SAINT LOUIS ET SON TEMPS

 

TOME SECOND

CHAPITRE XX. — LES LETTRES ET LES SCIENCES DU TEMPS DE SAINT LOUIS. LA POÉSIE.

 

 

I. — Poésie latine.

L'Église avait gardé son empire sur tout ce qui s'écrivait en latin. C'est par elle, c'est en partie pour elle que fleurit la poésie latine au moyen âge. Je parle ici des hymnes, et l'on y pourrait joindre certaines proses, qui, bien qu'affranchies du mètre, n'en sont pas moins animées d'un souffle poétique, rattachées d'ailleurs par la coupe et par la rime aux formes de la poésie en langue vulgaire : c'est même à elle que la poésie en langue vulgaire les emprunta. Le 'douzième siècle avait dû plusieurs hymnes ou proses vraiment religieuses au chanoine Adam de Saint-Victor[1]. La fête du Saint-Sacrement, établie en France et dans toute l'Église par une bulle du pape français Urbain IV (1264), inspira des œuvres du même genre à des hommes occupés de tout autres études. Citons la prose Lauda Sion, attribuée à saint Bonaventure, et l'hymne Pange lingua, qui est de saint Thomas d'Aquin.

La poésie latine avait eu une sorte de renaissance au douzième siècle, et, dans le genre profane, elle avait produit une œuvre remarquable : le Ligurinus consacré à la vie de Frédéric Barberousse, vainqueur des Ligures ou plus exactement des Milanais : poème faussement attribué à Gunther, moine de Pairis, en Alsace, et dont l'auteur, allemand sans doute, et qui eût été volontiers homme de cour, peut bien avoir été aussi un homme d'Église[2]. D'autres se rapportent par leurs auteurs au douzième et au treizième siècle en même temps : poèmes didactiques surtout. Les uns mettent, en vers la grammaire, comme le Grécisme d'Ébrard de Béthune et le Doctrinal (doctrinale puerorum) d'Alexandre de Villedieu, sorte de tour de force dont l'auteur ne se tire qu'en remettant au maure le soin d'éclaircir pour l'élève ce que son vers obscurcit ; et des générations infinies d'enfants furent mises au régime du Doctrinal ! Le livre s'imposa à tout le treizième siècle ; il s'enseigna dans le quatorzième, dans le quinzième siècle et au delà, jusqu'en 1514, où il fut décidément détrôné par Despautères[3]. D'autres confient à la poésie les sujets les moins poétiques assurément, les battements du pouls, les urines, les antidotes, les médicaments : j'ai nommé les poésies de Gilles de Corbeil, médecin de Philippe Auguste, fort expert dans son art et pas trop inhabile dans la tâche supplémentaire qu'il s'était imposée[4] : application des vers à la médecine !

Quelques-uns cherchent une meilleure inspiration dans les Livres saints. Pierre de Riga, chanoine de Reims, avait, à la fin du douzième siècle, traduit et commenté la Bible dans un poème qu'il appela Aurora, parce, que la Bible, comme l'aurore, chasse les ténèbres[5]. Matthieu, abbé de Saint-Denis au temps qui nous occupe, sut se borner au livre de Tobie et en fit l'objet d'une fort belle élégie[6]. D'autres s'adressèrent à l'histoire profane : matière poétique en effet, quand elle a passé à l'état de tradition, — c'est des grandes traditions nationales qu'est sortie l'épopée, — mais qui reste au niveau de la chronique ou se réduit à une froide imitation des épopées anciennes quand il s'agit de faits contemporains.

Gautier de Lille qui, répudiant sa ville natale, aima mieux s'appeler Gautier de Châtillon, avait choisi les temps anciens et pris le plus grand nom de leur histoire : Alexandre. Mais un tel poème ne pouvait être qu'une réminiscence de l'antiquité sous une forme où notre poète ne s'est pas suffisamment souvenu de Virgile. L'Alexandride qu'on expliqua, dit-on, dans les écoles au treizième siècle préférablement à l'Énéide, ne pourrait chercher une place qu'à la suite des derniers poèmes de la décadence de l'Empire[7].

Gilles de Paris alla puiser dans les traditions nationales, quand il fit ses quatre chants du Carolinus. Malheureusement, de ce grand sujet, qui produisit dans la langue vulgaire tant de chansons de geste fameuses, il ne sut faire qu'un exercice d'école. Il s'était proposé dans ses quatre chants de retrouver les quatre vertus théologales en son héros ; et, bien qu'il ne soit pas resté rigoureusement astreint à cette démonstration, il en retient toujours l'attache de la scolastique. Il ne retrouve de verve que quand, reprenant son naturel et l'esprit vrai de son temps, il glisse de l'épopée à la satire pour montrer dans un cinquième chant, indépendant d'ailleurs de son premier ouvrage, que ces quatre vertus qu'il a cherchées dans Charlemagne ne se trouvent pas dans Philippe Auguste sous lequel il écrit[8]. Le principal poème latin du treizième siècle, c'est le poème consacré à ce prince qui n'eut peut-être pas les vertus requises par Gilles de Paris, mais n'en fut pas moins un grand roi, la Phillippide de Guillaume le Breton. On y trouve les inconvénients que je signalais dans les sujets contemporains ; mais dans le temps, on en était sans doute moins choqué, et à distance il garde au moins pour nous l'intérêt de l'histoire sous une forme qui n'est pas d'ailleurs à dédaigner : c'est de tous les ouvrages de cette sorte celui qui par le talent se rapproche le plus du Ligurinus[9]. Un autre, Nicolas de Braie, a célébré en dix-huit cents et quelques vers, non pas la vie entière de Louis VIII, mais la prise de la Rochelle et le siège d'Avignon[10]. Quant à saint Louis, aucun de ces poètes ne l'a chanté. Mais Joinville nous en console.

Diverses petites pièces latines rappelaient encore au treizième siècle les divers genres qui se développaient plus librement alors dans la poésie en langue vulgaire :

L'Élégie : on en a publié plusieurs, une entre autres, sur la vanité du monde, où l'on a vu une sorte de réveil funèbre chanté la nuit des morts par les clercs ou par les moines à la porte des hauts dignitaires ecclésiastiques ou des abbés, avec ce refrain :

Surge, surge, vigila ; semper esto paratus[11].

La Satire : il y en a une très-vive de Pierre de la Vigne contre les prélats, le pape et les frères mineurs, satire digne du secrétaire intime de l'empereur Frédéric II[12].

Enfin, la chanson légère, voire même la pastourelle avec la conclusion ordinaire de cette sorte d'idylles[13].

Quoique l'Église ait été la maîtresse de tous ceux qui cultivaient les lettres, à quelque titre que ce fût, les écrits en langue vulgaire, s'étaient plus naturellement dégagés de son influence. C'est ainsi qu'en dehors d'elle se forma toute une littérature d'un caractère original, œuvre des troubadours et des trouvères où l'on retrouve l'épopée, la poésie lyrique, la satire et tous les genres de la poésie familière, déclamée ou chantée.

 

II. — Chansons de geste.

L'épopée, c'est la légende transportée dans le domaine de la poésie. Elle est née des chants populaires. S'il se rencontre un génie qui, tout plein de cette inspiration, sait s'emparer de la- tradition nationale et mettre en scène, sur un théâtre digne d'eux, les héros que le peuple a chantés, on a un Homère, une Iliade ; sinon on peut avoir beaucoup d'Homères en germe, plusieurs Iliades en voie de formation, des fragments d'Iliade : mais la période épique (elle n'a qu'un temps) s'écoule, sans que l'œuvre ait été créée. C'est ce qui est arrivé au moyen âge. Le moyen âge a eu ses chants populaires ; il a eu ses traditions nationales et ses héros ; il a eu nombre de poètes, de créateurs, selon le sens du mot ancien, de trouvères, de troubadours, d'inventeurs, selon le sens du mot nouveau ; il a eu nombre de poèmes, il n'a pas eu son Homère, il n'a pas eu son Iliade.

Tous ces poèmes, qui se faisaient encore au temps de saint Louis, pouvaient se ranger en trois grandes familles ou cycles épiques : le cycle de Charlemagne, le cycle de la Table ronde et le cycle d'Alexandre, auquel se rattachent divers sujets d'antiquité : le premier, né des traditions françaises ; le deuxième, des traditions bretonnes ; le troisième, des souvenirs classiques sous l'impulsion du mouvement poétique qui avait créé les deux premiers.

De ces trois cycles, il en est un qui est nôtre par le sujet comme par l'inspiration : le cycle de Charlemagne : grand nom, grandi encore par la légende et qui communique son prestige héroïque aux personnages mêlés à ses exploits, amis ou ennemis. Le cycle de Charlemagne, en effet, ne se compose pas seulement de peines consacrés à la gloire, du grand empereur. Charlemagne le domine plus qu'il ne le remplit. C'est le plus communément quelqu'un de ses barons qui y obtient le rôle principal, comme Roland ; c'est aussi plus d'une fois quelques-uns de ses adversaires, comme Ogier le Danois, Renaud de Montauban, etc. : car la plupart des poèmes portent l'empreinte de l'esprit féodal qui a triomphé de la race de Charlemagne ; et le cycle s'étend, comprenant ou les pères ou les fils des personnages rendus fameux par les premières chansons, soit au nord, soit au midi de la France, avec cette particularité que les héros même du Midi, à une ou deux exceptions près[14], ce sont les trouvères du Nord qui les chantent. J'ai dit qui les chantent : c'est en effet de cette manière que les poèmes se répandaient. Les trouvères ou jongleurs s'en allaient, leur petit manuscrit à la main, leur vielle ou violon, instrument dont ils s'accompagnaient, pendue à leurs épaules ; et, soit devant les seigneurs dans les salles du château, soit devant le peuple aux porches des églises, ils psalmodiaient, par fragments, leurs poèmes, à peu près comme on voit encore leurs successeurs infimes chanter dans nos provinces, les jours de marché ou de foire, les aventures de Geneviève de Brabant.

M. Léon Gautier, qui a étudié avec une compétence si parfaite et un si ardent amour la grande question des romans de geste, partage, d'après les trouvères eux-mêmes, le cycle de Charlemagne en trois gestes principales[15] : I. La geste du roi, où la gloire de Roland efface la gloire même de Charlemagne ; II. la geste de Carin de Montglane où brille Guillaume au Court-nez, le héros de la Bataille d'Aliscamps ; III. la geste de Doon de Mayence, remplie surtout par les exploits de Renaud de Montauban et d'Ogier le Danois. Ajoutez quelques cycles de moindre étendue : le cycle de la Croisade, avec la chanson d'Antioche ; la geste des Lorrains, avec le poème de Garin le Loherain ; les gestes du Nord et de Bourgogne ; la petite geste de Blaives (Amis et Amiles) ; la petite geste de Saint-Gilles, et des gestes diverses, sans compter plusieurs poèmes postérieurs au commencement du quatorzième siècle, rangés dans un supplément.

Le cycle de la Table ronde se rattache à un autre nom, beaucoup plus grand dans la légende que dans l'histoire : le roi Artus ou Arthur, consacré dans les pieux souvenirs des Bretons, par leur culte pour leur nationalité qui succomba avec lui. Ces traditions, chantées par les bardes bretons, étaient déjà modifiées par le christianisme quand elles fournirent matière à l'épopée ; elles ne furent vraiment transformées en poèmes qu'en passant en France, pour être traduites dans la langue de nos trouvères du Nord. La chronique bretonne du moine Nennius (neuvième ou dixième siècle) qui résumait les légendes de la Bretagne, mise en latin, au douzième siècle, par Geoffroi de Monmouth (1137), suscita le roman du Brut, œuvre du clerc normand Robert Wace (1155), qui chanta aussi les antiquités normandes dans le roman de Rollon[16] ; et bientôt nombre d'autres romans formèrent le nouveau cycle : les uns d'un caractère profane, où, avec les exploits du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde, sont racontés les amours de Lancelot du Lac et de l'infidèle Genèvre, femme d'Arthur ; de l'enchanteur Martin et de la fée Viviane ; de Tristan et de la blonde Yseult, fiancée oublieuse et bientôt femme non moins légère du bon roi Marc ; d'Yvain et de la châtelaine dont il a tué le mari ; d'Érec et d'Énide, et maint autre épisode romanesque ou magique ; les autres d'un caractère religieux où le roi Arthur règne toujours avec ses chevaliers, mais dont l'objet principal est, à travers mille aventures qui ne sont pas toutes édifiantes, la recherche du saint Graal, c'est-à-dire du vase sacré qui a servi à la Cène et où Joseph d'Arimathie a recueilli le sang du Sauveur. Chrétien de Troyes fut, après Robert Wace, le principal auteur de ces poèmes dans la seconde moitié du douzième siècle. Il a fait dans le genre profane Tristan (aujourd'hui perdu, mais d'autres l'ont refait), Yvain ou le Chevalier au Lion, Érec et Énide, le Chevalier à la Charrette (Lancelot du Lac) ; dans le genre religieux, Perceval le Gallois[17].

Tous ces romans, malgré leurs sujets étrangers et leurs marques d'origine, ont reçu des trouvères français l'empreinte et comme le costume de la France. La cour du roi Arthur est la cour de Charlemagne, avec une mise en scène chevaleresque que la cour de Charlemagne assurément ne connaissait pas davantage. On en peut dire autant des poèmes dont les sujets sont tirés de l'antiquité : la Guerre de Troie de Benoît de Sainte-More ; l'Æneas (imitation de l'Énéide) qui est du même auteur, peut-être, ou du moins du même temps ; la Guerre de Thèbes, l'Alexandre de Lambert li Cors (le court) et d'Alexandre de Paris, ou plutôt de Bernai[18] : cycle tout factice où l'on voit se mouvoir sous des noms antiques, mais avec leurs allures ordinaires, les héros chantés dans les autres romans. Les miniatures qui, dans quelques manuscrits, les représentent sous les armures du douzième et du treizième siècle sont plus vraies qu'avant de les lire on ne serait tenté de le croire ; et il ne faut pas s'en plaindre. Où en serions-nous dans la connaissance du moyen âge, si au lieu de nous peindre les mœurs et de nous retracer les costumes du temps, poètes et miniaturistes avaient entrepris de nous représenter des Grecs ou des Romains !

A quel point en était arrivé ce mouvement poétique au temps de saint Louis ? La grande époque en était terminée et l'on penchait vers la décadence. Si les poètes empruntaient leurs sujets à des temps dont les héros avaient déjà passé de l'histoire dans la légende, si c'était la condition même du genre épique, leur inspiration ne venait pas de là ; elle dérivait d'un fait présent, d'une guerre qui avait pour cause première et qui à son tour avait porté au plus haut degré d'exaltation l'esprit religieux et militaire du moyen âge : de la croisade. Comme on l'a remarqué, le trouvère qui a donné à la chanson de Roland sa forme épique n'a rien dit de la croisade dans son poème. Mais ce n'est pas, comme plusieurs l'ont cru, un signe qu'il lui soit antérieur. Non, il l'a vue dans son premier élan, il l'a sentie au moins au fond du cœur ; et c'est là ce qui lui donne, sous une enveloppe rude et grossière encore, cette sève vraiment héroïque qui circule dans ses vers[19]. Tant que l'esprit de la croisade anima la chrétienté, les épopées se multiplièrent avec le même caractère plus ou moins soutenu. Nous avons nommé Roland qui est comme le pivot de la geste du Roi ; on peut citer encore Huon de Bordeaux dans la même geste ; la Bataille d'Aliscamps, qui est dans la geste de Garin de Montglane ce qu'est le Roland dans la geste du Roi[20] ; la Chevalerie Ogier et Renaud de Montauban ou les Quatre fils Aymon dans la geste de Doon de Mayence ; la Chanson d'Antioche et Jérusalem, dans le cycle particulier de la croisade ; Gérard de Roussillon (provençal) ; Carin le Loherain, Girbert de Metz, dans les petites gestes, annexes des premières, tous poèmes du douzième siècle[21].

Quand l'esprit de la croisade décline, la veine n'a point tari, mais l'inspiration manque : et c'est là le caractère le plus général des trouvères du treizième siècle. Ils ne font plus que tourner autour des précédentes chansons. Ils y ajoutent des commencements ou des fins ; ils y intercalent des épisodes : par exemple dans la geste de Garin de Montglane, le Siège de Barbastre qu'Adenès refit plus tard sous le nom de Beuves de Comarchis[22] ; ou s'ils font du nouveau, c'est comme par appendice et par supplément aux sujets déjà traités, comme Anséis de Carthage, attribué à Pierre du Riès[23]. Quelquefois ils se contentent de moins. Ils se bornent à remanier les anciennes chansons, à en changer non-seulement la rime, mais la mesure. Au douzième siècle déjà, on avait substitué aux assonnances par la dernière voyelle accentuée, qui accouplaient finir et dessin, par exemple, les assonnances par la dernière syllabe ou rime : substitution qui entraînait quelquefois un allongement du couplet. Au treizième siècle, on substitue au vers de dix pieds, qui est la mesure de la chanson de Roland et de la plupart des chansons de geste, le vers de douze pieds, vers d'une allure plus solennelle, qui, mis en vogue par le poème d'Alexandre, en prit le nom d'alexandrin.

La fin du douzième siècle avait connu des remanieurs ; mais quelques-uns animés encore d'un souffle puissant, comme Graindor, de Douai, qui refit la Chanson d'Antioche et Jérusalem, probablement d'après Richard le Pèlerin ; Jean Bodel, trouvère artésien, qui fit la Chanson des Saisnes ou Guitéclin de Sassoigne (le Saxon Witikind) d'après un ancien poème[24]. Au treizième siècle, les remanieurs sont surtout des lettrés, énervant sous des formes plus élégantes l'énergie des vieux chants, comme Adenès ou Adam le roi (ainsi appelé parce qu'il avait été roi des ménestrels[25]), qui refit sur des chansons antérieures Berthe aux grands pieds, Beuves de Comarchis (nommé plus haut) ; et les Enfances d'Ogier, d'après la Chevalerie Ogier attribuée à Raimbert de Paris[26].

Les romans tirés de l'antiquité et surtout les romans de la Table ronde devaient avoir plus de faveur encore du jour où l'inspiration héroïque était tombée. Au treizième siècle appartiennent, outre quelques reproductions, même sous nom étranger, du roman de Troie de Benoît de Sainte-More, un roman d'Hector, qui en est une imitation ; la Geste d'Alisandre, par Thomas de Kent, qui ne vaut pas l'Alexandre de Lambert li Cors et d'Alexandre de Paris ; et un roman de Jules César, par Jacques Forest, qui imite Lucain, et le continue jusqu'à ce que Jules César ait fait à Rome son entrée triomphale[27]. A la Table ronde se rattache dans le cours du treizième siècle un nouveau roman de Tristan, l'un des sujets les plus goûtés (ce qui n'est pas à la gloire des mœurs de ce temps-là) ; Frégus et Galienne ou le roman du Chevalier au bel écu, par Guillaume, clerc de Normandie[28], et plusieurs autres.

Les romans de la Table ronde étaient, sous la forme qu'ils prirent dès le principe en France, des romans d'intrigue amoureuse. Il ne faut donc pas s'étonner qu'ils aient fini par se confondre avec les romans d'aventures, romans chevaleresques encore, mais dont le moindre souci est de célébrer la vertu des chevaliers ou la pudeur des femmes. Ces sortes de romans vont singulièrement se multiplier. Parmi les plus fameux du treizième siècle, il faut citer Parthénopex de Blois, histoire des amours d'un jeune chevalier, neveu du roi Clovis, roi des Francs, et de la fée Melior, héritière du trône de Constantinople, par Denis Pyram, un des poètes le plus en renom à la cour du roi d'Angleterre, Henri III[29] ; Floire et Blanceflor, roman dont l'auteur est inconnu, mais qui justifie la célébrité dont il jouit au moyen âge par le tableau touchant de la tend, dresse, des malheurs et de la fidélité de deux jeunes amants[30] ; le roman de la Violette de Gibert de Montreuil, imité par Boccace et d'où Shakespeare a pris le sujet de sa Cymbeline[31], le roman du roi Flore et de la belle Jeanne, consacré, comme le précédent, à la fidélité de la femme[32], et le Cléomadès, un des meilleurs romans du fécond Adenez le roi, écrit un peu après la mort de saint Louis. Par une galanterie que l'auteur de sa notice 'ne vent pas prendre à la lettre, il prétend qu'il lui a été dicté par deux dames dont il refuse de découvrir les noms :

Leur nom ne veuil en apert dire

Car leur pais aim et dout leur ire[33],

tout en promettant de satisfaire à la fin de son livre la curiosité de ceux qui les voudraient connaître ; et les derniers vers nous donnent en acrostiche (un des plus anciens exemples de cette forme de jeu) :

LA ROINE DE FRANCE MARIE, MADAME BLANCHE,

c'est-à-dire Marie de Brabant, femme de Philippe le Hardi et Blanche de France, fille de saint Louis, veuve de l'infant Ferdinand de la Cerda[34] On aime mieux croire, en effet, que la fille de saint Louis n'a pas eu, part aux inventions de ce roman[35].

Nous avons cité Adenez comme un des principaux remanieurs des chansons de geste au treizième siècle. Ces exercices littéraires seront surtout la poésie du temps où les croisades étant finies pour toujours, l'inspiration dont elles animaient les trouvères sera tombée : je veux parler du quatorzième siècle. Au quinzième, on ira plus loin. On ne cherchera plus à nos vieux chants une forme poétique encore, mais appropriée au goût du jour. On les mettra en prose. La curiosité publique n'en demandera pas davantage.

Le passage du cycle de Charlemagne au cycle de la Table ronde, du roman héroïque au roman d'aventures, qui pour le temps semblait être un progrès, était déjà un signe de décadence. Un pas de plus dans cette voie mènera plus bas encore : d'une part à ces romans où l'aventure prend un tel caractère que l'on n'y peut plus voir qu'une parodie de l'ancienne épopée, une sorte de poème héroï-comique, la Batrachomyomachie après l'Iliade[36] ; d'autre part au roman allégorique. Pour ce dernier genre de composition, ce n'est plus qu'une œuvre toute philosophique et littéraire. Le roman sorti du peuple est tombé dans l'école. Ce sera le caractère du roman fameux qui est plus particulièrement le roman du treizième siècle, mais du treizième siècle touchant au quatorzième : le Roman de la Rose, roman d'amour sous l'allégorie d'une fleur, commencé par Guillaume de Lorris (vers 1262) et continué par Jean de Meung (vers 1305) sous la même forme, mais dans un tout autre esprit. Avec Guillaume de Lorris, c'est l'amour, un mélange bizarre de tendresse mystique et de sensualisme grossier, de galanterie chevaleresque et de subtilité scolastique, ou encore l'art d'aimer d'Ovide, compliqué d'une érudition prétentieuse et d'une métaphysique sentimentale que n'aurait jamais comprise le génie positif d'un Romain[37] ; avec Jean de Meung, c'est la satire, une satire où l'on retrouve moins l'écho de Juvénal que l'on n'y sent déjà les premiers accents de la réforme.

Ces deux caractères de la galanterie et de la satire se retrouvent séparés quelquefois, mais souvent aussi réunis en des genres de poésie moins étendus : les chansons, les lais et les fabliaux.

 

III. — Poésie lyrique et poésie légère. - Troubadours.

On ne peut songer à énumérer ici les chansons ; mais il est impossible de ne point rappeler la grande place qu'a tenue cette poésie élégante et légère dans l'histoire de notre littérature et l'influence qu'elle eut sur les pays voisins. La littérature provençale est là pour la plus grande part, et cette littérature qui florissait en même temps sur les bords du Rhône et de la Garonne, sur la haute Loire et jusque sur la Vienne, avait franchi les Alpes et les Pyrénées. Elle avait pris dans ces contrées lointaines un tel empire que les poètes y négligeaient leur propre langue, une langue sœur, mais distincte néanmoins, pour composer leurs chants en provençal.

Il faut se transporter au douzième siècle, le grand siècle de la poésie au 'moyen âge, pour voir les raisons de cet ascendant que la littérature provençale retenait encore au temps de saint Louis, mais qui dès lors touchait à son déclin. Il faudrait remonter jusqu'au onzième siècle pour en trouver le nom le plus illustre, Guillaume IX, duc d'Aquitaine et comte de Poitiers, un des soldats de la première croisade[38] ; mais la période de son éclat s'étend du milieu du douzième siècle aux premières années du treizième.

Les principaux foyers en étaient les cours des comtes de Toulouse et de Provence ; Montpellier, Marseille aussi ; et c'est de là qu'elle étendait sa domination jusque sur les petites cours de l'Italie du nord et dans les royaumes d'Aragon et de Castille[39]. On sait la parenté qui unissait ces deux royaumes, et il faut se rappeler aussi que la maison de Barcelone, qui régnait en Aragon, avait, depuis 1168, établi une de ses branches en Provence[40]. Tous les genres de la poésie lyrique et de la poésie familière étaient du domaine des troubadours : la chanson, terme appliqué à plusieurs sortes de pièces, toutes chantées d'ailleurs ; le couplet, division de la chanson, mais quelquefois pris pour la chanson même, surtout la chanson d'amour ; le son ou sonnet, qui se chantait aussi avec ou sans accompagnement d'instruments ; le planh (planctus) ou complainte, forme de l'élégie ; la tenson, sorte de dialogue où deux interlocuteurs, et le plus souvent deux poètes rivaux, disputaient par couplets de même mesure et de semblables rimes sur l'amour, la morale, la chevalerie et quelquefois sur leurs faits et gestes : comme la tenson où Albert, marquis de Malaspina, et Rambaud de Vaqueiras se reprochent d'avoir été, celui-ci mendiant, celui-là voleur de grand chemin ; comme celles encore où le même Rambaud et Guillaume IV d'Orange se renvoient l'un à l'autre les plus sanglantes injures[41]. La tenson s'appelait aussi partimen ou jeu parti quand l'objet en était un débat amoureux. Il faut citer encore le sirvente, pièce particulièrement satirique, qui se déclamait ou se chantait, et se prenait à tous les sujets de la satire, les personnes, les mœurs, la politique ; l'épître, la pastourelle, sorte d'églogue, l'aubade et la sérénade, chants où l'amant conjure l'aube comme importune, ou invoque le soir comme favorable à ses désirs ; la ronde et d'autres espèces régulières ou irrégulières (sixtine, descort, etc.[42]), variées à l'infini dans leur coupe, dans leur rythme, où le poète semble mettre sa vanité à se jouer avec une rare souplesse au milieu de mille difficultés de détail accumulées comme à plaisir[43]. Ces genres divers eurent à la fin du douzième siècle et au commencement du treizième des interprètes célèbres : Pierre Vidal, un des plus renommés par ses vers comme par ses aventures[44] ; Elias Cadenet, dont nul n'a surpassé la grâce et la naïveté dans l'aubade et la pastourelle[45] ; Gaucelm Faidit, fort goûté de Pétrarque[46] ; Rambaud de Vaqueiras, qui a d'autres titres à l'estime que ses tensons, par exemple sa complainte sur la mort de Béatrix de Montferrat[47] ; Blacas, seigneur et troubadour, plus célèbre comme seigneur pour sa munificence que comme troubadour pour ses vers ; mais célébré par les troubadours en raison de sa munificence[48] ; Folquet de Marseille, qui après avoir pratiqué les arts de la gaie science en Provence, en Languedoc, en Espagne, accueilli partout avec faveur, et sans rival pour ses chants amoureux, trouva de plus mâles accents au lendemain de la fatale journée d'Alarcos (18 juillet 1195), et, passant de la vie de cour à la vie religieuse, se fit, comme évêque de Toulouse, une réputation de tout autre nature : son sirvente pour appeler les peuples à la défense de la chrétienté menacée par les Maures marque cette transition dans sa. carrière et pouvait présager l'ardeur qu'il déploierait contre les ennemis de la foi[49].

Mais le plus fameux dans ce genre âpre du sirvente, c'est Bertrand de Born, seigneur de Hautefort, le conseiller et le mauvais génie de Henri Court-Mantel dans ses luttes contré son frère Richard, contre son père Henri II. Ses sirventes étaient des proclamations qui appelaient, qui entraînaient aux armes[50]. Il composa aussi des poésies amoureuses : mais la brouillerie faisait encore le fond de ces chansons ; et il est difficile de croire que le raccommodement lui fût plus cher que la brouillerie. C'était sa politique : Je veux que les hauts barons soient toujours furieux les uns contre les autres, disait-il[51]. Il finit par se faire moine. Ce n'est pas sans raison que Dante lui donne une place dans son Enfer[52] ; mais n'oublions pas qu'il l'a rangé ailleurs avec deux autres troubadours de son temps, Arnaud Daniel et Giraud de Borneil, parmi ceux qui ont parlé cette langue noble et élevée, digne de servir de modèle aux réformateurs de la langue italienne[53].

Le troubadour avait un auxiliaire dans le jongleur : ou bien il l'emmenait avec lui pour chanter ses vers : car tel bon poète peut être mauvais chanteur, et le jongleur était alors au troubadour ce que l'écuyer était au chevalier ; ou bien il lui donnait le soin d'aller seul chanter ses poésies, et cela fit une distinction parmi les jongleurs : les uns enrôlés en quelque sorte au service des poètes, allant faire entendre leurs chants à ceux qui les pouvaient goûter, les autres faisant métier d'amuser le public par tout ce qui retint le nom de jonglerie[54]. Mais les troubadours, quand ils n'en étaient pas empêchés, se servaient d'interprètes à eux-mêmes ; et plusieurs, comme plias Cadenet, commencèrent par être jongleurs[55]. Les nobles ne dédaignaient pas un art dont les plus grands s'étaient honorés, depuis Guillaume IX, comte de Poitiers, duc d'Aquitaine ; et les plus humbles savaient faire oublier leur origine quand ils s'élevaient au niveau des autres par leur inspiration. Tous en effet étaient admis à égal titre dans ces concours, sorte de tournois poétique où leur talent recevait sa récompense : les concours du Puy en Velay. datent du douzième siècle, et l'on pense que les jeux floraux de Toulouse n'ont été que la remise en honneur de plus anciens concours. Tous également trouvaient déjà comme récompense le bon accueil qu'ils recevaient des châtelains et tout particulièrement des châtelaines. La galanterie, en effet, avant qu'elle altérât et, je ne crains pas de dire, qu'elle affadit le caractère de la chevalerie, était le propre du troubadour[56]. Le troubadour, reçu dans un château, ne manquait point de payer sa bienvenue en chantant la beauté de la dame du logis, et quelquefois ses vers étaient payés eux-mêmes d'une autre sorte. C'était un péril dont les tours avec leurs ponts-levis, leurs herses et tout l'appareil de leurs mâchicoulis, ne garantissaient pas les seigneurs ; mais il en arrivait mal aussi parfois aux troubadours. Guillaume de Cabestaing y trouva la mort avec des circonstances qui font penser ou qui servirent de thème à la tragique histoire du sire de Coucy et de la dame de Fayel[57]. Bernard de Ventadour, non pas un noble, mais un vilain, fils du fournier du vicomte de Ventadour, ne fut pas moins entreprenant auprès de la vicomtesse. Chassé par le vicomte, il se fit accueillir, et bien accueillir d'Éléonore d'Aquitaine. Peu s'en fallut que ce fils de vilain ne devînt la souche des rois d'Angleterre[58]. Il faut dire que les dames tenaient surtout à être chantées par les poètes, n'y croyant pas leur vertu engagée et sachant d'ailleurs très-bien se jouer aussi de leur amour. Gaucelm Faidit, ce troubadour dont les vers eurent tant de renom, mais dont la personne était assez peu digne assurément d'être aimée, en fournit plusieurs preuves cruelles pour lui dans le cours de sa vie[59]. Quelques-unes les payèrent au moins en chansons : car plusieurs furent poètes, comme la comtesse de Die qui fut aimée de Rambaud d'Orange, et la fille de la comtesse de Die[60] ; la dame Tiberge, fort recherchée et courtisée des hommes, fort redoutée et ménagée des dames[61] ; la dame Castellose, qui mit beaucoup de grâce dans l'expression de sa passion[62] ; Clara d'Anduse, petite-fille de Raymond VI, comte de Toulouse, qui aima, dit-on, le troubadour Hugues de Saint-Cyr et qu'on ne peut louer de la même retenue[63] ; la dame Isabelle, de la maison de Malaspina, qui aima un autre troubadour, Elias Cairels, et ne craignit pas d'échanger avec lui sur ce sujet délicat les couplets d'une tenson[64].

La poésie des troubadours avec les habitudes qu'elle fomentait ou faisait naître n'était pas de nature à être encouragée plus que celle de leurs confrères du Nord, trouvères ou ménestrels, à la cour de saint Louis. Mais c'est une cause plus générale qui en amena la décadence. C'est d'abord un événement qui fut toute une révolution dans l'existence politique du midi de la France, la croisade contre les Albigeois. Cette guerre terrible vint brusquement interrompre la vie facile et molle dont les poètes charmaient les loisirs. Devant cette invasion des hommes du Nord, les troubadours se taisent. La parole est au chantre de la Croisade contre les Albigeois[65]. La guerre n'eut qu'un temps ; mais les suites en furent plus durables. Ce fut l'établissement de la maison de France dans ces contrées. Déjà, avant la guerre des Albigeois, Philippe Auguste avait conquis Poitiers ; depuis, son fils Louis VIII avait accepté la cession de tous les droits des comtes de Montfort sur Toulouse ; et quand une transaction eut été conclue au traité de Paris (1229) entre Raymond VII et Blanche de Castille, la domination de la France avait pris pied au milieu des pays de langue provençale par les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne, en attendant l'héritage de Toulouse, assuré par un mariage à l'un des frères du soi. En 1249, Alphonse de Poitiers recueillait cette grande succession de Toulouse ; trois ans auparavant, son frère Charles d'Anjou avait obtenu, par un autre mariage, le comté de Provence. Bien que rien ne fût changé encore dans la condition politique de ces contrées ; que la langue d'oc fût toujours la langue non-seulement du peuple, mais de la cour ; bien que les troubadours y trouvassent, aux côtés des princes français, les filles des anciens comtes du pays ; qu'ils fussent toujours admis à les chanter et pas trop mal accueillis des nouveaux comtes : néanmoins ils ne se retrouvaient plus là chez eux, ils se tournaient plus volontiers vers les comtes de Foix et de Rodez ou même vers les princes du dehors, les seigneurs de la maison d'Este et les rois d'Aragon ou de Castille[66]. Si leur pensée se reporte sur leur pays, c'est pour y chercher l'inspiration de quelqu'un de ces chants qui avaient fait le renom de Bertrand de Born, le sirvente.

Dès le temps de la guerre des Albigeois, un poète du Puy, Pierre Cardinal, avait soutenu la cause de Raymond VII contre Simon de Montfort. Après le triomphe de la France, il se retira près de Jacques Ier, fils de Pierre II, le vaincu de Muret, et dans les pièces qu'il composa encore, ce qui domina fut toujours la satire[67]. Pierre de Villars, né aux environs de Rodez, obéissait au même sentiment de répulsion lorsqu'en 1226 il se réjouissait de voir les Anglais reprendre la guerre contre la France[68]. Guillaume Figueiras, laissant les pastourelles, avait pris dès l'abord ouvertement le parti des hérétiques, attaquant ce qu'il appelait le faux clergé, à tel point qu'au milieu de la guerre il dut fuir en Italie[69]. Raimond de Pernes s'élève avec violence contre le roi d'Aragon, Jacques Ier ; et le roi d'Angleterre qui, par leur abandon, ont laissé succomber Raimond VII et amené sa soumission au traité de 1229. Il poursuit les Français de sa haine jusqu'au delà des mers et se réjouit de trouver des vengeurs dans les Turcs :

Lur feron far Turc mant crit e niant jap[70].

Bernard de Rovenac reprend le même thème avec redoublement d'insultes contre les alliés impuissants du comte de Toulouse[71]. Aimeric de Péguilain, né à Toulouse, parait moins préoccupé des événements 'dont sa ville natale fut le principal théâtre. Obligé de s'expatrier pour un duel, il avait passé le temps de sa jeunesse dans les cours étrangères au delà des Pyrénées et au delà des Alpes : en Catalogne et en Castille ; près du marquis de Montferrat, d'Azzon d'Este et du seigneur de Malaspina. Il est donc, lui, tout aux chants d'amour ; mais si indifférent qu'il paraisse aux événements politiques de son temps, il partage les appréhensions qu'inspire aux autres la nationalité du Midi menacée. Il pressent l'invasion de la langue d'oil au sein de la langue d'oc : c'est au moment où la mort de Bérenger 1V et le mariage de Béatrix vont faire passer son héritage aux mains d'un prince français. Il plaint le sort des Provençaux :

Car pour un bon seignor ils vont avoir un sire ;

et il estime que pour eux ce serait grand profit d'être morts[72].

Les poètes étrangers d'origine qui écrivaient dans la langue des troubadours avaient eux-mêmes adopté leurs sentiments à cet égard. Sordel, de Mantoue, par exemple, se fait si bien leur concitoyen que comme eux il s'attaque à ceux qui, n'ayant pas soutenu le comte de Toulouse contre la France, l'ont réduit à signer le traité de Paris (1229). Sa passion pour la cause qu'il avait embrassée éclate surtout dans sa complainte sur la mort de Blacas ; par une inspiration sauvage, il veut qu'on lui arrache le cœur et que les barons qui n'en ont pas s'en repaissent : Nourris de ce cœur, dit-il, ils en auront assez. Et il va distribuant cette pâture au roi d'Angleterre, au roi de Castille, au comte de Champagne, roi de Navarre, au comte de Toulouse, pour qu'ils apprennent à défendre leurs États ; mais aussi, par une singulière contradiction, à l'empereur et au roi de France, pour qu'ils conquièrent ceux des autres : l'empereur, le Milanais ; le roi de France, la Castille[73].

Quelques troubadours soutinrent, il est vrai, la thèse contraire. Izarn s'attaque aux Albigeois[74] ; c'était son rôle : il était dominicain et inquisiteur. La dame Germonde réfute le sirvente de Figueiras contre Rome (Emeric David soupçonne que c'est un inquisiteur aussi sous un faux nom[75]). D'autres s'attaquent même au comte de Toulouse dont pourtant, avec un peu de bon vouloir, on aurait pu séparer la cause de celle des hérétiques : témoin Hugues de Saint-Cyr ; ce fut sa manière de reconnaître les bienfaits qu'il en avait reçus. Il y en eut même qui prirent parti pour les Français contre les Provençaux, comme Boniface de Castellane : par je ne sais quel sentiment de rancune, il lui plaît de voir les Provençaux battus par les Français[76]. Mais ce furent de rares exceptions et le courant contraire domine. Guillaume de Montagnagout, par exemple, fit un sirvente pour entraîner plus de monde encore dans la grande insurrection de 1242 contre saint Louis[77]. Il ne faut pas s'étonner de lui voir ensuite reprocher si amèrement aux Provençaux d'avoir accepté pour seigneur Charles d'Anjou : Ce pays, s'écrie-t-il, ne mérite plus le nom de Proensa (pays des preux) ; qu'il s'appelle Falhensa : car il a failli envers lui-même et envers l'honneur, quand il a changé une seigneurie loyale et chère pour une autre avare[78]. Paulet de Marseille, qui était parvenu à l'âge de raison quand Charles d'Anjou prit possession de la Provence, eut toute sa vie l'aversion de la France. Au milieu de ses chants d'amour qui témoignent d'un vrai talent, on trouve des pastourelles où respire toute sa haine contre les nouveaux maîtres de la Provence. Dans une de ces pièces, quand Charles, soutenu du pape et de tout le parti guelfe en Italie, est à la veille de livrer la bataille de Bénévent, sa bergère lui demande pourquoi le comte qui tient la Provence veut faire détruire tous les Provençaux qui ne sont pas coupables à son égard ; pourquoi il veut dépouiller le roi Manfred qui ne tient de lui aucune terre et ne lui a rien fait ?[79] et un peu plus tard, après la bataille de Tagliacozzo, il pleure la captivité d'Henri de Castille, compagnon de Conradin dans sa téméraire entreprise[80].

La croisade fit pour quelques-uns diversion à ces querelles intérieures. Elias Cairels excitait dans les termes les plus vifs Guillaume IV, marquis de Monferrat, à aller soutenir son frère Démétrius dans les États que leur père commun, Boniface, avait recueillis de la quatrième croisade : le royaume de Thessalonique transmis à Démétrius par Guillaume, et enlevé à ce prince par Frédéric Lange en 1222. Par d'autres chants il s'attaque aux princes qui se font la guerre les uns aux autres, laissant aux Turcs et aux Arabes liberté entière de tout envahir[81]. Un Chevalier du temple s'en prend au pape (Urbain IV) du tort qu'il fait à la Terre Sainte en y recrutant par des indulgences des croisés contre Manfred au lendemain du jour où succombaient déjà les places fortifiées par, saint Louis, Césarée, Arsur :

Et l'on échange, s'écrie-t-il, la sainte croisade contre la guerre de Lombardie ! Nos légats, je vous le dis en vérité, vendent Dieu et les indulgences pour de l'argent[82].

Guillaume Fabre, riche bourgeois de Narbonne, qui, selon l'expression du poète Bernard d'Auriac, tenait toute l'année chez lui atelier d'excellents vers[83] (voilà où en arrivaient les troubadours !), s'en prend tout à coup aux rois et au pape. Il reproche au pape de ne pas imposer la croisade au roi le plus estimé qu'il y ait au monde et qui lui obéit. S'il s'agit de Charles d'Anjou qui était vassal du Saint-Siège pour le royaume de Naples, le vœu de Fabre se réalisa. Charles, nous le verrons, ne prit que trop part à la croisade où mourut saint Louis. Raimond Gaucelm, de Béziers, un autre troubadour sédentaire, fit un sirvente sur la mort de saint Louis pour provoquer à une nouvelle croisade[84]. Cette voix ni les autres ne furent plus écoutées.

Je viens de dire ce que devenaient en France les troubadours. Avec le sentiment qu'ils avaient pour les nouveaux souverains de la Provence et de Toulouse, on comprend qu'ils se soient portés plus volontiers au dehors et qu'ils y aient pris domicile[85]. Mais les cours italiennes ou, espagnoles, malgré l'ascendant que la littérature provençale y gardait comme forme poétique, étaient des centres bien factices pour elle. Elle n'y avait point racine, elle y vécut tant qu'elle fut ravivée par des immigrations venues du dehors. Quand elle languit en France, elle ne pouvait plus envoyer à l'étranger des rejetons de la mère patrie ; elle devait donc y dépérir aussi et laisser reprendre aux langues indigènes leurs droits dans ce domaine comme dans le reste[86]. Bientôt même les hommes de langue d'oc subiront à leur tour l'influence des idées qui dominent dans leur propre pays. Ils imiteront les romans d'aventures, les œuvres faites en France ; ils finiront par écrire en français[87].

 

IV. — Poésie lyrique et poésie légère. - Trouvères.

La poésie que cultivaient les troubadours dans les provinces du Midi ne comptait pas au Nord de moins nombreux et de moins fervents interprètes. Si la langue y était moins mélodieuse, le vers moins assoupli à toutes les fantaisies d'un rythme capricieux, l'inspiration n'en était pas moins vive ; et l'on peut dire qu'avec un instrument moins harmonieux et peut-être moins de dextérité à le manier, les trouvères surent faire entendre des accents plus pénétrants et plus forts[88]. C'étaient d'ailleurs au fond les mêmes genres de chansons : ballades, rondeaux, pastourelles, tensons, sirventois, jeux partis, avec les diverses espèces d'entrelacements et même quelquefois la recherche de rimes bizarres et difficiles en usage chez les troubadours[89]. Et si l'austérité de saint Louis, qui regardait au fond des choses, s'accommodait peu de ces chants dont la frivolité était assurément le moindre défaut, si sa cour ne s'ouvrait aux ménestrels que par complaisance pour les seigneurs dont ils se faisaient les satellites, bien d'autres cours les attiraient par les témoignages de leur sympathie et les retenaient par leurs faveurs. A cet égard les cours de Champagne, d'Artois, de Flandre et de Hainaut, de Brabant[90] pouvaient soutenir la comparaison avec celles d'Aix ou de Toulouse. Le Nord comme le Midi avait ses cours d'amour, chose qu'il faudrait ranger parmi les fables si l'on y voulait voir un tribunal en règle, avec ses juges, ses procureurs ou procureuses, comme l'ont entendu certains auteurs qui ont écrit sur ce sujet, mais qu'on peut prendre pour un usage du temps, en la réduisant à des réunions poétiques, ou à des jugements rendus, pour ainsi dire, à l'amiable par des personnes prises pour arbitres sur telle ou telle subtilité de l'art d'aimer[91]. La comtesse de Champagne et la comtesse de Flandre ne sont pas moins citées que la reine Éléonore et la vicomtesse de Narbonne pour les décisions qu'elles ont rendues[92].

Mais les plus grands seigneurs ne se bornaient point à bien accueillir et à récompenser les ménestrels et les trouvères[93]. Eux-mêmes se faisaient gloire de cultiver leur art. On peut citer à la fin du douzième siècle un arrière-petit-fils de Guillaume IX, comte de Poitiers, Richard Cœur de Lion, fils d'Éléonore d'Aquitaine et de Henri H, qui fit des vers en roman ; Baudoin, comte de Flandre et de Hainaut, empereur de Constantinople, dont on a un couplet en provençal[94]. Avec Baudoin plusieurs seigneurs ses contemporains ou même ses compagnons dans la croisade : le châtelain de Coucy, l'amant de la dame de Fayel dont on connaît la tragique et romanesque aventure[95] ; Hugues d'Oisy[96], Quesnes de Béthune son disciple dans l'art des vers, un des meilleurs postes du temps, un des chevaliers les plus signalés dans la conquête de Constantinople, et Guillaume de Béthune son frère (c'est la famille d'où sortit Sully[97]). A l'époque de saint Louis, le premier rang appartient à un des plus hauts barons de France, le comte de Champagne Thibaut IV, dit le Trouvère ; et son exemple parait avoir inspiré ses barons. On trouve nombre de poètes parmi les principaux seigneurs de son comté : Jean de Brienne, qui fut roi de Jérusalem, puis empereur de Constantinople ; Thibaut II, comte de Bar (1240-1297) : Henri r, oncle de ce dernier, et Henri II son père, avaient protégé les lettres, et Henri II aussi avait fait des vers ; Jean le Sage, comte de Châlons, Jean II, comte de Roucy, Philippe II de Nanteuil, Geoffroy II de Châtillon et la duchesse de Lorraine : Gertrude de Dabo, première femme de Thibaut IV, ou Marguerite de Navarre, sa fille (les ducs de Lorraine étaient pour plusieurs fiefs, vassaux de la Champagne[98]). Un autre pays qui ne confinait pas seulement à l'Allemagne, qui était de langue germanique, le Brabant, ne favorisait pas moins la poésie romane. Henri Ier (1183-1235) et Henri II (1235-1247) n'avaient manifesté leur goût pour cette poésie que par des faveurs pour les poètes ; mais Henri III, qui avait à sa cour Adenez comme roi des ménestrels, correspondait en vers avec un autre trouvère fameux, Gillebert de Berneville, et il a laissé plusieurs échantillons de son savoir-faire : un jeu-parti, une pastourelle et deux chansons. Nous avons parlé, à propos du Cléomadès, de Marie de Brabant, sa fille, qui épousa en 1274 Philippe le Hardi, fils de saint Louis[99]. Le comte d'Artois, frère de saint Louis, qui périt à Mansoura, avait laissé aussi des poésies, non point des pastourelles, il est vrai, mais des morceaux inspirés d'une pensée pieuse et morale ; et c'est à lui qu'Adenez avait dédié le Cléomadès que nous venons de mentionner. Ajoutons Charles d'Anjou lui-même, le conquérant du royaume de Naples, Pierre Mauclerc, comte de Bretagne, qu'on n'eût pas soupçonné d'avoir imité le comte de Champagne en ce point.

Mais ce n'étaient pas seulement les seigneurs, c'étaient les bourgeoisies qui favorisaient ce mouvement poétique. Dans les principales villes du nord de la France, on avait établi des concours où les trouvères et les ménestrels venaient lire ou chanter leurs vers et se disputer les récompenses accordées aux meilleurs. C'est ce que l'on appelait des puys, non par un hommage à la ville du Puy-en-Vélay qui eut aussi, nous l'avons vu, de ces concours : car plusieurs de ceux du nord sont antérieurs ; mais par dérivation du mot podium, qui désignait une sorte de balcon élevé dans la cama du théâtre antique. Il signifiait, dans la basse latinité, comme le mot puy dans le roman, une élévation, un tertre ; il put donc se dire de la tribune, de l'estrade où ces sortes de jeux trouvèrent à s'installer et dont ils prirent le nom[100]. Le plus célèbre fut le Puy verd[101] ou puy d'amour d'Arras[102] ; mais il y eut, en ce temps même ou un peu plus tard, de semblables concours : dans la même province, à Béthune ; dans la Flandre et dans le Hainaut, à Lille, à Douai, à Cambrai, à Valenciennes ; en Picardie, à Amiens, à Beauvais ; en Normandie, à Caen, à Rouen, à Dieppe. Le vainqueur s'appelait li couronnés et en gardait quelquefois le surnom ; il recevait en récompense quelque don suggéré par les titres de la sainte Vierge dans les litanies (rapprochement plus qu'étrange pour une poésie bien peu virginale) : un chapel de roses (rosa mystica), un vase d'honneur (vas honorabile), une étoile, un miroir, car c'était en l'honneur de la sainte Vierge que s'étaient formées ces associations ; c'est à ses fêtes qu'elles se réunissaient[103].

Il ne peut être question d'énumérer ici tous les poètes connus (et le nombre des inconnus est plus grand[104]). Nous avons vu, en parlant du comte de Champagne, que comme lui beaucoup de nobles faisaient des chansons ; on en pourrait citer beaucoup d'exemples dans les autres contrées : l'Artois, la Flandre, le Hainaut, le Brabant, etc. Aux noms que nous avions pris à la fin du douzième siècle joignons Gillebert de Berneville, charmant trouvère qui vécut dans la familiarité de Henri III, duc de Brabant[105], Jacques de Cysoing, Adam de Givency[106] ; et ce n'est point en raison d'une prérogative hors de son lieu que nous les nommons les premiers : on a remarqué avec justesse que les trouvères issus de familles nobles ont sur les autres, au moins dans le ton et le langage, une supériorité dont ils sont sans doute redevables à leur éducation[107]. On ne s'étonnera pourtant pas de trouver parmi les plus fameux des pontes de moins haute origine : à la fin du douzième siècle, Audefroi, le Bastard à qui M. Paulin Paris a donné la place d'honneur dans le choix de poésies qu'il a appelé le Romancero français : Une grande vivacité de coloris, cette naïveté tant recherchée et si rarement découverte, des détails pleins de sensibilité, voilà, dit-il, les véritables titres de ce ponte à notre admiration[108] ; au treizième siècle, Jean Bodel et Adam de la Halle, dit le Bossu d'Arras, que nous retrouverons sur une autre scène[109] ; Baude Fastoul, leur très-digne concitoyen[110], Jean Moniot, remarquable entre tous par la vivacité de ses chansons d'amour et la pureté de ses mœurs[111], Raoul de Ferrières qui, dans son exaltation, défie Dieu lui-même de rien faire d'aussi beau que sa dame[112] : de qui tenait-elle donc sa beauté ? Perrin d'Agecourt, que le critique habile, qui a passé en revue tous ces pontes, appelle un des plus féconds et des plus aimables de nos trouvères du nord[113] ; et des femmes s'essayèrent aussi dans ce genre de poésie : nommons seulement Marie Dregnan, de Lille, qui chante les charmes de l'hiver, trouvant en elle ce qui peut en faire oublier les rigueurs :

Moult m'abelit (il me plaît) quand je vois revenir

Hiver, gresil et gelée apparoir,

Car en tout temps se doit bien rejouir

Belle pucelle et joli cœur avoir.

Si (donc) chanterai d'amour pour mieux valoir ;

Car mon fiu cœur plein d'amoureux désir

Ne me fait pas ma grand joie faillir[114].

L'influence des trouvères du nord ne fut pas moindre que celle des troubadours : Si la poésie provençale devint la poésie des cours de l'Italie du nord et de l'Espagne, celle de nos trouvères eut un succès plus éclatant encore : ce ne fut pas seulement chez des peuples parlant quelque dialecte de la même langue ; c'est dans des pays d'un idiome radicalement différent, des pays de langue germanique, en Angleterre ; en Flandre, en Hollande, en Allemagne qu'elle fut, non point populaire assurément, mais accueillie et cultivée[115]. Elle eut sur la littérature provençale un autre avantage : c'est que tandis que cette poésie, qui s'était faite poésie de cour avec les troubadours, allait dépérir en perdant la faveur de ces cours devenues françaises ou pénétrées de l'esprit français ; l'autre, ayant pris racine, non-seulement dans les cours, mais dans la bourgeoisie, choyée par les villes comme par les châteaux, allait grandissant tous les jours avec ses protecteurs. Voilà comment elle a retenu seule l'honneur qu'elle aurait pu, dans d'autres conditions, partager avec le midi, de former la littérature de la France.

Mais ce n'est pas seulement par des ballades et des chansons qu'elle a conquis ce privilège. Nous avons dit ce que nos trouvères avaient fait dans l'épopée ; nous allons voir ce qu'ils firent encore dans d'autres genres où se retrouve, à un degré plus marqué, le vieil esprit gaulois.

 

V. — Lais et fabliaux.

Après l'épopée venait la poésie lyrique : nous avons vu la place qu'y tiennent les troubadours et nous avons dû en rapprocher les œuvres des trouvères dans le même ordre de composition. Mais il y a d'autres sortes de poèmes que les troubadours ont à peine connus et dans lesquels les trouvères ont excellé : poèmes qui ont bien plus d'importance que ces chansons et qui sont comme une suite des romans d'aventures ou de chevalerie : les lais et les fabliaux. Nous avons hâte d'y revenir.

Les lais et les fabliaux[116] sont si bien comme un diminutif des romans d'aventures ou de chevalerie qu'on les pourrait distribuer en catégories semblables à celles où nous avons rangé ces romans. Il y en a dont les sujets sont tirés de l'antiquité, comme Narcissus, et Pyrame et Thisbé, imités d'Ovide, l'auteur chéri de nos trouvères[117]. D'autres dérivent plutôt des romans de la Table ronde et s'y rattachent soit par l'indispensable personnage du roi Arthur, soit plus communément par un genre d'aventures analogues à celles qui se passent dans le domaine fantastique de ce roi demi-fabuleux. Tel est le conte du Chevalier à l'épée où le principal rôle est à Gauvain, le fidèle serviteur d'Arthur ; à la suite de l'aventure principale il est appelé à faire l'expérience de la fidélité de sa femme et de son lévrier, expérience qui n'est pas à l'avantage de la femme, ni à la satisfaction du mari[118] ; tel encore le conte du Court Mantel, un manteau qui ne va qu'à la femme restée fidèle la femme d'Arthur qui l'essaye la première ne le fait qu'à sa confusion[119] ; la lai de Lanval, où la reine Genèvre figure encore, jouant à la cour d'Arthur le rôle de la femme de Putiphar[120] ; la Mule sans frein (de Payen de Maisières), où l'on retrouve maitre Queux ; le sénéchal d'Arthur, et Gauvain qui cette fois triomphe de tous les enchantements sans nouvelle mésaventure[121] ; le lai d'Haveloc dont le héros, fils d'un roi de Danemark dépouillé par un lieutenant d'Arthur, parvient, après mille incidents merveilleux, à reconquérir ses droits[122].

Ce genre de contes ou de nouvelles où s'était essayé déjà, vers la fin du douzième siècle, Audefroi le Bastard[123] fut cultivé avec éclat au treizième siècle par une femme qui, née en France, vécut en Angleterre, mais qui eut soin de joindre elle-même le nom de sa patrie à son nom, Marie de France :

Marie ai nom, si sui de France[124].

Elle était de France, et elle ne vécut pas toujours en Angleterre. La faveur du comte Guillaume de Dampierre la fit venir en Flandre ; et ce fut lui, dit-on, qui la décida à traduire ses fables en français[125]. La réputation qu'elle eut de son temps a été justifiée de nos jours par la publication de ses poésies[126]. Les fées règnent dans la plupart de ces nouvelles : le lai de Graelent, les lais de Gugemer, de Binlavaret, d'Iwenec, etc. ; et l'on sait par d'autres romans d'aventures qu'elles ne se croient pas tenues de ce qui est la principale vertu des femmes. Mais si Marie n'hésite point à traiter ces sujets à la mode-alors, on a pu faire remarquer à sa louange que, sans reculer devant le dénouement ordinaire, elle a su mettre une sorte de réserve dans les peintures où ses émules se donnent les plus grandes libertés. Elle a d'ailleurs plusieurs morceaux entièrement irréprochables, comme le lai du Frêne, qui contient l'idée mère de la touchante histoire de Griselidis, conte refait plusieurs fois,. recueilli de nos fabliaux et rendu célèbre par Boccace. Dans un tout autre genre, Marie de France a fait encore le Purgatoire de saint Patrice, d'après les légendes de l'Irlande, une de ces visions de l'autre monde, de l'Enfer, du Paradis que l'on peut compter parmi les antécédents de la Divine Comédie[127]. Dans un genre plus rapproché de ses lais, elle a fait des fables imitées d'Ésope et d'un recueil latin. On y trouve une grâce, une naïveté qui font quelquefois penser à la Fontaine ; et le trait vif et pénétrant ne lui manque pas non plus : car ses fables ne sont pas tellement imitées des anciens qu'elle ne songe à son temps et ne lui fasse l'application de sa morale, comme par exemple quand elle flétrit les riches voleurs :

Ci sunt li riche robéur,

Li visconte et li jugéur.

Les vicomtes et les jugeurs ;

ou qu'elle retrouve sous les traits de la brebis tondue, les pauvres gens à qui les grands

La cher lor tolent à la pel

Si corn li lox fit à l'aigniel.

Prennent la chair avec la peau

Comme le loup fit à l'agneau[128].

Mais revenons aux lais et aux fabliaux. Dans le nombre il en est encore qui touchent aux proportions des romans d'aventures, comme le joli conte d'Aucassin et Nicolette, conte en prose mêlée de vers, où l'amour est peint avec une chasteté qui n'est pas le mérite de cette littérature[129] ; la Châtelaine de Vergy, thème tout préparé pour le drame, dont la jalousie forme l'intrigue et qui a pour dénouement la mort des deux principaux personnages, la femme mourant de douleur à la vue son amant qui s'est tué de désespoir[130]. D'autres sont comme des épisodes des romans de chevalerie, par exemple le Dit des Trois chevaliers et del cheinse (chemise) par Jacques de Baisieux[131] ; le lai d'Ignaurès, de Jean Renault : c'est le dénouement tragique de l'histoire du troubadour Guillaume de Cabestaing ou de la dame de Fayel, renouvelé tout à la fois sur douze amants par douze maris[132] ; le Dit des annelés, où la morale, fort compromise d'abord, est sauvée à la fin, au moins, par l'expiation et le repentir[133], et le Chevalier à la trappe, un des nombreux exemples de la manière de se jouer des précautions d'un mari[134].

Quelques fabliaux, comme les fables, ont une origine orientale : telle est l'histoire de ce fils de roi, sorte d'Hippolyte calomnié par une autre Phèdre, condamné par son père et sauvé de la mort par l'intervention de sept Sages. Les sept Sages venant, chacun son jour, conter une histoire, font ajourner le supplice jusqu'au septième jour, où la fraude est découverte ; et l'histoire du jeune prince n'est que le cadre où les autres sont rangées : conte fameux, originaire de l'Inde et également populaire au moyen âge en Orient et en Occident. En Orient, on ne trouve pas moins de six familles de récits ; en Occident, il y en a deux : le poème des Sept Sages (qui a de grands rapports avec le roman français en prose et l'Historia septem Sapientum) et le Dolopathos, mis en vers français par Herbert (1210-1225), d'après un roman latin dont l'auteur était Jean, moine de l'abbaye de Haute-Seille (1179-1212)[135].

D'autres fabliaux, sans se refuser les emprunts à l'Orient ou à l'antiquité ont un caractère plus original. Quelques-uns attaquent les vices, comme le Castoiement (enseignement) d'un père à son fils, leçons de morale mises en action par des exemples[136] ; le chastiement des dames, traité purement didactique au contraire : c'est un cours de civilité féminine et plus honnête dans l'intention que dans les détails[137] ; la Houce partie (la couverture partagée) leçon énergique faite pour apprendre à l'homme ingrat envers son père que le châtiment l'attend dans son fils[138]. D'autres qui veulent être dévots ne sont pas toujours édifiants : témoin plusieurs des contes du, prieur de Vic-sur-Aisne, Gautier de Coincy, où la sainte Vierge qu'il prétend honorer se trouve plus d'une fois singulièrement compromise dans ses miracles[139]. Plusieurs sont de spirituelles boutades : comme saint Pierre et le jongleur[140] et, dans le même genre, le Vilain qui conguist Paradis par plait[141]. D'autres mettent en scène, avec esprit, quelque aventure plaisante : le Vilain mire (le paysan médecin[142]) d'où Molière a tiré le Médecin malgré lui ; le Vair Palefroi[143], qui pourrait faire aussi une petite comédie. Un vieil oncle, chargé par son neveu de lui demander une jeune fille en mariage, la demande et l'obtient pour lui-même ; et c'est sur le cheval de son neveu qu'il la fait conduire à l'autel. Mais le cheval quitte le chemin de l'église' pour regagner au galop la demeure de son maître. Il lui ramène sa fiancée et le vieil oncle arrive tout essoufflé quand déjà les noces ont été célébrées. J'en passe bien d'autres trouvés en France ou pris ailleurs[144], mais tout pénétrés du sel gaulois, contes où le génie de Boccace est venu chercher son inspiration, où il a trouvé le principe de sa renommée[145].

Mais ce qui tient le premier rang entre tous les fabliaux, c'est le Roman de Renard, conte populaire, mis d'abord en latin, puis en langue vulgaire, tant en France qu'en Allemagne au douzième siècle[146]. Il va se multipliant, se ramifiant pendant le treizième et même le quatorzième siècle, pour aboutir, comme les chansons de geste, à la prose. On n'y compte pas moins de trente branches, rattachées d'ailleurs par un nœud tout factice au tronc commun[147]. C'est tout un cycle. La fable y passe des formes brèves de l'apologue aux formes prolixes de l'épopée. De même que pour les chansons chevaleresques, les meilleures sont du douzième siècle ou du commencement du treizième, comme celles de Pierre de Saint-Cloud ou de quelques-uns de ses contemporains. Dans les incidents variés de la lutte de Renard et d'Ysengrin, des mésaventures de Brun (l'ours) et des plaids tenus devant Noble (le lion), etc., on trouve non-seulement une peinture de caractères, vraie en tout temps, mais un tableau comique du monde féodal. Sur cette scène d'un monde où l'homme tient la place du roturier, la noblesse est l'apanage des animaux : aussi figurent-ils souvent montés à cheval, même le limaçon. Mais dans cette noblesse aussi l'attribution des emplois donne beau jeu à la satire : si le lion (Noble) est roi, l'âne (Bernart) est archiprêtre. Dans le Renard couronné, qui est, nous l'avons dit, d'un sujet du comte de Flandre et du temps de la première croisade de saint Louis, on a signalé, à défaut d'invention plus poétique, un sentiment plus moral, celui de protester contre le triomphe de la ruse et de montrer que depuis qu'elle règne, depuis que le monde est soumis à l'empire de Renardie, le vice et le scandale ont libre carrière : belle occasion pour la satire qui a la principale place dans ce genre de composition.

La satire avait d'ailleurs ses formes particulières dans les sirventes des troubadours et les serventois des trouvères ; et elle épanche tout à loisir son fiel dans la Bible de Guyot de Provins, moine indocile qui, ne se trouvant bien nulle part, ne voit que mal partout[148], et dans les vers du seigneur de Berze, qui n'est pas plus indulgent, ni pour le siècle, ni pour l'Église[149]. Elle règne aussi dans plusieurs des morceaux du poète Rutebeuf[150], un rude poète, comme il se plaît à le dire en jouant sur son nom, qui prit avec passion la cause de l'Université contre les dominicains[151], et particulièrement de Guillaume de Saint-Amour, même condamné par le pape, exilé par le roi[152]. En mainte pièce il s'attaque aux mœurs du temps et ses traits acérés n'épargnent aucune puissance, notamment le clergé : il flagelle les jacobins, les cordeliers, les nonains et les béguines[153], et ne ménage pas plus les princes, comme dans la branche du roman de Renard qui est de lui : Renard le bestourné (ou le ressuscité)[154]. Le même poète avait commencé par des pièces badines et par cette sorte de contes moraux où la satire des mœurs du temps ne peut avoir d'autre effet que de les corrompre davantage. On trouve le même esprit dans plusieurs écrits qu'on pourrait croire dévots parce qu'il y célèbre les miracles de la sainte Vierge, par exemple, le Secrestain (sacristain) et la Femme au Chevalier[155]. Il a aussi des morceaux d'une meilleure inspiration, comme le Dit Monseigneur Joffroi de Sargine, où il célèbre le digne et héroïque compagnon de la première croisade de saint Louis. Chose étrange, c'est le poète mordant et badin qui fut, dans un temps où l'on était devenu presque indifférent à la délivrance du saint tombeau, un des plus ardents promoteurs de la croisade. Dès 1262, il exhorte saint Louis à repasser la mer :

Rois de France qui avez miz

Et vostre avoir et vos amis

Et le cors por Dieu en prison,

Or convient que vous i alliez

Ou vous i envoiez de gent

Sans espagnier or ne argent[156].

La reprise de Constantinople par les Grecs sur les Latins (1261), la marche de Bibars contre les derniers établissements des chrétiens en Palestine, où Geoffroi de Sargines défendait Jaffa, lui firent pousser un nouveau cri d'alarme[157]. Plusieurs l'entendirent, entre autres Eudes de Nevers, fils du duc de Bourgogne, qui passa en Terre Sainte et y mourut de maladie. Rutebeuf le chanta dans une pièce où il excite le roi de France à l'imiter, sans réfléchir que saint Louis, dans le délabrement de sa santé, avait bien plus de chance encore d'y succomber que le jeune prince[158]. Et du reste dans le même temps qu'il prêchait le voyage de Palestine, il en détournait en quelque sorte, en plaçant au premier rang des indulgences celles qu'on pouvait gagner dans le royaume de Naples à la suite de Charles d'Anjou[159]. Quand saint Louis se fut résolu à la funeste entreprise dont nous aurons à parler plus tard, Rutebeuf reprit le thème de la Croisade et chercha à y entraîner les chevaliers et le peuple : il le fit dans une pièce intitulée la Desputation du Croisié et du Descroisié[160], qu'il paraît avoir livrée aux jongleurs pour être chantée partout en forme de prédication : pièce où les arguments pour et contre la croisade sont exposés avec une grande impartialité, et où l'on serait tenté de croire qu'il lui est contraire au fond, tant il la combat fortement, tout en couvrant sa pensée par la conclusion qui lui est favorable ; car le Descroisié, l'adversaire de la croisade, se déclare vaincu et prend la croix. Mais si l'on entre bien dans l'esprit du temps, on s'assure que c'était là aussi la résolution que Rutebeuf voulait faire prendre aux plus récalcitrants. Quoi qu'il en soit, l'événement montrera qu'il n'entraîna pas beaucoup de monde.

Après le funèbre résultat de la Croisade, on le voit rendre un dernier hommage, sinon au roi, du moins à plusieurs des royales victimes : Thibaut de Champagne, roi de Navarre, Alfonse de Poitiers[161]. Après la mort de saint Louis, quand la Terre. Sainte, délaissée des rois, était ta la veille de succomber, ce fut encore lui qui fit entendre le dernier appel à la Croisade dans sa Nouvelle Complainte d'outre-mer[162].

Quand on parcourt les œuvres soit de Rutebeuf soit des autres satiriques, on s'étonne d'y trouver une liberté, disons plus, une licence de langage en contraste avec le despotisme qui était le fond des gouvernements au moyen âge, et l'on se demande si ces hardiesses étaient connues, et comment elles étaient tolérées. Elles étaient connues : mille jongleurs les répandaient dans la foule. Mais le manuscrit ne provoquait pas l'attention, et les jongleurs savaient devant quel public ils débitaient leurs traits mordants ou leurs injures. C'était la publicité du colportage, affranchie du contrôle de l'autorité ou, comme on le dirait aujourd'hui, de l'estampille du gouvernement.

 

VI. — Art dramatique.

Reste une chose pour compléter l'œuvre des trouvères, c'est le théâtre : il semblait tout naturellement de leur domaine ; il est comme la dernière expression des genres divers qu'ils ont cultivés. Aux nouvelles et aux fabliaux appliquez les formes de la tenson, et vous aurez une scène, une suite de scènes. Introduisez-y la musique, joignez-y la chanson, et vous aurez non plus seulement le drame, la comédie, mais toutes les formes de l'opéra. Nous retrouverons, en effet, parmi nos trouvères les premiers auteurs de pièces ainsi conçues. Et cependant ce n'est pas de là que le théâtre moderne est né. Il est sorti de l'Église[163].

La chose peut paraître étrange si on se rappelle les anathèmes dont l'Église a justement frappé, dès le commencement, les jeux scéniques de l'Empire, et la sévérité qu'elle garde aujourd'hui encore pour cette sorte de plaisir. On s'étonnera moins si on réfléchit aux origines du théâtre antique, et on le peut dire à ce que le drame est partout dans ses origines[164].

Le théâtre antique est sorti des mystères, c'est-à-dire des sources les plus profondes du sentiment religieux. Il naît du besoin de mettre en action ce qui fait l'objet de la croyance, de faire entrer plus avant dans les esprits les dogmes de la foi. Il répond à l'instinct même du peuple et justifie cette vérité d'observation appliquée par le poète aux procédés même du théâtre :

Segnius irritant animos demissa per aurem

Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ

Ipso sibi tradit spectator[165].

Le christianisme ne pouvait pas faire exception. Quoi de plus dramatique que ses deux dogmes fondamentaux : la chute de l'homme, la rédemption ? Ses cérémonies sont toutes pleines de cette pensée. Le sacrifice de la messe n'est pas autre chose que le sacrifice de la croix mystiquement renouvelé ; et que sont les fêtes de l'Église, si ce n'est la commémoration des principales circonstances de l'histoire du Sauveur ou de la vie des saints et des martyrs ? Quand le drame fait ainsi le fond et comme la substance d'un culte, il est difficile qu'il ne se fasse point jour par quelque côté.

Les fêtes où l'Église célébrait les principaux mystères de la foi étaient l'occasion où il devait le plus naturellement se produire. En premier lieu ? la fête de Pâques, la fête fondamentale du christianisme ; la Noël, réunie d'abord à l'Épiphanie (6 janvier), puis séparée, reportée à sa date (25 décembre), et célébrée avec un grand éclat au cinquième siècle, pour répondre aux hérésies qui, après avoir nié la divinité de Jésus-Christ, niaient alors son humanité ; la Pentecôte, l'Ascension, etc. L'Église en établissant ces fêtes, en leur fixant leur rituel pour tout ce qui était canonique, laissait d'ailleurs à chaque évêque la liberté d'étendre ou de resserrer l'office selon les convenances dont ils étaient les meilleurs juges. L'appareil et le détail des cérémonies restaient donc à leur discrétion. Ce qu'ils firent le plus généralement, ce qui répondait le plus aux instincts populaires, ce fut de mettre sous les yeux des fidèles les signes extérieurs des mystères. A la fête de Pâques, le sépulcre ; à Noël, la crèche. Dès la veille de Noël une tente était dressée près de l'autel, figurant l'étable, avec la Vierge, saint Joseph et l'enfant Jésus ; pour que cette tente parût mieux une étable, quelquefois on y faisait paraître l'âne et le bœuf. A minuit, des voix d'enfants placés dans les combles de l'église faisaient entendre les paroles des anges. Après la messe de l'aurore, des fidèles en costume de bergers se présentaient à l'église, étaient introduits dans le chœur, saluaient l'enfant nouveau-né, déposant leurs offrandes devant la crèche. L'Adoration des mages était réservée pour l'Épiphanie[166]

Tout était donc préparé pour la mise en action du mystère. Que fallait-il pour que le drame en sortît ? Il suffisait qu'en représentant, ou les saintes femmes, ou les anges, ou les pasteurs, on leur mît les paroles sacrées dans la bouche. C'est ce qui ne manqua pas d'arriver. Des interpolations de la liturgie (on les nomme tropes) nous donnent la première forme de nos mystères. M. Léon Gautier[167] en a cité deux qui précédaient la messe : l'un le jour de Pâques, l'autre le jour de Noël.

Le jour de Pâques :

Que cherchez-vous dans le sépulcre, ô fidèles du Christ ?

Ils répondent. Jésus de Nazareth crucifié, ô habitants du Ciel.

Ils répondent. Il n'est pas Ici, il est ressuscité comme il vous l'a prédit ; allez et annoncez qu'il est ressuscité.

Ils répondent. Alleluia ! Un ange assis près du tombeau annonce que le Christ est ressuscité. Voilà qu'est accompli ce qu'il avait dit autrefois par le prophète, parlant ainsi à son père. RESSUREXIT.

C'est le premier mot de l'introït.

Et à Noël :

Que cherchez-vous dans la crèche, ô pasteurs, dites ?

Ils répondent. Le sauveur Christ, Seigneur, enfant enveloppé de langes, selon la parole angélique.

Ils répondent. Voilà le petit enfant avec Marie, sa mère, de qui le prophète Isaïe a dit prophétisant : Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils. Annoncez-le et dites qu'il est né.

Ils répondent. Alleluia ! alleluia ! Nous savons maintenant qu'il est né sur la terre le Christ dont il vous faut chanter tous, avec le prophète, disant : PUER NATUS EST.

Et la messe commence avec ces mots. Postea statim incipiatur missa, dit le rituel, dans un autre mystère où ce trope est reproduit[168].

Voilà deux scènes dramatiques, la scène du Sépulcre ou de la Résurrection, et la scène des Pasteurs ou de la Nativité, représentées dans l'église avec les paroles de l'Église et par des hommes d'église[169]. Ce sont les premiers rudiments du théâtre moderne. Que l'on étende par des additions les paroles sacrées ; qu'on y insère quelques strophes étrangères en vers latins rimés (comme dans les Pasteurs de l'office de Rouen) ; qu'on y agrandisse la part de la poésie et que le chœur se taise pour laisser un des personnages parler seul (Hérode, Rachel, dans le mystère, des Innocents) ; puis (le changement est plus grave ici), que l'on fasse entrer dans le corps du texte, par quelques vers, par quelques couplets, la langue vulgaire avec les libertés qu'elle comporte (comme dans les Trois Maries du manuscrit d'Origny Sainte-Benoite, les Vierges sages et les Vierges folles, etc.), et nous voilà bien près de passer de l'église à la scène. Si le clergé y prête encore son concours, c'est hors de l'église qu'a lieu la représentation. Après cela, qu'on oublie tout à la fois et l'idée de la fête et les formes liturgiques ; que l'on réunisse de petits mystères qui avaient leur place en divers jours (comme dans la Nativité de Munich) ; que la pensée religieuse le cède à la fantaisie de l'arrangeur ; que son imagination mêle à plaisir au thème sacré des paroles ou légères ou pédantes (comme dans cette même Nativité) ; qu'enfin n'ayant plus à compter qu'avec le peuple (car on est sorti de l'église), on ne parle plus que la langue de tout le monde, et l'on arrivera aux mystères tels qu'ils ont été représentés à partir du siècle qui suivit saint Louis.

Si ma tâche était de retracer ces transformations, j'aurais à relever (dût la loi du progrès en souffrir) ce qu'il y avait de vraiment dramatique, de saisissant dans quelques-uns de ces premiers essais, très-fidèles  encore à la liturgie, celui des Innocents par exemple. Mais ce n'est point ici le lieu, et d'ailleurs cela a été fait et fort bien fait par un homme très-versé dans la littérature du moyen âge, dont il suffit que je résume ici, comme plus haut déjà, les savantes études[170]. Pour m'en tenir au point où en était le théâtre au temps de saint Louis, je dirai -que les premières formes du mystère liturgique, bien que dépassées par des essais d'une autre sorte, n'avaient pas cessé d'être représentées au treizième siècle, ou dans les églises, ou sur le parvis des églises, selon le rituel ; mais que pour les autres, plus convenablement nommés jeux, ils étaient passés de l'Église et des couvents aux confréries et allaient se séculariser de plus en plus. L'auteur anonyme et sacré a fait place au trouvère et au ménestrel.

Le drame qui a cessé d'être liturgique reste d'abord encore religieux. C'est en première ligne la représentation des principaux mystères de Pâques, et de Noël. Notons que, pour la fête de Pâques, le sujet le plus dramatique, la Passion, n'apparaît pas encore. Parmi les petits drames que l'on a recueillis dans l'ancienne liturgie, un seul nous place au pied de la croix, c'est la complainte de Marie, le Planctus Mariæ et aliorum, sorte de Stabat mis en action, qui semble du reste, dans l'état où il nous est arrivé, n'avoir été que le commentaire des paroles de Jésus à sa mère et à saint Jean. L'Église s'arrête donc devant le supplice de l'homme Dieu : il semble qu'on craigne en y touchant de se faire, en quelque sorte, le complice du déicide. C'était assez des cérémonies expressives et imposantes du jeudi saint et du vendredi saint ; et la Passion, lue par trois personnes, depuis les huitième et neuvième siècles jusqu'aujourd'hui, la première prononçant les paroles du Christ, la seconde celles des Juifs ou des autres interlocuteurs, la troisième les reliant par le récit, n'est-ce pas déjà tout un drame ? Le mystère de la Passion qui fut en possession du théâtre, depuis l'établissement des confréries de la Passion à l'hôpital de la Trinité, en 1402, jusqu'à l'arrêt du Parlement qui, par le contrecoup de la Réforme, interdit en 1548 toute pièce tirée de l'Écriture, ne nous est resté que dans des textes dont le plus ancien est de 1472 ; et s'il y en a eu des rédactions antérieures à l'institution de la confrérie, il n'est pas à croire qu'elles remontent au delà du quatorzième siècle. Mais la Résurrection avait de bonne heure été mise en action dans l'Église même. La prose Victimæ pascali laudes était déjà tout une scène, dont les parties ne demandaient qu'à être distribuées entre les personnages :

Die nobis Maria,

Quid vidisti in via,

— Sepulcrum Christi viventis

Et gloriam vidi resurgentis, etc.

Cela s'était fait dans plusieurs offices : citons les nombreux offices du Sépulcre, de Rouen, etc. ; l'office des Trois Maries, où les saintes femmes étaient représentées par trois chanoines qui se couvraient la tète de leurs aumusses en guise de voiles. Il était donc assez naturel que cette grande scène se produisit au dehors dans la langue vulgaire. Il nous reste un mystère de la Résurrection, malheureusement incomplet, dont la copie a paru être de la seconde moitié du douzième siècle et le texte du onzième siècle[171], et le prologue nous fournit la preuve que le mystère, quoique purement religieux, n'étant plus dans la langue de l'Église, était joué hors de l'Église.

La fête de Noël offrait dans les récits évangéliques plus d'incidents encore à mettre en scène : l'Adoration des bergers, l'Adoration des mages, le Massacre des Innocents. Nous avons cité le mystère des Pasteurs et le mystère des Innocents. On a aussi, de la plus ancienne époque, l'Annonciation, qui peut se joindre aux mystères de Noël ; l'office de l'Etoile, les Trois rois, qui se rapportaient plus spécialement à l'Épiphanie. Comme les deux fêtes avaient été disjointes, les mystères qui s'y rattachent se séparèrent aussi et prirent dès lors une direction différente. Les premiers restant graves et sérieux, les autres déclinant vers ces réjouissances populaires qui firent que ces fêtes multipliées d'abord par l'Église à cette époque de l'année, pour détourner le peuple des saturnales, finirent par lui donner, malgré tous les efforts des évêques, une occasion de s'y replonger en plus d'un lieu[172]. Cela commença au treizième siècle et empira surtout dans les deux siècles suivants. Indépendamment des mystères de la fête, il y avait des mystères à propos de la fête. Tel est, à l'occasion de la fête de Noël, le mystère qu'on a appelé les Prophètes du Christ : c'était l'Ancien Testament qui était appelé à venir, par ses noms les plus sacrés, rendre témoignage au Nouveau. Des paraboles de l'Écriture avaient aussi été tournées en drames : les Vierges sages et les Vierges folles, par exemple ; et non-seulement des paraboles, mais des actes de la vie des Saints de l'Ancien ou du Nouveau Testament, comme le Daniel, composé par des écoliers de Beauvais, et la Conversion de saint Paul. On avait fait le même honneur à des miracles de saints, tirés de la légende. Au nombre des vingt-deux drames liturgiques publiés par M. de Coussemaker[173], il y a quatre miracles de saint Nicolas (les Filles dotées, les Trois clercs, le Juif volé, le Fils de Gédron), et il en existe un cinquième qu'il y faut joindre : le jeu de l'Image de saint Nicolas ou saint Nicolas et les voleurs, drame latin, mêlé de français, attribué à Hilaire, disciple d'Abélard. Ce cinquième miracle est pour le fond le même que le Juif volé[174].

Un sujet si populaire pouvait aussi tenter les ménestrels. Le mystère de saint Nicolas est le premier drame écrit entièrement en français. Il est l'œuvre de Jean Bodel, poète d'Arras, de la fin du douzième et de la première moitié du treizième siècle, connu déjà par une chanson de geste du cycle de Charlemagne, la chanson des Saisnes, par diverses chansons ou pastourelles et par le congé ou l'adieu qu'il adressa à la ville d'Arras, lorsque, frappé de la lèpre, il dut accepter un asile dans un des établissements ouverts à cette terrible maladie. Jean Bodel avait pris la croix quand il fut frappé de ce mal qui le retint en Occident. Mais son esprit était avec les croisés et l'on peut s'en apercevoir à son drame. Le sujet d'Hilaire était bien simple. Un mécréant avait caché dans une statue de saint Nicolas son trésor ; des voleurs l'enlèvent ; le volé s'en prend à la statue qu'il bat ; mais saint Nicolas apparaît la nuit aux voleurs et les force à rapporter leur butin ; reconnaissance du mécréant qui se convertit. Jean Bodel conserve le miracle, mais il le place au milieu d'un épisode de la croisade. Tous les croisés ont péri excepté un : c'est celui-là qui vante au roi des Sarrasins la vertu de saint Nicolas ; c'est sur sa parole que le sultan confie le trésor à la statue du saint, et quand le vol du trésor a paru mettre cette parole en défaut, c'est pour le sauver que saint Nicolas apparaît aux voleurs et fait le miracle. Cette scène de la croisade est ce qui donne le caractère tragique à une pièce qui pour le reste ne le présenterait en aucune sorte. L'auteur ici s'élève au-dessus de son modèle et trouve dans le grand sujet qui remuait bien autrement les âmes que le miracle de saint Nicolas, une véritable inspiration. C'est au milieu du combat où les chrétiens vont être exterminés qu'un jeune chevalier dit aux vieux guerriers avec lesquels il est prêt à mourir ces mots où l'on sent quelque chose du souffle de Corneille :

Seigneurs, si je suie jeune ne m'ayez en dépit (mépris),

On a véu souvent grand cœur en corps petit[175].

M. Onésime Leroy a pensé que Jean Bodel devait accompagner saint Louis dans sa croisade. Il voit dans la scène des croisés vaincus une allusion au désastre qui avait eu un si grand retentissement en Occident[176] ; et l'on comprend l'impression qu'en aurait dû faire la représentation sur la foule. M. Paulin Paris, en replaçant à leur date probable deux noms qu'il trouve dans le Congé d'Arras, ceux d'Anseau de Beaumont, qui alla à la croisade de Constantinople, et de l'avoueresse de Béthune, dame de Tenremonde, soutient qu'il s'agit de la quatrième croisade. Arthur Dinaux croit que l'avoueresse de Béthune est la petite-fille de celle dont il vient d'être parlé, et se rallie ainsi à l'opinion de M. Onésime Leroy, son concitoyen[177]. Les arguments en faveur de la première dame de Tenremonde me semblent l'emporter ; et le Congé qui la comprend a dû être fait avant sa mort (1224) ; mais, s'agit-il de la croisade de Constantinople ? Bodel ne parle que de la Syrie ; et ce n'est pas le chemin que prirent le plus grand nombre des croisés alors. On pourrait donc penser à la cinquième croisade, celle qui se fit à la voix d'Innocent III, qui eut lieu en Palestine d'abord (1217), puis se détourna vers l'Égypte où, après la prise de Damiette (1219), elle aboutit à la capitulation de l'armée tout entière (1221). Si le drame de Bodel était postérieur à son congé, l'allusion qu'on y trouve pourrait même se rapporter à la croisade de 1238 qui se termina en 1239 par la sanglante défaite de Gaza[178].

Avec la pièce de Jean Bodel qui, par une scène au moins et par les deux vers que nous avons cités, prélude dignement à la tragédie en France, le siècle de saint Louis vit paraître la première comédie et ce qu'on pourrait appeler le premier opéra comique, tous deux d'un autre poète d'Arras, Adam de la Halle ou le Bossu d'Arras[179]. La ville d'Arras était la grande ville littéraire du Nord, et ses puys d'amour pouvaient prêter leurs scènes à des représentations qui, cette fois, eussent été déplacées même aux portes des églises[180]. Les deux pièces d'Adam de la Halle sont : le jeu du mariage Adam ou de la feuillie et le jeu de Robin et de Marion. Le premier, représenté en 1262, est une comédie dans le genre de l'ancienne comédie chez les Grecs. L'auteur y met en scène, dans une revue satirique, des personnes qui peuvent assister à la représentation, à commencer par lui-même, son père et sa femme, avec un naturel qui a fait prendre ce jeu bien à tort pour un chapitre de sa biographie, mais aussi avec un assaisonnement de mots tout aristophanesques dont les qualités de la pièce ne rachètent pas la crudité. Il y a d'ailleurs dans cette étrange composition, où la féerie vient à la fin se mêler à la comédie, un entrain, une verve quelquefois, qui fait bien augurer de l'avenir de la comédie parmi nous[181]. L'autre pièce fut composée vingt ans plus tard au delà des limites du règne de saint Louis et sur une terre étrangère devenue française, à Naples où le poète avait accompagné le comte d'Artois, envoyé pour venger son oncle des Vêpres siciliennes. C'est une pastourelle mise en action avec une conclusion fort différente des pastourelles en général, et c'est ce qui fit qu'elle pouvait être représentée et qu'elle le fut avec succès. Le dessin est d'un trait vif et léger, la figure de Marion est charmante, celle de Robin, pleine de naturel, et s'il y a quelques passages grossiers encore, Ch. Magnin aime à croire qu'ils ne se trouvaient pas dans la représentation donnée à la cour de Naples ; qu'ils ont pu être ajoutés après la mort de l'auteur, comme un fruit de terroir, pour le public tout différent d'Arras[182]. Le jeu du Pèlerin, joint comme prologue à ce jeu, est peut-être de l'auteur, qui lui fit subir cette révision[183]. C'est aussi un peu après le règne de saint Louis qu'il faut placer le miracle de saint Théophile, par Rutebeuf : sujet qui offrait au poète l'occasion de s'inspirer, moins encore des sentiments de piété qu'il avait pu montrer en traitant divers sujets religieux, que de la satire où il était passé maître. Un prêtre qui renie Dieu par orgueil et se voue au diable fournissait, même après qu'il a expié sa faute par la pénitence, un trop beau thème à ce champion de l'Université contre les ordres religieux.

Le théâtre, par la musique, nous conduit aux beaux-arts.

 

 

 



[1] Un panégyriste anonyme, publié par Martène (Ampl. Coll., t. VI, col. 222) en fait plus de cas que D. Brial dans l'Hist. littér. de la France, t. XV, p. 41. Mais V. Lederc, par un retour sur le passé, en parle avec éloge dans son discours sur les lettres au quatorzième siècle. (Ibid., t. XXIV, p. 389.)

[2] Voy. sur le Ligurinus une excellente dissertation de M. Gaston Paris, lue à l'Académie des inscriptions et belles-lettres et insérée dans ses Comptes rendus (février 1872), p. 147-152. Il l'a aussi publiée sous forme de lettre à M. Reuss, professeur au gymnase protestant de Strasbourg (Paris, 1872).

[3] Hist. littér. de la France, t. XVIII, p. 206 ; sur Evrard de Béthune, ibid., t. XVII, p. 129 et suiv.

[4] Hist. littér. de la France, t. XVI, p. 190 et 506, voy. Leyser, Hist. poetarum et poematum medii ævi (1721, in-8°, p. 499).

[5] Hist. littér., t. XVIII, p. 26 et suiv., et Leyser, l. l., p. 696.

[6] Lebeuf, État des sciences, etc., p. 63.

[7] Ce poème, comme le Ligurinus, appartient au dernier quart du douzième siècle. Voy. la notice de Gautier dans l'Hist. littér. de la France, t. XV, p. 100.

[8] Hist. littér. de la France, t. XVII, p. 43 et suiv. Gilles de Paris est encore signalé comme ayant fait des corrections au poème de Pierre de Riga. (Ibid., 26.)

[9] Hist. littér. de la France, t. XVII, p. 343-356.

[10] Hist. littér. de la France, t. XVI, p. 192, et XVIII, p. 80 et suiv.

[11] Édélestand du Méril, Latina quæ medium per ævum in triviis necnon in monasteriis vulgabantur carmina, p. 125. Cf. un article de Ch. Magnin dans le Journal des savants, janvier 1847, p. 13.

[12] Édélestand du Méril, ibid., p. 163.

[13] Édélestand du Méril, ibid., p. 228.

[14] Girard de Roussillon et Fierabras. Mais le Fierabras provençal n'est qu'une copie du Fierabras du roman du Nord.

[15] Les Épopées françaises, t. I, p. 252. Voy. l'énumération qu'il en fait par ordre chronologique des sujets et le tableau qu'il donne des divers poèmes connus avec leur date certaine ou présumée (ibid., p. 179-182)

[16] Voy. M. Th. de la Villemarqué, Essai sur l'origine des épopées chevaleresques de la Table ronde, en tête de ses Contes populaires des anciens Breton, t. I, p. 1-229, et M. L. Gautier, l. l., p. 329. M. de la Villemarqué accorde plus que ne le fait M. L. Gautier au travail des bardes et des conteurs bretons, quand il dit dans sa conclusion : Les auteurs des poèmes français du cycle d'Arthur ont donc évidemment trouvé dans la littérature celtique des devanciers et des modèles (p. 220).

[17] Voy. la notice de Chrétien de Troyes dans l'Histoire littéraire de la France, t. XV, p. 193 et suiv.

[18] Poèmes du douzième siècle. Un poète du commencement de ce même siècle, Aymes de Varannes, avait déjà chanté Philippe, père d'Alexandre. Voy. Hist. littér., t. XIX, p. 678, et t. XV, p. 486. Sur Benoît de Sainte-More, voy. l'importante publication de M. A. Joly, Benoît de Sainte-More et le roman de la guerre de Troie ou les métamorphoses d'Homère et de l'épopée gréco-latine au moyen âge, 2 vol. in-4° (1870-1871). Le titre indique l'étendue qui est donnée à cette étude, et il est justifié.

[19] Voy. Léon Gautier, l. l., p. 122 : Qui nous persuadera que l'auteur de notre Roland ne connaissait pas la première croisade et que son grand cœur ne battait pas à la seule pensée de cette guerre sublime ? Mais il n'en a rien dit parce qu'il traduisait en vers des cantilènes fort antérieures à la première croisade, parce qu'il voulait que sa traduction fût fidèle.

[20] Sur la Bataille d'Aleschans ou Aliscamps, et quelques autres chansons du même cycle, voy. M. Jonckloet : Guillaume d'Orange, chansons de geste des onzième et douzième siècle (la Haye, 1854).

[21] Voy. Léon Gautier, ibid., p. 256 ; cf. p. 179 ; sur le caractère des poèmes de cette époque, voy. ibid., p. 158 et suiv.

[22] Léon Gautier, l. l., p. 267 et suiv.

[23] Voyez-en l'analyse dans l'Hist. littér., t. XIX, p. 648.

[24] Hist. littér., t. XX, p. 616, et Arthur Dinaux, Trouvères, jongleurs et ménestrels du nord de la France et du midi de la Belgique, t. III, p. 273.

[25] Ou bien encore parce qu'il avait été couronné dans quelque concours poétique. Arthur Dinaux, Trouvères du nord de la France et du midi de la Belgique, t. IV, p. 131.

[26] Voy. Léon Gautier, l. l., p. 284 et suiv. Nous ne pourrions qu'énumérer les autres chansons de geste du treizième siècle qui se rapportent au cycle de Charlemagne ; et cette énumération sans analyse, sans appréciation, serait absolument dénuée d'intérêt. Nous préférons donc renvoyer au tableau qu'en a dressé M. Léon Gautier, t. I, p. 179 et 262.

[27] Voy. les notices d'Amaury Duval dans l'Hist. littér., t. XIX, p. 666, 673, 681.

[28] Hist. littér., t. XIX, p. 690 et 654.

[29] Publié par Crapelet (1834). Legrand d'Aussy, contre son habitude, en a donné, non une analyse, mais une traduction complète dans ses Fabliaux et contes, fables et romans du douzième et du treizième siècle, t. V, p. 203 (3e édit., 1829).

[30] Il a été publié par Edélestand du Méril avec une savante introduction, dans la bibliothèque elzévirienne de P. Jannet (Paris 1856).

[31] Hist. litt., t. XVIII, p. 760.

[32] Il n'existe plus qu'en prose et a été publié par M. Francisque Michel (1838). Voy. Arthur Dinaux, Trouvères, etc., t. IV, p. 257.

[33] J'aime leur amitié et redoute leur colère.

[34] Hist. littér., t. XX, p. 710 (notice d'Amaury Duval). Arthur Dinaux, dans ses Trouvères du nord de la France, t. IV, p. 127, n'est pas éloigné de croire à la collaboration des deux princesses. Une miniature placée en tête du Cléomadès, dans le beau manuscrit de l'Arsenal, semble confirmer le dire du poète. Au lieu de deux dames il y en a même trois. Sur un lit de parade on voit la reine de France, vêtue d'une robe aux armoiries de France et de Brabant ; à ses côtés deux princesses, l'une portant les couleurs de l'Artois (Mahaut, fille de Robert II), l'autre vêtue d'une robe aux armes de France et de Castille : c'est Blanche. Elle parle, les autres l'écoutent, et le poète, reconnaissable à sa couronne et à son rebec posé sur ses genoux, semble suspendu à la bouche de la princesse. Amaury Duval en conclut que Blanche l'a du moins engagé à mettre en français le sujet du Cléomadès. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la miniature traduit sous une forme moins discrète l'assertion du poète. M. Jubinal croit que cette Blanche est Blanche d'Artois, sœur de Robert II, et cousine de la reine Marie de Brabant, et Arthur Dinaux adopte son opinion (Trouvères du nord de la France, t. III, p. 32, et t. IV, p. 126).

[35] Sur les romans de chevalerie et notamment sur Parthenopex de Blois, voy. les notices d'Amaury Duval, dans l'Hist. littér. de la France, t. XIX, p. 629 et suiv. ; sur les romans d'aventures, celles de M. Littré, au tome XXII, p. 756 et suiv. du même recueil.

[36] On pourrait déjà à certains égards ranger dans cette classe le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, roman du douzième siècle (voy. Hist. litt., t. XVIII, p. 704) ; mais c'est trop d'indulgence que d'y compter Audigier, qui n'est qu'un amas d'ordures (voy. Barbazan et Méon, t. IV, p. 217).

[37] Lenient, la Satire en France au moyen âge, p. 121.

[38] Hist. littéraire de la France, t. XIII, p. 42, et t. XX, p. 519.

[39] Hist. littér., t. XVI, p. 194 et suiv., t. XX, p. 518, etc.

[40] On signale particulièrement comme ayant favorisé les troubadours à la fin du douzième et au treizième siècle : en Provence, Alphonse II, comte de Provence (1196), fils de Raymond Bérenger IV et neveu d'Alphonse II, roi d'Aragon, qui figure en Provence sous le titre d'Alphonse Ier ; avec lui sa femme Garsende de Sabran, poète elle-même ; Raymond Bérenger IV, fils d'Alphonse II (1209), et sa femme Béatrix de Savoie ; — à Toulouse, Raymond VI (1194) et Raymond VII (1222) ; — en Aragon, Jacques Ier (1213), et Pierre III, son fils (1276) ; — En Castille, Alphonse IX (1158), Ferdinand III (1230) et Alphonse X (1252). (Hist. littér., t. XIX, p. 443.) — Voy. Fr. Diez, la Poésie des troubadours, trad. du baron F. du Roisin, p. 57.

[41] Sur la tenson, voy. Diez, l. l., p. 192 et suiv.

[42] Voy. Raynouard, Choix des poésies originales des Troubadours, t. II, p. 155 et suiv. ; Fauriel, Hist. de la poésie provençale (ouvrage posthume), t. II, p. 21, 42, 90 et suiv., et Diez, l. l., 2e partie, p. 87 et suiv.

[43] Sur la poétique des troubadours, voy. Fauriel, l. l., t. III, p. 249 et suiv. : Ce fut, dit-il, dans la seconde moitié du douzième siècle que les troubadours se firent une poétique plus variée et plus complète ; qu'ils divisèrent les genres de leur poésie. Ce fut surtout alors qu'ils introduisirent dans le mécanisme de leur versification et en général dans leur diction poétique des artifices et des raffinements exagérés qui furent une des causes de sa prompte corruption (ibid., p. 264) ; et ailleurs il accuse Arnaud Daniel, un des troubadours les plus vantés, d'avoir, par ses raffinements, le plus contribué à perdre la poésie provençale (t. II, p. 41). Voy. aussi Diez, l. l. (la rime), p. 99-106.

[44] Hist. littér., t. XV, p. 470.

[45] Hist. littér., t. XVIII, p. 473.

[46] Hist. littér., t. XVIII, p. 486.

[47] Hist. littér., t. XVIII., p. 499 et suiv.

[48] Hist. littér., t. XVIII, p. 561.

[49] Hist. littér., t. XVIII, p. 588. Frederic Diez a traité de la vie et des ouvrages de troubadours dans un ouvrage spécial : Leben und Werke der Troubadours (1829). Le baron de Roisin en a présenté un résumé à la fin de l'ouvrage cité plus haut qu'il a traduit.

[50] Ils furent aussi pour lui une arme de défense redoutable contre les attaques que son esprit remuant lui attira plus d'une fois ; et s'il succomba, sa puissance se manifesta plus grande encore dans sa défaite. Deux fois forcé de capituler, il ne trouva qu'égards et bonnes paroles de la part soit de Richard, soit de Henri II, ses vainqueurs.

[51] Après avoir tout fait pour entretenir en lutte le jeune Henri contre Richard et les deux princes contre leur père, il excitait Richard contre Philippe Auguste, rompait les accords prêts à se faire. Il accusait Richard Cœur de Lion de tergiversation et de faiblesse, et le marquait du sobriquet de oc et no (sic et non, — oui et non).

[52] Chant XXVIII, vers la fin. Voy. Hist. littér. de la France, t. XVII, p. 426-440.

[53] Dante, de Vulgari eloquentia, I, 15 ; Hist. littér., t. XIX, p. 451. — Sur le sirvente et ses divers genres, voy. Diez, l. l., p. 171 et suiv.

[54] Sur les diverses classes des troubadours et des jongleurs et sur les rapports des uns avec les autres, voy. Fauriel, Hist. de la littérature provençale, t. III, p. 226 et suiv. ; et Diez, l. l., p. 27-44.

[55] Hist. littér., t. XVII, p. 473.

[56] La littérature provençale prise dans son ensemble, dit Fr. Diez, constitue plutôt une poésie d'esprit qu'une poésie de sentiment (l. l., p. 136).

[57] Hist. littér., t. XIV, p. 210-214.

[58] Hist. litt., t. XV, p. 467-469. Geoffroi Rudel, Pierre Vidal fourniraient d'autres épisodes variés sur ce chapitre. Pierre Rudel ayant ouï parler de la beauté de la comtesse de Tripoli, se prit d'amour pour elle, la chanta dans ses vers, puis à la fin, voulant au moins la voir, partit en pèlerin pour l'Orient. Atteint en mer d'une maladie mortelle, il toucha pourtant au port et reçut en récompense de son amour les derniers soins de celle qu'il était venu chercher. — Pierre Vidal, après des aventures moins idéales, fit une fin beaucoup moins poétique. Parti pour l'Orient en croisé avec Richard Cœur de Lion, il épousa dans l'île de Chypre une femme grecque qu'on lui dit nièce et héritière de l'empire d'Orient. Il se crut empereur de Constantinople, devançant Baudoin de dix ans, et fit au retour d'autres folies (Hist. littér., t. XV, p. 470-476).

[59] Hist. littér., t. XVII, p. 489.

[60] Hist. littér., t. XV, p. 446 ; cf. t. XIII, p. 471.

[61] Hist. littér., t. XVII, p. 570.

[62] Hist. littér., t. XVII, p. 580.

[63] Hist. littér., t. XIX, p. 479.

[64] Hist. littér., t. XVII, p. 497.

[65] Fauriel, qui a publié ce poème, croyait que les deux parties, si différentes qu'elles soient par le ton et par l'esprit, sont du même auteur, écrivant à deux époques sous l'impression différente que le cours des événements avait produite en lui. M. Guibal a soutenu au contraire que la première partie, simple chronique rimée, hostile aux Albigeois, et la seconde, vrai poème tout animé de haine contre les chefs de la croisade, sont de deux auteurs différents. M. P. Meyer se prononce pour cette dualité et il la prouve par une argumentation courte et décisive, fondée sur la langue et la versification des deux parties ; il en fixe la date : 1re partie, 1210-1213 ; 2e partie, 1218-1219. (Bibl. de l'École des chartes, 1864-1865, p. 401 et suiv.)

[66] Hist. littér., t. XX, p. 518.

[67] Hist. litt., t. XX, p. 569-574.

[68] Hist. litt., t. XX, p. 598.

[69] Au milieu des Gibelins, qui l'accueillirent, il n'en fut pas, comme on le pense bien, plus réservé à l'égard du pape. C'est en Italie qu'il composa son virulent pamphlet contre Rome : son héros est Frédéric II quand il est pour la première fois excommunié par Grégoire. IX ; et pourtant (mobilité des poètes !) dans une pièce suivante, il parut se féliciter de la réconciliation de l'empereur et du pape (1230) et du traité qui, l'année précédente (1229), avait terminé la querelle du comte de Toulouse et du roi de France (Hist. littér., t. XVIII, p. 651 et suiv.).

[70] Hist. littér. de la France, t. XVIII, p. 666.

[71] Hist. littér., t. XVIII, p. 667-670.

[72] Hist. littér., t. XVIII, p. 694.

[73] Hist. littér., t. XIX, p. 459.

[74] Hist. littér., t. XIX, p. 579.

[75] Hist. littér., t. XVIII, p. 662.

[76] Hist. littér., t. XIX, p. 480.

[77] Hist. littér., t. XIX, p. 489.

[78] Hist. littér., t. XIX, p. 490.

[79] Hist. littér., t. XX, p. 554.

[80] Hist. littér., t. XX, Aicarts del Fossat, au contraire, avait célébré cette lutte prochaine par pur amour de la bataille, comptant bien que l'aigle ne triompherait pas des lis. On croit qu'il périt lui-même parmi les soldats de Charles dans ce grand combat. (Ibid., t. XIX, p. 524.)

[81] Hist. littér., t. XIX, p. 493 et 494.

[82] Hist. littér., t. XIX, p. 545 ; cf. t. XXIV, p. 85.

[83] Hist. littér., t. XIX, p. 547.

[84] Hist. littér., t. XIX, p. 591. Il y en eut d'autres encore : par exemple une complainte de Daspol, poète que M. P. Meyer a fait connaître dans ses Derniers troubadours de la Provence, p. 36 et suiv.

[85] Hist. littér., t. XX, p. 518.

[86] C'est ce que montre avec beaucoup de justesse M. P. Meyer, dans un livre intitulé : les Derniers troubadours de la Provence (Paris, 1861).

[87] P. Meyer, les Derniers troubadours de la Provence, p. 5.

[88] C'est l'avis des critiques les plus autorisés.

[89] Roquefort, de l'État de la poésie française dans les douzième et treizième siècles, p. 71.

[90] Sur les encouragements que la comtesse de Flandre et de Hainaut, Jeanne, fille de Baudoin de Constantinople, et les fils de la comtesse Marguerite, Gui et Guillaume de Dampierre, accordaient aux trouvères, voy. Arthur Dinaux, Trouvères, jongleurs et ménestrels du nord de la France et du midi de la Belgique, t. II, p. 67. Nous parlerons plus loin de la Champagne et du Brabant.

[91] A la thèse de Raynouard (sur les Cours d'amour, dans son Choix des poésies originales des troubadours, t. II, p. LXXXVII) et de Legrand d'Aussy (Fabliaux et contes, etc., t. I, p. 19) on peut opposer victorieusement le petit livre de Diez, Ueber die Minnehöfe (Essai sur les cours d'amour, 1825), et la judicieuse remarque d'Arthur Dinaux, Trouvères, jongleurs et ménestrels du nord de la France et du midi de la Belgique, t. II, p. 47. M. P. Meyer, avec la netteté ordinaire de sa critique, a achevé de réduire les Cours d'amour à leur juste valeur. (Les Derniers troubadours, p. 67-71.)

[92] La comtesse de Champagne dont il est parlé doit être Marie de France, fille d'Éléonore et de Louis VII, femme de Henri Ier et mère de Henri II, comtes de Champagne, qui gouverna la Champagne de 1181 à 1186 et de 1190 à 1193 ; sur la protection qu'elle accorda aux lettres, voy. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et comtes de Champagne, t. IV, p. 640 et suiv.

[93] Arthur Dinaux, l. l., t. III, p. 379.

[94] Arthur Dinaux, t. IV, p. 70 ; cf. t. II, p. 65.

[95] Sur ce Coucy, Guy de Coucy, qui accompagna son oncle Matthieu de Montmorency à la quatrième croisade et y mourut, voy. d'Arbois de Jubainville, Hist. des ducs et comtes de Champagne, t. IV, p. 651 et 652.

[96] D'Arbois de Jubainville, ibid., et Arthur Dinaux, t. I, p. 127 et 140. Le premier le revendique pour la Champagne ; le second pour l'Artois. Oisy est en Artois.

[97] Arthur Dinaux, t. III, p. 381 et suiv., et p. 217.

[98] Voy. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et comtes de Champagne, t. IV, p. 660 et suiv. ; Tarbé, les Chansonniers de Champagne aux douzième et treizième siècles (Reims, 1850, p. XV-XVII, XXV-XXVI, L-LII, avec les pièces qu'il a publiées à la suite) Paulin Paris, dans l'Histoire littéraire de la France, t. XXIII, p. 512 et suiv.

[99] Voyez A. Dinaux, t. IV, p. 128-130. cf. t. III, p. 31.

[100] Voy. Roquefort, de l'État de la poésie française dans les douzième et treizième siècles, p. 93, et Magnin, 4e article sur le Théâtre français au moyen âge, de MM. Monmerqué et Francisque Michel, inséré dans le Journal des Savants, septembre 1846, p. 346.

[101] Puy verd, c'est un tertre de gazon.

[102] A. Dinaux, t. III, p. 11 et t. IV, p. 20.

[103] Magnin, l. l., cf. Théâtre français au moyen âge, publié par MM. Monmerqué et Francisque Michel, p. 68 (note des éditeurs).

[104] Arthur Dinaux, t. III, p. 8.

[105] Arthur Dinaux, t. II, p. 188.

[106] Arthur Dinaux, t. II, p. 251 et t. III, p. 43.

[107] Dinaux, t. III, p. 44.

[108] P. Paris, Romancero français, p. 4.

[109] Arthur Dinaux, t. III, p. 260 et 50.

[110] Arthur Dinaux, t. III, p. 121.

[111] Arthur Dinaux, t. III, p. 326.

[112] Arthur Dinaux, t. IV, p. 596.

[113] Arthur Dinaux, t. III, p. 359.

[114] A. Dinaux, t. II, p. 318. J'en ai seulement rajeuni l'orthographe. Il faut lire, je pense, grand joie et non grande joie : grand est féminin et masculin, et joie devant une consonne forme deux syllabes. Je renvoie pour toute cette matière, indépendamment des notices de l'Histoire littéraire de la France, aux quatre volumes qu'Arthur Dinaux a consacrés aux Trouvères, jongleurs et ménestrels du nord de la France et du midi de la Belgique. Je tirerai seulement encore du nombre considérable de ceux qu'il fait connaître, Pierre le Borgne ou le trésorier de Lille, qui a plusieurs chansons d'amour pleines de grâce (t. II, p. 348) ; Sauvage d'Arras, dont le ton est la mélancolie (t. III, p. 430) ; Simon d'Authie, qui se signale entre tous les auteurs de pastourelles en se montrant piquant sans cesser d'être chaste (t. III, p. 446) ; Girard de Valenciennes et Renier de Quaregnon, auteurs de jeux-partis, le dernier sur des questions assez hardies de la métaphysique de l'amour. (Ibid., t. IV, p. 308 et 648.)

[115] Dinaux, t. IV, p. 108.

[116] Le lai était une composition musicale, d'origine bretonne, dont le nom a passé par abus à des récits qui n'étaient plus destinés à être chantés. Voy. P. Meyer, le roman de Flamenca, p. 279, note, et sur la forme primitive et les transformations du lai, Ferdinand Wolff, Ueber die Lais, Sequenzen und Leiche (Heidelberg, 1841).

[117] Barbazan et Méon, Fabliaux et contes des postes français du onzième au quinzième siècle, t. IV, p.143, 326 et Hist. littér., t. XIX, p. 761-767.

[118] Méon, Nouveau recueil de fabliaux et contes, t. I, p. 127 ; cf. Hist. littér., t. XIX, p. 704.

[119] Hist. littér., t. XIX, p. 712.

[120] Hist. littér., t. XIX, p. 715 ; Legrand d'Aussy, Fabliaux et Contes, t. I, p. 165.

[121] Méon, Nouveau recueil, t. I, p. 1 ; cf. Hist. littér., t. XIX ; p. 722 et Arthur Dinaux, t. IV, p. 581.

[122] Hist. littér., t. XVIII, p. 731.

[123] Voyez Legrand d'Aussi, l. l., t. IV, p. 82 et suiv.

[124] M. Pantin Paris a même cité un vers qui la dit de Compiègne. Il est vrai que ce vers n'est pas d'elle : il est tiré d'une satire appelée l'Évangile des femmes, du trouvère Jehan Dupain (Hist. littér., t. XIX, p. 793 ; Arth. Dinaux, t. II, p. 310).

[125] Roquefort, les Poésies de Marie de France, t. II, p. 401. Arthur Dinaux, Trouvères du nord de la France, t. II, p. 67 et 310.

[126] Roquefort, les Poésies de Marie de France, 2 vol. in-8° (1820). Voy. la notice d'Amaury Duval dans l'Hist. littér., t. XIX, p. 791 et suiv.

[127] On peut y ranger aussi la Voye d'Enfer ou le Songe d'Enfer de Raoul de Houdan ; la Voye de Paradis (Hist. Littér., t. XVIII, p. 737 et 790).

[128] Voy. Lenient, la Satire en France, p. 101. On peut joindre aux recueils de fables les bestiaires, compositions où les animaux servent de symboles aux qualités, vices ou vertus, des hommes.

[129] Legrand d'Aussy, t. III, p. 341 ; Barbazan et Méon, t. I, p. 300 ; cf. la notice d'Amaury Duval dans l'Histoire littéraire de la France, t. XIX, p. 747 et suiv.

[130] Barbazan et Méon, t. IV, p. 296. Cf. Histoire littéraire, t. XVIII, p. 779.

[131] Méon, Nouveaux fabliaux, t. I, p. 91 ; cf. Arthur Dinaux, t. IV, p. 380. Jacques de Baisieux fit aussi d'autres contes.

[132] Publié par MM. Monmerqué et Francisque Michel ; cf. Hist. littér., t. XVIII, p. 774 ; Arthur Dinaux, t. IV, p. 637.

[133] Publié par M. A. Jubinal, Nouveau recueil de contes, etc. Voyez-en l'analyse dans Arthur Dinaux, Trouvères, etc., t. III, p. 471.

[134] Hist. littér., t. XIX, p. 776 et 787.

[135] Voyez, pour les versions orientales dérivées de l'original indien, le livre de M. Comparetti, Riserche intorno al libro di Sindibad (1869), et l'article de M. Gaston Paris, dans la Revue critique (1869, art. 232) ; pour les versions occidentales, que l'on regarde comme formées non sur un texte écrit venu de l'Orient, mais sur de simples récits, la préface de M. de Montaiglon à son édition du Dolopathos de Herbert (1856), la publication de M. H. OesterleY (1873), Johannis de alta Silva Dolopathos, et le savant article dans lequel M. Gaston Paris rend compte de ce dernier ouvrage (Romania, t. II, p. 481).

[136] Barbazan et Méon, t. II, p. 39 ; cf. Hist. littér., t. XIX, p. 826. On peut en rapprocher l'œuvre d'Étienne de Bourbon ou de Belleville, dans le Beaujolais, frère prêcheur, compilation historique avec un but moral (Hist. littér., t. XIX, p. 31) ; une imitation de Boèce par Simon de Fresnes, ibid., t. XVIII, p. 22 ; les Dits et sentences des philosophes, par Alars de Cambrai (Arthur Dinaux, t. I, p. 73, et Roquefort, p. 232).

[137] Barbazan et Méon, t. II, p. 189 ; cf. Hist. littér., t. XIX, p. 833 et suiv. Je passe ces détails ; en voici d'autres :

Gardez que vos iex n'essuez

A cele fois que vous bevez

A la nape, ne vostre nez.

[138] Barbazan et Méon, t. IV, p. 472. Un homme dont le père s'est dépouillé de ses biens pour le mieux marier l'a chassé de sa maison ; tout ce qu'il accorde à ses prières, c'est de lui donner une couverture de cheval qu'il envoie chercher par son fils. L'enfant en rapporte une moitié. — Qu'as-tu fait de l'autre ? — Je l'ai gardée pour vous la donner quand vous serez vieux et que je vous chasserai à votre tour.

[139] Hist. littér., t. XIX, p. 843 et suiv. On peut rapporter au même genre la Cort de Paradis, cour plénière tenue par Dieu, à l'occasion de la Toussaint, avec les présentations, les chants et les danses usités en pareil cas (Ibid., t. XVIII, p. 792).

[140] Barbazan et Méon, t. III, p. 282.

[141] Barbazan et Méon, t. IV, p. 114.

[142] Barbazan et Méon, t. III, p. 1.

[143] Barbazan et Méon, t. I, p. 164.

[144] Par exemple Celui qui enferme sa femme dans une tour (Barbazan et Méon, t. II, p. 59) ; le Chevalier au barizel (ibid., t. I, p. 208) ; le Sentier battu, extrait des poésies de Baudoin et de Jean de Condé (ibid., t. I, p. 100) ; le Lai de l'Ombre, conte fort gracieux, et le Chevalier à la Corbeille (Francisque Michel, Lais inédits des douzième et treizième siècles). Voy. aussi M. Jubinal, Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des treizième, quatorzième et quinzième siècles, pour faire suite aux collections Legrand d'Aussy, Barbazan et Méon.

[145] Voyez, outre les notices de l'Histoire littéraire, auxquelles nous avons renvoyé, Gerusez, Histoire de la littérature française, t. I, p. 104 et suiv. ; Demogeot, Histoire de la littérature française, p. 122 ; Lenient, ouvrage cité. Sur les emprunts que Boccace, Rabelais, Molière et la Fontaine ont faits à nos fabliaux, voy. Roquefort, De l'état de la poésie française dans les douzième et treizième siècles, p. 190-195.

[146] Les Allemands ont voulu revendiquer pour eux les premières origines du roman de Renard. Le nom de Renard (Reinhardt) est allemand en effet : mais c'est un de ces noms qui, comme ceux de Charles, de Thierry, de Louis, avaient été naturalisés français depuis l'entrée des Francs dans la Gaule ; au contraire les noms des personnages secondaires du roman : Chantecler (le coq), Pinte (la poule), Brun (l'ours), Belin (le mouton), Coart (couard, le lièvre) sont français, et leur introduction dans la fable allemande prouve que celle-ci n'est qu'une copie du français. Voy. la notice de M. Fauriel, qui d'ailleurs fait de bien grandes concessions à la critique de Grimm (Histoire littéraire de la France, t. XXII, p. 906) ; la préface, mise par M. Jules Houdoy en tête de son édition de Renart le Nouvel, par Jacquemart Giélée, de Lille ; l'article d'Arthur Dinaux sur Jacquemart Giélée (Trouvères, etc., t. II, p. 235), et les analyses plus sommaires de MM. Gerusez, Demogeot et Lenient, cités plus haut.

[147] Le roman de Renard a été publié par Méon en quatre volumes in-8°. Les trois premiers comprennent les anciennes branches, qui ne font pas moins de trente mille trois cent soixante-deux vers ; le quatrième, deux nouvelles branches qui sont d'auteurs flamands : le Renard couronné, composé vers 1250 : on y trouve un éloge pompeux du comte Guillaume de Dampierre qui périt tragiquement dans un tournoi, au retour de la croisade (1251) ; et Renart le Nouvel, par Jacquemart Giélée, de Lille, qui le termina en 1288 (J'ai cité l'édition nouvelle que vient d'en donner M. Jules Houdoy, 1874). Un cinquième volume, publié après la mort de Méon, nous donne un nouvel épisode : Si comme Renart menjà (mangea) dant (dom) Pinçart le hairon (héron) et fist à peu noier le vilain. Toutes les branches réunies ne font pas moins de cent vingt-cinq mille vers, à l'estimation de Ch. Magnin (Journal des Savants, novembre 1859, p. 594). Cette gigantesque épopée, ajoute-t-il, où se mêlent à l'origine l'esprit gaulois et les traditions germaniques, cette œuvre à laquelle plusieurs générations ont mis la main, cet édifice collectif et anonyme, comme tous les monuments d'alors, est une perpétuelle et piquante critique des mœurs privées et publiques de l'époque, sorte de bouche de fer, ouverte aux rancunes plébéiennes, où se sont accumulées, pendant plusieurs siècles, toutes les plaintes, toutes les récriminations, toutes les colères qui. fermentaient au sein des classes opprimées contre l'orgueil et les excès des classes oppressives.

[148] Ceux qu'il épargne le plus sont les Templiers, à qui il ne reproche que leur orgueil et leur avarice. Voy. la notice d'Amaury Duval sur Guyot, dans l'Hist. littér., t. XVIII, p. 814.

[149] Hist. littér., t. XVIII, p. 816 et suiv., notice du même auteur.

[150] Sur Rutebeuf, voy. la préface de M. Jubinal à l'édition de ses œuvres (Paris, 1839, 2 vol. in-8°), et l'intéressante notice de M. P. Paris, dans l'Histoire littéraire de la France, t. XX, p. 719 et suiv.

[151] La Descorde de l'Université et des Jacobins. Œuvres de Rutebeuf, t. I, p. 151.

[152] De Sainte-Église ; le dit de Guillaume de Saint-Amour ; la Complainte maistre Guillaume de Saint-Amour. Œuvres de Rutebeuf, t. I, p. 245, 71, 78.

[153] Le dit des Jacobins ; le dit des Cordeliers ; le dit des Béguines ; le dit des Règles ; la Bataille des vices contre les vertus, ou le dit de la Mensonge. Œuvres de Rutebeuf, t. I, p. 175, 180, 186, 189, 158 ; t. II, p. 56-65.

[154] Œuvres de Rutebeuf, t. I, p. 196-202. On croit qu'il y fait la satire de la cour de Philippe le Hardi, fils de saint Louis. Voy. la notice de M. Paulin Paris, Hist. littér., t. XX, p. 756.

[155] Œuvres, t. I, p. 302. Il a fait quelques autres contes ou chants pieux d'un caractère mieux soutenu : les Neuf joies Notre-Dame (t. II, p. 9) ; la Voie du Paradis (p. 24) ; la Lection d'hypocrisie et d'humilité (p. 66) ; la Vie sainte Marie l'Égyptienne (p. 106) ; la Vie sainte Élisabel (p. 152). Nous parlerons plus loin de son Miracle de Théophile. Voy. la notice de M. P. Paris, l. l., p. 772 et suiv.

[156] Œuvres de Rutebeuf, t. I, p. 91.

[157] Complainte de Constantinople, t. I, p. 100.

[158] Complainte du comte Huède de Nevers, t. I, p. 55.

[159] Le dit de Puille (Pouille) et la Chanson de Puille, t. I, p. 143, 148.

[160] T. I, p. 124. Cf. le Dit de la voie de Tunes, sorte de prédication à la même fin. (ibid., p. 136.)

[161] Les Regrets au roi Loys, quoique de son style et de son esprit, n'ont pas été regardés comme authentiques par l'éditeur de ses œuvres. Il en est autrement des deux autres morceaux : la Complainte au roi de Navarre et la Complainte du comte de Poitiers. Œuvres, t. I, p. 40 et 48 ; voy. P. Paris, l. l., p. 766.

[162] Œuvres, t. I., p. 110.

[163] Il ne peut être question ici ni du Morse d'Ézéchiel le tragique (premier ou deuxième siècle), ni du Χριστός πάσχων, attribue à saint Grégoire de Nazianze (quatrième siècle), compositions toutes littéraires qui sont restées inconnues à l'Occident, ni du théâtre de Hrotsvitha, religieuse de Gandersheim (dixième siècle), dont les pièces eurent des représentations à l'intérieur du couvent : théâtre curieux à étudier assurément, comme une application à des sujets religieux des formes de Térence, mais qui est plus une réminiscence du passé qu'une espérance de l'avenir. Cet essai n'en a point produit d'autre et s'est éteint sans laisser trace dans la littérature des temps qui ont suivi.

[164] Voyez sur ce sujet l'ouvrage malheureusement inachevé de Charles Magnin, les Origines du théâtre moderne, ou histoire du génie dramatique depuis le premier jusqu'au seizième siècle, précédée d'une introduction contenant des études sur les origines du théâtre antique, t. I (1838), p. 16 et suiv., le seul volume qui ait paru ; mais Ch. Magnin est revenu à plusieurs reprises sur ce sujet par des articles qui lui ont permis de développer plus longuement sa théorie, en l'appliquant au théâtre du moyen âge : d'abord sur le Théâtre français au moyen âge, publié par MM. Monmerqué et Francisque Michel (Journal des Savants, janvier, août, septembre, octobre 1846 ; janvier, mars 1847) ; sur le Christus patiens, etc., publié par Dübner (ibid., avril et août 1848) ; enfin sur les Drames liturgiques du moyen âge, texte et musique, publiés par M. de Coussemaker (ibid., mai et septembre 1860 ; août 1861). Voy. en outre quatre savants articles de M. Léon Gautier sur les Origines du théâtre moderne, insérés dans le journal le Monde, numéros des 16 et 17, 28, 30 août et 4 septembre 1872 : articles qui supposent un travail approfondi et promettent un excellent livre.

[165] Horace, Art poét., v. 180-182.

[166] Ch. Magnin, art. sur les Drames liturgiques du moyen âge, dans le Journal des Savants, août 1861.

[167] Dans son premier article (le Monde, numéro des 16 et 17 août 1872.) Ils sont tirés du ms. 1118 de la Bibl. nat. (Saint-Martial de Limoges.)

[168] Mystère des Pasteurs, ms. 904 de la Bibliothèque nationale, cité par M. Léon Gautier.

[169] Le mystère des Voyageurs ou des Disciples d'Emmaüs n'est que l'Évangile de saint Luc mis en action. Plusieurs mystères de ce genre se terminent par les mots Benedicamus Domino, et peuvent, selon la conjecture de M. L. Gautier, n'être que des tropes du Benedicamus.

[170] M. Léon Gautier, articles cités.

[171] Publié par M. Jubinal et reproduit par MM. Monmerqué et Francisque Michel dans leur Théâtre français au moyen âge, 1 vol. grand in-8° à deux colonnes, texte et traduction.

[172] Magnin, dans le Journal des Savants, août 1861.

[173] Ouvrage cité ; cf. Edélestand du Méril, Origines latines du théâtre moderne, p. 254 et suiv.

[174] Edélestand du Méril, ibid., p. 272. Un autre jeu, du même auteur, la Résurrection de Lazare, est aussi en latin, mêlé de français. Voy. ce qu'en dit M. Paulin Paris à propos du trouvère dont nous allons parler, Hist. littér. de la France, t. XX, p. 628 et suiv. Le Daniel, troisième drame contenu dans le même manuscrit avec une épître à Abélard, est tout en latin.

[175] Théâtre français du moyen âge, p. 174. MM. Monmerqué, Onésime Leroy et Arthur Dinan, trompés par la forme Seigneur, ont cru qu'il s'adressait à Dieu. C'est une erreur : la forme Seigneur est un pluriel et doit se rendre par Seigneurs dans une transcription en français moderne. Ch. Magnin n'a pas manqué d'en faire la remarque dans son article sur le livre de MM. Monmerqué et Francisque Michel. (Journal des Savants, août 1846.)

[176] Études sur les Mystères, p. 17.

[177] Paulin Paris, notice de J. Bodel dans l'Hist. littér., t. XX, p. 611 ; Arthur Dinaux, Trouvères, etc., t. III, p. 261. Mahaut, dame de Tenremonde, avait épousé avant 1190 Guillaume de Béthune, qui alla à la croisade de Constantinople, en revint en 1205 et mourut le 13 avril 1213. Mahaut de Béthune, qui lui survécut, onze ans retint, dit Duchesne, le titre d'avouée de Béthune au commencement de sa viduité. Sa petite-fille, Mahaut de Béthune, héritière des seigneuries de Béthune, de Tenremonde et de Warneton et des avoueries d'Arras et de Saint-Bayon de Gand, épousa, en 1245, Guillaume de Dampierre, comte de Flandre. (Duchesne, Histoire généalog. de la maison de Béthune, p. 167, 172, 177 et 220-222.)

[178] Ch. Magnin, qui rappelle sur Jean Bodel les opinions contraires de MM. Paulin Paris et Onésime Leroy, ne croit pas avec M. O. Leroy qu'il s'agisse de la bataille de Mansoura ; mais il ne pense pas non plus avec M. Paulin Paris que Jean Bodel ait été relégué dès 1203 dans la léproserie de Meulan. Il reporte plus volontiers cette triste retraite à 1224. (Journal des Savants, août 1846.)

[179] On m'apele Bochu, mès je ne le sui mie, dit-il, acceptant le surnom mais non la chose.

[180] Les jeux par personnages y devinrent l'exercice favori. Voy. Ch. Magnin, Journal des Savants, septembre 1846.

[181] Voyez Paulin Paris, notice d'Adam de la Halle, dans l'Hist. littér., t. XX, p. 638 et suiv. ; Ch. Magnin, dans un article sur le Théâtre français au moyen âge, de MM. Monmerqué et Francisque Michel, qui ont publié et traduit les deux pièces (Journal des Savants, août 1846), et Arthur Dinaux, Trouvères, etc., t. I, p. 45 et suiv.

[182] Journal des Savants, art. cité.

[183] M. Paulin Paris regarde aussi le jeu du Pèlerin comme une addition postérieure, mais il croit que la première représentation de Robin et Marion eut lieu à Arras. Voy. sa notice sur Adam de la Halle, Hist. littér. de la France, t. XX, p. 638-675.