I. — Service dû par le fief et par les gens du fief. Les rois à l'origine pouvaient appeler aux armes tous les sujets du royaume. C'était le droit au temps de Charlemagne ; mais ce droit tomba en désuétude à la fin du neuvième et au dixième siècle, quand la souveraineté s'attacha à la terre, et que la royauté n'eut plus qu'un pouvoir nominal sur les seigneurs devenus maîtres chez eux. Comment donc se reformèrent les armées royales dans les conditions de la féodalité ? Il faut dire ce qu'était le service militaire sous le régime des fiefs, et nous verrons ensuite ce que la royauté en put tirer. Le service militaire était la première obligation du fief. Tout seigneur pouvait exiger de ses vassaux qu'ils le servissent à leurs frais, pendant un temps fixé à quarante jours. C'est à cette condition que le fief passait du père au fils ; c'est pour cela que l'héritier n'en pouvait être investi avant l'âge militaire, et que l'héritière ne pouvait se marier sans le consentement du seigneur, intéressé à ce que le fief ne fût point porté en des mains inhabiles à ce service ; pour cela enfin que, quand le fief était acquis non par un homme d'armes, mais par un roturier, incapable, comme tel, de le desservir, un droit était dû au seigneur, et même au suzerain, pour compenser le dommage qu'il en éprouvait[1]. Le service, quoique essentiellement personnel, se rattachait à la terre, et par conséquent entraînait plus ou moins d'obligations selon l'importance du fief. Nous en avons parlé plus haut. Le fief que l'on pourrait prendre pour unité en cette matière, c'était le fief de chevalier, dit aussi fief de haubert. Le chevalier qui tenait par plein fief de haubert servait à cheval avec armure complète[2] : pour armes défensives, en premier lieu, le haubert, cotte de mailles avec capuchon de mailles recouvrant le cou et la tête et manches terminées par des gantelets de même tissu[3], l'écu ou bouclier[4], le heaume ou casque[5] ; pour armes offensives, la lance ou glaive, l'épée longue, tranchante et pesante, comme il fallait pour défoncer un heaume ou briser les mailles d'un haubert, et le coutelas, porté à la ceinture de l'autre côté que l'épée. Il avait sous la cotte de mailles un pourpoint, long gilet à manches rembourré et piqué (on l'appelait gamboison), et au-dessus une seconde cotte ou robe sans manches et fendue sur les côtés, appelée cotte d'armes : sur la cotte d'armes le plus souvent, comme sur le bouclier, étaient peintes les armoiries qui primitivement avaient pour objet de le faire reconnaître. Ce lourd appareil ne lui permettait pas de servir seul. Il lui fallait des aides soit pour l'armer, soit pour le mettre à cheval, et surtout pour l'y remettre s'il était désarçonné. C'est pourquoi il menait avec lui un écuyer, un page et un ou deux sergents, à cheval comme lui ; et, indépendamment de son grand cheval de bataille, un cheval de main ou palefroi qu'il montait lorsqu'il cheminait, dégagé des pièces dont il pouvait se décharger sur un autre[6]. On ne naissait pas chevalier, on le devenait quand on avait atteint l'âge d'homme (vingt et un ans), à la suite de cérémonies moitié religieuses moitié militaires[7] ; mais on était tenu de le devenir quand on possédait un fief qui comportait ces obligations. Si le fief était plus considérable, s'il comprenait lui-même dans sa dépendance plusieurs fiefs de haubert, le seigneur s'appelait chevalier banneret et réunissait plusieurs chevaliers sous sa bannière ; à un degré supérieur était le baron, groupant autour de lui plusieurs bannerets ; plus haut encore, le comte ou duc, de qui relevaient tous les barons, bannerets ou simples chevaliers ayant fief dans le territoire du comté ou duché. Si, au contraire, le fief n'était point assez grand pour que le possesseur fût chevalier, il était écuyer, servant auprès du chevalier avec des armes moins complètes ; et quand le fief était partagé, les obligations se réduisaient dans la mesure de la part de chacun[8]. Le service féodal était dû en deux cas et se renfermait dans un temps déterminé. Les deux cas différaient moins par leur nature que par leur importance : c'étaient la chevauchée quand la prise d'armes se bornait à une excursion de peu de durée, et l'ost quand il s'agissait d'une guerre ; non pas uniquement d'une guerre générale, d'une guerre nationale, comme on l'a cru en ne l'entendant que des guerres du roi, mais d'une guerre même de simples seigneurs, selon le droit qu'ils en avaient[9]. Quant au temps, il se réduisait à quarante jours pour tous les feudataires, ou à un nombre proportionné de jours pour ceux qui ne possédaient que la moitié ou le tiers d'un fief. Les femmes y étaient tenues comme les hommes, en raison de leur tènement : car c'est la terre qui était obligée ; elles fournissaient un homme à leur place pour le service et pour le temps voulus[10]. Il y avait du reste des conditions plus spéciales qui pouvaient modifier la nature ou le temps du service : par exemple, l'obligation de garder le château du seigneur, l'estage, comme on disait. Cette garde était due, selon les cas, pour un mois, pour deux mois, pour l'année, aux frais, le plus souvent du feudataire, quelquefois du seigneur[11]. Mille choses d'ailleurs pouvaient constituer un fief et entraîner les obligations ou partie des obligations qui s'y rattachaient : une maison, une terre, une rente sur un péage, ou même quelques revenus en nature[12]. Robert Lenoir pour ses hôtes (petits tenanciers[13]) de Nogent devait un mois de garde, l'ost et la chevauchée[14] ; Robert de Brochantel était obligé aux mêmes services pour huit hôtes qu'il tenait du roi dans le même lieu[15]. Godro de Dreux tenait cent sous de revenu sur le péage de Robertcourt ; pour quoi il devait une paire d'éperons d'or à Pâques, l'ost et la chevauchée aux frais du roi[16]. Pierre de Danpont tenait du roi vingt-cinq (sous ?) de revenu, trois setiers et demi-mine d'avoine à Mantes (apud Medontam villam), quatre chapons et trois pains au même lieu, quatre setiers de vin et treize deniers de cens ; et il devait l'ost et la chevauchée à ses frais[17]. On en pourrait citer beaucoup d'autres exemples dans ces rôles ou ailleurs. En voici un qui, à lui seul, présente une assez grande variété de tenures : Renaud Prévôt, homme lige, tient sa maison de Saint-Quentin et cent sols dans la vicomté, et dans la boucherie vingt-six livres, et l'estalage des souliers, et les gâteaux de la quintaine, et un four, et dix sols aux jardins (ad ortos), et deux sols et trois pains de chaque boulanger, et le mariage de la femme de Girard de Guise (Buires), et les forages de deux maisons, les menus rendages dans les poestés, les citations et l'avoine ; et de chaque voiture (du marché) où le pain est vendu, trois pains ; des chapons avec deniers, les échevinages des poestés et environ dix muiées de terre à Seroucourt, et les gâteaux à Vaux, deux setiers de vin, deux chapons et les hommages (de ceux qui suivent) : Ébaud, son frère (et vingt autres noms)[18]. Outre l'ost et la chevauchée, il devait garder les prisons et les otages des combats singuliers. Pour tant de droits divers, ce n'était pas trop assurément[19]. On se pouvait faire remplacer dans le service. Gilbert de Warquoil, qui doit à Lyons-la-Forest (apud Leones), un chevalier pour trois quarantaines (période de quarante jours), est autorisé, s'il ne peut aller de sa personne, à envoyer trois vavasseurs[20]. Quelquefois le remplacement est stipulé à des conditions qui peuvent surprendre. Philippe d'Aunai, qui doit l'ost et la chevauchée aux frais du roi pour Aunai et ses dépendances, doit en outre, pour sa maison d'Anet, un roncin de service, ou aller à l'armée, selon que le roi le voudra[21]. Eudes de la Chapelle, chevalier, a en fief la Chapelle, et doit au roi pour cela un roncin d'armée et un roncin de service, ou l'ost et la chevauchée aux frais du roi[22]. Les rôles d'où sont pris ces détails doivent contenir généralement des nobles. Mais le roturier, quoique incapable de desservir un fief, n'était pas exempté de tout service dans le domaine où il vivait. Placé sous le patronage du seigneur, il était tenu de le défendre. Il n'y avait de différence que dans la nature des armes : la lance et l'épée comme le haubert, le heaume, et l'écu étant réservées aux nobles ; l'arc, l'arbalète et la masse, abandonnés aux roturiers. Mais pourtant il faut distinguer entre les roturiers. Au treizième siècle, l'armement des riches de leur classe ne s'éloignait pas sensiblement de celui des gentilshommes. En Normandie les vavasseurs, qui étaient tenanciers pour cinquante ou soixante acres de terre, avaient presque les mêmes obligations que les chevaliers, et devaient le service dans l'ost de leur duc, à cheval, avec lances, écus et épées[23] ; et de même les riches bourgeois dans les villes. On en vit combattre à cheval, revêtus de la cotte de mailles, et portant la lance et l'épée[24]. Il n'y avait d'exemption que pour ceux qui n'auraient pas eu le moyen de s'entretenir en campagne — car le service était en général aux frais du combattant —, comme aussi pour les ouvriers, et pour les marchands durant les foires de Champagne. Il y avait aussi exception pour ceux qui, ayant le moyen d'aller à la guerre, faisaient agréer du seigneur soit un homme à leur place, soit une somme d'argent équivalente à leur service ; et les seigneurs, en beaucoup de cas, favorisèrent la conversion du service personnel en argent. Il y avait d'ailleurs pour le roturier d'autre service que l'ost, au point de vue de la défense : il y avait le guet, comme pour le noble la garde ; il y avait de plus la réparation du château. Les châteaux, qui en plus d'une circonstance avaient été un repaire de brigands, à tel point que plusieurs fois les rois ou les grands feudataires ordonnèrent de les démolir ou interdirent de les fortifier sans une autorisation expresse, les châteaux, à l'époque des incursions des Normands, et depuis au milieu des guerres des seigneurs, avaient été et se trouvaient encore des asiles pour les populations du voisinage. Plus d'un village se forma comme à leur ombre. Il était naturel que les gens du pays eussent pour devoir de les défendre ou de les réparer[25]. Le service féodal obligeait donc, sauf les exceptions indiquées, tous ceux qui tenaient ou habitaient le fief. L'Église elle-même, étant entrée dans la féodalité, en partageait les droits et les devoirs. Les prélats, les abbés, qui avaient des vassaux et des sujets, exigeaient d'eux les mêmes services, et les remplissaient à leur tour envers leur suzerain, sinon par eux-mêmes — quelques-uns le firent avec un entrain plus conforme à leur naissance qu'à leur dignité —, au moins par d'autres en leur nom. Dans le catalogue de Philippe Auguste déjà cité, l'évêque d'Avranches, doit cinq chevaliers pour les domaines de son évêché, et cinq pour l'honneur (le fief) de saint Philibert. L'évêque de Coutances a treize chevaliers à son service, cinq au service du roi ; l'évêque de Bayeux, cent vingt à son service, vingt à celui du roi ; l'évêque de Lisieux trente et un tiers pour lui, vingt pour le roi[26]. En 1224, plusieurs de ces évêques, les évêques de Coutances, d'Avranches et de Lisieux, avaient mis en question le service personnel qu'on leur demandait. Convoqués à l'armée de Louis VIII, ils se rendirent à Tours, mais en repartirent sous cette clause : que si le roi trouvait par enquête que ni eux, ni les autres évêques de Normandie ne lui devaient l'ost en propres personnes, ils en seraient quittes personnellement ; et s'il trouvait qu'ils le lui devaient, ils le feraient avec amende (emenda) pour n'avoir pas assisté de leur personne à cette armée du roi[27]. C'est pour commander en leur nom leurs hommes d'armes, que plusieurs abbayes instituèrent des avoués ou vidames, sorte de feudataires établis pour les défendre, et qui finirent souvent par les dépouiller. Les obligations militaires des évêchés et des abbayes furent généralement remplacées par des contributions en hommes et en argent. Mais plusieurs gardèrent la trace du service personnel. L'abbé de Saint-Denis eut jusqu'au milieu du règne de saint Louis un chambellan obligé de lui fournir un cheval et un équipage militaire quand il voulait aller en guerre. Il garda jusqu'aux derniers temps de la monarchie un maréchal féodal pour l'assister lors des convocations du ban et de l'arrière-ban[28]. Les villes enfin doivent être comptées dans l'énumération des forces militaires aux temps féodaux. Quand elles étaient érigées en communes, elles avaient leur milice, milice permanente, soit pour se protéger, et sous prétexte de protection il leur arrivait aussi de prendre l'offensive[29], soit pour servir dans les conditions fixées par la charte communale. Quand elles n'étaient pas communes, elles avaient au moins ordinairement des chartes particulières qui réglaient leurs obligations en hommes ou en argent. II. — Armée du roi. Voilà ce qu'était en général la milice sous le régime de la féodalité, et l'on petit voir déjà quels devaient être les premiers éléments de l'armée royale. Le roi, comme seigneur, avait, dans les conditions que nous venons de dire, le concours des seigneurs, des églises, des villes et des roturiers de son domaine : celui qui avait un fief servait de sa personne ; celui qui en avait deux venait avec un autre chevalier[30]. Le sire de Montmorency servait avec dix-neuf chevaliers, lui vingtième (se vicesimo) ; le comte de Beaumont de même ; Jean de Nesle et son frère étaient portés pour quarante chevaliers[31]. Comme roi et suzerain de tous les grands seigneurs, il pouvait aussi réclamer leurs services, mais seulement quand l'intégrité du royaume était menacée ou s'il s'agissait d'une guerre défensive, quand on proclamait le ban et l'arrière-ban : deux mots que l'on trouve quelquefois séparés, et que dans le cas présent on pourrait joindre : car le terme arrière-ban, heribannum, ne veut pas dire autre chose que convocation d'armée (heer armée), et c'est par une fausse traduction latine du mot mis en français, qu'on le trouve dans quelques chartes sous la forme de retrobannum[32]. Le roi, en tant que roi, pouvait donc faire appel à tous les grands vassaux, et ceux-ci devaient amener leurs vassaux avec eux, mais non pas tous : c'est ce qui résulte des documents qui nous sont restés. Plusieurs rôles de la dernière partie du règne de Philippe Auguste (1204-1220), rôles par conséquent applicables au règne de son successeur et aux premières années de saint Louis[33], nous présentent, les uns le tableau par bailliage des services dus au roi par chacun, en raison des fiefs ou parties de fiefs possédés, les autres les noms des villes et des châteaux du domaine, et la liste des feudataires rangés dans cet ordre : 1° archevêques et évêques ; 2° abbés ; 3° ducs et comtes ; 4° barons ; 5° châtelains, 6° vavasseurs ; 7° chevaliers, distribués par comtés ou par duchés : Normandie, Perche, Bretagne, Anjou, Touraine, Flandre, Boulonnais, Saint-Pol, Artois, Coucy, Vexin[34]. Deux rôles donnent les noms de chevaliers ayant soixante livres de revenus, rangés par châtellenies, avec cette distinction que les uns tiennent et les autres ne tiennent pas du roi ; d'autres, une liste de chevaliers, veuves et valets, par bailliages[35] Ces rôles, qui ne comprennent pas toute la France, peuvent déjà donner une idée de sa puissance militaire ; mais d'autre part on en peut tirer la preuve que toute la chevalerie de France n'était pas mise au service du roi. La Bretagne y fournit trente- huit chevaliers, la Flandre quarante, le Boulonnais sept, le Ponthieu seize, le comté de Saint-Pol huit, l'Artois dix-huit. Or le comte de Bretagne avait cent soixante-six chevaliers tenus à l'ost. Il faut dire du reste que le roi, qui était maître de la Normandie, y comptait cinq cent quatre-vingt-un chevaliers, que ses barons en avaient quinze cents[36] ; et que la Normandie ne figure dans le même rôle que pour trente-huit, portant bannières. Dans un des rôles de Philippe Auguste, il est dit expressément de Guillaume de Hommet : Guillaume de Hommet (de Humeto), connétable de Normandie, tient du roi l'honneur de Hommet par service de cinq chevaliers, et il a de la même baronie vingt-deux fiefs de chevaliers pour son service propre, qui lui fournissent les cinq chevaliers pour le service du roi, quand il en est besoin[37]. Dans le rôle dressé pour la Normandie sous Henri II, roi d'Angleterre, et inséré parmi ceux de Philippe Auguste, un des barons de l'église de Bayeux déclare qu'il a dix fiefs de chevaliers, et qu'il doit le service d'un chevalier au roi de France et le service de deux chevaliers au duc de Normandie[38]. On a des rôles de convocation particuliers au règne de saint Louis ; l'un pour le 8 juin 1236 — probablement dans la guerre préparée contre Thibaut, comte de Champagne — ; un autre pour le 5 mai 1242, dans la guerre faite au comte de la Marche ; un troisième pour 1253, à une époque où Henri III s'apprêtait à réprimer les troubles de la Gascogne : rôles beaucoup moins étendus que les précédents. Mais les plus importants pour ce règne avec ceux de la fin de Philippe Auguste, ce sont des rôles que l'on trouve dans les commencements de Philippe le Hardi. Il s'agissait d'une guerre contre le comte de Foix en 1272. Ces rôles, publiés par La Roque dans son Traité du ban et arrière-ban, ont été rétablis dans leur ordre véritable par les éditeurs des Historiens de France. Ils contiennent : 1° Les noms des chevaliers semons de se rendre à Tours pour l'ost du roi à la quinzaine de Pâques, dans le bailliage de Coutances et les divers vicomtés de Normandie, les bailliages de Vermandois, d'Orléans, de Caux, de Gisors, etc. ; 2° La liste de ceux qui se sont présentés à Tours à l'époque fixée ; 3° Le rôle de ceux qui se rendirent effectivement à l'ost contre le comte de Foix ; rôle dressé à Toulouse. Ce rôle, publié d'après un texte français par La Roque[39], a été donné par les éditeurs des Historiens de France d'après un texte latin qui est antérieur, plus correct et plus complet. Ici encore on peut constater, que les grands vassaux sont bien loin d'amener tous les chevaliers qui leur doivent à eux-mêmes le service : le duc de Bourgogne amène sept chevaliers bannerets qui avaient quarante-trois autres chevaliers avec eux ; le duc de Bretagne, soixante chevaliers dont seize bannerets ; le comte de Flandre, treize chevaliers bannerets et quarante autres ; le comte de Boulogne, trente-trois chevaliers et soixante-dix écuyers qu'il prétendait mettre aux dépens du roi. Je ne pousse pas plus loin l'énumération[40] Mais ces documents ont pour le règne de saint Louis une plus grande importance. Ils nous font voir dans quelles conditions diverses le service était réclamé ou accordé en vertu des obligations existantes : des rôles postérieurs d'un an et demi à saint Louis nous présentent bien les obligations du temps de saint Louis. Tout fief de haubert devait un chevalier : c'est ainsi que
les barons, les prélats qui ont plusieurs fiefs de cette sorte amènent ou
envoient plusieurs chevaliers. Quelques-uns, outre ce qu'ils doivent, en amènent
plusieurs de leur grâce[41] : c'est
l'exception ; d'autres déclarent qu'ils ne savent pas au juste s'ils sont
tenus, mais viennent néanmoins. Guillaume
Larthuvesque dit qu'il ne sait quel service il doit au roy ; car il est
jeune, mais toutefois il vient avec cinq chevaliers prêts de faire sa volonté[42]. D'autres encore déclarent qu'ils ne sont pas tenus, comme étant d'une châtellenie exempte du service, la châtellenie d'Issoudun, par exemple : les uns s'en tiennent à leur excuse ; un autre vient avec deux chevaliers, mais constate que c'est de sa pure volonté[43]. Quelques-uns, dans cette ignorance, amenant le nombre de chevaliers dont ils se présument redevables, déclarent qu'ils sont prêts à y ajouter s'ils sont en deçà de leurs obligations, et font leurs réserves pour l'avenir si au contraire ils les ont dépassées[44]. La durée légale du service était de quarante jours pour le fief plein ; mais si l'on n'avait qu'un demi ou un quart de fief, le temps en était proportionnellement réduit[45] : c'est ainsi que plusieurs se déclarent prêts à servir pour trente jours, pour vingt jours, pour dix jours, pour cinq jours[46], même pour un nombre de jours moins régulièrement fractionnaire de la durée légale : pour treize jours, pour dix-huit jours[47]. Notons que le temps du voyage doit se déduire du temps de service. Plusieurs de ceux qui doivent les quarante jours ont soin de constater en arrivant qu'ils ont fait déjà, soit trois semaines, soit un mois[48], etc. Quelquefois la réduction du service se trouve exprimée
sous une forme plus étrange. On doit un demi, un tiers de chevalier[49]. Il y en a qui
doivent le tiers du service de deux chevaliers et demi[50]. Cela répondait
à la quantité de terres obligées au service que l'on avait entre les mains,
et se réduisait encore à un temps proportionnel : et l'équivalence est
quelquefois exprimée. Tel chevalier déclare devoir un chevalier pour quarante
jours, et un demi-chevalier pour vingt jours[51]. Le vidame de Chartres et M. Raoul de Harecourt doivent
service par trente-trois jours pour la tierce part de deux chevaliers et
demy, pour raison de leur fié de Laigle[52]. Deux chevaliers
et demi représentent cent jours de service dont le tiers est trente trois. Le service devait se faire généralement, nous l'avons dit, aux frais du combattant ; mais il y avait à cet égard des coutumes ou des conventions particulières[53]. Guillaume Bouteviller, chevalier, déclarait qu'il devait service par quarante jours aux us et coutumes de la chastellerie d'Estampes[54]. Quelques-uns en reconnaissant qu'ils devaient ost et chevauchée, ajoutaient qu'ils ne savaient à quels dépens, à leurs dépens ou aux dépens du roi[55] ? D'autres affirmaient que c'était aux dépens du roi[56]. Le comte de Blois devait pour sa terre de Guise dix chevaliers qui devoient avoir leurs gages du roi, en allant et retournant ; et pour sa terre de Champagneux dix autres aux mêmes conditions[57]. En général le feudataire devait servir le roi où il le menait. Mais quelquefois aussi il ne le devait servir que dans les limites du comté ou de la seigneurie, et si le service était requis au dehors, ce n'était plus qu'aux dépens du roi. Cela se rencontre particulière. ment dans les provinces réunies à la couronne par la mort d'Alfonse peu après la mort de saint Louis (Poitou, Auvergne, et comté de Toulouse)[58]. Le sire de Mercœur, qui se rendit à Toulouse sur la convocation de Philippe le Hardi en 1272, avec douze chevaliers, douze écuyers et dix arbalétriers, protesta que ni lui ni autres d'Auvergne n'étaient accoutumés à sortir des confins de l'Auvergne pour venir en ost ou chevauchée du roi ou des comtes de Poitiers, et que s'il arrivait qu'ils fussent appelés au subside des prédécesseurs du roi ou dedans les confins d'Auvergne, ou dehors, tout cela était de grâce et aux propres dépens du roi ou des comtes[59]. L'enquête ouverte à ce propos établit qu'en Auvergne ils devaient le service à leurs dépens, et en dehors aux dépens du roi[60]. Le service était quelquefois beaucoup plus limité. Guillaume de Boiers reconnaissait qu'il devait servir le roi jusqu'à Figeac à ses dépens ; au delà il réclamait des gages[61]. Dans la sénéchaussée de Saintonge, maître Roile doit dix jours de service au château de Fontenay et une maille d'or et soixante sols de prestation avec l'hommage[62]. Guillaume d'Arbert doit servir un jour pour la garde du château de Saintonge (un jour seul, jour et nuit)[63]. La châtellenie de Tournay-Votonne (Tonnay-Boutonne) peut être signalée entre toutes par les restrictions qu'on y met au service. Plusieurs doivent quarante jours dans la garde du château[64] ; un autre, quinze jours, et en fait d'ost et de chevauchée un jour seul autour de la châtellenie de Tournay-Votonne, en telle manière qu'il puisse retourner le soir à sa maison[65]. Un jour de service, ost et chevauchée, mais dans l'intérieur de cette châtellenie, voilà ce que doivent encore Guillaume Voudier (Venderii), écuyer, Guillaume de la Roche, chevalier, seigneur de Machegoz[66] : c'était au roi de prendre son champ de bataille dans l'intérieur de la châtellenie de Tournay-Votonne et de faire vite ! Quelques-uns déclinaient tout service d'ost et prétendaient ne devoir que des aides d'une manière générale ou dans des termes très-précis en argent ou en nature[67]. Geoffroy Vigier, écuyer, disait qu'il avait à rendre, une fois en toute sa vie, quarante livres tournois et une once d'or[68]. Hugues d'Arpajon, baron, doit au roi hommage et serment de loyauté, mais point d'ost ni de chevauchée, et s'il convient qu'il vienne en ost ou en chevauchée ce doit être aux dépens des comtes de Toulouse et des autres appelants[69]. — Pierre de Clères, chevalier, dit qu'il doit venir au mandement du roi quand il en aura été requis, et aux dépens propres du roi, sans autre service faire[70]. — Le roi en était bien avancé ! Le taux des amendes infligées par ordonnance de la cour à tous ceux qui n'avaient point accompli leur service en cette occasion marque en même temps à quelle somme on l'évaluait alors. Ces amendes sont par chaque jour de service dû et non accompli : Pour les barons, 100 sols tournois de dépens et 50 sols d'amende. Pour les vassaux ou bannerets, 20 sols de dépens et 10 sols d'amende. Pour les chevaliers, 10 sols de dépens et 5 sols d'amende. Pour les sergents ou écuyers, 5 sols de dépens et 2 sols et demi d'amende. Ce qui faisait, à raison de quarante jours de service, nombre réglementaire : Pour chaque baron, 300 livres tournois. Pour chaque vassal ou banneret, 60 l. t. Pour chaque chevalier, 30 l. t. Pour chaque sergent ou écuyer, 15 l. t. On rabattait seulement, pour chaque jour de dépense,. 6 sols par chevalier, et 4 sols par écuyer[71]. N'oublions pas qu'indépendamment des services du seigneur, le roi pouvait en certain cas réclamer son château. C'est un moyen de défense, et quelquefois une mesure de précaution, que Philippe Auguste avait stipulé dans ses transactions avec plusieurs seigneurs et dont on retrouve la trace dans les rôles[72] ; et saint Louis suivit son exemple. Le 13 octobre 1245, Maurice de Creil lui fit hommage et lui jura sur l'Évangile de lui livrer ses châteaux et forteresses, à sa première réquisition. En 1246 (16 juin), Raymond, vicomte de Turenne, et le sire de Saint-Aignan prirent le même engagement. En voici la formule : Je Gauchiers de Chateillon, sires de Saint-Aignen, fas savoir à tous ces qui ces lestres verront que ge ay juré à rendre mon chastiau de Damfron à mon chier seigneur le roi de France à grant force et à petite, toutes les fois que ge en seray requis par lui ou par ses lestres pendanz cumme à monseigneur lige. Et en tesmoignance, etc.[73] Les rôles que nous avons cités ne comprennent pas seulement les seigneurs et tenanciers : on y voit figurer. aussi les évêques et les abbés ; on y trouve aussi des villes. Pour l'Église, le rôle dressé de 1204 à 1212 ne portait pas seulement les archevêques et évêques des pays rangés dans le domaine royal, mais presque tous les prélats de France ; les archevêques de Lyon, de Bourges, de Reims, de Tours, de Sens, de Rouen, de Bordeaux, d'Auch, de Narbonne ; les évêques du Puy, de Mâcon, de Clermont, de Châlon, de Langres, d'Autun, de Nevers, de Troyes, d'Auxerre, etc. ; non-seulement les abbés, mais les abbesses : les abbesses de Sainte-Marie de Soissons, de Foresmontiers, de Montmartre[74]. Quant aux communes, elles devaient le service au roi, même quand elles étaient sur les domaines des barons : c'était une des conditions qui leur étaient imposées pour prix de la faveur d'être reconnues. Leur contingent était fixé de même que celui de certaines autres villes ; et on en trouve la preuve dans les prisées ou évaluations. qui en sont citées pour quelques époques. Une prisée du temps de Philippe Auguste comprend en deux sections ce qui est dû en sergents, chariots et argent : 1° par les abbayes et les villes qui n'avaient pas de communes ; 2° par les communes. Quelques villes ne sont portées que pour des sommes d'argent, s'étant rachetées du reste : la prestation d'un sergent était remplacée par trois livres. Une autre prisée du treizième siècle offre un tableau analogue par bailliage. Le premier donne 5.435 sergents et 13.069 livres ; le second 6.200 sergents et 11.763 livres[75]. Il faut remarquer qu'il ne s'agit ici que des abbayes de l'ancien domaine royal et des villes relevant immédiatement du roi. Le roi mettait sur pied bien plus de sergents et recevait des contributions bien plus fortes, puisque, dès le milieu du treizième siècle, toutes les abbayes et les communes de France furent tenues à l'ost envers lui, non-seulement dans les guerres nationales, mais dans les guerres royales[76]. Et ce n'étaient pas seulement les roturiers, habitants des villes ou dépendants des abbayes : ceux qui relevaient des seigneurs durent, dans les guerres générales, être amenés comme les autres. En outre, les règles du service féodal cessèrent d'être appliquées aux roturiers. On les força à sortir des limites de la seigneurie et à servir plus de quarante jours. Seulement, au delà du temps qui était dû selon la coutume, on leur payait une solde[77]. Enfin on ne distingua plus entre les guerres nationales et les guerres intérieures ; et on les contraignit à prendre part à toutes les expéditions militaires[78] ; c'était bien dès lors l'exercice du droit du roi sur l'universalité de ses sujets. L'usage de la solde donnée à ceux qui devaient le service, pour les retenir au delà du terme légal, devait introduire dans les armées du roi des hommes qui ne servaient absolument que pour de l'argent. Les mercenaires dont nous avons signalé la présence jusque dans les troupes des seigneurs, et qui avaient été déjà un si redoutable fléau dès le dixième siècle, les mercenaires auxquels Louis VII et Frédéric Barberousse, dans l'entrevue de Vaucouleurs (1165), avaient promis de renoncer[79], reparurent dans les guerres du roi d'Angleterre et de ses fils, et même dans celle de Philippe Auguste contre Jean, quand il s'agit de lui appliquer la sentence de la cour des pairs, en lui enlevant ses provinces. Un de ces chefs de routiers, Cadoc, aida beaucoup à la conquête de la Normandie. Blanche de Castille s'en servit de même pour résister, pendant la minorité de saint Louis, aux attaques des barons. Mais ce n'étaient plus ces routiers qui avaient fait l'effroi des populations dans les deux ou trois siècles précédents ; c'étaient des troupes régulièrement tenues : la preuve en est dans un compte de 1231, pour une expédition contre le comte de Bretagne. On y trouve des chevaliers à la solde de 6 sous parisis (7 fr. 60 c.) par jour ; des sergents à cheval (sans doute des nobles qui n'étaient pas chevaliers), avec une solde presque égale, 5 sous parisis (6 fr. 35 c.) ; des arbalétriers à cheval, à la même solde ; des arbalétriers à pied et des léquillons, autre sorte d'arbalétriers ou d'archers, les premiers à 1 sou (1 fr. 26 c.) ; les seconds à 8 deniers (85 c.) par jour ; des sergents à pied à la même solde de 8 deniers, faisant généralement des compagnies de cent hommes, sous le commandement d'un chevalier. Deux chariots portant les bagages étaient attachés à chacune de ces compagnies de cent hommes. Indépendamment de la solde, le compte porte une somme de 1.656 l., 7 s., 6 d. tournois, équivalant à 1.325 l. 2 s. parisis (33.564 fr. 68 c.) pour dons ; 1.400 l. t. faisant 1.120 l. p. (27.369 fr. 35 c.) pour fournitures (præstita), et une autre somme de 147 l., 2 s. parisis (3.725 fr. 82 c.) pour chevaux tués : on les remboursait aux chevaliers à raison de 8 à 10 l. par cheval de bataille, 4 à 6 l. par palefroi ou cheval de monture, et 2 l. par ronsin ou cheval de service. La somme totale de ce compte s'élève à 24.000 l. (607.914 fr. 72 c.)[80]. Celui des grands officiers de la couronne qui, depuis la suppression de la charge de sénéchal, avait le commandement des armées du roi, c'était le connétable (comes stabuli), chef naturel des chevaliers. Mais ce pouvoir auquel se rattachaient des prérogatives considérables ne s'exerçait qu'en temps de guerre[81]. Au-dessous du connétable et en dehors de son autorité en temps de paix, étaient les deux maréchaux institués par Philippe Auguste. Ils étaient à vie et toujours en exercice ; aussi recevaient-ils un traitement fixe et des manteaux aux grandes fêtes de l'année[82]. A côté des deux maréchaux, bien qu'à un moindre rang, était le maître des arbalétriers, établi par saint Louis. Il commandait tout ce qui ne faisait point partie des compagnies de cavalerie : sergents et arbalétriers à pied, et services accessoires : ingénieurs, charpentiers, mineurs, maîtres de l'artillerie, mot qui, dès le treizième siècle, comprenait tous les engins de guerre[83]. A un degré inférieur étaient les officiers que nous avons trouvés à la même place dans l'administration générale : les baillis ou sénéchaux et les prévôts. Le roi convoquait les grands feudataires et les prélats par lettres closes et plus généralement par lettres patentes ; les baillis et sénéchaux convoquaient le reste de la noblesse en leur envoyant copie des lettres royaux. C'était aux seigneurs à faire appeler leurs tenanciers ; mais dès le temps de saint Louis les baillis et les sénéchaux se passaient souvent de leur intermédiaire. Les prévôts rassemblaient les hommes qui devaient le service, pour les amener à leur supérieur[84] ; les communes envoyaient directement leur milice sous la conduite du maire. La convocation des hommes qui devaient le service féodal s'appelait le ban ; celle des hommes qui étaient appelés dans les levées générales, l'arrière-ban. Les troupes de l'arrière-ban étaient particulièrement sous la conduite des baillis et des sénéchaux[85]. Nous n'avions pour objet de signaler dans ce chapitre que le régime militaire de la féodalité au treizième siècle, et la composition des armées du roi. Nous renvoyons aux ouvrages spéciaux pour tout ce qui regarde l'armement des chevaliers ou des sergents, des arbalétriers ou des archers, la nature des armes et des machines de guerre ; les exercices militaires, comme les tournois[86], le système d'attaque et de défense, la tactique des sièges ou des batailles, en un mot, tout ce qui concerne à proprement parler l'art de la guerre. Nous renvoyons à Ducange[87], et particulièrement au livre de M. Boutaric, à qui nous avons emprunté les principaux traits de cet exposé, et qui a mis le reste en lumière avec un esprit de critique égal à son érudition[88]. |
[1] Droit d'abrégement, c'est-à-dire droit pour la diminution du fief.
[2] Voy. le Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque Carlovingienne à la Renaissance, par M. Viollet-Leduc, ouvrage qui joint aux descriptions les plus précises les figures les plus habilement rendues. Voy. aussi le troisième éclaircissement de M. N. de Wailly dans sa grande édition de Joinville, p. 462, et les représentations qu'il a données du chevalier armé et des armes du chevalier au treizième siècle, ibid., p. 477 ; mais nous ne saurions mieux faire que de renvoyer, pour l'ensemble du chevalier armé, à l'image de saint Louis lui-même, peinte sur une verrière de la cathédrale de Chartres et reproduite par M. F. de Lasteyrie dans sa belle Histoire de la peinture sur verre d'après ses monuments en France, t. II, pl. XXVI. Voy. d'autres figures de seigneurs armés dans Willemin, t. I, pl. LXXVII et XCII.
[3] Au temps de saint Louis la cotte de maille ne descendait plus généralement qu'à la hauteur du genou. Elle était tout d'une pièce avec manches et camail et se passait par le haut. Une ouverture pratiquée à la hauteur du poignet permettait de dégager la main du gantelet sans avoir à se dévêtir. La cotte de maille était quelquefois remplacée parla broigne, vêtement de peau ou de toile en double, recouvert de maillons cousus. Cette sorte d'armure pouvait être préférée comme s'appliquant mieux au corps et ne préservant pas moins bien des coups de pointe (Viollet-le-Duc, l. l., au mot cotte et au mot broigne). — Dans la seconde moitié du treizième siècle on voit les chevaliers ajouter successivement aux défenses de leur armure de mailles : ailettes aux épaules, lames de fer sur l'arrière-bras, cubitières aux coudes, grèves sur le devant des jambes, genouillères aux genoux, et, pendant le cours du quatorzième siècle, d'autres pièces sur la poitrine, jusqu'à ce qu'enfin dans les dernières années de ce siècle ces différentes pièces se joignirent d'une manière plus fixe les unes aux autres, et aboutirent à l'armure de fer qui depuis le commencement du quinzième siècle jusqu'à la fin du seizième fut l'armure du chevalier (Voy. Viollet-le-Duc, l. l., au mot armure, etc., et Labarte, Hist. des arts industriels, t. IV, p. 599).
[4] L'écu, fait de bois, recouvert de cuir, avait la forme d'un triangle allongé, légèrement bombé. Il pouvait avoir encore, au temps de la croisade de saint Louis, à peu près un mètre de haut, puisqu'on voit Joinville et ses compagnons, au débarquement devant Damiette, fichant la pointe dans le sable, s'en faire un rempart contre les assauts des Sarrasins (Joinville, ch. XXXIV). Vers la fin du treizième siècle la forme en était réduite à celle d'un triangle équilatéral, la largeur restant la même. Avant le combat il se portait suspendu au cou par une lanière (Viollet-le-Duc, l. l., t. V, p. 348 et suiv.). Il y avait encore pour le sergent et l'homme de trait la rouelle ou petit bouclier rond (Joinville, ch. XLIX), et la targe autre bouclier de forme arbitraire mentionnée à propos des gens du comte de Flandre (ibid., ch. LV), et du comte de Jaffa (ibid., ch. XXXIV et C.) Voy. M. N. de Wailly, l. l., p. 466 ; et dans le manuscrit, n° 95 (Bibl. nat., Fonds fr., f° 42 r°) sur un ornement de la page deux vilains l'épée à la main, l'écu rond au bras.
[5] Le heaume, fait de fer battu, avait la forme d'un cylindre tronqué enveloppant complètement la tête ; une fente longitudinale, affermie par une croisure de fer, ménageait le champ de la vue ; des trous étaient pratiqués au-dessous pour la respiration. Cette forme bizarre d'un toit plat avait l'avantage d'opposer un angle, plus résistant que le reste, l'angle du cylindre tronqué, aux coups d'épée, de masses ou de haches d'armes portés obliquement sur la tète ; elle eût été d'une moindre défense contre les coups portés d'en haut, les coups de fléau par exemple, si cette arme eût été plus en usage alors. Vers la fin du règne de saint Louis, le heaume se rétrécit par le haut et prend une forme cylindro-conique tronquée ; comme on le peut voir dans les miniatures de ce temps, et notamment dans celles de l'histoire du saint Graal (Biblioth. nat., Fonds français, n° 95). — Au lieu du heaume les sergents portaient le chapeau de fer, sorte de calotte munie de larges bords. Mais les chevaliers s'en servaient aussi. Joinville portait un chapeau de fer à la première journée de Mansoura. Il le prêta à saint Louis le soir de la bataille : Je lui fis ôter son heaume, dit-il, et lui baillai mon chapeau de fer pour avoir le vent (ch. L). C'est d'un chapeau de fer qu'il se couvrit la tête dans l'alerte qui eut lieu la nuit suivante (ch. LII). Le grand maître du Temple, qui perdit les deux yeux, l'un dans le combat du 8, l'autre dans celui du 10 février (ibid., LIV), Hugues d'Escoz, qui reçut trois coups de lance à la face, Érard de Sivrey, qui fut frappé d'un coup d'épée au visage tellement que le nez lui tombait sur la lèvre (ibid., XLVI), n'avaient probablement aussi, comme le remarque M. N. de Wailly (t. I., p. 465), que le chapeau ; ou peut-être même se contentaient-ils du camail de leur haubert, comme on le voit dans les scènes de bataille du psautier de saint Louis (Biblioth. nat., Fonds latin, n° 10525). On comprend que plusieurs aient mieux aimé s'exposer aux coups les plus dangereux que de porter le heaume sous le soleil d'Afrique, — s'enfermer la tête dans un réchaud !
[6] Voy. Boutaric, Instit. milit. de la France avant les armées permanentes, p. 185.
[7] Voy. Boutaric, Instit. milit., p. 181. Elles sont mises en quelque sorte en action, avec un commentaire symbolique, dans un roman du treizième siècle, intitulé l'Ordene de chevalerie, publié par Barbazan et réédité par Méon, Fabliaux et Contes, etc., t. I, p. 59. Cf. Hist. littéraire de la France, t. XVIII, p. 752.
[8] Boutaric, Instit. milit., p. 135-137. Nous reviendrons plus bas sur cet article.
[9] Voy. M. Boutaric, l. l., et les textes qu'il cite à l'appui, p. 145.
[10] Domina Agnes de Anereio tenet tensamentum Cergiaci et tocius parochiæ, et hoc quod habet in pressoriis unde debet exercitum et equitatum ad custum suum, etc. (Histor. de France, t. XXIII, p. 629, § 96.)
[11] Voy. les rôles publiés dans les Histor. de France, t. XXIII, p. 622, § 64 ; p. 650, § 194 ; p. 652, § 204 ; p. 655, § 219 ; p. 719, § 541.
[12] Histor. de France, t. XXIII, p. 629, § 93 ; p. 646, § 179 ; p. 673, § 307, 310.
[13] Voy. L. Delisle, Études sur l'agriculture normande au moyen âge, p. 8.
[14] Histor. de France, t. XXIII, p. 628, § 90.
[15] Histor. de France, t. XXIII, § 91.
[16] Histor. de France, t. XXIII, p. 628, § 90.
[17] Histor. de France, t. XXIII, p. 629, § 94.
[18] Nous avons suivi la traduction donnée de ce passage par notre savant concitoyen M, Tailliar dans les Mémoires des antiquaires de Picardie, t. XXII (1868), p. 469, en notant quelques points où il s'écarte du texte publié dans le t. XXIII des Histor. de France, p. 646.
[19] En plusieurs cas les tenures n'obligent qu'au droit de garde pour un temps qui varie : trois jours, dix jours, vingt jours (Histor. de France, XXIII, p. 622, § 65). Gautier Postel doit une anguille de revenu et un mois de garde (ibid., § 64).
[20] Histor. de France, XXIII, p. 696, § 426.
[21] Histor. de France, XXIII, p. 625, § 80.
[22] Histor. de France, XXIII, p. 626, § 83, et plusieurs autres cas pareils.
[23] Omnes vero vavassores episcopi qui tenent libere quinquaginta acras terræ vel sexaginta aut eo amplius debent servicium domino Normanniæ in exercitibus suis submonitis nomine prælii, cum equis et planis armis, videlicet, lanceis, scutis et censibus. (Histor. de France, t. XXIII, p. 701, § 446.)
[24] Voy. la pièce intitulée l'Oustillement au vilain, publiée par M. Francisque Michel (Paris 1833).
[25] Boutaric, l. l., p. 130 et 153-154.
[26] Histor. de France, t. XXIII, p. 693-694, § 417.
[27] Martène, Ampliss. collect., t. I, col. 1188, et Histor. de France, t. XXIII, p. 637, § 133. On fit l'enquête, et il fut prouvé par les feoda Normanniœ qu'ils étaient tenus au service d'armes avec plus ou moins de milice, de même que l'archevêque de Rouen, les évêques de Bayeux, d'Évreux, de Séez, les abbés de Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen, de Saint-Étienne de Caen, de Jumièges, de Sainte-Catherine de la Trinité-du-Mont, de Saint-Denys en France, de Bernai, du Mont-Saint-Michel, de Saint-Évroul d'Ouche, l'abbesse de Montivillier et le prieur d'Anfray. (La Roque, Traité du ban et arrière-ban, p. 54.)
[28] La Roque, Traité du ban et arrière-ban, p. 75. Les abbayes devaient surtout des charrois pour les expéditions royales. Voy. les noms des abbaies qui doivent charroi au roy toutes fois que le corps du roy va en guerre en quelque lieu que ce soit. (Histor. de France, t. XXIII, p. 732 ; cf. p. 723.)
[29] Boutaric, Instit. milit., p. 159, 160.
[30] Castellanus de Neauffle tenet de rege castellaniam de Neauffle cum omnibus pertinentiis, excepto quod Simonetus de Maruel habet in mercato, et Sancto Germano subtus Neauffle excepto, et hoc tenet ad duo feoda unde debet exercitum et equitatum se alio milite ad suum custum. (Hist. de France, t. XXIII, p. 624, § 75.)
[31] Voy. la suite de l'énumération, Hist. de France, t. XXIII, p. 693, § 415. Dans un acte par lequel Jean de Nesle se reconnaît homme lige du roi, il énumère les hommes qu'il tient du roi, et cette liste, en tête de laquelle est son frère Raoul, contient plus de cent noms (ibid., p. 656, § 224).
[32] Voy. La Roque, Traité du ban et arrière-ban, p. 1 et suiv.
[33] Histor. de France, t. XXIII, p. 605-723. Sur l'époque des registres d'où ces rôles sont tirés, voy. L. Delisle, Catalogue des actes de Philippe Auguste, et l'avertissement mis en tête, dans le Recueil des historiens de France, t. XXIII, p. 605.
[34] Dans les listes publiées par les éditeurs des Historiens de France, t. XXIII, p. 684, on trouve entre les vavasseurs et les chevaliers un article pour les communes (n° 352), qui manque d'ailleurs dans deux manuscrits. Plusieurs sont déjà nommées dans l'article des villes et châteaux du domaine, indiqué plus haut, no 343. La Roque n'a pas donné ces deux articles dans ses rôles (Traité du ban et arrière-ban, 2e partie, p. 1 et suiv.).
[35] Hist. de France, t. XXIII, p. 689, n° 394-416. A la suite vient un rôle pour la Normandie, dressé par Henri II en 1172 et inséré dans les registres de Philippe Auguste après la conquête de la Normandie en 1204, n° 417-436 ; puis d'autres rôles : pour l'église de Bayeux (1137), n° 437-451, pour l'abbaye du Mont-Saint-Michel (1172), n° 452-461, et d'autres fiefs de Normandie, de Bretagne, de Vermandois, de l'Orléanais, etc., n° 462 et suiv.
[36] Summa militum istius scripti, 581 milites ad servicium regis ; summa militum ad servicium baronum, circiter 1500 milites. Histor. de France, t. XXIII, p. 698 (à la fin du rôle de 1172-1204) ; cf. Boutaric, Instit. milit., p. 192, et les pièces qu'il cite.
[37] Histor. de France, t. XXIII, p. 609, § 5.
[38] Histor. de France, t. XXIII, p. 700, § 439. H. de Nonant a six fiefs faisant service d'un chevalier ; Ren. de Nonant, quatre fiefs et demi faisant service d'un chevalier (ibid., p. 706, § 467). Le comte Robert (de Séez), cent onze fiefs faisant service de quarante chevaliers (ibid., § 468).
[39] La Roque l'avait tiré du registre Pater de la Cour des comptes, registre qui a péri dans les flammes au siècle dernier.
[40] Histor. de France, t. XXIII, p. 767 ; cf. La Roque, Traité du ban et arrière-ban, p. 33 et suiv., et le livre de M. Boutaric, Instit. milit., p. 193.
[41] Histor. de France, t. XXIII, p. 768 a.
[42] Histor. de France, t. XXIII, p. 778 b.
[43] Histor. de France, p. 770 d, g, h.
[44] L'évêque de Paris, par exemple, dans sa comparution à Tours (Histor. de France, p. 753 a-c).
[45] Robert Maheaus pour soi-même, car il tient le quart du fief pour lequel il doit le quart du service (Histor. de France, p. 773 d).
[46] Geoffroy de Bendreville présenta son service par vingt jours pour demi-fief (p. 771 d), de même Renaut du Coudrai pour l'abbé de Bernay (p. 772 c). Robert Avenel est porté pour dix jours dans ce rôle (p. 776 c), et dans le premier rôle latin de la Chambre des comptes, pour un quart de fief (p. 735 f). Cf. d'autres exemples (p. 771-777) (bailliages de Rouen, de Caen, de Caux, de Coutances).
[47] Histor. de France, p. 775 e et 778 j.
[48] Histor. de France, p. 769 et suiv. Le texte français, donné par La Roque, omet cette indication qui avait son importance.
[49] Histor. de France, p. 772-777. Dans le rôle de ceux qui comparurent à Tours, il y en a un qui envoie un chevalier et demi : Videlicet, Robertum de Roveville pro integro milite et Thomam Sarrasin militera pro dimidio milite (p. 754 a). Ce service par moitié de chevalier se retrouve aussi dans les rôles de Philippe Auguste (ibid., p. 608, § 1 ; p. 633, § 112-113). Hunfridus de Bohun 2 milites et septimam partem tercii militis (p. 694 h). De honore comitis Gifardi C et II milites et duas tercias et quartam partem militis per jureiam ad servicium comitis, sed ad servicium regis nescitur quot (p. 696 b) ; cf. p. 698 d.
[50] Histor. de France, p. 777 g.
[51] Histor. de France, p. 773 g.
[52] Histor. de France, p. 777 h. Je prends la version donnée par La Roque, après l'avoir comparée à l'original.
[53] De même dans les rôles de Philippe Auguste : Osbertus de Challi 2 milites, unum ad suum custum et alium ad custum domini (p. 698, § 432).
[54] Histor. de France, p. 771 a.
[55] Histor. de France, p. 769 g, 770 f, 771 b.
[56] Histor. de France, p. 770 f, k, et 771 a.
[57] Histor. de France, p. 768 c.
[58] Histor. de France, p. 778-780. Quelques-uns se réduisent aux limites de la châtellenie (châtellenies de Montmorillon, de Fontenay, p. 778 a, g, 779 c), ou à la garde d'un château (p. 778 h).
[59] Histor. de France, p. 782 e, g.
[60] La Roque, Traité du ban et arrière-ban, 2e partie, p. 84. Extrait du registre de Nicolas de Chartres (Olim).
[61] Histor. de France, t. XXIII, p. 781 j.
[62] Histor. de France, p. 779 j.
[63] Histor. de France, p. 780 d.
[64] Histor. de France, p. 780 a et g.
[65] Histor. de France, p. 780 c.
[66] Histor. de France, p. 781 c, e.
[67] Le sire de Pontfarsit ne doit nul service, comme il dit, mais doit par rente cent sols, et dix-huit quarterons, et deux boisseaux d'avoine (p. 774 b) ; cf. p. 773-777 passim, et p. 755 et suiv. Hugues Vigier dit qu'il doit au roi quinze sols de prestation, sans faire d'autre service (p. 778 d) ; cf. p. 780 b.
[68] P. 781 a.
[69] P. 782 g. Même déclaration de cinq de ses compagnons, ibid.
[70] P. 778 c.
[71] La Roque, p. 62-64. Le texte de La Roque porte 6 sols parisis et 4 sols parisis. Il faut vraisemblablement lire 6 sols et 4 sols tournois. C'est de monnaie tournois qu'il est question dans toute l'ordonnance. Comme l'amende du sergent était de 5 sols tournois, si l'on en eût rabattu 4 sols parisis, il ne serait rien resté ; car la monnaie parisis étant à la monnaie tournois dans le rapport de 5 à 4, il est clair que 5 sols tournois moins 4 sols parisis égalent zéro. Les Établissements de saint Louis portent, sans distinction, à 60 sous l'amende de ceux qui, convoqués pour remplir ces services d'ost ou de chevauchée, ne s'y rendent pas ; la même amende frappait ceux qui se retiraient avant le temps légal (Établ. I, LXI). Le vassal qui, sommé de faire la garde du château, n'y venait pas, perdait ses meubles (ibid., I, LIII).
[72] Pour le château de Ham, Histor. de France, t. XXIII, p. 647, § 182, etc., etc. Voy. aussi L. Delisle, Catal. des actes de Philippe Auguste, n° 2225, 2226, p. 491.
[73] Histor. de France, t. XXIII, p. 678, § 329.
[74] Histor. de France, t. XXIII, p. 682 d, j.
[75] Boutaric, Instit. milit., p. 203-207. Voy. pour la première prisée le texte publié dans les Histor. de France, t. XXIII, p. 722.
[76] Boutaric, Instit. milit., p. 208.
[77] Boutaric, Instit. milit., p. 208.
[78] Boutaric, Instit. milit., p. 209. Voy. des semonces faites en 1253. Laon a fourni 300 sergents, Bruyères 100, Soissons 300, Saint-Quentin 300, Péronne 300, Montdidier 300, Corbie 400, Amiens 300, Compiègne 300, Roye 300, Athies 100, Capy 100, Bray (sur Somme ?) 100 (Histor. de France, t. XXIII, p. 731, et Boutaric, l. l.)
[79] Boutaric, Instit. milit., p. 241.
[80] Histor. de France, t. XXI, p. 219-226, et Boutaric, Instit. milit., p. 246.
[81] Voy. Boutaric, Instit. milit., p. 270. Il donne sur les prérogatives du connétable au commencement du quatorzième siècle un extrait du registre Pater. Voyez aussi Anselme, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, etc. t. VI, p. 39.
[82] Sur les maréchaux, voy. Boutaric, ibid., et Dareste, Hist. de l'admin. en France, t. II, p. 288 et suiv. M. Dareste y parle de leur juridiction qui s'étendit non-seulement aux délits militaires, mais aux actions personnelles et aux poursuites intentées par les particuliers contre les hommes d'armes, aux questions de ban, arrière-ban, etc.
[83] Boutaric, l. l., p. 272.
[84] Boutaric, l. l., p. 274.
[85] Boutaric, l. l., p. 274.
[86] Sur les tournois, voy. Ducange, Dissertations sur l'histoire de saint Louis, n° VI (supplém. au t. VII, p. 23, de l'édit. de 1850). Loin d'être regardés comme favorables à la guerre, on jugea parfois qu'ils en détournaient. Ainsi Innocent IV, au concile de Lyon (1245), les interdit pour trois ans, en donnant pour raison qu'ils empêchaient les seigneurs d'aller en croisade ; raison sérieuse, à voir les dépenses ruineuses dont ils étaient l'occasion. Mais ce qui motivait surtout les anathèmes de l'Église, c'était au fond la même pensée qui avait jadis fait proscrire les combats de l'arène. Les tournois n'étaient plus de simples exercices : c'étaient des jeux sanglants qui trop souvent entraînaient la mort des combattants (ibid., p. 26, 27).
[87] Dissertations sur saint Louis, n° VI, VII et VIII.
[88] Voyez aussi le Dictionnaire raisonné de l'Architecture française du XIe au XVIe siècle de M. Viollet-le-Duc pour tout ce qui est de la défense des places, et son Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque Carlovingienne à la Renaissance, pour tout ce qui regarde les armes et les engins de guerre, même les joutes et les tournois.