SAINT LOUIS ET SON TEMPS

 

TOME PREMIER

CHAPITRE IX. — LA CAPTIVITÉ DE SAINT LOUIS.

 

 

I. — La reine sauve Damiette. - Le roi ramené à Mansour. - Joinville pris avec ceux qui faisaient retraite par eau. - Sort des prisonniers.

La nouvelle de la prise du roi produisit chez les musulmans et chez les chrétiens une impression profonde. Le sultan avait annoncé sa victoire à son lieutenant de Damas. Ce fut partout chez les musulmans des réjouissances et des blasphèmes contre le Dieu qui n'avait pas su défendre le roi puissant armé pour sa cause. Ils fouettaient la croix en présence des chrétiens sur les places publiques et la foulaient aux pieds. Le sultan avait même en, dit-on, la pensée d'envoyer le roi au calife, et de le faire servir de jouet aux Sarrasins ; mais il y renonça par espoir de rançon, et aussi par crainte de représailles[1]. Parmi les chrétiens la consternation était extrême. En France on en était encore à la prise de Damiette par saint Louis, et l'on parlait de son entrée victorieuse au Caire, lorsqu'arriva la nouvelle que le roi et l'armée entière étaient captifs ! Les premiers qui l'apportèrent furent condamnés à être pendus comme propagateurs de fausses nouvelles, dit Matthieu Paris. Mais bientôt il ne fut plus possible de douter de la vérité, et la douleur fut immense. Les Anglais eux-mêmes la partagèrent. Le pape et l'empereur se rencontrèrent pour la première fois dans le même sentiment[2].

A Damiette la nouvelle faillit avoir les effets les plus désastreux. Ce fut une terreur pareille à celle qui chez les Turcs avait fait abandonner la ville au débarquement de saint Louis. Les Pisans et les Génois qui composaient la flotte et tout le petit peuple ne songeaient qu'à fuir. C'était perdre sans remède le roi et tous les prisonniers : car Damiette rendue, pas de rançon possible. La reine, que le roi avait laissée dans la ville, venait d'y mettre au monde un fils qui fut nommé Jean et qu'on appela Tristan en souvenir des tristes circonstances où il était né. Le lendemain même, elle fit venir devant son lit tous les gens de la ville, et sa chambre en fut pleine. Seigneurs, leur dit-elle, pour l'amour de Dieu, ne laissez pas cette ville ; car vous voyez que monseigneur le roi serait perdu et tous ceux qui sont pris avec lui, si elle était perdue. Si ce n'est pas votre plaisir, ayez au moins pitié de cette chétive créature qui est ici gisante, et attendez que je sois relevée. Et comme ils alléguaient la crainte d'être affamés dans Damiette, elle se fit fort de leur procurer des vivres et les retint tous aux gages du roi. Ils finirent par y consentir ; et la reine fit acheter tous les vivres qui se trouvaient dans la ville (car on n'en manquait pas) et les nourrit, sans qu'il leur en coûta rien. Elle y dépensa elle-même trois cent soixante mille livres et plus, dit Joinville[3].

Cette habile intervention sauva le roi. A ces mêmes circonstances se rattache une anecdote qui montre dans la reine, sous des traits bien naïfs, la femme et la chrétienne. La nouvelle de la captivité du roi était arrivée trois jours avant qu'elle accouchât. Elle en fut si effrayée, dit Joinville, que toutes les fois qu'elle s'endormoit dans son lit, il lui sembloit que toute sa chambre fût pleine de Sarrasins, et elle s'écrioit : A l'aide ! à l'aide ! Et de peur que l'enfant dont elle étoit grosse ne périt (par suite de ses frayeurs), elle faisoit coucher devant son lit un vieux chevalier de l'âge de quatre-vingts ans qui la tenoit par la main. Toutes les fois que la reine crioit, il disoit : Madame, n'ayez pas peur : je suis ici. Avant qu'elle accouchât, elle fit sortir tout le monde de sa chambre, excepté le chevalier, et s'agenouillant devant lui elle lui requit une grâce : le chevalier lui en fit le serinent. Je vous demande, dit-elle, par la foi que vous m'avez baillée, que si les Sarrasins prennent cette ville, vous me coupiez la tête avant qu'ils me prennent. — Madame, dit le vieux chevalier, soyez tranquille : je le ferai de tout mon cœur, car j'y avois déjà pensé[4].

Saint Louis et les barons pris avec lui avaient été ramenés captifs à Mansoura, dans cette ville dont il avait espéré faire la conquête. Comme roi il eut le privilège d'être enchaîné d'une chaîne de fer avec ses frères et quelques autres dont on tenait d'autant plus à s'assurer qu'ils étaient de plus grande importance[5]. Mais il pouvait leur échapper d'une tout autre manière. C'est à peine s'il lui restait un souffle de vie. La, maladie avait fait en lui les plus affreux ravages : la chair de ses gencives était livide ; les dents lui branlaient dans la bouche ; la dysenterie l'épuisait. Il était si maigre que les os de l'épine dorsale lui perçaient la peau, si faible qu'il le fallait porter à toutes ses nécessités ; et il n'avait gardé auprès de lui que son chapelain et son cuisinier : l'un lui était d'un plus grand secours que l'autre[6].

Les Sarrasins, du reste, ne tardèrent point à se préoccuper de sa situation : sa vie leur était trop précieuse. Le soudan le fit traiter par ses propres médecins, et comme ils étaient plus experts dans ces sortes de maux, ils le mirent bientôt hors de danger : en telle sorte que sa captivité peut être regardée comme un bienfait de la Providence à son égard. Abandonné aux siens, il aurait pu ne pas guérir[7]. Le soudan ne cessa plus de l'entourer de soins, et ordonna qu'on lui fournît tout en abondance et qu'on pourvût chaque jour à ce qui lui était nécessaire. Quand il était arrivé à Mansoura il avait, dit-on, à peine de quoi se vêtir. Un pauvre homme lui donna sa casaque, dont il se couvrit jusqu'à ce qu'on lui eût envoyé de l'étoffe de Damiette. Le soudan lui fit faire deux robes de taffetas noir, fourrées de vair et de gris, avec des boutons d'or : magnificence que saint Louis n'eût pas déployée s'il eût été libre. Il portait encore, quand il arriva à Saint-Jean-d'Acre, cette livrée de sa captivité[8] !

Dans les rigueurs des premiers moments, dans les souffrances de la maladie, comme dans cet état meilleur, le saint roi avait gardé la même sérénité d'âme, vivant simplement sa vie de tous les jours. Il disait avec son chapelain les heures, selon l'usage de l'Église de Paris. Il avait perdu son bréviaire : c'était peut-être ce que le roi regrettait le plus, et assurément ce dont les Sarrasins se souciaient le moins. On le retrouva, et les contemporains en font presque un miracle[9]. Cette placidité, cette force, cette douceur émurent vivement les disciples de Mahomet. Ils n'avaient connu que le roi, le guerrier : ils avaient devant eux le saint, et cette vertu divine subjuguait leurs âmes[10]. Saint Louis ne perdait pas l'occasion de leur expliquer sa foi ; il usait de la captivité pour travailler à conquérir des âmes ; et s'il est vrai que plusieurs, touchés de la grâce qui était en lui, se convertirent et reçurent le baptême[11], le saint roi dut bénir ses fers ; car ils lui procuraient le triomphe dont il fut toujours le plus jaloux.

Saint Louis, à peine arrivé à Mansoura, avait vu bientôt se grossir le nombre de ses compagnons d'infortune. Ceux en effet qui avaient pris la voie du fleuve, n'avaient point, pour la plupart, évité le sort commun. Le péril était évident. En descendant le cours du Nil, on rencontrait nécessairement les galères que les Sarrasins avaient amenées entre Damiette et Mansoura pour couper les communications de la ville à l'armée. Il n'y avait guère que les grands vaisseaux qui eussent chance de forcer le passage. La double escorte par terre et par eau donnée aux malades courait donc risque de n'y pas suffire, et pour les petites barques, c'était merveille si elles parvenaient à se faire un chemin à la faveur des ténèbres ou de la confusion. Les mariniers de Joinville tremblaient de s'y aventurer. On arriva un peu avant le lever du jour au passage redouté ; mais les Sarrasins veillaient, et ils jetèrent sur les vaisseaux et sur ceux qui les escortaient le long de la rive, une telle quantité de feu grégeois, que l'on eût dit une pluie d'étoiles. Les bâtiments légers, chargés par le roi de défendre les malades, ne songeant plus qu'à leur propre salut, s'enfuirent vers Damiette : un vent contraire s'était élevé ; sur les deux rives du fleuve, on ne voyait que petits vaisseaux qui ne pouvaient poursuivre leur route. Les Sarrasins s'en emparaient, tuaient et jetaient les gens à l'eau, et prenaient les bagages.

Joinville, pendant cette rencontre, s'était revêtu d'un haubert de tournoi pour se défendre des traita qui tombaient sur sa barque. Il était resté an milieu. du Nil, voyant le sort réservé à ceux qui croyaient trouver un refuge au rivage, quand ses gens lui crièrent : Sire, sire, vos mariniers vous veulent mener à terre. Sarrasins, impatients de se saisir de cette proie, menaçaient de mort ses mariniers, s'ils ne venaient s'y rendre. Joinville tira l'épée et dit qu'il les tuerait, s'ils faisaient mine de leur obéir ; et ceux-ci se déclarèrent tout prêts à faire ce qu'il voulait. On ancra donc ; mais Joinville lui - même n'avait que le choix du péril. Il tombait infailliblement aux mains des Sarrasins du rivage s'il y abordait, de ceux des galères s'il restait sur le fleuve : quatre galères s'avançaient pour s'emparer de sa barque. Dans cette extrémité il tint conseil : tout bien considéré on préféra se rendre aux galères du soudan. Là au moins, ils avaient chance : de rester ensemble au lieu d'être dispersés et vendus aux Bédouins. Il n'y en eut qu'un qui s'écria : Ce n'est pas mon avis. — Et quel est-il ? — Je suis d'avis que nous nous laissions tous tuer, afin d'aller tous en paradis. — Mais, ajoute Joinville, nous ne le crûmes pas[12].

A l'approche de l'ennemi, Joinville voulait au moins lui dérober ce qu'il avait de plus précieux ; il prit ses joyaux et ses reliques et les jeta à la rivière. Alors un de ses mariniers lui dit : Sire, si vous ne me laissez dire que vous êtes le cousin du roi, on vous occira tous et nous avec. Joinville lui en donna la permission, et cela suffit à peine pour lui sauver la vie. Quand les hommes du premier vaisseau l'abordèrent, un Sarrasin qui était de la terre possédée par Frédéric II en Orient, vint à la nage jusqu'à sa barque et le prenant au corps, lui dit : Sire, vous êtes perdu, si vous n'y mettez de la résolution ; car il vous faut sauter de votre vaisseau sur la pointe de la quille de cette galère ; ils ne vous verront pas, occupés comme ils sont au pillage de votre embarcation. On lui jeta une corde et il sauta non sans péril ; car si le Sarrasin, sautant après lui, ne l'eût soutenu, il tombait à l'eau. Mais là nouveau danger. Il y avait sur cette galère deux cent quatre-vingts de leurs gens qui se ruèrent sur lui et le terrassant le voulaient. égorger. Par deux fois ils le renversèrent, et le malheureux chevalier sentit la pointe du couteau à la gorge ; il n'eût pas évité la mort, sans le Sarrasin qui, le tenant toujours embrassé, criait : Cousin du roi ! Il put ainsi se tirer de leurs mains et être mené au pavillon où se tenaient les chefs des ennemis :

Quand je vins au milieu d'eux, continue Joinville, ils m'ôtèrent mon haubert, et pour la pitié qu'ils eurent de moi, ils jetèrent sur moi une mienne couverture d'écarlate doublée de menu vair, que madame ma mère m'avoit donnée ; et l'un d'eux m'apporta une courroie blanche, et je me ceignis par dessus ma couverture, où j'avois fait un trou, et que j'avois vêtue ; et l'autre m'apporta un chaperon que je mis sur ma tête. Et alors, pour la peur que j'avois, je commençai à trembler bien fort, et pour la maladie aussi. Et alors je demandai à boire, et l'on m'apporta de l'eau en un pot, et sitôt que je la mis dans ma bouche pour l'avaler, elle me jaillit dehors par les narines. Quand je vis cela, j'envoyai querra ma gent, et leur dis que j'étois mort, que j'avois un apostume dans la gorge. Et ils me demandèrent comment je le savois, et sitôt qu'ils virent que l'eau me jaillissoit par la gorge et par les narines, ils se prirent à pleurer. Quand les chevaliers sarrasins qui étoient là virent ma gent pleurer, ils demandèrent au Sarrasin qui nous avoit sauvés pourquoi ils pleuroient ; et il répondit qu'il pensoit que j'avois un apostume dans la gorge ; c'est pourquoi je ne pouvois échapper. Et alors un des chevaliers sarrasins dit à celui qui nous avoit sauvés, qu'il nous réconfortât ; car il me donneroit quelque chose à boire avec quoi je serois guéri dans deux jours : et ainsi fit-il. (Ch. LXIV.)

Avec lui était un de ses chevaliers, Raoul de Wanou, qui, à la grande bataille, avait eu les jarrets coupés. Les ennemis surent honorer le courage malheureui : Et sachez, dit Joinville, qu'un vieux sarrasin chevalier, qui étoit en la galère, le portoit aux chambres privées suspendu à son col. (Ibid.)

L'émir qui commandait la flotte, apprenant la captivité de Joinville, le fit venir et lui demanda s'il était vrai qu'il fût parent du roi. Non, répondit-il ; et il lui conta pourquoi le marinier l'avait dit. Il répondit qu'il avait fait que sage : car, sans cela on les eût tués tous. Il lui demanda encore s'il tenait en rien au lignage de l'empereur Frédéric, et, apprenant que Joinville lui était un peu parent par sa mère, il lui dit qu'il l'en aimait d'autant mieux. Joinville ajoute ici un trait qui peint bien naïvement les mœurs du temps. Comme il mangeait, on fit venir devant lui un bourgeois de Paris qui s'écria : Sire, que faites-vous ?Que fais-je donc, dit Joinville. — En nom Dieu, fit-il, vous mangez chair le vendredi ! A ce mot, Joinville s'empressa de rejeter son écuelle ; et l'émir, ayant su pourquoi il le faisait, répondit que Dieu ne lui en saurait pas mauvais gré, puisqu'il ne l'avait pas fait sciemment. Le légat ne lui en parla pas autrement quand il fut hors de prison. Mais Joinville ne laissa pas de jeûner tous les vendredis du carême d'après, au pain et à l'eau, pour expier cette faute involontaire[13].

Le dimanche d'après, l'amiral le fit descendre au rivage du fleuve avec tous les autres qui avaient été pris sur l'eau, ainsi que lui. Comme on tirait monseigneur Jean, son bon prêtre, hors de la soute de la galère, il s'évanouit ; on le tua et on le jeta dans le Nil[14]. Son clerc s'étant pâmé aussi par l'effet de la maladie, on lui lança un mortier sur la tête, et en jeta son corps à la rivière. A mesure que l'on faisait descendre des galères les autres malades, il y avait là des Sarrasins, l'épée nue, qui les tuaient et les jetaient à l'eau. Joinville s'en indigna et leur fit dire par son Sarrasin, celui à qui il devait la vie, que c'était mal et contraire aux enseignements de Saladin : car Saladin disait qu'on ne devait tuer nul homme, après qu'on lui avait donné à manger de son pain et de son sel. Mais l'amiral lui répondit que c'étaient des hommes qui ne valaient rien, attendu qu'ils ne pouvaient plus se tenir debout par suite de leurs maladies. Il lui fit amener ses mariniers et lui dit qu'ils avaient tous abjuré. Joinville lui conseilla de ne point se fier à eux : car de la même manière qu'ils nous ont laissés, dit-il, ils vous laisseront dès qu'ils trouveront temps ou lieu pour le faire. Et l'amiral dit qu'il le pensait bien comme lui ; que Saladin disait qu'on ne vit jamais nul devenir de bon chrétien bon Sarrasin, ni de bon Sarrasin bon chrétien[15].

Il fit monter Joinville sur un palefroi et l'emmena avec lui à Mansoura, où le roi et sa gent étaient prisonniers. Des scribes du sultan écrivirent son nom, et on le fit entres dans un grand pavillon où étaient les barons et plus de dix mille personnes avec eux, dit-il ; et les barons témoignèrent une grande joie de le voir, car il le croyaient perdu.

On les fit passer dans un autre pavillon, où ils purent être témoins de la façon dont les Sarrasins traitaient leurs captifs malades ou non. Le sultan, qui en était embarrassé, avait donné ordre à l'émir Sayf-eddin-Youssouf de s'en défaire peu à peu. On les avait renfermés dans une cour close d'un mur de terre. On les en tirait l'un après l'autre et on leur demandait : Veux-tu renier ? Ceux qui ne le voulaient pas étaient mis d'un côté et décapités ; ceux qui reniaient, mis de l'autre. C'était un premier triage. On avait d'abord réservé les artisans et les gens de métier, pour tirer profit de leur industrie ; mais ensuite on les fit mourir comme les autres. Chaque jour un émir en prenait ainsi trois ou quatre cents, et s'ils ne reniaient, leur faisait couper la tête[16].

Quand on les crut suffisamment émus par ce spectacle, le sultan leur envoya ses conseillers ; et Pierre de Bretagne (Mauclerc) ayant été désigné pour répondre en leur nom, on lui dit par les drogmans : Sire, le soudan nous envoie à vous pour savoir si vous voudriez être délivrés ?Oui, dit le comte. — Et que donneriez-vous pour votre délivrance ?Ce que nous pourrions faire et souffrir par raison. — Donneriez-vous quelques-uns des châteaux des barons d'outre-mer ? Le comte répondit qu'il n'en avait pouvoir : car on les tenait de l'empereur d'Allemagne (roi de Jérusalem). Et des châteaux du Temple ou de l'Hôpital ? Cela ne se pouvait pas davantage : car en y mettant dits capitaines, on leur fait jurer sur reliques que pour délivrance de corps d'hommes, ils ne les rendront pas. Il nous semble bien, dirent les envoyés, que vous n'avez pas envie d'être délivrés ; mais nous allons vous envoyer des gens qui joueront de l'épée avec vous comme ils ont fait aux autres[17].

Dès qu'ils s'en furent allés, les barons virent se précipiter dans la salle une troupe de jeunes Sarrasins, l'épée au côté ; avec eux était un vieillard aux cheveux blancs qui fit demander aux prisonniers si c'était vrai qu'ils crussent en un Dieu pris et mis à mort pour eux, et ressuscité le troisième jour ? — Oui, dirent les barons. Ils pensaient avoir prononcé eux-mêmes leur sentence. — Ne vous découragez donc pas, dit le vieillard, si vous avez souffert ces persécutions pour lui : car encore n'êtes-vous pas morts pour lui comme il est mort pour vous, et, s'il a eu pouvoir de ressusciter, soyez certains qu'il vous délivrera quand il lui plaira. Et il sortit, suivi de sa bande, ce dont je fus fort aise, dit Joinville ; car je croyois qu'ils nous venoient trancher la tête[18].

C'est après cette cruelle épreuve qu'ils apprirent que le roi avait traité de leur libération.

 

II. — Traité de saint Louis avec le sultan. - Meurtre du sultan. - Le roi devant les conjurés maîtres du pouvoir. - Renouvellement du traité.

Les conseillers du sultan avaient éprouvé le roi comme les seigneurs pour tâcher d'obtenir de lui quelque château du Temple, ou de l'Hôpital, ou des seigneurs de Palestine ; et le roi leur avait répondu comme ses barons. Ils le menacèrent de le mettre aux bernicles : c'était une sorte d'entraves qui se composait de deux pièces de bois armées de dents et rentrant l'une dans l'autre ; on y introduisait les jambes du patient, et le poids d'un seul homme assis sur cette machine suffisait pour les rompre à plusieurs places. Au bout de trois jours, on renouvelait l'expérience sur les membres enflés et meurtris. Le roi dit qu'il était leur prisonnier et qu'ils pouvaient faire de lui leur volonté.

Quand ils virent qu'on ne le pourrait vaincre par les menaces, on en revint aux propositions : on lui demanda combien il voudrait donner d'argent, outre Damiette, qu'il aurait à rendre. Il répondit que si le soudan se contentait d'une somme raisonnable, il demanderait à la reine qu'elle la payât pour la délivrance des prisonniers. Mais comment n'en prenez-vous pas l'engagement ?Je ne sais si la reine le voudra faire, car elle est la maîtresse. C'est à elle qu'il avait confié Damiette ; c'est elle, le roi étant pris, qui, restée libre, avait à décider. Les conseillers en parlèrent au soudan et revinrent dire, en son nom, que si la reine voulait payer un million de besants d'or, valant cinq cent mille livres, il le délivrerait[19]. Saint Louis demanda si le soudan s'y engageait, et quand les conseillers lui en eurent rapporté l'assurance : Je vous donnerai, dit-il, les cinq cent mille livres pour mes gens, et Damiette pour ma personne : car je ne suis pas tel que je me dusse racheter à prix d'argent. Quand le soudan en fut informé : Par ma foi, dit-il, il est large le Franc, qui n'a pas marchandé sur une si grande somme de deniers, et pour ne point paraître moins généreux : Allez lui dire, ajouta-t-il, que je lui donne cent mille livres pour payer la rançon[20].

On se mit en devoir d'exécuter le traité. Le roi et les principaux seigneurs furent placés en quatre galères qui reprirent le chemin de Damiette. Dans celle que montait Joinville étaient les comtes Pierre de Bretagne, Guillaume de Flandre, Jean de Soissons, le connétable de France, Imbert de Beaujeu, Baudouin d'Ibelin et Gui son frère. On arriva le jeudi avant l'Ascension (28 avril 1250) à un campement clos de treillis et de toiles, où était le sultan, sur les bords du Nil, auprès de Farescour. Une tour en charpente, revêtue de toile, en occupait l'entrée ; à l'intérieur on trouvait un pavillon on les émirs admis auprès du sultan déposaient leurs armes ; de là on entrait dans la salle où le prince les recevait, puis on rencontrait une tour semblable à la première, qui était la porte de la chambre de Tourân-Chah. Au delà était un préau, et au milieu du préau une tour plus haute que les autres, d'où le sultan inspectait le-camp et tout le pays. Du préau partait une allée qui menait au fleuve, en un lieu où le prince s'était fait tendre un autre pavillon pour s'y baigner. Le roi fut déposé dans un pavillon proche du camp. Le surlendemain il devait rendre Damiette et être remis en liberté.

Un tragique événement allait mettre ces conventions en péril.

Tourân-Chah, à son retour de Syrie, avait fait entrer dans son conseil les jeunes émirs qu'il avait ramenés avec lui[21]. C'étaient eux qui l'avaient pressé de traiter au plus vite aux conditions que l'on a vues. Ils lui représentaient qu'il n'avait de sultan que le nom ; que l'ambitieuse Chedjer-eddor et les émirs en retenaient tous les pouvoirs, à cause du besoin qu'il avait d'eux ; qu'il fallait à tout prix amener les Français à rendre Damiette et à quitter l'Égypte, et qu'alors il ne serait plus esclave de ses troupes et pourrait chasser qui lui semblerait bon. Le jeune prince n'était que trop accessible à ces conseils. Deux jours après la captivité de saint Louis, il avait ôté le gouvernement du Caire à Jesam-eddin, un de ceux qui l'étaient allés chercher à Caïfa (près du Tygre), et le père de cet officier, ayant sollicité pour lui, avait été lui-même frappé de disgrâce. Selon Makrîzi, il avait même enjoint à Chedjer-eddor de lui rendre compte des trésors de l'État. Cette femme, indignée, lui répondit qu'elle les avait employés à la guerre qui avait sauvé son trône, et elle se plaignit de cet affront aux mamelouks Bahrites[22]. Il refusait à Farès-eddin-Actaï, chef de ces mamelouks, une faveur qu'il lui avait promise ; il laissait de côté tout ménagement, toute précaution : et le soir, quand il s'était enivré, on le voyait prendre plaisir à abattre de son sabre des têtes de chandelles de cire, disant : Voilà comme je ferai aux mamelouks ; et il les nommait chacun par son nom[23].

Les émirs menacés résolurent de le prévenir. Actaï les y excitait : soixante entrèrent dans le complot.

Ils ne s'étaient pas mépris sur la raison du traité, si brusquement conclu ; et le soin qu'avait pris le sultan de doubler sa garde était un autre indice dont le sens paraissait assez clair. Tout était à craindre le jour où enfin il serait maître de Damiette. Ils voulurent ne pas lui laisser le temps d'y arriver. Le traité avait été définitivement conclu le 1er mai ; le 2, le sultan réunit dans un banquet ses principaux officiers. Il avait pris congé d'eux, et allait rentrer dans sa chambre, quand les conjurés se jetèrent sur lui, l'épée à la main. Le premier qui le frappa fut Rocn-eddin-Beïbars (Bibars-Bondocdar), qui portait alors son épée. Le soudan, qui sans doute voulait parer le coup, eut les doigts tranchés et la main fendue jusqu'au poignet. Il crut à une trahison de ses gardes et s'enfuit au milieu du désordre, jurant de n'en pas laisser un seul en vie : c'était les jeter tous dans la révolte. Taudis que les timbales sonnaient, que l'on publiait la prise de Damiette et que l'en ordonnait aux troupes, comme au nom du sultan, marcher en hâte après lui, les cinq cents hommes de sa garde, abattant ses pavillons, l'assiégèrent dans la tour où il avait cherché un refuge, lui criant de descendre ; et, comme il demandait sûreté, ils dirent qu'ils sauraient bien l'y contraindre, qu'il n'était pas dans Damiette ; et ils lui lancèrent du feu grégeois qui embrasa en un instant le frêle édifice de sapin et de toile. Jamais, dit Joinville, je ne vis feu si beau et si droit. Tourân-Chah s'était précipité de la tour. Il vit Actaï : il se jeta à ses genoux, lui demandant protection ; mais Actaï le repoussa. Il s'enfuit alors vers le fleuve, appelant à son aide, ne demandant que la vie, et criant qu'il ne voulait plus être roi. On le poursuivit à coups de flèches ; un mamelouk même l'atteignit de sa lance, qui lui resta dans le côté. Il put fuir encore, la traînant après soi jusqu'à la rivière, où il se jeta tout éperdu. Mais on l'y suivit encore et on l'acheva à coups de sabre. Actaï, sans pitié pour son cadavre, lui arracha le cœur[24].

Les chrétiens avaient assisté aux sanglantes péripéties de ce drame. Un instant ils purent craindre d'en être eux-mêmes les victimes. Les Sarrasins se jetèrent dans les vaisseaux où ils étaient retenus, l'épée à la main, la hache danoise au cou, et, poussant des cris de mort :

Il y avoit, dit Joinville, tout plein de gens qui se confessoient à un frère de la Trinité, qui avoit nom Jean et qui étoit au comte Guillaume de Flandre. Mais à mon endroit, il ne me souvint pas de péché que j'eusse fait ; mais je réfléchis que plus je voudrois me défendre ou m'esquiver, et pis cela me vaudroit. Et alors je me signai et m'agenouillai aux pieds de l'un d'eux, qui tenoit une hache danoise à charpentier, et je dis : Ainsi mourut sainte Agnès. Messire Gui d'Ibelin, connétable de Chypre, s'agenouilla près de moi et se confessa à moi ; et je lui dis : Je vous absous, avec tel pouvoir que Dieu donné. Mais quand je me levai de là il ne me souvint plus de chose qu'il m'eût dite ou racontée (ch. LXX).

Le roi n'avait pas été moins en péril que les autres. Actaï entra sous sa tente, les mains ensanglantées, et lui demanda ce qu'il lui donnerait pour avoir tué son ennemi ; mais saint Louis ne lui dit pas un mot. Actaï lui demanda de le faire chevalier : c'était, comme on le sait, parmi les plus nobles chez les chrétiens une sorte d'initiation à la vie militaire[25]. Les Musulmans, dans leurs rapports avec eux, y avaient plus d'une fois aspiré ; et Frédéric II avait fait chevalier l'émir Fakhr-eddin, qui était naguère le plus puissant entre les chefs des Égyptiens. Actaï croyait peut-être, en recevant du roi des Francs cette marque d'honneur, s'en faire aussi un titre entre tous les autres dans cette révolution où il avait joué un des principaux rôles ; et, comme le roi restait impassible, il agitait son épée sanglante comme pour l'en percer, disant qu'il était maître de sa personne, et que, selon qu'il rejetterait ou accueillerait sa demande, il lui ôterait la vie ou lui rendrait la liberté. Tous ceux qui étaient autour de lui le pressaient de le faire : mais la chevalerie était une cérémonie chrétienne. Saint Louis, plus scrupuleux que Frédéric en cette matière, protesta qu'il n'y admettrait pas un infidèle, ajoutant que, s'il se voulait faire chrétien, il le ferait chevalier et lui conférerait beaucoup d'autres honneurs[26]. C'était laisser en péril sa liberté et sa vie même : mais c'était obéir à sa conscience, et nulle force humaine n'avait empire sur ce domaine-là.

Bientôt arrivèrent en tumulte les autres Sarrasins, l'épée nue, les mains teintes de sang, poussant des cris de rage comme des ours ou des lions en fureur. On croyait qu'ils venaient achever cette terrible tragédie en massacrant le roi après le sultan. Mais à sa vue ils furent comme transformés : ils le saluèrent à la mode des Orientaux en portant les mains sur leurs têtes ; ils lui dirent de ne pas s'effrayer de ce qui était arrivé ; qu'ils avaient dû tuer un tyran dont le dessein était de le mettre à mort dès qu'il serait maître de Damiette, sans épargner les chrétiens davantage, et le prièrent d'accomplir le traité fait avec Tourân-Chah, lui promettant de le mettre en liberté lui et tous les siens dès qu'il aurait rendu Damiette[27].

Les chrétiens se sentaient par là soulagés d'un grand poids. Un traité n'était censé valable qu'entre ceux qui l'avaient signé : c'était par une sorte de réaction contre la convention de Tourân-Chah et de saint Louis que le complot avait éclaté : les chrétiens avaient donc tout lieu de craindre pour leur liberté et pour leur vie ; et ceux qui avaient été si brusquement assaillis sur les galères, bien qu'épargnés pour le moment, n'en étaient guère plus rassurés. On les avait jetés à fond de cale ; et ils croyaient que c'était uniquement pour ne les pas tuer tous à la fois. Ils y restèrent toute la nuit entassés les uns sur les autres, au point, dit Joinville, que mes pieds étaient contre le bon Pierre de Bretagne et les siens étaient contre mon visage. Le matin enfin on les en tira, non pour les tuer, mais pour les envoyer aux émirs, afin de renouveler les conventions[28].

Dans ce temps que les chrétiens avaient passé au milieu de si vives angoisses, la sanglante révolution qu'ils avaient traversée s'était elle-même réglée. Tourân-Chah laissait des enfants : niais ils étaient en Mésopotamie, et nul d'ailleurs ne songeait à remettre sa succession à qui voudrait venger sa mémoire. On décida que Chedjer-eddor attrait l'autorité, que tout se ferait en son nom, et qu'un émir aurait, avec le titre d'atabek, le commandement des troupes. Ce titre offert à l'émir Hassan-eddin, puis à Schehab-eddin, fut, sur leur refus, donné à l'émir Aïbek, surnommé Eizz-eddin (l'honneur de la religion) et appelé aussi le Turcoman, parce qu'il avait été le mamelouk d'un autre émir, Turcoman d'origine ; et ce fut Hassam-eddin qui fut chargé de reprendre les négociations avec les chrétiens[29]. Le traité fut renouvelé. Il fut convenu que, dès qu'on aurait rendu Damiette aux musulmans, ils remettraient le roi et les autres seigneurs : car pour le menu peuple, tous ceux qui n'avaient point été mis à mort, le sultan, contrairement au traite, les avait fait mener à Babylone (le Caire). Le roi devait jurer de remettre deux cent mille livres avant de quitter le fleuve et deux cent mille dès qu'il aurait gagné Acre. Les Sarrasins s'obligeaient à garder ses malades, et à tenir en réserve ses approvisionnements, ses armes et ses machines jusqu'à ce qu'il pût les envoyer querir[30].

Les émirs jurèrent le traité sous la sanction des imprécations les plus fortes que comportait leur loi : s'ils y manquaient, ils voulaient être aussi honnis que le Sarrasin qui, pour son péché, fait le pèlerinage ide la Mecque la tête nue, ou qui reprend sa femme 'après l'avoir répudiée, ou qui mange de la chair de porc ! Ils comptaient bien lier saint Louis par de semblables imprécations, et, dit Joinville, ils s'étaient Lait dresser par an apostat une formule d'exécration qu'ils estimaient d'une force sans pareille. On faisait dire au roi que, s'il ne tenait pas les conventions, il voulait être aussi honni que le chrétien qui renie Dieu et sa mère, et privé de la compagnie des douze apôtres et de tous les saints. Cela fut accepté ; mais comme on ajoutait : Aussi honni que le chrétien qui, en mépris de Dieu, crache sur la croix et marche dessus, il s'y refusa absolument. On ne voit pas bien pourtant quelle différence il pouvait faire entre ces deux formules et l'on est tenté de préférer la version de l'Anonyme de Saint-Denys, de Guillaume de Nangis et du Confesseur de la reine Marguerite : selon ces chroniqueurs, on lui faisait jurer dans la formule qu'il renierait le Christ s'il manquait à sa parole. Il ne s'agissait plus seulement de déshonneur à encourir, mais d'apostasie à faire : la seule supposition en révoltait sa conscience, il refusa[31] ; et comme on lui disait que les Sarrasins en étaient furieux, que, s'il ne jurait pas, ils lui feraient couper la tête à lui et à ses gens, il dit qu'ils en pouvaient faire leur volonté ; qu'il aimait mieux mourir bon chrétien que de vivre dans la haine de Dieu et de sa mère.

Auprès du roi se trouvait alors le patriarche de Jérusalem, vieillard de quatre-vingts ans qui s'était rendu au camp avec un sauf-conduit de Tourân-Chah pour aider le roi à traiter de sa libération ; mais la mort du sultan avait, selon la coutume suivie alors par les musulmans et les chrétiens, annulé le sauf-conduit, et le prélat, venu pour délivrer le roi, était retenu lui-même comme prisonnier. Un des émirs s'en prit à lui de la résistance du roi. Si vous voulez me croire, dit-il aux autres, je ferai jurer le roi ; car je veux faire voler dans son giron la tête du patriarche. Et il brandissait son sabre. — On n'alla pas jusque-là mais on saisit le vieillard et on l'attacha à un des pieux du pavillon si étroitement que ses mains en étaient grosses comme la tête et que le sang lui jaillissait des ongles. Le patriarche criait au roi : Sire, jurez en toute sûreté, car je prends sur mon âme le péché du serment que vous ferez, puisque vous êtes résolu à le tenir. Et en effet, le roi devant tenir le serment, il pouvait admettre au cas contraire toutes les suppositions, sans encourir le blâme de l'impiété ou du blasphème. On parvint sans doute à concilier les demandes des Sarrasins avec les scrupules de sa conscience : car les émirs se tinrent pour satisfaits du serment qu'il prêta[32].

Ils allaient donc le remettre en liberté. Le bruit courut même qu'ils avaient songé à le mettre sur le trône d'Égypte. Si l'ascendant que le saint roi par sa vertu, par son calme et par sa fermeté exerçait autour de lui avait pu leur inspirer cette idée, bien des raisons, et celle même qui lui donnait tant d'autorité parmi eux, auraient suffi à la faire écarter. Saint Louis en parla plus tard à Joinville, lui demandant s'il croyait qu'il eût accepté cette proposition ; et Joinville lui répondit qu'il eût agi en fol, attendu,qu'ils venaient de tuer leur seigneur. Mais le roi répondit : que vraiment, il ne l'eût pas refusé[33]. Prendre pour roi saint Louis c'eût été faire un premier pas vers la religion chrétienne : c'est pour cela que saint Louis eût accepté la couronne et que les Sarrasins ne la lui ont pas offerte.

 

III. — Exécution du traité.

Il fut convenu qu'on mettrait les seigneurs en liberté le lendemain de l'Ascension, 6 mai 4250, et qu'aussitôt que Damiette serait livrée aux émirs, on relâcherait le roi et ceux qui étaient avec lui. En conséquence, le jeudi au soir, jour de l'Ascension, les galères qui portaient les prisonniers vinrent ancrer au milieu du fleuve près du pont de Damiette, et l'on tendit devant le pont un pavillon où le roi descendit.

An soleil levant, Geoffroi de Sargines alla dans la ville et la fit rendre aux émirs. On avait, au préalable, fait monter sur les vaisseaux la reine et ceux qui étaient avec elle à Damiette, excepté les malades. Aux termes du traité, les malades devaient rester sous la sauvegarde des Sarrasins avec les approvisionnements mêmes et les machines, jusqu'à ce que le roi ait pu les faire reprendre. Mais rien de tout cela ne fut respecté. Dès que les enseignes du sultan furent arborées sur les murailles, les Sarrasins se jetèrent sur la ville, tuèrent les malades, mirent en pièces les machines, burent le vin, et, plus respectueux ici de la loi du prophète, s'abstenant de manger du porc, ils brûlèrent en tas toutes les salaisons, faisant des couches alternatives des engins brisés, des pores et des cadavres : le feu dura trois jours[34].

Damiette rendue, le traité serait-il mieux observé à l'égard des prisonniers ? La chose était douteuse. Un des Sarrasins qui avaient pris part au massacre des malades était venu sur la galère où était Joinville, et montrait son épée sanglante, se vantant d'avoir tué pour sa part six chrétiens. Ce jour-là, dit Joinville, nous ne mangeâmes pas du tout, ni les émirs non plus ; mais ils furent en dispute tout le jour. Ceux-ci disputaient s'ils tueraient ou non les autres. Un émir soutenait fortement l'opinion qu'il leur fallait tuer le roi et les seigneurs. C'était, disait-il, se donner, vu l'âge de leurs enfants, la sécurité pour quarante ans. Mais, disait un Mauritanien, si nous tuons le roi après que nous avons tué le soudan, on dira que les Égyptiens sont les plus mauvaises gens et les plus déloyaux du monde. L'autre confessait que l'on avait méchamment agi en tuant le soudan ; car Mahomet commande que l'on garde son seigneur comme la prunelle de ses yeux ; mais il y a un second commandement : En l'assurement de la foi, tue l'ennemi de la loi. Ce nouveau meurtre rachetait l'autre. La résolution en fut presque prise. Déjà un des émirs, qui était de cette opinion, était venu sur les bords du fleuve et, en agitant son turban, avait donné aux commandants des galères le signal de rebrousser chemin. Ils levèrent l'ancre et remontèrent le fleuve vers le Caire d'une grande lieue : les seigneurs se croyaient perdus ; et il y eut, dit Joinville, maintes larmes versées[35]. Ces appréhensions n'étaient pas vaines. Les historiens arabes confirment, à cet égard, le récit de Joinville. Aboul-Mohasser dit que l'émir Hassam-eddin, ce sage émir qui avait refusé la succession du sultan et reçu la mission de reprendre les conférences avec les chrétiens, proposa lui-même, contre le traité dont il avait été le négociateur, de retenir le roi, vu qu'il était le prince le plus puissant de la chrétienté, et qu'il y avait danger à renvoyer un homme qui avait pénétré dans le secret de leur gouvernement. Ce fut le nouvel atabec, Aïbec, et les autres émirs qui défendirent contre Hassam-eddin le respect de la foi jurée, et l'historien le regrette : il ne croit pas au sentiment d'honnêteté qui fit prendre cette résolution : L'avis d'Hassam-eddin était, dit-il, sans contredit le plus sage, et si les mamelouks le rejetèrent, ce fut par esprit d'intérêt, ne voulant pas être frustrés de la rançon qu'on leur avait promise[36]. Vers le soir donc l'avis contraire prévalut. Les galères descendirent le Nil, et abordèrent au rivage ; les prisonniers demandaient à rejoindre les leurs au plus vite ; mais on leur dit qu'on ne le ferait pas sans leur avoir donné à manger ; que ce serait une honte pour les émirs s'ils partaient à jeun des prisons ; et on leur apporta des beignets de fromage rôtis au soleil, et des œufs durs qu'en leur honneur on avait fait peindre de diverses couleurs[37].

On les mit enfin à terre, et ils allèrent à la rencontre du roi qu'on ramenait de la rive. Vingt mille Sarrasins, l'épée au côté, lui faisaient cortège. Les Français avaient envoyé pour le recevoir une galère de Gênes ; un seul homme s'y montrait. Mais quand il vit le roi au bord du fleuve, il donna un coup de sifflet, et aussitôt quatre-vingts arbalétriers s'élancèrent sur le pont, armés de toutes pièces et le carreau sur l'arbalète. Sitôt que les Sarrasins les virent, ils s'enfuirent tous comme des brebis, dit Joinville — il peut bien avoir peint leur retraite sous les couleurs que lui donnait la joie de sa délivrance. On jeta une planche à terre pour recevoir le roi sur la galère. Le comte d'Anjou son frère, Geoffroi de Sargines, Philippe de Nemours, maréchal de France, le maître de la Trinité et Joinville y montèrent avec lui. Le comte de Poitiers était gardé comme otage jusqu'au payement des deux cent mille livres que le roi devait donner pour la rançon avant de partir d'Égypte[38].

Ils étaient libres. Plusieurs pensèrent qu'ils n'en seraient pas bien assurés tant qu'ils n'auraient pas revu la terre de France. Le comte de Soissons et quelques autres vinrent donc dès le lendemain (samedi 7 mai) prendre congé du roi. Le roi leur dit qu'il lui semblait qu'ils feraient Men d'attendre que le comte de Poitiers fût délivré : c'est pour eux qu'il était encore prisonnier, c'est d'eux tous qu'il était l'otage.. Mais ils dirent qu'ils ne le pouvaient pas ; que leurs galères étaient tout appareillées : et ils partirent, emmenant avec eux Pierre de Bretagne, qui était venu expier, avec saint Louis, dans la guerre sainte, les guerres civiles dont il avait été le principal auteur durant sa minorité. Gravement atteint de la maladie épidémique, il mourut en mer trois semaines après son départ[39].

Saint Louis ne se regardait point comme libre, tant qu'il n'aurait pas rempli tous ses engagements. Il aurait bien eu cependant le droit de s'en tenir peur affranchi, par la conduite des Sarrasins à Damiette. Le roi n'avait pas attendu jusque-là pour protester contre le massacre des malades. Dès qu'il l'eut appris, il envoya frère Raoul vers Actaï pour lui exprimer son étonnement et lui porter sa plainte sur cette sanglante violation du traité. Frère Raoul, répondit Actaï, dites au roi qu'à cause de ma loi je n'y puis remédier, et cela me pèse ; mais dites-lui de par moi de ne faire nul semblant qu'il en soit irrité tant qu'il est entre nos mains : car ce serait un homme mort. Il ne lui refusait pas le droit de s'en souvenir quand il serait à Acre. Lorsque le roi fut tiré de leurs mains, son frère y était encore. Il dut donc renoncer à poursuivre une satisfaction impossible, et pour sa part exécuter les conventions.

On commença à faire le payement le samedi matin et on le continua toute la journée du dimanche. On payait à la balance, dix mille livres à la fois. Comme il manquait trente mille livres, Joinville donna au roi le conseil de les demander aux Templiers. Le grand maître était mort : c'est au commandeur et au maréchal du Temple que Joinville, par ordre du roi, s'adressa à défaut du grand maître. Mais ils objectèrent qu'ils n'avaient d'argent qu'en dépôt, et qu'ils faisaient serment de ne le donner qu'à ceux dont ils l'avaient reçu.

Les Templiers ne pouvaient rien prêter de cet argent, mais on pouvait le leur aller prendre. Joinville s'en chargea. Il s'en vint en la maîtresse galère du Temple, et descendit dans la cale où était le trésor, invitant le maréchal à le suivre pour voir ce qu'il prendrait : Le maréchal s'y refusa, disant qu'il se bornerait à constater la violence. Joinville descendit donc et demanda au trésorier de lui donner les clefs d'une huche qui était devant lui ; l'autre le rebuta. Qui était cet homme maigre et décharné, encore couvert de l'habit de sa prison ? Il ne daignait même pas s'en enquérir. Mais Joinville, ramassant une cognée, dit qu'il en ferait la clef du roi. Sur ce mot, le maréchal, le prenant par le poing, lui dit : Sire, nous voyons bien que c'est violence que vous nous faites. Sa conscience était dès lors à couvert : il lui fit remettre les clefs. La huche renfermait un dépôt de Nicolas de Choisy, sergent du roi. On en tira tout ce qu'elle contenait d'argent. Joinville le reçut sur le vaisseau qui l'avait amené, et quand il revint à la galère du roi : Sire, dit-il, regardez comme je suis garni ; et le saint homme, ajoute-t-il, me vit bien volontiers et en eut une grande joie[40].

Le payement put ainsi s'achever. Il y eut difficulté encore. L'argent pesé, les Sarrasins ne voulaient pas rendre le comte de Poitiers avant que les sacs fussent dans leur demeure. Les seigneurs voulaient que le comte revînt avant que l'argent fût emporté. Saint Louis ordonna de le remettre, puisqu'il l'avait promis, ajoutant que pour eux ils verraient s'ils voulaient manquer à leurs promesses. Un trait marque encore la délicatesse de saint Louis envers des gens qui pourtant avaient déjà faussé leur foi. Philippe de Nemours dit avec un malin plaisir au roi que les Sarrasins s'étaient laissé tromper d'une pesée de dix mille livres. Saint Louis se fâcha et dit qu'il voulait qu'on leur rendît ces dix mille livres, puisqu'il en avait promis deux cent mille avant de quitter l'Égypte :

Alors, dit Joinville, je marchai sur le pied de monseigneur Philippe, et dis au roi qu'il ne le crût pas, parce qu'il ne disoit pas vrai ; car les Sarrasins étoient les plus habiles compteurs qui fussent au monde. Et monseigneur Philippe dit que je disois vrai, car il ne le disoit que par moquerie. Et le roi dit qu'une telle moquerie étoit malencontreuse : Et je vous commande, dit-il à monseigneur Philippe, sur la foi, que vous me devez comme mon homme que vous êtes, si les dix mille livres ne sont pas payées, que vous les fassiez payer. (Ch. LXXVI.)[41]

Pendant que l'on faisait ce payement d'où dépendait la mise en liberté du comte de Poitiers, saint Louis montra par un autre exemple combien sa conscience était incapable de tout compromis. Un Sarrasin, de fort bonne mine et richement vêtu, vint lui offrir un présent, faisant en français son hommage. Le roi lui demanda où il avait appris le français, et cet homme lui avoua qu'il avait été chrétien. Allez-vous-en, lui dit saint Louis ; je ne vous parlerai plus ; et il le congédia ainsi, au risque de provoquer une inimitié fatale à la liberté de son frère. Joinville, qui était plus porté aux accommodements, tira ce personnage à part et lui demanda quelle était sa position. Il lui dit qu'il était né à Provins et venu en Égypte avec le roi Jean de Brienne ; qu'il s'y était marié et comptait parmi les grands seigneurs. Mais, dit Joinville, choqué lui-même de cette apostasie, ne savez-vous pas bien que si vous mouriez en ce point, vous iriez en enfer ?Oui, répondit l'autre, car il ne méconnaissait pas l'excellence et la vérité de la loi des chrétiens ; mais je redoute, si je retournais chez vous, la pauvreté et le reproche. Toujours on me dirait : Voilà le renégat ; et j'aime mieux vivre riche et tranquille que de me mettre dans cette situation. Joinville lui dit qu'au jour du jugement, là où chacun verrait son péché, le reproche serait bien plus grand ; et il ajouta beaucoup d'autres bonnes paroles qui guère ne valurent. Il se départit de moi, continue-t-il, et jamais depuis je ne le vis[42]. Saint Louis, du reste, était loin de rejeter les renégats. Il fit un édit pour défendre qu'on leur reprochât leur faute, de peur que cette note d'infamie n'en détournât plusieurs de revenir à la religion chrétienne, comme on l'avait vu par cet exemple[43].

Le payement achevé, le roi donna le signal d'aller rejoindre son vaisseau qui l'attendait en mer : car jusque-là fidèle à sa promesse, il s'était refusé à quitter le fleuve, quelque péril qu'il y courût de la mauvaise foi des Sarrasins au milieu de leurs vaisseaux[44]. On navigua l'espace d'une lieue en silence. On pensait au comte de Poitiers qui était encore aux mains des Sarrasins ; mais Philippe de Montfort, monté sur un vaisseau plus léger, vint annoncer au roi qu'il arrivait en vue. Le roi ordonna d'illuminer[45] ; le bonheur de le revoir jetait quelque rayon de joie sur le deuil de ce grand désastre.

 

 

 



[1] Matthieu Paris, t. VII, p. 92 ; Tillemont, t. III, p. 345.

[2] Voy. Matthieu Paris, t. VII, p. 108, et les lettres du pape et de Frédéric, résumées par Tillemont, t. III, p. 336 et suiv. Cf. H.-Bréholles, Introd., p. CCCXIX.

[3] Ch. LXXVIII. Cela ferait 7.294.975 fr. de notre monnaie. Tillemont, trouvant avec raison cette somme énorme, propose de lire 36.000 liv. (729.497 fr. 50 c.) (t. III, p. 336).

[4] Joinville, ch. LXXVIII.

[5] Il fut logé dans la demeure du scribe Fakr-eddin, fils de Locman, sous la garde de l'eunuque Sabih. On montre encore à Mansoura, dit M. Rifaud, la maison où il fut enfermé. (Voy. Reinaud, l. l., p. 463.)

[6] Le cuisinier pourtant se multipliait auprès de lui ; et, à défaut de son office ordinaire, lui rendait tous les services que réclamait son état. Voy. Confesseur de Marguerite, t. XX, p. 80.

[7] Geoffroi de Beaulieu, ch. XXV, t. XX, p. 16, et G. de Nangis, p. 379.

[8] Joinville, ch. LXXIX. Au contraire, Aboulmahassen, dit M. Reinaud, rapporte, d'après Saad-eddin, qu'un jour le sultan envoya par honneur au roi de France et aux seigneurs qui étaient avec lui, des khilas ou habits d'honneur, au nombre de plus de cinquante. Tous les revêtirent, excepté lui ; il répondit qu'il était aussi riche en domaines que le sultan, et qu'il ne lui convenait pas de revêtir les habits des autres. Le lendemain, suivant le même Saad-eddin, le sultan ayant invité le roi à un festin splendide, ce maudit refusa d'y assister, prétendant qu'on voulait le donner en spectacle et le couvrir de ridicule.

On lit dans la chronique syriaque d'Aboulfarage une autre particularité qui mérite d'être rapportée ; c'est que, sur ces entrefaites, la reine, femme du roi de France, qui était restée à Damiette, ayant accouché d'un fils, le sultan envoya de riches présents à la mère, avec un berceau d'or et des vêtements magnifiques pour l'enfant. (Bibl. des croisades, t. IV, p. 464.)

[9] Jean du Vignay dans sa trad. de Primat, t. XXIII, p. 65 g, et Boniface VIII dans son premier sermon sur la canonisation de saint Louis.

[10] Guillaume de Chartres, ch. XXV. t. XX, p. 16.

[11] Voy. le Confesseur de Marguerite, p. 66. Il le rapporte, il est vrai, au temps de son séjour dans la Terre Sainte.

[12] Chap. LXVIII.

[13] Joinville, ch. LXV : Ce dont le légat, continue-t-il, se courrouça très-fortement contre moi parce qu'il n'étoit demeuré avec le roi de riche homme (baron) que moi.

[14] C'est celui qui avait ai vigoureusement attaqué seul et mis en fuite une troupe embusquée de huit Sarrasins.

[15] Joinville, ch. LXV.

[16] Makrîzi, cité par Reinaud, Bibl. des croisades, t. IV, p. 464.

[17] Ch. LXVI.

[18] Ch. LXVI.

[19] Joinville évalue le million de besants à 500.000 liv. en nombre rond ; et c'est par suite de la même façon de compter qu'il parle plus bas et des 100.000 liv. (200.000 besants, remis par le sultan au toi) et du payement qui fut fait de la moitié de la rançon avant le départ, 10.000 liv. par 10.000 liv. M. de Wailly a montré qu'il ne pouvait être question que de livres tournois et non de livres parisis : le besant étant évalué en plusieurs comptes, dans l'un à raison de 8 s. tournois (compte de la Pentecôte 1282, olim., t. II, p. 197), dans un autre à raison de 7 s. parisis ou 8 s. 3 d. tournois. (Note de l'édition de Joinville, publiée chez MM. Didot, p. 461-462.) J'irai plus 10in et je crois qu'on peut dire que les 800.000 besants que devait payer saint Louis ne furent guère évalués à un taux supérieur. En effet, dans deux comptes qui donnent les dépenses faites par saint Louis durant son voyage d'outre-mer, la somme payée en 1250 pour sa rançon figure pour 167.102 l. 18 s. 8 d. (Histor. de Fr., t. XXI, p. 404 et 513), ce qui, pour 200.000 besants., réduit la valeur du besant à 8 s. 4 d. ¼ tournois.

[20] Joinville, ch. LXVII ; Continuateur de Guillaume de Tyr, ch. LXVII, p. 617 ; cf. Guillaume de Nangis, p. 379. Il dit VIII mille besants : mais les éditeurs supposent avec raison, malgré la concordance du texte latin et du texte français, que le mot cent a été omis à l'origine entre vin et mille : c'est à 800.000 besants qu'a été réduite la rançon après la remise des 100.000 l. (200.000 besants) faite par le sultan ; en francs : 8.105.528. — Le roi avait défendu à ses barons de traiter en particulier de leur rançon, de peur que ces transactions où les plus riches auraient trouvé leur délivrance ne rendissent impossible celle des pauvres. Il se chargera de traiter pour tous et de les délivrer tous à ses propres frais (voy. Confesseur de Marguerite, p. 89).

[21] Aboulféda, dans les Hist. arabes des croisades, t. I, p. 128.

[22] Reinaud, t. IV, p. 468.

[23] Tillemont, t. III, p. 354, et les auteurs arabes qu'il cite.

[24] Il y a quelques variétés dans les détails donnés par les divers historiens arabes ou français sur cette scène. Voy. pour les historiens français Joinville et Guillaume de Nangis ; pour les historiens arabes les extraits de Reinaud, Bibl. des croisades, LV, p. 468, et Aboulféda dans les Hist. arabes des croisades, t. I, p. 129.

[25] Voy. Ducange, 22e dissertation sur l'histoire de saint Louis.

[26] Guillaume de Nangis, p. 381 ; Confesseur de Marguerite, p. 67.

[27] Guillaume de Chartres, p. 31 ; cf. Continuateur de Guillaume de Tyr, ch. LXVII, p. 618.

[28] Joinville, ch. LXX.

[29] Voy. Aboulféda dans les Hist. arabes des croisades, t. I, p. 129 ; Reinaud, l. l., p. 471, 472. C'est le nomade Chedjer-eddor qui fut inscrit sur les monnaies sous cette forme : La Mostacémienne (servante d'El-Mostacem, calife de Bagdad), la saléhienne (servante d'El-Malec-es-Saleh, son époux), la reine des musulmans, la mère d'El-Malec-el-Mansour Khalîl. Elle avait eu de Saleh-Ayoub un fils qui était mort en bas âge et qui s'appelait Khalîl. Le seing manuel, qu'elle apposait aux lettres patentes et aux ordonnances, portait ces mots : La mère de Khalîl (Aboulféda, ibid., p. 129).

[30] Joinville, ch. LXX. Lettre de saint Louis. Duchesne, t. V, p. 430.

[31] Anonyme de Saint-Denys, p. 55 ; Guillaume de Nangis, p. 381 ; Confesseur de Marguerite, p. 67 ; cf. Extrait d'un vieux lectionnaire, t. XXIII, p. 163, et Jean du Vignay qui a tout un discours pour en exposer les raisons, ibid., p. 67.

[32] Joinville, ch. LXXI.

[33] Joinville, ch. LXXII.

[34] Joinville, ch. LXXII.

[35] Joinville, ch. LXXIII.

[36] Reinaud, Bibl. des croisades, t. IV, p. 473.

[37] Joinville, ch. LXXIV.

[38] Joinville, ch. LXXIV.

[39] Joinville, ch. LXXV.

[40] Ch. LXXV.

[41] Les comptes de l'année 1250 établissent qu'il fut payé 187.102 l. 18 s. 8 d. tournois pour la rançon du roi (Histor. de Fr., t. XXI, p. 404 et 513). C'est ce que valaient les 400.000 besants à payer avant de quitter le Nil à raison de 8 s. 4 d. ¼ tournois le besant, valeur fort rapprochée de celles qui se retrouvent dans d'autres comptes. Il n'est porté ni dans cette année ni dans les suivantes, ni dans le détail des dépenses faites outre-mer aucune somme complémentaire pour la rançon du roi : ce qui confirme ce qui est dit par les historiens, comme nous le verrons plus tard, que les émirs d'Égypte ayant violé le traité par le massacre de la plupart des prisonniers, dont les 400.000 besants à payer étaient la rançon, le roi, dans les trêves qu'il conclut avec eux, se fit libérer de la somme dont il restait redevable. Ducange, qui connaît ce chiffre de 187.102 l. 18 s. 8 d. tournois donnés pour la rançon de saint Louis, conjecture que c'est la somme payée sur les dépenses de son hôtel et que le reste fut pris sur les dépenses de la guerre (Dissertation XX sur la rançon de saint Louis, p. 80). Mais la somme est précisément portée en dehors des dépenses de l'hôtel et des dépenses de la guerre qui sont comptées à part.

[42] Ch. LXXVII.

[43] Tillemont, t. III, p. 379.

[44] Joinville, ch. LXXVI ; Confesseur de Marguerite, p. 89.

[45] Joinville, ch. LXXVI.