HISTOIRE DES CAROLINGIENS

 

CHAPITRE V. — LOUIS LE DÉBONNAIRE ET SES FILS.

 

 

§ 1. AVÈNEMENT DE LOUIS LE DÉBONNAIRE.

Quelle que soit l’opinion qu’on adopte sur la politique de Charlemagne, on doit reconnaître que la monarchie carolingienne était, au jour de la mort de son glorieux fondateur, un État bien constitué et convenablement organisé. Il s’était opéré une sorte de fusion, d’une part, entre l’élément national germanique et l’élément gallo-romain, de l’autre, entre ce qui restait de la civilisation romaine et le principe chrétien hiérarchique. Vis-à-vis de l’étranger, l’empire franco-romain, fondé sur l’alliance intime de l’Église et de l’État, était une puissance imposante, supérieure à celle de tous les autres peuples et respectée par eux. Les rapports internationaux étaient en général réglés par des traités ; au besoin, les armes toujours victorieuses des Francs servaient à les maintenir. L’organisation intérieure, tant militaire que politique, civile, ecclésiastique, était consolidée ; on peut dire que tout marchait régulièrement. Certes il y avait des abus, mais on possédait les moyens de les connaître et d’y remédier. Il ne manquait pas aussi de tendances à la désunion et à la révolte, mais la volonté inébranlable et l’activité sans bornes de Charlemagne savaient les comprimer et tenir en respect toutes les velléités de résistance.

Il aurait fallu une main ferme, jointe à une intelligence supérieure, pour maintenir les affaires des Francs dans cet état de prospérité, et pour faire avancer la civilisation intellectuelle, morale et politique dont le génie de Charlemagne avait jeté les bases. Malheureusement Louis, qu’on a surnommé le Débonnaire, n’avait pas les qualités nécessaires à l’accomplissement de cette tâche[1]. On le représente généralement comme un prince cloué d’un excellent cœur, aimant à joindre la clémence à la justice, dominé au plus haut point par une ardeur religieuse qui le rendait plus rigoureux pour lui-même qu’à l’égard des autres. De mœurs sévères, il aimait la chasteté et la sobriété ; il était si sérieux que ses sourires mêmes passaient pour exceptionnels. Sans aucun doute, l’éducation qu’il avait reçue dès ses plus jeunes années et son long séjour dans le midi de la France, oit dominaient les idées du christianisme espagnol, avaient puissamment influé sur son esprit et son caractère ; il ne lui restait presque rien de sa nature germanique.

Louis n’aimait point la guerre, bien qu’il fût robuste et parût constitué pour le métier des armes. Enclin il la vie contemplative, il avait une médiocre estime des choses terrestres ; il aurait volontiers suivi l’exemple de son grand-oncle, et se serait fait moine. Il fut même sur le point de prendre cette résolution après la mort de la reine Irmengarde ; mais ses ministres, soucieux du sort de l’empire, parvinrent à l’en dissuader. À ne regarder que les dehors, dit M. Himly, Louis était le digne fils de son père : de stature moyenne, mais robuste, il avait les yeux grands et clairs, le teint fin, le nez long et droit, les lèvres ni trop minces ni trop épaisses, la poitrine forte, les épaules larges et les bras musculeux[2]. Mais les apparences de virilité et d’énergie que présentait sa noble prestance étaient trompeuses : un caractère indécis, faible et mou se cachait sous cette enveloppe imposante ; il y avait une âme de moine dans ce corps de guerrier[3].

Louis le Débonnaire fut le jouet tant de ses propres sentiments que de l’influence ou plutôt des intrigues des personnes qui l’entouraient, et surtout de celles qu’il aimait. Parmi ces dernières, sa seconde femme, Judith, l’irrésistible Judith, exerça sur son esprit un tel prestige qu’elle fut accusée de l’avoir séduit par des sortilèges. On le peint cependant comme fort instruit : il parlait trois langues, le latin, le roman et le thiois, qui était le flamand et l’allemand de l’époque. Il entendait aussi le grec, et l’on assure qu’il aimait la lecture des auteurs latins, mais seulement des auteurs ecclésiastiques[4]. Le thiois paraît avoir été son langage habituel et familier ; il le parlait avec sa première femme Irmengarde qui était de la Hesbaie[5], et peut-être aussi avec Judith, qui était de l’extrême frontière de la Bavière, du côté de la Souabe.

Le caractère de Louis le Débonnaire explique assez bien les premiers actes de son règne. Les armes des hommes faibles sont, comme l’on sait, la méfiance, la dissimulation et la ruse. Ces facultés, qui finissent souvent par être funestes à ceux qui les emploient, nous les voyons se manifester dès l’avènement du fils de Charlemagne. Il était à Doué en Poitou, lorsqu’il apprit la mort de son père. Au lieu de se rendre immédiatement à Aix-la-Chapelle, il rallia autour de lui un certain nombre de partisans armés, et puis il partit pour Herstal, en passant par Orléans, Paris et Saint-Denis[6]. Il nourrissait de la méfiance contre les anciens conseillers de son père, notamment contre Wala, petit-fils de Charles Martel, qui était aussi éminent comme homme politique que comme homme de guerre, et qui avait joui sous Charlemagne de la plus haute faveur.

Cependant Wala étant venu à sa rencontre, le nouvel empereur parut se rassurer ; mais il ne voulut pas se rendre à Aix-la-Chapelle avant que le palais fût purgé, et qu’on en eût expulsé les amants de ses sœurs, qui avaient mené, paraît-il, une vie assez licencieuse. Il chargea de cette commission Wala, Ingobert, Warnaire et Lambert. Les deux premiers, sentant tout ce que cet ordre avait de délicat, ne se hâtèrent point de l’exécuter ; les deux autres y mirent tant de violence que Warnaire se fit tuer et Lambert blesser par un des seigneurs qui avaient été signalés à leur justice. Lorsque Louis se rendit à Aix-la-Chapelle, il était fort irrité des scènes qui venaient d’avoir lieu ; il fut sans pitié pour les coupables ; il fit même arracher les yeux à l’un d’eux auquel il avait précédemment accordé son pardon.

Quant à ses Sœurs, après leur avoir distribué la part de succession qui leur revenait, il les lit enfermer dans des couvents, ainsi que les dames du palais qui s’étaient compromises ; il ne conserva pour le service de l’impératrice que celles dont la réputation était restée intacte. Il assigna aussi des monastères aux filles naturelles de Charlemagne ; mais il garda dans son palais ses trois frères bâtards, Drogon, Hugues et Thierry. Ceux-ci furent traités avec bienveillance ; Drogon devint plus tard un des hommes d’Etat les plus illustres de son siècle : il fut l’ami inséparable de l’empereur.

Wala crut prudent de se retirer ; il alla prendre l’habit religieux au monastère de Corbie. Son frère Adalhard, qui était abbé de ce monastère, voulut rester à la cour ; il y fut dépouillé de ses biens et de ses dignités, et envoyé en exil à Noirmoutier. Sa sœur même, Gondrade, ne put échapper à la disgrâce de ses frères : elle fut envoyée au monastère de Sainte-Radegonde. Tous trois étaient enfants de Bernard, fils naturel de Charles-Martel[7].

Un autre membre de la famille impériale, que Louis soupçonnait d’intentions hostiles, Bernard, fils naturel de son frère Pépin, avait été fait roi d’Italie par Charlemagne. Il se présenta à l’assemblée générale tenue à Aix-la-Chapelle en 814, et y prêta le serment de fidélité comme vassal de l’empereur. Cette marque de déférence et de soumission lui valut de n’être pas immédiatement privé de son royaume. Louis accorda également à deux de ses fils, Lothaire et Pépin, le titre de roi ; il donna au premier le gouvernement de la Bavière, au second celui de l’Aquitaine. Le troisième, du nom de Louis, était trop jeune pour exercer de hautes fonctions politiques ; il demeura à la cour jusqu’après le partage de l’an 817, dont nous aurons à nous occuper bientôt.

Le premier soin de Louis le Débonnaire fut de réformer les abus qu’il croyait s’être multipliés dans les derniers temps du règne de son père. Des missi furent envoyés dans toutes les provinces, pour faire des enquêtes sur les exactions des comtes et de leurs lieutenants ; ils devaient les contraindre à restituer les biens qu’ils avaient usurpés. L’empereur voulut aussi réparer le mal fait aux Saxons et aux Frisons, en leur rendant l’usage de leurs anciennes lois et rétablissant les prérogatives dont Charlemagne avait privé les hommes libres[8]. Cet acte de justice fut en même temps un acte de haute politique : les Saxons en gardèrent à Louis une reconnaissance profonde, et furent, pendant toute sa vie, les plus fidèles défenseurs de sa personne.

 

§ 2. RELATIONS EXTÉRIEURES.

Les relations de l’empire avec l’étranger étaient meilleures au commencement du règne de Louis qu’elles ne le furent peu d’années après. Le respect des peuples étrangers que la grandeur de Charlemagne avait acquis à la monarchie existait d’abord dans toute sa force ; les Wilses, les Sorabes, les Avares, les Pannoniens se prétendaient tributaires de l’empire, pour capter la bienveillance du nouveau souverain ; les Arabes de Cordoue, demandaient à continuer la trêve que le vieil empereur leur avait accordée ; les ducs de Bénévent acquittaient, comme par le passé, leur tribut de sept mille sous d’or ; les Goths et les Angles voyaient toujours dans l’empereur d’Occident un suzerain et un protecteur[9].

Les rapports avec Constantinople furent maintenus sur un pied de paix et d’amitié[10]. Peu de temps avant sa mort, Charlemagne avait envoyé une ambassade à l’empereur Michel. Ses ambassadeurs revinrent avec ceux de l’empereur d’Orient ; mais arrivés après le décès de Charles, ceux-ci furent reçus par son fils. Louis les écouta avec intérêt, les combla de présents, et les fit accompagner à leur retour par une nouvelle ambassade franque, chargée d’exprimer à l’empereur Léon V, successeur de Michel[11], ses sentiments d’amitié, et de renouveler avec lui le traité d’alliance des deux empires. L’année suivante (815) les envoyés de Louis rapportèrent le traité confirmé, bien que le Débonnaire n’eût pas accueilli la demande de secours contre les Bulgares qui lui avait été adressée de Constantinople.

Une nouvelle ambassade arriva d’Orient en 817, pour négocier la fixation des frontières des deux empires dans la Dalmatie. Il y eut encore, en 823 et 827, des missions diplomatiques pour resserrer l’union entre les deux monarques, ce qui n’empêcha point Louis de recevoir gracieusement, déjà en 823, les ambassadeurs des Bulgares, qui étaient alors les ennemis les plus dangereux et les plus redoutés du Bas-Empire. Ces relations entre les cours d’Orient et d’Occident cessèrent d’avoir lieu lorsque les deux empires ne confinèrent plus l’un à l’autre[12], et qu’ils huent agités par des troubles intérieurs.

Les rapports des Francs avec les Slaves de la Pannonie et les tribus que Charlemagne avait soumises dans la Servie et le banat de Temeswar d’aujourd’hui, eurent un caractère moins pacifique. Leur duc Liutwit, mécontent du gouvernement impérial, souleva une partie de ces peuples ; il envahit même la Carinthie, la Carniole et la Dalmatie franque (Bosnie et Croatie). Ce ne fut qu’il la troisième campagne qu’on parvint à le repousser. Il alla mourir dans l’exil, en 823. Plus lard, de 827 à 829, on eut à combattre les Bulgares dans ces mêmes contrées[13].

Les peuples slaves plus septentrionaux soumis par Charlemagne, tels que les Abodrites, les Wilses, les Bohèmes, les Moraves, les Sorabes, reconnaissaient toujours l’espèce de suzeraineté des Francs. Ils fournirent des secours militaires pour les expéditions qui eurent lieu contre les Danois et coutre les Bulgares. Cependant il y eut aussi de ce côté quelques défections, celle des Abodrites, par exemple, en 817 et 822[14].

Les Normands, qui n’avaient pas renoncé au paganisme, continuaient d’être les ennemis les plus acharnés des Francs. Ils ne cessaient pas d’infester, comme pirates, les côtes de l’empire, jusqu’en Espagne ; ils attaquaient aussi, quand ils pouvaient le faire avec avantage, la frontière septentrionale[15] ; ils y rencontraient les Saxons et les Abodrites. Des dissensions intestines ayant éclaté parmi les Danois, Louis saisit cette occasion pour intervenir et pour propager le christianisme dans leur pays. D’accord avec Hériold, il y envoya, dans ce but, en 822, son frère de lait, Ebbo, alors archevêque de Reims[16]. Hériold, qui avait besoin d’appui pour se maintenir, consentit même se faire baptiser avec sa famille, ce qui eut lieu en 826 de la manière la plus solennelle, dans l’église de Saint-Alban à Mayence[17]. Mais Hériold fut chassé de son pays l’année suivante ; il se retira, en 827, dans l’Oost-Frise, où un refuge lui avait été assuré d’avance. Louis fit la paix avec le roi régnant.

Dans le sud-ouest, il y eut d’autres guerres à soutenir contre les Bretons, les Wascons et les Arabes d’Espagne. La Bretagne avait été définitivement soumise en 799 ; mais après la mort de Charlemagne les Bretons se soulevèrent de nouveau. En 818 et 822, ils se donnèrent des rois qui l’un après l’autre furent tués[18]. Ce ne fut qu’en que l’empereur, accompagné de son fils le roi Pépin d’Aquitaine, porta la guerre dans ce pays, et le força à se soumettre. En 825, la Bretagne se révolta de nouveau ; elle fut alors occupée par les Francs, et reçut de la main de l’empereur un duc appelé Nomenoë. Depuis lors elle resta fidèle à l’empire, du moins pendant la vie de Louis[19].

Les Wascons, que Louis avait subjugués lorsqu’il était encore roi d’Aquitaine, étaient toujours gouvernés par quelque descendant de Waifre. Ils se révoltèrent en 816 et furent vaincus en 818, par Pépin, fils de l’empereur. On leur donna alors pour gouverneurs des ducs amovibles, d’origine étrangère au pays, et plusieurs comtes[20].

Il ne pouvait pas exister de relations bienveillantes entre les Francs et les Sarrazins d’Espagne[21]. Leur haine mutuelle faisait incessamment éclater des guerres, qui n’étaient le plus souvent que des algarades, c’est-à-dire des irruptions soudaines et rapides, n’ayant d’autre but que de faire du butin. L’histoire de ces attaques est assez confuse. M. Funck a ajouté sa biographie de Louis le Débonnaire un exposé historique des affaires franco-espagnoles ; à l’aide des sources, tant arabes que franques, dont il publie les principaux passages, il a fait une chronique exacte de ce qui s’est passé entre les cieux peuples depuis 788 jusqu’à 822[22]. Nous y apprenons qu’une espèce de paix avait été conclue entre eux, en 810, à Aix-la-Chapelle, et confirmée en 812. Déjà en 799, une partie de l’Espagne avait été enlevée aux Arabes et constituée en marquisat des Marches d’Espagne. Barcelone en était la capitale ; son gouverneur s’appelait Bera. En 814, l’émir Abderam II avait encore envoyé une ambassade à Aix-la-Chapelle, pour féliciter le nouvel empereur ; mais l’année suivante, une flotte arabe attaqua les îles Baléares et la Sardaigne, qui venaient de se mettre sous la protection des Francs. Cette attaque fut immédiatement suivie d’une déclaration de guerre de la part de Louis.

La première expédition part de la Marche d’Espagne ; des victoires sont remportées en 816 ; c’est vainement que l’émir cherche il obtenir la paix en 817. Il y parvient en 819, mais il un tel déplaisir de l’empereur, que Bera qui y avait consenti est destitué et le traité mis à néant. Le marquisat fut alors réuni la Septimanie, et gouverné par le duc Bernard, favori de la seconde femme de Louis. La guerre, reprise par les Francs, finit par leur t’Are finale : la Navarre, qu’ils avaient conquise, fut perdue pour toujours ; il ne leur resta qu’une partie de la Catalogne[23], Louis avait envoyé deux de ses grands au secours de Bernard : c’étaient Hugues, beau-père de son fils Lothaire, et Matfried, comte d’Orléans, l’un et l’autre ennemis du duc. Ils ne s’empressèrent pas d’arriver sur le théâtre de la guerre et furent cause de la défaite essuyée par les Francs. On les condamna comme coupables de haute trahison dans un placitum tenu à Aix-la-Chapelle en 828. Les guerres intestines qui eurent lieu ensuite, aussi bien chez les Arabes que chez les Francs, tirent cesser la lutte entre les cieux nations pendant le reste du règne de Louis le Débonnaire.

 

§ 3. GOUVERNEMENT ET LÉGISLATION.

Quelques auteurs ont émis des doutes sur l’activité gouvernementale et administrative de Louis le Débonnaire : cependant les actes de son règne sont si nombreux que, pour la plupart, nous devons nous borner à en faire une simple mention. On remarque d’abord les actes spéciaux concernant les intérêts de tel monastère, de telle église, ou de telle personne plus ou moins considérable. Ce sont des diplômes portant, donation ou restitution de biens, concession de privilèges, confirmation d’immunités, échanges, etc. Il y eu a un très grand nombre ; ils datent depuis l’an 814 jusqu’à la mort de Louis. On en a fait depuis longtemps des recueils ; le dernier se trouve dans les Regesta Carolorum du savant Bœhmer, que nous avons déjà eu l’occasion de citer.

Les actes principaux du règne de Louis le Débonnaire, ceux qui concernent le gouvernement proprement dit de ses vastes États, sont les capitulaires, sanctionnant les lois, les ordonnances et autres dispositions générales émanées du pouvoir suprême de l’empereur. Ces lois ou ordonnances furent presque toutes promulguées à la suite des plaids  généraux, qui semblent avoir été plus nombreux sous Louis que sous son prédécesseur. Voici l’énumération de ces assemblées d’après MM. Funck et Bœhmer :

1° Le 1er juillet 815, à Paderborn ;

2° En juillet 817, à Aix-la-Chapelle ;

3° Le 4 décembre 818, dans la même ville ;

4° En juillet 819, à Ingelheim ;

5° En janvier 820, au même endroit ;

6° Le 15 octobre 821, à Thionville ;

7° En août 822, à Attigny,

8° En mai 823, sur le Rhin ;

9° Le ter novembre 824, à Compiègne ;

10° A Pâque 825, à Aix-la-Chapelle ;

11° Le 15 octobre 826, à Ingelheim ;

12° En février 827, à Aix-la-Chapelle ;

13° En août 827, à Compiègne ;

14° En février 828, à Aix-la-Chapelle ;

15° En juin 828, continuation du placitum précédent, à Francfort, Ingelheim et Thionville ;

16° En août 829, à Worms ;

17° Le 1er octobre 830, à Nimègue ;

18° Le 2 février 831, à Aix-la-Chapelle ;

19° La même année, à Thionville ;

20° Le 1er septembre 832, à Orléans ;

21° Le 11 novembre 834, à Attigny ;

22° Le 2 février 835, à Thionville ;

23° En juin 835, à Crémieux, près de Lyon ;

24° En septembre 836, à Worms ;

25° En mai 837, à Thionville ;

26° En juin 838, à Nimègue ;

27° En septembre 838, à Kierzy ;

28° En septembre 839, à Châlons-sur-Saône.

Les affaires traitées dans ces réunions étaient ou ecclésiastiques, civiles, politiques, ou mixtes ; aussi distingue-t-on trois espèces de capitulaires : les capitulaires ecclésiastiques, les capitulaires mondains et les capitulaires généraux. Les assemblées relatives aux affaires de l’Église étaient en même temps des conciles nationaux ; elles sont énumérées dans la chronologie des conciles[24]. Il y eut cependant encore d’autres conciles, également nationaux, comme ceux qui furent tenus à Paris et à Aix-la-Chapelle en 825 ; à Paris, en 829 ; à Mayence, la même année ; à Saint-Denis, en 832 ; à Compiègne, en 833 ; à Saint-Denis, en 834 ; à Aix-la-Chapelle, en 836 et en 837 ; à Ingelheim, en 840. M. Hefele, professeur à l’université de Tubingue, a donné une analyse détaillée et critique des actes de tous ces conciles nationaux, dans le quatrième volume de son histoire des conciles, publié en 1860[25]. Les textes se trouvent dans la grande collection de Mansi et dans les Concilia Germaniæ de Hartzheim.

Les plus remarquables de ces assemblées sont celles dans lesquelles de grandes réformes ecclésiastiques furent décrétées, et celles qui furent provoquées par la fameuse lutte de Louis le Débonnaire et de ses fils, à la suite des changements introduits dans le premier partage de l’empire. Il résulte des recherches de M. Hefele que la plupart des grandes réformes concernant l’Église émanent de l’assemblée générale que Louis tint à Thionville en 817, et dans laquelle le partage de l’empire fut réglé et plusieurs ordonnances politiques, décrétées. Parmi les actes relatifs à ces réformes on rencontre en première ligne les statuts organisant l’institution des chapitres de chanoines. Ils ont pour titre Libri duo de regula canonicæ vitæ[26] ; ils sont suivis d’un statut pour les chanoinesses. Leur objet principal est de soumettre les chanoines à la vie régulière, d’après la règle de Saint-Benoît ; leurs dispositions ont été puisées dans la constitution donnée en T60 par l’évêque Chrodegang de Metz au clergé de sa cathédrale. On a cru longtemps que cet acte datait de l’an 816 ; mais il résulte de la proclamation impériale de 817, intitulée Capitulare Aquisgranense generale[27], qu’il fut publié avec les autres ordonnances, dont nous parlerons tout à l’heure, au plaid de Thionville de l’an 817[28]. Il contient une organisation complète de l’institution des canonicats réguliers, et un petit code disciplinaire, dans lequel on distingue cependant la vie claustrale des chanoines de celle des moines[29]. Cette ordonnance fut la base de l’institution jusqu’à la révolution française ; elle l’est même encore aujourd’hui dans les pays où cette révolution n’a pas eu d’influence durable[30].

Le deuxième acte est la réforme des monastères et de la vie monastique. Il consiste en quatre-vingts articles et est imprimé dans Pertz (p. 200-204), ainsi que dans Mansi (XIV, 346 et suiv.). Ce n’est point par l’empereur que furent rédigés ces deux premiers statuts, mais, à sa demande, par les évêques. L’empereur les confirma, leur donna force de loi, et les adressa, accompagnés d’une encyclique, aux archevêques et évêques qui n’avaient pas assisté au concile.

Le troisième acte est publié dans Pertz avec cette inscription : Hœc capitula proprie ad episcopos vel ad ordines quoque ecclesiasticas pertinentia, quæ non solum hi observare etiam sibi subjectis vel commissis facienda docere debent. C’est une véritable constitution hiérarchique de l’Église, en vingt-neuf articles, contenant des dispositions d’une haute importance. On y proclame, entre autres, l’inviolabilité des biens ecclésiastiques[31], et l’on défend à tous, même aux princes, d’y toucher (art. 1). Cette constitution sanctionne aussi la liberté des élections aux siéges épiscopaux, per clericos et populum (art. 2) ; elle règle le partage des offrandes faites aux églises, de manière qu’une part doit être donnée aux pauvres. Pour les églises riches, cette part est des cieux tiers (art. 4). Elle défend l’ordination des serfs sans le consentement de leurs maîtres (art. 6) ; elle prescrit la dotation des églises paroissiales, indépendamment des dîmes auxquelles elles ont droit : chaque presbytère doit avoir un mansus entier (12 hectares), libre de toutes charges. Elle défend de mettre en gage les vases sacrés des églises ; elle contient enfin une série de lois disciplinaires déjà anciennes, applicables aux prêtres.

Un quatrième acte, intitulé Constitutio de servitio monasteriorum[32], détermine les charges imposées aux abbayes[33]. Il divise ces établissements en trois classes : la première, qui est la plus imposée, comprend, au nombre de quatorze, les abbayes qui doivent faire des dons et fournir des guerriers ; la deuxième, celles, au nombre de seize, qui doivent seulement faire des dons ; enfin, la dernière, celles, au nombre de dix-huit, qui ne doivent fournir ni dons ni soldats, mais seulement faire des prières pour le salut de l’empereur ou de ses fils, et pour la stabilité de l’empire.

Il n’y a qu’une abbaye de Belgique qui soit mentionnée dans cette énumération, c’est celle de Stavelot ; elle appartient à la première classe. On peut en conclure que les autres monastères de ce pays n’étaient tenus à aucune espèce de service.

Il faut enfin ranger parmi les actes de 817, concernant les affaires ecclésiastiques ou religieuses, les instructions données aux missi[34], puisqu’un des missi était nécessairement ecclésiastique, et devait étendre son inspection sur les affaires de l’Église. Les autres ordonnances arrêtées dans l’assemblée de 817 concernent les affaires politiques et civiles.

Nous avons encore à mentionner quelques ordonnances, concernant les affaires ecclésiastiques, qui sont de dates moins anciennes. Celle de l’an 821, qui confirme le projet d’une loi pénale pour réprimer les attentats contre les personnes ecclésiastiques, fut proposée à l’empereur par l’assemblée tenue à Thionville[35]. Dans le capitulaire d’Attigny, de l’an 822, l’empereur ordonne qu’on s’occupe plus soigneusement qu’on ne l’avait fait jusque-là, des écoles ; il s’accuse lui-même sous ce rapport[36]. Il renouvelle ce commandement, parmi d’autres, dans une Prœlocutio ad episcopos et omnem populum, promulguée à Aix-la-Chapelle, au mois de mai 825[37]. D’autres ordres sont répétés dans les dix-huit articles d’un capitulaire de 826, arrêté par l’assemblée tenue à Ingelheim[38]. Les décrets réformateurs émanés des synodes de Paris, Mayence, Lyon et Toulouse, dans les années 828 et 829, n’ayant pas été confirmés par capitulaires de l’empereur, bien que ces synodes eussent été tenus par ordre de Louis et de Lothaire, nous n’avons pas à nous en occuper[39]. Nous ne mentionnerons que celui de Worms, de l’an 829, dans lequel ces décrets furent reproduits en majeure partie et sanctionnés comme lois[40]. C’est aussi au plaid de Worms que fut approuvée la collection ou codification des capitulaires, divisée par ordre des matières en quatre livres. Ce travail dû à Ansegise obtint par là en quelque sorte le caractère du code de l’empire[41].

La législation civile et politique n’a pas subi, sous Louis le Débonnaire, de grands changements, mais seulement des corrections de détail. Ses ordonnances embrassent toutes les matières : le droit public constitutionnel, l’administration, la police, le droit civil, le droit pénal, la procédure, etc. Il suffit, pour s’en faire une idée, de jeter les yeux sur les 74 articles du quatrième livre de la collection d’Ansegise, qui contient les capitulaires mondains de Louis le Débonnaire[42]. Rien n’indique, dans ces décrets, que Louis ait été guidé par un esprit hostile au droit germanique et à l’ordre politique fondé par son père. Il veut, au contraire, le maintenir et le fortifier ; souvent il se rapporte aux capitulaires de Charlemagne, dont il ordonne l’exécution rigoureuse. Un grand nombre d’articles de ses capitulaires le disent expressément. Du reste, le pouvoir de l’empereur était bien souverain, en ce sens que sa volonté officiellement manifestée faisait loi ; mais dans toutes les grandes affaires, les ordonnances impériales ou royales n’étaient décrétées qu’après délibération avec les grands, ecclésiastiques et laïques, réunis en assemblée générale.

Les actes les plus importants du règne de Louis le Débonnaire sont les partages de l’empire, dont nous nous occuperons incessamment ; mais il y a quelques points essentiels du droit publie sur lesquels nous devons d’abord porter notre attention.

Le système des bénéfices et de la vassalité parait avoir fait des progrès ; mais il est au fond le n’élue que nous l’avons vu sous Charlemagne. Ce serait une erreur de croire que déjà la féodalité fût la base du droit public de l’empire. Le heerban est en vigueur comme sous Charlemagne ; le service militaire vassalitique est encore à l’état d’exception. Même les châtelains (burggraven) ne sont pas vassaux ; la garde des châteaux incombe, comme charge publique, aux seigneurs domiciliés dans leur voisinage[43]. Ce n’est qu’à la fin du neuvième siècle, que les fiefs de châtellenie, si nombreux en Belgique et surtout en Flandre, où ils furent créés pour la défense du pays contre les Normands, commencent à paraître.

Un autre point fort intéressant à éclaircir, ce sont les rapports réciproques de l’Église et de l’État, pendant le règne de Louis le Débonnaire. On pense assez généralement que la soumission de l’État à l’Église était déjà effectuée ; qu’elle était quasi de droit, et que le pouvoir hiérarchi-autocratique pesait sur le pouvoir impérial de telle sorte, que l’Église n’était plus dans l’État, mais celui-ci dans l’Église. Nous croyons cette opinion tout à fait erronée[44]. Louis tenait peut-être plus encore que son père à sa dignité impériale et à ses prérogatives. Il était imbu de l’idée de la souveraineté personnelle, et considérait tout pouvoir comme soumis au sien. Aucune réforme clans l’Église ne fut faite sans son consentement ; la plupart le furent par ses ordres. II exerçait ce qu’on appelle aujourd’hui le droit de placet ; il jugeait et punissait lui-même les évêques. Nous ne voyons pas que l’épiscopat se soit élevé contre ce régime ; il semblait l’accepter, tout en traitant l’empereur comme soumis à la puissance spirituelle en sa qualité de chrétien et de fils obéissant de l’Église.

Si Louis le Débonnaire se fit sacrer et couronner de nouveau par le pape, en octobre 816, il ne se considérait pas moins comme souverain, même de Rome, par droit de naissance. Il y fit exercer la juridiction impériale d’abord par son neveu Bernard, et plus tard par Lothaire, après qu’il l’eut adjoint à l’empire. Si l’élection du pape ne devait pas être solennellement approuvée par lui, l’élu avait cependant besoin de son consentement pour être intronisé. S’il fortifia le pouvoir hiérarchique par ses lois et ordonnances, s’il donna à l’Église une sphère de liberté assez étendue, s’il enrichit les évêchés et les monastères, quelquefois outre mesure, il ne fit que préparer l’avenir ; il jeta les bases du régime déplorable qui devait nécessairement sortir de l’ordre des choses commencé sous Charlemagne et développé sous son règne.

 

§ 4. DES PARTAGES DE LA MONARCHIE.

La fin du règne de Louis le Débonnaire et les dernières années qui suivirent sa mort forment une des périodes les plus importantes de l’histoire des Carolingiens : c’est celle des partages de la monarchie, des troubles et des calamités publiques qui s’ensuivirent, celle des malheurs qui frappèrent un prince aussi faible que dépourvu des qualités qui font l’homme d’État. On peut y voir à la fois une lutte de principes, d’intérêts et de sentiments. C’était un principe que le maintien de l’unité de la monarchie, à laquelle étaient attachés les hommes les plus éminents de l’époque, les premiers conseillers de l’empereur, tels que Wala et Agohard, et généralement tous les évêques. Des intérêts trop réels séparaient, d’une part, les trois fils aînés de Lotii, qui se voyaient frustrés par les partages postérieurs des avantages que leur avait fait l’acte de 817, de l’autre, la deuxième femme de l’empereur, qui excitait son maria favoriser outre mesure son fils Charles. Enfin Louis le Débonnaire obéissait à un sentiment, lorsque, par affection pour ce fils, il lui sacrifiait le sort de ses autres enfants et son propre repos[45].

Quand Louis monta sur le trône de son père, en 814, trois fils étaient nés de son mariage avec Irmengarde, Lothaire, Pépin et Louis. Leur mère vécut encore quatre années[46], employa en intrigues de tous genres pour assurer à chacun de ses fils une part de l’empire. Ses desseins furent favorisés, en 817, par un accident qui faillit conter la vie à l’empereur.

Il y avait à Aix-la-Chapelle, entre la basilique et le palais impérial, une galerie de bois que Louis le Débonnaire traversait avec toute sa cour. Cette construction peu solide et déjà ancienne céda sous leurs pas et tomba en ruine. Précipité du haut de cette galerie sur le sol, avec toutes les personnes qui l’accompagnaient, l’empereur en fut quitte pour quelques contusions[47] ; mais l’événement fut exploité par Irmengarde qui, lui représentant l’incertitude de la vie de ce monde, le détermina à régler dès lors sa succession. Cependant quand il fallut mettre ce projet à exécution, l’influence de la femme se trouva en présence de l’influence des ministres de l’empereur. Depuis le rétablissement de l’empire d’Occident par Charlemagne, l’idée d’unité avait fait de tels progrès qu’Agobard, archevêque de Lyon, dans une lettre adressée à Louis, disait : Plût à Dieu tout-puissant que tous les hommes réunis sous le sceptre d’un seul roi, fussent gouvernés par une seule loi !... Ce serait le meilleur moyen de maintenir la concorde dans la cité de Dieu et l’équité parmi les peuples[48]. On comprend que des hommes pénétrés de cette idée ne pouvaient pas se prêter sans réserve à la division de l’empire.

Une sorte de transaction fut conclue. A l’assemblée tenue à Aix-la-Chapelle en 817, pendant un jeûne de trois jours, on ouvrit des négociations, et l’on parvint à faire un arrangement qui conciliait les vues de l’empereur et de l’impératrice avec celles des partisans de l’unité. Il fut résolu que l’empire serait partagé entre les trois fils de Louis, mais de telle manière que l’unité ne fût pas rompue. Dans le célèbre acte de partage de l’an 817[49], l’empereur commence par annoncer qu’au grand plaid de la nation, tenu à Aix-la-Chapelle au mois de juillet de cette année, ses fidèles, en vertu d’une inspiration divine et soudaine, l’ont engagé, pendant qu’il se trouvait en bonne santé et que la paix régnait partout, à assurer, ainsi qu’avaient fait ses ancêtres, l’avenir de l’empire et de ses fils ; que cette admonition si respectueuse n’avait cependant fait naître ni dans son esprit, ni dans l’esprit de ceux qui sont guidés par la sagesse, la pensée de rompre, pour l’amour de ses fils et par un acte purement humain, l’unité de l’empire cimentée par Dieu lui-même[50] ; qu’un pareil dessein serait une occasion de scandale dans l’Église et une offense envers la puissance divine, par laquelle tous les empires subsistent ; que l’empereur avait jugé convenable d’ordonner un jeûne de trois jours, des prières et des distributions d’aumônes, et qu’enfin le quatrième jour ses intentions s’étaient trouvées conformes à celles de tout son peuple.

Après ce préambule, Louis déclare qu’avec l’assentiment de la nation, il s’est associé son bien-aimé fils aîné, Lothaire, comme collègue et successeur, et qu’il l’a couronné empereur. Ses deux autres fils, Pépin et Louis, sont nommés rois ; au premier il donne l’Aquitaine, la Wasconie et toute la Marche de Toulouse, ainsi que quatre comtés, Carcassonne, eu Septimanie, Autun, Avallon et Nevers, en Bourgogne ; au second[51] il adjuge la Bavière, les pays des Carinthiens, des Bohèmes, des Avares et des Slaves, à l’Est de la Bavière ; en outre, deux villas royales, Luttraof et Ingoldestadt, dans le pagus de Nortgau[52]. Tout le reste de la Gaule et de la Germanie, avec Rome et le royaume d’Italie, appartiendra à Lothaire, chef de la monarchie franque.

Les rapports des trois frères entre eux, leurs droits et leurs pouvoirs respectifs, le mode de successibilité de leurs enfants, etc., sont réglés dans seize articles. Chacun sera souverain dans ses États ; toutefois les deux rois ne pourront se marier, ni faire la guerre ou traiter de la paix, sans l’assentiment de l’empereur. Ils se rendront tous les ans auprès de lui, pour lui apporter leur offrande, conférer sur les affaires publiques et recevoir ses instructions. L’empereur est obligé de les défendre coutre leurs ennemis du dehors. Tous différends entre eux doivent être jugés par lui et par l’assemblée générale. Si l’un ou l’autre vient à mourir, en laissant plusieurs fils légitimes, le peuple choisira entre eux, et il n’y aura pas de nouveau partage. S’il meurt sans enfants légitimes, sa part sera dévolue à l’aîné de ses frères. La majorité des membres de la famille est fixée d’après la loi ripuaire, c’est-à-dire à quinze ans accomplis[53].

Le principe qui domine dans cet acte de partage, c’est la conservation de l’unité de l’empire. Ou voulait atteindre ce but par la création d’un grand État composé des provinces formant la monarchie primitive et des pays conquis, c’est-à-dire de l’Allemanie, de la Thuringe et du pays des Saxons, joints à l’Austrasie, à la Neustrie et à la Bourgogne ; et comme ce grand État devait être l’empire, Rome et les territoires annexés en faisaient nécessairement partie. Les royaumes de Pépin et de Louis avaient été longtemps des États distincts, mais dépendants du royaume des Francs, notamment sous Waifre et Tassilon. Ils reprirent ce caractère d’États satellites, s’il est permis de les appeler ainsi ; ce qui ne pouvait nuire en rien au système d’unité.

On paraissait d’autant plus attaché à l’unité de l’empire qu’elle correspondait à l’unité de l’Église, avec laquelle l’empire devait s’identifier. C’est donc aussi dans l’intérêt de l’Église que ce principe fut proclamé et maintenu. Cela nous explique pourquoi les évêques qui avaient concouru à l’acte de partage de 817, et qui le confirmèrent par leurs serments réitérés en 821, tenaient tant à cette Divisio imperii, et comment ils devinrent, pour la plupart du moins, les ennemis de Louis, lorsque plus tard il voulut modifier ce partage ou le remplacer par un autre. Cependant M. Himly attribue ce grand acte aux amis de Wala et au parti aristocratique dont il était le chef[54]. Nous sommes plutôt de l’avis de M. Fauriel, qui envisage la constitution de l’an 817 comme l’œuvre du haut clergé. Il l’attribue à l’influence d’Agobard, archevêque de Lyon[55]. Que Wala n’y fût pas étranger, c’est chose possible, même probable ; mais il n’agissait pas comme chef d’un prétendu parti aristocratique ; il agissait comme membre de l’Église et dans l’intérêt de l’unité de l’Église, intimement liée à l’unité de l’empire. Il est certain, du reste, que la charte de 817 reçut l’approbation du souverain pontife[56].

Une disposition de l’acte que nous venons d’analyser excluait les billards de toute succession au trône de leur père, et à défaut d’enfant légitime désignait pour successeur le frère aîné du défunt[57]. Bernhard, qui était petit-fils illégitime de Charlemagne et qui avait hérité de la couronne d’Italie, se crut atteint par ce décret ; il voulut s’assurer la possession de son royaume, en demandant aux cités des serments dans lesquels l’empereur n’était point nommé. Cette tentative d’affranchissement parut d’abord avoir quelque chance. Non seulement les seigneurs lombards et les évêques de ce pays, mais encore d’autres grands de l’empire étaient de son parti. Eginhard cite entre autres Eggidéon, le plus intime des amis du prince ; Reginard, son chambellan ; Reginaire, fils du comte Meginhaire, dont l’aïeul maternel avait autrefois conspiré contre Charlemagne ; Anselme, évêque de Milan ; Wolfold, évêque de Crémone, et Théodulf, évêque d’Orléans[58].

Louis le Débonnaire publia un ban de guerre, rassembla à la hâte une armée formidable et se dirigea à marches forcées vers l’Italie. Bernhard, voyant que chaque jour il était abandonné par quelqu’un des siens, déposa les armes et vint à Chatons se livrer à l’empereur. Tous ses partisans l’imitèrent. Revenu il Aix-la-Chapelle, Louis, peut-être a l’instigation d’Irmengarde, les fit juger par le grand plaid des Francs, réuni dans cette ville en 818. Tous furent condamnés à mort ; mais l’empereur, voulant faire preuve de clémence, décida qu’ils seraient seulement privés de la vue. Le résultat fut le même pour Bernhard et son chambellan Reginard : car ils moururent l’un et l’autre après l’opération[59]. Bernhard n’était âgé que de dix-neuf ans. Quant aux évêques, déposés par le décret du synode, ils furent relégués dans des monastères ; les autres conjurés, suivant leur degré de culpabilité, furent ou punis de l’exil ou rasés et enfermés dans des couvents. L’empereur saisit l’occasion de se débarrasser des craintes que lui inspiraient les Mitards de Charlemagne. Il fit tonsurer ses trois frères naturels, Drogon, Hugues et Thierry.

Ces actes de cruauté, qu’on attribue avec quelque apparence (le raison l’influence d’Irmengarde, furent cause de la première humiliation que s’imposa Louis le Débonnaire lorsqu’il fit l’aveu publie de ses péchés devant l’assemblée d’Attigny. Il avait la conscience bourrelée de remords. Après la mort de sa femme Irmengarde, on crut qu’il allait renoncer au monde et cacher sa douleur dans un couvent. Il fit mieux, il s’efforça de réparer dans la mesure du possible le mal qu’il avait fait.

Au mois d’octobre        une assemblée générale des Francs fut tenue à Thionville. On y célébra avec solennité le mariage de Lothaire, fils aîné de l’empereur, avec Irmengarde, fille du comte Hugues. Le primicier Théodore et le surintendant Florus, ambassadeurs du souverain pontife, s’y rendirent avec de riches présents. La singulière bonté du très pieux empereur, dit Éginhard, brilla dans cette assemblée ; il en donna des preuves à l’occasion de ceux qui, avec son neveu Bernhard, avaient conspiré en Italie contre sa personne et contre l’État. Les ayant fait comparaître en sa présence, non seulement il leur fit grâce de la vie et leur épargna toute mutilation ; mais il poussa la générosité jusqu’à leur restituer tous les biens qui, en vertu de leur condamnation, avaient été adjugés au fisc. Il fit aussi revenir Adalhard de l’Aquitaine, où il était exilé, voulut qu’il fût, comme auparavant, abbé et supérieur du monastère de Corbie, et pardonnant en même temps à Bernhard, frère d’Adalhard, il le réintégra dans le même monastère[60].

Les dispositions de l’empereur à la clémence et à la contrition ne connurent bientôt plus de bornes. A l’assemblée tenue à Attigny l’année suivante, 822, il se réconcilia avec ses frères illégitimes, en présence des évêques et de tcus les grands du royaume ; puis il se rendit à l’église, où il confessa publiquement ses péchés et déclara vouloir se soumettre à une pénitence pour avoir fait tonsurer malgré eux les fils de son père, et pour les rigueurs exercées contre Bernhard, fils de son frère Pépin, contre l’abbé Adalhard et Wala, frère de ce dernier[61]. Ici encore nous ne saurions être d’accord avec M. Himly, qui voit dans ces faits le triomphe du parti aristocratique[62]. Il nous paraît plus naturel de les attribuer à la dévotion excessive et croissante de Louis le Débonnaire, ce qui prouve bien plus l’influence du clergé que celle de l’aristocratie franque.

Il est à remarquer que cette sorte d’affaiblissement d’esprit ne se manifesta chez l’empereur qu’après la mort de l’impératrice Irmengarde. Il eut alors, comme nous l’avons déjà dit, l’idée d’abdiquer et de se retirer dans un monastère. Mais tout à coup une singulière révolution s’opéra dans son esprit : les pensées pieuses firent place à des pensées d’amour et de mariage. Il se lui présenter toutes les filles de ses comtes, et choisit la plus belle pour en faire sa femme[63]. C’était Judith, fille du comte Huelpus ou Welf, de l’extrême frontière de la Bavière vers la Souabe[64]. Judith était d’une beauté ravissante, dit M. Himly[65], les pieux évêques de la cour de Louis sont unanimes pour l’attester[66]. Mais elle n’était pas belle seulement : gracieuse et enjouée, douce et insinuante, elle réunissait toutes les qualités qui captivent le cœur des hommes ; courageuse et sensée, instruite et spirituelle, elle avait tout ce qui enchaîne les esprits[67].

A ces qualités aimables elle en joignit à bientôt une autre, qui eut les conséquences les plus funestes. Devenue mère en 833, elle poussa l’amour maternel jusqu’au point de lui sacrifier aveuglément son propre bonheur, celui de son époux et le repos de l’empire. Charles était le nom de son fils, appelé dans l’histoire Charles le Chauve. Il était venu au monde tardivement, après le partage des États de son père ; Judith voulut néanmoins qu’il eût une part de cette grande succession, et même la plus belle des parts. Les grands politiques, les hommes d’État de l’époque avaient déjà clic céder il la volonté d’Irmengarde ; ils n’avaient sauvé l’unité de l’empire que par un expédient plus ou moins heureux : ils allaient avoir à lutter contre une femme autrement forte, autrement puissante et autrement énergique que la première épouse de Louis.

Vers l’époque de la naissance de Charles le Chauve, Lothaire, qui avait été nommé roi d’Italie en 820, fut envoyé dans son royaume en qualité d’associé à l’empire. Wala, rentré en grâce, et d’autres abbés furent nommés ses conseillers. Le pape Pascal l’engagea à venir à Rome, où il le couronna empereur et Auguste, le jour de Pâques, dans la basilique de Saint-Pierre. Les Romains, dont il était le seigneur territorial, lui prêtèrent en 824 serment de fidélité. Il publia cette année même une ordonnance[68] devenue célèbre par son article 5, qui autorisait chaque habitant à faire sa profession de loi, c’est-à-dire à déclarer la loi selon laquelle il entendait vivre et être jugé[69]. M. Himly considère cet acte comme un traité entre le saint-siège et l’empire, dû à l’habileté diplomatique de Wala. Il y était stipulé, suivant lui[70], que l’élection pontificale devait appartenir aux Romains, mais n’être valable qu’après la confirmation impériale. L’article 3, cité par M. Himly à l’appui de son assertion, ne paraît pas avoir cette portée ; il s’explique par les événements qui venaient d’agiter la capitale de l’Église : à la mort de Pascal, deux papes avaient été élus, l’un par le peuple, l’autre par la noblesse ; l’article 3 semble avoir eu pour but d’assurer le privilège de l’élection à ceux qui de toute ancienneté avaient exercé ce droit, c’est-à-dire à la noblesse romaine, et d’exclure la plèbe. Il n’y a là aucune stipulation qui concerne les droits de l’empire ; l’acte en général n’a d’autre objet que de régler les droits des Romains.

Mais revenons à Judith. C’est vers Lothaire, qui était l’héritier présomptif de l’empire et qui déjà portait la couronne impériale, qu’elle tourna d’abord ses vues. Elle le choisit pour parrain et père spirituel de son enfant[71]. Peu de temps après, elle sut si bien le circonvenir qu’avec l’aide de Louis le Débonnaire, elle lui arracha le serment de servir de tuteur et de défenseur à son jeune frère contre tous ses ennemis, quel que fût d’ailleurs le royaume que son père lui assignerait[72]. Cependant Lothaire ne tarda point à se repentir de l’engagement qu’il avait pris. Instigué par le comte Hugues, dont il avait épousé la fille, et par Matfried, comte d’Orléans, il aurait voulu pouvoir reprendre sa parole. Il ne s’en cachait point et l’on savait qu’il cherchait l’occasion de violer un serment par lequel il ne se croyait pas lié[73].

Quand Judith eut acquis la certitude qu’il en était ainsi, elle ne vit plus dans Lothaire et ses conseillers que des ennemis de son fils Charles. Elle songea dès lors à lui faire des partisans et à lui procurer un appui pour l’avenir parmi les seigneurs les plus entreprenants et les plus valeureux. Celui qui fixa particulièrement son attention fut Bernard, fils de Guillaume au Court-Nez et tilleul de Louis le Débonnaire ; il avait été nommé duc de Septimanie après la trahison du comte Bero, marquis de la frontière espagnole. Ce jeune seigneur s’était distingué entre tous par sa bravoure et son audace ; seul il avait tenu les ennemis en échec derrière les murailles de Barcelone, lorsqu’en 826 la Marche presque entière avait été soulevée par le Goth Aïzon. Les comtes Hugues et Matfried, envoyés à son secours, l’avaient laissé aux prises avec l’armée arabe et ne s’étaient montrés qu’après que celle-ci eut opéré sa retraite sur Saragosse. La résistance héroïque de Bernard avait porté au plus haut degré sa réputation militaire, tandis que Matfried et Hugues, ces ennemis de Judith et de son lits, accusés de trahison, avaient été condamnés par l’assemblée générale tenue à Aix-la-Chapelle en 828.

Évidemment le duc de Septimanie n’était pas un homme ordinaire ; il était, comme on dit, d’une trempe supérieure. Ses expéditions aventureuses contre les Arabes n’avaient fait que développer le caractère qu’il tenait de la nature. C’était l’homme qui convenait à Judith pour l’exécution de ses desseins. On a supposé que l’alliance intime de cette princesse avec Bernard avait une autre cause ; ses ennemis l’ont accusée d’adultère, comme si l’amour maternel ne suffisait pas pour expliquer cette liaison. Judith voulait conquérir un royaume à son fils, dit M. Himly[74] ; elle avait besoin d’un homme énergique et entreprenant pour briser la résistance de l’aristocratie... Ses vues, en contractant cette alliance, sont si simples et si naturelles, qu’il est inutile d’insister. Plus ambitieuse pour son fils que pour elle-même, elle prodiguait tout ce que le ciel lui avait donné de gram et d’esprit pour lui acquérir une belle couronne. C’était son amour maternel qui lui inspirait ses intrigues, comme il la conduisit plus lard à commander des armées.

Du reste, avant d’appeler Bernard à lui prêter le secours de son bras, Judith avait cherché à atteindre son but par des voies moins violentes. Les donations, les concessions de bénéfices étaient le grand moyen qu’on employait à cette époque pour se faire des partisans. Les biens de l’Église, à défaut d’autres, servaient à cet usage. On disait que Judith avait eu recours à ce moyen. Elle avait donné l’abbaye de Chelles à sa mère[75] ; mais ce n’était pas là un acte politique. A l’assemblée générale tenue à Aix-la-Chapelle, en 828, on lui reprocha de disposer des bénéfices ecclésiastiques en faveur de ses créatures et même de les donner à des seigneurs laïques[76]. Le mécontentement du clergé éclata dans les quatre synodes qui turent réunis au mois de juin 829, et dans l’assemblée de Worms qui eut lieu la même année au mois d’août. Ce rut cependant à cette assemblée générale que l’acte de partage de l’an 817 fut modifié. On retrancha des royaumes des trois frères, pour la donner à Charles, alors figé de six ans, toute l’Allemanie y compris l’Alsace, le pays des Grisons, la partie de l’Helvétie qui y touche et la haute Bourgogne[77]. Nous n’avons plus le texte de cet acte, mais il est rapporté dans des chroniques dignes de foi, et son authenticité est confirmée par les événements qui suivirent.

Si l’on en croit M. Himly, cette sorte de remaniement de l’empire n’eut pas lieu à l’assemblée de Worms, mais après la clôture de cette assemblée et par un coup d’État. Certes Judith, qui marchait résolument vers son but, n’aurait pas reculé devant cette nécessité. S’il n’avait pas été possible de faire modifier le partage de 817 par une assemblée régulière, elle n’aurait pas hésité à le faire modifier par l’autorité de l’empereur ; mais la vérité historique ne permet pas les hypothèses. Un coup d’État, tel que le suppose M. Himly, aurait produit un soulèvement immédiat. Il parait, au contraire, que le pays demeura parfaitement calme. Bernard, duc de Septimanie, fut nommé camérier de l’empereur, et on lui donna des fonctions équivalentes à celles des anciens maires du palais, c’est-à-dire qu’il devint la seconde personne de l’empire. Le jeune Charles fut placé sous sa commendatio. Cet arrangement avait l’approbation générale dans la partie germanique de l’empire, où régnait le principe de l’égalité des droits entre tous les enfants. Les Saxons surtout, qui étaient fort attachés à l’empereur Louis, y applaudissaient comme à un acte de justice.

L’unité de la monarchie venait donc d’éprouver un nouvel échec, et c’était la seconde femme de Louis le Débonnaire qui lui avait porté ce coup. Le mal était-il irréparable, et devait-on déjà désespérer de pouvoir ressouder cet empire, qui ne faisait encore que commencer à se disjoindre ? Malheureusement alors, bien plus encore qu’aujourd’hui, les questions de personnes tenaient une grande place dans la politique : on s’occupa bien plus des moyens de se venger de Judith et de Bernard que du soin de consolider l’édifice social. Et cependant un homme d’État se trouvait à la tête du parti de l’unité. Wala, petit-fils de Charles Martel, ancien ministre de Charlemagne, en dernier lieu abbé de Corbie, personnifiait en quelque sorte l’idée de l’unité politique et religieuse de la monarchie franque, sous la double suprématie de l’empereur et du pape[78]. On l’avait entendu, à l’assemblée d’Aix-la-Chapelle, en 828, déclamer en termes vagues contre le gouvernement de Louis le Débonnaire et contre les hommes auxquels il confiait la direction des affaires publiques. Il contestait surtout le pouvoir que s’attribuait l’empereur de disposer des dignités ecclésiastiques et des biens de l’Église. On l’avait vu ensuite dicter, aux quatre synodes réunis en 829, des propositions par lesquelles les évoques suppliaient respectueusement l’empereur de ne pas courir à sa damnation éternelle, eu persévérant dans la voie dans laquelle il s’était engagé. Wala espérait sans doute agir, par ces moyens, sur l’esprit faible et timoré de Louis, et l’empêcher d’accomplir l’acte que déjà l’on prévoyait. Mais Judith l’emporta ; sou influence était autrement puissante que celle de l’abbé de Corbie. L’acte si redouté fut accompli ; on foula aux pieds les stipulations du partage de 817 ; il ne fut plus question de ces garanties de l’unité de la monarchie.

Néanmoins Wala ne se regardait pas comme vaincu sans retour. Il songea sérieusement, au contraire, à rétablir l’ordre de choses fondé par l’acte de 817, qui était, à proprement parler, la constitution de l’empire. Les moyens qu’il mit en œuvre ne furent pas tous également bien choisis ; mais il réussit pour un moment, et, sans une réaction de l’élément germanique pur, le succès de son entreprise eut été décisif. Il organisa une conspiration parmi les membres de l’aristocratie ecclésiastique et laïque[79] Il n’eut pas de peine à y affilier les trois princes impériaux du premier lit : Lothaire, qu’en avait envoyé en Italie pour l’éloigner, Pépin, qui menait joyeuse vie en Aquitaine, et Louis, qui était retenu au palais d’Aix-la-Chapelle. Les conjurés s’efforcèrent de soulever l’opinion publique par la calomnie : on représenta Judith comme une femme débauchée, entretenant un commerce honteux avec Bernard[80] ; on fit courir le bruit qu’ils voulaient assassiner l’empereur et écraser ensuite l’un après l’autre les princes impériaux et les leudes les plus puissants[81] ; qu’en cas d’échec, ils se seraient réfugiés auprès des Arabes d’Espagne[82].

Les événements qui suivirent semblent démontrer que ces contes absurdes tirent leur chemin et qu’ils produisirent l’effet qu’on en attendait. Au printemps de l’année 830, Louis le Débonnaire ayant résolu de faire une grande expédition contre les Bretons, convoqua à Rennes le heerban des Francs[83]. Aussitôt Wala fit savoir à Pépin, roi d’Aquitaine, que sous prétexte de combattre les Bretons, Bernard méditait une expédition contre lui, et ne songeait à rien moins qu’à le tuer, après avoir au préalable assassiné son père[84]. Soit que Pépin crût ou ne crût pas à ces nouvelles alarmantes, toujours est-il qu’il promit aux conjurés d’envahir la Neustrie au premier mouvement de révolte[85].

Cependant Louis le Débonnaire s’embarqua avec sa femme et le duc Bernard, pour se rendre à Rennes, par la voie de mer. Il s’était arrêté à l’abbaye de Sithiu, lorsqu’il apprit que l’armée était en pleine insurrection, et qu’au lieu d’aller au rendez-vous fixé, elle s’était concentrée sous les murs de Paris. Déjà Pépin avait fait sa jonction avec les conjurés à Verberie, près de Senlis ; il amenait tous les grands qui, frappés de disgrâce, s’étaient réfugiés auprès de lui : Hugues, Matfried, Hilduin, Josse d’Amboise, etc. Louis, le plus jeune des trois frères, s’étant échappé d’Aix-la-Chapelle, ne tarda point à venir aussi rejoindre les rebelles. On n’attendait plus que Lothaire[86].

Dans le manifeste que publièrent les conjurés, il était dit qu’ils combattaient pour la fidélité due au roi et à l’empire, pour le salut du peuple et de la patrie, pour l’affermissement du royaume et la succession légitime au trône[87]. En d’autres termes, dit M. Himly, ils demandaient la mort ou l’exil de Bernard, l’éloignement de Judith et la restauration du régime précédent. Leurs vœux ne pouvaient manquer de s’accomplir ; toute résistance était impossible. Louis le Débonnaire permit à Bernard d’aller chercher un refuge dans sa ville de Barcelone ; Judith se retira au monastère de Sainte-Marie de Laon, d’où on la fit bientôt transférer au monastère de Sainte-Radegonde à Poitiers. Ses deux frères furent tonsurés et également enfermés dans un couvent[88].

L’empereur lui-même se rendit à Compiègne, et s’y mit entre les mains de son fils Lothaire, qui venait d’arriver d’Italie. Faisant de nécessité vertu, il déclara vouloir restaurer l’empire tel qu’il l’avait autrefois ordonné et constitué, d’accord avec ses leudes. Lothaire ne se contenta point de cette déclaration ; il emmena son père à Aix-la-Chapelle, et sans le dépouiller de la dignité impériale, il le fit garder à vue par des moines, qui devaient l’engager à embrasser la vie monastique[89]. Mais à la diète d’automne, qui fut convoquée à Nimègue, et à laquelle assistèrent tous les seigneurs germains et saxons, une forte réaction s’opéra en faveur du vieil empereur. Lothaire en fut si effrayé, qu’il alla, en fils repentant, se jeter aux pieds de son père pour lui demander pardon. Ses anciens complices furent arrêtés ; Wala fut renvoyé à Corbie, Hilduin exilé à Paderborn[90].

L’année suivante (février 831), on traduisit devant la diète d’Aix-la-Chapelle tous ceux qui avaient pris parti contre Louis le Débonnaire à Compiègne et à Nimègue. Ils furent condamnés à la peine de mort ; on se contenta de les exiler et de les dépouiller de leurs biens. La même assemblée rétablit solennellement l’impératrice Judith dans son titre et ses droits d’épouse[91] ; mais déjà depuis l’assemblée de Nimègue, elle avait repris sa place et toute son influence à la cour impériale ; et bien qu’elle fût désormais privée de l’assistance de Bernard, elle n’en persistait pas moins dans ses projets ambitieux en faveur de son fils Charles.

Nithard rapporte que Lothaire, déchu de la dignité impériale, obtint à peine et conditionnellement la permission de retourner à son royaume d’Italie[92], tandis que les États de Pépin et de Louis furent agrandis[93]. Il y eut donc un nouveau partage de l’empire. C’est à cette époque probablement que se rapporte une charte de partage dont la date est inconnue et que M. Pertz place à l’an 830 et Baluze l’an 838[94]. Il n’est aucunement question, dans cette charte, de la dignité impériale, ni de la suzeraineté du frère aîné sur les royaumes de ses frères lutinés. Le nom même de Lothaire n’y est pas mentionné. Louis le Débonnaire divise l’empire, sans y comprendre l’Italie, entre ses trois fils, Pépin, Louis et Charles, et ne s’en réserve que le gouvernement supérieur. L’Aquitaine, royaume de Pépin, est augmentée non seulement de tous les pays situés entre la Loire et la Seine, mais encore d’une bonne partie de la Neustrie et de la Bourgogne ultra-séquanaise. A la Bavière, qui est le lot de Louis, on ajoute la Thuringe, la Saxe, la Frise et la majeure partie de l’Austrasie, les Ardennes avec Stavelot et Malmedy, la Hesbaie, le Brabant, la Flandre et le pagus Mempiscus, le Melanthais, le Hainaut, l’Ostrevant, et le pays de Thérouanne, ainsi toute la Belgique, et de plus Boulogne, Quentavic, plusieurs pagi entre Cambrai et Saint-Quentin et la Veromandie.

Charles obtient, outre son apanage d’Allemanie, la Gothie, la Provence et les comtés restés vacants de la Bourgogne, de la Neustrie et de l’Austrasie. On lui donne, en outre, au cœur de la France, Varennes près d’Auxonne, Chartres, Reims, Laon et le pays Mosellan avec Trèves et Metz.

Ce nouvel acte de partage ne contenait pas encore le dernier mot des avantages destinés au fils de Judith ; il n’avait même rien de définitif, car l’empereur se réservait formellement le droit de le changer ou modifier à son gré. Si quelqu’un de nos trois fils susnommés, y était-il dit, désireux de plaire à Dieu d’abord et nous ensuite, se distingue par son obéissance et sa bonne volonté, et qu’il mérite par la pureté de ses mœurs d’obtenir un accroissement de dignité et de puissance, nous voulons qu’il demeure en notre pouvoir de prendre, sur la part de celui de ses frères qui aura négligé de nous plaire, de quoi augmenter son royaume, sa dignité et sa puissance, et de l’élever à la hauteur dont il se sera montré digne par ses mérites[95].

Cette clause ne pouvait avoir été dictée que par Judith, qui nourrissait l’espoir d’élever son fils Charles au-dessus des autres enfants de Louis le Débonnaire. Les événements ne tardèrent pas à le démontrer. Il était facile de prévoir que Pépin et Louis ne seraient pas satisfaits de ce genre de royauté, qui les réduisait à la condition de fonctionnaires amovibles. L’empereur avait fait venir Pépin à Aix-la-Chapelle et voulait l’y retenir ; dès les premiers jours de l’an 832, ce jeune prince enfreignit l’ordre de son père et s’en retourna secrètement en Aquitaine. L’occasion de sévir contre lui fut saisie avec empressement ; on convoqua aussitôt un plaid général à Orléans pour le juger. Lothaire devait y venir d’Italie, et l’empereur entendait s’y faire accompagner par Louis le Germanique. Nais celui-ci leva lui-même l’étendard de la révolte, et envahit l’Allemagne qui faisait partie du royaume de Charles. L’empereur convoqua le heerban à Mayence, au mois d’avril 832. Louis, qui était à Worms, se retira vers la Bavière ; il fut poursuivi jusqu’à Augsbourg, où, cédant à la supériorité des armes de son père, il fit sa soumission et promit de ne plus se révolter. Il obtint sans peine le pardon qu’il sollicitait.

Cependant l’expédition d’Aquitaine n’était pas abandonnée. C’est de ce côté qu’étaient tournées les vues de l’empereur et surtout celles de l’impératrice Judith. Le grand plaid d’Orléans fut convoqué pour le mois de septembre. Pépin crut désarmer son père, comme avait fait Louis, en venant en personne faire sa soumission ; mais l’empereur le fit arrêter et conduire à Trèves. Sans plus hésiter, il annexa le royaume de Pépin à celui de Charles, et, les Aquitains présents au plaid furent invités à prêter serinent d’obéissance à leur nouveau souverain[96].

Judith triomphait, comme bien on pense ; mais cette politique de femme, exclusivement fondée sur l’amour maternel, était trop audacieusement imprévoyante pour conduire à de lionnes tins. Il y avait presque de la puérilité à croire qu’elle ne soulèverait pas des orages. Dès que les desseins de l’empereur et de sa femme ne furent plus douteux pour personne, ils mirent en émoi non seulement les trois frères, qui se voyaient menacés dans leurs possessions, mais encore tous les partisans de l’unité de l’empire et de l’Église. Agobard, archevêque de Lyon, écrivit à Louis une lettre qui nous a été conservée[97], pour le conjurer de se rappeler les serments inviolables prêtés en 817. Il lui reproche d’avoir tout renversé, d’avoir omis le nom de son fils aîné dans les actes de l’empire, ce qui semble être une allusion à la charte de partage dont nous avons parlé ci-dessus : Vous faites, dit-il, murmurer le peuple de tous ces serments divers que vous exigez de lui. Pépin, qui s’était évadé de Trèves, et son frère Louis tirent ouvertement appel il la révolte ; ils étaient secondés par Wala, Elisachar, Matfried et tous ceux qui avaient été condamnés à l’exil. On engagea Lothaire à se mettre à la tête du mouvement et à marcher contre son père. Le pape lui-même fut sollicité de passer les Alpes, pour venir appuyer de son autorité le principe de l’unité de l’Église et de l’État[98].

Au printemps de l’an 833, on vit en effet le souverain pontife se mettre en route avec Lothaire, et venir se joindre aux insurgés. Déjà Pépin et Louis avaient pris les armes. Les trois frères et le pape firent leur jonction dans la plaine de Rothfeld, vaste bruyère située entre le Rhin et les Vosges, près de Colmar. Louis le Débonnaire, à la tête d’une armée considérable, marcha au-devant d’eux. Il était accompagné d’un certain nombre d’évêques qui voyaient dans la démarche du chef de l’Église une usurpation des droits de l’empire. Quand les deux armées se trouvèrent en présence, le 24 juin 833, le pape Grégoire voulut faire une dernière tentative de réconciliation ; il alla trouver l’empereur dans sa tente ; on négocia pendant plusieurs jours, mais sans aboutir. Ces longs pourparlers n’eurent d’autre résultat qu’une défection complète dans le camp de Louis. A en croire les historiens du temps, les troupes de l’empereur s’écoulèrent comme un torrent vers ses fils.

Au bout de trois jours, Louis le Débonnaire se trouva seul dans son camp avec Judith, son fils Charles, le fidèle Drogon et quelques comtes et évêques. Exposé aux insultes de la lie de l’armée, lui-même demanda à être mis sous la protection de ses fils. On le conduisit avec les siens dans la tente de Lothaire, où il fut immédiatement séparé de Judith et de son fils. On envoya l’impératrice sous escorte à Tortose, en Italie, et le jeune Charles à l’abbaye de Prum en Ardenne. Dans une assemblée tumultueuse qui fut tenue immédiatement, Lothaire déclara que l’empire étant tombé des mains de son père par la volonté de Dieu, il était juste que lui, son héritier présomptif et son associé au trône, le relevât. Il se fit en conséquence proclamer empereur unique et souverain de toute la monarchie[99]. Les places et les dignités de la cour furent partagées entre les grands de son parti.

Le désordre, dit M. Himly, avait été intronisé avec Lothaire. Chacun des leudes puissants qui l’avaient soutenu dans sa tentative, Hugues, Matfried, Lambert, prétendait à la première place après lui, et, en attendant qu’ils se missent d’accord, ils partageaient l’empire entre eux et leurs partisans... Le pape s’en retourna à Rome dégoûté des intrigues mesquines qu’il avait vues, repentant peut-être de ce qu’il avait fait lui-même[100]. De leur côté Louis le Germanique et Pépin, dont les États paraissent avoir été augmentés par un nouveau partage de l’empire, s’en retournèrent chez eux. Lothaire emmena son père prisonnier dans l’intérieur de la Gaule, et le lit provisoirement enfermer au couvent de Saint-Médard, à Soissons.

La grande trahison était consommée. Le Rothfeld reçut depuis lors le nom de Lügenfeld, champ du mensonge. On le montre encore aujourd’hui aux voyageurs qui traversent la haute Alsace. Rien ne prospère, dit-on, dans cette plaine désolée, toujours battue par les vents froids[101]. Il restait à faire déclarer Louis à jamais inhabile à régner. Comme il n’y avait pas de raison de droit sur laquelle un plaid général pût motiver une semblable condamnation, on prit une autre voie pour arriver au même but. Ce fut en soumettant le vaincu à la grande pénitence de l’Église, qu’on le contraignit à se dépouiller de tous les insignes et attributs du pouvoir. Un grand nombre d’évêques, ayant à leur tête les archevêques Ebbo, de Reims, et Agobard, de Lyon ; se prêtèrent à l’exécution de cet acte blâmable.

L’histoire de ce triste drame est assez connue : on amena Louis à Compiègne, où, en présence de Lothaire, d’un nombre considérable de grands et du peuple entier, entouré des évêques coalisés et d’autres ecclésiastiques, il fut étendu sur un cilice et obligé de se prosterner devant l’autel et de lire haute voix une formule qu’on lui avait mise en main[102] contenant la confession de ses grands péchés. Il dut ensuite ôter son ceinturon, signe de la vie militaire, et endosser la robe grise des pénitents ; après quoi on le reconduisit dans sa prison.

Lothaire, craignant que son malheureux père ne fut délivré par un de ses fidèles, l’amena malgré lui de Compiègne Aix-la-Chapelle. Mais il ne jouit pas longtemps de son triomphe sacrilège. L’opinion publique se souleva contre ce fils dénaturé ; l’indignation générale devint si menaçante, qu’Agobard, un des évêques qui avaient assisté au draine de Compiègne, se crut obligé de publier un mémoire justificatif, dans lequel sont reproduites toutes les vieilles calomnies répandues contre Judith au temps de son alliance avec le duc Bernard. La jeune femme de l’empereur, y est-il dit, sentant son époux s’attiédir son égard, chercha d’autres hommes pour assouvir sa lasciveté, en secret d’abord, et puis en public ; le peuple en riait, les grands s’en affligeaient, tous ceux qui avaient quelque honneur jugeaient la honte intolérable[103].....

Cette fuis encore la réaction vint du côté des populations germaniques de l’empire. Aux yeux des Francs, l’humiliation infligée au fils de Charlemagne était une injure faite à la nation. Le roi de Bavière, Louis, se vit entraîné par le mouvement qui se faisait dans toute la Germanie. Il avait d’ailleurs épousé une sœur de Judith, qui ne devait pas être insensible aux malheurs de l’impératrice. Ses deux oncles, l’évêque Drogon et l’abbé Hugues, qui, toujours fidèles au chef de la dynastie, s’étaient retirés à sa cour, eurent d’autant moins de peine à le déterminer à prendre parti pour son père, qu’il était blessé des prétentions impérialistes de Lothaire. Il envoya d’abord une ambassade à son frère aine pour l’engager à montrer plus d’humanité à l’égard de leur père commun ; il eut ensuite une entrevue avec lui il Mayence, mais ils se séparèrent, plus brouillés que jamais. Hugues, abbé de Saint-Quentin, fut alors chargé d’ouvrir des négociations avec Pépin, qui pas plus que Louis le Germanique n’était disposé à souffrir la suprématie de Lothaire. Bientôt les deux jeunes rois se trouvèrent d’accord pour délivrer l’empereur prisonnier. Pépin se mit à la tâte des Aquitains et des Ultra-Séquaniens ; Louis convoqua les Austrasiens et les Germains. Dès que Lothaire fut informé de ces négociations, ne se jugeant plus en sûreté à Aix, il se transporta à Saint-Denis, et y convoqua tous ses partisans ; mais il lui arriva ce qui était arrivé à Louis le Débonnaire à Rothfeld : abandonné de ses leudes, il s’enfuit à travers la Bourgogne vers le Rhône et laissa son père avec le jeune Charles à Saint-Denis. Il ne s’arrêta qu’à Vienne en Dauphiné.

Louis le Débonnaire aurait pu immédiatement reprendre les rênes du gouvernement ; mais il n’y consentit qu’après avoir été solennellement relevé de sa condamnation ecclésiastique par les évêques présents à Saint-Denis. Il se rendit ensuite à Kiersy pour y tenir un plaid général[104]. Ses deux fils, Pépin et Louis, étant venus l’y rejoindre, il les remercia chaleureusement de ce qu’ils avaient fait pour sa délivrance. Après cela il partit pour Aix-la-Chapelle, où il trouva Judith, qui avait été également mise en liberté.

Mais bientôt Lothaire, ayant repris les armes, marcha au secours de Lambert et Matfried, ses plus dévoués partisans, qui avaient levé des troupes dans la Marche de Bretagne. Il prit et saccagea la ville de Chillons-sur-Saône, se rendit à Orléans et fit sa jonction avec ses leudes aux environs de Laval. Louis le Débonnaire convoqua le heerban des Francs à Langres, au mois d’août 834. A la tète d’une armée considérable, composée de Francs et de Germains, il se mit à la poursuite de Lothaire, qui s’était retiré sur Blois. Celui-ci n’évita une bataille et une défaite certaine, qu’eu faisant sa soumission et en promettant de se retirer en Italie et de ne plus repasser les Alpes sans la permission de son père[105].

L’année suivante (835), au mois de février, une assemblée générale fut convoquée à Thionville, et dans un synode détaché, tenu à Metz sous la présidence de Drogon, on annula solennellement la sentence de Compiègne. Quarante-quatre évêques prirent part à cet acte de réparation. Les auteurs de la sentence, et parmi eux Ebbo, arrêté au moment où il essayait de fuir, furent condamnés à leur tour. L’archevêque Ebbo déposa sa dignité, et lut lui-même à l’assemblée un écrit contenant l’aveu de son crime[106]. Agobard, l’évêque Bernhard, de Vienne, et Barthélémi, de Narbonne, furent déposés par contumace. L’archevêque Otger, de Mayence, l’ami intime d’Ebbo, quoiqu’il fût bien compromis aussi, échappa à la condamnation. Nous ne voyons aucun des évêques de Belgique parmi les condamnés ou les déposés. Ils étaient sans doute restés fidèles à l’empereur, leur souverain et compatriote. Dans la lutte des évêques précédents au concile de Metz, nous trouvons les noms de l’évêque Erard de Liége et de Théodoric de Cambrai[107].

Quelques condamnations comme celles d’Agobard et de Bernhard de Vienne, furent encore prononcées au plaid de Crémieux près de Lyon, en juin 835. La conduite de l’épiscopat fut sans doute la cause du grand concile qui eut lieu immédiatement après, à Aix-la-Chapelle, et du statut de réforme qui y fut décrété[108]. D’après M. Pertz, l’affaire du partage de l’empire ne fut pas reprise à Crémieux, comme le pensent avec Pithou et d’autres, MM. Fauriel et Himly. L’avis de ces auteurs repose sur l’opinion attaquée par M. Pertz[109], que l’acte du partage de 830 appartient à 835. Il est certain, dans tous les cas, que Judith obtint de son époux, soit alors, soit peu de temps après, qu’il déterminât encore une fois la part de sou fils Charles ; mais cet acte fut bientôt remplacé, par un nouveau partage arrêté à Worms, en 837[110].

D’après Wedekind, s’appuyant sur Nithard et les annales de Prudentius, Louis le Débonnaire donna alors à son fils Charles la majeure partie de la Belgique, le pays situé entre la Meuse et la Seine jusqu’à la Bourgogne ; toute la Frise, clone aussi la Hollande d’aujourd’hui, et une partie de la Zélande ; le long des frontières des Saxons et des Ripuaires, les comtés de Moilla, Haettra, Hammolant et Masagouwi[111] ; les territoires de Verdun, Toul, Ornois ; le pagus Bedensis, dans le Luxembourg ; Blaise, Perche, Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine ; Brienne, Troyes, Auxerre, Lens, le Gatinois français, Melun, Etampes, Chartres, Paris, et le territoire s’étendant le long de la Seine depuis Paris jusqu’à la mer[112]. Les évêques, abbés, comtes et vassaux de ces pays jurèrent fidélité à leur nouveau seigneur[113].

Cependant Louis le Débonnaire se faisait vieux, et Judith commençait à craindre que l’édifice qu’elle avait eu tant de peine à édifier ne s’écroulât à la mort de son époux. Il était urgent de trouver un appui pour son fils Charles. Elle revint à Lothaire, qui, ayant déjà été couronné empereur, ne tarderait pas, le cas échéant, d’exercer la puissance suprême dans l’empire. On l’invita plusieurs fois, notamment en 836 et 838, à des réunions où devait se trouver son père. Lothaire vint enfin, en 839, à un grand plaid tenu par Louis le Débonnaire à Worms, vers la fin de mai. Un arrangement fut alors conclu ; il était d’autant, plus facile à faire que le roi Pépin d’Aquitaine venait de mourir (le 13 décembre 838), et qu’on était résolu à ne pas permettre à ses fils de lui succéder[114].

Louis le Germanique, dans une entrevue qu’il eut avec son père au château de Bodam[115], sur le lac de Constance, avait été obligé de se contenter de la Bavière et de quelques pays annexés. Presque toute la monarchie restait donc à partager entre Lothaire et Charles. L’empereur en fit deux parts, l’une orientale, l’autre occidentale, comprenant le royaume d’Italie, et en laissa le choix à Lothaire[116]. La limite qui les séparait à partir de l’Italie, étant telle que Aosta, le pays de Valais (Wallis), le pays de Vaud jusqu’au lac de Genève, et la rive droite du Rhône jusqu’à Lyon, étaient compris dans la part orientale. De là, les frontières s’étendaient le long de la Saône jusqu’aux limites de, la Lorraine et de la Champagne, et puis le long de la Meuse jusqu’à la mer. La Savoie, le Dauphiné et la Provence se trouvaient dans la part occidentale[117]. Lothaire choisit la part orientale. Toute la Belgique, à l’ouest de la Meuse jusqu’à la mer, tombait donc dans le lot de Charles. Le terrain aujourd’hui occupé par la ville de Liée était séparé en deux par la Meuse ; la rive droite ou quartier d’outre-Meuse appartenait à Lothaire, la rive gauche à Charles ; ou, si l’on veut, la première faisait partie de l’Allemagne, la seconde de la France.

Ce dernier partage excita la colère de Louis le Germanique et des fils de Pépin ; mais l’empereur se rendit promptement maître de l’Aquitaine, dont les habitants jurèrent fidélité à Charles, en septembre 839, au camp de Clermont[118]. Lorsqu’ensuite il apprit l’invasion de la Saxe et de la Thuringe par Louis, il marcha contre lui et le refoula dans la Bavière ; de là il partit pour Worms, où il avait invité son fils Lothaire, à une conférence. Mais étant tombé subitement malade, il se fit transporter dans une île du Rhin vis-à-vis d’Ingelheim[119]. C’est là, sous une tente, qu’il expira, le 20 juin 840[120], entre les bras de son fidèle Drogon. Il avait, avant de mourir, pardonné son fils Louis et proclamé Lothaire empereur, recommandant à sa protection Judith et Charles, et ordonnant de lui remettre le sceptre, la couronne et le glaive, joyaux symboliques de la puissance impériale.

Ainsi mourut le fils de Charlemagne. Avec lui descendit dans la tombe, comme dit M. Himly, jusqu’au fantôme de l’unité de l’empire : car depuis longtemps l’empire même n’existait plus de fait. Le prestige du grand nom de Charlemagne était le seul lien qui parût encore relier entre elles ses diverses parties. Aquitains, Gallo-Francs, Germains, Italiens, tout en reconnaissant encore la suprématie nominale d’un seul empereur, s’étaient instinctivement séparés les uns des autres. Peut-être eut-il été heureux pour ces peuples que leur séparation fût définitive et que des prétentions dynastiques ne vinssent plus remettre en question leurs nationalités.

 

§ 5. TRAITÉ DE VERDUN[121].

Avant de nous occuper du traité de Verdun, nous devons nécessairement rappeler les événements qui y donnèrent lieu. À la mort de son père, Lothaire lit connaître à la nation qu’il avait pris possession du pouvoir impérial ; qu’il punirait les rebelles et qu’il récompenserait les fidèles. On le reconnut comme empereur dans toute la monarchie[122]. Un de ses premiers actes fut de rétablir son partisan Ebbo sur le siée archiépiscopal de Reims ; un synode fut assemblé à cet effet à Ingetheim, et l’absolution du prélat y fut prononcée[123].

Il était à prévoir que Lothaire, depuis longtemps couronné empereur et confirmé de nouveau dans cette dignité par son père au lit de mort, ne tarderait pas d’user de son autorité impériale et de prétendre à l’égard de ses frères i la même suprématie que son père avait exercée. On polirait prévoir aussi qu’il ne laisserait pas à son frère Charles tous les territoires qui, en 839, lui avaient été attribués avec son propre consentement. Il tacha de rassurer ce jeune prince par quelques paroles bienveillantes, mais il l’engagea en même temps à ne rien entreprendre contre les fils de feu son frère Pépin en Aquitaine, sans eu avoir conféré avec lui.

Cependant Louis de Bavière avait déjà rassemblé ses troupes et occupé la plus grande partie de l’Allemagne. En dernier lieu, il établit un camp près de Francfort. Lothaire, qui se voyait devancé dans ses projets hostiles, partit d’Italie au mois d’août, s’arrêta à Worms, et vint camper à l’embouchure du Mein ; mais, loin de s’empresser à livrer bataille, il conclut une trêve jusqu’au à 1 novembre. Il voulait dans l’intervalle tourner ses armes contre Charles ; il laissait à Louis ses conquêtes, espérant de pouvoir les reprendre après qu’il aurait écrasé son frère. Mais Charles n’avait pas manqué de se prémunir militairement contre la fourberie depuis longtemps connue de Lothaire. Laissant une partie de son armée en Aquitaine, pour occuper Pépin II, il s’avança vers le nord. Lothaire occupait déjà la Belgique, oit il avait des partisans ; il se hâta d’arriver sur la Seine ; ses vassaux du nord de la France se soumirent sans opposition ; il s’arrêta à Chartres.

De son côté, Charles était arrivé à Orléans, de sorte que les deux frères se trouvaient peu éloignés l’un de l’autre. Lothaire lui fit proposer une modification provisoire du dernier partage : il lui aurait laissé l’Aquitaine, la Septimanie, la Provence et dix comtés culte la Loire et la Seine ; un traité définitif devait être conclu à Attigny, le 8 mai 841[124] ; jusque-là, Louis le Germanique ne serait pas attaqué. A peine cet arrangement fut-il préparé, et accepté par les grands du parti de Charles, que les intrigues et les menées déloyales de Lothaire eu rendirent la conclusion impossible.

Louis semblait avoir fait de grands progrès en Germanie ; il avait reçu les hommages des Allemans, des Saxons, des Thuringiens et des Francs établis le long du Rhin. Il se trouvait avec ses troupes à Worms. Lothaire revint à lui et marcha contre son armée avec des forces imposantes. Les partisans de Louis soutinrent faiblement l’attaque ; il fut bientôt abandonné par le plus grand nombre d’entre eux, et dut se réfugier de nouveau en Bavière. Lothaire, se voyant maître du terrain, retourna à Aix-la-Chapelle pour y célébrer la Pâque ; mais un corps d’observation commandé par Adalbert[125], comte de Metz, créé duc par lui, se porta dans la contrée appelée encore aujourd’hui le Riess, qui forme la frontière entre la Souabe et la Bavière, près de Nœrdlingen.

Charles s’était rendu le 7 mai à Attigny ; il y attendit l’empereur jusqu’au 12. Celui-ci, au lieu de venir, contracta contre lui une alliance avec Pépin II. Charles se hala d’en conclure une autre avec Louis le Germanique, qui attaqua Adalbert près de Nœrdlingen, le battit et même le tua. Les armées des deux frères se rapprochèrent alors ; elles tirent leur jonction sur la rive gauche de la Marne, près de Chatons[126].

Lothaire, d’un naturel peu actif, voulait gagner du temps, pour voir arriver les secours de Pépin, qu’il avait demandés. Afin de tromper ses frères, il leur fit faire diverses propositions de paix ; mais ils ne se laissèrent pas arrêter et s’avancèrent contre lui. Au milieu du mois de juillet 841, ils se trouvaient a proximité de l’armée de Lothaire, près d’Auxerre, sur l’Yonne (frontière septentrionale de la Bourgogne). Entre le 21 et le 25 juillet, de nouvelles négociations furent entamées, mais infructueusement. Pépin Il n’étant pas encore arrivé, Lothaire cherchait a différer la bataille. Sou camp était près d’un village nommé Fontanetum, connu sous le nom français de Fontenai et appelé aujourd’hui Fontenailles. C’est là que la bataille eut lieu, le 25 du mois de juillet 841.

Nous croyons pouvoir passer sous silence les détails de ce grand fait d’armes. La bataille de Fontenai a été décrite par Nithard et par Agnellus[127], envoyé du pape, qui tous cieux y assistèrent, le premier en combattant lui-même dans l’armée de Charles. Elle dura pendant quatorze heures, et eut pour résultat de priver l’empire des Francs de ses meilleurs guerriers. Elle fut si meurtrière, qu’on évalua le nombre des morts, du côté de Lothaire seulement, à quarante mille. Malgré le secours de Pépin, l’empereur fut vaincu.

Les Austrasiens, qui n’avaient pas renoncé au principe de l’unité de l’empire, étaient de son côté ; ils combattirent en descendants des soldats de Charles Martel et de Charlemagne. On les vit rompre les lignes formidables des Germains de Louis, qui formaient le centre de l’armée des deux rois, et ils les auraient taillés en pièces, s’ils n’avaient été pris en liane par les Aquitains, les Provençaux et les Bourguignons de Charles. Ils succombèrent mais glorieusement sous le nombre de leurs ennemis. Sur cet effroyable champ de bataille tombèrent les forts, les expérimentés aux batailles, comme les appelle le poète Anghelbert[128].

Si la bataille de Fontenai ne fut pas le Waterloo de 841, elle conduisit cependant, mais plus tard, à la conclusion de la paix de Verdun. On espérait que le vaincu se soumettrait à ce jugement de Dieu ; il n’en fit rien. Lothaire s’enfuit à Aix-la-Chapelle, et, n’étant pas poursuivi par les vainqueurs, il tacha d’y rétablir ses forces. Il engagea les Normands à lui prêter assistance, et fit exciter par son fils Lothaire les paysans saxons à cette révolte contre leurs seigneurs, qui est connue sous le nom de Stellinga[129]. Cette sorte de conjuration pour le rétablissement de la liberté fut comprimée plus tard et cruellement traitée par Louis le Germanique, qui vint en aide aux seigneurs attaqués par leurs sujets et serfs (servi et leti).

La conduite de Lothaire obligea ses frères à renouveler et fortifier leur alliance. C’est ce qu’ils firent à Strasbourg le 16 des calendes de mars, par des serments solennels prêtés tant par eux que par leurs avinées. Ces serments furent prononcés par Louis et les troupes de Charles en langue romane, par Charles et les Germains, en langue tudesque. Leur formule nous a été conservée par Nithard ; c’est un des monuments les plus précieux du wallon-français et du flamand-allemand de cette époque[130].

Charles, parcourant les pays tombés en sa possession, vers la fin de l’année 841, était parvenu jusqu’en Hesbaie (on croit même à Liége), où il reçut l’hommage des Hasbaniens dont il avait su gagner l’affection[131]. Menacé par Lothaire, il rebroussa chemin, et fit ensuite sa jonction avec Louis le Germanique aux environs de Strasbourg. C’est là que les serments furent prêtés, au mois de mars 842. Ensuite les deux frères se mirent en marche avec leurs armées vers le Bas-Rhin ; arrivés à Coblence, ils traversèrent la Moselle. La défense de ce passage avait été confiée à l’évêque Otger, de Mayence, au comte Hatto et à Heriold le Danois, que Lothaire y avait postés avec quelques troupes ; mais ils s’enfuirent devant les forces supérieures des alliés[132]. Lothaire lui-même se trouvait, au palais de Sintzig, sur la rive droite du Rhin, près de Coblence. A leur approche, il se retira précipitamment vers Aix-la-Chapelle, d’en il partit pour aller chercher un refuge sur le Rhône, dit Nithard, sur la Marne, à Troyes, suivant d’autres auteurs.

Charles et Louis, revenus à Coblence, étaient embarrassés de trouver une solution ; ils crurent devoir la demander à l’Église, c’est-à-dire aux évêques et au clergé, comme organes de la volonté divine. Un jugement de Dieu, manifesté autrement que par la guerre et les ordalies en usage, leur paraissait propre à terminer le grand procès entre eux et leur frère aîné[133]. Le synode réuni à cette fin demanda aux deux rois s’ils voulaient gouverner d’après la volonté de Dieu et ne pas suivre les mauvais errements de Lothaire. Ils en firent la promesse solennelle. Alors les évêques déclarèrent que Lothaire, dénué de toute aptitude et de tout bon vouloir pour le gouvernement de l’État, était déchu par jugement de Dieu. Ils autorisèrent Louis et Charles se partager tout l’empire, leur disant : De par l’autorité divine, nous vous avertissons, nous vous exhortons, nous vous enjoignons de recevoir ce royaume, et de le gouverner selon la volonté de Dieu.

Aussitôt le partage fut résolu, et l’exécution confiée à vingt-quatre arbitres[134]. Louis, qui avait déjà la majeure partie de l’Allemagne, y joignit la Frise et la France ripuaire jusqu’à la Meuse ; une ligne de frontières fut tracée des environs de Namur vers l’Alsace ; les pays situés au midi de cette ligne furent adjugés à Charles, qui eut ainsi toute la partie de la France située en deuil de la Meuse. La Bourgogne des deux côtés du Jura devait également lui appartenir[135].

Lothaire s’était retiré vers l’Italie ; mais il s’arrêta avec les siens près de Lyon. Les deux rois marchèrent contre lui, pour le forcer à terminer la guerre. Ils n’étaient pas loin de Verdun, lorsque Lothaire leur envoya un messager, chargé de leur dire qu’il désirait la paix et un arrangement final. Il demandait la désignation d’un endroit où des délégués des deux partis pussent se réunir et ouvrir des conférences. Les rois, se méfiant de lui, répondirent qu’il n’avait qu’à leur envoyer ses représentants. Ils étaient convenus entre eux de lui céder une partie des territoires dont ils venaient de faire le partage. Lothaire leur députa trois hommes choisis, pour déclarer à ses frères qu’il désirait sincèrement la paix, et qu’il se contenterait d’un tiers de la monarchie : qu’il croyait pouvoir y prétendre, puisque d’après la volonté de leur père il devait porter la couronne impériale. L’Italie lui appartenant, comme la Bavière à Louis et l’Aquitaine à Charles, il proposait de diviser le reste de l’empire, ou plutôt l’empire lui-même, hors lesdits royaumes, un trois parts égales.

Les rois répondirent qu’ils n’avaient jamais voulu autre chose, et qu’ils étaient prêts à s’entendre[136]. Après en avoir délibéré, ils offrirent à Lothaire tout le pays situé entre la Meuse, la Saône et le Rhône, d’un côté, le Rhin et les Alpes de l’autre. S’il refusait, les armes devaient décider. Cette part ne lui parut pas suffisante, il demanda davantage. Les envoyés des rois crurent, sans cependant y être autorisés, pouvoir lui offrir encore le pays situé entre la Meuse et la forêt Charbonnière, plus la Provence, que Charles devrait lui rendre. Lothaire accepta, et une trêve, basée sur ces propositions, tut conclue.

Au camp de Charles, à Mussy, on ne fut pas content de cet arrangeaient, mais sur les instances d’Adelhard, frère de la mère de Charles, et l’homme le plus influent de son conseil, Charles unit par y acquiescer. Une réunion des trois frères eut lieu, le 5 juillet, à l’île d’Anille dans la Saône, près de Macon : ils s’engagèrent par serment à diviser l’empire (sauf l’Italie, la Bavière et l’Aquitaine) en trois parts égales, parmi lesquelles Lothaire pourrait choisir celle qui lui conviendrait. On arrêta que chacun des trois frères pourrait désigner quarante commissaires, qui se réuniraient le 1er octobre à Metz, pour régler ce nouveau partage. Charles et Louis promirent de se trouver pour lors à Worms.

En attendant, et sans doute pour utiliser les loisirs que leur donnait la paix provisoire, Charles s’en alla guerroyer en Aquitaine contre Pépin II ; Louis, en Saxe, coutre les Stellinga ; Lothaire, dans les Ardennes, contre ceux de ses vassaux qui l’avaient abandonné[137]. Ce dernier se trouvait Thionville, à l’époque fixée pour les conférences. Ses frères, qui étaient venus ii Worms, refusèrent d’envoyer leurs commissaires à Metz, ce lieu étant trop rapproché de Thionville ; ils proposèrent de convoquer la réunion à Worms ; finalement ce fut à Coblence qu’elle eut lieu, non le let, mais le 19 octobre.

C’était un congrès d’ambassadeurs. Ceux de Lothaire s’établirent sur la rive gauche du Rhin ; ceux des deux rois, sur la rive droite. Les séances furent tenues dans l’église de Saint-Castor. Les envoyés de Charles et de Louis demandèrent à ceux de l’empereur s’ils étaient porteurs d’une description statistique de l’empire, ce qu’ils espéraient, vu qu’il y en avait une dans les archives impériales déjà du temps de Charlemagne. Les envoyés de Lothaire répondirent qu’ils n’en avaient pas et qu’ils ne croyaient pas en avoir besoin, un partage consciencieux pouvant être arrêté sans cela. Les évêques, qui craignaient le renouvellement de la guerre, se rangèrent de leur avis ; mais les députés des rois ne voulurent pas continuer les travaux, et proposèrent une prolongation de la trêve, afin qu’on lit des deux côtés faire les études nécessaires pour terminer cette grande affaire en pleine connaissance de cause. Lothaire y consentit ; on se mit d’accord le 5 novembre ; la reprise du congrès fut fixée au 25 juillet 843. Charles et Louis retournèrent dans leurs pays respectifs.

Conformément à la convention du 5 novembre, des commissaires furent envoyés dans tout l’empire, par chacun des contractants, pour faire un relevé territorial exact des comtés, des évêchés, des abbayes ainsi que des domaines royaux, et pour en déterminer la valeur sous le rapport des revenus. Ils devaient se retrouver à Verdun, pour procéder au grand ouvre du partage. Tout fut terminé au mois d’août. Les trois frères vinrent en personne à Verdun ; ils jurèrent de maintenir le partage définitivement arrêté.

Malheureusement nous n’avons plus de texte de ce traité si célèbre dans l’histoire de l’Europe ; nous n’en connaissons que ce qui est rapporté par Prudentius, continuateur des annales de Saint-Bertin. Voici comment il s’exprime, à l’année 843 :

Hludovicus ultra Rhenum omnia, citra Rhenum vero Nemetum, Vangionam et Maguntiam civitates pagosque sortitus est.

Lotharius inter Rhenum et Scaldem in mare decurentem et rursus per Camerasensem, Hainaoum, Lommensem, Castritium et eos comitatus qui Mosœ citra contigui habentur, usque ad Ararem Rodano influentem et per deflexum Rodani in mare eum comitatibus similiter sibi utriusque adhœrentibus ;

Cetera usque ad Hispaniam Carolo cesserunt[138].

Les royaumes que chacun des frères possédait sans contestation ne furent pas compris dans le partage : savoir la Lombardie appartenant à Lothaire, l’Aquitaine à Charles, et la Bavière à Louis. Bien qu’il conservât le titre d’empereur, Lothaire n’eut plus aucun droit de suzeraineté sur les pays possédés par ses frères[139].

Cet acte, qui reçut son exécution, est un des plus importants parmi ceux des Carolingiens qui concernent la Belgique. C’est pourquoi nous avons rapporté avec tant de détails les événements qui le produisirent. Ou voit que toute la Belgique, hormis la Flandre et l’Artois, situés sur la rive gauche de l’Escaut, fit partie de le Lotharingie, pour former plus tard le duché de Lothier : car c’étaient l’évêché (alors encore comté) de Cambrai, le pays de Namur (Lommensis), le Hainaut, le Brabant, le Limbourg, le Luxembourg, qui tombaient dans la part de Lothaire.

Indépendamment du partage qui fut opéré à Verdun, on est autorisé croire qu’il intervint entre les trois frères une convention de rester unis, et d’exécuter, en vue de celte union, les articles du partage de l’an 817, en tant qu’ils fussent encore applicables à la situation[140]. Ainsi, il devait toujours exister un seul empire franc, divisé en trois royaumes ; l’un des rois devait porter la couronne impériale, soit dans la lignée de Lothaire, soit dans celle de ses frères. On sait que bientôt ceux-ci se la disputèrent, et que le but qu’on s’était proposé, de conserver l’union de la monarchie, ne fut pas atteint. L’intégrité même du royaume du milieu ne fut pas respectée plus tard : Louis le Germanique et Charles y portèrent atteinte en 870.

Quand on examine le partage de Verdun, on se demande quels ont pu être les motifs de ce mode de division, dont on aurait dû apercevoir les vices. N’était-il pas à prévoir que le royaume du milieu, et facile à écraser, ne pourrait pas résister aux attaques même d’un seul de ses deux voisins ? On a essayé plusieurs solutions de cette question. On a attribué ce mode de partage à l’antagonisme des nations ; mais, si la part de Louis était entièrement germanique, et celle de Charles, sauf la Flandre, toute gallo-franque., le royaume de Lothaire renfermait non seulement les deux éléments nationaux, mais en outre la nationalité lombardo-italienne. Ce n’était donc pas le principe des nationalités qui avait prévalu. D’autres en ont cherché les motifs dans l’intention d’assurer à chaque royaume des frontières naturelles, marquées par des fleuves et des rivières. Il y a du vrai dans cette supposition ; mais elle ne contient pas toute la vérité. Nous croyons ne pas nous tromper, en admettant que les copartageants furent déterminés par des raisons de plus d’une espèce. Voici nos idées à ce sujet.

On était convenu de partager l’empire en trois parts égales en rapports ou revenus ; le partage de l’an 843 devait donc remplir cette condition. D’un autre côté Lothaire, étant empereur et voulant le rester, devait tenir à la possession des deux capitales de l’empire. L’une était Rome, siége du pouvoir spirituel suprême, de qui les empereurs recevaient la couronne impériale ; l’autre, Aix-la-Chapelle, capitale politique créée par le fondateur de l’empire au centre de la monarchie et, pour ainsi dire, dans la patrie de la famille carolingienne ; le chef de cette maison devait y attacher le plus grand prix. De ce point central l’empereur pouvait avec facilité porter ses armes soit clans la Germanie, soit en France. Il fallait donc nécessairement prolonger le territoire de Lothaire depuis l’Italie qui lui appartenait, jusqu’au nord-ouest, et le rendre libre du côté de la mer.

Cette longue bande de territoire séparait les deux royaumes collatéraux, toujours disposés à guerroyer l’un contre l’autre. Sans doute la crainte de voir écraser le royaume du milieu n’existait pas : ou devait croire que l’un des rois voisins serait toujours intéressé à le maintenir, quand l’autre le menacerait. Il avait, au surplus, ses frontières naturelles, étant situé entre le Rhin, l’Escaut, la Saône et le Rhône. On ne s’en était départi qu’en donnant à Louis le Germanique les territoires de l’archevêché de Mayence et des évêchés de Worms et de Spire. La chronique de Reginon de Trèves explique cette déviation d’un plan rationnel par la nécessité de comprendre des vignobles dans la part de Louis[141]. On avait déjà fait quelque chose de semblable, en 84tl, dans les projets de partage entre les deux frères. Peut-être aussi l’annexion des trois évêchés à la part de Louis fut-elle jugée nécessaire pour rendre les trois lots d’un rapport égal.

Nous croyons, avec Gfrœrer[142], qu’on prit également pour base du partage, autant que possible, la circonscription des diocèses. Il dut en être ainsi tout au moins à l’égard (les évêchés de la rive gauche du Rhin que nous venons de citer. La province ecclésiastique de l’archevêché de Mayence comprenait une très grande partie de l’Allemagne, s’étendant jusqu’aux confins de la Bavière et embrassant la Pannonie avec le duché de Wurzbourg, la Thuringe et une partie de la Saxe. Il aurait été fort difficile il l’archevêque de Mayence d’exercer son pouvoir métropolitain sur la rive droite du Rhin, dans la Germanie gouvernée par Louis, si le siége épiscopal avait été dans la Lotharingie. Bien qu’il fût toujours partisan de Lothaire, il devait préférer d’avoir Louis le Germanique pour souverain temporel ; car autrement il risquait de se voir remplacé dans les évêchés d’outre-Rhin par un autre archevêque, dont la nomination aurait pu être facilement obtenue du pape.

La circonscription diocésaine eut sans doute aussi quelque influence sur les assignations de territoires faites à Lothaire en Belgique : car Liége faisait partie de la province archiépiscopale de Cologne ; une autre partie du pays relevait de celle de Trèves ; Cambrai cependant appartenait à la province de Reims. dans le royaume de Charles.

Une autre question assez intéressante est celle de savoir à quelle influence il faut attribuer la conclusion de la paix. On est tenté de croire que les trois rois eux-mêmes devaient être fatigués de guerres. Mais Lothaire aurait certainement continué la lutte, s’il n’avait été sûr de parvenir plus facilement à une bonne fin par les négociations ; et ses deux frères personnellement étaient toujours disposés au combat, pour le cas où leurs essais de pacification resteraient de nouveau sans effets. Le clergé, il est vrai, désirait ardemment la paix ; la guerre lui paraissait aussi funeste et destructive pour l’Église que pour l’État ; mais seul il n’était pas assez puissant ou assez influent pour forcer les princes à s’entendre. Il n’y a que les vassaux laïques qui aient pu obliger les rois à se réconcilier[143]. Ainsi que les généraux de Napoléon en 1813, ils devaient être las de ces combats si meurtriers ; la crainte perpétuelle d’être vaincus et dépossédés par le vainqueur devait leur faire désirer finalement la possession sûre et tranquille de leurs comtés, de leurs fiefs et même de leurs seigneuries allodiales. Déjà plus d’une fois ils avaient été obligés à la défection : aujourd’hui soumis à Lothaire, ils se voyaient forcés le lendemain à reconnaître Charles ou Louis. Le repos et la stabilité étaient un besoin absolu, tant pour eux que pour les seigneurs ecclésiastiques, et pour les rois eux-mêmes. Il arriva donc, en 843, ce qui eut lieu en 1648, lorsque toute l’Europe, dégoûtée de trente ans de guerres, aspirait à la paix, telle quelle, qui fut définitivement conclue à Munster[144].

 

 

 



[1] Funck, Ludwig der Fromme, oder Geschichte der Auflœsung des grossen Frankenreichs. Franuf. 1832 ; Luden, Geschichte des deutschen Volkes, t. V, l. 12, ch. 1-7 ; Hamberger, Synchronistische Geschichte der Kirche und der Weit im Mittelalter, t. III de 1651, l. I, c. 11-21 ; Sismondi, Histoire des Français, t. II, p. 421, jusqu’à la fin, et t. III, p. 1-48 : Henri Martin, Histoire de France, t. II, p. 362-408 ; Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale. Cet auteur a traité avec une grande supériorité de talent les événements du midi de la France depuis Louis le Débonnaire jusqu’au dixième siècle. Enfin M. Himly a jeté sur l’histoire de Louis le Débonnaire un jour tout nouveau dans son livre intitulé : Wala et Louis le Débonnaire, Paris, 1849. Les sources de cette histoire sont : 1° La vie de Louis le Débonnaire écrite par un auteur auquel on a donné le nom d’Astronome (D. Bouquet, t. VI, p. 87 et. suiv. ; Pertz, t. II, p. 604). Cette biographie est la base des chroniques de Saint-Denis pour cette époque. 2° Une biographie plus courte écrite par Thegan de Trèves (D. Bouquet, V, 73, Pertz, II, 585) ; 3° les Annales d’Eginhard jusqu’en 819 ; 4° les Annales de Saint-Bertin et de leur continuateur Prudentius (Bouquet, t. V, 173 et 192 ; Pertz, t. I, p. 425 et suiv.) ; 5° le livre de Nithard, petit-fils de Charlemagne (Bouquet, VI, 67 : Perte, II, 631). 6° Une grande quantité de chartes, de lettres, de capitulaires, réunis dans le VIe vol. de D. Bouquet, et les derniers dans Perte, Leges, t. I, p. 464.

[2] Thegan, à qui ce portrait est emprunté, ajoute que, pour manier l’arc et lancer un javelot, personne ne pouvait lui être comparé (Thegani Hludowici imperatoris, D. Bouquet, t. VI, p. 73 et suiv. ; Pertz, II, p. 585 et suiv.)

[3] Wala et Louis le Débonnaire, p. 32.

[4] Il méprisait, dit Thegan, les poètes profanes qu’il avait appris dans sa jeunesse, et ne voulait ni les lire, ni les entendre, ni les écouter. (Thegan, Vita Hlad. imp., ap. Bouquet, t. VI, p. 73 ; Pertz, t. II, p. 285.)

[5] Elle était fille d’Ingoramme, qualifié duc de Hesbaie ; ce qui semble douteux, car nous ne connaissons que des comtes de ce pagus. Cependant, on donnait quelquefois eux comtes le titre de duc, comme il arriva aux comtes de Hainaut et de Hesbaie. V. l’Astronome, Vita Hludow. imp., c. 8, ap. Bouquet, t. VI, p. 87 et s. ; Pertz, II, p 604 et s. ; Thegan, Vita Hlud. imp., c. 4, ap. Bouquet, VI, 73 et s. ; Pertz, II, 585 et s.

[6] Voyez l’Astronome, ch. 21, dans le tome VI de Dom Bouquet, p. 97, et d’après lui les chroniques de Saint-Denis, ibid., p. 137 ; Funck, p. 47 ; Sismondi, II, p. 430 ; H. Martin, II, 497.

[7] D. Bouquet, t. VI, p. 276.

[8] L’Astronome, Vita Ludov., c. 24. On n’est pas bien d’accord sur la poilée de cette mesure. Voyez Gfrœrer, Geschichte der Carolinger, t. I.

[9] Himly, Wala et Louis le Débonnaire, p. 221.

[10] Nous suivons, avec Funck et Himly, les données des sources, telles que l’Astronome, Eginhard, les chroniques de Saint-Denis, d’après les textes, dans Dom Bouquet, t. VI, savoir : pp. 97, 98, 99, 138,140, 174, 176, 185, 188.

[11] Celui-ci ne régna que de 811 à 813.

[12] Sismondi, II, p. 465.

[13] Astronom., ch. 33 et 34 ; H. Martin, II, p. 512 et 517 ; Funck, p. 72-75.

[14] Funck, p. 68-69 et 84 ; H. Martin, l. c., p. 501.

[15] Astronom., cap. 33, ann. 820.

[16] Sismondi, p. 449, 464 ; H. Martin, p. 501 et 518 ; Funck, p. 89. ; Astronom., c. 40 et 42.

[17] Cette cérémonie a été décrite avec tous ses détails par Ermoldus Nigellus, poète contemporain : César, dit-il, par respect pour le seigneur, reçoit lui-même Hérold quand il sort de l’onde régénératrice, et le revêt de sa propre main de vêtements blancs. L’impératrice Judith, dans tout l’éclat de sa beauté, tire de la source sacrée la reine, femme d’Hérold, et la couvre des habits de chrétienne. Lothaire, déjà César, fils de l’auguste Louis, aide de même le fils d’Hérold à sortir des eaux baptismales ; à leur exemple, les grands de l’empire en font autant pour les hommes distingués de la suite du roi danois, qu’ils habillent eux-mêmes, et la foule tire de l’eau sainte beaucoup d’autres d’un moindre rang... Hérold, couvert de vêtements blancs, et le cœur régénéré, se rend sous le toit éclatant de son illustre parrain. Le tout-puissant empereur le comble alors des plus magnifiques présents que puisse produire la terre des Francs. (In honorem Hludovici Cæsaris Augusti, IV ; D. Bouquet, t. VI, p. 1 sq. ; Pertz, t. II, p. 464 sq. ; traduction de M. Guizot, collection des mémoires relatifs à l’histoire de France.

[18] Voici comment Landerbert, l’un des missi de Louis le Débonnaire, s’exprimait sur le compte de ce peuple qu’il avait été chargé d’observer : C’est une race orgueilleuse et perfide, pleine de malice et de mensonge ; elle est chrétienne, mais c’est seulement de nom, car elle n’a ni la foi ni les œuvres ; elle habite les bois comme les bêtes fauves, et vit comme elles de rapine. Son chef s’appelle Morman, si tant est qu’il mérite le nom de chef, lui qui régit si mal son peuple. Souvent ils ont menacé nos frontières, mais ce ne fut jamais impunément. (Ermoldi Nigelli Carmen, lib. III, p 39.) C’est cette race qui, comparse à celle des Francs, excite l’admiration d’Augustin Thierry. Voyez sa XIe Lettre sur l’histoire de France.

[19] L’Art de vérifier les dates, t. XIII, p. 188 ; H. Martin, p. 381 ; Sismondi, p. 460-463 ; Funck, p. 67 et 86 ; Fauriel, IV, 75-91.

[20] L’Art de vérifier les dates, V, p. 438 ; Sismondi, p. 462 ; H. Martin, p. 385 ; Fauriel, 18, 55.

[21] Sismondi, p. 466 ; H. Martin, p. 343 ; Viardot, Essai sur l’histoire des Arabes d’Espagne, Paris, 1833, 2 vol. in-8°. On y trouve des renseignements sur les guerres des Francs et des Arabes, t. I, p. 54, 61, 65, 66, Funck, p. 86, 230 et suiv.

[22] Voyez aussi Fauriel, IV, p. 55-75.

[23] H. Martin, p. 585, Funck, p. 86 et 259.

[24] L’Art de vérifier les dates, t. III, pp. 40-45.

[25] Nous devons aussi mentionner l’exposé des réformes ecclésiastiques sanctionnées par Louis le Débonnaire dans l’ouvrage de M. Ellendorf : Die Karolinger, t. II, p. 51-84.

[26] Mansi, Sacror. canon. nova collectio, t. XIV, p. 149 et suiv.

[27] Pertz, l. c., p. 204-206.

[28] M. Hefele (p. 28) est aussi de cet avis.

[29] Celle-ci est appelée vita regularis, celle-là vita canonica.

[30] Ces statuts, qui font partie d’une espèce de code de institutione canonicorum et de institutione sanctimonialium, ne se trouvent pas dans Pertz, mais dans Mansi et Hartzheim.

[31] Il parait que ce commandement fut peu observé. Pépin, par exemple, se fit condamner à restituer aux églises les biens qu’il leur avait enlevés. L’empereur lui-même se permit quelquefois de semblables usurpations. On continua d’ailleurs, malgré les plaintes du clergé, à donner des abbayes à des abbés laïques. Voyez Ducange, v° Abbas comes, cité par Eichhorn, § 168, note c.

[32] Pertz, l. c., p. 223-234.

[33] Il s’agit probablement des abbayes fondées ou dotées par les rois ou leurs aïeux, de celles qu’on pouvait appeler abbayes de l’empire.

[34] Pertz, p. 210-217.

[35] Hefele, p. 29-30. M. Pertz donne ce capitulaire dans le 2e volume des Leges, partie II, p. 5-6, au nombre des documents faux. M. Hefele croit à son authenticité. M. Bœhmer ne mentionne pas cet acte.

[36] Pertz, p. 231.

[37] Pertz, p. 213.

[38] Pertz, p. 233.

[39] Les actes de ces synodes sont imprimés dans Mansi, t. XIV, p. 417 et suiv. M. Hefele donne des détails, tant sur les synodes mêmes, que sur leurs décrets (p. 49-68).

[40] Perte, p. 329-340. Hefele, p. 69.

[41] Voyez dans Pertz, p. 353, les Capitula Wormacensia quæ pro lege habenda sunt. V. aussi Eichhorn, Deutsche Staats-und Rechtsgeschichte, § 150.

[42] Pertz, l. c., p. 310, et suiv.

[43] Eichhorn, § 163, n° 3. Capit. Ludovici, ann. 819, c. 7, apud Pertz, p. 227.

[44] C’est avec  plaisir que nous nous trouvons d’accord en ce point avec M. Funck, p. 183.

[45] On trouve un exposé chronologique très exact de ces événements dans un ouvrage remarquable et fort estimé, quoique peu répandu, qui porte le titre de Noten zu einigen Geschichtsschreibern des deutschen Mittelalters, par feu Wedekind de Wolfenbuttel. Hambourg, 1838. Cet exposé fait l’objet de la note 80 (t. II, p. 419), intitulée Prœliminarien des Reichstheilungsvertrages zu Verdun. M. Waitz (Verfassungsgesch., t. IV, p. 5 et s.), cite aussi comme faisant autorité l’ouvrage de Meyer, De intestinis sub Ludovico pio ejusque filiis in Francorum regno certaminibus, Monasterii, 1858.

[46] Einhardi, Annales, ad ann. 818.

[47] Einhardi, Annales, ad ann. 817.

[48] Agobard. Lugdun. Archiep, epist. ad. Ludov. P. adversus legem Gund. ; D. Bouquet, t. VI, p. 356.

[49] Charta divisionis imperii, apud Baluz., t. I, p. 574 ; Pertz, t. I, Leges, p. 198.

[50] Charta divis., ann. 817.

[51] Ce troisième fils de Louis étant encore fort jeune, ses États furent administrés par Lothaire jusqu’en 825.

[52] Ce sont les châteaux et anciennes seigneuries de Lautershofen et d’Ingolstadt sur le Danube, dans le palatinat supérieur. La Carinthie s’étendait sur le Tyrol et Salzbourg ; la Bohème comprenait la Moravie d’aujourd’hui et même une partie de la Hongrie. (Wedekind, l. c., p. 436.)

[53] 1 Ce point est cependant douteux. C’est à l’âge de quinze ans que l’article SI de la loi ripuaire permet au jeune homme sui juris de choisir lui-même un défenseur dans ses procès ; mais cela constitue-t-il la majorité proprement dite ? Charles le Chauve fut déclaré majeur à sa quinzième année ; il ne l’était donc pas de droit. D’après le droit des Francs saliens, la majorité ou plutôt la puberté commençait à douze ans. (Voyez Pardessus, Loi salique, p. 451.)

[54] Wala et Louis le Débonnaire, p. 81.

[55] Histoire de la Gaule méridionale, t. IV, p. 47.

[56] Agobard le dit expressément dans sa lettre à Louis le Débonnaire. (D. Bouquet, t. V, p. 367.)

[57] Charta divisionis, c. 15, ap. Baluz., t. I, p. 578.

[58] Einhardi, Annales, ad ann. 817.

[59] Thegan, c. 12.

[60] Annales, 821, traduction de M. Teulet. Il parait qu’Adalhard et Wala avaient un frère du nom de Bernhard.

[61] Einhardi, Annales, 822.

[62] Wala et Louis le Débonnaire, p. 91.

[63] Astron., c. 30.

[64] Thegan, c. 26.

[65] Wala et Louis le Débonnaire, p. 102.

[66] Entre autres, le célèbre Raban, de l’abbaye de Fulde, et l’évêque  Freculfe. (Epist. Freculphi episc. Lexor. ad Juditam, ap. Bouquet. VI, p. 355.)

[67] Epist. Freculphi episc. Lexor. ad Juditam, ap. Bouquet. VI, p. 356. Annales Mettenses, ann. 829. Agobardi lib. apolog., ap. Bouquet, VI, p 248.

[68] Constitutio Hlotarii imper. sub Eugenio II Pap. fact. ann 894. D. Bouquet, VI, 41 ; Baluz., II, 318 ; Pertz, I, 239.

[69] L’article est diversement interprété ; on l’explique par l’impossibilité dans laquelle durent se trouver la plupart des Romains de prouver leur nationalité originaire. Voyez Savigny, Histoire de droit romain au moyen âge.

[70] Wala et Louis le Débonnaire, p. 99.

[71] Nithard, Hist., l. I, c. 2.

[72] Nithard, Hist., l. I, c. 3.

[73] Nithard, Hist., l. I, c. 3.

[74] Wala et Louis le Débonnaire, p. 118 et 119.

[75] Hist. translat. S. Bathild., ap. Mabillon, IV, 1, p. 450.

[76] Vita Walæ, ap. Mabillon, IV, 1, p. 491.

[77] Cette énumération des pays donnés en apanage au jeune Charles se trouve dans les Annales Nantenses, ann. 829 (Pertz, Monum. Germaniæ histor., t. II, p. 225.) Après avoir mentionné le conventus tenu à Worms, le chroniqueur dit : Et ibi tradidit imperator Karolo filio suo regnum Alisacense et Coriense et partem Burgundiæ. Nithard s’exprime ainsi : Per idem tempos Karolo Alamannia per edictum traditur (Nithard, Historiæ, l. I, c. 3, ap. Pertz, p. 632.) V. aussi Thegan, ch. 35, p. 597. Dans les annales de Weissenburg, ann. 829, on lit : Karolus ordivatus est dux super Alisatiam, Alamanniam et Riciam (Pertz, I, p. 3).

[78] Vita Walæ, p. 504.

[79] Astron., c. 44.

[80] Vita Walæ, p. 597. Agobardi lib. apolog., ap. Bouquet, VI, p. 248.

[81] Vita Walæ, p. 498.

[82] Vita Walæ, p. 502.

[83] Annales Mettens., ad ann. 838.

[84] Nous suivons M. Himly pour tous ces détails.

[85] Vita Walæ, p. 500.

[86] Voyez Wala et Louis le Débonnaire, par M. Himly, p. 133 et suiv.

[87] Vita Walæ, p. 500.

[88] Nithard, Hist., l. I, c. 3.

[89] Nithard, Hist., l. I, c. 3.

[90] De translat. S. Viti, ap. Mabillon, IV, 1, p. 534.

[91] Nithard, Hist., l. I, c. 3.

[92] Nithard, Hist., l. I, c. 3.

[93] Nithard, Hist., l. I, c. 3.

[94] Charta divisionis imperii inter Lodhweicum, Pippinum et Karolum. (Pertz, Leges, t. I, p. 357-550 ; Baluz., t. I, p. 686.)

[95] Charta divis. imp., c. 13. Baluz., l. c., p. 683.

[96] Nithard, hist., l. I, c. 3.

[97] Agobardi Luyd. arch. flebil epist. de divisione imperii inter filios ; ap. Bouquet, t. VI, p. 367.

[98] Nithard, l. I, c. 4.

[99] Vita Ludovici, c. 48 ; Annales Nantenses, ad ann. 833 ; Nithard., l. I, c. 4 ; Regino, ad ann. 838 ; Waitz, t. IV, p. 570-571.

[100] Wala et Louis le Débonnaire, p. 167-168.

[101] Il est douteux que dans le mot Rothfelt la syllabe roth signifie rouge. La contrée parait avoir pris ce nom de ce qu’elle était une bruyère nouvellement défrichée Rotten, ausrotten, veut dire défricher ; c’est sa signification dans Rotweil, Rottenbourg, etc.

[102] Elle est imprimée dans Pertz, Leges, I, p. 369. Voyez le récit de cette scène dans Fauriel, p. 145 et suiv.

[103] Agob. lib. apol. pro filiis Lud. Pii. adv. patrem ; ap. Bouquet, VI, p. 248 et s.

[104] Astron., Vita Hludoc., c. 52.

[105] Nithard, l. I, c. 5.

[106] La formule de son abdication est connue et se trouve dans Pertz, Leges, I, p. 370. Nous ne comprenons pas qu’on la donne comme faite à Compiègne, puisque c’est à Thionville qu’Ebbo fut jugé. L’histoire de cette assemblée-concile est brièvement racontée par Hefele (t. IV, p. 80 à 83). Voyez aussi Funck, p. 151. Hincmar de Reims nous a conservé les noms des évêques qui y avaient assisté.

[107] Voyez, sur les assemblées de Thionville et de Metz, l’Astronome, ch. 24.

[108] M. Hefele en donne un aperçu, p. 81-89. Voyez également Mansi, p 671. Le chapitre 2 du livre Ier du décret de ce concile traite de persona regis filiorumquæ ejus et ministrorum, et contient l’énoncé des principes que, selon le concile, ces personnes doivent suivre à l’égard de l’Église.

[109] Monum. Germ. hist., leges, t. I, p 356.

[110] L’Astronome dit qu’il passe cet acte sous silence comme une divisio inofficiosa (Pertz, Monumenta, II, p. 643.)

[111] Nithard, hist., l. I, c. 6. De ces quatre comtés le Haettra seul est inconnu. Le comté de Moilla était dans le pays des Hattuaires correspondant au duché de Clèves. Le Harmmolant ou Hamaland niait le pays des Chamaves au sud de lYssel. Le Masagouwi ne peut être que le Masgau.

[112] Sismondi (III, 31) dit de ce partage, que Louis réduisit ses trois fils aînés à l’Italie, à l’Aquitaine et à la Bavière, et qu’il donna la majeure partie de l’empire à Charles. V. aussi Waitz, IV, p 573.

[113] Nithard, lib. I, c. 6.

[114] Nithard., l. I, c. 6 ; Astron., Vita Ludov., c. 59 ; Sismondi, III, p. 43 ; Fauriel, IV, p. 174 et s.

[115] M. Henri Martin ne semble pas très versé dans la géographie des bords du lac de Constance : car il dit (p. 405) que l’entrevue de Louis le Débonnaire et son fils Louis eut lieu à Bodoma près de Bregenz. Le château de Rodman est bien éloigné de cette ville ; il est à l’autre extrémité du lac, à peu prés vis-à-vis de la ville d’Ueberlingen. On en voit encore les restes aujourd’hui.

[116] Wedekind. p. 450-456 ; Sismondi, III, p. 35 ; H. Martin, p. 404 ; Fauriel, p. 174.

[117] Voyez les textes de l’acte de partage de 839 dans Pertz, Leges, t. I, p. 373, et les annales de Saint-Bertin à l’an 839 (D. Bouquet, VI, 202), Waitz, IV, p. 576.

[118] Wedekind. p. 456 ; Sismondi, III, p. 40 ; H. Martin, p. 405.

[119] Ce doit être une des trois îles appelées Rheinau, Langwertherau et Sandau, qu’on remarque entre Erbach et Hattenheim.

[120] Wedekind, p. 457. Les chroniqueurs rapportent que les derniers mots de l’empereur moribond furent us, us (uit, uit, ou aus, aus). Les assistants crurent qu’il voulait chasser le diable (Astronome, ch. 64) ou ordonner à son âme de sortir de son corps. Il est plus probable qu’il voulut dire Het is uit ou Es ist aus, c’est fini.

[121] Les sources de cette période historique sont réunies dans le tome VII du recueil de Dom Bouquet. Les chroniques à consulter sont les mêmes que nous avons déjà citées si souvent, et qui se trouvent dans les t. I et II des Monumenta Germaniæ historica de Pertz. Le récit le plus exact des événements des années 840-843 est dans Fauriel, t. IV, p. 191-262, et dans l’appendice de Funck, p. 187 et suiv. L’histoire de cette époque est également traitée dans l’ouvrage de Gfrœrer, Geschichte der Ost-u. West-Carolinger vom Tode Ludwigs des Frommen bis zum Ende Conrads I, Freiburg, 1848. C’est un ouvrage dont on doit se servir avec précaution, à cause du grand nombre de suppositions gratuites auxquelles l’auteur a recours pour expliquer les évènements.

Voyez aussi Histoire de France, par M. Henri Martin, t II, p. 810 et s. ; Schwartz, Der Braderkrieg der Sochne Ludwigs des Frommen, Fulda, 1873 ; Heijer, De intestinis sub Ludorico Pio in regno Francorum certaminibus ; Waitz, Verfassungsgeschichte, t. IV, p. 578 ; Scholle, De Lotharii I imperatoris eum fratribus de monarchia facto certamine, Berlin, 1855. M. Scholle compare les forces du parti de Lothaire avec celles de ses frères et démontre leur supériorité ; il raconte ensuite la marche des événements, d’après les sources, et examine le traité de Verdun, qu’il ne considère pas comme la base de l’érection de l’empire germanique, fonde seulement par le couronnement de l’empereur Arnulphe.

[122] Nithard, ap. Pertz, t. II, p. 655 et 656 ; Dom Bouquet, VII, p. 16 et suiv.

[123] Mansi, XIV, 774 : Pertz, Leges, I, 374. On a sur Ebbo des détails fort curieux dans la chronique de Flodoard de Rheims, ap. D. Bouquet, VI, p 213.

[124] Nithard, l. II, c. 4.

[125] Adalbert était en même temps l’homme d’État et le capitaine le plus éminent du parti de Lothaire.

[126] Nithard, l. II, c. 9.

[127] De vitis pontif. Ravennæ. Wedekind, p. 467, donne une description circonstanciée du combat, ainsi que Funck, p. 201, et Fauriel, IV, p. 226. Dans ce dernier on trouve un poème dont l’auteur a assisté à la bataille du côté de Lothaire. Voyez aussi Eckhart, t II, p. 348, D. Bouquet, VII, p. 340 ; Nithard, ap. Pertz, p. 661, 662. Waitz, t. IV, p. 582. Henri Martin, t. II, p. 413.

[128] V. les Historiens des Gaules, t. VII, p. 304.

[129] Nithard, l. c., Prudentius, p. 437, 438 ; Annales Nantenses, ap. Pertz, II, 227, et Wedekind, p. 472. L’histoire de cette insurrection et des guerres qu’elle occasionna est fidèlement racontée, d’après les sources, par Funck, p. 207, 211 et suiv. La signification du mot Stellinga est fort obscure. Selon nous il dérive de Aufstellung c’est-à-dire Aufstand, insurrection. C’est cette interprétation que vient aussi d’adopter M. Zoepfl dans le vol. II, de ses Alterthümer des deutschen Reichs u Rechts, p. 226.

[130] Le récit de l’assemblée de Strasbourg et ses serments ont été souvent publiés ; on les trouve, entre autres, dans Pertz, Leges, I, p. 375, et dans Dom Bouquet, VII, p. 26 et 35.

[131] Prudentius, ad ann. 841, ap. Pertz, I, p. 453. Il dit de Charles : Per Franciam permeans. Hasbanienses adit sibique plus amore quam timore conciliat. (D. Bouquet, VII, p. 60). Nithard (l. III, c. 2) parle d’un comte des Mansuariens, que M. Pertz croit être du Masogau. La Mansuarie était une enclave de la Toxandrie entre le Demer et la grande Nèthe, confinant à la Hesbaie, vers le sud, au pays de Ryen vers le Nord.

[132] Nithard, l. III, c. 7.

[133] Nithard, l. IV, c. 1.

[134] Nithard, l. IV, c. 1.

[135] Wedekind, p. V78, d’après Nithard. p. 668 et 669 ; Funck, p. 215 ; Mansi, XIV, p. 786.

[136] Fauriel, p. 215.

[137] Nithard, l. IV, c. 4.

[138] Pertz, Monumenta, I, p. 440 ; D. Bouquet, VII, 62. Voyez aussi les Annales de Fulde et de Metz, ann. 843, ap. D. Bouquet, p. 160 et 155 ; ap. Pertz, I. On n’est pas d’accord sur la date du traité ; elle est incertaine, Waitz, IV, p. 590.

[139] Waitz, t. IV, p. 591-593.

[140] Mais c’est une supposition gratuite de Gfrœrer, que les trois frères aient en même temps garanti à leurs vassaux et aux grands de leurs royaumes de ; libertés et des droits politiques. Cette assertion a été victorieusement réfutée par M. Wenk, p. 125, et désapprouvée par M. Waitz, p. 593, note 2.

[141] Chron. Regin., l. II, ad ann. 852, ap. Pertz.

[142] Mort en juillet 1861, pendant que nous travaillions à ce chapitre. Il était professeur d’histoire à l’université de Fribourg. Voyez son ouvrage  intitulé : Geschichte der Karolinger vom Tode Ludwigs des Frommen, t. I, p. 57.

[143] C’est aussi l’opinion de Gfrœrer, opinion combattue, à l’aide de raisonnements peu solides, par M. Wenck, Das Frankische Reich seit dem Vertrage von Verdun, Leipzig, 1851, p. 424 et suiv.

[144] V. Wurm, Ueber die Bedeutung des Vertrags von Verdun dans la Revue publiée par M. Cotta sous le titre : Deutsche Vierieljahrschrift, vol. 4, p. 325.