I. — Juridiction de première instance. Pour rendre compte de l'organisation judiciaire qui existe chez nous, il faudrait partir des tribunaux qui jugent en première instance, s'élever de là aux cours d'appel et finir par la Cour de cassation. L'organisation de la justice était toute différente au moyen âge : il n'y avait rien qui ressemblât à cet ensemble dont toutes les parties, quoique distinctes, semblent fondues comme d'un seul jet. Chaque juridiction garda dans ses transformations la trace de ce qu'elle avait été à l'origine. Au fond toute justice résidait dans le roi et émanait de lui. Le roi pouvait donc toujours la rendre lui-même à tout venant, sans intermédiaire. A son défaut, il faisait entendre les parties soit par quelques-uns des hommes de sa cour, soit par les baillis ou sénéchaux qui le représentaient dans les principales divisions du royaume, soit par les prévôts ou vicomtes mis à la tête des subdivisions des bailliages ou des sénéchaussées. A tous ces degrés, prévôts ou vicomtes, baillis ou sénéchaux, membres de la cour du roi, comme le roi lui-même, jugeaient en première instance. Cependant était naturel qu'après le jugement la partie qui se croyait lésée en appelât du premier juge à celui qu'elle voyait au degré supérieur : du prévôt ou vicomte au bailli ou sénéchal ; du bailli ou sénéchal à la cour du roi, de la cour du roi au roi lui-même ; et ainsi le droit d'appel remontait aux divers degrés de cette hiérarchie. Mais cette mission de juger en appel ne supprimait pas celle de juger en première instance qui était la première attribution, dB' tout juge. Nous avons nommé au degré inférieur les prévôts ou les vicomtes ; au-dessus d'eux les baillis ou sénéchaux et au degré supérieur la cour du roi, Nous avons dit les attributions du prévôt comme fermier de l'impôt et agent militaire. Comme juge, sa juridiction s'étendait à la plupart des causes de peu d'importance ; mais comme il affermait les amendes, défense lui fut faite de juger dans les cas où la peine était pécuniaire. Dans ces-cas, le jugement appartenait à des jurés qu'il se bernait à présider ; et c'étaient ces jurés qui seuls : aussi étaient juges en matière criminelle. Les Établissements de saint Louis ne font même pas de distinction. Ils prescrivent au prévôt comme au bailli d'appeler des gens suffisants qui ne soient pas amis des parties et de juger selon leur avis : Se aucun se plaint à justice de aucun meffet.... la justice doit mettre terme (donner jour) ;... et à celuy terme se doit lever et appeler gens souffisanz qui ne soient de l'une partie ne de l'autre, et si doit faire la parole retrère ; et des paroles qu'auront dites si leur doit faire droit, et si leur doit retraire ce qu'ils auront jugié. Et encore : Quant les parties seront coulées en jugement, li prévost ou la justice si feront les parties mander, et appelleront souffisamment gent qui ne seront mie des parties, et doit la justice.... livrer les paroles aux jugeeurs, et ils doivent loyaument jugier[1]. Nous avons parlé plus haut du prévôt de Paris, de son tribunal établi au Châtelet, et des réformes apportées par saint Louis aux abus qu'il faisait de son pouvoir[2]. Dans les provinces nouvellement acquises par la royauté au midi, le prévôt avait eu à l'origine pour correspondant le viguier, qui devint lui-même feudataire, puis le bayle (bajulus, baillivus), dont le nom, analogue à celui de bailli, indiquait en général un agent du seigneur ; mais le bayle au treizième siècle avait vu ses attributions se restreindre. On se défiait de sa partialité ; on lui donna des assesseurs et on lui retira le droit de taxer les amendes, qui fut réservé au sénéchal. Puis, comme le sénéchal ne pouvait rendre lui-même la justice dans toute l'étendue de la sénéchaussée, il se fit remplacer par un magistrat nommé proprement juge. Le juge se transportait dans les différentes localités pour juger en présence du bayle. Il devint permanent, et dans les États d'Alphonse le ressort de sa juridiction fut aussi déterminé et s'appela jugerie[3]. Le bailli ou sénéchal, qui avait autorité sur les prévôts et sur les juges, avait lui-même, avons-nous dit, juridiction en première instance : soit comme juge direct, et alors il s'entourait de conseillers qu'il choisissait ; soit comme président des hommes de fief, quand c'étaient eux qui composaient le tribunal, non pas seulement dans les causes des nobles, mais dans toute cause entre particuliers. Il avait en outre juridiction criminelle, quand il s'agissait de crimes contre la sûreté publique ; et quand il ne jugeait pas, c'était encore à lui à faire exécuter les arrêts soit de tribunaux inférieurs, soit du parlement. Pour l'exercice de cette juridiction, le bailli tenait des assises deux jours au moins par mois, au chef-lieu de chaque jugerie ou prévôté ; et c'est dans ces assises qu'il publiait les ordonnances, donnait les vidimus, etc. Cette juridiction, qui recevait l'appel de tout juge inférieur, trouvait plus d'une occasion d'empiéter sur la justice seigneuriale. En plus d'un cas aussi, grâce à l'insuffisance du contrôle, elle foula aux pieds toute justice : d'où ces mesures de la loi et ces recommandations des jurisconsultes, toutes inspirées, comme nous l'avons vu, par la pensée de le contenir dans le devoir. Le bailli, selon les prescriptions de Beaumanoir, devait s'abstenir de conseiller une partie ; mais il pouvait l'avertir si elle était dans une mauvaise voie. Il ne devait pas davantage se faire avocat, même hors de son tribunal, parce que la cause pouvait lui revenir. Dans les tribunaux où il présidait les hommes de fief, il devait les éclairer, recorder ou rappeler en substance ; aux absents les débats antérieurs ou faire replaider au besoin : car tous n'assistaient pas nécessairement pendant tout le cours du procès ; ils avaient le droit de s'absenter et de revenir pour juger. On admettait que deux pouvaient renseigner.les autres. Du reste, la présence du bailli n'était pas toujours exigée au milieu des hommes de fief[4]. Avec les baillis, les prévôts et les juges, il faut aussi compter au premier degré de juridiction les magistrats municipaux. Ici il y aurait plus de distinctions à faire. Dans la plupart des viles, les officiers municipaux, consuls et autres, n'avaient qu'une juridiction de police. Mais à côté des petites communes, il y avait de grandes cités où cette magistrature avait aussi plus d'importance et une juridiction plus large. Le droit qu'on avait de se plaindre, soit à ses propres magistrats, soit au tribunal du seigneur, avait contribué beaucoup à l'étendre. C'était une véritable justice municipale en présence de la justice seigneuriale, justice spéciale d'ailleurs pour la bourgeoisie. Il fallait que l'une des deux parties fût un bourgeois, et l'étranger pouvait en décliner la compétence. Faut-il y voir une ancienne institution et comme une continuation du régime romain ? Les consuls du moyen âge sont-ils les successeurs directs des duumvirs ? Non, sans doute. Le droit barbare avait passé à travers ; et la coutume que chacun devait être jugé par des hommes de même loi avait bouleversé toutes les anciennes juridictions. Mais sans se rattacher directement à la cité antique, cette institution procédait, on le peut dire, du même esprit. La révolution communale, pour se consolider, n'avait pu mieux faire que d'évoquer et reprendre d'anciens usages ; et c'est ainsi qu'il y eut dans les villes du Midi comme une renaissance de l'ancien droit[5]. La juridiction de premier degré en matière civile appartenait donc presque exclusivement aux juges dans le Midi, aux prévôts dans le Poitou, la Saintonge, et en général dans le Nord ; aux baillis et aux sénéchaux selon les lieux ; et de plus, par exception, aux magistrats municipaux pour quelques grandes cités, cette juridiction, partout ailleurs, se bornant à la simple police[6]. En matière criminelle il en était autrement. Ici, la juridiction municipale s'était fort étendue par une sorte d'usurpation, surtout dans le midi de la France. Le droit d'être jugé par ses pairs était redevenu dominant. Les rachimhourgs mérovingiens, qui étaient un jury, remplacés par les scabins ou juges permanents de Charlemagne, reparaissaient dans le droit féodal. Seulement les jurés, au lieu d'être des hommes de même loi étaient des hommes de même condition, des pairs. Ainsi au treizième siècle, dans le phis grand nombre des villes, les bourgeois ou prud'hommes formaient un jury sous la présidence du seigneur ou de son délégué, jugeant le fait et, à la différence du jury moderne, appliquant la loi et prononçant la sentence. C'est ici que cette institution salutaire reçut une sorte d'atteinte de la part, non des seigneurs, mais de l'administration municipale. En plusieurs lieux les consuls se substituèrent aux bourgeois en qualité de jurés, et c'est ainsi qu'ils s'érigèrent en juges criminels. En 1188, dit M. Boutaric, les bourgeois de Toulouse n'étaient appelés à prendre part aux jugements criminels qu'à défaut des consuls. Mais ce ne fut qu'à la fin du treizième siècle, après la réunion de tout le Languedoc, que la royauté donna aux consuls du Midi l'exercice de la juridiction criminelle, à la condition de juger en présence d'un officier royal. Bientôt la présence de l'officier royal ne fut qu'une simple formalité ; et les consuls eurent la juridiction pleine et entière[7]. La justice municipale en général alla du reste plus en déclinant qu'en s'accroissant ; et l'une des causes fut l'appel auquel elle était nécessairement soumise. Les fortes amendes dont le Parlement frappait les villes, quand leurs échevins avaient rendu des sentences réformées en appel, contribuèrent à les dégoûter de l'exercice de cette juridiction[8]. II. — Procédure. - Combat judiciaire. La procédure était compliquée ; mais il y avait au moyen âge une forme de preuve qui la simplifiait singulièrement : c'était un usage fondé sur le même principe que les guerres privées, le combat judiciaire. Plus réduit dans ses effets, il avait poussé de plus profondes racines dans les mœurs, et, sous cette protection de la loi, il pouvait durer bien davantage. Ici même le sentiment chrétien était peut-être moins puissant pour le supprimer. L'Église, sans aucun doute, réprouvait le combat judiciaire. Elle pratiquait de tout autres usages dans ses tribunaux ; et au treizième siècle les papes eurent plus d'une occasion de le condamner[9]. Mais enfin la pensée religieuse pouvait se glisser jusqu'au sein de la coutume barbare. On se disait que ce n'était pas seulement un appel à la force, mais un appel au jugement de Dieu ; et, de leur côté, les juges pouvaient n'être pas fâchés de s'en remettre à lui dans les cas difficiles. Aussi l'usage en était-il fort répandu. On ne se battait pas seulement sur le fait principal, mais sur les incidents, voire sur des interlocutoires. On ne se battait pas seulement sur des cas à juger, on se battait sur des points de droit à établir. On a cité une Circonstance où les juges ordonnèrent la bataille pour savoir s'il y avait, oui ou non, droit de représentation dans les successions[10]. A la différence des guerres privées, tolérées pour les nobles seuls, il y avait gages de batailles entre roturiers : car le gage étant admis comme moyen de preuve, ou comme appel de jugement, il fallait bien qu'il fût accordé à tous ceux qui comparaissaient en justice. La différence entre les classes n'était que dans les armes des combattants. Les nobles combattaient à cheval, recouverts du heaume et de leur armure complète, avec l'épée et la lance ; les roturiers avec l'écu (un petit bouclier) et le bâton. Il y avait même gages de batailles entre nobles et roturiers, mais avec cette distinction : si le noble attaquait un roturier, il devait le combattre avec les armes du roturier ; car il se dégradait, en quelque sorte, en provoquant un inférieur. Il devait se mettre à son niveau ; et si, dans ce cas, il se présentait avec toutes ses armes au combat, il en était dépouillé, sans avoir même le droit de recevoir en échange celles qu'il avait dédaignées, et se voyait réduit à combattre en pure chemise. Si au contraire il était défié, il gardait le bénéfice de son rang et combattait avec toutes ses armes, tandis que le roturier n'avait jamais que l'écu et le bâton[11]. On appelait au combat non-seulement la partie, mais le témoin, mais le juge. C'était le seul moyen de fausser, c'est-à-dire de récuser comme faix et de faire réviser un jugement. On appelait le seigneur lui-même, si l'on avait différend avec lui ; mais alors le vassal devait, au préalable, rompre le lien qui les unissait l'un à l'autre, c'est-à-dire lui rendre son fief et renoncer à son hommage ; de même que le seigneur, s'il appelait au combat un vassal, devait le dégager de l'hommage que celui-ci lui devait[12]. Saint Louis n'accepta pas cette sorte de justice. Au point de vue du droit, elle était absurde. Qu'y a-t-il de commun entre le droit et la force ? Au point de vue religieux, elle était impie. N'était-ce pas tenter Dieu que de requérir son intervention en toute querelle et de se décharger sur lui du devoir de juger ? Ô hommes qui m'a fait juge de vos querelles et de vos partages ? Homo, quis me constituit judicem aut divisorem super vos ?[13] Il supprima donc encore cette fausse justice de ses domaines. Il maintint toute l'ancienne procédure, l'imputation, le démenti et toutes les formes de preuves à l'usage de l'accusation ou de la défense. Seulement, au moment où, d'ordinaire, le juge adjugeait la bataille, c'était l'enquête qui était ordonnée. Des témoins étaient recherchés, produits, récusés à l'occasion, et le jugement était rendu sur tout l'ensemble des preuves (1260)[14]. Les gages de bataille étaient donc remplacés par l'enquête dans la procédure ; mais, le jugement rendu, quel recours restait-il au condamné ? Tout juge peut se tromper. La question alors est entre le condamné et le juge, et l'appel du juge au combat avait jusque-là servi à la résoudre. Le roi permit de fausser le jugement et d'appeler ainsi le juge au tribunal du seigneur suzerain, comme on l'y appelait dans le cas où il y avait déni de justice. Ce second jugement, contrôlant le premier, était définit. ; et toutefois, comme l'erreur est encore possible au deuxième degré, on accordait un troisième recours par voie d'amendement[15]. On le devait réclamer par supplication, pour témoigner qu'il était non plus un droit, mais une grâce et qu'ainsi il pouvait être refusé. Saint Louis avait donc rétabli dans ses domaines les vraies formes de la justice. L'appel, consacré par la pratique du droit romain, l'appel, qui n'avait pas cessé d'exister dans le droit de l'Église, rentrait dans les tribunaux et dans la cour du roi. Je dis du roi, mais du roi comme seigneur ; car saint Louis n'avait pu imposer. ces procédés aux autres. Établir comme suprême recours l'appel à son tribunal, t'eût été y subordonner toutes les autres justices, c'eût été ravir à la féodalité la part de souveraineté qu'elle avait acquise de ce chef ; et saint Louis n'aurait pas voulu commettre cette usurpation. Il se contenta donc d'établir ce droit chez lui, respectant l'autorité des autres, et les laissant libres, ou de suivre l'ancien usage, ou d'entrer dans la voie qu'il venait d'ouvrir à une meilleure justice ; et il y eut des pays où l'on vit une sorte de partagé. En Beauvoisis, par exemple, Robert de Clermont, fils de saint Louis, observait dans sa cour l'ordonnance de son père, et il laissait ses vassaux pratiquer chez eux l'ancienne coutume[16]. Mais c'était une bien redoutable concurrence que celle de cette justice qui ne voulait plus rien céder au droit du plus fort ; et combien l'autre n'était-elle pas odieuse quand elle laissait pour toute ressource au roturier qui en appelait d'un noble la faculté d'aller attaquer son adversaire monté à cheval, couvert de son armure et pourvu de l'épée et de la lance, n'ayant, lui, d'autres armes que l'écu et le bâton ? L'opinion publique poussait donc vivement vers les procédés de saint Louis. La vue de sa justice, pratiquée dans son domaine sur tous les points du territoire, tenait l'autre en échec ; et les légistes ici encore aidèrent puissamment à son triomphe. On le peut voir sur ce point, comme pour les guerres privées, dans le traité de Beaumanoir. III. — La jurisprudence et le combat judiciaire. Beaumanoir maintient le principe du duel judiciaire[17]. Ici, comme on l'a remarqué, le chevalier domine en lui l'homme de loi. Il en maintient le principe ; il signale le cas où il est admis : les meurtres, violences, vols, en un mot les crimes de haute justice ; à quoi il joint, avec la complicité dans ces crimes, si on les avait fait commettre par conseil ou par don, le cas de violation de l'assurement, si le fait était contesté. Mais il insiste sur les cas où les gages de bataille ne devaient pas être reçus, et il a pour cela tout un chapitre spécial[18]. On les refuse suit en raison des personnes, soit en raison des choses : 1° En raison des personnes. On récusait comme appelant : la femme, au moins la femme non autorisée de son mari ; l'homme étranger au lignage, s'il appelle pour quelqu'un de ce lignage ; le bâtard, comme n'étant pas de la famille ; le clerc, comme appartenant à une autre juridiction ; le lépreux, que l'on retranchait de la société ; le condamné à mort, qui n'eût jamais hésité, ne risquant rien de plus, à appeler son juge. On exemptait de répondre comme appelé celui qui avait moins de quinze ans, ou qui avait été déchargé déjà de la chose en question par le juge. 2° En raison de la chose. Si le fait était notoire, comme un meurtre commis en public ; ou le crime imaginaire, comme un meurtre dont la prétendue victime reparaissait ; si l'alibi de l'appelé était constant ; ou si l'homme frappé avait déclaré en mourant que l'accusé n'était pas coupable de sa mort, pourvu qu'alors il nommât le coupable : sans quoi sa déclaration était rapportée au désir pieux de pardonner à son ennemi ; et les vivants ne se croyaient pas tenus de cette miséricorde. L'appel était-il admissible ? Le jurisconsulte proposait des formules tant pour l'appelant que pour le défendeur. Il y avait des cas où l'on combattait par avoué. La femme devait toujours combattre ainsi, car femme ne se peut combattre, dit la coutume. L'homme le pouvait quelquefois ; et le jurisconsulte énumère les cas où son excuse était admise : s'il était privé d'un membre, âgé de soixante ans, atteint d'un mal chronique, comme la goutte, ou du moins d'une maladie d'une gravité constatée. Une fois admis, l'avoué ne pouvait plus être récusé par l'adversaire, à moins qu'il n'y eût ajournement de la bataille, auquel cas la constitution d'avoué pouvait être remise en question[19]. Beaumanoir, admettant le principe du combat, s'efforce autant que possible, de le rendre équitable. Il montre à quoi s'expose un appelant qui ne mettrait pas dans son appel une suffisante circonspection. Que l'on défie trois personnes, par exemple : il faudra, si elles : relèvent le gage, les combattre toutes trois ensemble ; il sera trop tard, au jour de la bataille, d'amener avec soi deux amis. Si trois personnes sont en cause, c'est le jour du défi qu'il faut amener deux amis avec soi pour appeler les trois adversaires en même temps ; sinon, il ne restera que la ressource du dernier des Horaces. Si l'on veut appeler d'un jugement, il importera donc de ne pas attendre-que les juges aient de concert prononcé la sentence ; car il les faudrait combattre, non l'un après l'autre, mais tous ensemble. Il faudra requérir du seigneur qu'il invite les juges à prononcer successivement la sentence, et porter l'appel immédiatement après la déclaration du premier. Dans un sens comme dans l'autre, ce seul combat était décisif. Si l'on appelait les témoins, il ne fallait pas non plus attendre, après une première déposition, qu'un second témoin eût déposé, et cela pour une autre raison encore : c'est que ce second témoignage pouvait décider du procès, et qu'il eût peu servi de combattre les deux témoins, les juges ayant dans les deux témoignages une base suffisante pour la sentence. C'était, on le voit, un métier dangereux que d'être juge ou témoin avec le droit d'appel. Mais pour le juge c'était un service féodal ; il était là comme à la bataille : le service du plaid et le service militaire l'obligeaient à titre égal. Pour le témoin il en était autrement : aussi n'était-on pas forcé de déposer dans les causes où il y avait droit d'appel ; et le jurisconsulte engage ceux qui déposent à se bien enquérir des cas[20]. L'ajournement étant donné, plus d'un incident pouvait s'élever encore ; et la coutume avait entouré des plus minutieuses précautions les procédés de la bataille. C'est ici que Beaumanoir expose tout au long les règles du combat pour les nobles, pour les roturiers, et pour les appels de nobles à roturiers ou réciproquement. Il donne aussi les formules de l'appelant qui réclame le combat, ou de l'appelé s'il peut lui opposer quelque fin de non-recevoir. La question résolue, c'était le moment de constituer avoué, si on ne pouvait combattre personnellement, et on produisait ses raisons[21]. Alors on attestait de part et d'autre son bon droit par serment : déplorable coutume qui condamnait presque forcément l'un ou l'autre au parjure ; et c'est pourtant dans cette double invocation que se traduit la pensée religieuse mêlée à l'usage barbare. En prenant ainsi Dieu à témoin, on le mettait comme en demeure de faire triompher le bon droit. Après ce serment sur le droit, les deux adversaires en prêtaient un autre dont il eût été sage de se contenter : ils juraient de ne recourir à aucune fraude ou trahison dans la bataille. Puis la lice était ouverte, et l'on publiait trois bans : par le premier, on sommait les parents de sortir hors du camp ; par le second, on imposait silence à tous ; par le troisième, on interdisait à chacun de nuire ou d'aider en aucune sorte aux combattants ; défense dont l'infraction pouvait entraîner, selon la gravité des cas, la prison ou la mort même. Si pendant le combat quelque proposition de paix était faite, les juges du camp observaient scrupuleusement la position de chacun des combattants afin de les remettre exactement en même état lorsque la proposition n'avait pas de suite. Dans un combat entre un chevalier et un écuyer, le pied du chevalier s'était pris à la bride du cheval de l'écuyer, quand une proposition de paix fut faite. Pendant les pourparlers, le chevalier dégagea sa jambe ; mais comme on ne s'était pas entendu et que le combat devait recommencer, le chevalier eut ordre de remettre sa jambe dans le même état qu'auparavant, ce qui le rendit plus facile à l'accord. L'avoué n'avait pas voix dans ces sortes d'arrangements ; il ne les pouvait pas accepter en son nom, et on Tes concluait sans le consulter. La paix, du reste, ne se pouvait faire sans l'assentiment du seigneur : condition qui était exigée, et pour donner plus de sanction à l'accommodement, et pour prévenir l'impunité dans le cas où cette paix sauverait la vie à quelque grand coupable[22]. On sait quelles étaient les conséquences de la défaite, quand la question était capitale. Si, dans ce cas, on combattait par avoué, les deux parties étaient tenues hors de la vue de la bataille, la corde au cou : on pendait le perdant. Quand l'appelant était une femme, on tenait devant ses yeux, pendant la bataille, la bêche qui devait creuser sa fosse, si son avoué était vaincu. Les avoués eux-mêmes ne se retiraient pas sans dommage du combat quand leur défaite ne leur avait pas coûté la vie. Pour se garder contre leur corruption et les intéresser eux-mêmes à la victoire, l'usage était, en cas de défaite, de leur couper le poing ; c'était aussi le châtiment du témoin qui, appelé au combat, se trouvait, par la défaite, convaincu d'être faux[23]. Tel était le combat judiciaire que saint Louis supprima dans son domaine, tels les usages qui de son vivant continuèrent à le régler ailleurs. Le combat judiciaire dura donc, de plus en plus surveillé, empêché, jusqu'au seizième siècle, jusqu'à ce duel entre la Châtaigneraie et Jarnac, qui se livra en 1547, devant Henri II et toute sa cour, et se termina par le coup de Jarnac. C'est en toute vérité le dernier mot de cet usage barbare qui trop longtemps déshonora la justice[24]. Saint Louis l'avait hautement répudié. Mais pour en détacher peu à peu les autres, pour ramener tout le monde à ces formes d'appel qu'il empruntait aux préceptes du droit romain et de l'Église, comme aux prescriptions du sens commun, il fallait offrir aux appelants des juges intègres et éclairés ; de même que pour suffire à tant d'appels, il fallait donner une organisation plus durable et plus forte à ces tribunaux supérieurs. C'est à quoi saint Louis donna tous ses soins. IV. — Tribunaux d'appel. - La cour du roi. En parlant de combat judiciaire comme d'un moyen de preuve en tout débat, nous avons été amené à parler aussi de l'appel, car c'était un moyen d'appel contre un premier jugement. L'appel au moyen âge n'était pas comme à Rome, où l'on ne s'en prenait qu'au jugement dont on demandait la réforme pour cause d'erreur. C'était le juge lui-même que l'on prenait à partie et on l'appelait en duel comme personnellement coupable de mauvaise foi dans l'administration de la justice : ce qui se disait fausser jugement. Quand le duel fut supprimé par saint Louis, le juge, au lieu d'être appelé au combat, fut appelé devant le juge supérieur. Si c'était un prévôt, ou un homme de fief, ou un magistrat municipal, il était appelé devant le bailli ou sénéchal, ou devant le juge qui assistait le sénéchal, sorte de lieutenant à robe longue qui lui était donné pour assesseur (juge-mage) ; et nous avons mentionné les assises des baillis ou sénéchaux en parlant de leur juridiction en première instance ; si c'était le bailli ou le sénéchal lui-même, il était appelé devant la cour du roi. La cour du roi se composait des vassaux du domaine royal
et des grands vassaux. Les rois y convoquaient, avec les seigneurs laïcs, des
prélats, et non pas seulement les prélats qui relevaient d'eux pour quelque
fief, mais les principaux de l'Église de France. Ils y firent même entrer
leurs grands officiers (1224),
introduction qui fut combattue par les seigneurs, mais qui devait prévaloir
grâce à l'importance de ces dignitaires[25]. Dans ces
conditions, la cour du roi était essentiellement un corps politique ; mais
elle resta aussi un corps judiciaire, jugeant généralement en première
instance ce qui regardait les grands vassaux et les prélats, et au criminel
les crimes qui intéressaient la paix publique ou les seigneurs que les baillis
n'auraient pas osé condamner[26], et recevant
appel des jugements qui, après un examen préalable, paraissaient dignes d'une
nouvelle instruction : soit qu'alors elle jugeât directement, soit qu'à la
manière de la Cour de cassation aujourd'hui, elle renvoyât les parties devant
un nouveau juge[27].
Les pairs durent continuer de siéger quand l'affaire concernait un pair. Mais
on appliquait, dit M. Boutaric, les règles du droit féodal, qui déclarait la cour des
barons suffisamment garnie de pairs, pourvu qu'un seul fût présent, et même
lors qu'aucun ne s'était présenté, pourvu qu'ils eussent été régulièrement
semons[28].
Dans ce cas, le jugement était rendu par ceux qui dans la cour étaient plus
spécialement désignés pour rendre la justice[29]. De plus, on
distinguait si la cause intéressait le pair à titre particulier ou si elle
était de pairie. En 1259, l'archevêque de Reims ayant attaqué un arrêt rendu
dans un différend entre lui et l'abbé de Saint-Denis, à propos de la garde de
son abbaye, le Parlement confirma sa première sentence, parce que la querelle dont le jugement étoit fait n'étoit
mie de pairie[30]. De même que le roi, les grands vassaux pouvaient avoir leur cour. L'Échiquier de Rouen était la cour des ducs de Normandie avant la réunion de la Normandie à la France ; les Grands Jours de Troyes, la cour des comtes de Champagne ; et le comte de Toulouse avait aussi son Parlement. L'Échiquier de Rouen était resté cour d'appel pour les vicomtés et bailliages de Normandie, même après la conquête de Philippe Auguste ; et il en fut de même du parlement de Toulouse dans les premiers temps qui suivirent la mort d'Alfonse[31], et des Grands Jours de Troyes pour la Champagne, quand, plus tard la Champagne fut rattachée à la couronne par l'avènement de Louis le Hutin. Ces cours restaient par l'habitude où étaient les rois de ne rien changer à l'organisation des pays réunis un jour au domaine et qui ensuite pouvaient en être séparés, en forme d'apanages ; mais la cour du roi demeurait au-dessus. En vertu de son caractère même, son ressort comprenait le royaume entier. Dès le règne de saint Louis, le Parlement eut juridiction en Languedoc : il était le tribunal suprême des sénéchaux de Beaucaire, de Carcassonne, du Périgord et du Quercy, il pouvait recevoir les appels du comte de Toulouse ; et le roi d'Angleterre lui-même, par le traité d'Abbeville (1258), fut obligé de permettre à ses sujets d'appeler au parlement de saint Louis des sentences de ses sénéchaux en Guyenne[32]. Comment la cour du roi pouvait-elle suffire à ces appels des provinces du Midi, surtout quand c'est en ces provinces que le droit d'appel était le plus connu et pratiqué ? S'il eût fallu se rendre à la cour du roi, l'appel eût été le plus souvent rendu impossible par les difficultés et les frais du voyage. Selon toute apparence, le roi donnait des pouvoirs à des commissaires qui se trouvaient ou étaient envoyés sur les lieux, pouvoirs spéciaux pour chaque cas particulier ; en telle sorte que la justice était toujours censée émaner de la cour du roi[33]. La cour avait dû prendre une organisation appropriée à l'accroissement des affaires déférées à sa justice On lui donna plus de fixité quant au lieu. Fixer la cour en un lieu était contraire à sa nature, puisqu'elle n'était que le conseil du roi et que le conseil devait se déplacer avec le roi. Mais pourtant le roi pouvait, dans l'intérêt des affaires, dispenser la cour de le suivre partout, ou du moins de le suivre tout entière. Il en pouvait laisser une partie, avec les affaires à juger, dans le lieu ordinaire de sa résidence. Cela ne se fait pas encore dans les commencements de saint Louis. Plus tard la cour se retrouve le plus souvent à Paris ; et bien qu'elle se déplace encore quelquefois selon la volonté du prince, on peut prévoir que c'est là qu'elle se fixera[34]. Comme il y a plus d'unité dans le lieu, il y a aussi plus de régularité dans le temps de ses réunions en tant que tribunal. Rien de fixe n'est encore établi : mais on annonce les sessions à l'avance, afin que les parties en soient informées ; et ces réunions ont lieu généralement le jour ou le lendemain des grandes fêtes : Pentecôte, Toussaint, Saint-Martin d'hiver, Chandeleur ; ou en cas d'empêchement, aux fêtes les plus voisines : Pâques, Ascension, Assomption. Il n'y a donc pas encore de fixité ; il y a seulement une régularité suffisante ; et du reste, comme l'a remarqué le comte Beugnot dans le travail que nous résumons ici, l'idée que le Parlement n'est point permanent et ne siège que par assises, s'est conservée jusqu'à la fin[35]. Un point plus important que ces deux circonstances de temps et de lieu, c'est la composition même du Parlement. La transformation préparée sous Philippe Auguste était déjà fort avancée sous saint Louis. Depuis que les affaires judiciaires allaient se multipliant devant la cour, son rôle fut surtout de juger ; et depuis que le combat judiciaire fut supprimé, il fallait juger sur des raisons. Cela donnait au droit une importance capitale et exigeait qu'il fût connu de ceux qui avaient pour devoir de l'appliquer. Il resta fort peu de grands vassaux parmi les juges. On y compte encore quelques prélats ; mais ce qui surtout y domine, ce sont les clercs, les frères prêcheurs ou mineurs ; et si l'on y mentionne des chevaliers, ce sont, non des hommes d'armes, mais des gens de loi. De plus, les prélats qu'on y retrouve n'y sont pas constamment ; le plus souvent ils alternent : c'est tantôt l'un, tantôt l'autre ; tandis que les baillis, les prévôts, les clercs et chevaliers sont généralement les mêmes. Ainsi le roi rend encore personnellement la justice, comme on le voit dans les scènes bien connues de Joinville : mais l'administration régulière de la justice appartient à sa cour, à ce qui devient le Parlement. Cela se manifeste surtout depuis que le roi est revenu de la croisade, et le Parlement qui est né a laissé un monument de ses origines dans les Olim. Les Olim sont des registres qui renferment un résumé d'arrêts ou d'enquêtes du Parlement sous saint Louis. Un inventaire dressé par Pierre de Bourges au commencement du quatorzième siècle en comptait sept : un de Jean de Montluçon, quatre de Nicolas de Chartres et deux de Pierre de Bourges lui-même. Aujourd'hui il n'en reste que quatre : le registre de Jean de Montluçon, le livre des arrêts de Nicolas de Chartres et les deux registres de Pierre de Bourges. Le registre de Nicolas de Chartres commençait par le mot Olim et fut quelquefois désigné de cette sorte : Dans le livre qui commence par Olim ; in libro qui incipit Olim ; d'où le nom d'Olim donné à tout le recueil : dénomination qui passa d'autant mieux dans l'usage qu'elle s'appliquait aux documents les plus anciens du Parlement. Les Olim sont en effet les plus anciens registres du Parlement. Auparavant. il y eut sans doute des arrêts rendus et mis en forme authentique : il y en a des expéditions au Trésor des chartes ; mais on n'en peut induire qu'il y eut des registres au temps où ces arrêts furent rendus. L'emploi du record, c'est-à-dire d'une déclaration de mémoire par laquelle les juges attestaient qu'ils avaient rendu tel ou tel arrêt, prouve qu'ils ne tenaient pas régulièrement note de leurs décisions. Le premier jugement inscrit au registre est de 1254 ; date significative : c'est l'époque où saint Louis revenait de la croisade. Un de ses premiers soins, fut de pourvoir à la bonne administration de la justice ; comme le prouve aussi sa grande ordonnance sur les baillis. La suppression du combat judiciaire rendait les appels plus nombreux ; la procédure écrite prenait plus d'importance. Il fallait que la cour eût le moyen de retrouver plus sûrement ses décisions. Or ce moyen était fort simple ; c'était de les transcrire sur des cahiers : moyen tout indiqué d'ailleurs par les usages de la chancellerie ; et les mêmes clercs qui enregistraient les chartes à la chancellerie étaient employés au Parlement[36]. V. — La justice de saint Louis. L'appel avait donc lieu des prévôts ou des justices seigneuriales et municipales aux baillis ou sénéchaux, et des baillis ou. sénéchaux à la cour du roi. Il pouvait même remonter plus haut et s'adresser au roi lui-même. Si la cause avait déjà été jugée en appel au Parlement, on n'en pouvait solliciter du roi la révision que par voie de requête, et lorsqu'il y avait présomption d'erreur[37]. Mais quelquefois, nous l'a vous dit en commençant, on s'adressait directement au roi, et saint Louis se plaisait à rendre ainsi la justice. Il envoyait quelques-uns des seigneurs de son conseil ou de son intimité s'enquérir s'il n'y avait pas à la porte du palais quelques parties qui voulussent débattre devant lui leurs affaires, — d'où les plaids de la porte dont l'usage se perpétua et donna lieu à la chambre des requêtes ; — et si ces envoyés ne suffisaient pas à les accommoder, le roi appelait devant lui les plaideurs. Joinville, qui fut parfois chargé de cette sorte de mission, nous en a conservé le souvenir : Le roi, dit-il, avoit sa besogne réglée en telle manière que Mgr de Nesle et le bon comte de Soissons[38] et nous autres qui étions autour de lui, qui avions ouï nos messes, allions ouïr les plaids de la porte qu'on appelle maintenant les requêtes. Et quand il revenoit du moutier (l'église), il nous envoyoit guerre, et s'asseyoit au pied de son lit et nous faisoit tous asseoir autour de lui, et nous demandoit s'il y en avait aucuns à expédier qu'on ne pût expédier sans lui ; et nous les lui nommions, et il les faisoit envoyer quelle, et il leur demandoit Pourquoi ne prenez-vous pas ce que nos gens vous offrent ? Et ils disoient : Sire, c'est qu'ils nous offrent peu. Et il leur disoit ainsi : Vous devriez bien prendre cela de qui voudroit vous le faire. Et le saint homme se travailloit ainsi, de tout son pouvoir, pour les mettre en voie droite et raisonnable. C'est à cette occasion que Joinville nous retrace cette scène devenue légendaire : Maintes fois il advint qu'en été il s'alloit asseoir au bois de Vincennes après sa messe, et s'accotoit à un chêne, et nous faisoit asseoir autour de lui. Et tous ceux qui avoient affaire venaient lui parler sans empêchement d'huissier ni d'autres gens. Et alors il leur demandait de sa propre bouche : Y a-t-il ici quelqu'un qui ait sa partie ? Et ceux qui avoient leur partie se levoient, et alors il disoit : Taisez-vous tous, et on vous expédiera l'un après l'autre. Et alors il appeloit Mgr Pierre de Fontaines et Mgr Geoffroi de Villette[39], et disoit à l'un d'eux : Expédiez-moi cette partie. Et quand il voyoit quelque chose à amender dans les paroles de ceux qui parloient pour lui, ou dans les paroles de ceux qui parloient pour autrui, lui-même l'amendoit de sa bouche. Je vis quelquefois en été que pour expédier ses gens il,ienoit dans le jardin de Paris vêtu d'une cotte de camelot, d'un surcot de tiretaine sans manches, un manteau de taffetas noir autour de son cou, très-bien peigné et sans coiffe, et un chapeau de paon blanc[40] sur sa tête. Et il faisoit étendre des tapis pour nous asseoir autour de lui ; et tout le peuple qui avoit affaire par-devant lui, se tenoit autour de lui debout ; et alors il les faisoit expédier en la manière que je vous ai dite avant du bois de Vincennes[41]. Cette scène ne suffirait pas pour donner une idée complète de la justice de saint Louis. Autant il se montrait doux aux petits, autant il était ferme à l'égard des grands, lorsqu'il y avait chez eux des torts à redresser ou des crimes à punir, et le plus hautain de ses frères, Charles d'Anjou, en put faire lui-même l'expérience. Charles n'entendait pas la justice comme saint Louis, et il n'était que trop disposé à regarder son droit chez lui comme sans limites. Il avait voulu contraindre un homme à lui vendre son bien. Celui-ci s'en plaignit au roi qui fit venir son frère, lui enjoignit de rendre le bien. dont il avait déjà pris possession, avec défense d'en inquiéter le maître dorénavant, puisque ce dernier ne le voulait céder ni par vente ni par échange. Le comte d'Anjou ne souffrait pas davantage que l'on n'acceptât pas ses jugements. Un chevalier qui avait perdu un procès engagé devant lui à propos d'un château, ayant appelé de la sentence à la cour du roi, Charles le fit mettre en prison ; et les amis du chevalier offrirent en vain caution pour qu'il lui rendît la liberté. Le roi en fut instruit. Il manda son frère, le reprit vivement de ce qu'il avait fait, et lui dit qu'il ne devait y avoir qu'un roi en France. Ne croyez pas, ajouta-t-il, parce que vous êtes mon frère que je vous épargne en rien contre droit de justice ; et il lui ordonna de relâcher le chevalier pour qu'il pût librement poursuivre son appel. Lorsque l'appel fut porté devant le roi, Charles se présenta avec ses conseillers et ses avocats d'Anjou auxquels il avait joint les meilleurs de Paris, et ce grand appareil troubla fort la partie adverse. Le chevalier ne cacha point la crainte que lui inspirait une lutte en apparence si inégale, et il pria le roi de lui donner lui-même conseil et avocats, d'autant plus qu'il n'en pouvait trouver, tant le comte exerçait d'intimidation ou de séduction sur les autres. Le roi lui choisit lui-même d'habiles défenseurs, leur faisant jurer de lui donner loyal conseil en son affaire, et à la fin le chevalier gagna sa cause. Charles prétendait user des mêmes façons d'agir jusque dans Paris, empruntant, achetant à crédit et se croyant dispensé ou du moins ne se pressant nullement de payer ou de rendre. Des bourgeois ainsi lésés se plaignirent au roi, et comme le comte cherchait encore des moyens d'échapper, saint Louis le menaça de lui ôter la jouissance des biens qu'il tenait de lui : ce qui le contraignit à donner les satisfactions requises[42]. Le même chroniqueur raconte comment il fit faire justice d'une femme de grande maison qui avait fait tuer son mari par son amant. La reine, la comtesse de Poitiers et plusieurs nobles dames du royaume intercédaient pour elle, car elle montrait grande repentance de son crime ; et plusieurs frères prêcheurs et mineurs pressaient le roi de lui faire grâce de la vie. Comme le roi demeurait inébranlable, on le priait du moins que le supplice n'eût pas lieu à Pontoise où le crime avait été commis et où elle était connue. Sur ce point le roi prit conseil du sage Simon de Nesle ; et celui-ci lui ayant répondu qu'il était bon que le supplice eût toute publicité, le roi maintint l'arrêt du juge et la coupable fut brûlée à Pontoise[43]. On cite encore une autre circonstance où le roi eut à lutter pour maintenir les droits de la justice contre l'opposition de tous les barons : car il s'agissait d'un des premiers d'entre eux, Enguerrand de Coucy. Trois jeunes nobles du comté de Flandre avaient été surpris en compagnie de l'abbé de Saint-Nicolas, dans un bois appartenant à Coucy, avec des arcs et des flèches. Quoique sans chiens, sans autres engins de chasse, ils avaient été jugés comme ayant chassé, et pendus. Sur la plainte de l'abbé et de plusieurs femmes leurs parentes, Enguerrand fut arrêté et conduit au Louvre. Le roi se le fit amener : il comparut ayant avec lui le roi de Navarre, le duc de Bourgogne, les comtes de Bar, de Soissons, de Bretagne, de Blois, l'archevêque de Reims, le sire Jean de Thorote et presque tous les grands du royaume. L'accusé dit qu'il voulait prendre conseil, et il se retira avec la plupart des seigneurs qui lui avaient fait cortège, laissant le roi seul avec sa maison. Quand il revint, Jean de Thorote, en son, nom, dit qu'il refusait l'enquête parce que sa personne, son honneur et son héritage étaient en jeu, mais qu'il était prêt à se défendre par bataille, niant qu'il eût pendu ou ordonné de pendre les trois jeunes gens. Il n'y avait d'adversaire que l'abbé et les femmes qui étaient là, demandant justice. Le roi répondit que dans les causes où figuraient les pauvres, les églises ou des personnes dignes de pitié, on ne devait point procéder par bataille : car on ne trouverait pas facilement qui voulût combattre pour telles sortes de personnes contre les barons du royaume. Il dit qu'il ne faisait rien de nouveau contre l'accusé, et il alléguait un exemple de Philippe Auguste son aïeul. Il admit donc la requête des plaignants et fit prendre Enguerrand par les sergents qui l'emmenèrent au Louvre. Toutes les prières furent inutiles ; saint Louis refusa de les entendre, se leva de son siège, et les barons s'en allèrent étonnés et confus. Ils ne se tinrent pas néanmoins pour battus. Ils se rassemblèrent de nouveau : le roi de Navarre, le comte de Bretagne et avec eux la comtesse de Flandre qui aurait bien plutôt dû intervenir pour les victimes. C'était comme une conspiration contre le pouvoir et l'honneur du roi : car ils ne se bornaient pas à le prier de relâcher Coucy ; ils prétendaient qu'il ne le pouvait pas tenir en prison. Le comte de Bretagne soutenait que le roi n'avait pas le droit de faire enquête contre les barons de son royaume en chose qui touche leurs personnes, leurs héritages ou leur honneur. Le roi lui répondit : Vous ne parliez pas ainsi au temps passé, quand les barons qui tenaient directement de vous apportaient devant nous leur plainte contre vous-même et offraient de la soutenir par bataille. Vous disiez alors que bataille n'était pas voie de droit. Les barons firent valoir un dernier argument : c'est que, selon les coutumes du royaume, le roi ne pouvait juger l'accusé et le punir en sa personne, à la suite d'une enquête à laquelle il ne s'était point soumis. Le roi tint bon et déclara que ni la noblesse du coupable, ni la puissance de ses amis ne l'empêcheraient de faire de lui pleine justice. Coucy eut pourtant la vie sauve. On avait fait valoir en sa faveur qu'il n'avait assisté ni au jugement ni à l'exécution. Le roi, selon l'avis de ses conseillers, le condamna à payer 12.000 livres parisis (303.975 fr.), somme qu'il envoya à Saint-Jean-d'Acre pour la défense de la Palestine. Le bois où les jeunes gens avaient été pendus fut confisqué et donné à l'abbaye de Saint-Nicolas. Le condamné dut en outre fonder trois chapellenies perpétuelles pour les âmes des victimes ; et il perdit toute haute justice sur ses bois et sur ses viviers, en telle sorte qu'il lui fut interdit de mettre en prison ou de punir de mort pour aucun fait qui les concernât. Comme Jean de Thorote, le défenseur d'Enguerrand, avait dit dans son dépit aux barons que le roi ferait bien de les faire pendre tous, le roi instruit du propos le fit venir et lui dit : Comment donc, Jean, avez-vous dit que je fisse pendre mes barons ? Certainement je ne les ferai pas pendre, mais je les châtierai s'ils font mal. Jean de Thorote se défendit d'avoir ainsi parlé, et offrit de. s'en justifier par serment et par le serment de vingt ou trente chevaliers. Le roi ne voulut point pousser plus loin l'affaire et le laissa aller[44]. VI. — Travail de la jurisprudence. - Les cas royaux. La réforme que préparait saint Louis dans l'administration de la justice coïncidait avec une révolution qui commençait à se produire déjà dans le droit au moyen âge : je veux parler des développements que reçut au treizième siècle l'étude du droit romain. Un manuscrit des Pandectes qui se trouvait à Pise et qu'on tira de l'obscurité, avait donné la plus vive impulsion à cette étude. L'enthousiasme pour elle fut immense en Italie. L'école de Bologne, qui s'y livra la première, devint la grande école du droit romain ; et de là, cet enseignement se propagea dans les autres villes. Le clergé lui-même s'y donna avec passion. La théologie en était presque délaissée, et il fallut que les conciles, que les Vapes fissent obstacle à cet entraînement ; mais les interdictions qu'ils prononcèrent n'étaient pas sans dispense, et les clercs se précipitaient en foule, par cette porte dérobée, vers l'étude défendue. Innocent IV, en 1254, faisait de nouveaux efforts sans plus de succès[45]. Les légistes furent d'abord des clercs ou de pauvres chevaliers, puis de simples laïcs : ils obtenaient les emplois inférieurs de l'administration ; ils achetaient des prévôtés qui étaient exclusivement réservées à la classe roturière. Les plus capables devenaient. les candidats naturels aux charges de baillis, et ils arrivaient à siéger, comme assesseurs d'abord, au Parlement. C'est ce qu'on voit par les Olim. Parmi ceux qui y figurent comme membres de la cour, on trouve quelques grands seigneurs ; mais surtout des baillis et des clercs[46]. Les légistes, élevés ainsi auprès de la féodalité, lui firent une guerre incessante. Ils avaient un intérêt commun, un intérêt général qu'on n'eût pas trouvé dans les bourgeoisies isolées ; et ils firent la guerre aux privilèges des communes comme à ceux de la noblesse : ils étaient tout à la fois les hommes de la loi et du roi. On les vit appliquer les principes du droit romain aux coutumes : témoin Pierre de Fontaines. C'est le droit féodal commenté par le droit romain ! œuvre impossible à bien des égards : on n'associe pas des contraires ; mais c'était un moyen de produire, sous le couvert de la coutume, et de faire prévaloir les principes du droit romain. Beaumanoir, dans ses Coutumes du Beaupoisis, fit une œuvre plus intelligente et plus pratique. Il ne prétendit pas faire rentrer le droit féodal dans le droit romain. En prenant la coutume telle qu'il la trouvait, il se borna à s'inspirer du droit romain pour tâcher de l'améliorer et de la rendre plus équitable. Les Établissements de saint Louis, qui sont, non pas un code général fait par saint Louis, mais un recueil de lois et d'usages de son temps, composé par quelque jurisconsulte, ont subi la même influence. Leur tendance générale est de se rapprocher des principes de toute société fortement constituée, qui sont, avant tout, l'unité de législation[47] ; c'est aussi de rétablir l'unité de pouvoir, et par là de ramener autant que possible les cas en litige à la justice du roi. On le peut voir dans la jurisprudence qui tend à s'établir sur les cas royaux. Le vague où on les laissait et la définition qu'on en donna plus tard ouvraient la porte à toutes les usurpations de cette sorte. Les cas royaux, c'étaient, selon la réponse faite sous Louis X aux réclamations des seigneurs de Champagne, tout ce qui par coutume ou par droit peut et doit appartenir exclusivement à un prince souverain[48]. Tout homme qui se déclarait bourgeois du roi, bien que sa personne et ses biens relevassent de la suzeraineté d'un seigneur, devait être jugé par le bailli du roi[49]. Tout homme cité devant la justice du roi était tenu d'y comparaître. S'il comparaît, il peut se réclamer de son seigneur ; mais s'il ne le fait pas, la justice du roi est définitivement saisie. Au contraire, si c'est la justice du seigneur qui assigne, on peut toujours se refuser de comparaître devant elle ; même en cas.de flagrant délit, si elle veut retenir le procès, on peut se réclamer de la justice royale : car c'est l'intérêt du roi qui l'emporte. En cas d'assurement, le roi est toujours juge. Il est juge aussi de la qualité de la personne, si le titre de vassal est contesté. Si un serf s'avoue homme du roi, le roi le retient jusqu'à ce que le contraire soit prouvé : le préjugé est toujours pour lui, et c'est aux autres à faire la preuve. Les cas royaux se multiplièrent ainsi à l'infini. Indiquons les contraventions aux lois sur les monnaies et les causes d'avoueries pour les Églises : si une Église était mécontente de son avoué, elle avait recours au roi ; et par là le patronage du roi se trouva peu à peu étendu à toutes les Églises du royaume. L'Église servit aussi à l'extension du pouvoir royal ; et de même que les clercs mettaient leur habileté et leur savoir au service du roi contre la féodalité, le droit canon lui fut un appui contre le droit féodal. Dans l'Église dominaient les principes d'équité et les formes de la justice. C'était elle qui avait fait pénétrer son esprit dans les codes des empereurs chrétiens, et qui, associée aux juges de l'Empire, avait contribué à adoucir les aspérités du droit romain par la manière dont elle en usait dans ses propres tribunaux. Maintenue, affermie dans ces attributions au moyen âge, elle avait grandement aidé le pouvoir royal à rétablir en France l'ordre et la justice. Mais elle-même était pour l'autorité royale un péril : car elle était une puissance ; et elle n'avait pu acquérir la liberté de ses mouvements qu'en empruntant les conditions d'indépendance et les moyens d'action de la société établie. A certains égards et au point de vue temporel, l'Église formait donc comme une autre féodalité : une féodalité couverte, vis-à-vis du pouvoir royal, par son caractère sacré, forte de son organisation et de sa discipline sous un chef qui n'avait pas seulement un droit incontesté à la souveraineté spirituelle sur tous les chrétiens, mais qui prétendait à la suprématie temporelle sur tous les princes. De là ces mesures de préservation jointes aux actes de déférence, qui sont en si parfait accord dans la législation de saint Louis à l'égard de l'Église, comme on l'a vu plus haut. VII. — Lois sur les Juifs ; - sur les blasphémateurs. Esprit de la législation de saint Louis. Une des classes de la population sur laquelle s'étendait le plus absolument la justice du roi, ce sont les Juifs[50]. Ce n'est pas ici le lieu de traiter à fond de la situation des Juifs au moyen âge. On sait combien elle-était déprimée, et quelle fut la triste influence de ce mépris sur le caractère même de leur race. Ce défaut de considération les avait amenés à se moins respecter eux-mêmes. La violence pousse à la ruse ; la spoliation à la fraude. Par l'effet même de cette dure loi, les Juifs avaient fini par mériter en quelque sorte les mesures de défiance dont ils étaient l'objet[51]. Les. Juifs étaient hors d'état de posséder des fiefs ; ils ne pouvaient avoir que des maisons[52] ; mais le commerce leur était accessible. Ils se livrèrent surtout au commerce de l'argent, c'est-à-dire à l'usure ; et d'autant plus que la loi religieuse, qui en éloignait les chrétiens, les y poussait eux-mêmes. L'usure était défendue par Moïse entre Juifs : et c'est la même loi qui, renouvelée par l'Évangile, l'interdisait aux chrétiens. Mais elle était permise aux Juifs à l'égard des étrangers : c'était une loi de Moïse et une prophétie : Fœneraberis gentibus multis et a nulla accipies mutuum : Tu prêteras à usure à beaucoup de nations, et tu n'emprunteras d'aucune d'elles. L'usure était interdite aux Juifs entre eux : et la raison en est facile à comprendre. Moïse voulait faire de son peuple, non des marchands, mais des laboureurs, et il avait fixé chaque famille à son lot. Le prêt entre Juifs, en de telles conditions, n'était qu'un prêt à l'indigence ; et dans ce cas l'argent prêté servant aux besoins de la famille, si un intérêt devait s'y joindre, on ne soulagerait des misères présentes que pour leur rendre l'avenir plus menaçant, en accroissant le fardeau de la dette. Les chrétiens s'étaient appliqué cette loi, sans tenir compte de son caractère spécial : d'où cette proscription du prêt à intérêt, non pas seulement dans la société chrétienne des premiers temps, mais dans le monde devenu chrétien, dans la législation générale de l'Église, sans distinction de temps et de pays, comme on le peut voir encore dans le traité de Bossuet. Au moyen âge, c'était la loi publique. Le prêt à intérêt était défendu absolument. Ce prêt peut cependant être fondé non-seulement en raison, mais en bonne équité. Si l'argent est prêté, non pour soutenir un malheureux dans les nécessités de sa famille, mais pour aider un riche dans l'extension de son commerce, n'est-il pas équitable que le prêteur ait une part dans les fruits de ce commerce, augmentés grâce à lui ? Que cette part soit fixe et calculée sur la moyenne des chances, ou éventuelle et en proportion des bénéfices obtenus, peu importe. Il n'en est pas autrement du loyer de l'argent que du loyer de la terre, et le fermage à prix fixe n'est pas moins légitime que le fermage à mi-fruits. Le prêt subsistait donc par la force des choses : mais c'était un terrain que les chrétiens n'abordaient pas volontiers. Les Juifs s'y établirent comme dans un domaine à eux propre : encouragés par leur loi, réalisant leur prophétie (fœneraberis gentibus multis), et favorisés par les scrupules qui en détournaient les chrétiens. Ce fut pour eux une source abondante de richesses. A l'époque de Philippe Auguste, ils avaient beaucoup de biens. S'il leur était interdit de tenir des fiefs, ils pouvaient avoir, nous l'avons vu, des maisons dans les villes. Ils possédaient, dit-on, la plus grande partie de la ville de Paris. Philippe Auguste les chassa en 1182, confisquant leurs immeubles, et il avait fait, l'année précédente, la part tout aussi belle aux débiteurs, en annulant les titres de leurs dettes[53]. Mais frapper ainsi les Juifs, c'était tuer la poule aux œufs d'or : car les Juifs procuraient des avantages de toute sorte à ceux chez qui ils demeuraient. Il les laissa revenir pourtant, et une ordonnance des dernières années de son règne (février 1218-1219) les traitait d'une manière plus équitable. Elle leur défendait de prêter à celui qui n'avait rien : cela paraissait sans doute trop dangereux pour sa personne. Quand un Juif avait prêté, hypothèque lui était donné sur un des biens de l'emprunteur, et dès lors il n'avait plus d'intérêts à réclamer. Les débiteurs ne pouvaient être forcés de vendre leurs biens pour s'acquitter, si la dette était antérieure au 2 février de cette année (c'était comprendre à peu près toutes les dettes antérieures à l'ordonnance) ; mais ils devaient faire cession à leur créancier des deux tiers de leur revenu : les effets mobiliers étaient insaisissables. Les débiteurs qui n'avaient que le travail de leurs mains pour vivre jouissaient du délai de trois ans pour s'acquitter, en donnant caution de payer tous les ans le tiers de la dette[54]. Louis VIII prétendit supprimer tout commerce de ce genre avec les Juifs. Il régla par une ordonnance de 1223 qu'aucune somme prêtée par eux ne porterait plus intérêt depuis les prochaines octaves de la Toussaint, et que toutes les dettes dont ils étaient créanciers seraient remboursées en neuf payements répartis sur trois ans, aux fêtes de la Purification, de l'Ascension et de la Toussaint. Le payement devait être fait à leurs seigneurs. Ils devaient, à peine de nullité, faire enregistrer leurs créances avant la prochaine fête de la Purification. Tout prêt antérieur aux cinq dernières années était censé périmé. En même temps l'ordonnance renouvelait la défense de retenir le Juif d'un autre, ce qui marquait le prix qu'on y attachait[55]. Les Juifs, en effet, continuèrent, avec la connivence des intéressés, leur métier favori ; et une loi de la minorité de saint Louis (Melun, 1230) renouvela les prescriptions de celle de Louis VIII : défense de leur rien emprunter ; remboursement des sommes dues en trois ans[56]. Ici il n'est plus question de payement aux seigneurs. Ce n'étaient donc pas les Juifs qui étaient spécialement frappés, mais l'usure : l'usure considérée comme illégale, et interdite aux chrétiens comme à eux. Et on ne les dépouillait pas : leurs dettes étaient reconnues ; leurs dettes constatées par la créance, mais non l'intérêt illicite qui était sciemment omis dans la loi. Mais ce n'était point par cette prétermission qu'on pouvait l'atteindre. Il se cachait sous l'enveloppe du capital dans la teneur des obligations, le contractant se reconnaissant débiteur d'une somme qui comprenait sans distinction et le principal et l'intérêt. C'est probablement pour atteindre, saisir et frapper l'usure sous cette forme mensongère, que quatre ans plus tard, dans une deuxième ordonnance de Melun sur les Juifs, on retrancha un tiers de ce qui leur était dû. On y interdisait en même temps toute prise de corps ou toute vente forcée de biens pour dette contractée envers eux[57]. Dans l'ordonnance sur les baillis de 1254, cette dernière loi est rappelée, et il est tout spécialement recommandé de veiller à ce qu'on l'exécute. L'article 32 indiquait à quoi les Juifs devaient réduire leur vie : le travail des mains et le commerce sans usure[58]. Cependant cette proscription du prêt à intérêt était une entrave à tous les besoins ; et plusieurs trouvaient que puisque, si grand péché qu'il fût, il était nécessaire, autant valait le laisser exercer par les Juifs, les Juifs étant déjà damnés ! Mais la piété du roi ne se payait pas de semblables raisons. Il disait que les usures des chrétiens regardaient les prélats, mais que les usures des Juifs le regardaient lui-même[59] ; car les Juifs des terres du roi étaient au roi. Il se faisait donc un scrupule personnel de leur laisser commettre le mal ; et sa conscience ne lui permettait pas de tolérer chez eux une industrie qui, en raison même des gênes qu'on y apportait, était oppressive pour les chrétiens. En 1257 et 1258 des commissaires furent nommés pour rechercher ceux qui étaient victimes de ces usures, et les indemniser sur les biens saisis. Les commissaires étaient autorisés, pour se faire de l'argent, à vendre les rentes, les maisons et les immeubles, à l'exception des anciennes synagogues et des biens nécessaires à leur usage : on les rendit aux Juifs[60]. Ainsi les mesures de saint Louis sur les Juifs n'étaient point inspirés par une antipathie religieuse : elles ne s'adressaient pas au disciple de Moïse, elles frappaient l'usurier ; et la preuve en est dans les mesures analogues prises contre ceux qui, parmi les chrétiens, faisaient concurrence aux Juifs en cette matière : car il y en avait en France, en Angleterre, surtout en Italie : d'où le nom de Lombards et de Caorsins[61]. Une ordonnance de 1268, rendue contre les usuriers sous ces deux noms, les expulsait du royaume, et fixait un délai de trois mois, pendant lequel ceux qui leur avaient donné des meubles en gage pouvaient les retirer moyennant remboursement du principal. C'était encore l'usure que l'on poursuivait en eux. Aussi leur était-il permis d'échapper à l'arrêt d'expulsion, et même de trafiquer dans le royaume, à la condition de ne pas se livrer à ces transactions interdites[62]. Il y a cependant dans la législation de saint Louis quelques ordonnances où le sentiment religieux domine seul, et l'entraîne exceptionnellement au delà des bornes de l'équité. 1° Contre les Juifs. Ordre de brûler leurs livres. On s'était alarmé, sous Grégoire IX, du Talmud qui parut être un attentat contre les Livres saints. Grégoire IX et Innocent IV prescrivirent d'en rechercher les exemplaires. En France, dit-on, on en brûla vingt charretées[63]. Ordonnance de 1269 qui prescrit aux Juifs de se distinguer des chrétiens par une roue de drap jaune ou de feutre de quatre doigts de diamètre, cousue sur leurs vêtements[64]. 2° Contre les blasphémateurs. Le blasphème était crime capital dans la loi des Juifs. Il passa au même titre dans la législation de Justinien qui le punit de mort ; et, comme le crime d'hérésie, il fut l'objet de peines rigoureuses de la part de plusieurs princes chrétiens au moyen âge. Saint Louis, qui laissa subsister dans toutes leurs rigueurs les lois contre les hérétiques[65], fit aussi des lois contre les blasphémateurs. Philippe Auguste les avait condamnés à payer quatre livres ou à être plongés dans l'eau sans péril de mort. Saint Louis usa envers eux de traitements plus sévères. Joinville raconte qu'un jour à Césarée, pour un crime de ce genre, il fit mettre un orfèvre à l'échelle (sorte de pilori) en braye et en chemise, les boyaux et la fressure d'un porc autour du cou, et en si grande foison, qu'elles lui arrivoient jusques au nez[66]. Le confesseur de Marguerite, en même temps qu'il rapporte cette sorte de traitement ignominieux, ajoute que parfois saint Louis faisait marquer aux lèvres, d'un fer chaud, ceux qui enfreignaient sur ce point ses défenses[67]. Était-ce la sanction légale de ces prohibitions ? On n'en trouve aucune trace dans la législation de saint Louis[68]. Ce qu'on peut dire, c'est que le confesseur de Marguerite en parle d'une manière générale ; qu'il mentionne l'instrument du supplice un fer qui avoit une vergète parmi (au milieu) et estoit especiaument fait à ce, et les échelles (pilori) qu'il fit dresser sur les places publiques des bonnes villes, pour y exposer les blasphémateurs[69]. Mais en fait on ne cite que l'exemple de ce bourgeois de Paris, dont Joinville parle par ouï dire. Les murmures que ce supplice excita et que les autres historiens ont recueilli également, donnent lieu de croire que ce n'était point une peine ordinaire. Malheureusement on ne peut pas dire que ces murmures aient fait reculer le roi. Ce supplice, il aurait voulu lui-même l'endurer, si à ce prix il eût pu corriger les blasphémateurs. C'est le mot que Joinville rapporte de lui en cette occasion : Je voudrois être signé d'un fer chaud, à condition que tous vilains serments fussent ôtés de mon royaume[70]. Guillaume de Nangis dit qu'il se félicita de ces malédictions comme de choses dont il attendait de Dieu plus grande récompense que des bénédictions dont on l'avait comblé pour le bien qu'il avait fait à Paris[71]. — On aime mieux saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes. Cependant on aurait pu se laisser entraîner loin dans cette voie. Ce n'est point par des rigueurs impopulaires qu'on peut lutter contre des habitudes invétérées dans un peuple. La papauté voulut tempérer sur ce point l'ardeur trop aveugle de saint Louis. Clément IV, dans une bulle du 12 juillet 1268, félicite le pieux roi de son zèle, mais l'invite à le mieux régler ; et s'il rappelle les peines de l'Ancien Testament, c'est pour l'engager à n'en point prendre exemple[72], et à punir, sans que les membres ou la vie du coupable soient compromis (cura membri mutilationem et mortem). C'est ce qu'il répète dans une lettre du même jour adressée aux barons de France, dont il savait que le saint roi aimait à prendre les avis[73]. Cet avertissement fut entendu. L'ordonnance de 1269 ne porta qu'une amende : le pilori et la prison n'étaient que pour ceux qui ne pouvaient pas payer ; le fouet, pour les enfants de dix à quatorze ans. Le roi toutefois se réservait de punir plus sévèrement les blasphèmes plus énormes qui lui seraient dénoncés[74]. Si la piété de saint Louis l'a entraîné sur divers points à des mesures excessives, on voit comme il était prompt à revenir au premier avertissement ; et combien ces excès rares ne sont-ils pas compensés par toutes les lois charitables, par les mesures humaines que cette piété lui inspira ! C'est le sentiment religieux qui lui fit supprimer toutes les violences de la loi commune, tout ce qui dans la législation du moyen âge gardait la trace du droit du plus fort ; c'est le sentiment religieux qui lui fit apporter dans l'administration de la justice ces principes d'égalité que la société connaissait si peu encore : modération du droit d'aubaine, réduit au cas où l'étranger mourait sur les terres du seigneur ; suppression de la contrainte par corps pour dette privée ; abolition de l'usage qui annulait les dernières volontés des déconfés ou morts sans confession[75] ; c'est le sentiment religieux qui le faisait aller lui-même au-devant des réparations auxquelles pouvaient donner lieu les actes de ses officiers : témoin les enquêteurs qu'il institua avant la croisade, et dont il ne cessa pas d'user, à toute époque, après la croisade. C'est qu'à l'exemple de la loi divine de Moïse, à l'exemple de l'Évangile, il avait pris pour règle, non pas seulement la justice, mais la charité. |
[1] Établissements de saint Louis, I, CV, et II, XV ; Ordonnances, t. I, p. 195 et 263 ; Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 182.
[2] Voy. Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 191.
[3] Boutaric, Saint Louis et Alphonse de Poitiers, p. 160 et 351.
[4] Beaumanoir, Coutumes de Beauvoisis, ch. I, § 20 et suiv.
[5] Boutaric, Saint Louis et Alphonse de Poitiers, p. 355 et suiv.
[6] Sur la police rurale abandonnée aux seigneurs, qui l'exerçaient par leurs prévôts, voy. M. L. Delisle, Études sur l'agriculture normande au moyen âge, p. 104.
[7] Boutaric, l. l., p. 358-361.
[8] Voy. Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 185.
[9] Innocent IV, en 1249, en 1252, etc.
[10] Laferrière, Hist. du Droit français, t. I, p. 291 ; Félix Faure, t. II, p. 230 ; cf. Beaumanoir, ch. LXI, Gages de bataille, § 17.
[11] Beaumanoir, ch. LXI, § 27-29.
[12] Beaumanoir, ch. LXI, § 7-9.
[13] Luc, XII, 14.
[14] Ordonnances, t. I, p. 87 : Nous deffendons à tous les batailles par tout nostre demengne, mès nous n'oston mie les clains, les respons, les convenants.... et en lieu de batailles nous meton prüeves de tesmoins et si n'otons pas les autres bonnes prüeves et loyaux qui ont esté en court laye siques à ore.
[15] Ordonnances, t. I, p. 86, et Établissements de saint Louis, I, LXXVIII, et II, XV.
[16] Beaumanoir, ch. LXI, § 15.
[17] Coutumes de Beauvoisis, ch. LXI.
[18] Coutumes de Beauvoisis, ch. LXIII.
[19] Coutumes de Beauvoisis, ch. LXI, § 3-6, et ch. LXIV, § 18.
[20] Coutumes de Beauvoisis, ch. LXI, § 41-60.
[21] Coutumes de Beauvoisis, ch. LXIV, § 1-8.
[22] Coutumes de Beauvoisis, ch. LXIV, § 8-14 et 17.
[23] Coutumes de Beauvaisis, ch. LXIV, § 10. Les amendes et le cheval du vaincu appartenaient au seigneur.
[24] Voy. pour les premiers temps qui ont suivi saint Louis, M. Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 51 et suiv.
[25] Voy. Beugnot, introduction aux Olim, t. I, p. LVIII, LIX, et Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 207.
[26] En la cort le roy puent toute gent demander amendement de jugement par droit (Établissements de saint Louis, t. I, p. LXXVIII) ; Boutaric, l. l., p. 208, 209.
[27] Olim, t. II, p. VI, et Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 209.
[28] La France sous Philippe le Bel, p. 207.
[29] La France sous Philippe le Bel, p. 163.
[30] La France sous Philippe le Bel, p. 207.
[31] Jusqu'en 1293. En 1303 Philippe le Bel promit de le rétablir ; mais ce rétablissement n'eut lieu que plus d'un siècle après, sous Charles VII (1437).
[32] Boutaric, Organisation judiciaire du Languedoc, dans la Bibliothèque de l'École des Chartes (1854-1855), 4e série, t. II, p. 97-101.
[33] Boutaric, l. l., p. 209.
[34] On compte, dit M. Boutaric, soixante-neuf sessions de l'année 1234 à 1302, dont trente-trois à Paris, une à Orléans, une à Melun. On ignore où se tinrent les trente-quatre autres ; mais tout porte à croire que ce fut dans la capitale. (La France sous Philippe le Bel, p. 193.)
[35] Beugnot, Introduction placée en tête de son édition des Olim. Il y discute les origines du parlement et montre sous l'empire de quelles idées on prétendait le faire remonter soit à Charlemagne, soit aux origines de la monarchie, et même au delà de ces origines jusqu'aux assemblées des tribus germaniques.
[36] Grün, Notice sur les archives du parlement de Paris, en tête des Actes du parlement, publiés par M. Boutaric. Nous renvoyons à cette savante préface pour la réfutation de l'opinion du comte Beugnot, que le registre de Jeu de Montluçon n'était pas un registre officiel comme aussi pour une exposition plus complète du contenu des Olim et de ce que l'on sait de leurs auteurs. Voy. aussi dans le même ouvrage l'Essai de restitution d'un volume perdu des Olim, par M. Léopold Delisle. Le volume, en partie restitué par cet effort remarquable de critique, est un des registres de Nicolas de Chartres, appelé livre Pela, identique au cinquième registre des Olim, consulté au seizième siècle par J. Maigret. M. Delisle se prononce aussi pour le caractère officiel des Olim.
[37] Boutaric, l. l., p. 212.
[38] Simon, sire de Nesle, qui fut l'un des régents du royaume pendant la seconde croisade de saint Louis, et Jean II de Nesle, dit le Bon et le Bègue, comte de Soissons de 1237 à 1270 ; il était cousin germain de Joinville. (Note de M. N. de Wailly.)
[39] L'un est célèbre comme jurisconsulte, nous en reparlerons ; l'autre fut bailli de Tours en 1261 et 1262.
[40] En plumes de paon blanc.
[41] Joinville, ch. XII. — Et pour ce qu'il doubtoit que les petites causes venissent appaine (difficilement) devant li, il alloit II fois la sepmaine au mainz (au moins) en un lieu ou chascun le povoit veoir pour oïr les complaignans, et moyennant droiture et miséricorde du pueple, il faisoit les causes despeeschier hastivement. (Jean du Vignay, dans les Historiens de France, t. XXIII, p. 68.)
[42] Confesseur de la reine Marguerite, Historiens de France, t. XX, p. 115.
[43] Confesseur de la reine Marguerite, Historiens de France, t. XX, p. 116.
[44] Confesseur de la reine Marguerite, Historiens de France, t. XX, p. 113-115. Matthieu de Westminster raconte cette histoire sous l'année 1259, t. II, p. 285 (1570). — Il y avait des seigneurs qui prétendaient se faire justice sans jugement ou avant jugement. Un exemple le prouve et montre en même temps qu'ils devaient compter avec saint Louis : Ego Gallerius de Lignea (de Ligne) junior notum facio universis præsentes litteras inspecturis quod ego karissimo domino meo Ludovico, regi Francorum illustri, emendam feci ad voluntatem suam, pro eo quod feceram justitiam de quodam homine antequam judicatus esset, etc. (février 1240, Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 2850.)
[45] Voy. Savigny, Histoire du Droit romain au moyen âge, t. III, p. 261, et suiv. ; Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XVII, l. LXXXIII, p. 536 (éd. 1724) ; Du Boulay, Histoire de l'Université de Paris, t. III, p. 265. Voy. aussi Félix Faure, Histoire de saint Louis, t. II, p. 240 et suiv.
[46] Félix Faure, t. II, p. 336.
[47] Voy. sur Pierre de Fontaines, Ducange, préface aux Établissements de saint Louis (éd. 1668) ; l'Histoire littéraire de la France, t. XIX, p. 131, et Laferrière, Histoire du Droit français ; sur Beaumanoir, la préface du comte Beugnot, sur les Établissements de saint Louis, M. de Valroger, Revue critique de législation, t. XIV, p. 95 (1859). Dans un article sur l'Histoire du Droit français de M. de Laferrière, après avoir parlé du zèle pieux avec lequel l'auteur soutient l'authenticité du livre rapporté à saint Louis : Pour mon compte, dit-il, cette grande mémoire me semble peu intéressée dans cette question ; le livre appelé Établissements de saint Louis n'est pas une œuvre de haute portée je n'y vois qu'une compilation indigeste de lois romaines, de décrétales et de coutumes françaises. Ce serait un faible titre à sa gloire que d'y avoir attaché le sceau de son autorité. Ce qui a trompé, c'est un établissement de saint Louis mis en tête. Une vue superficielle a fait étendre à tout l'ouvrage le caractère qui ne convenait qu'aux premiers chapitres. Dans tout le reste ce n'est plus un législateur qui ordonne ou défend, mais un praticien qui expose les usages judiciaires de son pays. Ce pays même est plus d'une fois nommé, c'est l'Orléanais. L'auteur reprit deux fois la plume. Des passages du second livre prouvent que c'est une addition faite après coup par lui à son ouvrage. Dans l'intervalle avait paru la célèbre ordonnance de saint Louis sur la preuve judiciaire. L'ouvrage avait été écrit avant cette ordonnance, puisque le duel y figure comme se pratiquant encore dans la justice royale. L'auteur, après avoir ajouté à son travail un supplément, réunit les deux compositions et mit en tête l'établissement de 1260, sans prendre le soin d'effacer de son premier livre les passages qui se trouvaient en désaccord avec le Droit nouveau. Voilà, si je ne me trompe, l'histoire d'un livre qui n'a dû sa renommée qu'à une méprise.
[48] Ordonnances, t. I, p. 606. Cf. Beugnot, Olim, t. II, p. XLI et t. III, p. LXXXIV ; F. Faure, t. II, p. 254.
[49] Les baillis accordaient des bourgeoisies royales à tous les sujets des seigneurs qui voulaient secouer le joug de leurs maîtres (Beugnot, préface aux Olim, t. I, p. LXVIII).
[50] Voy. sur les Juifs au moyen âge le livre de Depping et celui du comte Beugnot, deux ouvrages sortis du même concours de l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1822.
[51] Voy. les observations très-justes de M. Félix Faure, Histoire de saint Louis, t II, p. 289.
[52] Dans une sentence arbitrale rendue par Gilles, trésorier du Temple à Paris, entre trois frères, Vinand, Cressand et Guersond, juifs du roi, et Gibaud, seigneur de Saint-Verran, il est dit que les trois Juifs abandonnent à Gibaud et à ses héritiers tout ce qu'ils avaient et pouvaient avoir par droit héréditaire ou autre -ment dans l'héritage de leur père et de leur mère, savoir dans tous les biens meubles et immeubles, tènements, fiefs et arrière-fiefs, justices, actions, dettes et tous autres droits, partout où leurs père et mère les auront possédés par droit héréditaire ou autrement.— La mention de fiefs et arrière-fiefs n'est peut-être que de formule. — Gibaud, de son côté, renonçait à tout droit qu'il pouvait avoir sur leurs personnes, leurs femmes et leurs enfants par seigneurie ou autrement. (Lettre de l'archevêque de Sens, juillet 1240, Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 2873.)
[53] Rigord, Vie de Philippe Auguste, dans les Historiens de France, t. XVII, p. 9. Le roi en avait réservé un cinquième, qu'il s'attribua.
[54] Ordonnances, t. I, p. 35 ; cf. une ordonnance sans autre date que 1er septembre, ibid., p. 44.
[55] Ordonnances, t. I, p. 47.
[56] Ordonnances, t. I, p. 53.
[57] Ordonnances, t. I, p. 54.
[58] Ordonnances, t. I, p. 75.
[59] Guillaume de Chartres dans les Historiens de France, t. XX, p. 34 b ; Félix Faure, t. II, p. 295.
[60] Ordonnances, t. I, p. 85.
[61] On croit que ce nom de Caorsins vient non pas de la ville de Cahors, mais de Caours en Piémont.
[62] Félix Faure, t. II, p. 296, 297. C'est ce que réglait pour ses domaines une charte d'Archambaud de Bourbon : Volo et concedo quod omnes Judæi qui in terra mea voluerint de cætero morari propriis vivant laboribus et negociationibus licitis, ab usuraria exactione penitus abstinentes. (Mai 1234. Layettes du Trésor des chartes, t. II, n° 2284.)
[63] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XVII, l. LXXXIII, p. 418 ; Félix Faure, t. II, p. 298.
[64] 18 juin 1269, Ordonnances, t. I, p. 296 ; Félix Faure, t. II, p. 298.
[65] Établissements de saint Louis, I, LXXXIII. Voy. sur les hérétiques du Languedoc, Ordonnances, t. I, p. 50 (avril 1228=1229), et p. 61 (avril 1250).
[66] Ch. CXXXVIII.
[67] Historiens de France, t. XX, p. 68, 69.
[68] Jean du Vignay, dans son addition à Primat, dit : Selon l'estatut que li et les prélats et les barons du royaume avoient establi contre ceulx qui diroient tels blasmes (t. XXIII, p. 66 j). Mais il parle ainsi de lui-même. Le texte latin, qu'il reproduit généralement, n'en dit rien en citant ce fait (ibid., p. 163 k).
[69] Et fesoit aucune foiz ceux qui encontre fesoient cuire ou seigner es lèvres d'un fer chaut et ardant, roont (rond), qui avoit une vergète parmi et estoit especiaument fet à ce, et à la foiz (parfois) il les fesoit estre en leschiele devant le pueple, boiaus de bestes pleins dordure pendus à leur cols, et commanda que len mist eschieles ès bonnes ville en lieu commun (place publique) seur lesqueles tiex blasphemeeurs de Dieu fussent mis et liez en despit (honte) de cel pechié ; et fist mettre espies qui les accusassent ; et estoient les eschieles à ce espéciaument ordenées es citez et es liez sollempneus par le commandement du benoiet roi. (Confesseur de Marguerite, t. XX, p. 68, 69.)
[70] Joinville, ch. CXXXVIII ; cf. Geoffroi de Beaulieu, ch. XXXIII, t. XX, p. 19 ; Fragments tirés d'un lectionnaire, t. XXIII, p. 163, et Jean du Vignay, ibid., p. 66.
[71] Guillaume de Nangis, t. XX, p. 399. La semaine d'après le châtiment du blasphémateur, le roi donna aux pauvres femmes lingères qui vendent vielles peufres (hardes) et vielles chemises, et aux pauvres ferrons qui ne peuvent avoir maisons la place autour les murs des Innocents, pour Dieu et en aumosne. Si en fut moult beni du pueple. (Chron. de Saint-Denys, ch. LXXIV, dans les Historiens de France, t. XXI, p. 118.)
[72] Sed fatemur quod in talium acerbitate pœnarum eorumdem vestigia non te deceat imitari, etc. (Viterbe, 2, des ides d'août, an IV de son pontificat (12 juillet 1268), Archives nationales, J. 360, n° 1.)
[73] Archives nationales, J. 360, n° 2 ; cf. Ducange, Observ., p. 103, et Félix Faure, t. II, p. 301.
[74] Ordonnances, t. I, p. 99.
[75] Voy. les Établissements de saint Louis, II, XXX et XL ; I, LXXXIX.