I. — Saint Louis en Chypre. La première croisade de saint Louis fut malheureuse, et ce malheur aurait été prévenu peut-être par un plan mieux conçu et exécuté avec plus de décision. Mais si la conduite de cette campagne peut accuser l'habileté militaire du saint roi, il y montra un si grand caractère, énergie dans les revers et les souffrances, dignité dans la captivité, dévouement à ses compagnons de guerre et d'infortune, qu'il en sortit plus grand et plus glorieux : gloire peu goûtée, encore moins enviée du jeune et fameux général qui a fait la critique de cette expédition avec une autorité pleinement justifiée par l'éclat de ses victoires sur le même théâtre[1]; mais qu'on ne peut louer de la même sorte, quoi qu'il dise, pour la pensée qui le jeta dans cette aventure et pour la façon dont il en sortit. A ce double point de vue le vaincu de Mansoura peut soutenir la comparaison avec le vainqueur des Pyramides et d'Aboukir. Le but de la croisade était l'Égypte. Depuis l'expédition manquée de Philippe-Auguste et de Richard Cœur de Lion, on était dans la pensée que, pour avoir Jérusalem, il fallait la reconquérir au siège même de la puissance qui l'avait ravie aux chrétiens. C'est en Égypte que le roi titulaire de Jérusalem, Jean de Brienne, avait conduit les croisés pour se rouvrir le chemin de sa capitale ; c'est par un traité avec l'Égypte que Frédéric II se l'était fait remettre et qu'il put s'y couronner roi. Jérusalem, après les nouvelles vicissitudes que nous avons signalées, étant retombée aux mains des Égyptiens, c'est par une campagne en Égypte que saint Louis voulait la rendre aux chrétiens avec des gages qui la leur assurassent désormais. Une telle entreprise demandait de grands efforts. La campagne pouvait être longue. Saint Louis avait choisi pour base d'opération l'île de Chypre, et ne comptant pas trop sur les ressources que lui offrirait le pays où il portait la guerre, il avait, durant deux années, fait transporter dans cette île du vin, du blé et toutes sortes de provisions : Les celliers du roi, dit Joinville, étoient tels, que ses gens avoient fait, au milieu des champs, surale rivage de la mer, de grandes moies (tas) de tonneaux de vin qu'ils avoient achetés dès deux ans avant que le roi vînt, et ils les avoient mis les uns sur les autres, de sorte que quand on les voyoit par devant il sembloit que ce fussent des granges. Les froments et les orges, ils les avoient mis par monceaux au milieu des champs, et quand on les voyoit il sembloit que ce fussent des montagnes ; car la pluie qui avoit battu les bleds depuis longtemps les avoit fait germer par-dessus, si bien qu'il n'y paraissait que l'herbe verte. Or il advint que quand on les voulut mener en Égypte l'on abattit les croûtes de dessus avec l'herbe verte, et l'on trouva le froment et l'orge aussi frais que si on les eût nouvellement battus (ch. XXIX). Saint Louis débarqua en Chypre dans la nuit du 17 au 18 septembre 1248. Il aurait voulu n'y rester que' le temps de rallier sa flotte, éprouvée dans la traversée par une tempête, et ceux qui, ides divers ports, avaient dans le même temps mis à 'la voile pour faire la campagne avec lui. Mais un plus grand nombre se disposaient 'à le suivre, qui n'étaient point partis encore. Les princes et les barons le décidèrent par leurs instances à les attendre. C'était une faute. On fut amené par là à passer l'hiver en Chypre. La difficulté de retrouver des vaisseaux — on ne les avait qu'en location et pour la traversée — fit qu'on ne se trouva pas en mesure de repartir quand il l'eût fallu, dès le commencement de l'année. D'autres retards s'ajoutant à celui-là l'expédition déjà compromise fut décidément ruinée. Le roi de Chypre, Henri Ier, qui prenait alors, de l'aveu du pape et avec l'assentiment des barons, le titre de roi de Jérusalem, reçut avec grand honneur saint Louis et le fit demeurer à Nicosie sa capitale[2]. Jamais on n'avait vu en Chypre prince d'Occident si bien accompagné. C'était, il est vrai, le digne roi des Francs. L'empereur Frédéric II, qui s'était aussi arrêté dans l'île, n'avait rien eu qui soutînt la comparaison avec un si grand appareil. Aussi le renom de saint Louis se répandit-il au loin, et, plus tard, quand Rubruquis (Ruysbrœk) pénétra au fond de l'Asie, un Tartare lui disait que le plus grand souverain, ce n'était pas l'empereur, mais le roi de France. Saint Louis cherchait moins à frapper l'imagination des hommes qu'à les gagner à lui et à les tourner au bien ; et ce temps passé en Chypre, si fatalement pour le succès de l'expédition, ne fut point perdu pour toute chose. On y ressentait autour de lui la bonne influence qui émanait comme naturellement de sa personne. Il allait faire la guerre aux infidèles : mais il y avait guerre, il y avait au moins des haines et des rivalités qui pouvaient aboutir à la guerre parmi les fidèles qu'il venait défendre ; rivalité entre les Grecs et les Latins, rivalité entre les princes chrétiens de l'Orient, et même et surtout entre les ordres religieux de Palestine. Les Templiers et les Hospitaliers, on l'a vu, ne se haïssaient guère moins que les infidèles : faisant leurs guerres et leurs traités isolément et le plus souvent en sens opposé ; de telle sorte que si les uns étaient en guerre les autres étaient en trêve avec celui qui était pourtant l'ennemi commun. Le roi d'Arménie et les princes d'Antioche se querellaient les armes à la main en présence des Turcs et des Tartares. Enfin entre les Grecs et les Latins il y avait, non pas la guerre comme entre les Latins établis à Constantinople et ceux qu'ils en avaient chassés, mais des rapports de mépris et de haine, les Grecs étant condamnés à vivre sous le joug des Latins qui les dominaient. Saint Louis s'efforça d'ôter les causes de cette irritation et de faire cesser ces discordes plus funestes aux chrétiens que toute la puissance de leurs ennemis. Déjà Innocent IV s'était inquiété de cette oppression des Grecs par les Latins, et son légat venait de faire rappeler en Chypre l'archevêque grec qui en avait été banni ; il rentrait en promettant obéissance à l'Église romaine[3]. Selon une ancienne chronique, ce fut saint Louis qui fit cesser le schisme[4] ; on peut croire au moins qu'il contribua beaucoup à adoucir ce qu'il pouvait y avoir de froissement encore dans ce rapprochement que l'état des choses plus que la disposition des esprits avait amené. Il travailla aussi à réconcilier les Templiers et les Hospitaliers ; et pour ramener l'unité dans la direction de la guerre, unité ai souvent rompue par les négociations séparées des deux ordres avec les Musulmans, un jour que le grand maître du Temple lui faisait savoir qu'un envoyé du sultan d'Égypte l'était venu trouver pour s'enquérir si le roi voulait faire la paix, saint Louis s'en indigna — on disait que les Templiers avaient eux-mêmes provoqué cette ambassade — et il écrivit au grand maître pour lui défendre de recevoir aucun messager sans son exprès commandement[5]. Sa présence eut au moins pour effet de ramener les deux ordres rivaux à une action commune. Il reçut aussi les ambassadeurs du roi d'Arménie et du prince d'Antioche. Sur la demande du premier, il s'entremit pour rétablir la paix entre eux, et le prince d'Antioche aurait eu mauvaise grâce de lui résister : car il avait sollicité de lui des secours contre les Turcomans, et saint Louis lui avait donné six cents arbalétriers. Le roi lui rendit un plus grand service en l'amenant à faire, avec son rival, une trêve qui reportait tons leurs efforts contre les Musulmans. L'union des chrétiens d'Orient, ainsi rétablie par saint Louis, aurait pu relever leur fortune : car l'ennemi à qui ils avaient affaire était lui-même divisé. Le sultan ou soudan d'Égypte, Saleh-Ayoub, avait triomphé de la ligue des princes de Syrie et des chrétiens, grâce à la diversion des Karismiens ; et à la suite de la bataille de Gaza, il avait reconquis la Palestine, Damas et une partie de la Syrie. Mais les princes syriens s'étaient relevés. Les Karismiens, on l'a vu, avaient été presque entièrement détruits ; et Saleh-Ayoub venait de recommencer la guerre contre le prince d'Alep, lorsqu'il apprit l'arrivée de saint Louis en Chypre. Il s'arrêta, se croyant menacé. Quand il sut que saint Louis se proposait d'hiverner dans cette contrée, il continua sa marche, voulant contraindre le prince d'Alep à se joindre à lui contre les chrétiens, ou s'en débarrasser. Il vint avec une puissante armée à Gaza — saint Louis en fut averti par un message des Templiers et des Hospitaliers —, il traversa Jérusalem et se dirigea vers la Syrie, parlant toujours de ses projets d'accommodement. Le Calife, le Vieux de la montagne les appuyaient ; car de cet accord semblait dépendre la fortune des ennemis de la croix. Mais le prince d'Alep ne se fiait pas à des propositions apportées en si grand appareil. La guerre se continua donc entre eux : le sultan d'Égypte faisant effort pour reprendre la Chamelle et le prince d'Alep pour la garder. La difficulté du siège, peut-être l'intervention du Calife et sans doute aussi une maladie et la nécessité d'en finir, pour aller tenir tête à saint Louis, amenèrent le sultan d'Égypte à s'accommoder avec son rival, à des conditions probablement moins favorables qu'il ne l'avait espéré[6]. Tandis que les Musulmans sentaient le besoin de s'unir contre le roi de France, les Tartares lui envoyaient une ambassade : ambassade qui fit grand bruit alors, et dont plus tard on contesta l'origine et, si je puis dire, l'authenticité, mais qu'il convient d'admettre en la réduisant à ses vraies proportions. Ce ne fut pas le successeur de Genghis-Khan, mais ce fut, selon toute apparence, un de ses officiers en Asie, qui, apprenant l'expédition des Francs contre les Turcs, ennemis communs des deux races, lui envoya, comme au nom du Khan, une députation pour former avec lui des relations amicales. Il lui mandait qu'il était prêt à l'aider à conquérir la Terre Sainte et à délivrer Jérusalem des mains des Sarrasins[7]. Il était d'ailleurs de l'intérêt des Tartares, au moment où ils s'apprêtaient à porter un coup mortel au califat de Bagdad, de voir ses sectateurs d'Égypte et de Syrie retenus par l'invasion de saint Louis. Il n'est pas impossible que cet officier, nestorien peut-être, ait flatté saint Louis de l'espoir de convertir sa nation : sur ce chapitre, on était assuré de trouver le roi prêt à tout dans son zèle trop crédule. Ce qui n'est pas douteux, c'est que saint Louis répondit avec empressement à cette démarche. Il envoya de son côté des ambassadeurs au khan des Tartares ; il lui faisait porter par eux, à titre de présents, fine tente faite en guise de chapelle, d'écarlate fine, et par conséquent d'un grand prix. Afin de les attirer à notre croyance, il y avait fait tailler en image l'Annonciation et les principales scènes du Nouveau Testament : la Nativité, le Baptême de Notre-Seigneur, la Passion, l'Ascension, la descente du Saint-Esprit ; il y avait joint des calices, des livres, et tout ce qu'il fallait pour chanter la messe, avec deux frères prêcheurs pour leur enseigner ces mystères[8]. Les messagers restèrent deux ans en route, et leur voyage, au moins, put donner des Tartares une idée plus juste qu'on n'en avait alors[9]. Le roi reçut, vers ce temps-là une autre visite encore : c'était l'impératrice de Constantinople qui venait solliciter son appui contre les ennemis dont cette grande ville était environnée. Arrivée à Baffe (Paphos) elle avait mandé à Joinville et à Erard de Brienne de l'y venir prendre ; et notre historien nous raconte la détresse où il la trouva. Après son débarquement, le vent avait rompu les ancres de son vaisseau qui avait été poussé vers Acre, et l'impératrice était restée sur le rivage, n'ayant de tout son harnais que la chappe dont elle était vêtue et un surcot de table. Joinville la présenta au roi et à la reine à Limassol ou Limisso, et le lendemain il lui envoya du drap et de la fourrure de vair, dont elle se put faire un vêtement plus convenable, et du cendal (taffetas) pour le doubler. La princesse ne pouvait pas espérer qu'elle détournerait saint Louis de son expédition ; pourtant, elle fit si bien qu'elle obtint d'une centaine de chevaliers et notamment de Joinville, l'engagement de se rendre à Constantinople, si le roi, à son retour d'outre-mer, y voulait envoyer trois cents chevaliers : engagement que Joinville aurait voulu tenir plus tard ; mais saint Louis se déclara hors d'état de remplir la condition que les chevaliers y avaient mise. L'impératrice partit pour la France quand saint Louis fut en Égypte[10]. Ces chevaliers, qui se montraient si prompts à aider cette grande infortune, avaient, du reste, eux-mêmes besoin d'être secourus. Saint Louis, pendant son séjour en Chypre, dut prêter de l'argent à plus d'un seigneur pour les aider à acquitter les engage monts contractés au départ[11]. Plusieurs avaient épuisé déjà les ressources qu'ils s'étaient procurées et durent s'adresser à saint Louis ; témoin Joinville : Moi, dit-il, qui n'avois pas mille livres de rente en terre, je me chargeai quand j'allai outre-mer de moi dixième de chevaliers, et de deux chevaliers portant bannière ; et il m'advint ainsi que, quand j'arrivai en Chypre, il ne m'étoit demeuré de reste que deux cent quarante livres tournois, mon vaisseau payé. A cause de quoi quelques-uns de mes chevaliers me mandèrent que si je ne me pourvoyois de deniers, ils me laisseroient. Et Dieu, qui onques ne me faillit, me pourvut en telle manière que le roi, qui étoit à Nicosie, m'envoya (pierre, et me retint (à ses gages) et me mit huit cents livres dans mes coffres ; et alors j'eus plus de deniers qu'il ne m'en falloit (ch. XXIX). C'est en raison de ce prêt, constituant une sorte de fief, que Joinville devint dès lors l'homme du roi. Au mois de février 1249, saint Louis songea (il en était grand temps) à entrer en campagne. Pour cela, il fallait retrouver des vaisseaux : il envoya au port d'Acre où il y en avait toujours ; mais ce n'était pas chose si facile que de les décider à se louer pour son entreprise. Les marchands de Venise, de Gênes et de Pise ne consentaient point à suspendre, pour si peu, leurs affaires : comme s'ils n'avaient pas intérêt plus que personne à sauver des Musulmans ces ports où ils faisaient, grâce aux croisades, un commerce si lucratif ! Il y avait de plus des querelles entre ces Italiens et les gens du pays, querelles qui allaient jusqu'à des luttes à main armée : le consul de Gênes y fut tué, et cette agitation, qui dura trois semaines, ne permit pas de rien conclure. Le 19 mars, saint Louis et le légat députèrent d'autres personnages pour calmer la sédition et obtenir des vaisseaux : c'étaient le patriarche de Jérusalem, l'évêque de Soissons, le comte de Jaffa, le nouveau connétable de France Imbert de Beaujeu, et Geoffroi de Sargines. On comptait partir vers le milieu d'avril (c'était bien tard déjà) et, en attendant, saint Louis, ne voulant pas manquer aux formes d'usage entre peuples civilisés, écrivit au sultan d'Égypte pour lui déclarer qu'il s'apprêtait à marcher contre lui, s'il ne se soumettait et ne lui faisait hommage. Les Musulmans ne pouvaient prendre cette démarche que pour une insulte. Le sultan en pleura, et ce qui ajoutait à sa douleur, c'est l'impuissance où sa maladie le réduisait personnellement. On disait que le prince d'Alep, attaqué par lui, avait gagné un de ses serviteurs pour l'empoisonner. Le sultan avait un ulcère à la jambe : le serviteur aurait enduit de poison une natte où le prince venait s'asseoir chaque jour pour jouer aux échecs ; et le venin, touchant sa Chair au vif, se serait insinué dans ses veines. On soupçonnait volontiers les Orientaux de crimes de ce genre. On assurait même que le sultan d'Égypte avait cherché à faire périr le roi et les principaux de l'armée chrétienne par le poison. Des émissaires arrêtés en Chypre avouèrent, disait-on, qu'on les avait chargés d'empoisonner les vivres[12]. Joinville et les principaux historiens de saint Louis n'en disent rien ; et quant au sultan, comme on rapporte que le poison lui ôta tout mouvement de la moitié du corps[13], on pourrait croire qu'il fut simplement frappé de paralysie. Quoi qu'il en soit, tout malade qu'il était, il ne laissa pas que de quitter Damas pour regagner l'Égypte : il expédia l'ordre de mettre Damiette en défense, se souvenant que dans la croisade de Jean de Brienne c'était là que les chrétiens avaient porté leur attaque. Il chargea l'émir Fakhr-eddin[14], qui avait commandé au siège de la Chamelle, de former un camp devant la ville. Mais les chrétiens pouvaient aussi se tourner vers Alexandrie, et le bruit courait à Damiette que c'est de ce côté que saint Louis voulait diriger ses efforts[15]. On y envoya également des troupes et des munitions. II. — Prise de Damiette. Saint Louis avait enfin des vaisseaux amenés d'Acre ou recrutés dans l'Archipel ; plusieurs seigneurs qui avaient passé l'hiver dans quelqu'une des îles de ces parages, ralliaient le gros de la flotte. Les provisions furent embarquées ; on embarqua même des instruments aratoires : mesure dont le sultan se moqua, promettant bien de ne pas laisser au roi de France le temps de recueillir le blé qu'il aurait semé[16]. Mais s'il paraissait établi que la Terre Sainte ne pouvait être gardée sans qu'on eût l'Égypte, la précaution n'était pas si mauvaise et elle semble indiquer la pensée de s'établir dans le pays. On avait voulu s'embarquer à la mi-avril, on ne le put faire que le 13 mai au soir, jour de l'Ascension. Le roi de Chypre accompagnait saint Louis[17]. Jamais flotte plus considérable ne s'était montrée dans ces mers. Elle comptait cent vingt gros vaisseaux, sans les galères et les embarcations de moindre tonnage ou les bateaux plats construits en Chypre pour aborder sur la plage de l'Égypte. A les comprendre toutes, il n'y avait pas moins de seize à dix-huit cents voiles, portant deux mille huit cents chevaliers et un nombre proportionné d'autres gens[18]. Jusqu'à l'embarquement, le secret avait été gardé sur le point où l'on devait descendre ; on disait même généralement que l'on irait à Alexandrie, et la nouvelle, nous l'avons vu, s'en était répandue en Égypte. Lorsqu'on fut en mer, l'ordre fut donné de se diriger sur Damiette. Mais on n'était pas encore parti. Tout le monde ne se trouvait pas prêt, et le vent se montrait contraire ; on n'était pas à la hauteur de Paphos, qu'il fallut revenir à Limassol. Le samedi 22, on se remit en route : la mer, presque à perte de vue, était couverte de voiles ; mais le lendemain, jour de la Pentecôte, il s'éleva une tempête qui en dispersa la plus grande partie. Plusieurs furent chassés jusque vers Acre. Saint Louis était rentré au port, et il dut attendre encore huit jours avant de trouver un vent favorable ; c'est durant cette relâche forcée qu'il fut rejoint par G. de Villehardouin, prince d'Achaïe, et par le duc de Bourgogne, qui avait passé l'hiver près de lui en Morée : ils amenaient des vaisseaux et des troupes qui compensaient un peu ce qu'avait dissipé la tempête[19]. Enfin, le jour de la Trinité, 30 mai, la flotte put remettre à la voile, et le vendredi 4 juin, après une nuit qui ne fut pas sans péril, on se trouva en vue du rivage de Damiette[20]. Le roi réunit le conseil de ses barons, et plusieurs étaient d'avis d'attendre qu'il eût rallié un plus grand nombre de vaisseaux ; car il n'avait pas, disait-il, le tiers de ses gens. Mais saint Louis pensa tout autrement. Il lui parut qu'attendre, c'était laisser croire à l'ennemi qu'on hésitait, qu'on avait peur ; et puis il n'y avait là aucun port où l'on pût se réfugier en cas de mauvais temps ; et l'on avait assez éprouvé les effets des vents contraires pour n'en plus courir l'aventure. Ceux de Damiette étaient sur leurs gardes. Quatre galères, à l'apparition de la flotte du roi, avaient été envoyées à la découverte. On les avait enveloppées et trois furent coulées à fond par les machines, mais la quatrième s'échappant était venue annoncer à la ville que l'on avait devant soi le roi de France. Aussitôt on sonna la cloche et tout le monde courut au rivage pour s'opposer au débarquement. La ville de Damiette s'élevait entre la mer, au nord, qui en était à environ une demi-lieue, et à l'ouest le bras du Nil qui porte son nom. Elle était donc plus sur le fleuve que sur la mer. Elle était jointe à l'autre rive par un pont de bateaux ; et deux chaînes, dont les extrémités se rattachaient à deux tours, l'une tenant à la ville, l'autre au bord opposé, interceptaient à volonté l'accès du fleuve. Les Français jetèrent l'ancre devant la rade ; elle était bordée de vaisseaux et couverte de cavaliers et de soldats, qui faisaient retentir les airs du son de leurs cors et de leurs nacaires ou grosses timbales. On résolut de débarquer au lieu où était descendu Jean de Brienne en 1218, c'est-à-dire, sur la rive du Nil opposée à Damiette, ou plus exactement dans une île formée de ce côté par une dérivation du fleuve. L'ordre en fut donné pour le lendemain matin. Pendant la nuit, on se garda de toute surprise en allumant grand nombre de flambeaux ; les arbalétriers, disposés tout à l'entour, devaient repousser ceux qui tenteraient d'attaquer ou d'incendier la flotte. Le matin on leva l'ancre et on se dirigea vers l'île ; mais les Sarrasins s'y portèrent, prêts à repousser le débarquement en quelque lieu qu'on voulût l'opérer. Les grands vaisseaux ne pouvant s'approcher du bord, on se jeta dans les galères et dans les plus légères embarcations, pour avancer le plus loin possible vers la grève. Le roi descendit lui-même dans une barque avec le légat qui portait devant lui l'image de la vraie croix, comme on faisait jadis aux rois de Jérusalem dans les batailles. Devant, dans une autre barque, était l'oriflamme ou bannière de Saint-Denys. Les frères du roi et un grand nombre de barons et de chevaliers armés, ayant leurs chevaux auprès d'eux dans leurs barques, lui faisaient cortège ; et ils étaient eux-mêmes entourés d'arbalétriers qui, par leurs carreaux, devaient tenir l'ennemi à distance et favoriser le débarquement[21]. Joinville nous a laissé une vivante peinture de cette scène en décrivant comment lui-même s'y comporta. On lui avait promis une galère pour le débarquement ; mais il n'en put avoir, et il dut se contenter pour tous les hommes contenus dans son gros vaisseau, d'un vaisseau plus petit qu'il tenait de Mme de Baruth sa cousine, et où étaient ses huit chevaux. Le transbordement ne se fit pas sans péril. Ses gens s'étaient jetés dans la chaloupe qui plus plus, qui mieux mieux, c'est-à-dire en confusion, et les mariniers remontèrent au plus vite sur le gros vaisseau, croyant que le frêle esquif allait sombrer. On le déchargea et on procéda par ordre ; en trois fois, tous passèrent sans encombre. Quant à Joinville, revenu à son vaisseau, il mit dans sa petite chaloupe un écuyer qu'il fit chevalier, Hugues de Vaucouleurs, et deux très-vaillants bacheliers, Villain de Versey et Guillaume de Dammartin, qui avaient grande haine l'un contre l'autre. Joinville les fit se pardonner leur rancune et s'embrasser, mais il ne l'obtint qu'en faisant serment sur des reliques de ne les point mener à terre s'ils n'abjuraient leur ressentiment. Ils s'avancèrent alors et passèrent près de la barque où était le roi. Les gens du roi crièrent après eux, parce qu'ils allaient plus vite, leur enjoignant d'aborder à la bannière de Saint-Denys ; mais chacun avait été laissé libre de prendre terre où il voudrait' et comme il pourrait. Joinville donc passa outre et fit aborder devant un gros corps de Turcs[22]. La bannière de saint Louis abordait à peu près en même temps, au milieu d'une grêle de 'traits lancés de part et d'autre. Il fallait la soutenir. On eût voulu retenir le roi sur son vaisseau jusqu'à ce qu'on pût voir ce que ferait sa chevalerie qui allait à terre. Si elle succombait dans l'attaque, le roi, demeuré à bord, pourrait renouveler l'entreprise autrement. Mais le légat et les autres eurent beau dire, le roi n'y voulut rien entendre, il sauta dans la mer tout armé, ayant de l'eau jusqu'aux aisselles, l'écu au col, le heaume en tête, la lance au poing, et fut des premiers à terre. Il aurait couru sans plus attendre sur les Sarrasins, si ses prud'hommes qui étaient avec lui[23] n'eussent jugé plus sage d'attendre qu'on fût en nombre pour faire l'attaque avec plus de succès[24]. La première chose à faire était de se maintenir au rivage. C'était vaincre déjà que de résister aux assaillants. Les cavaliers turcs se précipitaient sur chaque groupe, à mesure qu'ils en voyaient se former. C'est ainsi qu'une troupe d'environ six mille hommes, piquant des éperons, se porta sur le point où Joinville venait de débarquer : mais Joinville et ses compagnons fichant la pointe de leurs écus dans le sable et y appuyant aussi le fût de leurs lances, leur opposèrent un mur solide tout hérissé de fer. Les cavaliers, voyant ces piques prêtes à leur entrer dans les flancs, tournèrent bride[25]. Les groupes se multipliaient sur tons les points. Le comte de Jaffa, entre autres, avait abordé près de Joinville, posté fièrement sur sa galère, qui était peinte dedans et dehors d'écussons à ses armes ; trois cents rameurs dont la place était marquée par une targe et un pennon également à ses armes, fendaient l'onde en cadence. Il semblait que la galère volât ; il semblait que la foudre chût des cieux au bruit des pennons agités, des timbales, des tambours et des cors sarrasins, qui retentissaient sur la galère. La galère ainsi lancée s'enfonça dans le sable, et le comte avec ses chevaliers, sautant dehors, vint se ranger près de Joinville, qui était un peu son parent, et dressa ses pavillons. A ce bruit, à cette vue, les Sarrasins, donnant des éperons, voulurent renouveler leur attaque. Mais se voyant aussi bien attendus, ils revinrent en arrière[26]. C'était enfin pour les chrétiens l'heure d'aller en avant. Leurs petits groupes commençaient à se rallier : Baudoin de Reims venait d'envoyer à Joinville son écuyer pour le prier de l'attendre, et bientôt ses hommes d'armes arrivaient avec lui. Saint Louis, à la tête de ses chevaliers, put donc marcher contre les Sarrasins. Un combat assez vif s'engagea. Mais l'ennemi, qui n'avait pu accabler les chrétiens dans le désordre du débarquement, n'était pas en état de supporter leur choc. Plusieurs émirs succombèrent, entre autres le gouverneur de Damiette. Fakhr-eddin et les autres regagnèrent la rive droite du Nil par le pont de bateaux. Les chrétiens les auraient poursuivis au delà si leurs chefs n'eussent redouté une embuscade ; car la nuit était noire. Ils restèrent donc maîtres de toute la rive occidentale du Nil, et en même temps leur flotte avait forcé l'entrée du fleuve en repoussant les vaisseaux des Sarrasins qui la gardaient[27]. Les ennemis avaient perdu beaucoup de monde ; les chrétiens au contraire eurent peu de tués. Parmi les blessés on compta Hugues de la Marche, qui se montrait toujours au premier rang comme pour effacer par l'éclat de sa valeur les souvenirs de sa révolte. Il succomba à ses blessures[28]. Saint Louis avait établi son camp sur le champ de bataille, théâtre de sa victoire. Il voulait avant tout achever le débarquement de ses troupes ; et il y fut aidé par les chrétiens échappés des prisons de Damiette. Ils avaient profité de ce que tout le monde était sorti contre les Francs pour sortir comme les autres et aller se mettre à leur service : par la connaissance qu'ils avaient des lieux, ils purent guider les mariniers vers les endroits qui se prêtaient le mieux à l'accostage. Les hommes et les chevaux mis à terre, saint Louis ne songeait qu'à tout préparer pour le siège de Damiette, et l'entreprise n'était pas facile. La ville, protégée par le Nil, était défendue par plusieurs enceintes de murailles : deux vers le Nil, trois vers la terre ; et ces murailles étaient comme hérissées de tours. Les chrétiens jadis l'avaient tenue assiégée du 24 août 1218 au 5 novembre 1219, et ne l'avaient réduite qu'à l'aide de la famine et de la peste ; or depuis ce temps on avait ajouté à ses fortifications. Mais les habitants étaient comme frappés de terreur par l'audace de ce débarquement, et tout secours leur semblait refusé. Depuis que la flotte chrétienne avait apparu, on en avait, par trois fois, envoyé la nouvelle par des pigeons messagers au sultan, que l'on disait arrivé de Damas à Achmoun ; et nulle réponse n'était venue. On le savait malade, on le crut mort ; et Fakhr-eddin, laissant à Damiette le corps des Kénana avec les habitants, partit pour se rendre, avec le reste de ses troupes, au lieu où l'on avait à décider du sort de l'Empire. Mais -les Kénana les suivirent, et les habitants, qui en tout autre temps auraient pu se défendre, s'effrayèrent en se voyant, après une défaite, abandonnés des troupes qui les devaient protéger. Ils tuèrent, en leur écrasant la tête, ceux des prisonniers chrétiens qui ne s'étaient point échappés de leur prison, et partirent après avoir mis le feu au quartier marchand, pour ôter à l'ennemi les richesses que l'on ne pouvait emporter. Grand dommage ! il advint de cette chose comme si quelqu'un demain (dont Dieu le garde) boutoit le feu au Petit-Pont[29]. Deux captifs échappés au massacre en apportèrent la nouvelle au roi. Il envoya un chevalier qui trouva en effet la ville déserte et pénétra jusqu'aux maisons abandonnées. Le roi fit chanter le Te Deum, et, montant à cheval, il dressa son pavillon auprès du pont que les Sarrasins avaient négligé de détruire. On en rétablit les abords, et les troupes furent envoyées dans la ville, le roi restant près du pont, afin de soutenir les siens, en cas d'embuscade. Mais il n'y avait pas d'embuscade. Tous les Sarrasins étaient vraiment partis, ne laissant que des morts. On éteignit le feu, on purifia la ville, et le roi, rapportant à Dieu ce triomphe inespéré, entra dans la place non en vainqueur, mais en pénitent, processionnellement, avec le légat, le patriarche de Jérusalem, les prélats, les religieux, tous pieds nus ; les barons et le reste de l'armée complétaient le cortège (6 juin). Dès son entrée, il se rendit à la mosquée déjà consacrée à Dieu, sous l'invocation de la sainte Vierge, lors de la prise de Damiette en 1219. On y chanta le Te Deum ; puis l'ancienne église, réconciliée et purifiée, futs rendue au culte, et saint Louis y établit un évêque avec des chanoines, comme pour prendre, au nom du Seigneur, possession de la ville qu'il lui avait livrée. III. — Séjour de saint Louis à Damiette. La fuite des habitants avait été trop précipitée pour qu'ils eussent pu détruire entièrement ce qu'ils étaient forcés de laisser après eux. Malgré l'incendie, une quantité considérable de vivres était restée dans Damiette, et beaucoup d'objets de valeur. Le roi réunit son conseil pour savoir ce qu'on en devait faire. Le patriarche de Jérusalem, qui parla le premier, fut d'avis que l'on gardât les vivres pour les besoins de la ville, et que le reste fût remis au légat pour qu'il en fît le partage. Chacun devait, sous peine des censures de l'Église, lui rapporter ce qu'il avait pris. Plusieurs s'en abstinrent sans doute. Les divers objets portés chez le légat ne furent pas estimés au delà de 6000 liv. Il fut décidé que le légat les garderait et donnerait l'argent pour être partagé d'une manière plus commode ; et le roi fit venir un brave chevalier, Jean de Valery, qu'il chargea de cette distribution. Mais il s'en excusa : Sire, dit-il, vous me faites grand honneur, merci à vous ! mais cet honneur et cette offre que vous me faites, je ne l'accepterai pas, s'il plaît à Dieu, car je déferois les bonnes coutumes de la Terre Sainte, qui sont telles, que quand l'on prend les cités des ennemis, des biens que l'on trouve dedans, le roi doit en avoir le tiers et les pèlerins en doivent avoir les deux tiers. Et cette coutume le roi Jean (de Brienne) la tint bien quand il prit Damiette ; et ainsi que les anciens le disent, les rois de Jérusalem qui furent avant le roi Jean tinrent bien cette coutume. Et s'il vous plaît que vous me veuillez bailler les deux tiers des froments, des orges, du riz e des autres vivres, je m'entremettrai volontiers pour les partager aux pèlerins. Le roi, ajoute Joinville, ne se décida pas à le faire, et l'affaire demeura ainsi ; d'où maintes gens se tinrent pour mal satisfaits de ce que le roi défit les bonnes coutumes anciennes[30]. Le sultan que l'on avait cru mort était vivant, et Fakhr-eddin le trouva furieux d'une fuite qui avait livré à l'ennemi les portes de l'Égypte. Fakhr-eddin était trop puissant et trop nécessaire dans l'état de santé où était le sultan pour subir le châtiment de sa faute : mais les émirs inférieurs payèrent pour lui. Les chefs des Kénana furent pendus au nombre de cinquante[31]. Après quoi le sultan se fit porter à Mansoura, cette ville élevée en 1221 par Malec-Camel, son père, contre l'invasion des premiers vainqueurs de Damiette[32]. Il voulait y défendre à son tour le chemin de sa capitale, si le roi de France tentait d'y aller. Il l'envoya même défier pour le 25 juin. Saint Louis répondit qu'il le défiait, lui, pour tous les jours, à moins qu'il ne se fît chrétien[33] : ce que le pieux roi voulait toujours espérer des infidèles et ce qu'il eût regardé comme la plus précieuse des conquêtes. En assignant bataille à saint Louis pour le 25 juin, le sultan comptait sur un auxiliaire qui lui devait arriver à jour fixe, le Nil ; le Nil dont la crue commence alors et qui n'eût pas tardé à ôter aux chrétiens tout moyen de reculer comme de marcher en avant. Saint Louis, grâce à sa fatale résolution de passer l'hiver en Chypre, à la nécessité de renvoyer ses vaisseaux, à la difficulté d'en retrouver et au temps qu'il avait fallu pour reprendre la mer ou opérer le voyage, était arrivé en Égypte au moment où il lui était impossible d'entrer en campagne. Après avoir volontairement passé l'hiver en Chypre, il se voyait donc forcé à passer l'été à Damiette. Il y aurait eu pourtant quelque chose à faire pendant l'inondation et à la faveur même de l'inondation. On avait, au début, hésité si l'on irait prendre Damiette ou Alexandrie ; et l'on s'était prononcé pour Damiette comme la plus rapprochée de la Terre Sainte, et pouvant le mieux servir, entre les mains des chrétiens, à protéger la Palestine contre les Turcs d'Égypte. Maintenant on avait à décider si l'on marcherait sur Alexandrie ou sur le Caire[34]. Mais l'attaque du Caire étant impossible, en raison de l'inondation, rien ne semblait plus naturel que de se tourner contre Alexandrie. L'impression de la chute de Damiette devait se faire sentir dans cette ville, et l'inondation devait rendre plus difficile les secours qu'elle pouvait attendre de l'intérieur du pays. Rien ne portait à croire que la prise d'Alexandrie aurait plus coûté que celle de Damiette, et les chrétiens eussent ainsi possédé les deux principales portes de l'Égypte sur la mer : l'une du côté de la Terre Sainte, l'autre du côté de l'Occident. Saint Louis aima mieux rester à Damiette pour attendre son frère Alfonse et les secours qu'il devait amener de France ; il se borna à fortifier la ville qu'il avait occupée. La reine s'y était logée avec la garnison destinée à protéger la place. Saint Louis s'était établi dans un camp au voisinage avec le reste de l'armée. On n'y était pas sans alerte. Le sultan avait à son service des Bédouins du désert qui rôdaient à l'entour et pénétraient pendant la nuit sous les tentes, décapitant les soldats endormis : on leur donnait deux besants d'or par tête ; ou bien encore ils se cachaient dans la campagne et surprenaient ceux qui s'aventuraient au dehors[35]. Après la Saint-Jean, il y eut même une tentative d'attaque plus générale. Le sultan avait envoyé ses troupes contre le camp des chrétiens. Saint Louis s'arma avec ce qu'on appelait ses bons chevaliers. : ou comme nous dirions son état-major ; c'étaient, on l'a vu, sept ou huit chevaliers ; parmi lesquels Geoffroi de Sargines, Philippe de Montreuil et Imbert de Beaujeu, connétable de France. Pour ne rien compromettre on avait interdit aux barons toute escarmouche ; et Joinville, qui en était venu demander la permission au roi, fut rudement repoussé par Jean de Beaumont. Jean de Beaumont lui enjoignit de ne pas sortir de sa tente qu'il n'en ait reçu le signal[36]. Un chevalier qui enfreignit la défense n'eut point à s'en louer : c'était un seigneur de la maison de Châtillon, nommé Gautier d'Autresche. Par une étrange bravade, il se fit armer dans sa tente, et quand il fut à cheval l'écu au cou, le heaume en tète, il fit lever les pans de son pavillon, et piquant des éperons se précipita tout seul sur les Turcs, au cri de Châtillon poussé par ceux de sa maison. Mais avant qu'il arrivât à l'ennemi, son cheval le renversa, et avant qu'il pût se relever, quatre Turcs, se jetant sur lui, l'accablèrent de leurs masses d'armes. On accourut du camp royal. Le connétable et plusieurs sergents relevèrent le blessé et le ramenèrent jusqu'à son pavillon. On le saigna des deux bras, mais tous les secours de l'art ne purent le ramener à la vie ; et le roi, l'apprenant, affecta de ne point le plaindre. Il déclara qu'il n'en voudrait pas avoir mille pareils qui voulussent agir contre son commandement[37]. Ce n'était pas seulement de cette indiscipline devant l'ennemi que saint Louis avait à gémir. L'inaction où les soldats demeuraient généralement ne leur était pas bonne. Les seigneurs dépensaient leur argent en festins magnifiques ; le peuple et des chevaliers aussi, sans doute, s'abandonnaient à des désordres encore plus coupables. Quand le pieux roi était parti de France, il avait dit à ses gens qu'ils se mettaient en campagne pour le service de Dieu ; qu'ils devaient donc mener une vie chaste, et que s'ils n'en avaient pas la force, ils le dissent : il était prêt à leur donner congé. Tous promirent, tous ne tinrent point parole[38]. Il y avait des lieux de débauche à un jet de pierre de la tente du roi[39]. Le roi d'ailleurs n'était pas maître en toute chose au milieu des siens. Plusieurs seigneurs avaient un droit de juridiction qu'ils entendaient exercer à leur manière ; et les gens mêmes du roi commirent des excès dont l'armée devait se ressentir par la suite. Au lieu d'user de débonnaireté envers les marchands à Damiette, ils leur louèrent les boutiques à tel prix que le bruit s'en étant répandu au loin, les étrangers s'abstinrent de venir, n'y trouvant plus leur avantage[40]. Autre chose regrettable : l'expédition se composait principalement de Français, mais des hommes d'autre race s'y étaient joints ; Car ce n'était pas une entreprise exclusivement nationale, c'était un acte de la chrétienté, une croisade. Les Anglais, qui avaient encore tant de relations étroites avec la France, s'y étaient surtout associés. Au mois d'août, Guillaume Longuépée, sire de Salisbury, avec plusieurs barons et une suite de deux cents chevaux, avait rejoint saint Louis à Damiette, et le prince les avait accueillis avec joie ; mais des querelles se mirent entre les seigneurs des deux nations. L'historien anglais prétend que les Français étaient jaloux de ses compatriotes pour un exploit qu'il est seul à raconter (les Français s'en sont-ils tus aussi par jalousie ?). Il ajoute qu'un autre jour les Anglais ayant pillé une caravane, le comte d'Artois leur enleva leur butin sous prétexte qu'ils étaient sortis sans permission. Il prétend même que, sur la plainte de Guillaume, saint Louis, tout en gémissant de cette violence, lui avoua qu'il n'avait pas assez d'autorité pour la réprimer, craignant une sédition[41]. Ce n'est pas la façon d'agir de saint Louis en pareil cas, surtout à l'égard de ses frères. Tout ce récit est donc suspect ; mais ce qui ressort des faits, c'est la mauvaise intelligence des Anglais et des Français dans cette vie commune. Guillaume, en effet, quitta l'Égypte pour se rendre en Palestine, où il espérait être rejoint par d'autres pèlerins de sa nation et accomplir avec eux quelque exploit dont ils eussent tout l'honneur ; mais le roi d'Angleterre s'opposa à de nouveaux départs, et Guillaume, sur l'appel de saint Louis, finit par lui revenir au moment où l'armée française s'avança dans l'intérieur de l'Égypte[42]. Ce ne devait pas être avant l'arrivée d'Alfonse de Poitiers, qu'attendait saint Louis ; et dès ce temps même Alfonse préparait tout pour son départ[43]. Le pape, l'empereur, bien qu'alors au plus fort de leur lutte, y prêtaient également la main. Le pape avait mis à sa disposition les sommes payées par les croisés pour le rachat de leur vœu et tout l'argent laissé par testament en France pour de bonnes œuvres dont l'objet n'était pas spécifié[44] ; et l'empereur, à qui il avait écrit pour obtenir la permission d'acheter des vivres en Sicile, s'était empressé de la lui accorder. Il lui fit même présent de cinquante chevaux, et d'une certaine quantité de provisions, protestant qu'il en aurait envoyé à saint Louis, qu'il lui aurait fait passer des troupes, qu'il les aurait amenées lui-même, sans les troubles que lui suscitait le pape. Alfonse s'embarqua au jour anniversaire de l'embarquement de saint Louis, le 25 août ; et comme il ne voyait rien d'urgent à faire en Égypte dans cette saison, il fit voile pour Acre, d'où il vint à Damiette le 24 octobre. Il n'y serait point venu, sans doute, et ne serait point parti de France si son départ avait été plus différé. Le 27 septembre était mort son beau-père Raimond VII, comte de Toulouse, engagé aussi à la croisade, mais qui, n'ayant pu partir avec saint Louis, s'était laissé, dit-on, détourner, lui, l'ancien ami de Frédéric, vers une croisade intérieure contre le comte de Savoie et d'autres soutiens de l'empereur. Il ne fit ni l'une ni l'autre, et mourut après avoir renvoyé, tant à Blanche qu'au pape, l'argent qu'il avait reçu pour les deux expéditions[45]. Sa mort laissait vacante cette grande succession que Blanche, par le traité de Meaux ou de Paris et le mariage de son fils Alfonse avec la fille du comte, avait assurée à la maison de France. Il n'est, pas téméraire de supposer, comme nous le faisions tout, à l'heure, qu'Alfonse, s'il s'était trouvé en France, aurait cru devoir y rester pour aller prendre possession de cet héritage. Mais son absence ne compromettait pas ses droits ; car sa mère était là pour recueillir en son nom ce qu'elle avait semé à son profit[46], et sa présence en Égypte allait enfin mettre saint Louis en mesure d'agir. A l'arrivée d'Alfonse, on mit de nouveau en délibération si l'on irait attaquer le Caire ou Alexandrie, et plusieurs, notamment Pierre Mauclerc, se prononçaient encore pour Alexandrie, donnant d'excellentes raisons qui auraient dû être décisives, quand l'inondation ne permettait pas de songer au Caire. Mais puisqu'elles avaient été alors sans effet, il était difficile qu'elles prévalussent, maintenant que la route du Caire était ouverte. Le comte d'Artois l'emporta donc sans grand'peine, en disant qu'il fallait aller au Caire parce que c'était le chef-lieu de l'Égypte, et que, qui veut tuer tout d'abord le serpent, lui doit écraser le chef. On ne lui répondit pas qu'il arrive bien aussi que le serpent mord au talon et qu'on ne lui écrase pas toujours la tête[47]. Saint Louis se décida pour le Caire[48]. On disait qu'une autre raison, qui ne fut pas dite au conseil, le détermina en ce sens : c'est qu'il y avait des intelligences, et que le gouverneur ou l'un des principaux de la ville, pour venger son frère mis à mort par le sultan à la suite de l'abandon de Damiette, promettait de lui livrer la place[49]. On partit le 20 novembre 1249. La nouvelle en fut portée rapidement à Mansoura, où le sultan était mourant. On dit que, dans cette extrémité, il essaya d'arrêter la marche de saint Louis par les propositions les plus avantageuses. Il lui offrait de lui livrer tout ce que les rois de Jérusalem avaient jamais possédé, de mettre les prisonniers chrétiens en liberté, de lui abandonner une somme énorme d'or et d'argent pourvu qu'il rendît Damiette et fit la paix[50]. D'autres disent même, ce qui est plus incroyable, qu'il lui eût laissé Damiette et son territoire ; d'autres (car on ne s'arrête pas dans cette voie) que le sultan et les principaux des Sarrasins, en traitant avec saint Louis, avaient résolu de se convertir. On a reproché vivement à saint Louis d'avoir rejeté, je ne dis pas ces dernières propositions, mais les premières, et rien, en effet, n'eût été plus à regretter si elles avaient été faites, ou si, étant faites, elles avaient eu quelque chance d'être exécutées ; mais en aucun cas saint Louis n'y pouvait avoir foi. Le sultan allait mourir : évidemment celui qui lui succéderait ne se serait point cru lié par sa parole, et l'on aurait perdu, pour de vaines espérances, un temps qu'il était urgent de mieux employer. La suite le montra bien. A la mort du sultan, l'émir qui tint sa place rompit toutes les négociations engagées. L'armée chrétienne se mit donc en marche à travers le Delta[51]. |
[1] Mémorial de Sainte-Hélène.
[2] Conrad, fils de Frédéric II, héritier du royaume de Jérusalem, étant absent, les Ibelins, ennemis de Frédéric, avaient fait décider que la reine Alix de Chypre aurait, en attendant, la garde du royaume (en 1240), comme la plus proche héritière de sa nièce la reine Isabelle. Après la mort d'Alix, Henri, son fils, lui succéda dans cet office. En 1247, le pape le délia du serment qu'il avait prêté à Frédéric II, et bientôt le reconnut comme seigneur du royaume de Jérusalem (17 avril 1247). Voyez Huillard-Bréholles, Hist. diplom., introd., p. CCCLVII et CCCLXVII ; cf. t. VI, p. 506. — Mélissende, sœur utérine d'Alix et alors veuve de Bohémond IV, parait avoir réclamé ces pouvoirs : elle s'adressa pour cela au Saint-Siège. Innocent IV manda à l'évêque de Tusculum, son légat, d'examiner les titres qu'elle pouvait avoir (29 mars 1249 ; Hist. diplom. de Frédéric II, t. VI, p. 709) ; mais cette réclamation n'eut pas d'autre suite. Voy. M. de Mas-Latrie, Histoire de l'île de Chypre sous le règne de la maison de Lusignan, t. I, p. 337. — Henri étant mort en 1253, transmit ses droits à un enfant, Hugues II, âgé de quelques mois. Une telle minorité laissait place à plusieurs générations de régents. Le titre en fut donné successivement à la mère du jeune roi, puis à sa tante Isabelle, mariée à Henri, fils de Bohémond IV, prince d'Antioche, et après la mort d'Isabelle, à son fils Hugues, qui, le jeune roi étant mort (novembre 1267), se fit couronner roi de Chypre (Hugues IV) et un peu après de Jérusalem (1269).
[3] Guillaume de Nangis, p. 358.
[4] Tillemont, t. III, p. 211.
[5] Guillaume de Nangis, p. 367-369. Le chroniqueur donne une raison plausible du mécontentement du roi : c'est que de pareilles démarches auprès des Sarrasins ne pouvaient que provoquer leur orgueil et les rendre plus mal disposés à toute transaction. Les chrétiens de Syrie le savaient bien. On disoit parmi Chipre, dit-il, cil qui connoissoient les pays de la terre de Surie, que li Syrien, combien que il fussent grevé, ne faysoient point prumiers mention ne paroles de trèves prendre ; mais lors le faysoient quant ils en estoient requis à grant instance. Et pour ce que li maistres en avoit pruimiers parlé, si comme on disoit, la condition des crestiens en estoit empiriée ; et mesmement pooient li Turs croire que li roys Loys ne se sentit plus foibles des Sarrasins, que il ne requesist pas trives ne pays (paix). Les Chroniques de Saint-Denys ajoutent à cette occasion : Tant avoit grant amour entre le soudan et le mestre du Temple, que quand il voloient estre sainiez ils se faisoient sainier ensemble et d'un meisme bras et dans une meisme escuelle. Allusion sans doute à une coutume orientale de mélanger son sang en signe d'alliance contractée. Pour tel contenance, continue-t-il, et pour plusieurs autres les crestiens de Surie estoient en soupeçon que le mestre du Temple ne feust leur contraire ; mais les Templiers disoient que telle amour monstroit il et telle honneur il portoit por tenir la terre des crestiens en pais et qu'elle ne feust guerroide du Soudan ne des Sarrasins. (Extrait du ch. XLVII dans les Hist. de France, t. XXI, p. 114.)
[6] Guillaume de Nangis, p. 367 ; cf. Aboulféda dans les Hist. arabes des Croisades, t. I, p. 124-125.
[7] Joinville, ch. XXIX.
[8] Joinville, ch. XCIII.
[9] Voy. Guillaume de Nangis, p. 359 et suiv. ; et sur les rapports d'Innocent IV (1246), puis de saint Louis avec les Tartares, C. d'Ohsson, Hist. des Mongols depuis Tchinguiz-Khan jusqu'à Timour-Bey, t. II, p. 187-244. Un des missionnaires d'Innocent IV était le cordelier Plan Carpin, dont la relation a été conservée ; un des envoyés de saint Louis, le jacobin André de Lonjumeau.
[10] Joinville, ch. XXX. Elle emportait avec elle des pouvoirs (octobre 1248) qui l'autorisaient à engager les terres de l'empereur Baudouin en France pour le payement des sommes qu'il avait empruntées (Layettes du trésor des Chartres, t. III, n° 3727). L'année suivante, par diverses lettres (janvier et février 1249), elle prie la reine Blanche d'acquitter plusieurs dettes sur l'argent qu'elle lui a confié (ibid., n° 3737, 3740, 3745).
[11] Voyez les lettres de reconnaissance des sires de Coucy, de Dampierre, de Chassenay (Némosie [Limassol], mai 1249, Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 3769-3771), et un peu plus tard celles de Gaucher de Châtillon, de Gui, comte de Forest (au camp devant Damiette, septembre 1249 ; ibid., n° 3810, 3811 et 3823).
[12] Guillaume de Nangis, p. 371.
[13] Joinville, ch. XXXI.
[14] Gloire de la religion.
[15] On le crut aussi dans l'armée de saint Louis. Voyez la lettre de Gui, chevalier du vicomte de Melun, dans les additions de Matthieu Paris, t. VI, p. 552.
[16] Voyez l'extrait de la relation de Jean, moine de Pontigny, dans Matthieu Paris, t. VI, p. 584, et Matthieu Paris, t. VII, p.18.
[17] Tillemont, t. III, p. 235 ; L. de Mas-Latrie, Hist. de l'île de Chypre sous les princes de la maison de Lusignan, t. I, p. 350.
[18] Guillaume de Nangis, p. 371 ; Joinville, ch. XXXII. Jean Sarrasin, chambellan de saint Louis, qui fut de l'expédition et qui écrit peu de jours après la prise de Damiette (le 23 juin 1249), en porte le nombre à deux mille cinq cents chevaliers, cinq mille arbalétriers et grand planté d'autres gens à pied et cheval. Voyez sa lettre publiée dans la continuation de Guillaume de Tyr, Hist. occid. des Croisades, t. II, p. 571. Elle avait été donnée pour la première fois (avec des additions) par MM. Michaud et Poujoulat dans leur Nouvelle collection de Mémoires pour servir à l'histoire de France, 1re série, t. I, p. 359-401. La difficulté pour arriver à préciser la force de l'armée royale, dit M. de Mas-Latrie, est de savoir si, sous le nom de chevaliers, Jean Sarrasin et Joinville comprennent indistinctement les bannerets et les bacheliers. Les bannerets réunissaient sous leur guidon un nombre de chevaliers-bacheliers quelquefois considérable, mais qui ne pouvait être moindre de deux ou trois, indépendamment des écuyers ; chacun des bacheliers, ou chevaliers vassaux, avait à son tour au moins un écuyer et un homme de service, compris parmi les autres gens à pied et à cheval, dont il y avait grand planté dans l'armée. On peut considérer ainsi que l'évaluation à deux mille huit cents chevaliers, faite par Joinville, représente un effectif combattant cinq ou six fois plus fort que ce nombre. Le corps des barons français aurait donc été à peu près de vingt à vingt-cinq mille hommes ; et, d'après une grave autorité, celle de Jacques de Molay, dernier grand maître du Temple, qui avait connu les chevaliers revenus de la campagne de Damiette, l'armée de saint Louis n'aurait pas même été si considérable. En comptant cependant vingt-cinq mille Français, en ajoutant à ce nombre mille chevaliers de Chypre, mille chevaliers de Jérusalem, le contingent des ordres militaires et ceux qui étaient venus de l'Angleterre, de la Morée, et probablement de l'Italie, on atteindrait peut-être, mais avec peine, le chiffre de cinquante mille hommes, que les calculs les plus acceptables des chroniques arabes donnent à l'armée débarquée en Égypte sous les ordres du roi de France. (Histoire de l'île de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lusignan, t. I, p. 350.)
[19] Guillaume de Nangis, dans les Historiens de France, t. XX, p. 371.
[20] Sur l'attaque et la prise de Damiette, voyez avec Joinville et Jean Sarrasin quatre lettres écrites de Damiette même par des compagnons de saint Louis : Robert, comte d'Artois, son frère, Gui, l'un des chevaliers du vicomte de Melun, Guillaume de Sonnac, grand maître du Temple, et Jean, moine de Pontigny. Elles ont été conservées par Matthieu Paris dans ses additions, p. 165-169, édit. 1640 ; t. VI, p. 549-565 de la traduction. Il faut préférer pour le débarquement la date du 4 juin, adoptée par Guillaume de Nangis (p. 371), à celle du jeudi après la Pentecôte (27 mai) donnée par Joinville (ch. XXXIII). C'est la date (vendredi après la Trinité) donnée par le comte d'Artois, qui y était comme Joinville, mais, de plus, qui l'écrivit à sa mère, trois semaines après, le 23 du même mois ; c'est ce que dit Jean Sarrasin dans sa lettre, qui est précisément de la même date ; c'est ce que répète le grand maître du Temple dans une lettre de la même époque (il fut blessé mortellement à Mansoura). Voyez pour le comte d'Artois et le grand maître du Temple, Matthieu Paris, t. VI, p. 550 et 565, et pour Jean Sarrasin, Hist. occid. des Croisades, t. II, p. 589 : le récit de la prise de Damiette reprend à cette page, après plusieurs chapitres intercalés dans la lettre de Jean Sarrasin.
[21] Jean Sarrasin, l. l., p. 589, etc. ; cf. Tillemont, t. III, p. 241 et suiv.
[22] Joinville, ch. XXXIII.
[23] C'étaient cinq ou six hauts personnages, le connétable, etc., qui formaient sa principale escorte.
[24] Joinville, ch. II et XXXV ; Jean Sarrasin, l. l., p. 590 ; Guillaume de Nangis, p. 371.
[25] Joinville, ch. XXXIII.
[26] Joinville, ch. XXXIV.
[27] Joinville, ch. XXXV ; Jean Sarrasin, p. 590 ; Guillaume de Nangis, l. l. ; Chron. de Reims, t. XXII, p. 312 ; Annales Genuenses, an 1249, ap. Pertz, Monum. German. histor., t. XVIII, p. 227.
[28] Matthieu Paris, t. VI, p. 504 de la traduction. Dans la lettre de Gui, chevalier du vicomte de Melun, il est dit : Il avait été placé au premier rang des volontaires comme étant suspect, ce qu'il n'ignorait pas (ibid., p. 559). On sait par le récit de Joinville et des autres historiens qu'il n'y eut point d'ordre de bataille et que ce fut à qui combattrait au premier rang.
[29] Joinville, ch. XXXV ; cf. Jean Sarrasin, p. 791. Aboulféda est très-bref sur ces événements (Hist. arabes des Croisades, t. I, p. 126).
[30] Ch. XXXVI.
[31] Aboulféda dit qu'il fit étrangler tous les Kénana jusqu'au dernier (Hist. arabes des Croisades, t. I, p. 126).
[32] Gemal-eddin dans la Bibl. des Croisades, t. IV, p. 453.
[33] Lettre de Gui dans Matthieu Paris, t. VI, p. 562 de la traduction ; Tillemont, t. III, p. 256, 257.
[34] Voyez la lettre du grand maître du Temple dans Matthieu Paris, t. VI, p. 564 de la traduction.
[35] Joinville, ch. XXXVIII ; Jean Sarrasin, p. 592 ; Gemal-eddin dans la Bibl. des Croisades, t. IV, p. 453. Les Bédouins, dit Joinville dans un autre passage, ne demeurent ni en villages, ni en cités, ni en châteaux, mais couchent toujours aux champs ; et ils établissent leurs ménages, leurs femmes et leurs enfants, le soir pour la nuit, ou de jour quand il fait mauvais temps, dans une manière de logement qu'ils font de cercles de tonneaux liés -à des perches, comme sont les chars des dames ; et sur ces cercles ils jettent des peaux de moutons que l'on appelle peaux de Damas, corroyées à l'alun : les Bédouins eux-mêmes en ont de grandes pelisses qui leur couvrent tout le corps, les jambes et les pieds. Quand il pleut le soir et qu'il fait mauvais temps la nuit, ils s'enveloppent dans leurs pelisses, et ôtent les freins à leurs chevaux, et les laissent paître près d'eux. Quand vient le matin, ils rétendent leurs pelisses au soleil et leur donnent un apprêt ; et ensuite il ne paraît en rien qu'elles aient été mouillées le soir. Leur croyance est telle, que nul ne peut mourir qu'à son jour, et pour cela ils ne veulent pas mettre d'armure ; et quand ils maudissent leurs enfants, ils leur disent : Ainsi sois-tu maudit comme le Franc qui met une armure par peur de la mort. En bataille, ils ne portent rien que l'épée et la lance. Presque tous sont vêtus de surplis ainsi que les prêtres ; leurs têtes sont entortillées de toiles qui leur vont par-dessous le menton ; à cause de quoi ce sont de laides gens et hideux à regarder : car les cheveux de la tête et la barbe sont tout noirs. Ils vivent du lait de leurs bêtes, et achètent dans les plaines des riches hommes les pâturages de quoi leurs bêtes vivent. (ch. LI).
[36] Joinville, ch. XXXVII.
[37] Joinville, ch. XXXVII.
[38] Confesseur de Marguerite, Histor. de France, t. XX, p. 111 d.
[39] Joinville, ch. XXXVI.
[40] Joinville, ch. XXXVI.
[41] Matthieu Paris, t. VII, p. 49 et suiv. de la traduction.
[42] Matthieu Paris, t. VII, p. 65.
[43] On le voit, après le départ de saint Louis, régler plusieurs affaires importantes. En septembre 1248, Hugue l'Archevêque, seigneur de Parthenay, lui fait hommage et reconnaît qu'il doit lui remettre ses châteaux à la première réquisition. Le 13 novembre, Hugues le Brun, fils du comte de la Marche, comte d'Angoulême, lui fait hommage, de la volonté de son père, pour le comté de la Marche et le château de Lusignan ; en mars 1249, Alfonse octroie des statuts de franchises à la ville de Riom ; en avril, Jeanne, dame de la Roche-sur-Yon, s'accorde sur un différend qu'elle avait avec lui pour quelques fiefs ; en août, an moment de partir, il annonce qu'il a chargé l'évêque de Beauvais de réparer tous les torts qu'il a commis par lui-même ou par ses baillis (Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 3715, 3728, 3755, 3762, 3796).
[44] Lettre d'Innocent IV à Philippe, trésorier de l'église de Saint-Hilaire de Poitiers, 27 octobre 1248 ; Layettes du trésor des Chartes, n° 3721. En novembre 1249, Bernard, abbé de Froidmont, du diocèse de Beauvais, dans une lettre qui reproduit la bulle apostolique, déclare qu'il y a obéi en tout point (ibid., n° 3828). Des sommes assez considérables lui furent encore expédiées outre-mer. Voyez un compte de 1250 apparemment (ibid., n° 3911).
[45] Matthieu Paris, t. VI, p. 505 de la traduction ; Tillemont, t. p. 272. Voyez son testament en date du 23 septembre 1249 (Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 3802). Il veut que son corps soit déposé au monastère de Fontevrault, où reposaient le roi d'Angleterre, Henri II, son aïeul, le roi Richard, son oncle, et la reine Jeanne, sa mère ; qu'on le dépose aux pieds de sa mère. Il ordonne que l'on restitue tous les biens, meubles ou immeubles, qu'il a pu acquérir injustement et fait des legs à de nombreux monastères, en premier lieu et pour la plus large part à celui de Fontevrault. Sa fille Jeanne, femme d'Alfonse, qu'il institue son héritière, est particulièrement chargée de l'exécution de ses volontés. Dans un codicille dicté deux jours après, l'avant-veille de sa mort, il déclare que s'il guérit il est résolu à accomplir son vœu d'aller en Terre Sainte ; mais que s'il vient à mourir, il enjoint à son héritier d'envoyer en Terre Sainte, pour l'exécution de ce vœu, cinquante hommes d'armes bien armés et bien équipés, qui y demeurent un an au service de Jésus-Christ. En relue temps il ordonne la restitution de l'argent qu'il a reçu du roi de France et de la reine pour son voyage (ibid., n° 3803). Alfonse, à son retour, fit annuler ce testament, quoiqu'il soit parfaitement en règle, comme on peut s'en assurer par l'examen de l'original qui est, nous l'avons dit, aux Archives. On ne respecta que le codicille dont les prescriptions n'avaient pas grande valeur. Voyez M. Boutaric, Saint Louis et Alfonse de Poitiers, p. 83.
[46] Voyez la formule du serment de fidélité des habitants de Toulouse à Alfonse de Poitiers le 6 décembre 1249 (Alfonse était absent) et les serments prêtés par divers barons et consuls de villes en décembre 1249 et janvier 1250 (Layettes du trésor des Charles, n° 3880, 3881 et suiv., 3889, etc.).
[47] Cf. Genèse, III, 15.
[48] Joinville, ch. XXXVIII.
[49] Tillemont, t. III, p. 281.
[50] Matthieu Paris, t. VII, p. 16 de la traduction.
[51] Le roi de Chypre qui avait accompagné saint Louis en Égypte n'alla pas plus loin que Damiette. Il en repartit, étant convenu de tenir au service du roi de France cent vingt chevaliers pendant un an. (L. de Mas-Latrie, Histoire de Chypre sous les princes de la maison de Lusignan, t. I, p. 354.)