LE MARÉCHAL NEY - 1815

 

CHAPITRE VIII. — LES EXIGENCES DES ALLIÉS. - L'ORDONNANCE DU 12 NOVEMBRE ET LA SÉANCE DU 13.

 

 

Il ne faudrait cependant pas être injuste pour le duc de Richelieu et oublier qu'au moment où il prenait la lourde responsabilité de requérir un arrêt inexorable contre le maréchal Ney, il avait la charge écrasante de négocier la paix avec les alliés. Leurs exigences étaient telles qu'il y avait de quoi déconcerter l'esprit le plus avisé et d'épouvanter le cœur le plus affermi. L'Europe se dévoilait enfin. Elle montrait avec cynisme le dessein qu'elle avait si habilement caché, c'est-à-dire le morcellement, l'émiettement de la France. Ainsi, non seulement elle voulait le châtiment rigoureux de ceux qui, suivant elle, avaient fait le 20 mars et l'avaient troublée à Vienne à l'heure où elle achevait de se partager à sa fantaisie les peuples et les territoires, mais encore elle exigeait de la France, qui se croyait son alliée, des sacrifices de frontières et d'argent inouïs. Je veux et je dois m'arrêter un instant à contempler son attitude, car elle ne fera que souligner l'odieux de la condamnation réclamée contre le maréchal Ney.

Déjà M. de Talleyrand, alors qu'il occupait encore le poste de ministre des affaires étrangères, avait gémi sur la manière dont les puissances traitaient le Roi, leur auguste allié. Le vol des tableaux et des statues du Louvre, opéré sur l'ordre de Wellington, l'avait bouleversé. Ces façons de pirate avaient un motif évident : celui, disait-il, de nous apprendre que nos libérateurs n'étaient pas tellement nos alliés qu'ils ne pussent très justement exercer sur nous tous les droits de la conquête, et de nous préparer aux demandes que les alliés méditaient, mais qu'ils étaient embarrassés de produire[1]... Je comprends la stupéfaction de celui qui avait fait signer aux divers plénipotentiaires à Vienne l'engagement de s'armer pour secourir le roi de France, leur allié. Il ne pouvait se consoler de voir des hordes étrangères commettre sur notre sol les plus scandaleuses exactions. Louis XVIII en avait été plus ému encore que lui. Il avait adressé aux puissances une protestation qui sera pour sa mémoire un éternel honneur. La conduite des armées alliées, disait-il, réduira incessamment mon peuple à s'armer contre elles à l'exemple des Espagnols. Plus jeune, je me mettrais à leur tète, mais si l'âge et les infirmités ne me le permettent, au moins je ne veux pas sembler conniver aux violences dont je gémis. Je suis résolu, si je ne puis obtenir justice, à me retirer de mon royaume et à demander asile au roi d'Espagne. Si ceux mêmes qui, après la capture de l'homme auquel seul ils avaient déclaré la guerre, continuent à traiter mes sujets en ennemis et qui doivent par conséquent me regarder comme tel, veulent attenter à ma liberté, ils en sont les maîtres. J'aime mieux rester dans une prison qu'aux Tuileries, témoin passif du malheur de mes peuples (2) ![2] C'était là un langage de Roi. Rapprochez cette lettre de celle du 23 septembre 1815, où Louis XVIII dit à Alexandre au sujet du démembrement que méditaient les alliés : Si la France n'avait plus à espérer la révocation de l'arrêt qui a pour but de la dégrader, si Votre Majesté demeurait inflexible et qu'elle ne voulût point employer auprès de ses augustes alliés l'ascendant que lui donnent ses vertus, l'amitié et une gloire commune, alors je n'hésite plus à vous l'avouer, je refuserais d'être l'instrument de la perte de mon peuple et je descendrais du trône plutôt que de condescendre à ternir son antique splendeur par un abaissement sans exemple ! Pozzo di Borgo dit que cette lettre fut concertée entre Alexandre et Louis XVIII pour empêcher le démembrement de la France, et que c'est lui, Pozzo, qui l'a rédigée[3]. Que l'ambassadeur russe, parlant au Roi de la bienveillance de son maître et sachant que la Russie avait intérêt à compter sur une France assez forte pour contenir ses voisins, cherchant en outre à soustraire la France à l'influence de l'Angleterre, ait suggéré l'idée d'écrire à Alexandre et de négocier sur la base de l'occupation temporaire, soit ; mais ce n'est pas lui qui a rédigé la lettre, car c'est le style même, ce sont les pensées mêmes de Louis XVIII. Pozzo a écrit sous la dictée du Roi. Étudiez, comparez les deux lettres du 21 juillet et du 23 septembre 1815, et voyez si ce n'est pas le même esprit et la même main. J'ajoute : le même cœur, car ces deux lettres relèvent singulièrement l'attitude si faible du Roi dans l'affaire du maréchal Ney.

Mais, pour dissiper tous les doutes, je tiens à rappeler que dès l'année 1800, dans ses instructions remises au comte de Saint-Priest, Louis XVIII protestait déjà contre les vues de démembrement de la France prêtées à François II. Il pensait qu'il était nécessaire à l'Empereur et Roi de s'en disculper. Il demandait la publication d'un manifeste par lequel Sa Majesté Impériale et Royale déclarerait qu'elle n'est armée que pour assurer le repos de l'Europe en rendant à la France cette monarchie qui la fit prospérer pendant tant de siècles ; qu'elle ne prétend rien prendre ni posséder du territoire français, tel qu'il a été fixé par le traité d'Aix-la-Chapelle en 1748 et les conventions subséquentes antérieures à l'année 1789 ; et que si ces promesses avaient besoin d'un garant, elle n'en peut offrir un meilleur que la présence du roi de France lui-même. Et dans la note remise à M. de Saint-Priest à la même date (26 mai 1800), Louis XVIII disait : Si pour faire une frontière aux Pays-Bas, on demandait la cession de quelques places, M. de Saint-Priest déclarerait qu'il est impossible d'y consentir : 1° parce que ce serait un déshonneur, et qu'assurément je ne sacrifierais pas au désir de régner le seul bien qui me reste, celui que nul homme, excepté moi, ne saurait me ravir : l'honneur ; 2° parce que cette mesure, une fois connue en France, me dépopulariserait entièrement. Si, malgré toutes ces raisons, le ministre autrichien s'obstinait jusqu'à faire de la cession de la moindre bicoque en France une condition sine qua non, M. de Saint-Priest n'aurait plus qu'à demander ses passeports pour venir me retrouver[4]. Ainsi quinze ans auparavant et sans avoir besoin d'un Pozzo di Borgo, Louis XVIII disait à peu près, et dans des termes semblables, ce qu'il dira à M. de Talleyrand, aux plénipotentiaires alliés, à l'empereur Alexandre. Cette politique, qui chez lui a toujours été la même, explique pourquoi l'Europe s'est montrée longtemps indifférente à la restauration de Louis XVIII. A quoi bon rendre le pouvoir à un roi qui se montrait si patriote et si peu complaisant ?... Le loyal Hyde de Neuville a eu raison de rendre un éclatant hommage à la noblesse de Louis XVIII et de déclarer qu'il fut aussi digne dans l'adversité que sur un trône renversé deux fois, sans qu'on ait pu ébranler son courage et sa fermeté[5].

Mais les alliés se soucient peu des protestations du Roi. Kneseheck avait osé écrire confidentiellement à Wellington, dès le 13 août 1815 : Avec une telle nation, les garanties morales n'existent pas, et il faut avoir recours à d'autres mesures pour espérer qu'elle restera tranquille[6]. Aussi les Anglais avaient-ils commencé par nous prendre nos objets d'art, pour nous donner, disait leur chef, une grande leçon de morale ! Les alliés se décident à faire des ouvertures de paix. On confirmera le traité de Paris, mais on rectifiera les frontières. La Belgique ira aux Pays-Bas, la Savoie à la Sardaigne ; les places fortes de Condé, Philippeville, Marienbourg, Givet, Sarrelouis et Landau cesseront d'être françaises ; les fortifications de Huningue seront démolies. Puis la France payera huit cents millions d'indemnité et subira une occupation étrangère de cent cinquante mille hommes pendant sept ans, à ses frais, dans le Nord et dans l'Est. Enfin, l'Alsace et la Lorraine reviendront à la Prusse. C'est contre ces monstrueuses exigences que le Roi s'était élevé. Talleyrand ne pouvait cacher sa surprise. Cependant, on vivait dans un temps où il importait d'affermir la confiance dans la parole des rois. Il proteste à son tour. On ne l'écoute pas. Le ministre des affaires étrangères ne voit point qu'il a lui-même, avec toutes ses intrigues, perdu la confiance des alliés. Il va trouver Louis XVIII pour se plaindre d'être circonvenu par la faction émigrée, qui voudrait qu'on négociât quand même. Il offre sa démission. A son grand étonnement, elle est acceptée. Le Roi, dit-il, l'accepta de l'air d'un homme fort soulagé. Ma retraite fut aussi un soulagement pour l'empereur de Russie, qui me faisait l'honneur de haïr dans ma personne l'homme qui savait profondément à quoi s'en tenir sur la générosité de son caractère, sur son ancien libéralisme, sur sa dévotion récente. II lui fallait une dupe, et je ne pouvais l'être. Le fin diplomate ne voulait pas admettre qu'il lui était désormais impossible d'agir sur la Russie, lui qui avait combattu sa politique et signé contre elle le traité secret avec l'Autriche et l'Angleterre ! Devant l'irritation des alliés, a justement dit M. Albert Sorel, la passion des Allemands, l'impatience générale de l'Europe, avec une France vaincue, étourdie, s'abandonnant elle-même, il fallait plus que de la finesse, du tact, de l'impassibilité, il fallait ce que Talleyrand ni Fouché n'avaient jamais possédé : le caractère[7]. Le Roi choisit alors le seul homme qui fût l'ami d'Alexandre et pût obtenir, grâce à lui, des concessions des alliés. M. de Talleyrand ne lui ménagea pas les pointes. Il raillait le lieutenant général russe, l'ancien gouverneur d'Odessa, le duc de Richelieu, très bon homme assurément, mais novice en diplomatie et tant soit peu crédule. Persuadé qu'entre les images de la Divinité sur la terre, il n'y en avait pas de plus belle et de plus cligne que l'empereur Alexandre, il n'imagina rien de mieux, en se chargeant des affaires de la France, que d'aller implorer les lumières et l'appui de ce prince[8]. Quant à lui, il quittait les affaires avec une colère peu déguisée. Elle fit bien rire Monsieur, à qui l'on prête ce mot très spirituel : Il s'est trompé de route. Il aurait dû, à notre arrivée, arranger ses affaires avec le Pape. Il serait rentré dans l'Église et on l'aurait fait cardinal !

Le duc de Richelieu aborda une situation effrayante avec courage, avec dévouement. Il obtint, grâce à la lettre du Roi, des adoucissements aux exigences primitives. Cent millions de diminution sur l'indemnité de guerre, réduction des sept années d'occupation à cinq et même à trois. Il sauva ensuite Givet, Condé, Charlemont, les forts de l'Écluse et de Joux, Huningue, l'Alsace et la Lorraine. Et ce fut dans ces conditions qu'il consentit à signer le fameux traité de Paris, non sans se désoler des sacrifices terribles qu'il imposait. M. de Barante nous dit qu'après la signature il apparut bouleversé. Il jeta son chapeau, et se plaçant sur une chaise autour de la table verte, se prit la tête dans les deux mains comme un désespéré : Eh bien ! c'est fini, s'écria-t-il, le Roi me l'a ordonné. On mérite de porter sa tête sur l'échafaud, quand on est Français et qu'on a mis son nom au bas d'un pareil traité ! Rien ne pouvait le calmer. Il pleurait de douleur et de rage[9]. Puis, le lendemain, il écrivit à M. Decazes : Tout est consommé. J'ai apposé hier, plus mort que vif, mon nom à ce fatal traité. J'avais juré de ne pas le faire et je l'avais dit au Roi. Ce malheureux prince m'a conjuré en fondant en larmes de ne pas l'abandonner, et, dès ce moment, je n'ai plus hésité... Devant un tel courage, devant une telle preuve de patriotisme, on doit être indulgent pour le duc de Richelieu et lui pardonner la phrase si regrettable de son discours du 11 novembre. Il lui resta un souvenir glorieux de ces terribles négociations, la carte de la France où se trouvaient marqués les sacrifices énormes que les alliés auraient voulu nous imposer. L'empereur Alexandre la lui remit un jour en lui disant aimablement : Voilà, mon cher duc, à quoi nous avons échappé ![10]

Mais le traité de Paris, que les Chambres allaient approuver, renfermait, à l'insu de ses signataires, une clause favorable au maréchal Ney. L'article 11 était ainsi conçu : Le traité de Paris du 30 mai 1814 et l'acte final du congrès de Vienne du 9 juin 1815 sont confirmés et seront maintenus dans toutes celles de leurs dispositions qui n'auraient pas été modifiées par les clauses du présent traité. Or, l'un des articles maintenus du traité du 30 niai 1814, l'article 19, contenait ces dispositions : ... Aucun individu, de quelque classe et condition qu'il soit, ne pourra être poursuivi, inquiété et troublé dans sa personne ou dans sa propriété sous aucun prétexte, ou à cause de sa conduite ou opinion politique, ou de son attachement soit à aucune des parties contractantes, soit à des gouvernements qui ont cessé d'exister, ou pour toute autre raison. On verra bientôt que cette clause formelle de salut, pas plus que l'article 12 de la capitulation de Paris, ne pourra être invoquée utilement par les défenseurs du maréchal, tant on avait résolu de le condamner, sans recours comme sans pitié !

 

Ceux qui auraient pu réprimer ou adoucir les passions déchaînées donnaient l'exemple de l'emportement. Tous les contemporains nous apportent, sur la fièvre de haine et de vengeance qui dominait à cette époque, des renseignements douloureux. Charles de Rémusat lui-même reprochait aux femmes leur attitude déplorable au sujet de la condamnation inévitable du maréchal : Il ne faudrait pas, observait-il, que de petites clames, au coin de leur feu, levassent leurs yeux bleus au ciel en disant : Quelle douce satisfaction ! Et sa mère lui répondait : Je suis comme vous en colère contre toutes ces femmes tant à yeux bleus qu'à yeux noirs. Dès qu'un malheureux coupable est sous le poids de la justice, il faut se taire, l'abandonner au tribunal qui doit en décider et à Dieu qui peut-être souvent a cassé plus d'un jugement des hommes... Je voudrais qu'on persuadât aux femmes que ces passions haineuses les défigurent beaucoup. En vérité, mon ami, l'amour leur irait beaucoup mieux, et, passion pour passion, la haine doit les mener plus sûrement en enfer[11].

Il faut croire que les violences des ultras étaient bien Grandes, puisque, suivant le duc de Broglie, elles rappelaient trait pour trait les plus mauvais jours de la Convention nationale. M. de Barante ajoute que les ultra-royalistes étaient dans un véritable état de rage, et qu'il aurait fallu au gouvernement de Louis XVIII une prudence très clairvoyante et une grande énergie pour arracher à la mort le maréchal Ney[12]. Duvergier de Hauranne affirme qu'il fallait vivre à cette époque pour se faire une idée de l'émotion, de l'indignation que l'arrêt du conseil de guerre avait suscitées dans tous les salons : On eût dit qu'une vaste conspiration venait d'être découverte et qu'une révolution nouvelle était à la veille d'éclater. Certaines femmes surtout, à la seule pensée que Ney pouvait échapper à la mort, tombaient dans des accès de colère ou de douleur qui faisaient frissonner[13]. M. de Viel-Castel signalait une fermentation effrayante. Quelle férocité jusque dans les femmes ! s'écriait Benjamin Constant. Les mots qu'elles ont trouvés possibles à prononcer me sont impossibles à écrire[14]. Il aurait dû se rappeler lui-même que, voulant sauver Labédoyère, il avait désigné le maréchal Ney comme beaucoup plus coupable. Mais Benjamin Constant n'avait guère plus de mémoire que de jugement... M. Guizot rapporte les mêmes faits dans ses Mémoires, et il regrette que ces égarements d'idées et de langage n'aient pas été un grave avertissement pour le Roi. Tant de fureurs causaient un préjudice énorme au gouvernement, qui ne les réprimait pas, et â la Chambre des pairs, qui allait leur donner satisfaction par un verdict implacable. Dans cette circonstance solennelle, a dit l'illustre homme d'État, le pouvoir ne sut pas être grand, seul moyen quelquefois d'être fort[15]. L'ardent et généreux Hyde de Neuville déplorait que ses amis fussent trop enclins aux moyens de sévérité qui devaient retomber si malheureusement sur le gouvernement du Roi. Enfin, Lamartine, parlant des inexorables passions de cour, dit que la vie accordée au héros de la Bérézina semblait un larcin fait au droit de représailles. Il atteste, comme tant d'autres, que des femmes du plus haut rang, jeunes, belles, riches, comblées des dons et des faveurs de la fortune, de titres et de dignités, intriguaient pour enlever parmi les juges de Ney une voix à l'indulgence. Nous avons vu nous-même, déclare-t-il, avec une tristesse étonnée, les courses, les supplications, les mains jointes, les sourires de ces femmes mendiant des concessions qu'elles imploraient pour la satisfaction de leur haine ![16]

Eh quoi ! les leçons d'un passé encore récent n'avaient donc servi à rien ? Fallait-il que des femmes d'une naissance et d'une distinction suprêmes ressentissent, elles aussi, les âpres fureurs de ces créatures qui, hurlant autour de la machine révolutionnaire, ajoutaient par leurs gestes et leurs cris monstrueux à l'effroi des victimes ? Comment s'étonner des appétits féroces de la vile multitude, quand une aristocratie élégante se montrait avide de sang ? Comment s'étonner des massacres du maréchal Brune et du général Ramel ? On arrête maintenant, on se dénonce, on se poursuit, et il plane ici une sorte de Terreur, écrivait, de Toulouse, à son fils, Mme de Rémusat. Et, quelques jours après, elle ajoutait avec une réelle angoisse : Nos prisons sont encombrées au point de craindre des maladies, et les moyens de les vider que quelques-uns conçoivent, font frémir ! La haine qui poursuivait le maréchal Ney était redoublée par celle qu'on portait à Napoléon. Faute de ne pouvoir se venger sur l'usurpateur, on s'en prenait à son premier lieutenant[17]. On avait perdu le sentiment de la justice impartiale et sereine. C'était la hache en main que les sectaires de 1793 avaient travaillé sur la matière humaine ; c'était les ordonnances en main que les exaltés de 1815 allaient travailler à leur tour. Ainsi se réalisait l'expression saisissante, du grand historien : Utque antehac flagitiis, ita tunc legibus laborabatur[18].

 

J'ai rapporté plus haut l'impression causée par le discours du président du conseil. Mais la Chambre des pairs avait été encore plus émue par la légèreté avec laquelle le duc de Richelieu et le ministère avaient parlé de son organisation judiciaire. Les magistrats qui s'y trouvaient n'avaient pas caché leur surprise, en entendant dire que le règlement de la Chambre était aussi bon pour juger un homme que pour juger une affaire parlementaire. Ils n'admettaient pas, et beaucoup de leurs collègues étaient de cet avis, que la Chambre ne fût pas organisée comme un vrai tribunal. Libre à M. Lainé et au gouvernement de croire que les formes suivies dans l'examen des projets de loi étaient assez solennelles et assez rassurantes. Eux, ils ne le pensaient pas. Leur attitude, à ce propos, fut telle que le ministère réfléchit. Le 12 novembre, il n'y avait pas de séance. C'était un dimanche. On le mit à profit. Le procureur général Bellart fut chargé de rédiger une nouvelle ordonnance qui complétait celle du 11 et réglait définitivement les formes que devait suivre la Chambre des pairs dans l'instruction de l'affaire du maréchal Ney. Les considérants de cette ordonnance nouvelle s'appuyaient sur ce motif que le Roi voulait donner à l'ordonnance du II tout le développement nécessaire, et au débat qui devait précéder le jugement, la publicité prescrite par l'article 64 de la Charte.

En voici les principales dispositions. La procédure allait être introduite par le procureur général près la Cour royale. Les témoins seraient entendus et le prévenu interrogé par le chancelier, président de la Chambre des pairs. Procès-verbal serait dressé de tous les actes d'instruction dans les formes établies par le Code d'instruction criminelle. Les fonctions de greffier étaient dévolues au secrétaire-archiviste de la Chambre, qui pouvait s'adjoindre un commis assermenté. Une fois l'instruction close, elle devait être communiquée aux commissaires du Roi, qui dresseraient l'acte d'accusation, lequel serait présenté à la Chambre. Celle-ci décernerait, s'il y avait lieu, l'ordonnance de prise de corps et fixerait le jour des débats. L'acte d'accusation, l'ordonnance de prise de corps et la liste des témoins seraient notifiés à l'accusé par un huissier de la Chambre. Il lui serait également donné copie de la procédure. Les débats devaient être publics. Au jour fixé par la Chambre, l'accusé comparaîtrait, assisté de son conseil. Un des commissaires remplirait les fonctions de ministère public. Il serait ensuite procédé à l'audition des témoins, aux débats, à l'arrêt et à l'exécution de cet arrêt, d'après les formes prescrites pour les cours spéciales par le Code d'instruction criminelle. Néanmoins, si la Chambre le décidait, l'arrêt serait prononcé hors la présence de l'accusé, mais publiquement et en présence de son conseil. En ce cas, il lui serait lu et notifié à la requête du ministère public par le greffier, qui en dresserait procès-verbal[19].

Un pair de France assura, au début de la séance du 13 novembre, que la nouvelle ordonnance de Sa Majesté levait toutes les difficultés, éclaircissait tous les doutes qu'avait pu laisser la première. Le duc de Richelieu remonta à la tribune afin de déclarer que, lui et ses collègues feraient tous leurs efforts pour manquer le moins possible aux séances. Il observa que chaque pair était tenu de suivre les débats, et il réclama l'établissement d'une feuille d'inscription pour constater la présence des votants.

Avant la séance, qui avait commencé à onze heures du matin, le maréchal avait fait distribuer une requête à la Chambre des pairs, où il demandait qu'on recommençât devant la Cour la procédure faite devant le conseil de guerre. Elle avait été incomplète. Des témoins, comme le général comte de Bourmont et le duc de Reggio, restaient à entendre. De plus, le maréchal relevait habilement, dans cette requête, le passage du discours du duc de Richelieu relatif à l'Europe. Certes, je crois, disait-il, que l'Europe a conservé un souvenir amer des nombreuses et éclatantes victoires que les Français ont remportées sur elle. Si c'est là un grief, il est bien fondé, et si nos trophées sont des charges contre moi, le crime de mes victoires est trop évident pour que j'entreprenne de le nier. Mais il ajoutait aussitôt, — était-ce une ironie ? — qu'il osait croire encore à la grandeur d'âme et à la générosité des alliés.

Après les observations du duc de Richelieu sur la réglementation du procès, le président invita le procureur général à lire son réquisitoire.

Me Bellart était un homme de haute taille, au front large et élevé, au nez long et droit, à la bouche serrée, au menton accentué, aux yeux profondément enfoncés sous les sourcils, ce qui donnait, à sa physionomie un caractère très dur. Dès qu'il s'animait, le sang affluait à ses joues grasses et brunes et empourprait ses traits d'une couleur sinistre. Il avait la parole facile, ardente, emphatique. Royaliste exalté, homme rigide, il mettait dans ses réquisitoires une passion sincère, mais trop vive. Fils d'un charron, ayant reçu une instruction sérieuse, il avait manifesté de bonne heure beaucoup de goût pour les études de droit. Il avait appris la procédure chez Pigeau, procureur au Châtelet. Il se fit inscrire au tableau en 1785, et bientôt il plaida avec talent. En 1792, il arracha à une mort probable Dufresne de Saint-Léon, La Coste et Mme de Rohan. Tronchet songea un moment à l'associer à la défense de Louis XVI. Après la Terreur, Bellart accepta les fonctions de chef de bureau dans l'administration de l'intérieur, puis rentra au barreau. Sous le Directoire, il défendit l'internonce Mgr de Salamon, mais avec la crainte de ne pouvoir lui sauver la vie. Le prélat le voyant entrer dans son cachot, l'air consterné, l'interrogea : Hélas ! lui répondit l'avocat, que voulez-vous que je vous dise ?... Quand on n'a pour juges que des hommes faibles et prévenus, il y a tout à craindre !... Ces hommes, plus équitables que les juges de Ney, acquittèrent Salamon[20]. Sous le Consulat, il eut aussi la mission de défendre, ce qui n'était pas une tâche facile, le général Moreau. Je trouve, dans le mémoire justificatif qu'il présenta à cette époque, des passages curieux que le conseil de Ney aurait certainement pu lui opposer : A la nouvelle de l'arrestation du général Moreau et des motifs de cette arrestation, disait-il, tous les esprits ont été frappés d'une consternation profonde. Ils ont dû l'être, car il était coupable, ou bien il était innocent... Était-il coupable ? Quoi ! Moreau, ce soldat modeste, grand seulement à la tête des armées et au milieu des combats, partout ailleurs si simple de manières et de mœurs que ses frères d'armes le surnommaient l'un des hommes de Plutarque !... Était-il innocent ? Que penser alors de ce gouvernement si digne jusque-là de notre confiance et de notre amour, mais qui, s'écartant tout à coup du respect qu'il proclame pour la liberté individuelle, jetait dans les fers l'un de ses premiers guerriers, récompensait par des accusations ce général que consacraient tant de services éminents qu'il a rendus, tant de victoires qu'il a remportées, tant de couronnes civiques à lui dues pour avoir conservé des armées entières, tant de vastes pays qu'il a réunis à l'empire français ?... N'est-cc pas ce que Berryer a déjà dit et va dire encore ?

L'exemple du général Moreau, continuait Bellart, ne prouve que trop bien une grande vérité : parmi ceux que la Providence a condamnés à vivre dans les siècles héroïques, dans ces siècles brillants mais terribles où l'espèce humaine, fatiguée d'un long repos, se livre tout à coup aux désordres d'un mouvement universel, où la face de la terre se renouvelle, où les sociétés se bouleversent avec fracas, où les empires se heurtent, où des trônes s'élèvent, tandis que d'autres s'écroulent, il n'est personne qui puisse assurer qu'un jour il' ne paraîtra pas en accusé !... C'était presque une prophétie. Bellart énumérait ensuite très longuement tous les exploits de Moreau, comme Berryer et Dupin le feront pour Ney, mais, suivant lui, avec trop d'ampleur. Il l'excusait abondamment et il faisait alors de Buonaparte un éloge... Jugez-en. Lui (Moreau), si éloigné de toute jalousie contre les rivaux médiocres que d'inhabiles gouvernements lui ont préférés, il n'a pu Oder envie à ce jeune privilégié que la Providence semblait avoir formé pour être le régulateur d'un grand empire et auquel on peut céder, tant sont encore brillantes les places inférieures à la sienne[21]... Bellart aurait dû se souvenir, de cette plaidoirie et se montrer moins dédaigneux, ou moins impatient, pour les excuses et les circonstances atténuantes invoquées par les défenseurs du maréchal Ney.

Nommé plus tard membre du conseil général de la Seine, il ne fit aucune opposition à Napoléon jusqu'en 1814. A cette date, il s'entendit avec ses collègues du conseil pour essayer de renverser un régime despotique. Le 30 mars, il confère avec M. Gauthier d'Hauteserve dans le but de rédiger une proclamation, vrai réquisitoire contre l'Empereur. Elle rappelait, parmi les griefs reprochés au tyran, la conscription, le célibat forcé de nos filles, la captivité du Pape, les impôts excessifs, et elle proposait de mettre fin à ces vexations et à ces cruautés. L'Europe en armes nous le demande, disait-elle. On remarquera, encore une fois, avec quelle facilité certains esprits faisaient intervenir alors l'étranger dans nos affaires intimes. Bellart et ses amis invitaient les Parisiens à abjurer toute obéissance envers l'usurpateur et à rétablir l'autorité monarchique dans la personne de Louis XVIII. La proclamation est arrêtée dans cette forme par treize membres du conseil. Pérignon, d'Harcourt et moi, rapporte Bellart lui-même, allons sur-le-champ faire part de notre résolution et lire même notre proclamation à M. de Talleyrand, qui était président d'une commission de gouvernement provisoire qui venait de s'établir de fait. Nous y trouvons le prince de Schwarzenberg. M. de Talleyrand les reçoit très froidement. Les délégués fort surpris n'en tiennent pas moins à leur résolution. Le lendemain, 1er avril, les membres du conseil, après avoir signé leur proclamation, courent tout le jour pour la faire insérer dans les journaux. Mais tous, excepté un seul, refusent. Elle paraît le 2 dans les Débats. Bellart ajoute : Le Moniteur n'en a jamais parlé. M. de Talleyrand ne l'a pas voulu. Ce petit fait montre incidemment avec quel enthousiasme le prince de Bénévent, l'auxiliaire de la Providence, a hâté le retour des Bourbons.

La proclamation du conseil général de la Seine attire sur Bellart la vindicte de Napoléon et l'attention bienveillante de Louis XVIII. A la première Restauration, il est nommé conseiller d'État, puis aux Cent-jours il se réfugie en Hollande, et y écrit une apologie de la monarchie légitime. Après le retour du Roi, il est nommé procureur général. Et quand viendront les grands procès politiques, quand surgiront les difficultés et les périls, le Roi lui dira pour l'encourager : Monsieur, vous avez le malheur d'être procureur général, comme j'ai, moi, le malheur d'être Roi !

Dans un récit peu connu, Un voyage aux Pyrénées en 1824[22], je trouve quelques détails fort intéressants fournis par Bellart lui-même sur le procès du maréchal : C'est une chose assez remarquable, dit-il, que ce soit de moi, qui ai été condamné au malheur d'appeler sur la tète de Ney la juste vengeance des lois, qu'il ait reçu le seuil conseil qui eût pu le sauver, s'il eût été assez judicieux pour l'apprécier et pour le suivre. Il rappelle alors la visite que lui avait faite le beau-frère du maréchal et son refus de soutenir sa cause. Il se contente, comme je l'ai indiqué plus haut, de conseiller la comparution au conseil de guerre avec une brève défense personnelle. Et voici celle que Bellart avait improvisée, se mettant à la place du maréchal Ney. Il importe de la lire avec attention, car elle forme une opposition singulière avec ce que le procureur général va dire au cours du procès :

SOLDATS,

En comparaissant devant vous, je dois me souvenir que j'ai l'honneur d'être un soldat. La loyauté est notre première vertu. Même contre nous-mêmes, nous devons la pratiquer toujours. Je ne viens donc pas implorer votre compassion, ni vous demander la vie. Je vous demande la mort. Je l'ai méritée. Mon sang a déjà coulé plus d'une fois pour l'honneur de mon pays ; il faut que le reste s'épuise pour son salut ! Il faut qu'un exemple de sévérité et de justice soit donné, qui apprenne que quand, dans une occasion où il s'agit de la destinée de la patrie, on a trahi ses intérêts, on doit périr !

Je ne viens pas même justifier ma conduite : je viens l'expliquer. J'ai encouru votre blâme et mon sort, mais je ne veux point paraître plus coupable que je ne le suis. En convenant de mon crime, je ne dois pas le laisser exagérer ; j'ai été faible et non perfide. Quand je quittai le Roi qui avait reçu mes serments, je voulais le sauver : je ne le trompais pas. J'allai jusqu'à Grenoble[23] dans ce dessein. Là, je reçus un émissaire de celui qui fut longtemps mon ami et mon maitre. En son nom, on me rappela notre ancienne fraternité d'armes, tant de périls que nous avions partagés, tant d'occasions d'une gloire commune, nos communs drapeaux, nos communes victoires. Je l'avais aimé, je lui devais tout : des derniers rangs de la société, il m'avait fait monter au faite des grandeurs humaines.

Mon cœur fut séduit. Je ne vis plus que la reconnaissance et l'amitié. Ce fut là mon vrai forfait. Il est grand, puisque j'y sacrifiai ma patrie. Que ma patrie se venge, cela est juste ! Mais quand cette justice sera accomplie, que mes anciens camarades, en détestant ma dernière action, ne la jugent pas plus atroce qu'elle ne fut, et qu'ils réservent quelques pleurs à ma mémoire !

 

Bellart plaidait alors la sincérité du maréchal, et il attribuait sa faute à l'égarement, ce que feront plus tard les avocats de Ney. Et tout à l'heure il qualifiera de factice l'indignation que le maréchal manifesta le 7 mars devant le Roi !... Ici, il ajoute que Gamot se retira persuadé qu'il fallait le défendre ainsi. Un mois s'écoula. Je fus nommé  procureur général. Gamot alla chercher d'autres conseils. Ils ne virent dans le procès de Ney qu'un procès ordinaire. Ils lui soufflèrent des arguties. Ney les adopta et périt. En voilà trop sur ce sujet !... Le refus de défendre le maréchal s'était ébruité et avait contribué à valoir à Bellart le poste si considérable de procureur général. On lui savait gré d'avoir dit qu'il était révolté de la conduite de Ney, qu'il ne trouvait ni idées ni expressions pour la justifier. On comptait sur son zèle et sur sa sévérité. On ne se trompait pas... Il a fait savoir depuis qu'il était ému jusqu'aux larmes, le jour où il fut chargé de poursuivre le maréchal devant la Chambre des pairs. Son attitude passionnée, ses impatiences visibles, ses interruptions irritées démentent cette affliction subite.

Le réquisitoire de Bellart commençait ainsi : Un attentat aussi inconnu jusqu'ici dans l'histoire de la loyauté militaire de toutes les nations qu'il a été désastreux pour notre pays, a été commis par le maréchal Ney. J'observe immédiatement qu'il y avait quelque exagération à affirmer qu'une défection pareille était inconnue en France et en Europe. Nombre d'exemples prouvaient malheureusement le contraire. Bellart disait ensuite que les circonstances de la trahison et leurs suites devaient faire éprouver à tous un sentiment d'horreur. Il rappelait les serments du maréchal, le baisement de main, la menace de la cage de fer, menace dont l'âme élevée du monarque ne lui aurait suggéré ni la pensée particulière ni l'expression. Il disait en quelques mots le manifeste rebelle, l'adhésion à l'usurpateur, le passage à l'ennemi. Arrivant aux conséquences de la trahison, il déclarait que les désastres de la patrie devaient être attribués au maréchal et à ses complices. C'est lui et ce sont eux seuls que chaque Français peut justement rendre responsables des maux publics ou domestiques qu'il a soufferts et souffre encore. Un si atroce forfait doit être puni. Il doit l'être sans délai. L'impunité ne fut déjà que trop longue... L'accusé d'ailleurs n'ose pas nier son crime. Il le confesse. Il cherche à l'atténuer seulement. Il l'explique. La Chambre entendra ses explications... Et dévoilant une impatience surprenante : Pourquoi faudrait-il des délais ? Est-ce pour rassembler des preuves ? Elles sont malheureusement partout... Un retard inutile ne serait dès lors qu'un scandale et qu'une sorte de prime accordée, par un étrange renversement d'idées, à l'espèce de forfait dont l'intérêt public réclame justement la prompte punition. L'évidence paraissait complète. L'excès de preuves ne servait plus qu'à la curiosité publique. Aussi le procureur général concluait sans délai à l'audition des témoins, aux débats et au jugement. Si on l'eût écouté, c'eût été une affaire tout au plus de quarante-huit heures. Jamais on n'avait vu un magistrat aussi pressé.

La Chambre des pairs recula cependant devant une telle hâte.

Une discussion suivit le réquisitoire. Elle aboutit à un arrêt qui donna acte de son dépôt, ainsi que des cent quatre-vingt-dix-neuf pièces qui avaient formé le dossier du rapporteur près le conseil de guerre[24]. Le baron Séguier, pair de France, premier président de la cour royale de Paris, fut ensuite commis aux informations et à l'audition des témoins. C'était une nouvelle instruction qu'ordonnait ainsi la Chambré des pairs, déférant au désir du maréchal. Elle ajoutait qu'une fois le rapport du président Séguier lu, elle prononcerait l'ordonnance de prise de corps et fixerait le jour de l'ouverture des débats, lesquels se suivraient sans désemparer. De son côté, la Chambre des députés, pour ne point paraître indifférente à l'affaire qui préoccupait tout le monde, se livrait à quelques manifestations significatives. Le jour où le duc de Richelieu lisait son discours aux pairs de France, le comte de Germiny demandait, en comité secret, le bannissement perpétuel de la famille Buonaparte et des individus compris dans la seconde catégorie de l'ordonnance du 24 juillet. Le comte de La Bourdonnaye préparait une pompeuse amnistie, mais en exceptant ces conspirateurs déhontés, ces hommes dangereux qui, à toutes les époques de la Révolution, ont marqué dans ses rangs et élevé leur fortune sur les malheurs publics. Les exemples de sévérité devaient être choisis de préférence parmi les vétérans de la Révolution, ces conspirateurs rassasiés d'honneurs, de jouissances, de richesses, dont la prospérité a enflammé tant d'ambitions, exalté tant d'espérances et produit tant de coupables projets ! Paroles imprudentes, car les premiers qu'elles visaient ainsi étaient naturellement le prince de Bénévent et le duc d'Otrante. Et naturellement aussi, ce furent eux qui échappèrent. Pour arrêter leurs trames criminelles, disait le furieux La Bourdonnaye, il faut des fers, des bourreaux, des supplices ! La mort, la mort seule peut effrayer leurs complices et mettre fin à leurs complots ! Cet énergumène osa même employer un mot sinistre qu'on aurait dû ne plus revoir, celui de Terreur. Le 13 novembre, cette triste proposition, grosse de violences et de périls, fut prise en considération. Il devenait certain, devant des manifestations semblables, que tout espoir de clémence en faveur du maréchal Ney était absolument perdu.

 

 

 



[1] Mémoires, t. III, p. 237.

[2] Lettre du 21 juillet 1815. (Voir Mémoires de Talleyrand, t. III, p. 258.) Les partisans des alliés ne purent croire à une lettre aussi noblement audacieuse. Un fait peu connu va le prouver. Le sieur Gal..., négociant à Lodève, avait adressé le 27 juillet une copie de cette lettre à son associé B... qui la communiqua aux sieurs Jouvet et Thorel. Le chevalier de Laferrière, commissaire du Roi à Lodève, saisit la copie et lit arrêter les sieurs B... et Gal... Ils furent traduits devant le tribunal correctionnel de Lodève qui, le 25 novembre suivant, condamna le premier à quatre mois de prison et 1,500 francs d'amende, et le second à deux mois de prison et 500 francs d'amende, avec interdiction de droits civils pour B... pendant cinq ans. Le jugement était motivé sur ce que la prétendue lettre du Roi ne tendait rien moins qu'a calomnier le cœur et les sentiments de Sa Majesté et les intentions de ses augustes alliés ! Les condamnés firent appel devant la Cour de Montpellier, qui, le 19 janvier 1816, cassa ce jugement inique et renvoya les prévenus dans leurs foyers. (Bibliothèque historique de 1819, t. II.) On avait mis six mois à reconnaître l'authenticité de la lettre royale !

[3] Voir la Correspondance diplomatique du comte Pozzo di Borgo. C. Lévy, 1890, t. Ier, p. XXX et 209.

[4] Lettres et instructions de Louis XVIII à M. de Saint-Priest, 1845, in-8°, p. 143 et suivantes. — Le duc de Richelieu s'inspirait de cette politique quand il disait dans un mémoire à Alexandre : La France, en recouvrant ses rois, devait recouvrer le territoire qu'ils avaient gouverné. Sans cela toute restauration deviendrait imparfaite.

[5] Mémoires, t. III, p. 237.

[6] Supplementary Despatches, vol. XI.

[7] Le traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 78, 1873, in-8°.

[8] Mémoires, t. III, p. 298. — Ailleurs, il attaque le traité du 20 novembre comme désastreux, et il oublie qu'il a félicité Richelieu d'avoir négocié aussi bien que les circonstances le permettaient. Il oublie aussi, à propos d'Alexandre, sa lettre du 13 juin 1814, où il assure le tsar de son plus tendre attachement et où il l'appelle le héros de son imagination et de son cœur !

[9] Souvenirs de M. de Barante, t. II, p. 227.

[10] Cette carte est restée dans les papiers des héritiers du duc de Richelieu. (Voir Recueil de la Société historique de Russie, t. 54, p. 444.)

[11] Correspondance de M. Ch. de Rémusat, t. Ier.

[12] Souvenirs, t. II.

[13] Histoire du gouvernement parlementaire, t. III.

[14] Mémoires sur les Cent-jours. — L'évasion de Lavalette causa une exaspération non moindre. Un royaliste était dans une telle fureur que Mounier lui demanda ironiquement : Eh bien, voyons, combien de pintes de sang y avez-vous perdu ?

[15] Mémoires, t. Ier.

[16] Histoire de la Restauration, t. VI.

[17] Miot de Mellite, qui avait été chargé, en mai 1815, d'une mission politiqué dans l'Ouest, revenait annoncer à l'Empereur que l'attitude de cette région était froide et indifférente. Je ne puis vous taire, disait-il, que vous avez presque partout dans les femmes des ennemies déclarées, et, en France, cette sorte d'adversaires n'est pas à dédaigner. (Mémoires.)

[18] Tacite, Annales, lib. III.

[19] Les juristes relevèrent, comme il fallait s'y attendre, les variations, les incertitudes de la Chambre des pairs et l'arbitraire dans lequel elle tomba, s'affranchissant à son gré de l'observation de certaines règles du Code d'instruction criminelle et ne se soumettant qu'à ses propres règlements. (Voir, sur les points de détail, le curieux mémoire de Me Delmas intitulé : Mémoires sur la révision du procès du maréchal Ney, Paris, 1832, in-8°.)

[20] Mémoires de l'internonce, publiés par l'abbé Bridier, p. 305, Plon, éditeur.

[21] Œuvres de Bellart, 1827, in-8°, t. III.

[22] Œuvres de Bellart, t. IV.

[23] Bellart se trompe ; c'était à Lons-le-Saunier.

[24] Archives nationales, CC, 499.