit de lire les lettres que M. de Jaucourt adressait de Paris à M. de Talleyrand pendant son ambassade à Vienne. Ainsi, examinant un jour la manière dont les affaires avaient été conduites depuis la rentrée du Roi en 1814, M. de Jaucourt faisait cet aveu : Grand Dieu ! quel chemin nous avons parcouru depuis ce temps-là !... Il faut le dire en un seul mot : il conduisait à l'île d'Elbe. (Affaires étrangères, Vienne.)

[5] Lettre du 28 septembre 1814 (Affaires étrangères, Vienne, vol. 681), publiée par M. PALLAIN, Correspondance de Talleyrand et de Louis XVIII.

[6] Il avouait en même temps qu'il correspondait avec M. de Metternich. Ainsi il donnait au chancelier autrichien des détails sur la France et l'Europe, en formant entre autres le vœu que la Belgique revînt à l'Autriche comme un hommage rendu à une possession séculaire interrompue seulement depuis une vingtaine d'années. — M. de Méneval a eu connaissance des lettres de Fouché à Metternich par le comte Aldini, auquel le chancelier les avait communiquées.

[7] On a dit qu'au lendemain de l'abdication de Napoléon, Marie-Louise avait fait dresser un acte authentique par lequel elle protestait, au nom de son fils, contre cette abdication et réservait ses droits au trône. Une copie de cet acte aurait été communiquée à Regnaud de Saint-Jean d'Angély. — Méneval, Bausset, et les contemporains à même de connaître cet important détail, n'en disent rien. J'incline à croire que cet acte a été composé, lui aussi, à Paris, par les derniers partisans de Napoléon. Au commencement de 1815, deux mois avant le retour de l'ile d'Elbe, on fit imprimer une quantité prodigieuse d'exemplaires de cette protestation pour les distribuer avec profusion dans toutes les casernes et tous les corps de garde de France, afin de connaître les sentiments des soldats. Ils furent tels que les conjurés le désiraient. (Voir Fouché de Nantes, 1818, in-18.)

[8] Les journaux de Paris ont annoncé la prochaine arrivée de l'archiduchesse Marie-Louise en France. Il serait bien désirable de donner la plus grande publicité aux faits qui démentent cette assertion. (Blacas à Talleyrand, 16 avril.)

[9] Napoléon à l'archichancelier : 18 avril 1815. Nommez une commission de magistrats sûrs pour lever le séquestre et faire l'inventaire des papiers qu'on trouvera chez le prince de Bénévent et dans la maison des autres individus exceptés de l'amnistie par un décret de Lyon. On m'annonce qu'on trouvera des papiers importants. Nommez des hommes sûrs. (Archives nationales, AFIV 907, Minutes des lettres de Napoléon.)

[10] Voir dans les Mémoires du chancelier Pasquier, t. III, p. 170 à 173, ce très intéressant entretien.

[11] Mémoires de Metternich, t. I ; Autobiographie, p. 207.

[12] Mémoires du chancelier Pasquier, t. III.

[13] Napoléon a dû se dire qu'il ne trouverait pas plus de papiers en 1815 qu'il n'en trouva chez Fouché en 1810, lorsqu'il le remplaça par Savary et qu'il ordonna des perquisitions en son hôtel.

[14] Minutes des lettres de Napoléon. Archives nationales AFIV 907.

[15] Mémoires pour servir à l'histoire de la vie privée, du retour et du règne de Napoléon en 1815.

[16] Archives nationales, AFIV 907.

[17] L'île d'Elbe et les Cent-jours. — M. de La Valette, dans ses Mémoires, raconte une scène violente que Napoléon fit à Fouché à ce sujet. Je veux bien y croire, mais avec quelques restrictions, car La Valette, qui s'était caché pour l'entendre, reparaissait un peu trop tôt pour recevoir les confidences de Fouché à ce sujet.

[18] Cette déclaration est, je le répète, identique à celle qu'Alexandre faisait en 1804 à Novossiltzof, ex-ambassadeur à Londres. (Voyez le Temps du 8 septembre 1895, Les Plans de la condition en 1804, par M. Albert SOREL.) Ces déclarations sont aussi sincères l'une que l'autre.

[19] Voyez Mémoires de Metternich, t. II, p. 514 à 518.

[20] Mémoires de Metternich, t. II.

[21] Voir Mémoires pour servir à l'histoire de Napoléon en 1815. — Et voici comment Metternich en rend compte : Les agents se rencontrèrent à Bâle à l'heure fixée et se séparèrent après une courte entrevue, parce qu'ils n'avaient rien à se dire. Il semblerait, d'après le chancelier, qu'ils ne s'étaient fait aucune communication importante, et que, sans avoir dit autre chose que des banalités, chacun s'en était tenu là.

[22] Mémoires de Pasquier, t. III, p. 190. — Fouché amena si bien le dénouement que deux mois après il siégeait dans le conseil du Roi auprès de M. Pasquier.

[23] J'aurais dû le fusiller, a dit Napoléon à Sainte-Hélène ; j'ai fait une grande faute de ne pas le faire. (MONTHOLON, t. II.)

[24] Mémoires pour servir le l'histoire de Napoléon en 1815, t. II, p. 32.

[25] Comment cette proposition peut-elle cadrer avec cette parole de l'empereur Alexandre à lord Clancarty : Je me suis assuré que l'Autriche, de son côté, ne songe plus à la régence et ne la veut plus. (Lettre de Talleyrand à Louis XVIII, 23 avril.) — Et, d'autre part, comment cela s'arrange-t-il avec les déclarations de Gentz (Dépêches inédites), qui assure que l'empereur d'Autriche n'avait aucun goût pour la régence et Napoléon II ?... Ce n'était donc que momentanément, pour tromper les Français et arriver à se débarrasser de Napoléon, que les alliés paraissaient favorables à la régence, car François II n'aurait jamais osé, sans leur adhésion, présenter cette combinaison. Tout cela montre bien que, de part et d'autre, on cherchait à se duper.

[26] On voit que Montrond était aussi bien, en allant à Vienne, l'agent de Fouché que celui de l'Empereur. Et c'est lui qui, sans aucun doute, avait préparé la mission d'Ottenfels en demandant de vive voix à Metternich si l'Autriche contiendrait la régence succédant à l'abdication, volontaire on forcée, de Napoléon.

[27] Mémoires de Lavalette, t. II. — Les Mémoires de Fouché reproduisent un petit discours de Carnot pour dissuader l'Empereur de faire fusiller Fouché. Cette générosité servit peu à Carnot, car, à la seconde Restauration, Fouché s'empressa de le placer sur les listes de proscription.

[28] Il faut remarquer que c'était le thème de Fleury dans la première entrevue avec Ottenfels.

[29] Mémoires de Pasquier, t. III.

[30] Correspondance de Talleyrand et de Louis XVIII, publiée par M. PALLAIN, p. 380.

[31] Napoléon disait plus tard à Montholon : Je pouvais sauver ma couronne en lâchant la bride aux ennemis du peuple contre les hommes de la Restauration. Je ne l'ai pas voulu. Vous vous rappelez, lorsqu'à la tête de vos faubouriens, vous vouliez faire justice de la trahison de Fouché et proclamer une dictature. Je vous ai refusé, perce que tout mon être se révolte à la pensée d'être le roi d'une Jacquerie.

[32] Œsterreichs Theilnahme an der Befreiuns-Kriege, von F. von GENTZ.

[33] Qu'on se rappelle les platitudes et les génuflexions du même Schwarzenberg lors du mariage en 1810 et de l'entrevue de Dresde en 1812, et que l'on compare avec les insultes qui précèdent !

[34] Voir à ce sujet Une lettre du Roi, publiée par moi dans la Revue des études historiques, année 1893. — Napoléon, s'étonnant à Sainte-Hélène de voir qu'un esprit aussi supérieur que Louis XVIII eût employé un traître comme Fouché, disait du duc de Richelieu : A la bonne heure ! celui-là, je le comprend, il ne sait rien de notre France, mais c'est l'honneur personnifié, c'est un bon Français ! (Mémoires de Montholon, t. I.)