I. — Situation de l'Europe après le concile de Lyon. Des deux guerres dont le concile de Lyon avait donné le signal, guerre contre l'empereur, guerre contre les infidèles, l'une, par son caractère, devait bien plus que l'autre exciter les passions, et, par la force des choses, attirer à soi l'attention des peuples européens. Comment songer à Jérusalem quand il s'agissait de savoir si l'Empire demeurerait à Frédéric ou Rome au pape ? L'Italie et l'Allemagne étaient trop intéressées à la question pour avoir le loisir de s'occuper d'autre chose. Le pape lui-même recourait comme l'empereur à ces négociations avec les infidèles que l'on avait tant reprochées à ce prince. Cela est constaté par une lettre du sultan d'Égypte, Saleh-Ayoub, qui lui répond et qui, rappelant les rapports d'amitié où il se trouve engagé avec l'empereur dès le temps de son père, lui déclare qu'il ne peut traiter avec les chrétiens avant de s'être entendu avec lui[1]. Restaient donc l'Angleterre et la France. Mais saint Louis ayant pris la croix, Henri III en fut d'autant moins disposé à le faire. La trêve entre la France et l'Angleterre allait finir, et le roi d'Angleterre espérait peut-être trouver dans l'éloignement du roi de France quelque occasion d'en profiter. Il se refusa même à laisser l'évêque de Béryte prêcher la croisade dans son royaume, disant que ces prédications venues de Borne ne savaient qu'amuser le peuple et en tirer de l'argent : on sait comme lui-même y excellait ; et l'évêque lui représentant qu'en France beaucoup de seigneurs prenaient la croix, il répondait qu'en France le roi s'étant croisé, les seigneurs avaient raison de le suivre ; que pour lui, il ne se croisait pas, ayant beaucoup trop d'ennemis. Saint Louis devait donc être seul à supporter le poids de cette expédition. Il n'en fut pas ébranlé. Sur sa demande, le pape lui avait envoyé, à titre de légat, le cardinal de Tusculum, Eudes de Châteauroux[2], pour prêcher la guerre sainte. Le roi tint à cette occasion un parlement à Paris, dans l'octave de la Saint-Denis. Le légat s'y trouvait avec grand nombre de prélats et de seigneurs, et plusieurs des plus considérables prirent alors la croix : les trois frères de saint Louis ; Pierre Mauclerc et le comte de Bretagne son fils ; le comte de la Marche et son fils aîné ; le duc de Bourgogne ; le duc de Brabant ; Marguerite, comtesse de Flandre, et ses deux fils ; les comtes de Saint-Pol, de Bar, de Rethel, de Soissons ; et entre beaucoup d'autres seigneurs, le sire de Joinville, l'incomparable historien de la croisade[3]. Le nombre des croisés alla s'augmentant chaque jour. Le roi aidait lui-même aux prédicateurs, en faisant leur office ; et voici le pieux stratagème dont il aurait usé, au dire de Matthieu Paris, pour prendre les plus récalcitrants dans ses filets : Aux approches de l'illustre fête de la naissance du Seigneur, jour où les grands ont coutume de distribuer aux gens de leur maison des habits neufs de rechange que nous appelons vulgairement robes nouvelles, le seigneur roi de France, qui portait, pour ainsi dire, le drapeau de la croix, remplit d'une façon tout extraordinaire l'office de prédicateur et de procurateur de la croisade. Il fit confectionner en drap très-fin des capes et tout ce qui en dépend, en bien plus grand nombre qu'il n'avait coutume de le faire, les fit orner avec des fourrures de vair, ordonna qu'à l'endroit des capes qui couvre l'épaule on cousit des fils d'or très-déliés en forme de croix, et veilla prudemment à ce que ce travail se fit en secret et pendant la nuit. Le matin, quand le soleil n'était pas encore levé, il voulut que ses chevaliers, revêtus des capes qu'il leur donnait, parussent à l'église pour y entendre la messe avec lui. Ceux-ci obéirent, et, pour ne pas être accusés de somnolence ou de paresse, se rendirent de grand matin à l'église où l'office devait se célébrer ; mais, lorsque les rayons de l'astre brillant eurent rendu la couleur aux objets, et comme, selon le proverbe de Perse : La besace est mieux vue par derrière, chacun s'aperçut que le signe de la croisade était cousu sur l'épaule de son voisin. Alors l'étonnement fut joyeux, et tous comprirent que le seigneur roi s'était pieusement joué d'eux et les avait trompés, remplissant ainsi un rôle nouveau et inouï de prédicateur et prêchant plutôt en actions qu'en paroles. Or, comme il leur paraissait indécent, honteux et même indigne de rejeter ces habits de croisés, ils se mirent à rire, mais sans se moquer, en versant des larmes abondantes et joyeuses, et ils appelèrent le seigneur roi de France, à cause de ce stratagème, chasseur de pèlerins et nouveau pêcheur d'hommes[4]. Les chevaliers disaient vrai de leur roi ; et saint Louis connaissait bien les Français. La difficulté n'était pas d'entraîner les Français ; elle était, comme nous l'avons dit, dans la situation de l'Europe et dans les troubles que la sentence de Lyon avait pu faire prévoir. II. — Continuation de la lutte d'Innocent IV et de Frédéric II. Le pape, en déclarant Frédéric déchu du trône, avait fait appel à l'insurrection, et Frédéric avait accepté le défi. A la nouvelle de sa condamnation, il ne put maîtriser sa fureur. Le pape dans son concile m'a privé de ma couronne, s'écria-t-il ; d'où lui vient tant d'audace ? Et mêlant l'ironie à la colère : Où sont les coffres qui contiennent mon trésor ? On les lui apporta, il les ouvrit, et Montrant ses couronnes : Voyez si je les ai perdues, dit-il. Il en prit une, se la mit sur la tête, et se levant ainsi couronné : Je n'ai pas encore perdu ma couronne et je ne la perdrai pas soit par les efforts du pape, soit par ceux du concile, sans un sanglant combat. Eh quoi ! l'orgueil d'un homme de naissance vulgaire ira jusqu'à vouloir me précipiter du faite de la dignité impériale, moi le premier des princes, qui n'ai de supérieur ni d'égal ? Mais je ne m'en plains pas. Jusqu'à présent j'étais tenu d'obéir en quelque façon à cet homme ou du moins de le respecter ; maintenant je suis affranchi envers lui de tout amour, de tout respect, de tout ménagement[5]. Dans le premier élan de sa colère, il écrivit à tous les princes une lettre où, leur montrant leur propre dignité ravalée en sa personne, il cherchait à son tour à les entraîner par un sentiment d'intérêt commun dans sa lutte contre l'Église, sans dissimuler que son désir était de ramener les clercs à la pauvreté des temps apostoliques et de leur ôter ces richesses qui les perdent ; ce qu'il regardait comme un acte de charité[6] Par une autre lettre plus contenue et plus habile, adressée aux prélats et aux barons d'Angleterre, il protestait de son respect pour les droits spirituels de l'Église, mais il s'élevait contre ses entreprises sur le temporel, soutenant qu'aucune loi divine ou humaine ne l'autorisait à punir les princes par la privation de leurs seigneuries : On commence par nous, disait-il, mais tenez pour certain qu'on finira par tous les autres ; car on se vante de ne craindre aucune résistance de leur part, si l'on arrive à fouler d'abord aux pieds notre puissance. Il déclarait du reste qu'il saurait bien soutenir sa cause par les armes, et ne demandait aux princes que de n'y point faire obstacle en accordant secours au pape (31 juillet 1245)[7]. Les princes n'étaient pas disposés à soutenir Frédéric, mais ils n'étaient pas non plus d'humeur à le combattre ; et saint Louis, malgré tout son respect pour le pape, n'avait pas l'intention d'agir autrement. Frédéric avait compris combien il lui importait de gagner son suffrage et son appui moral en pareille circonstance. Il ne se borna pas à lui adresser une lettre comme aux autres ; il lui députa Gautier d'Ocre et Pierre de la Vigne son chancelier. Il voulait remettre, tant il avait confiance dans sa haute justice, l'affaire entière entre ses mains, s'engageant à faire à l'Église toutes les satisfactions que lui et les barons de France estimeraient dues. Il promettait que, la paix une fois assurée, il irait en Orient ou y enverrait son fils Conrad, soit avec saint Louis, soit sans lui, si le roi de France préférait demeurer en Occident pour mieux garantir la paix qu'il aurait faite. Il affirmait que la Terre Sainte n'y perdrait rien, et s'engageait à ne point poser les armes qu'il n'eût reconquis tout ce qui avait jamais été au royaume de Jérusalem[8]. Ces promesses étaient assurément de nature à séduire saint Louis. La paix dans la chrétienté, la protection des Saints Lieux, c'est tout l'objet qu'il se proposait ; et la démarche de Frédéric pouvait faire croire à sa sincérité. Il ne lui eût pas été aussi facile de manquer à ses engagements, quand il se serait lié non plus seulement envers le pape, mais envers le roi de France pris par lui comme arbitre au débat. Mais il exigeait deux choses que le pape révoquât au préalable sa condamnation, et qu'il lui abandonnât les Lombards[9] : or, le dernier point surtout, qui était l'origine de la querelle, il ne pouvait su4e se natter de l'obtenir. Cette lutte recommença donc plus implacable. Tandis que le pape, exposant à l'ordre de Cîteaux les raisons de sa conduite, se déclarait prêt à combattre jusqu'à la mort[10], Frédéric faisait en Lombardie une guerre d'extermination. Voulant que le clergé en rit les frais, il leva le tiers des revenus de toutes les églises[11] et il ordonnait qu'on recourût à la prison contre les récalcitrants[12]. Son fils Enzio, roi de Sardaigne, et Eccelino di Romano, le féroce podestat de Vérone, l'aidaient, avec le secours des villes gibelines, à attaquer les Milanais et les villes de la ligue par tous les côtés à la fois[13]. Ses adversaires étaient traités en rebelles. Ici, les prisonniers étaient pendus ; là au moins mutilés. A Lodi, il fit arracher l'œil droit à trente-huit arbalétriers génois[14]. III. — Entrevue de Cluny. - Mariage de Charles d'Anjou. - Nouvelles démarches de Frédéric II. Saint Louis voulut pourtant encore essayer d'opérer la conciliation. Des messages eussent indéfiniment prolongé le débat. Il résolut d'en conférer avec le pape personnellement et l'invita à se rendre à Cluny[15]. Innocent IV y était depuis quinze jours, quand arriva le roi accompagné de sa mère, de ses trois frères, de sa sœur Isabelle et d'un très-grand cortège (novembre 1245)[16]. Le pape lui-même n'était pas moins magnifiquement escorté : le jour de la Saint-André (30 novembre), lorsqu'il dit la messe devant le roi, il avait autour de lui douze cardinaux, les patriarches d'Antioche et de Constantinople, et dix-huit évêques qui n'avaient pas encore pris possession de leurs sièges. Plusieurs autres princes avaient voulu se trouver à cette rencontre du pape et du roi ; et tous avec leur suite avaient pu se loger dans l'abbaye, sans que les religieux eussent besoin de quitter les lieux qu'ils habitaient[17]. Saint Louis y conféra quinze jours avec Innocent IV. La conférence fut très-secrète. Mais on peut supposer que le roi ne négligea point de travailler à la réconciliation du pape et de Frédéric[18]. Matthieu Paris dit même qu'avant de se séparer ils convinrent d'une autre conférence à laquelle ils tâcheraient de faire que Frédéric assistât. Le même auteur prétend que le pape, irrité des plaintes portées par les Anglais devant le concile contre les exactions des ministres de Rome, avait cherché à entraîner le roi de France dans une guerre contre l'Angleterre. L'occasion eût été bien choisie, quand saint Louis ne songeait qu'à rétablir partout la paix dans l'intérêt de la croisade, et quand, à défaut même de la croisade, le pape aurait eu besoin de tout l'appui de saint Loris contre Frédéric ! La paix entre la France et l'Angleterre était dans les vues et dans les intérêts de l'un et de l'autre ; et s'il fut question de l'Angleterre, ce ne put être que pour aviser à faire proroger la trêve de Henri III et de saint Louis. Pendant tout ce séjour, le roi traita le pape avec les plus grands honneurs ; et ces témoignages de respect rendent absolument invraisemblables ces prétendues marques de défiance avec lesquelles, selon Matthieu Paris, il l'aurait laissé venir dans le royaume. Le grand bien qui pouvait résulter de cette conférence, si les vues de saint Louis y étaient accueillies, donnent tout lieu de croire qu'il l'avait, comme le rapportent d'autres récits, désirée et provoquée. Avant de quitter le pape, saint Louis avait reçu de lui une absolution générale en vue de son départ pour la croisade. C'est par cette guerre qu'il espérait étouffer l'autre et consacrer l'œuvre d'apaisement qU'il avait entreprise aux conférences de Cluny. En attendant les suites qu'il en espérait, il travailla à préparer le royaume à son absence et à prévenir les périls qui en pouvaient provenir. Les barons de France et d'Angleterre se ressentaient encore de leur origine commune ; ils avaient dans l'un et dans l'autre pays des terres qui leur imposaient, en cas de lutte, des obligations contradictoires. Dès l'an 1244, saint Louis les avait invités à choisir entre l'un ou l'autre royaume, rappelant la maxime : Nul ne peut servir deux maîtres[19] ; et ces renonciations réciproques lui donnèrent, sans aucun doute, le moyen d'assurer à chacun des compensations[20]. Il termina alors une affaire qui, en ajoutant à la grandeur de sa maison, préparait celle de la France. Le comte de Provence, nous l'avons vu, avait quatre filles. L'aînée avait été mariée à saint Louis, la seconde à Henri III ; la troisième, Sancie, menée récemment en Angleterre par sa mère, y avait épousé Richard, frère de Henri III. Restait la quatrième, et c'est à elle que le comte, jaloux de laisser son pays indépendant, voulait transmettre tout son héritage[21]. Le comte de Toulouse, qui recherchait tant un mariage dont les suites eussent pu ravir son comté aux espérances de la maison de France, trouvait là une excellente occasion d'agrandir son domaine, en attendant qu'il lui assurât un autre héritier. Il avait rencontré le comte de Provence à Lyon pendant le concile, et le pape avait promis les dispenses. Mais le comte de Provence mourut avant que le projet se réalisât (19 août 1245)[22]. Sa mort allait changer complètement la situation. Saint Louis, comme ayant épousé rainée des filles de Raimond Bérenger, aurait pu revendiquer sa succession en totalité on du moins en partie ; mais sa conscience lui eût reproché de s'adjuger toute une province dont l'héritage n'avait pas été assuré à sa femme quand il l'épousa, et la politique s'opposait à l'idée d'y introduire les princes anglais par un partage, de laisser une puissance qui dominait déjà au sud-ouest de la France s'établir aussi dans le sud-est, joindre Marseille à Bordeaux. Il entra donc dans les vues des Provençaux qui souhaitaient de rester indépendants. Seulement il voulait que l'héritage échût avec l'héritière, non au comte de Toulouse, mais à son frère, Charles d'Anjou. La conduite des affaires en Provence était aux mains de Romée de Villeneuve, le principal conseiller de Raimond Bérenger. Il comprit bien que pour garder l'indépendance du pays avec Béatrix, il ne fallait pas lui faire contracter un mariage qui eût été un défi porté au roi de France. Il accueillit toutes les vues de saint Louis ; il dissimula avec le comte de Toulouse qui, trompé dans son espoir, aurait pu recourir à la violence, et le pressa de venir en diligence et sans troupes, comme pour éviter de donner l'éveil à personne. Le comte vint vite ; mais on trouva mille raisons pour traîner en longueur. Sur ces entrefaites, le pape, sollicité par les trois sœurs de Béatrix en même temps, refusait les dispenses : l'entrevue de Cluny, qu'il avait eue dans l'intervalle avec saint Louis, avait sans doute ainsi changé ses résolutions. Avec le comte de Toulouse, il y avait encore le roi d'Aragon qui, seigneur de Montpellier, convoitait pour son fils l'héritière de Provence ; et il vint, dit-on, à Aix avec une armée pour donner plus de force au jeune prétendant ; mais saint Louis envoya en Provence une partie des troupes qu'il avait amenées à Cluny, et le roi d'Aragon n'insista pas. Toute contrainte étant ainsi écartée, la jeune princesse fut remise par sa mère aux mains des députés de saint Louis, et Charles, agréé pour époux, prit le chemin de la Provence[23]. Le comte de Toulouse espérait encore, et il députait auprès de la reine Marguerite pour obtenir qu'elle l'appuyât, quand son envoyé rencontra Charles qui venait épouser la princesse. C'était encore un mariage manqué[24]. On dit qu'après avoir échoué tant de fois auprès des filles des seigneurs de France, il vint en Espagne, et que, rencontrant à Saint-Jacques de Compostelle une dame étrangère, il eut dessein de l'épouser. Mais cela ne se fit pas davantage, et ainsi, dit Tillemont, il parut que Dieu ne voulait point qu'il eût d'autres héritiers que Jeanne, femme d'Alphonse (frère de saint Louis)[25]. Charles apportait en Provence des lettres par lesquelles saint Louis consentait que le comté demeurât sans aucun partage à la princesse dont il allait faire sa femme. Le mariage fut célébré le 31 janvier 1246, en présence de la mère et des trois oncles maternels de la fiancée — Amédée, comte de Savoie, Thomas, l'ancien comte de Flandre, et Philippe, archevêque de Lyon —, au milieu de la joie de tout le peuple, heureux. de voir maintenue et consolidée par là son indépendance. Charles amena la jeune comtesse en France, et, le jour de la Pentecôte (27 mai), saint Louis tint à Melun un parlement où il le fit chevalier. Un trait prouva en cette circonstance l'humeur altière de Charles d'Anjou. On dit qu'il se plaignit à sa mère qu'on n'eût point, en cette occasion, déployé autant d'appareil qu'au mariage du roi son frère, puisqu'il était fils de roi et de reine, et que saint Louis ne l'était pas[26]. Comme il était né depuis que son père était monté sur le trône, il se faisait de cette circonstance un avantage qu'il opposait au droit d'aînesse de saint Louis ! Au milieu de ces soins, le pieux roi ne perdait pas de vue la médiation où il s'était engagé entre le pape et l'empereur ; car c'était là le point capital pour l'Europe et pour la Terre Sainte ; et malheureusement les choses de ce côté ne faisaient qu'empirer. La question avait été posée au concile sur un terrain tout à la fois politique et religieux. Innocent avait excommunié Frédéric pour ses atteintes non pas seulement aux droits, mais à la foi de l'Église. L'empereur, qui résistait sur le premier point, se serait facilement accommodé sur l'autre ; et, pour donner à cet égard toute satisfaction au pape ou pour convaincre le monde de la fausseté de l'imputation, il imagina de se faire interroger sur la foi par-devant notaire. Les évêques, abbés et moines qu'il avait réunis pour cet office en avaient dressé acte, et l'avaient porté au pape. De plus Frédéric leur avait donné procuration pour attester en son nom qu'il croyait boutes les choses nécessaires au salut, et viendrait, pourvu que ce fût en lieu convenable, se disculper de tous les soupçons que l'on avait contre lui. C'était peut-être une nouvelle ruse de l'empereur ; mais, il faut convenir qu'elle ne réussit guère. Le pape ; loin de croire à ces témoins de sa foi, fut tenté de les traiter eux-mêmes comme des excommuniés pour avoir conféré avec lui sans pouvoirs ! Il nomma pourtant une commission de cardinaux pour entendre ces envoyés, et les cardinaux firent leur rapport. Le pape n'en fut pas plus édifié. Il fit venir les députés, et leur déclara qu'il ne pouvait recevoir cet examen comme n'ayant été fait ni en lieu ni devant personnes à ce requises. Il acceptait seulement l'offre de Frédéric de venir se justifier en personne, pourvu qu'il vint avec peu de monde, lui offrant sûreté, et promettant de l'écouter quoiqu'il eût perdu le droit d'être entendu[27]. Ce sont les termes du pape lui-même dans sa lettre à tous les fidèles (23 mai 1246). Et Frédéric prit aussitôt le monde à témoin de cette réponse comme d'un déni de justice et d'une injure[28]. L'accusation d'hérésie était-elle sans fondement, et Frédéric devait-il avoir plus de mal à s'en justifier dans les formes demandées par le pape ? Assurément l'empereur n'avait rien de commun avec les hérésies qui firent tant de bruit dans ce temps-là Loin de les soutenir, il les persécuta, et d'autant plus qu'il était lui-même plus accusé. C'était une manière de prouver son zèle qui lui coûtait peu, qui lui convenait même beaucoup : car il détestait personnellement ces hérétiques comme hostiles à son autorité, et il reprochait au pape sa faveur pour Milan, qui était le principal foyer des cathares[29]. Il dressait des bûchers dans ses États, il autorisait l'introduction de l'inquisition en Allemagne[30]. Il ne professait donc aucune doctrine hérétique : il était pour cela trop incrédule ; mais s'il n'attaquait pas les dogmes de l'Église, il n'en était pas plus sûr pour elle. Il la voulait ruiner en effet dans sa constitution. Il appuyait le mouvement de réforme que la papauté, d'ailleurs, avait consacré elle-même en Instituant les ordres nouveaux fondés par saint Dominique et par saint François[31]. Il ne demandait qu'une chose, c'était d'appliquer à l'Église tout entière cette règle de la pauvreté évangélique : il l'y voulait aider en se chargeant lui-même de lui prendre ses biens ; il la voulait pauvre[32], il la voulait dépendante surtout. S'il souhaitait qu'on revînt à l'état de la primitive Église, c'était principalement au point de vue des rapports de la puissance spirituelle avec la puissance temporelle, et c'est pourquoi il voulait Rome comme le siège naturel des empereurs. Cette tendance se manifestait depuis longtemps déjà dans ses lettres. Mais ses vues ne devaient pas se borner là Le moyen âge ne concevait pas l'indépendance des deux puissances à l'égard l'une de l'autre. Des deux côtés, on ne rêvait que suprématie et domination, et Frédéric, irrité de la sentence qui le déclarait déchu du trône, allait de plus en plus travailler à la ruine du Saint-Siège. On comprend donc qu'il ne se soit pas rendu à l'invitation que le pape lui faisait et qu'il ne soit pas venu davantage à la conférence nouvelle dont saint Louis était convenu, dit-on, avec Innocent IV, conférence qui paraît avoir eu lieu en effet au temps marqué, vers la mi-avril 1246, à Cluny[33]. On dit, il est vrai, qu'il avait remis à saint Louis lui-même ses pleins pouvoirs. Selon Matthieu Paris, il offrait de céder l'empire à son fils Conrad, et de se vouer jusqu'à la fin de ses jours au service de l'Église en Palestine. Il est à peine besoin de faire remarquer combien l'assertion du haineux historien s'accorde peu avec les dispositions dont témoignent les lettres et les actes de Frédéric en ce temps-là ; par exemple, la lettre qu'il adresse en février 1246 au roi et aux barons de France, pour se plaindre des procédés du Saint-Siège à son égard,. et celle qu'à la fin de la même année il écrivait à saint Louis. Saint Louis avait envoyé au pape les évêques de Senlis et de Bayeux pour le presser de faire la paix avec Frédéric, et lui offrir ses bons offices ; et le pape dans sa réponse (c'est par elle que l'on connaît la démarche du roi), après leur avoir rappelé tout ce qu'il avait fait pour ramener Frédéric avant le concile de Lyon, se déclarait prêt encore à le recevoir, s'il revenait à l'unité de l'Église[34]. Frédéric, prenant cette réponse pour un refus, remontrait au roi que ses envoyés n'ayant rien obtenu de la cour de Rome dans la poursuite du but que l'un et l'autre se proposaient, cette commune injure devait les unir plus étroitement pour le maintien de leurs droits temporels[35]. Cette invitation n'était pas de nature à entraîner saint Louis ; mais la lettre de Frédéric aux barons et le spectacle de la lutte engagée avait eu plus d'effet sur leurs esprits. Matthieu Paris raconte queue grand nombre de seigneurs se réunirent, et firent serment de ne souffrir qu'aucun laïque fût ajourné devant les cours ecclésiastiques, sauf les cas d'hérésies, de mariage et d'usure. Des fonds étaient faits pour soutenir cette ligue ; et quatre seigneurs des plus grand de France, chargés d'y tenir la main : Pierre de Bretagne, le duc de Bourgogne, le comte d'Angoulême, fils aîné du comte de la Marche, et le comte de Saint-Pol. L'acte, en effet, subsiste, rédigé en français, en termes un peu différents[36] ; il fut aussi publié dans la langue de l'Église, et l'effet en fut considérable. Le pape y crut voir comme une diversion tentée par la noblesse de France en faveur de Frédéric. Ses craintes auraient dû être bien plus grandes encore s'il eût été vrai, comme le dit Matthieu Paris, que saint Louis eût joint son sceau au bas de l'original à celui des autres seigneurs. Mais comment croire que saint Louis ait procédé, si je puis dire, par voie d'insurrection, quand il pouvait agir par ordonnance ? Comment croire qu'il ait favorisé, autorisé un conflit si gros d'agitations, au moment où il cherchait à tout calmer en vue de son départ pour la Terre Sainte ? Rien, d'ailleurs, dans la rédaction n'implique la participation du roi[37] ; et une autre chose encore réfute le moine anglais, c'est la lettre même où le pape se plaint à l'évêque de Tusculum, son légat, de ces attaques dirigées contre l'Église déjà tant éprouvée : en lui indiquant la conduite à tenir à l'égard des violateurs de ses libertés, il désigne les barons et nullement le roi lui-même[38], comme il faisait en 1236, à l'occasion de la plainte adressée au Saint-Siège par les barons, et des mesures qu'ils arrêtèrent contre les empiétements de la juridiction ecclésiastique. IV. — Nouvelle intensité de la lutte en Allemagne et en Italie : Henri Raspon ; - Guillaume de Hollande. La lutte avait pris une violence qui ne pouvait plus aboutir qu'à la ruine de l'un ou de l'autre. Le pape s'était gagné des adhérents jusque dans la cour et dans le conseil de Frédéric[39], il avait soulevé la Sicile[40] ; il avait trouvé en Allemagne non-seulement un prince disposé à accepter l'empire, mais d'autres princes pour le lui donner. Le prétendant était Henri Raspon, landgrave de Thuringe et beau-frère de sainte Élisabeth. Avant même de fuir de Rome, le pape, lui annonçant que Frédéric voulait se départir des articles jurés par ses envoyés le jeudi saint, l'exhortait à accomplir l'œuvre de foi qu'il avait louablement commencée (12 mai 1244)[41]. S'agissait-il de rompre avec l'Empire, et le pape, résolu à déposer Frédéric, s'était-il assuré dès lors du successeur ? L'affaire avait été reprise en 1245, à la suite du concile, par l'archevêque de Cologne. Après bien des hésitations, le landgrave céda enfin, sur les instances du pape et des Lombards. Dès le 21 avril 1246, Innocent écrivait à tous les princes d'Allemagne pour les inviter à l'élire[42] ; et si les plus considérables s'y refusèrent, il s'en rencontra cependant pour le proclamer roi des Romains à Wurzbourg, le 17 mai 1246. Ainsi la guerre allait se faire en Allemagne comme en Italie, et le pape, des deux côtés, mettait au service de ses auxiliaires toutes les ressources de l'Église, non-seulement son or, son argent, mais sa milice et toutes ses, armes spirituelles. Il ne se bornait pas à délier les sujets de l'empereur du serment de. fidélité, il menaçait d'excommunication par ses légats les princes, les villes qui ne se révolteraient pas contre lui. La croisade était prêchée contre Frédéric ; et les Jacobins, les Cordeliers, ces légats populaires, parcouraient les provinces appelant les peuples à l'insurrection[43]. L'empereur eût bien voulu enlever au pape cette redoutable milice en savait la puissance. Il avait écrit aux Dominicains assemblés de réprimer plusieurs de leurs frères qui, dit-il, répandaient par tout l'Empire leur fureur contre lui[44]. Mais n'ai obtenant rien, il usa de ses armes à : il ordonnait à ses officiers de saisir les prêcheurs et de les livrer au feu. Cette guerre va se continuer avec des succès divers. En Allemagne, le nouveau roi des Romains bat Conrad, fils de Frédéric, près de Francfort (5 août 1246)[45]. Mais Conrad avait trouvé un refuge dans Francfort, et, vaincu, il avait gardé l'alliance du duc de Bavière. C'est peu de semaines après sa défaite que, malgré les obstacles suscités par un légat du pape, Albert de Beham, il épousait la fille de ce prince, et le rattachait ainsi plus étroitement à la cause : de sa maison[46]. Bien plus, Henri Raspon, au retour d'une campagne d'hiver en Souabe, tombait malade et mourait (17 février 1247). Le pape n'en fut pas ébranlé : il avait tout récemment déclaré aux habitants de Strasbourg qu'il ne ferait plus de paix avec Frédéric, tant qu'il serait empereur et roi (23 janvier 1247)[47]. Mais cette mort pouvait cependant ramener à Frédéric ceux qui répugnaient à la guerre civile. Parmi les princes d'Allemagne, personne ne semblait tenté de recueillir la succession du prétendant. Le duc de Gueldre, le duc de Brabant s'y étaient refusés. Même des princes étrangers, Richard, frère, de Henri III, Haquin, roi de Danemark et de Norvège, dont le pape avait soutenu les prétentions au trône, malgré l'illégitimité de sa naissance, espérant qu'il se laisserait faire empereur, n'y consentaient pas davantage. Enfin l'aventure tenta un jeune prince de vingt ans, dont les États confinaient à l'Allemagne, Guillaume, comte de Hollande, de Zélande et de Frise. Nommé roi des Romains le 3 octobre 1247, il fut soutenu par les archevêques de Cologne, de Mayence, et par plusieurs seigneurs de son voisinage ou de sa parenté, et l'année suivante, il entra dans Aix-la-Chapelle avec l'aide d'une armée de croisés et s'y fit couronner empereur (1er novembre 1248). Mais Conrad, quoique battu en cette occasion, s'appuyait sur la plus grande partie de l'Allemagne, restée fidèle à Frédéric ; en telle sorte qu'il n'eut pas grand mal à tenir en respect le prétendant[48]. En Italie, c'était Frédéric lui-même qui tenait tête à ses ennemis. Ceux qui avaient tramé un complot contre lui à sa cour, se croyant découverts, s'étaient enfuis avant d'avoir tenté de l'accomplir. Plusieurs avaient été pris dans un château où ils n'avaient pu se prémunir contre la faim et la soif, et Tibaldo Francesco, l'un d'eux, privé des yeux par un supplice atroce, avait été promené sanglant dans le royaume de Naples, afin de servir d'exemple à quiconque le voudrait imiter (juillet 1246)[49]. Les Sarrasins qui avaient voulu profiter de ces mouvements pour retrouver leur indépendance, avaient été menacés d'extermination, s'ils ne redescendaient des montagnes dans la plaine[50], et Frédéric les avait pour la plupart transférés dans la ville de Lucéra. Il y en avait là soixante mille, dont le tiers était voué au métier des armes[51], excellente milice pour la guerre que l'empereur faisait dès lors sans ménagements à la puissance pontificale. Il avait marié, ou il allait marier une de ses filles à Jean Vatace, prétendant grec au trône de Constantinople occupé par les Latins[52] : ne se souciant plus des intérêts de l'Occident de ce côté, pourvu qu'il s'assurât un allié de plus contre le pape en Italie. Enfin au nord de cette contrée, sur le principal champ de bataille de la. lutte, Frédéric avait trouvé un nouvel auxiliaire contre les derniers soutiens de l'indépendance italienne : Amédée, comte de Savoie (naguère allié du pape), qui avait déjà pris pied de ce côté des Alpes par quelques possessions. Frédéric lui concéda divers châteaux et le prit pour arbitre de ses différends avec le marquis de Montferrat. Il maria son fils Manfred à une fille du comte, et une de ses filles à Thomas de Savoie, ancien comte de Flandre, frère d'Amédée, alliances qui déjà ouvraient à la maison de Savoie des perspectives sur la Lombardie[53]. Grâce à l'appui qu'il s'était ainsi ménagé des deux côtés des Alpes, Frédéric songeait même à venir forcer le pape dans Lyon, au siège même du concile qui l'avait condamné. Il est vrai qu'il n'annonçait pas une intention si menaçante. Il voulait, disait-il, venir trouver le pontife pour se justifier devant lui comme le pape l'y avait invité. C'est ce qu'il écrivait aux barons de France, notamment au comte de Saint-Pol[54], l'un des quatre barons élus par leurs pairs, l'année précédente, pour défendre les droits de la noblesse contre le clergé[55]. Mais saint Louis ne s'y trompait point, et il déclara hautement que si l'empereur marchait sur Lyon, lui-même avec ses trois frères prendrait les armes pour le combattre. Frédéric n'alla pas au delà de Turin ; et le pape, sûr d'un appui qui ne lui ferait pas défaut, put, dans sa lettre de remerciement à saint Louis, l'inviter à me pas se mettre en route et à attendre que lui-même l'appelât[56]. Un événement qu'Innocent IV avait peut-être des raisons de prévoir allait mettre Frédéric, n'eût-il pas redouté saint Louis, dans l'impossibilité d'aller plus avant. Les parents du pape, que l'empereur avait chassés de Parme, réussirent à y rentrer et à rester maîtres de la ville. Frédéric craignit de voir l'insurrection s'étendre dans toute la Lombardie. Il vint assiéger Parme[57]. Lui-même, dans une lettre à saint Louis, déclare que cette révolte l'empêchait de se rendre à Lyon, où il venait, disait-il, sur l'invitation du pape, afin de se justifier de ce dont il était accusé[58]. Il espérait que cela ne le tiendrait pas longtemps. La ville ne faisant pas mine de se rendre, il éleva à ses portes, comme pour lui ôter tout espoir, une place qu' avait nommée par avance la ville de la victoire. Toutes les villes gibelines du voisinage étaient pressées d'y envoyer des hommes pour hâter le succès[59]. Les habitants de Parme, en proie à la famine, avaient plusieurs fois sollicité une honorable capitulation. Mais le désespoir les servit mieux : dans une sortie, ils enlevèrent la ville de la victoire ; et Frédéric se vit forcé à fuir jusqu'à Crémone, laissant entre leurs mains son camp et les trésors qu'il y emportait toujours avec lui (18 février 1248)[60]. V. — Préparatifs de la Croisade. L'échec de Frédéric éloignait le péril qui menaçait la papauté et rendait à saint Louis toute sa liberté pour son grand voyage. Il n'avait pas cessé de s'y préparer. Dès 1246 il achetait du vin et du blé qu'il envoyait en Chypre. L'île de Chypre, enlevée aux Grecs par Richard Cœur de Lion en 1191 et cédée par lui à Gui de Lusignan, était le seul endroit de l'Orient vraiment à l'abri des entreprises ennemies ; elle avait été dès lors choisie par saint Louis pour le dépôt de ses approvisionnements. Les villes maritimes d'Italie, Venise et Gênes surtout, servaient à ces transports, et Frédéric n'y mettait point obstacle. Saint Louis ayant envoyé des messagers à Gênes en 1246 pour préparer son passage, l'empereur lui fit porter l'assurance que, nonobstant la guerre, il pourrait faire tout ce qu'il voudrait, fréter des galères, lever des hommes selon ses besoins[61] ; et pourtant lorsque Frédéric eut vu la grande quantité de vaisseaux et le nombre de Génois réunis pour cette expédition, il eut peur. Il craignait que ces Génois n'eussent envie de faire en passant une descente en Sicile, et il réunit des forces sur terre et sur mer pour se mettre à l'abri de ce péril[62]. Mais pour tout ce qui n'était que de la guerre sainte, il s'y prêtait volontiers. Il y aidait même. Il avait trop besoin de ménager le roi de France. C'était le moment où saint Louis envoyait au pape les évêques de Senlis et de Bayeux pour tâcher de le fléchir envers l'empereur ; et il était doublement de son intérêt que la croisade suivit son cours en Palestine. Elle pouvait lui ôter des adversaires en Occident et de plus servir en Orient les intérêts de sa maison : car le royaume de Jérusalem, dont Frédéric avait porté le titre au nom de sa femme, fille de Jean de Brienne, appartenait comme héritage de cette princesse à son fils Conrad ; et saint Louis prenait l'engagement de respecter ses droits[63]. L'empereur avait donc écrit à ses officiers en Sicile de laisser saint Louis acheter et transporter au dehors des chevaux, des armes et des vivres pour tout le temps de sa campagne. Il y mettait seulement pour condition qu'on ne les fît pas servir au secours, soit des habitants d'Acre qui avaient rejeté sa domination et chassé son lieutenant, soit de ses autres ennemis (novembre 1246)[64], condition que saint Louis acceptait ; mais le saint roi l'invitait à prendre lui-même toute garantie à cet égard, ne pouvant répondre de tous les marchands qui viendraient à cette occasion faire des achats en Sicile[65]. Saint Louis n'entendait pas se contenter de ces secours qu'il tirait de la marine étrangère. Il voulut avoir un port à lui. Il fit choix d'Aigues-Mortes, lieu fort mal famé, sans doute, pour ses eaux croupissantes au milieu des lagunes du Languedoc[66] : tous les pèlerins préféraient Marseille ; mais la Provence était au duc d'Anjou, et saint Louis tentait de mettre directement le royaume en communication avec la mer que la réunion d'une partie du Languedoc lui avait rouverte. Il y fit bâtir une tour et des défenses contre l'ennemi et contre les vents, pour la protection des pèlerins ou des marchands qui s'y porteraient ; et il chercha à y attirer des habitants par de nombreux privilèges[67]. Toutes ces dispositions exigeaient de l'argent. Saint Louis en reçut des différentes villes du royaume : de Paris, 10000 livres ; de Laon, 3000 ; de Beauvais, 3400, etc.[68] ; mais il en demanda surtout au clergé, qui, de tout temps, avait été spécialement requis de contribuer aux guerres saintes. Le pape avait accordé à cette fin un dixième pendant trois ans[69], et saint Louis le fit lever par les ministres du pape, afin que la perception comme l'octroi du subside se trouvât, à l'égard de l'Église, sous le couvert de la même autorité. Les plaintes en effet ne manquèrent point de s'élever, il y eut des résistances : mais la contrainte ne venait pas du roi ; et, contre les exacteurs, le clergé ne pouvait pas recourir à ses moyens ordinaires de défense. L'excommunication cette fois frappa non ceux qui levaient l'impôt, mais ceux qui refusaient de le payer[70]. Ils avaient du reste à payer et pour le roi et pour le pape aussi : car le concile de Lyon avait alloué à Innocent IV un vingtième pour le secours de la Terre Sainte, et un autre subside pour Constantinople. En 1247, le malheureux Baudoin venait encore à Paris et à Londres solliciter des secours sans lesquels son empire était à la veille de succomber. A cela se joignait la contribution que réclamait le pape pour sa croisade contre Frédéric ; mais pour celle-ci, saint Louis s'y opposa. Les plaintes du clergé étaient donc très-vives. Il prétendait que les charges des laïques n'étaient rien au prix des leurs ; et pour comble de misère, ils voyaient précisément en cette année les laïques faire comme une levée en masse pour combattre leurs privilèges de juridiction t démonstration qui provoqua, nous l'avons dit, et les plaintes du clergé et les menaces du pape. Sur ce point la querelle devait se prolonger jusqu'après le départ de saint Louis et même après son retour. Il y avait d'autres difficultés graves que saint Louis aurait voulu résoudre avant de partir : et d'abord celles qu'il avait avec l'Angleterre. La trêve allait expirer. Saint Louis demandait qu'elle fût prorogée : c'est une sûreté qu'il souhaitait pour son royaume pendant son absence. Mais le roi d'Angleterre, qui ne se croisait pas, et que le départ de saint Louis rassurait, n'eût pas été fâché de mettre à profit l'inquiétude qu'il pouvait causer à la France. Il marchandait donc son adhésion ; et sans toucher au chapitre des restitutions, il demandait, au nom de sa femme, une partie de la Provence. Saint Louis, au dire de Matthieu Paris[71], eût été disposé à rendre à l'Angleterre quelques provinces comme il le fit plus tard, mais à la condition qu'il s'agit de paix : une simple trêve n'exigeait pas tant de sacrifices ; car, après tout, Henri III se fût singulièrement compromis lui-même aux yeux de l'Europe, en attaquant les États d'un roi placé sous la sauvegarde de la chrétienté tout entière par le signe de la croisade. Saint Louis laissa donc la question en suspens, et la trêve se prolongea de fait. Il était un autre point qui pouvait, comme la ou ite le montra, provoquer des troubles plus sérieux, et que saint Louis fut appelé à régler avant de partir : c'était la succession de Flandre et de Hainaut. Jeanne, comtesse de Flandre, était morte le 5 décembre 1244[72], et Marguerite, sa sœur, lui avait succédé[73]. Marguerite s'était mariée deux fois : d'abord avec Bouchard d'Avesnes, qui avait reçu les ordres et l'avait épousée sans se faire relever de ses vœux ; puis, ce mariage étant cassé, avec Guillaume de Dampierre. Or, des enfants étaient nés de ces deux mariages. Les d'Avesnes avaient le droit d'aînesse ; les Dampierre prétendaient avoir seuls la légitimité[74]. Ce débat, d'où dépendait la succession des comtés de Flandre et de Hainaut, s'agitait du vivant même de la mère. Les d'Avesnes s'étaient pourvus auprès du pape pour faire maintenir la légitimité de leur naissance, l'union dont ils étaient sortis, bien qu'annulée plus tard, ayant été contractée de bonne foi ; et c'est en ce sens que la cour de Rome jugea en 1249[75]. Mais dès ce moment les uns et les autres convinrent de faire résoudre, abstraction faite du point de légitimité, la question d'héritage, et ils s'en remirent à saint Louis assisté du légat. Il était admis que le jugement pourrait réunir ou séparer les deux comtés ; et quelle que fût la décision de l'Église sur la question d'état, nulle des parties ne devait s'en prévaloir pour obtenir au delà de son partage. Ce compromis ayant été ratifié par Marguerite elle-même, saint Louis reçut aussi les engagements de ses enfants, des seigneurs et des villes intéressés dans la querelle[76] ; et de concert avec le légat, il adjugea le Hainaut à Jean d'Avesnes et la Flandre à Guillaume de Dampierre, pour en jouir après la mort de leur mère, à la charge de faire, chacun dans son propre lot, la part de ceux de sa ligne selon les coutumes du pays[77]. Cette sentence équitable fut bien accueillie des princes[78] et encore plus volontiers des peuples, qui espéraient échapper au fléau des guerres de succession ; mais leur espoir devait être trompé le jour où la succession fut ouverte. Cette question de succession ne regardait saint Louis que pour la Flandre. Le Hainaut relevait de l'Empire. On aurait donc pu tout aussi bien s'adresser à Frédéric. Mais il aurait été difficile de réunir en ce moment Frédéric au légat, et on n'en eut même pas la pensée. L'esprit d'équité et de modération de saint Louis le désignait à tous pour arbitre. On savait qu'en toute chose il ne voulait que la justice et la paix, une paix dont il cherchait la garantie dans l'observation de la justice[79]. L'équité de saint Louis envers tous et le respect qu'elle lui attirait était un premier gage pour la sécurité du royaume en son absence. Il en chercha un autre dans la foi du serment. Lui qui était si ferme dans sa parole était porté à croire à celle des autres. Il avait réuni vers la mi-carême (mars 1247) un parlement pour y fixer l'époque de la croisade. Il déclara qu'il était résolu de partir au plus tard à la Saint-Jean de l'année suivante. Il le jura et obtint des autres le même engagement ; puis il leur demanda à tous de lui renouveler leur hommage et de jurer foi et loyauté à ses enfants, si quelque chose advenait de lui dans le voyage[80]. Joinville, à qui il le demanda aussi, refusa de le faire, comme n'étant pas son homme[81]. Il ne relevait que du comte de Champagne, et le roi ne songea pas même à prendre mal ce refus ; il ne s'en souvint que pour s'attacher ce fidèle serviteur en le prenant un peu plus tard à ses gages. Joinville, en effet, avait reçu aussi la croix ; et un grand nombre de seigneurs avaient donné à saint Louis cette autre garantie de sécurité en le suivant dans son entreprise. Dans le nombre il faut compter surtout le comte de Toulouse qui, par ses projets de mariage, avait donné tant de souci à la cour de France. Il ne songeait plus à se marier ; il voulait accomplir cette fois ce vœu d'aller en Terre Sainte qu'il avait formé depuis longtemps. Il ne demandait qu'une chose, et c'était une pensée pieuse et sacrée : il demandait que l'on accordât la sépulture à son père qui, depuis vingt-cinq ans, gisait dans son cercueil, attendant une parole de l'Église pour aller mêler sa cendre à la terre bénite[82]. Il semblait que rien ne fût plus facile à exaucer que cette requête, et le pape Innocent IV portait le plus vif intérêt à Raimond. Il l'avait recommandé à saint Louis quand vint à Paris avant de reprendre la croix : recommandation accueillie par saint Louis, qui, pour l'aider dans les préparatifs de l'expédition, lui avait promis 20.000 livres parisis (506.595 fr. 60 c.), et lui en donna 5000 (12.664 fr. 89 cent.) en mai 1248[83]. Il avait pris ses terres sous la protection du Saint-Siège pendant toute la durée de la croisade ; il avait écrit au patriarche de Jérusalem et aux Templiers de le bien recevoir. Il lui fit donner une partie des vingtièmes perçus par l'Église elle-même pour la guerre sainte[84] ; refuserait-il une pelletée de terre jetée sur un cercueil ? Mais la foi était en question ici, et rien ne marque mieux que cet exemple à quel point l'Église entendait pratiquer la maxime de l'égalité des hommes devant Dieu. Ceux-là seuls qui étaient morts chrétiens obtenaient la sépulture chrétienne. Raimond VI était-il mort dans la foi du chrétien ? La présomption était contre lui, puisqu'il était mort excommunié ; Mais le repentir affranchit l'homme des liens du péché. Le vieux comte en avait-il donné signe à Grégoire IX déjà avait ordonné une enquête, à la prière de Raimond. Innocent IV nomma de nouveaux commissaires pour reprendre l'information qui n'avait pas eu de résultat[85] ; elle se poursuivit encore sans aboutir, et Raimond mourut sans avoir eu la consolation de déposer son père dans la tombe où lui-même allait descendre. Le corps du vieux Raimond, ajoute Tillemont, demeura donc ainsi sans sépulture dans la maison des Hospitaliers de Toulouse, où il avait été porté d'abord. Un auteur du dernier siècle dit l'avoir vu dans une bière de bois au cimetière de cette maison, mais qu'il avait été depuis réduit en poudre, hors le crâne, que Catel dit avoir vu gardé dans le trésor de la maison, parmi les joyaux les plus précieux ; c'est-à-dire (ajoute méchamment l'excellent homme) que quand peu de gens sauront ce que c'est, on en fera une relique[86]. Saint Louis trouvait donc en France tout motif de sécurité. Ceux qu'il aurait pu redouter le plus, ou se croisaient avec lui, ou lui donnaient toute assurance. Ainsi, Trencavel, fils de l'ancien comte de Béziers et de Carcassonne, qui avait pris les armes en 1240 pour recouvrer ses domaines, qui avait eu recours à l'étranger (1241), et qui, depuis la trêve de l'Angleterre et l'accord du comte de Toulouse avec saint Louis, s'était vu de nouveau réduit à fuir au delà des Pyrénées, Trencavel faisait au roi cession de tous ses droits sur son héritage (7 avril 1247)[87]. De son côté, saint Louis ne voulait point partir sans avoir fait toute réparation à qui de droit. Il ne se préparait pas seulement à son voyage comme à une guerre lointaine, par des mesures de prévoyance et de sûreté ; il s'y préparait comme aux choses de Dieu, par les bonnes œuvres, répandant les aumônes, multipliant les pieuses fondations et, ce qui est la première loi de la charité, en se disant qu'avant de donner du sien, il faut être sûr de n'avoir rien des autres. Il résolut donc de faire un grand examen de conscience sur toutes les parties de son administration, et donna à cet effet, dès l'automne 1247, des instructions à ses baillis, afin qu'ils provoquassent les réclamations dans leur ressort. De plus, pour recueillir les plaintes que les baillis ne provoqueraient pas, il forma des commissions d'enquête, chargées d'aller par toute la France s'informer des injustices que par lui-même, à son insu, ou par ses agents il avait pu commettre. Il choisit à cette fin des moines jacobins ou cordeliers dont il estimait le plus l'intégrité et le jugement, également étrangers à la flatterie ou à la crainte. Ces sortes d'enquêtes furent poursuivies dans toute la France[88]. Les comptes du roi, à l'Ascension 1248, indiquent les frais qu'elles occasionnèrent en diverses villes, à Paris, à Orléans, à Amiens, à Tours et en beaucoup d'autres lieux. Ces enquêtes ne se faisaient pas en secret : le roi voulait que ceux qui avaient à se plaindre fussent avertis, ne craignant rien tant que de laisser sans satisfaction un sujet de plainte légitime. Il y eut donc autant de réclamations et plus peut-être qu'on n'en aurait vu sous un mauvais roi moins disposé à s'amender. Les rapports de ces enquêteurs, consignés dans des registres récemment mis en lumière, en sont la preuve[89]. Le bruit en alla jusque hors du royaume, et le roi d'Angleterre crut que le moment était propice pour se faire rendre ce que la fortune de la guerre ne lui avait pas fait recouvrer. Le comte Richard, venu en France, ne demandait pas moins que la restitution de toutes les provinces prises à Jean, en commençant par la Normandie. Mais le roi ne pouvait pas toucher à ces points sans le conseil de ses barons. Or les barons n'étaient pas disposés à de pareilles concessions ; et les déclarations des évêques de Normandie rassuraient d'ailleurs pleinement la conscience du roi. Il répondit que ce n'était pas au moment de partir pour la croisade qu'il pouvait traiter de pareilles questions, et Henri III n'eut garde d'en faire un cas de guerre[90]. On s'apprêtait en effet au départ ; et malgré les obstacles que nous avons vus, il venait des croisés même des pays étrangers. Il en venait d'Angleterre, et même de la parenté du roi : comme par exemple Guillaume Longue-Épée, fils d'un bâtard de Henri II, et cet autre seigneur, Français d'origine, devenu Anglais et beau-frère de Henri III, je veux parler de Simon de Montfort, comte de Leicester[91]. Un roi étranger s'était aussi résolu à partir pour la Terre Sainte : Haquin, roi de Norvège, dont le pape avait voulu faire un empereur pour l'opposer à Frédéric. Selon Matthieu Paris, qui prête volontiers aux autres ses sentiments et son esprit, il aurait répondu à Innocent IV qu'il était prêt à combattre tous les ennemis de l'Église, mais non du pape. Saint Louis lui envoya un messager pour l'inviter à faire ce voyage de concert avec les barons de France, lui offrant, comme il était habile aux choses de la mer, le commandement de la flotte. Mais Haquin s'en excusa, disant que ses peuples étaient impétueux et incapables de rien souffrir, et que les Français avaient la réputation d'être fiers et insolents ; qu'avec cette humeur, ils pourraient bien ne pas s'accorder, et qu'ainsi mieux valait ne pas faire ensemble la traversée[92]. Ils ne se rencontrèrent ni sur la route, ni sur les champs de bataille. Haquin n'était pas encore parti vers la fin de 1252, quand les Français, sauf saint Louis, étaient déjà revenus. En France, au printemps de 1248, le mouvement se produisait sur tous les points. A la fête de Pâques, Joinville avait réuni ses hommes et ses vassaux dans sa terre. La veille de la fête, un fils lui était né. La moitié de la semaine se passa en réjouissances. Le vendredi ; Joinville, entrant dans les sentiments de celui qu'il allait prendre pour chef, réunit tout ce monde, et leur dit : Seigneurs, je m'en vais outre mer et je ne sais pas si je reviendrai. Or avancez : si je vous ai de rien méfait, je vous le repaierai l'un après l'autre. Et il leur fit réparation, au jugement de tous les habitants de sa terre : afin de n'exercer sur leur esprit aucune influence, il avait quitté le conseil, et en reçut les décisions sans débat. Pour faire les frais de son expédition, il était allé à Metz, et avait mis une grande partie de sa terre en gage ; et quoiqu'il n'eût encore que peu de bien, il trouva moyen de prendre dans sa compagnie neuf chevaliers et trois bannerets. Il s'entendit avec le sire d'Apremont, comte de Sarrebruck, qui avait le même nombre de gens, et de concert ils louèrent à Marseille un vaisseau pour le voyage[93]. Ces mesures prises, Joinville fit venir l'abbé de Cheminon, que l'on tenait pour le plus vénérable de l'ordre de Cîteaux, et reçut de lui l'écharpe et le bourdon ; puis, en habit non-pas seulement de pèlerin, mais de pénitent, à pied, sans chaussure et en chemise, il quitta sa demeure pour n'y plus rentrer avant son retour de la guerre, allant d'abord visiter les abbayes et honorer les reliques du voisinage, à Blécourt, à Saint-Urbain. Et pendant que j'allois à Blécourt, et à Saint-Urbain, dit-il, je ne voulus onques retourner-mes yeux vers Joinville, de peur que le cœur ne m'attendrit du beau château que je laissois et de mes deux enfants[94]. Ce que Joinville raconte de lui se répéta en bien d'autres lieux de France, et c'est ce que d'autres historiens nous disent aussi de saint Louis[95]. Après avoir mis ordre aux affaires de l'État, achevé ses préparatifs, célébré avec une grande pompe la dédicace de la Sainte-Chapelle, cette merveille de l'architecture gothique achevée en moins de cinq ans[96], et placé son palais sous la sauvegarde des reliques de la Passion, il visita plusieurs lieux sacrés, entre autres l'abbaye de Saint-Victor, et il alla le vendredi après la Pentecôte (12 juin), à Saint-Denys, où il reçut, avec l'oriflamme, l'écharpe et le bâton du pèlerin de la main du légat. De là revenant à Paris, il se rendit nu-pieds à Notre-Dame pour y visiter une dernière fois, avant de partir, la grande basilique, et y entendre la messe ; puis, toujours nu-pieds et en habits de pèlerin, il sortit de Paris, au milieu d'un immense concours de peuple, avec l'escorte des processions de toutes les églises, et il alla ainsi jusqu'à l'abbaye de Saint-Antoine. Après avoir fait ses dévotions dans l'abbaye et s'être recommandé aux prières des religieux, il prit congé du peuple, monta à cheval et partit[97]. Chef de la croisade, il reprenait les insignes du chevalier et du roi, sans déposer d'ailleurs l'esprit du pèlerin. Depuis son départ de Paris, il renonça aux habits d'écarlate et de pourpre, aux riches et rares fourrures. Il n'usait plus que d'étoffe commune ou sans éclat, ou des peaux les plus grossières. Plus d'ornements d'or ni d'argent dans son harnais, non plus que dans sa parure. Le concile de Lyon avait recommandé la modestie dans les habits : il en voulut donner l'exemple à tous les siens ; et Joinville rend témoignage que pendant toute la croisade les chevaliers imitèrent sa simplicité. En proscrivant le luxe, on ménageait pour la Terre Sainte des ressources qui se seraient dissipées sans fruit dans ces folles dépenses. A Corbeil, où le roi s'arrêta le jour même qu'il était sorti de Paris, il prit ses dernières mesures pour le gouvernement du royaume en son absence. Il en confia les rênes à des mains dont le pays avait pu apprécier déjà l'habile direction et la fermeté. Il rendit à sa mère le titre de régente[98] : depuis qu'elle lui avait remis ses pouvoirs, elle n'avait pas d'ailleurs cessé d'être de ses conseils. Il lui donnait pour auxiliaires les hommes sages qui avaient coutume de l'assister. Le roi ne laissait pas que d'user, tant qu'il était présent, de sa prérogative pour transiger sur les différends qui n'étaient pas réglés encore. C'est ainsi qu'il finit à Corbeil son débat avec l'église de Beauvais ; à Fleury-sur-Loire, un différend avec cette célèbre abbaye[99]. Des compositions de cette sorte signalent par les noms de ville et les jours dont les actes sont datés, les différentes étapes de saint Louis dans sa marche vers le lieu de son embarquement[100]. Il y avait un bien plus gros différend que le roi eût été surtout heureux de terminer avant son départ ; mais pour celui-là il ne suffisait pas qu'il y mit du sien : c'était le différend du pape et de l'empereur. Saint Louis se proposait bien de tenter un dernier effort. Il avait pris son chemin par la Bourgogne, et devait passer par Lyon, qui était d'ailleurs le rendez-vous d'un grand nombre de croisés. A Lyon, l'on trouvait cette grande voie du Rhône qui se chargeait de porter sans efforts, au lieu d'embarquement, hommes et bagages. C'est à Lyon que Joinville, ayant escorté, avec ses grands destriers, son bagage le long de la Saône, s'embarqua lui-même pour gagner Arles d'où il vint à Marseille. Saint Louis avait donc écrit à Frédéric de lui envoyer des messagers à son passage à Lyon, et il avait probablement aussi préparé le pape à la négociation de l'affaire ; mais il devait en espérer bien peu, si c'est à cette époque qu'il faut rapporter ce fragment de lettre qui nous est resté sans date : Notre cour, lui dit le pape, s'applique entièrement à ce qui peut donner honneur à l'Église et tranquillité au peuple chrétien, et procurer aux fidèles la. prospérité que nous souhaitons. C'est pourquoi nous voulons que vous ayez la ferme et inébranlable assurance que, bien que la paix ait été et soit toujours dans notre désir, cependant, quoi que l'on dise ici ou là ou qu'on pense ou qu'on présume de l'homme, nous n'admettrons jamais aucun traité de paix de la part de Frédéric jadis empereur, si ce n'est avec le plein et manifeste honneur de l'Église et le salut de ceux qui se sont attachés à elle : au nombre desquels, en raison de votre sérénité royale, et en considération de la dévotion sincère que vous avez pour Dieu et pour l'Église, nous vous plaçons au premier rang. Au reste, tenez pour certain que quelque traité de paix qui arrive, ledit Frédéric ni aucun de sa race ne sera plus jamais élevé à l'empire[101]. Saint Louis arriva donc à Lyon[102]. Il y reçut, avec l'agrément du pape, les messagers de Frédéric, auxquels il avait donné rendez-vous dans cette ville, et se fit le médiateur de leurs propositions auprès du Saint-Père[103]. Mais les formes respectueuses dont elles étaient enveloppées ne changèrent rien au fond des choses. Frédéric faisait alors la guerre aux villes lombardes avec une ardeur accrue encore par le sentiment de sa défaite. Il ne voulait rient sacrifier de ce côté ; et le pape pouvait savoir que ses vues ne se bornaient pas à l'asservissement de l'Italie. Innocent IV ne se laissa donc pas toucher. Plus de paix avec Frédéric qu'il ne cesse d'être empereur et roi[104]. Ce fut, après comme avant l'entrevue, son inébranlable résolution. Il le dit à un prince, quelque prince d'Allemagne sans doute, dans une lettre où, parlant de cette négociation dernière, il le veut prémunir contre de faux bruits, de paix que Frédéric ou ses ministres pourraient mensongèrement répandre pour endormir le zèle des adhérents de l'Église. Il proteste qu'il est résolu à faire exécuter la sentence prononcée par lui au concile de Lyon, et que jamais il ne consentira à un traité qui laisserait à Frédéric ou à son fils l'empire ou le royaume[105]. Aussi, ne faut-il pas s'étonner que Frédéric y cherche une justification de sa résistance dans la lutte où il est engagé et dans l'appel qu'il fait à tous les rois contre le pape ; témoin cette lettre, où, de son côté, rendant compte au roi d'Angleterre de la démarche qu'il a faite à la requête de saint Louis, il lui rappelle combien de fois déjà pour le bien général de la religion chrétienne et en particulier de la Terre Sainte, dont la délivrance est l'objet de tous les vœux, il s'est abaissé (humilitatis nostræ colla submisimus) afin d'obtenir cette paix tant désirée entre l'Église et l'Empire. Mais comment croire à sa modération quand elle se traduit en cette sorte : Nous avons voulu adoucir par notre patience cet antique serpent et modérer la rigueur dont nous savons que plusieurs de nos prédécesseurs, les divins empereurs romains, ont usé en cas pareil ? Comment admettre qu'il eût vraiment offert des gages qui dussent paraître suffisants au pontife comme ils l'avaient paru, dit-il, à saint Louis, quand lui-même avoue qu'il n'admet pas de transaction sur les Lombards. et travestit ainsi les revendications du pape : Mais ce bon pasteur de l'Église n'a voulu avoir aucun égard au droit et à l'honneur de l'Empire ni à nous ; il a voulu tout soumettre à sa puissance pour le fait des Lombards qui ont toujours apporté jusqu'à ce jour des empêchements à tout accord de paix ; et il a honteusement repoussé, quand on la lui offrait, la paix qu'il devait rechercher. Ainsi, continue-t-il, voilà que nous avons cherché la paix et nous ne l'avons pas trouvée ; nous l'avons appelée et elle n'a pas répondu à notre appel. Reste donc que nous défendions virilement nos droits et ceux de l'Empire, et ceux des autres rois et princes en notre cause ; car il nous faut désormais non plus demander imprudemment la paix, mais l'accepter quand elle nous sera demandée[106]. Il n'y avait plus rien à faire pour saint Louis quand la question était maintenue sur ce terrain. Il reçut la bénédiction du pape et prit congé de lui avec tristesse. IL sentait que ni le pape nit l'empereur n'auraient le loisir de le seconder dans, cette campagne provoquée par l'Église elle-même, mais où il serait seul à défendre les intérêts de la chrétienté. Saint Louis, quittant le pape, descendit le Rhône, et. sur sa route le délivra d'une entrave qui en gênait la navigation : c'était une roche (roche de Glun) surmontée d'un château, dont le seigneur rançonnait impitoyablement quiconque passait par là. Il força le château en quelques jours, le démolit en partie et eut la fort grande bonté de le rendre à son maître, en l'obligeant d'ailleurs à restituer ce qu'il avait pris et à donner caution de ne plus rien exiger par la suite. Un peu après, laissant une partie des croisés se diriger vers Marseille, il prit lui-même le chemin d'Aigues-Mortes[107]. Saint Louis emmenait avec lui la reine Marguerite sa femme, et ses frères les comtes d'Artois et d'Anjou[108]. Il avait laissé le comte de Poitiers derrière lui, jugeant prudent qu'il restât avec Blanche, pour se mettre au besoin à la tête des hommes d'armes : la trêve avec l'Angleterre touchant presque à son terme (29 septembre) sans avoir été renouvelée[109]. La comtesse d'Artois, qui était près d'accoucher, retourna en France pour revenir avec lui l'année suivante. Saint Louis aurait bien voulu aussi que sa femme demeurât ; mais il lui aurait fallu rester avec Blanche : c'était pour elle une trop bonne fortune que de s'en aller avec saint Louis sans que Blanche fût là. Trente-huit grands vaisseaux étaient réunis dans la baie d'Aigues-Mortes, déjà fournis des approvisionnements et n'ayant plus à recevoir que les hommes, les chevaux et le resté des bagages[110]. Il y avait plus d'hommes que saint Louis n'en pouvait embarquer. Il dut laisser entre autres des archers italiens, si toutefois on peut induire ce fait du récit exagéré et malveillant de Matthieu Paris touchant l'embarquement du roi de France. Les seigneurs, du reste, pourvoyaient eux-mêmes à leur embarquement et trouvaient des ports plus commodes qu'Aigues-Mortes. Nous avons dit que Joinville avait frété un vaisseau à Marseille. C'est aussi à Marseille que le comte de Toulouse, qui vint visiter saint Louis à Aigues-Mortes, devait s'embarquer. Il y faisait venir par Gibraltar un beau vaisseau construit pour lui sur les côtes de Bretagne. Mais le vaisseau se fit attendre : quand il arriva, il n'était plus temps de s'embarquer ; et quand le temps en revint, le comte était mort. Saint Louis mit à la voile le 25 août 1248. |
[1] Rinaldi, Ann. ecclés., an 1246, §§ 52-53 ; et H.-Bréholles, Hist. diplom., t. VI, p. 425 : il reproduit la lettre d'Innocent IV, d'après le registre du Vatican. — Innocent IV fait allusion lui-même à la lettre qu'il a reçue : prout ipsius soldani litteris nuper accepimus. (ibid., p. 427.)
[2] Sur ce légat, voy. l'Hist. litt. de la France, t. XIX, p. 228, et une notice plus complète de M. B. Hauréau, dans le recueil des Notices et extraits des manuscrits, t. XXIV, 2e partie, p. 204 et suiv. (en cours de publication).
[3] Guillaume de Nangis, Histor. de Fr., t. XX, p. 353 ; Joinville, ch. XXIV.
[4] Matthieu Paris, trad. de Huillard-Bréholles, t. VI, p. 172, 173. Les privilèges accordés pour la croisade pouvaient donner lieu à des abus. Des hommes indignes se prévalaient de la sauvegarde qui couvrait les croisés pour commettre des vols, des rapts, des homicides. Innocent IV écrivit aux prélats de France de ne pas défendre contre la justice séculière ces criminels (6 novembre 1246). Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 3360, et Trésor des Chartes, reg. XXX, P 3 vo ; cf. ibid., f° 8 v° (19 février 1249).
[5] Matthieu Paris, an 1245, t. VI, p. 131.
[6] Hist. diplom., t. VI, p. 391.
[7] Matthieu Paris, an 1246, t. VI, p. 22, et Pierre de la Vigne, Epist., I, 3 ; H.-Bréholles, Hist. diplom., t. V, p. 331. Huillard-Bréholles place cette lettre, qui a sa date (31 juillet, 3e indiction), avant la précédente qui n'est point datée et qu'il rejette au mois de février suivant.
[8]
C'est ce qu'il atteste dans sa lettre adressée universis per Franciam
constitutis, 22 septembre 1245. (H.-Bréholles, Hist. diplom., t. VI, p.
349.) L'auteur a collationné le texte sur l'original conservé aux Archives. Cf. Layettes, t. II, n° 3380.
[9] Hist. diplom., t. VI, p. 551.
[10] Fin septembre 1245, Hist. dipl., t. VI, p. 346.
[11] Encyclique de Frédéric (septembre 1245), Hist. dipl., t. VI, p. 357.
[12] Hist. dipl., t. VI, p. 350. Il écrit aussi à Enzio de faire cette levée et lui dit que c'est, non pour amasser de l'argent, mais pour ramener les rebelles à l'obéissance. (Ibid., p. 361.)
[13] Chron. de rebus in Italia gestis, p. 205. L'empereur rend compte lui-même de cette guerre à l'un de ses fidèles (Hist. dipl., VI, p. 364).
[14] Chron. de rebus in Italia gestis, p. 207 ; H.-Bréholles, Hist. dipl., p. 366. Un notaire de Corneto raconte, en vers, au cardinal de Sainte-Marie in Cosmedino, comment Vital d'Aversa a fait pendre, par ordre de Frédéric, trente citoyens de cette ville pris dans le combat (Hist. dipl., t. VI, p. 368). Enzio lui-même (Henri), fils et légat de Frédéric en Italie, écrit à son père qu'il a fait périr dans les supplices ou punir d'une prison perpétuelle des habitants de Reggio (Lombardie) conjurés, dit-il, pour la ruine de cette ville. (Ibid., p. 374.)
[15] Matthieu Paris (c'est Matthieu Paris !) prétend qu'il ne lui fut pas permis de venir plus loin dans l'intérieur de la France (t. VI, p. 146).
[16] Guillaume de Nangis, p. 353.
[17] Tillemont, t. III, p. 94.
[18] Matthieu Paris, t. VI, p. 200. Il en dit assurément plus qu'il n'en pouvait savoir.
[19] Matthieu Paris, an 1244, t. V, p. 392.
[20] D'assez nombreux hommages furent rendus à saint Louis en 1245 et en 1246. Voy. Hist. de Fr., t. XXIII, p. 676-681. Par une lettre datée de Fontevrault, 2 juin 1246, Isabelle, comtesse de la Marche, priait saint Louis d'admettre ses fils à l'hommage pour la portion qui devait leur échoir dans l'héritage de leur père (Teulet, Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 3523). Leur père devait accompagner saint Louis dans la croisade où il mourut. Voy. son testament daté du 8 août 1248, ibid., n° 3705.
[21] Voy. son testament en date du 20 juin 1238 (Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 2719). Il y donnait à Marguerite, reine de France, et à Éléonore, reine d'Angleterre, les dix mille marcs qui leur avaient été constitués en dot ; à Sancie, femme de Richard de Cornouailles, les cinq mille marcs qui lui avaient été attribués au même titre et il y ajoutait trois mille marcs. Béatrix, sa quatrième fille, était instituée son héritière générale. Si elle avait un ou plusieurs fils, l'aîné lui devait succéder, et ainsi de suite de génération en génération. Si elle mourait sans enfant mille, l'héritage devait passer au fils que pourrait avoir Sancie, à la condition de donner cinq mille marcs à la fille que pourrait avoir Béatrix.
[22] Guillaume de Puy-Laurens, Hist. de Fr., t. XX, p. 770. Il reproduit ce vers qui, au moyen âge, était devenu proverbe :
Nocuit differre paratis.
[23] Matthieu Paris, an 1246, t. VI, p. 233 ; Tillemont, t. III, p. 102 et suiv.
[24] Il avait tenté d'épouser : 1° Sancie, troisième fille du comte de Provence ; 2° Marguerite, fille du comte de la Marche ; 3° Béatrix dont il vient d'être parlé. Pour son projet de mariage avec la fille du comte de la Marche, voy. l'enquête faite le 13 juillet 1245, relativement à leur parenté, enquête à la suite de laquelle l'annulation du mariage ou du moins des fiançailles fut prononcée par le légat (3 août) et confirmée par le pape (25 septembre 1245) Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 3367, 3371, 3382.
[25] Tillemont, t. III, p. 107.
[26] Matthieu Paris, t. VI, p. 233.
[27] Rinaldi, Ann. ecclés., an 1246, § 18, et H.-Bréholles, Hist. dipl., t. VI, p. 426-429.
[28] H.-Bréholles, Hist. dipl., t. VI, p. 429.
[29] H.-Bréholles, Introd., p. CDXCIII.
[30] H.-Bréholles, Introd., p. CDXC.
[31] H.-Bréholles, Introd., p. CDXCV.
[32] H.-Bréholles, Introd., p. CDXCVI.
[33] Matthieu Paris, an 1246, t. VI, p. 400. M. Huillard-Bréholles allègue, à l'appui de l'opinion de Matthieu Paris, un voyage de saint Louis en Bourgogne vers cette époque, voyage dont la trace est restée par son séjour à Perrex, près Mâcon, en mai 1246 (Reg. S. L., p. 181, n° 2, dans les Mansiones et itinera recueillis par les éditeurs des Histor. de Fr., t. XXI, p. 413) ; une note des éditeurs sur ce passage prouve qu'ils partagent cette opinion, déjà reçue par Tillemont, t. III, p. 182.
[34] Voy. la lettre d'Innocent IV à saint Louis (5 novembre 1246), Hist. diplom., t. IV, p. 46.
[35] Fin novembre 1246, Hist. diplom., t. IV, p. 472.
[36] Voy. ce texte dans l'Hist. dipl. de Frédéric II, t. VI, p. 468, où H.-Bréholles l'a publié après l'avoir collationné sur un original conservé aux archives nationales (J 198 b). Il a été aussi reproduit par Teulet, Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 2569. Il n'y est pas question de la confiscation et de la mutilation d'un membre à infliger aux contrevenants comme le dit Matthieu Paris, an. 1247, p. 483 (t. IV, p. 297, 298 de la traduction).
[37] Si saint Louis eût été partie dans l'acte, la teneur en eût été toute différente : il n'aurait pas pu n'y pas être nommé. On ignore du reste quels en furent les auteurs ou adhérents. M. Teulet a décrit l'état d'altération où se trouve cette pièce aujourd'hui. Repliée, dit-il, sur les quatre côtés, la charte était préparée pour recevoir un grand nombre de sceaux, mais elle n'en a jamais reçu que dans sa partie inférieure où l'on remarque les traces de dix-neuf sceaux pendant sur cordelettes de fil ; et comme les noms de ceux qui ont scellé ne sont pas exprimés dans le texte, il est impossible de savoir maintenant quels étaient les sceaux apposés à l'acte en signe d'adhésion (Layettes du trésor des Chartes, t. II, p. 646).
[38] Rinaldi, Ann. ecclés., an 1247, §§ 49-52, et H.-Bréholles, Hist. dipl. de Frédéric II, t. VI, p. 483.
[39] Chron. de rebus in Italia gestis, p. 207.
[40] Voy. sa lettre aux prélats et aux nobles de Sicile, Hist. dipl., t. VI, p. 41.
[41] Hist. dipl., t. VI, p. 190.
[42] Hist. dipl., t. VI, p. 400.
[43] 28 août et 26 octobre 1247 ; 1er mai 1248. Hist. dipl., t. VI, p. 567, 574 et 935. Voy. aussi les lettres de Frédéric qui, dès 1246, en est réduit à la défensive (ibid., p. 394 et 414).
[44] Fin 1246 (Hist. dipl., t. VI, p. 479).
[45] Ann. Argentinenses, ap. Böhmer, Fontes rerum German., t. II, p. 108 ; Hist. dipl., t. VI, p. 873, et la lettre d'Henri Raspon, ibid., p. 45.
[46] Hist. dipl., t. VI, p. 875 ; cf. p. 448.
[47] Hist. dipl., t. VI, p. 489.
[48] Voy. diverses lettres d'Innocent IV pour l'élection de Guillaume de Hollande. Rinaldi, Ann. ecclés., an 1247, et H.-Bréholles, Hist. dipl. de Frédéric II, t. VI, p. 575.
[49] Voy. la proclamation faite à cette occasion, juillet 1246. Hist. dipl. de Frédéric II, p. 440 ; cf. p. 438 la lettre de Frédéric lui-même à Alfonse, fils aîné du roi de Castille, son neveu, sur le supplice des traîtres (21 juillet).
[50] Hist. diplom. de Frédéric II, t. VI, p. 456.
[51] H.-Bréholles, Introd., p. CCCLXXXVI.
[52] L'Art de vérifier les dates place ce mariage en 1244 (t. II, p. 29) ; H.-Bréholles après 1247. Il rapporte au mois de juin de cette année une lettre de Frédéric à Vatace où il le traite encore de frère, lettre où il lui reproche le ralentissement de son zèle, craignant peut-être qu'il n'ouvre l'oreille au missionnaire envoyé par Innocent IV en Orient pour ramener les Grecs à l'unité de l'Église (voy. Rinaldi, Ann. ecclés., an 1247, § 30, et H.-Bréholles, Hist. diplom. de Frédéric II, t. VI, p. 921).
[53] En septembre 1245, Frédéric promettait à Amédée, comte de Savoie, la restitution du château de Ripailles (Ripolarum) dès qu'il serait devenu maître (Hist. dipl., t. VI, p. 356). Le 27 janvier 1246, le comte, pris pour arbitre, prononça que le marquis de Montferrat devait fournir des hommes et d'autres secours à Enzio, roi de Sardaigne, fils de Frédéric, contre les Lombards rebelles, tant que durerait la rébellion (ibid., p. 916). L'engagement pour le mariage de Manfred avec Béatrix, comtesse de Saluces, fille du comte de Savoie, est du 21 avril 1247 ; la ratification par l'empereur, du 8 mars (ibid., p. 527, 535). Manfred devait avoir en dot tout le pays entre Pavie et les monts, et plus tard le royaume d'Arles. D'autres concessions (les comtés de Gap et d'Embrun) étaient faites à Gui, dauphin, comte de Vienne (juin 1247, ibid., p. 542). — De son côté, le pape concédait à Pandolfe de Fasanella, et autres nobles, divers châteaux en Sicile, le trône étant vacant (14 mars 1247, ibid., p. 508).
[54] Hist. dipl., t. VI, p. 528 ; Introd., p. CCCXI.
[55] Voy. Hist. dipl., t. VI, p. 468.
[56] Juin 1247. Hist. diplom., t. VI, p. 544. Par une lettre du 4 mai 1247 le pape remerciait Aymon, sire de Faucigny, de ce qu'il assistait vaillamment l'Église contre Frédéric. Il le prenait sous sa protection et promettait de ne pas l'abandonner ni de faire la paix tant que Frédéric ou un de ses fils serait roi ou empereur. (Ibid., p. 531.)
[57] Chron. de rebus in Italia gestis, p. 211.
[58] Hist. dipl., t. VI, p. 553.
[59] Lettre de Frédéric d'Antioche à quelques-uns de ses fidèles sur les nouvelles qu'il reçoit de son frère Enzio, roi de Sardaigne, lieutenant impérial en Italie (juillet 1247, Hist. dipl., t. VI, p. 558). Lettre de Frédéric aux habitants de Modène (août 1247, ibid., p. 564). — Sur ce Frédéric d'Antioche, un des fils naturels de Frédéric, voy. Ducange, les Familles d'Outre-Mer, publ. par M. Ed. Rey (Documents inédits de l'Histoire de France), p. 215, 216.
[60]
Voy. sur ce siège de Parme, outre la Chron. de rebus in Italia. gestis,
un fragment d'un auteur contemporain, publié par H.-Bréholles dans son Hist.
diplom. de Fredéric II, t. VI, p. 923. Le podestat, les chevaliers et le
peuple de Parme S'empressèrent d'annoncer la victoire à Milan, demandant des
secours (20 février, ibid., p. 591). Frédéric, de son côté, pour
empêcher que le bruit public ne grossit son échec, prit soin de l'annoncer à sa
façon dans une lettre adressée aux princes et à tous ses fidèles. (Ibid., p. 596.)
[61] Barthol. scribæ Annales, an
1246, ap. Pertz, Mon. Germ. histor., t. XVIII, p. 220.
[62] Barthol. scribæ Annales, an 1246, ap. Pertz, Mon. Germ. histor., t. XVIII, p. 224.
[63] Dans la lettre du roi, que M. H.-Bréholles croit être de février ou mars 1247 et qu'il publie pour la première fois, on voit que Frédéric avait demandé que si les croisés faisaient quelques conquêtes en Terre Sainte, elles fussent rattachées au royaume de Jérusalem. Saint Louis se borne à lui dire qu'il n'a entrepris cette expédition que pour l'honneur de Dieu et l'exaltation de la foi chrétienne, bien loin de vouloir porter préjudice, soit à lui, soit au roi des Romains, héritier du royaume de Jérusalem, ou à aucun prince chrétien. (Hist. diplom., t. VI, p. 501.)
[64] Hist. diplom., t. VI, p. 465, 466, et Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 3562.
[65] Hist. diplom., t. VI, p. 502, et Layettes, ibid., n° 3563.
[66] La géologie, d'accord avec l'histoire, dit M. Ch. Martins, prouve que depuis six siècles, époque de la fondation d'Aigues-Mortes, la configuration de la côte n'a guère changé. La mer ne s'est pas retirée, et sur ce point, le delta du Rhône n'a pas progressé ; car le bras du fleuve qui l'a formé est éteint depuis le seizième siècle, et les cours d'eau secondaires, le Vistre et le Vidourle, déposent leurs apports dans les étangs qu'ils comblent peu à peu. En partant pour ses deux croisades saint Louis n'est pas monté à Aigues-Mortes même sur le vaisseau qui devait le conduire vers les côtes d'Afrique, mais sur une embarcation d'un faible tirant d'eau. Traversant les étangs de la Marette et du Repausset, il a rejoint la flotte qui l'attendait, mouillée dans le golfe d'Aigues-Mortes, en face du Grau, aujourd'hui fermé, qui porte encore le nom de Grau-Louis. (Comptes rendus de l'Acad. des sciences, t. LXXVIII, n° 25 (22 juin 1874), p. 1750.)
[67] Voy. la charte des privilèges accordés aux habitants d'Aigues-Mortes, mai 1246 (Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 3522). Quant à Marseille, saint Louis se borna à traiter avec les syndics de la ville pour le fret de vingt vaisseaux destinés au passage d'outre-mer (19 août 1246, ibid., n° 3537).
[68] Voy. le détail dans un compte de 1248 que Tillemont avait consulté (t. III, p. 118) et qui est publié dans le recueil des Historiens de France, t. XXI, p. 270 et suiv. Voy. encore quelques comptes de recettes provenant des dîmes concédées à saint Louis (1247-1250, ibid., p. 535-540). Les bourgeois se ressentirent d'une autre sorte encore de la croisade de la part des seigneurs : non par des contributions, mais par le délai de trois ans qui fut accordé à leurs débiteurs pour s'acquitter de leurs dettes. On lit dans la Chronique de Reims : Une cose fist li rois dont il ne vint nus biens : car il s'acorda au respit de 3 ans que li chevalier requisent au légat qu'il orent respit de paiier les dettes que ils devoient as bourgois... Et ensi n'ouvra mie Godefrois de Buillon ki vendi sa ducée à tousjours et i ala purement dou sien et n'emporta riens de l'autrui. (Hist. de Fr., t. XXII, p. 311.)
[69] Matthieu Paris, p. 709 et 710 (t. VI, p. 255 de la trad.). On lit dans un document sur les annales et les dîmes, qui parait avoir été rédigé entre 1307 et 1314 par un conseiller de la Chambre des comptes à la demande de Philippe le Bel : En celui concile (de Lyon) ledit pape ordonna que le disième fust levé par six ans de toutes Églises sujètes à l'Église de Rome ; et parce que li roys prist la croix ou dict concile, le pape li octrois le disième de tous les bénéfices de saincte Église du royaume de France et les legs de la terre saincte, rédemption de vœux, et autres obventions quelles qu'elles fussent, ordonnées à lever par ledict concile audict royaume. (Histor. de Fr., t. XXI, p. 529.)
[70] Voy. Tillemont, t. III, p. 117. On n'eut d'autre ressource que de rapporter plus tard à cette levée d'impôts le mauvais succès de la croisade.
[71] T. VI, p. 366, 367 de la trad.
[72] Voy. son testament en date du 4 (Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 3215).
[73] Frédéric lui donna l'investiture pour les terres relevant de l'empire. Marguerite, contre l'usage, s'était fait représenter par procureur (Hist. diplom. de Frédéric II, t. VI, p. 327). A la mort de Jeanne, le chapitre de Liège avait réclamé le Hainaut comme lui étant dévolu ; il demandait que Marguerite, qui s'en était emparée, en fût repoussée (ibid., p. 268). Pour ce qui est de la Flandre, Marguerite vint en France ; et comme le roi, malade alors,. n'avait pu l'admettre en sa présence, elle obtint de sa mère et de ses frères, par une exception qui ne devait point porter préjudice à l'autorité royale, de recevoir l'hommage de ses propres vassaux avant d'avoir elle-même rendu ce devoir au roi (Pontoise, 10 janvier 1245, Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 3223). Plusieurs seigneurs garantirent ses engagements (de janvier à mars 1245, ibid., n° 3231-3240). Marguerite s'obligea en outre à observer et accomplir les promesses de Jeanne, sa sœur, et de Thomas, mari de Jeanne (mars 1245, ibid., n° 3340).
[74] Voy. sur les d'Avesnes et les Dampierre la Chronique attribuée à Baudoin d'Avesnes (Historiens de France, tome XXI, p. 167). Frédéric avait embrassé la cause des d'Avesnes (1242), en ordonnant aux habitants du Hainaut de ne pas laisser Jean et Baudoin, fils de Bouchard d'Avesnes, souffrir aucune injure des Dampierre dans leurs droits de naissance. (Histoire diplomatique, t. VI, P. 33.)
[75] Une bulle de Grégoire IX (Viterbe, 31 mars 1237) avait prononcé d'une manière générale l'illégitimité de la race de Houchard d'Avesnes (Layettes, t. II, n° 2489).
[76] Voy. la lettre de Marguerite, celles des d'Avesnes et des Dampierre acquiesçant à ce compromis (Paris, janvier 1246, Layettes, t. II, n° 3403, 3404, 3405) ; et celle du roi qui accepte la mission (même date, ibid., n° 3406). Plusieurs villes et divers seigneurs se portèrent aussi caution de ces engagements (ibid., n° 3408-3429). D'autres s'engagèrent à accepter pour seigneur celui des enfants de la comtesse Marguerite que désigneraient le roi et le légat (février et mars 1246, ibid., n° 3430-3455, 3475-3506). Voy. aussi le mémoire adressé au roi et au légat au nom de Jean et de Baudoin d'Avesnes pour établir leur légitimité (ibid., n° 3527).
[77] Voy. la sentence, datée de juillet 1246, Layettes, t. II, n° 2534. Cf. Dachery, Spicileg., t. II, p. 815, et Tillemont, t. III, p. 140.
[78] Guillaume de Dampierre et ses frères ratifièrent immédiatement cette sentence (juillet 1246, Layettes, t. II, n° 3535). Guillaume alla faire hommage à Pontoise en octobre (ibid., n° 3552). Marguerite, qui restait en possession jusqu'à sa mort, reconnaissait que cet hommage ne la dégageait pas elle-même de ses obligations et que la terre de Flandre serait forfaite si elle ou son fils y manquait (Pontoise, même date, ibid., n° 3533). — On trouve encore à la date de novembre 1248 une lettre de Jean d'Avesnes et de Baudoin son frère approuvant l'accord qu'ils ont fait sur l'héritage de Marguerite leur mère (ibid., t. III, n° 3730. Ce volume n'a pas encore paru : je le cite sur les bonnes feuilles et les épreuves corrigées dont je dois la communication à l'obligeance de mon savant confrère, M. A. Maury, directeur général des Archives nationales).
[79] Le comté de Namur relevait, comme le Hainaut, de l'Empire. C'est pourtant sous la sauvegarde de saint Louis, de sa mère et de ses frères que Baudoin, empereur de Constantinople, plaçait les dispositions qu'il avait prises pour assurer son château de Namur à ses enfants et en régler la succession à leur défaut (Namur, 12 juin 1247, Layettes, t. III, n° 3604).
[80] Il nous parait que c'est à cette assemblée qu'il faut rapporter ce qu'en dit Joinville.
[81] Joinville, chap. XXVI.
[82] Guillaume de Puy-Laurens, t. XX, p. 771.
[83] Layettes, t. III, n° 3665 et 3672.
[84] Bulle d'Innocent IV à l'évêque de Tusculum son légat pour qu'il donne au comte de Toulouse 2.000 marcs sterling quand il sera arrivé en Terre Sainte (3 décembre 1247) ; au patriarche de Jérusalem pour qu'il l'accueille favorablement (25 mai 1248) ; au maître et aux chevaliers du Temple (28 mai), dans le même sens. Une autre bulle du 26 le plaçait sous la protection du Saint-Siège. (Layettes, t. III, n° 3624, 3662, 3663, 3664, 3667, 3672).
[85] Bulle adressée à l'archevêque d'Auch et aux évêques du Puy-en-Velay et de Lodève (19 novembre 1247, Layettes, t. III, n° 3617).
[86] Tillemont, t. III, p. 157.
[87] Trésor des Chartes, registre XXX, f° 44 verso ; et Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 3588. Tillemont, t. III, p. 160. Cf. les observations de M. Douet d'Arcq sur la lettre relative au siège de Carcassonne en 1240, Bibl. de l'École des Chartes, 2e série, t, II, p. 363.
[88] Matthieu Paris, t. VI, p. 317 ; Tillemont, t. III, p. 153. Voy. quelques-unes des réclamations aux enquêteurs (décembre 1247, Layettes, t. III, n° 3627, 3733, etc.).
[89] M. E. Boutaric en a traité dans un mémoire dont l'analyse a été insérée aux Comptes rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, nouv. série, t. IV, p. 78-81 (1868). Les bailliages de Bourges et d'Orléans, dit-il, furent inspectés par deux frères prêcheurs et deux cordeliers ; les bailliages de Picardie par maître Étienne de Lorris, chanoine de Reims, un franciscain et un dominicain. Nous possédons le registre des enquêteurs de Picardie. Les griefs formulés contre les agents royaux de cette province sont nombreux, mais ils n'ont pas de gravité. Le registre des enquêteurs en Normandie, dont nous ne possédons malheureusement que quelques fragments, fait voir quelles ont été les suites de la conquête de cette province par Philippe-Auguste, conquête qui a été beaucoup plus violente qu'on ne serait tenté de le supposer. Il y a aussi un registre pour la Touraine et le Poitou, provinces qui appartenaient alors à Alfonse de Poitiers ; mais saint Louis se croyait tenu des torts qui avaient pu précéder la constitution de l'apanage. C'est surtout dans le Languedoc, à la suite de la croisade des Albigeois, que des violences avaient été commises : beaucoup de confiscations avaient réuni sans distinction au domaine ce qui était à l'hérétique et ce qu'il détenait comme bien de sa femme, de ses enfants, de ses pupilles, etc. Saint Louis envoya des enquêteurs, dans chacune des grandes sénéchaussées royales du Midi ; et nous le verrons au retour de la croisade mettre toute sa sollicitude à réparer les dommages qui lui auront été signalés. — Ces précieux registres seront publiés dans le tome XXIV des Historiens de France.
[90] Matthieu Paris, t. VI, p. 367. L'auteur prétend que Henri, fils de Frédéric II et d'Isabelle d'Angleterre, fit, à la demande de Henri III, son oncle, une démarche semblable auprès de saint Louis quand il était en Chypre (ibid., p.479). Mais le jeune prince n'avait alors que douze à treize ans !
[91] Matthieu Paris, t. VI, p. 381. Il ne paraît pas que Leicester soit parti.
[92] Matthieu Paris, t. VI, p. 374 de la trad.
[93] Joinville, ch. XXV.
[94] Joinville, ch. XXVII.
[95] En 1247, saint Louis s'était rendu avec sa mère à l'abbaye de Pontigny pour assister à la translation du corps de saint Edmond, archevêque de Cantorbéry, mort le 16 novembre 1240, au monastère de Soisy et canonisé en 1247. Voy. sa Vie par Bertrand, prieur de Pontigny, dans Martène, Thesaurus Anecdot. nov., t. III, col. 1862, 1863.
[96] Commencée entre 1242 et 1245, terminée en 1247 par Pierre de Montereau ; consacrée le 25 avril 1248. Plusieurs pièces ont rapport aux indulgences accordées aux fidèles qui la visiteraient durant les fêtes instituées à cette occasion. Archives, cart. J, 155, et Layettes du trésor des Chartes, t. III, n° 3666. Voy. aussi le Conf. de Marguerite, Hist. de Fr., t. XX, p. 75, et Tillemont, t. II, p. 413.
[97] Confesseur de Marguerite, p. 74 ; Guillaume de Nangis, p. 257.
[98] Ordonnances, t. I, p. 60.
[99] Juin 1248, Layettes, t. III, n° 3692.
[100] Layettes, t. III, n° 3693.
[101] Hist. diplom., t. VI, p. 641.
[102] Matthieu Paris, t. VI, p. 411, etc.
[103]
Induit de la lettre de Frédéric au roi d'Angleterre (Hist. diplom., t.
VI, p. 645). Frédéric avait écrit d'Asti à saint Louis en juillet 1248 (Annal.
Genuenses : Muratori, Scriptores rerum Ital., t. VI, p. 515 ; et
Pertz, Monum. German.
histor., t. XVIII,
p.225 ; cf. Huillard- Bréholles, Hist. diplom., t. VI, p. 640).
[104] Voyez Chron. de rebus in Italia gestis, p. 219, et différentes lettres qui se rapportent à cette lutte (Hist. diplom., t. VI, p. 600, 602, 603, 609, 614, 623, 631, 637).
[105] Lettre d'Innocent IV à un prince.
De peur que Frédéric, ci-devant empereur ou ses ministres, selon leur habitude, ne vous trompent sur la paix à faire entre l'Église et lui, afin de refroidir le zèle et le dévouement des fidèles au Saint-Siège apostolique, nous faisons savoir par les présentes à Votre Sérénité que comme les messagers de ce même Frédéric, ayant obtenu de venir trouver notre très-cher fils le roi de France, le suppliaient d'intervenir pour négocier cet accord, nous, bien que souffrant, à la requête du roi, qu'il entendit avec notre permission ce que ces envoyés voulaient proposer, comme nous ne pouvons admettre aucun projet d'accord d'après lequel, selon la teneur de la sentence, que nous avons prononcée avec l'assentiment du concile de Lyon, sentence,qu'avec l'autorité di : Seigneur nous voulons inviolablement exécuter, l'empire et le royaume puisse en aucune sorte demeurer à cet homme ou à son fils Conrad : le roi susdit, zélateur de la foi catholique et de l'honneur ecclésiastique, ayant, avec la pleine grâce du siège apostolique, continué son voyage commencé, les messagers s'en sont allés sans avoir atteint leur but. C'est pourquoi nous avons voulu non-seulement en informer Votre Sérénité, mais le faire savoir par vous à ceux du pays d'alentour, afin que si l'on en faisait d'autres rapports, le mensonge, comme d'ailleurs on ne pourrait l'ignorer longtemps, et comme l'effet le prouvera, soit reconnu de tous et de chacun. (Août 1248. Huillard-Bréholles, Hist. diplom., t. VI, p. 844).
[106] Lettre de Frédéric II au roi d'Angleterre.
Combien et de quelle sorte, pour le bien général de la foi chrétienne et principalement de la Terre Sainte au recouvrement de laquelle aspirent les vœux de tous les chrétiens et particulièrement des rois et des princes, nous avons, afin de procurer la douceur de la paix universellement attendue entre nous et celui-là et les autres pontifes de l'Église romaine, baissé le cou de notre humilité, Votre Sérénité, je pense, le sait bien et le monde ne l'ignore pas. Nous avons voulu solliciter la paix avec révérence de peur de paraître bouleverser le monde par nos discordes. Nous avons voulu adoucir par notre patience cet antique serpent et modérer la rigueur dont plusieurs de nos prédécesseurs les divins empereurs romains ont usé en cas pareils. Naguère, à la requête et à la prière de l'illustre roi des Français, notre cher ami, dont nous avons appris qu'il venait de prendre personnellement les armes pour secourir la Terre Sainte et qui aimait à reprendre l'affaire presque désespérée de cette paix : bien que rebuté par l'expérience du passé, nous fussions contraint de douter du succès de la paix, puisque toutes les fois que nous avons donné des signes évidents de notre humilité, en vue de la paix, nous avons rencontré des dispositions plus dures de la partie adverse, néanmoins, prenant une confiance telle quelle des démarches de ce même roi pour la paix à faire, nous avons fait partir N. et N., nos fidèles, délégués solennels de Notre Excellence, qui pour l'honneur de l'Église notre mère, et les heureux auspices de lai chrétienté, sauf l'honneur de l'Empire et des royaumes,auxquels nous commandons par l'autorité de Dieu, fissent connaître notre bonne volonté pour la paix et donnassent les gages de satisfaction future que le roi lui-même jugeait suffisants, etc. (Août 1248. Hist. diplom., t. VI, p.-645.)
[107] Guillaume de Nangis, p. 359.
[108] Il laissait sous la garde de sa mère plusieurs enfants. Il en avait eu cinq jusque-là : Blanche, née le 12 juillet 1240, et qui mourut à moins de trois ans ; Isabelle, née le 18 mars 1242, qui fut reine de Navarre ; Louis, né le 25 février 1244, qui mourut au commencement de 1260 ; Philippe, né le 30 avril 1245, qui fut son successeur, et Jean, né en 1247, mort le 10 mars 1248. Il en eut six autres par la suite ; trois nés pendant la croisade : Jean Tristan, comte de Nevers, né au mois d'avril 1250 à Damiette ; Pierre, comte d'Alençon, né à Châtel-Pèlerin, près d'Acre, en 1251 ; Blanche, née à Jaffa, en 1253, qui épousa Ferdinand, fils d'Alfonse X, roi de Castille ; et trois après son retour : Marguerite, conçue en Palestine, née en 1254, épouse de Jean, duc de Brabant ; Robert, comte de Clermont, né en 1256, qui fut la tige de la maison de Bourbon, et Agnès, la dernière, épouse de Robert II, fils du duc de Bourgogne. Voy. Tillemont, t. V, p. 241-245.
[109] Le 20 septembre seulement une lettre de Simon de Montfort annonce qu'elle est prorogée jusqu'à cinq jours avant Noël (Layettes, t. III, n° 3713). Ce n'était pas s'engager beaucoup.
[110] Les comptes de dépenses pour 1248 portent plusieurs sommes employées à l'armement de ces vaisseaux (Histor. de Fr., t. XXI, p. 283, 284).