Le 9 janvier 1431, l'évêque de Beauvais réunit dans la salle du Conseil du roi, près du château de Rouen, les abbés de Fécamp et de Jumièges, le prieur de Longueville, et cinq autres ecclésiastiques, parmi lesquels Nicolas Loyseleur, chanoine de la cathédrale, et il leur exposa l'état de l'affaire. Une femme qui déshonorait son sexe par son habit, qui professait et enseignait le mépris de la foi catholique, Jeanne dite la Pucelle, avait été prise à la guerre dans les limites de son diocèse. Réclamée du duc de Bourgogne et de Jean de Luxembourg par l'Université de Paris et par l'inquisition, réclamée par lui-même et par le roi, elle venait enfin d'être livrée au roi, et par le roi soumise à son jugement. Il les consultait sur la marche à suivre. Les docteurs furent d'avis qu'il fallait commencer par des informations. L'évêque en avait déjà recueilli : il ordonna qu'on les complétât et qu'on en fît le rapport au conseil. Puis, sur l'avis des mêmes docteurs, il nomma promoteur ou procureur général dans la cause Jean d'Estivet, chassé comme lui de Beauvais, où il était son procureur général ; juge commissaire, Jean de La Fontaine, maître ès arts ; greffiers, Guillaume Celles ou Boisguillaume et Guillaume Manchon, notaires apostoliques à l'officialité de Rouen ; et huissier, Jean Massieu, prêtre, doyen rural de Rouen. C'étaient les officiers du procès qui allait commencer[1]. Le 13 janvier, il réunit dans sa maison la plupart des mêmes docteurs, avec G. Haiton, secrétaire des commandements du roi, et leur donna lecture des informations dont il a été parlé. On résolut de les réduire à un certain nombre d'articles pour mettre de l'ordre et de la clarté dans la matière, dit le juge, et offrir un texte où l'on pût voir plus sûrement s'il y avait lieu d'accuser de crime contre la foi. Des articles ainsi formulés couraient grand risque de substituer à la parole des témoins la pensée du juge. Aussi le résultat ne fut-il point douteux. Dans une nouvelle séance, tenue le 23, on décida que les articles serviraient de base à l'interrogatoire qu'aurait à subir la Pucelle, et l'évêque, invité à commencer l'information préparatoire, en commit le soin à Jean de La Fontaine[2]. On différa jusqu'au milieu du mois suivant, et le temps ne dut pas être perdu pour l'instruction de l'affaire ; car on y employa des manœuvres que révélera un autre procès-verbal. Le 13 février, l'évêque tint un conseil plus nombreux. Il y avait appelé, avec les précédents, plusieurs des principaux docteurs de l'Université de Paris : Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicole Midi, Pierre Maurice, Gérard Feuillet, Thomas de Courcelles. Il reçut le serment des officiers attachés au procès, et le lendemain J. de La Fontaine, assisté des deux greffiers, procéda à l'information dont il était chargé. Elle dura trois jours. Le 19, l'évêque réunit ses conseillers ; et, après leur avoir présenté l'état des choses, il résolût, sur leur avis, de s'adjoindre, en l'absence de l'inquisiteur de France, le vice-inquisiteur Jean Lemaître. On s'ajourna jusqu'à l'après-midi, afin de le recevoir et de l'entendre. Il vint, mais il allégua que sa commission était pour le diocèse de Rouen, et que l'évêque, bien que s'étant fait donner régulièrement le droit territorial dans ce diocèse, informait d'une affaire qui se rapportait au diocèse de Beauvais. L'objection était spécieuse ; on remit ail lendemain pour donner le temps au conseil d'en délibérer, et à J. Lemaitre d'y réfléchir encore. Le conseil déclara que la commission de J. Lemaître, telle qu'elle se trouvait, était valable, mais que, pont plus de sûreté, on inviterait l'inquisiteur à venir lui-même, ou à envoyer des pouvoirs plus explicites ; et Lemaître, tout en gardant ses scrupules, dit qu'il ne faisait point opposition à ce qu'on agît sans lui. L'évêque, pour ne lui laisser par la suite aucun prétexte de rester à l'écart, promit de lui communiquer tout ce qui avait été fait ou se ferait encore dans l'affaire[3]. Tout était prêt : Jeanne nous va revenir. Le 20 février, sans plus attendre, elle fut sommée de comparaître devant l'assemblée de ses juges le lendemain mercredi, à huit heures du matin. Elle répondit qu'elle le ferait volontiers : mais sachant bien qui étaient ses juges et pourquoi on l'accusait, elle demanda que l'évêque s'adjoignît des ecclésiastiques du parti de la France en nombre égal à ceux du parti de l'Angleterre ; en même temps, elle sollicitait de lui, comme une faveur, qu'il lui permît d'entendre la messe avant de comparaître. L'huissier, chargé de l'assignation, transmit à l'évêque sa demande et sa prière ; mais l'une ne fut pas plus goûtée que l'autre. L'évêque, ayant pris conseil des docteurs, jugea que, vu les crimes dont elle était accusée et l'abominable habit qu'elle s'obstinait à porter, il n'y avait pas lieu de l'admettre aux divins offices. Quant à la demande touchant le tribunal, il n'en fut pas même question[4]. Au jour et à l'heure fixés (21 février, à huit heures du matin), l'évêque siégea dans la chapelle du château de Rouen. Aux assesseurs qu'il avait déjà réunis, il avait adjoint d'autres docteurs ; malice n'étaient pas ceux que demandait Jeanne : c'étaient, pour la plupart, des prêtres de la province de Rouen. Lecture faite des pièces de procédure, le promoteur Jean d'Estivet demanda que Jeanne fût amenée et interrogée[5]. Jeanne parut donc. L'évêque ayant rappelé sommairement les circonstances de sa capture qui le faisaient juge de sa personne, le bruit public qui l'accusait, l'ordre du roi, l'enquête, l'avis des docteurs, invita Jeanne à parler en toute sincérité, sans subterfuge et sans détour, et la requit judiciairement de prêter serment de dire la vérité sur toute chose dont on l'interrogerait. Jeanne dit : Je ne sais de quoi vous me voulez interroger. Peut-être me demanderiez-vous des choses que je ne vous dirai pas. Et comme l'évêque lui disait : Jurerez-vous de dire la vérité sur les choses qui vous seront demandées touchant la foi, et que vous saurez ? elle répondit que, touchant son père et sa mère et ce qu'elle avait fait depuis sa venue en France, elle jurerait volontiers ; mais que, pour les révélations qu'elle avait eues de Dieu, elle en avait parlé à son roi seul, et qu'elle n'en dirait rien, dut-on lui couper la tête, parce que ses voix lui avaient commandé de n'en rien dire ; que d'ailleurs, avant huit jours, elle saurait si elle le devait révéler. L'évêque eut beau redoubler ses instances, il ne put la faire renoncer à cette réserve. Les genoux en terre et les deux mains sur l'Évangile, elle jura de dire, autant qu'elle le pourrait, la vérité, mais seulement sur les choses dont elle serait requise touchant la foi[6]. Alors, répondant aux questions de l'évêque, elle lui dit son nom, le lieu de sa naissance, les noms de ses parents, son axe : elle avait alors environ 19 ans ! et comme on lui demandait ce qu'elle savait, elle dit qu'elle avait appris de sa mère Notre père, Je vous salue Marie, Je crois en Dieu : que c'était de sa mère qu'elle tenait sa croyance. L'évêque lui dit de réciter Notre père : Je le ferai, dit-elle, si vous me voulez entendre en confession : elle le demandait pour juge au tribunal de Dieu ! Et comme il offrait de lui donner un ou deux personnages de langue française devant lesquels elle dirait : Notre Père, elle répondit qu'elle ne le dirait que s'ils l'entendaient en confession[7]. L'évêque, avant de la renvoyer, lui défendit de sortir de prison, sous peine d'être réputée convaincue du crime d'hérésie. Elle répondit qu'elle n'acceptait pas la défense, et que si elle s'échappait, nul ne lui' pourrait reprocher d'avoir violé sa foi, parce qu'elle ne l'avait donnée à personne ; et elle prit cette occasion de se plaindre d'être liée par des chaînes de fer. Mais comme l'évêque répondait que ces précautions étaient commandées par ses tentatives d'évasion antérieures, elle n'insista pas, et loin de chercher une excuse : C'est vrai, dit-elle : j'ai voulu et je voudrais encore m'échapper de prison, comme c'est le droit de tout prisonnier. Elle fut commise à la garde de Jean Gris, écuyer du roi, et de deux autres Anglais, J. Berwoit et G. Talbot, qui jurèrent sur l'Évangile de ne la laisser communiquer avec personne, et on l'ajourna au lendemain pour la suite de l'interrogatoire[8]. Cette première séance avait bien peu avancé l'affaire. On n'y trouve, avec les préliminaires communs de tout procès, le serment, les noms, l'origine, que la demande du Pater et l'injonction de ne point chercher à fuir. Mais ce vide même du procès-ver. bal fait comprendre combien vif et prolongé avait été le débat sur le serment, signalé avant l'interrogatoire ; et cela est confirmé par les dépositions postérieures. Au témoignage du greffier Manchon, ce fut une scène de tumulte. Quand il fut question de visions, sans doute quand Jeanne fit ses réserves sur ce point, chacun prenait la parole : elle était interrompue à chaque mot ; et, pour que le fond fût digne de la forme, il y avait, on l'a vu, derrière un rideau, dans l'encoignure d'une. fenêtre, des greffiers apostés l'évêque, qui recueillaient les charges, supprimant les excuses, et venaient effrontément opposer leur minute à celle des greffiers officiels. Le scandale fut si grand, au moins pour le débat, que l'on dut changer de salle et prendre quelques dispositions propres à le diminuer[9]. Le lendemain, le tribunal se réunit dans une chambre située au bout de la grande salle du château : quelques nouveaux membres des chapitres de Paris ou de Rouen s'étaient joints au Conseil de l'évêque. Jeanne étant amenée, l'évêque l'invita à prêter le serment pur et simple de dire la vérité sur tout. Elle dit qu'elle avait juré la veille et qu'il suffisait. On insista ; elle répondit : Je vous ai prêté serment hier, cela vous doit suffire ; vous me chargez trop ; et, quoi que l'on fit, elle ne prêta encore que le serment de dire la vérité sur les choses qui touchaient la foi[10]. L'évêque remit à Jean Beaupère le soin de poursuivre l'interrogatoire. Le savant docteur essaya de prendre Jeanne par la douceur et par l'équivoque. ; il l'exhorta à bien répondre sur ce qu'on lui demanderait, comme elle l'avait juré. Vous pourriez bien, répondit Jeanne, démêlant l'artifice, me demander telle chose dont je vous dirai la vérité, tandis que sur telle autre, je ne vous la dirai pas. Et gémissant en elle-même de voir des hommes d'Église, des ministres de Dieu, persécuter ainsi l'œuvre de Dieu, elle ajouta : Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez vouloir que je fusse hors de vos mains ; je n'ai rien fait que par révélation[11]. Jean Beaupère, craignant de l'effaroucher, la ramena sur un terrain où elle pouvait s'abandonner sans défiance. Il lui demanda l'âge qu'elle avait lorsqu'elle partit de la maison de son père, si elle avait appris quelque métier dans sa jeunesse. De l'âge, elle ne savait au juste que répondre ; quant aux occupations de son enfance, elle dit qu'elle avait appris à coudre et à filer ; ajoutant avec un naïf orgueil de jeune fille, qu'elle ne craignait à ce métier aucune femme de Rouen ; enfin, que tant qu'elle fut dans la maison de son père, elle s'occupait des soins du ménage, et n'allait pas (communément) aux champs garder les brebis ou le bétail[12]. Le docteur alors, changeant de matière, sans paraître changer de terrain, lui demanda si elle se confessait tous les ans. Elle répondit sans le moindre embarras qu'elle se confessait à son curé, ou, s'il était empêché, à un autre avec sa permission ; qu'elle communiait à la fête de Pâques. Et à d'autres fêtes ? — Passez outre. De ses communions à ses révélations le passage était naturel. Jeanne n'hésita point à le franchir. Elle dit à quel âge et comment elle avait entendu pour la première fois la voix de Dieu, les clartés qui se manifestaient à elle avec la voix, les avis qu'elle en avait reçus pour se conduire et venir en France ; son impatience d'y obéir, sa défiance de soi-même, et comment enfin, sur la révélation précise du but à atteindre et de la voie à suivre, elle alla avec son oncle. à Vaucouleurs, reconnut le sire de Baudricourt, et obtint de lui, après plusieurs refus, l'escorte avec laquelle elle vint en habit d'homme trouver le roi-à Chinon[13]. Ce récit avait été entrecoupé de questions qui cachaient autant de pièges : sur l'habit d'homme Qu'elle avait pris et par quel conseil ; sur le duc d'Orléans ; sur plusieurs expressions de sa lettre aux Anglais devant Orléans ; sur la manière dont elle avait reconnu le roi. La Pucelle en devina plusieurs et les sut éviter. On avait répandu divers bruits sur le signe qu'elle avait donné au roi pour se faire agréer. Elle refusa absolument de rien dire qui s'y rattachât. Interrogée si, quand la voix lui désigna le roi, la lumière qui se manifestait communément à elle s'était produite en ce lieu, elle répondit : Passez outre. — Si elle avait vu un ange se tenant au-dessus du roi : De grâce, passez outre. — Quelles révélations le roi avait eues pour la croire : Je ne vous le dirai pas, ce n'est pas l'heure de répondre : mais envoyez au roi et il vous le dira. Elle déclarait d'ailleurs avoir su de la voix, qu'à son arrive le roi la recevrait sans trop de retard. Elle dit que ceux de son parti avaient bien reconnu la voix comme venant de Dieu, et elle citait en témoignage ; Charles de Bourbon, comte de Clermont, et deux ou trois autres. Elle ajoutait qu'il rie se passait pas de jour qu'elle n'entendit cette voix, et qu'elle en avait bien besoin ; que d'ailleurs elle ne lui avait jamais demandé d'autre récompense que le salut de son âme[14]. L'interrogatoire se termina par plusieurs questions qui avaient pour objet de convaincre ses voix de mauvais conseils, par exemple, dans t'affaire de Paris. Jeanne confessa que la voix lui avait dit de rester à Saint-Denys. Elle déclara qu'elle y voulait demeurer, qu'elle en avait été emmenée par les seigneurs contre sa volonté ; qu'elle n'en serait point partie, si elle n'avait pas été blessée. Sa blessure rappelait son échec : elle convint qu'elle avait commandé une escarmouche contre la ville de Paris. N'était-ce pas, dit le docteur, un jour de fête ? — Je le crois, dit Jeanne. — Était-ce bien ? fit le docteur. — Passez outre[15]. On s'arrêta pour ce jour-là : et la journée devait sembler bonne aux ennemis de Jeanne. Toute cette histoire de ses révélations, ce qu'elle en avait dit, ce qu'elle n'en avait pas voulu dire, offrait assez de prise aux commentaires envenimés. On comptait bien Ÿ revenir dans la séance suivante, qui fut remise au samedi. Dans cette troisième séance, plus nombreuse encore que les précédentes, l'évêque revint à la charge pour obtenir de Jeanne un serment absolu et sans condition. Elle lui dit : Laissez-moi parler. Par ma foi, vous pourriez me demander des choses que je ne vous dirais pas ; et expliquant sa pensée : Il se peut que de plusieurs choses que vous pourriez me demander je ne vous dise pas la vérité, en ce qui touche mes révélations, par exemple. Car vous pourriez me contraindre à dire telle chose que j'ai juré de ne pas dire, et ainsi je serais parjure : ce que vous ne devriez pas vouloir. Et comme l'évêque insistait, rappelant sans 'doute le droit qu'il en avait comme juge, elle ajouta : Je vous le dis, prenez bien garde à ce que vous dites que vous êtes mon juge : car vous prenez sur vous une grande charge et vous me chargez trop. C'est assez, il me semble, d'avoir juré deux fois en jugement. L'évêque lui remontra qu'il ne lui demandait qu'un serment, un serment tout simple et sans réserve. Elle répondit : Vous pouvez bien surseoir (ne pas insister davantage), j'ai assez juré par deux fois. Elle ajoutait que tout le clergé de Paris et de Rouen ne la saurait condamner, s'il n'avait droit. Elle promettait d'ailleurs de dire la vérité sur sa venue en France, sans toutefois s'engager à tout dire : car huit jours n'y suffiraient pas. L'évêque lui offrait de prendre conseil des assistants si elle devait jurer ou non ; elle répéta qu'elle dirait la vérité sur sa venue en France et pas autrement ; qu'il ne fallait point lui en parler davantage. Mais en refusant de jurer, vous vous rendez suspecte. Même réponse. Sur de nouvelles instances, elle répondit qu'elle dirait ce qu'elle savait et point tout ce qu'elle savait, et fatiguée de ce débat : Je viens de la part de Dieu, dit-elle, et je n'ai rien à faire ici ; renvoyez-moi à Dieu de qui je viens. Et comme l'évêque la sommait de jurer, sous peine d'être tenue pour coupable des choses qu'on lui imputait, elle répondit : Passez outre[16]. Il fallut bien que l'évêque se résignât à passer outre. Il se réduisit à requérir qu'elle jurât de dire la vérité sur ce qui toucherait le procès. Dans ces termes sa conscience était en repos : elle fit le serment. L'évêque s'en remit encore à Jean Beaupère pour la suite de l'interrogatoire. Jean Beaupère commença par une question qui pouvait sembler pleine d'intérêt pour Jeanne : il lui demanda depuis quand elle avait bu ou mangé. On était en carême ; et si elle avait pris la moindre chose, elle devenait, malgré son jeune âge, véhémentement suspecte do mépris pour les commandements de l'Église. Elle répondit qu'elle n'avait rien pris depuis la veille après midi. C'est à jeun qu'il lui fallait soutenir les émotions et les fatigues de ces journées ! Puis il revint sur le sujet de ses voix. Il lui demanda à quelle heure elle avait entendu la voix qui venait à elle. Elle répondit : Je l'ai entendue hier et aujourd'hui. — A quelle heure, hier ? — Le matin, à vêpres et à l'Ave Maria, et il m'est plusieurs fois arrivé de l'entendre bien plus souvent. — Que faisiez-vous hier matin quand la voix est venue à vous ? — Je dormais, et elle m'a éveillée. — Est-ce en vous touchant le bras ? — Elle m'a éveillée sans me toucher. — Était-elle dans votre chambre ? — Je ne sais, mais elle était dans le château. — L'avez-vous remerciée, avez-vous fléchi les genoux ? Elle répondit qu'elle l'avait remerciée, et qu'étant dans son lit, elle s'était assise et avait joint les mains, après avoir imploré son conseil et demandé son secours auprès de Dieu pour qu'il l'éclairât dans ses réponses. — Et que vous a dit la voix ? — Elle m'a dit de répondre hardiment, et que Dieu m'aiderait. — La voix vous a-t-elle dit quelques paroles avant que vous l'imploriez ? — Oui, mais je n'ai pas tout compris ; et quand je fus éveillée, elle m'a dit de répondre hardiment. Et se tournant vers l'évêque : Vous dites que vous êtes mon juge : Prenez garde à ce que vous faites, parce qu'en vérité je suis envoyée de Dieu, et vous vous mettez en grand danger. Mais le juge était aveugle ; et tout l'effort du procès tend visiblement moins à découvrir la vérité qu'à justifier l'accusation. En l'interrogeant sur ses visions, le délégué du juge avait voulu savoir d'abord si ce n'était point quelque illusion de son esprit. Il y revient, non plus pour en contester la réalité, mais pour en attaquer l'origine, en les convainquant de mensonge ou d'erreur. Il lui demande si la voix n'a point varié dans ses conseils. Non, dit Jeanne, elle ne s'est jamais contredite. Elle m'a dit cette nuit même de répondre hardiment. — Vous a-t-elle défendu de dire tout ce qu'on vous demanderait ? — Je ne vous répondrai pas sur ce
point : j'ai des révélations qui touchent le roi et que je ne vous dirai
point. — La voix vous a-t-elle défendu de dire vos révélations ? — Je ne suis pas conseillée sur ce point ; donnez-moi un délai de quinze jours et je vous répondrai. Le juge n'acceptant pas le délai : Si la voix vous l'a défendu, qu'en voulez-vous dire ? Et comme on la pressait encore : Croyez que les hommes ne me l'ont point défendu. Pour couper court, elle déclara qu'elle ne répondrait rien ce jour-là ; qu'elle ne savait pas si elle devait le dire ou non, avant qu'il lui eût été révélé ; et elle ajouta : Je crois fermement, aussi fermement que je crois la foi chrétienne et que Dieu nous a rachetés des peines de l'enfer, que cette voix vient de Dieu[17]. Le juge, la suivant dans le sens de sa déclaration, lui demanda si cette voix, qu'elle disait lui apparaître, était un ange ou venait de Dieu immédiatement, ou si c'était la voix d'un saint ou d'une sainte. Elle répondit : Cette voix vient de la part de Dieu ; ajoutant qu'elle ne lui disait pas tout ce qu'elle savait, et qu'elle craignait bien plus de déplaire à ces voix par ce qu'elle répondrait, qu'elle ne craignait de lui répondre. Pour cela elle demandait un délai. Croyez-vous donc, dit le juge, qu'il déplaise à Dieu qu'on dise la vérité ? — Les voix m'ont commandé de dire certaines choses au roi et point à vous ; et ne craignant pas d'irriter une curiosité qu'elle ne voulait pas satisfaire, elle ajouta : Cette nuit même, la voix m'a dit plusieurs choses pour le bien du roi que je voudrais bien que le roi sût ; et s'il le savait, il en serait plus aise à son dîner. — Mais, dit le juge, ne pourriez-vous tant faire auprès de nette voix qu'elle voulût, sur votre demande, en porter au roi la nouvelle ? — Je ne sais si la voix le voudrait faire ; elle ne le ferait que si Dieu le voulait. Dieu lui-même, s'il lui plaît, le pourra bien révéler au roi, et j'en serais bien contente. Et pourquoi la voix ne parle-t-elle pas au roi, comme elle faisait quand vous étiez en sa présence ? — Je ne sais si c'est la volonté de Dieu : sans la grâce de Dieu, je ne ferais rien[18]. Cette réponse ne devait pas tomber sans être relevée.
Après plusieurs autres questions sur ses visions : si la voix lui avait
révélé qu'elle dût sortir de prison ; si elle lui avait donné cette nuit des
avis pour répondre ; si dans les deux derniers jours elle avait été
accompagnée de lumière ; si elle avait des yeux, etc. ; à quoi Jeanne
répondait : Je ne vous dirai point tout ; je n'en ai
point permission ; mon serment n'y touche pas ; cette voix est bonne et digne
; je ne suis point tenue de répondre ; demandant néanmoins qu'on lui
donnât par écrit ce sur quoi elle ne répondait pas : le juge, qui n'avait point
perdu de vue cette parole : Sans la grâce de Dieu,
je ne ferais rien, lui demanda si elle savait qu'elle lût dans la
grâce : question redoutable, qui excita des réclamations et des murmures au
sein même de cette assemblée d'hommes prévenus. Nul
ne sait s'il est digne d'amour ou de haine, dit l'Écriture. Et l'on
voulait qu'une pauvre fille ignorante
dit si elle était, oui ou non, dans la grâce de Dieu ! Un des assesseurs osa
dire qu'elle n'était pas tenue de répondre. — Vous
auriez mieux fait de vous taire, dit aigrement l'évêque qui croyait
déjà tenir sa proie ; car la demande était à double tranchant Vous savez-vous
dans la grâce ? Si elle disait non, quel aveu ! et si elle disait oui, quel
orgueil ! Dans le premier cas, elle se déclarait pécheresse ; dans le second,
on la prenait en péché. Elle répondit : Si je n'y
suis, Dieu veuille m'y mettre ; et si j'y suis, Dieu veuille m'y garder ! Le juge demeura confondu ; — et il n'avait même pas la ressource d'accuser cette réponse d'une sorte d'indifférence : Jeanne ajoutait qu'elle serait plus affligée que de toute chose au monde si elle savait qu'elle ne fût pas dans la grâce de Dieu. Puis, invoquant pour elle-même ce qu'on voulait tourner contre son inspiration, elle dit que, si elle était dans le péché, elle croyait que la voix ne viendrait point à elle[19] Le docteur de Paris n'essaya plus de l'interroger sur ce chapitre ; il lui demanda l'âge où elle avait entendu la voix pour la première fois, et par cette transition, il en vint à Domrémy : il s'enquit d'elle si Pori y était du parti des Bourguignons, si ceux de Maxei n'en étaient pas ; si elle détestait les Bourguignons, si elle allait avec les enfants de son village dans les combats qu'ils livraient aux enfants de Maxei ; si elle avait un grand désir de combattre les Bourguignons ; si elle eût voulu être homme pour aller en France. Il voulait voir si des haines de parti n'étaient point la principale source de son inspiration, et il n'oubliait pas ce qui pouvait rendre cette inspiration plus suspecte encore. Il lui reparlait de ses premières occupations et des lieux où s'était passée son enfance, de l'arbre des fées, etc. — Et elle, n'ayant rien à taire, s'abandonnait volontiers à ses souvenirs. Elle répétait ce qu'on disait de l'arbre des fées, de la fontaine voisine et du bois Chesnu. Elle sait que les malades venaient à la fontaine boire de l'eau pour guérir : guérissaient-ils ? elle n'en sait rien. Elle. sait encore que les convalescents allaient se promener sous le bel arbre qu'on appelait le beau Mai ; elle y allait elle-même avec ses compagnes tresser des couronnes pour l'image de la sainte Vierge. Elle a ouï dire que les fées venaient sous cet arbre : elle l'a ouï dire de sa marraine qui disait les avoir vues ; mais pour elle, elle ne sait si c'est vrai, elle ne les a jamais vues. Elle y venait pourtant avec les jeunes filles qui se plaisaient à orner de guirlandes les branches de l'arbre, à chanter et à danser sous son ombre. Elle ajoutait qu'elle avait fait comme les autres ; mais que depuis qu'elle fut appelée à venir en France, elle se donna beaucoup moins aux jeux et aux promenades, et qu'elle ne savait même si depuis l'âge de discrétion il lui arriva jamais de danser sous l'arbre ; qu'elle a pu le faire, mais qu'elle a plus chanté que dansé. Quant au bois Chesnu, elle n'a point ouï dire qu'il fût hanté par les fées. Elle a bien su par son frère qu'on disait dans son pays qu'elle avait eu sa vocation sous l'arbre des Dames ; mais elle le nie. De même, quand elle est venue en France, plusieurs lui ont demandé s'il n'y avait point dans son pays un bois que l'on appelait le bois Chesnu, parce que, selon les prophéties, de ce bois devait venir une jeune fille qui ferait des merveilles ; mais elle déclare qu'elle n'y eut point foi[20]. Ainsi toutes les questions où on la croyait prendre n'avaient révélé les superstitions de son pays que pour prouver combien elle-même avait su y demeurer étrangère. Mais il y avait un crime dont on était toujours bien sûr de la convaincre : c'était celui de porter l'habit d'homme ; car elle-même s'y obstinait, et la candeur des juges n'en soupçonnait pas les raisons. Chaque invitation qu'on lui faisait sur ce point, en la montrant plus endurcie, la rendait plus coupable. On lui demanda, en finissant, si elle voulait reprendre l'habit de femme : Donnez m'en un, dit-elle, et je le prendrai, pourvu qu'on me laisse partir ; sinon, je ne le prendrai pas, et je me contenterai de celui-ci, puisqu'il plaît à Dieu que je le porte. L'audience fut renvoyée au mardi suivant[21]. Le mardi 27, l'évêque, ouvrant la séance par sa sommation ordinaire, invita Jeanne à prêter serment de dire la vérité sur les choses qui touchaient le procès : c'est la formule qu'elle avait acceptée ; mais dans la bouche de l'évêque elle lui devenait suspecte. Elle répondit, faisant plus expressément ses réserves, qu'elle dirait la vérité sur les choses qui touchaient son procès, et non sur tout ce qu'elle savait. L'évêque la pressa vainement de jurer pour tout ce qu'on lui demanderait, elle répondit : Vous devez être contents, j'ai assez juré. Jean Beaupère reprit donc l'interrogatoire, et débutant toujours avec une feinte bonhomie, il lui demanda comment elle s'était po-liée depuis le samedi précédent. Vous le voyez, dit-elle, le mieux que j'ai pu. — Jeûnez-vous tous les jours de carême ? ajouta-t-il. — Est-ce de votre procès ? répondit Jeanne. — Oui. — Eh bien, oui vraiment, j'ai toujours jeûné ce carême. On le pouvait assez savoir d'ailleurs. Jean Beaupère revint alors à ses visions. Il lui demanda si, depuis samedi, elle avait entendu sa voix. Oui vraiment, et plusieurs fois, répondit-elle. — Le samedi même l'avez-vous entendue dans le lieu où l'on vous interrogeait ? — Cela n'est pas de votre procès. Mais elle ajouta qu'elle l'avait entendue. Que vous a-t-elle dit ? — Je ne l'ai pas bien entendue ; je n'ai rien entendu que je puisse vous redire, jusqu'à ce que je fusse revenue dans ma chambre. — Et que vous a-t-elle dit alors ? — Elle m'a dit de vous répondre hardiment. Elle ajouta qu'elle répondrait sur toutes les choses dont elle aurait congé de Dieu, mais que pour ce qui regarde les révélations touchant le roi de France, elle ne dirait rien sans congé de sa voix : Car si je répondais sans congé, dit-elle, peut-être n'aurais-je plus mes voix en garant ; mais quand j'aurai congé de Dieu, je ne craindrai point de parler, parce que j'aurai bon garant[22]. Sans chercher à savoir ce qui était le secret d'elle et de ses voix, le juge voulut au moins la faire parler sur ces voix elles-mêmes. C'est un des points qu'il avait touchés déjà et sur lesquels elle avait voulu d'abord les consulter. Il lui demanda si c'était la voix d'un ange, d'un saint, d'une sainte ou de Dieu sans intermédiaire. — C'est, dit-elle, la voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Elle ajouta (répondant, selon toute apparence, aux questions qu'on lui en faisait) qu'elles étaient couronnées de belles et riches couronnes : Sur cela, dit-elle, j'ai congé de Dieu. Mais si vous en faites doute, envoyez à Poitiers où j'ai été jadis interrogée. — Comment savez vous que ce sont les deux saintes ? les distinguez-vous bien l'une de l'autre ? — Je sais que ce sont elles et je les sais distinguer. — A quel signe ? — Par la manière dont elles me saluent. Elle ajouta que depuis sept ans elles l'avaient prise sous leur direction, et qu'elle les cannait parce qu'elles se nomment à elle. Sont-elles vêtues de la même
étoffe ? Ont-elles le même âge ? — Je ne vous le dirai pas, je n'ai point congé de vous le dire. — Parlent-elles toutes deux ensemble ou l'une après l'autre ? — Je n'ai point congé de vous le dire ; mais j'ai toujours eu conseil de toutes les deux. — Laquelle des deux s'est montrée à vous la première ? — Je ne les ai point connues tout de suite : je l'ai bien su un jour, mais je l'ai oublié, et si j'en ai congé, je vous le dirai volontiers ; cela est d'ailleurs dans les registres de Poitiers[23]. Elle avait parlé du secours qu'elle avait reçu de saint Michel. On lui demanda quelle était la première voix qui vint à elle, comme elle avait treize ans. Elle répondit que c'était saint Michel, qu'elle l'avait vu devant ses yeux, et qu'il n'était pas seul, mais bien accompagné des anges du ciel. Avez-vous vu saint Michel et les
anges réellement et corporellement ? — Je les ai vus des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois, et quand ils s'éloignaient de moi je pleurais, et j'aurais bien voulu qu'ils m'emportassent avec eux. — En quelle figure était saint Michel ? — Je n'ai point de réponse à vous faire ; je n'en ai point congé encore. — Que vous dit cette première fois ? — Vous n'aurez point de réponse aujourd'hui. Elle déclara d'ailleurs qu'elle avait dit au roi, tout en une fois, ce qui lui avait été révélé, parce que c'est à lui qu'elle était envoyée, et qu'elle voudrait bien que le juge eût connaissance du livre où l'on avait consigné ses réponses à Poitiers, pourvu que Dieu en fût content. Sont-ce vos voix qui vous ont
défendu de parler de vos révélations sans congé d'elles ? — Je ne vous réponds point encore sur cela ; je ne sais pas bien si les voix me l'ont défendu. — Mais quel signe donnez-vous que vous ayez cette révélation de la part de Dieu, et que ce soient sainte Catherine et sainte Marguerite qui conversent avec vous ? — Je vous ai dit que c'étaient sainte Catherine et sainte Marguerite ; croyez-moi si vous voulez. — Vous est-il défendu de le dire ? — Je ne sais pas encore si cela m'est défendu. — Et comment savez-vous distinguer les points sur lesquels vous devez répondre ou non ? — Sur quelques points j'ai demandé congé, et je l'ai sur plusieurs. Et elle dit qu'elle eût mieux aimé être tirée à quatre chevaux que de venir en France sans permission de Dieu[24]. Le juge remit en avant la question de l'habit qu'elle avait pris alors. Et elle, ramenant cette affaire qu'on voulait faire si grosse à sa véritable mesure, dit que l'habit était peu de chose, la moindre des choses ; que d'ailleurs elle ne l'avait pas pris par le conseil d'un homme, et qu'elle n'avait rien fait que par le commandement de Dieu et des anges. N'est-ce point par l'ordre de
Robert de Baudricourt ? — Non. — Croyez-vous avoir bien fait en prenant un habit d'homme ? — Tout ce que j'ai fait par commandement de Dieu, je crois l'avoir bien fait, et j'en attends bon garant et bon secours. — Mais, dans ce cas particulier, croyez-vous avoir bien fait en prenant un habit d'homme ? — Je n'ai rien fait au monde que par le commandement de Dieu[25]. Le juge n'avait pu l'amener à une parole qui la mit en contradiction avec l'Écriture. Il revint à ses visions, à la lumière qui les accompagnait, à ses relations avec le roi surtout, et lui demanda, comme dans la deuxième séance (22 février), s'il y avait un ange au-dessus de la tête du roi quand elle le vit pour la première fois. Par la bienheureuse Marie, dit-elle, s'il y eu avait un, je ne sais, je ne l'ai pas vu. — Y avait-il une lumière ? — Il y avait là plus de trois cents soldats et de cinq cents torches, sans compter la lumière spirituelle. J'ai rarement des révélations qui ne soient accompagnées de lumière. — Comment votre roi a-t-il ajouté foi à vos paroles ? — Par les signes qu'il en a eus et par le clergé. — Quelle révélation votre roi a-t-il eue ? — Vous ne le saurez pas de moi cette année. Mais ils avaient d'autres moyens d'y croire, et elle y renvoyait pendant trois semaines, elle avait été interrogée par le clergé, tant à Chinon qu'à Poitiers, et le clergé de son parti avait été d'opinion que, dans son fait, il n'y avait rien eu que de bien[26]. On ne la poussa pas davantage sur ce point ; on aima mieux, pour ce jour, la faire parler de certains détails d'où l'on comptait faire sortir l'accusation de sorcellerie. On lui demanda si elle n'avait pas été à Sainte-Catherine de Fierbois. On lui en parlait à cause de l'épée- trouvée, sur son indication, derrière l'autel de cette église. Elle ne fit pas difficulté de raconter comment l'épée avait été découverte. Elle avait su qu'elle était là par ses voix. Elle ne l'avait plus quand elle fut prise, mais elle l'avait portée constamment jusqu'à son départ de Saint-Denis, après l'attaque de Paris. Cette épée, miraculeusement découverte et si longtemps victorieuse, était suspecte de magie. On lui demanda quelle bénédiction elle avait faite ou fait faire sur elle. Aucune, dit-elle. Je l'aimais parce qu'elle avait été trouvée dans l'église de sainte Catherine, que j'aimais beaucoup. — Ne l'avez-vous pas posée sur l'autel afin qu'elle fût heureuse ? — Non, que je sache. — N'avez-vous pas fait quelques prières pour que cette épée fût heureuse ? — Il est bon à savoir que j'eusse voulu que mon harnois fût heureux. On lui fit redire qu'elle n'avait plus cette épée quand elle fut prise ; que c'est une autre qu'elle avait déposée à Saint-Denis. A Compiègne, elle avait l'épée de ce Bourguignon qu'elle avait pris à Lagny (Franquet d'Arras) ; elle l'avait gardée, parce qu'elle était bonne pour la guerre ; bonne, disait-elle avec une familiarité toute militaire, pour donner de bonnes buffes et de bons torchons (frapper d'estoc et de taille). Ce qu'était devenue son épée, cela ne touchait point le procès. Mais elle dit que ses frères avaient ses biens, ses chevaux, son épée à ce qu'elle croit, et le reste valant plus de douze mille écus[27]. Après l'épée, on la fit parler de sa bannière. On lui demanda ce qu'elle aimait le plus, de sa bannière ou de son épée. J'aime beaucoup plus, quarante fois plus la bannière que l'épée. Elle ajouta qu'elle la portait quand elle chargeait l'ennemi, pour éviter. de tuer personne, et elle déclarait qu'elle n'avait jamais tué personne. On en prit occasion de l'interroger sur ses campagnes. On lui demanda si, à Orléans, au moment de l'assaut, elle n'avait pas dit à ses gens qu'elle recevrait seule les flèches, les viretons, les pierres lancées par les canons ou les machines. Elle le nia, et donna pour preuve que plus de cent des siens périrent : elle leur a dit seulement de ne point douter, qu'ils feraient lever le siège. Elle rappela aussi sa blessure ; ajoutant qu'elle eut grand réconfort de sainte Catherine et fut guérie avant quinze jours. Saviez-vous que vous seriez
blessée ? — Je le savais, et l'avais dit au roi, mais, nonobstant, qu'il ne laissât point d'agir. Elle avait eu cette révélation de ses deux saintes, sainte Catherine et sainte Marguerite. — D'Orléans on passa à Jargeau, et on lui demanda pourquoi elle n'avait pas reçu à rançon le capitaine de cette ville. Elle allégua les conditions faites aux Anglais de la place par les seigneurs de son parti. Pour elle, son avis était qu'ils s'en allassent en leur petite cotte, ayant la vie sauve, s'ils ne voulaient être pris d'assaut. Les voix vous l'avaient-elles
conseillé ? — Je n'en ai pas souvenir[28]. L'interrogatoire de Jeanne, si habilement qu'il fût conduit, ne menait à aucun des résultats qu'on espérait atteindre. On l'avait fait parler de son enfance, de sa vie tout entière, et on n'avait pu trouver en elle rien qui démentit l'innocence de ses mœurs, la pureté de sa foi, la droiture de son jugement, même sur des points où quelque participation aux superstitions communes à son pays ou à son temps n'aurait certes pas donné le droit de l'accuser d'hérésie. Une seule chose restait extraordinaire dans ses paroles, c'est ce qu'elle disait des visions qu'elle avait eues, qu'elle prétendait avoir toujours. Aucun des juges n'avait la pensée de les déclarer impossibles : ils voulaient, on l'a vu, s'assurer si elles n'étaient pas feintes, ou, en les admettant comme réelles, en savoir l'origine ; et tous les efforts qu'ils avaient faits pour les rapporter à l'esprit du mal en y trouvant l'erreur, la contradiction ou le mensonge, étaient restés sans résultat. Ils ne : se tenaient cependant pas encore pour vaincus en ce point. Il y avait dans les réserves persévérantes de Jeanne sur le serment qu'on lui demandait chaque fois, et dans ses réticences déclarées sur le sujet de ses révélations, quelque chose qui, en cachant un mystère, provoquait la curiosité des juges et redoublait leur envie d'en soulever les voiles pour la confondre. On résolut donc d'y revenir encore. A la séance suivante, le jeudi 1er mars, après avoir prêté le serment dans les termes dont elle n'avait jamais voulu se départir, elle ajouta, pour montrer à ses juges combien elle était résolue d'être sincère en tout ce qu'il lui était permis de dire : Pour ce qui touche le procès, je vous dirai volontiers toute la vérité ; je vous la dirai comme si j'étais devant le pape de Rome. On lui demanda de quel pape elle croyait qu'il fût le véritable. Elle répondit en demandant s'il y en avait deux : réponse accablante pour cette race de politiques et de docteurs dont l'orgueil avait pendant si longtemps nourri le schisme de l'Église. L'incident toutefois donna lieu de lui demander si elle n'avait pas reçu du comte d'Armagnac des lettres où il la priait de lui dire auquel des trois papes rivaux il devait obéir. — La question pouvait paraître étrange pour ce temps-là On n'en était plus au milieu du grand schisme, ni dans la crise du concile de Constance. Martin V était reconnu de toute la chrétienté ; Benoît XIII, avant de mourir, avait été répudié, même de la France, et les deux antipapes, nommés après sa mort par ses trois cardinaux divisés, n'étaient guère connus hors du coin de l'Espagne où le schisme expirait après ce dernier et impuissant effort. Toutefois, le comte d'Armagnac avait partagé l'entêtement du roi d'Aragon à cet égard, et le 4 mars 1429 Martin V avait publié une bulle contre lui. — Jeanne convint du message comme de sa réponse, à laquelle elle ne parut pas attacher grande importance. Elle montait à cheval quand elle la fit : ce qu'elle s'en rappelait, c'est qu'elle promettait au comte de répondre à sa lettre quand elle serait à Paris ou ailleurs, en repos. On lui donna lecture et de la lettre du comte et de la réponse qu'on lui attribuait. Elle la reconnut pour une partie, mais non pour le tout. On comprend qu'une lettre dictée comme le fut celle-ci, ait pu être modifiée dans sa teneur par le clerc qui l'avait écrite. Elle ne se rappelait point, par exemple, avoir dit qu'elle savait par le conseil du Roi des rois ce que le comte devait tenir pour vrai sur cette matière. Mais, dit le juge, faites-vous doute vous-même sur celui à qui le comte devait obéir ? — Je ne savais que mander au comte, parce qu'il voulait savoir à qui Dieu commandait qu'il obéit. Mais pour moi, ajouta-t-elle, je tiens et je crois que nous devons obéir à notre seigneur le pape qui est à Rome : tranchant ainsi, avec le bon sens d'une âme simple, une question que la science et la passion des docteurs et des grands du monde avaient si fort embrouillée. Elle déclara d'ailleurs qu'elle avait dit au comte ne point savoir que lui répondre sur ce sujet : que la réponse qu'elle lui promettait avait trait à tout autre chose, et que jamais elle n'écrivit ou fit rien écrire sur le fait des trois pontifes[29]. La lettre qu'on lui avait présentée portait les noms de Jésus et de Marie avec une croix. On lui demanda si ce n'était pas le signe dont elle marquait ses lettres. Elle répondit qu'elle le faisait quelquefois, et d'autres fois non, et qu'il lui arrivait même, quand elle craignait qu'un message ne fût intercepté par l'ennemi, de le marquer d'une croix, afin que celui de son parti à qui elle écrivait fît le contraire : — déclaration recueillie précieusement. On en fera un sacrilège[30]. Avec la lettre au comte d'Armagnac, on avait encore une autre lettre de Jeanne : cette lettre si hardie et si fière qu'elle écrivit aux Anglais pour les sommer de lever le siège d'Orléans. Elle la reconnut, sauf quelques mots où elle se mettait plus en avant qu'il n'était dans sa pensée de le faire : rendez à la Pucelle pour rendez au roi ; chef de guerre dit d'elle-même ; corps pour corps : mots que son secrétaire substitua peut-être à d'autres, ou dont elle-même avait perdu le souvenir ; car on ne peut accuser les Anglais de les avoir frauduleusement introduits dans sa lettre : on les retrouve dans des copies qui ne sont point d'origine anglaise, et on ne voit pas d'ailleurs ce qu'ils auraient gagné à cette altération. Au surplus, elle déclara qu'elle seule avait dicté cette lettre ; qu'elle s'était bornée à la communiquer à ceux de son parti ; et loin de rien rétracter, même dans ses fers, des espérances qu'elle exprimait alors, elle fit une prédiction qu'on n'accusera pas d'être supposée depuis l'événement : le procès-verbal même la constate. Elle annonça qu'avant sept ans les Anglais laisseraient un plus grand gage que devant Orléans, et qu'ils perdraient toute la France. Ils éprouveront, ajouta-t-elle, plus grand dommage qu'ils aient jamais eu en France, et ce sera par une grande victoire que Dieu enverra aux Français. — Cinq ans après, en 1436, les Anglais perdaient leur gage, Paris, et bientôt après, le reste du royaume. Comment savez-vous cela ? lui dit-on. — Je le sais par révélation, et je serais bien courroucée que cela fût tant différé. Et, sans s'inquiéter si ses paroles ne soulevaient point contre elle toutes les colères de ses ennemis, elle ajouta qu'elle le savait aussi sûrement qu'ils étaient là devant elle. Quand cela arrivera-t-il ? — Je ne sais ni le jour ni l'heure. — En quelle année ? — Vous ne le saurez pas encore, mais je voudrais bien que ce fût avant la Saint-Jean. — N'avez-vous pas dit que ce serait avant la Saint-Martin d'hiver ? — Avant la Saint-Martin on verra bien des choses, et il se peut qu'on voie les Anglais jetés bas. — Qu'avez-vous dit à Jean Gris, votre gardien, de la Saint-Martin d'hiver ? — Je vous l'ai dit. — De qui savez-vous que cela arrivera ? — De sainte Catherine et de sainte Marguerite[31]. On la reprit sur ses apparitions. On lui demanda si saint Gabriel n'était point avec saint Michel quand il lui apparut : «Je ne m'en souviens pas ; — si, depuis le mardi précédent, elle avait conversé avec sainte Catherine et sainte Marguerite : Oui, mais je ne sais l'heure ; — quel jour : Hier, aujourd'hui, il n'y a pas de jour que je ne les entende. On lui demanda si elle les voyait toujours dans le même habit : C'est, dit-elle, toujours la même forme ; et elle parla de leurs riches couronnes : de leurs robes, elle ne savait. Et comment, dit grossièrement le juge, savez-vous que ce qui vous apparaît est un homme ou une femme ? — A la voix, et parce qu'elles me l'ont révélé. Je ne sais rien que par révélation et par ordre de Dieu. — Quelle figure voyez-vous ? — La face. — Les saintes qui se montrent à vous ont-elles des cheveux ? — Cela est bon à savoir. — Y a-t-il quelque chose entre leur couronne et leurs cheveux ? — Non. — Leurs cheveux sont-ils longs et pendants ? — Je n'en sais rien. Elle ne répondit pas davantage sur ce qu'on lui demandait de' leurs bras et du reste de leur corps ; et, ramenant ses juges à ce qui était pour elle ses saintes, elle dit que leurs paroles étaient bonnes et belles et qu'elle les entendait bien. Comment, dit le juge, parlent-elles, puisqu'elles n'ont pas de membres ? — Je m'en réfère à Dieu. Et comme elle ajoutait que cette voix était belle, douce et humble, et parlait français, le juge lui demanda si sainte Marguerite ne parlait pas anglais : Et comment, lui dit Jeanne, parlerait-elle anglais, puisqu'elle n'est pas du parti des Anglais ? — Cette réponse tiendra sa place parmi les chefs d'accusation[32]. Le juge, reprenant son thème favori, la description physique des apparitions, demanda à Jeanne si les saintes portaient avec leurs couronnes des anneaux aux oreilles. Mais Jeanne dit qu'elle n'en savait rien. A cette occasion, il lui demanda si elle n'avait pas elle-même des anneaux. Elle en avait deux qui lui avaient été pris depuis sa captivité. Jeanne, se tournant vers l'évêque : Vous en avez un à moi ; rendez-le-moi ; et elle le pria de le lui montrer s'il l'avait. Cet attachement à ses anneaux répondait à la pensée de ses juges, fort enclins à y soupçonner quelque vertu magique. On lui demanda qui lui avait donné l'anneau qu'avaient les Bourguignons. Elle dit qu'elle l'avait reçu à Domrémy de ses parents : il n'avait point de pierre et portait gravés les noms de Jésus et de Marie. Quant à l'autre, celui qu'avait l'évêque, elle le tenait de son frère, et elle chargeait l'évêque de le donner à l'Église. Elle repoussait d'ailleurs ce qu'on disait de la vertu de ses anneaux, et déclarait qu'elle n'avait jamais guéri personne par leur attouchement[33]. On avait déjà essayé de rattacher ses visions lux 'superstitions de son pays. Ses saintes, n'étaient-ce pas ces fées dont on parlait à Domrémy, que sa marraine même prétendait avoir vues ? On lui demanda donc si elle n'avait pas conversé avec sainte Catherine et sainte Marguerite, sous l'arbre dont il avait' été mention déjà : Je ne sais, dit-elle. — Et à la fontaine qui est près de l'arbre ? — Oui, quelquefois, mais je ne me rappelle pas ce qu'elles m'y ont dit. — Que vous ont-elles promis là ou ailleurs ? — Elles ne m'ont fait aucune promesse que ce ne soit par congé de Dieu. — Mais quelles promesses vous ont-elles faites ? — Cela n'est pas de votre procès en tout point : mais elles m'ont dit que messire (le roi) sera rétabli dans son royaume, que ses ennemis le veuillent ou non ; et elles m'ont promis de me conduire en paradis. — Avez-vous quelque autre promesse ? — Oui, mais je ne la dirai pas, cela ne touche pas votre procès. Avant trois mois, je vous dirai l'autre promesse. — Vos voix vous ont-elles dit que vous seriez délivrée avant trois mois ? — Cela n'est pas de votre procès ; néanmoins, je ne sais quand je serai délivrée, mais ceux qui voudront m'ôter du monde pourront bien s'en aller avant moi. — Votre conseil vous a-t-il dit que vous seriez délivrée dé cette prison ? — Reparlez m'en dans trois mois et je vous répondrai. On est au 1er mars ; trois mois après, presque jour pour jour (30 mai), elle échappait à la prison par la mort. Comme on la pressait de répondre : Demandez aux assistants qu'ils disent, sous la foi du serment, si cela touche le procès. Et après que le conseil eut déclaré que cela était du procès, elle ajouta : Je vous ai toujours bien dit que vous ne saurez pas tout. Il faudra qu'un jour je sois délivrée. Je veux avoir congé pour le dire. C'est pourquoi je demande un délai. — Les voix vous défendent-elles de dire la vérité ? — Voulez-vous que je vous dise ce qui regarde le roi de France ? Il y a bien des choses qui ne touchent pas le procès. Elle répéta qu'elle savait bien que le roi gagnerait son royaume, qu'elle le savait aussi sûrement qu'elle voyait ses juges siégeant devant elle ; et elle disait qu'elle serait morte déjà sans cette révélation qui la fortifie tous les jours[34]. On revint aux superstitions de son pays, où l'on prétendait l'impliquer, et on lui demanda ce qu'elle avait fait de sa mandragore — cette plante, convenablement enveloppée, faisait une sorte d'amulette dont on vantait fort les prodiges. Elle dit qu'elle n'avait pas et n'avait jamais eu de mandragore, mais qu'elle avait ouï dire qu'il y en avait auprès de son village, bien qu'elle ne l'eût jamais vue ; qu'on lui a dit que c'est chose périlleuse et mauvaise que d'en garder ; et en somme, elle ne sait à quoi cela sert. Après d'autres questions encore sur cette mandragore de Domrémy, sur le lieu où elle est, sur la vertu qu'on lui attribue, questions dont l'unique résultat fut de montrer une fois de plus combien Jeanne, par l'élévation de son âme, était au-dessus de ces puérilités, on revint à ses apparitions pour.les prendre encore au sens le plus bas. On lui demanda en quelle figure lui était apparu saint Michel : Je ne lui ai pas vu de couronne, dit-elle ; pour les vêtements, je ne sais. — Était-il nu ? — Pensez-vous que Dieu n'ait pas de quoi le vêtir ?[35] Le juge, rappelé à la pudeur par ce langage simple et digne, se rejeta dans quelques platitudes : Avait-il des cheveux ? — Pourquoi lui seraient-ils coupés ? — Tenait-il une balance ? — Je ne sais. Et s'élevant à la pensée de ses divins protecteurs, elle disait naïvement, comme si cela pouvait élever aussi l'âme de ses juges, qu'elle avait grande joie en le voyant ; qu'il lui semblait, quand elle le voyait, qu'elle n'était point en péché mortel ; et elle ajoutait que sainte Catherine et sainte Marguerite la faisaient se confesser quelquefois. — Se confesser, c'est avouer ses fautes. Le juge, cherchant à prendre son innocence en défaut, lui demanda si, quand elle se confessait, elle croyait être en péché mortel : Je ne sais, dit-elle, si j'ai été en péché mortel ; je ne crois pas en avoir fait œuvre, et Dieu me garde d'avoir jamais été en cet état ; Dieu me garde de faire ou d'avoir jamais fait œuvre qui charge mon âme[36]. On revint alors sur ce signe donné au roi, signe qui, selon le bruit public, avait eu de nombreux témoins, et dont elle avait toujours fait mystère : car elle n'en pouvait parler sans livrer au public ce que le roi n'avait dit qu'à Dieu, et révéler un doute qui, entre les mains des ennemis du prince, devenait comme un désaveu de son origine et une arme propre à ruiner ses droits. Elle répondit : Je vous ai dit que vous n'en auriez rien de ma bouche ; allez lui demander. — Avez-vous donc juré de ne point révéler ce qu'on vous demande touchant le procès ? — Je vous ai dit déjà que je ne vous dirai pas ce qui touche le fait du roi ; je ne dirai rien de ce qui le regarde. — Savez-vous le signe que vous avez donné au roi ? — Vous n'en saurez rien de ma part. Et comme on lui disait que cela touchait son procès : De ce que j'ai promis de tenir secret je ne vous dirai rien : car je l'ai promis en tel lieu que je ne pourrais le dire sans parjure. — A qui l'avez-vous promis ? — A sainte Catherine et à sainte Marguerite. Elle ajouta qu'elle l'avait promis sans qu'elles l'en requissent, uniquement d'elle-même, parce qu'il y avait trop de gens qui le lui auraient demandé, si elle n'avait pris cet engagement envers ses saintes. On lui demanda alors si, lorsqu'elle montra ce signe au roi, il n'y avait point quelqu'un avec Je ne pense pas, bien qu'il y eût assez de monde au voisinage. — Elle avait parlé au prince en secret, mais à la vue de plusieurs témoins. — Avez-vous vu la couronne sur la tête du roi quand vous lui avez montré ce signe ? — Je ne puis vous le dire sans parjure. — Le roi avait-il la couronne à Reims ? — Le roi, je pense, a pris volontiers la couronne qu'il a trouvée à Reims ; mais une bien plus riche couronne lui fut apportée par la suite. Il ne l'a point attendue, pour hâter la cérémonie, à la requête de ceux de Reims, afin d'éviter la charge des hommes de guerre. S'il l'avait attendue, il aurait eu une couronne mille fois plus riche. — Avez-vous -vu cette couronne plus riche ? — Je ne puis vous le dire sans parjure. Et si je ne l'ai pas vue, j'ai oui dire qu'elle était riche et magnifique (opulenta)[37]. On n'en put rien savoir davantage : cette couronne, qui était pour le roi comme le gage et le prix de sa mission, était-ce une chose réelle ou un pur symbole ? c'est ce qui restait encore entouré de mystère. On renvoya l'interrogatoire au surlendemain. La séance qui se tint, le samedi, 3 mars, la dernière qui fût publique, est une de celles qui offrent le plus de désordre dans l'interrogatoire. On avait hâte d'en finir, et l'on voulait, avant de clore les débats, obtenir de Jeanne quelques paroles qui donnassent plus d'apparence aux accusations dont elle était l'objet. Après le serment qu'on persistait à lui demander pur et simple, et qu'elle renfermait toujours dans les termes accoutumés, on la ramena sur ses apparitions : Vous avez dit que saint Michel avait des ailes — Est-ce alors ? Elle n'en a rien dit auparavant ; mais si elle ne relève pas l'affirmation, il sera constant que, de son aveu, saint Michel avait des ailes —, et vous n'avez point, continue le juge, parlé des corps de sainte Catherine et de sainte Marguerite : qu'en voulez-vous dire ? — Je vous ai dit ce que je savais et je ne vous répondrai pas autre chose. Et elle ajouta qu'elle les avait bien vus et savait qu'ils étaient saints dans le paradis. En avez-vous vu autre chose que la face ? — Je vous ai dit tout ce que j'en sais : mais plutôt que de vous dire tout ce que je sais, j'aimerais mieux que vous me fissiez couper le cou. — Croyez-vous que saint Michel et saint Gabriel avaient des têtes naturelles ? — Je les ai vus eux-mêmes de mes yeux, et je crois que ce sont eux aussi fermement que Dieu est. — Croyez-vous que Dieu les ait faits en la forme où vous les voyez ? — Oui. — Croyez-vous que Dieu les ait créés ainsi dans le commencement ? — Vous n'aurez de moi rien autre chose que ce que je vous ai répondu[38]. Les réponses de Jeanne excluant l'idée que ses visions fussent une simple illusion de son esprit, il y avait, on l'a vu, pour les juges, un moyen de les faire tourner contre ces voix elles-mêmes : c'était de montrer qu'elles l'avaient trompée. On se crut assez sûr de la bien tenir dans ses fers, pour leur ménager un démenti en lui faisant cette question : Savez-vous par révélation que vous deviez vous échapper ? — Cela ne touche pas votre procès. Voulez-vous que je parle contre moi ? Parole de bon sens qui était la condamnation de tout ce système d'enquête : que voulait-on autre chose, en effet, depuis qu'on l'interrogeait ? Vos voix vous l'ont-elles dit ? reprit le juge insistant. — Ce n'est pas de votre procès. Je m'en rapporte au procès : si tout vous regardait, je vous dirais tout. Et elle ajouta : Par ma foi, je ne sais ni le jour, ni l'heure où je m'échapperai. — Vos voix vous en ont-elles dit quelque chose en général ? — Oui, vraiment : elles m'ont dit que je serai délivrée (mais je ne sais ni le jour, ni l'heure), et que je fasse bon visage[39]. Le juge n'avait rien à lui demander de plus sur cette matière. Il passa à l'affaire de l'habit : si c'était un crime, elle ne pouvait pas le nier. Mais on n'était pas fâché de savoir si le roi et son clergé, et peut-être les voix elles-mêmes, ne pouvaient pas être reconnus fauteurs de l'hérésie. On lui demanda donc : Lorsque vous êtes venue auprès du
roi, ne s'est-il pas enquis si c'était par révélation que vous aviez changé
d'habit ? — Je vous ai répondu ; cependant je ne me rappelle pas si cela me fut demandé. Cela a été écrit à Poitiers. — Les docteurs qui vous ont examinée ailleurs, quelques-uns pendant un mois, d'autres pendant trois semaines, ne vous ont-ils pas interrogée sur ce changement d'habit ? — Je ne m'en souviens pas. Cependant ils m'ont demandé où j'avais pris cet habit d'homme, et je leur ai répondu : A Vaucouleurs. La chose était assez simple et assez naturelle, en effet, pour qu'un juge impartial n'ait pas l'idée d'en chercher la légitimité dans une révélation. On insista pourtant, mais on ne put obtenir d'elle que cette réponse : Je ne m'en souviens pas. — Et la reine ? — Je ne m'en souviens pas. — Le roi, la reine ou quelque autre de votre parti vous ont-ils quelquefois demandé de quitter l'habit d'homme ? — Cela n'est pas de votre procès. — Ne vous l'a-t-on pas demandé au château de Beaurevoir ? — Oui, et j'ai répondu que je ne le quitterai point sans le congé de Dieu. Elle avait dit à la dame de Beaurevoir et à sa tante, la demoiselle de Luxembourg, qui l'en pressaient, qu'elle n'en avait pas congé à cette heure et qu'il n'en était pas temps encore. Même réponse au sujet de propositions de même sorte qui lui avaient été faites à Arras. Croyez-vous que vous auriez péché
en prenant l'habit de femme ? — J'ai mieux fait d'obéir et do servir mon souverain seigneur. Elle ajouta que si elle avait dû prendre l'habit de femme, elle l'eût plutôt fait à la requête de ces deux dames que d'aucune autre en France, excepté la reine. Mais, dit le juge, revenant par ce détour à la complicité de ses voix, et supposant, par une tactique assez grossière, la question résolue au fond, pour tirer d'elle sur un point accessoire.une déclaration qui l'engageait, quand Dieu vous a révélé de changer votre habit en habit d'homme, fût-ce par la voix de saint Michel, ou par la voix de sainte Catherine ou de sainte Marguerite ? — Vous n'en aurez maintenant autre chose[40]. On eu vint alors à son étendard et aux panonceaux de ses gens, pour y chercher quelque trace de, superstition ou de magie. On lui demanda si les gens de guerre, lorsque son roi la mit à l'œuvre et qu'elle se fit faire son étendard, n'avaient Pas fait faire des panonceaux à la manière du sien. Elle répondit : Il est bon à savoir que les seigneurs maintenaient leurs armes ; disant d'ailleurs que ses compagnons de guerre firent faire leurs panonceaux à leur plaisir. Elle n'avait que deux ou trois lances dans sa compagnie, et si ces hommes faisaient leurs panonceaux à la ressemblance des siens, c'était pour se distinguer des autres. Étaient-ils souvent renouvelés ? — Je ne sais ; quand les lances étaient rompues, on en faisait de nouveaux. — N'avez-vous pas dit, ajouta le juge démasquant le fond de sa pensée, que les panonceaux faits à la ressemblance du vôtre étaient heureux ? — Je disais à mes gens : Entrez hardiment parmi les Anglais, et j'y entrais moi-même. — Ne leur avez-vous pas dit, continua le juge retournant ses paroles, qu'ils portassent hardiment leurs panonceaux, et qu'ils auraient bonheur ? — Je leur ai bien dit ce qui est advenu et ce qui adviendra encore. — Ne mettiez-vous pas ou ne faisiez-vous pas mettre de l'eau bénite sur les panonceaux quand on les prenait nouveaux ? — Je n'en sais rien, et s'il a été fait, ce n'a pas été de mon commandement. — N'avez-vous pas vu qu'on y jetât de l'eau bénite ? — Cela n'est point de votre procès, et si je l'ai vu faire, je n'ai point avis maintenant d'en répondre. — Les compagnons de guerre ne faisaient-ils point mettre en leurs panonceaux Jésus, Maria ? — On lui aurait fait un crime de se placer sous l'invocation de ces noms sacrés ! — Elle répondit : Par ma foi, je n'en sais rien. — N'avez-vous point porté ou fait porter, par manière de procession, des toiles autour d'un autel ou d'une église, pour en faire des panonceaux ? — Non, et je ne l'ai point vu faire[41]. On l'interrogea ensuite sur frère Richard. Elle dit qu'elle ne l'avait jamais vu avant de venir devant Troyes, et raconta la scène de leur rencontre, que l'on a vue en son temps. Mais Jeanne elle-même avait été l'objet d'honneurs que l'on voulait maintenant tourner à sa perte. On lui demanda si elle n'avait pas vu, ou même si elle n'avait pas fait faire quelque image ou peinture d'elle-même. Elle répondit qu'elle avait vu à Arras (au moment où elle fut livrée aux Anglais) une peinture entre les mains d'un Écossais ; qu'elle y était figurée tout armée, un genou en terre, présentant des lettres au roi. Elle ajouta qu'elle n'avait jamais vu ou fait faire aucune autre image à sa ressemblance. On allait jusqu'à vouloir tourner contre elle un tableau qui était, disait-on, dans la maison de son hôte à Orléans, et où l'on avait peint trois femmes avec cette inscription : Justice, Paix, Union. Elle répondit qu'elle ne l'avait pas vu[42]. Savez-vous, lui dit alors le juge, que ceux de votre parti aient fait dire des messes ou des prières en votre honneur ? — Je n'en sais rien, et s'ils l'ont fait, ce n'est point par mon commandement. Toutefois s'ils ont prié pour moi, il m'est avis qu'ils n'ont pas fait mal. — Ceux de votre parti croient-ils fermement que vous êtes envoyée de Dieu ? — Je ne sais s'ils le croient ; je m'en attends à leur courage (conscience) ; mais s'ils ne le croient, je n'en suis pas moins envoyée de Dieu. — Pensez-vous qu'en croyant que vous êtes envoyée de Dieu ils aient bonne croyance ? — S'ils croient que je suis envoyée de Dieu, ils n'en sont point abusés. — Connaissiez-vous les sentiments de ceux de votre parti quand ils vous baisaient les pieds, les mains et les vêtements ? — Beaucoup de gens me voyaient volontiers, et ils baisaient mes mains le moins que je pouvais ; mais les pauvres gens venaient volontiers à moi parce que je ne leur faisais point de déplaisir, mais les supportais selon mon pouvoir. — Quelle révérence vous ont faite ceux de Troyes à l'entrée de la ville ? — Aucune, et, autant que je pense, frère Richard est entré à Troyes avec nous. — Frère Richard n'a-t-il point fait un sermon à votre arrivée dans la ville ? — Je ne m'y arrêtai guère ; je n'ai point couché dans la ville, je ne sais rien du sermon. — N'avez-vous pas été plusieurs jours à Reims ? — Je crois que nous y fûmes quatre ou cinq jours. — N'avez-vous point levé quelque enfant des fonts de baptême ? — J'en ai levé un à Troyes, mais de Reims je n'ai point de mémoire, ni de Château-Thierry. J'en ai levé aussi deux à Saint-Denis, et je nommais volontiers les fils Charles pour l'honneur du roi, et les filles Jeanne, et quelquefois selon ce que les mères voulaient. — Les bonnes femmes de la ville ne touchaient-elles point de leurs anneaux l'anneau que vous portiez ? — Maintes femmes ont touché mes mains et mes anneaux, mais je ne sais point leur intention[43]. Après d'autres questions sur les gants que le roi portait au sacre, sur son étendard qu'elle portait elle-même près de l'autel à cette cérémonie, on lui demanda si, quand elle allait par le pays, elle recevait souvent le sacrement de confession et le sacrement de l'autel. Oui, dit-elle. — Les receviez-vous en habits d'homme ? — Oui, mais je n'ai point mémoire de les avoir reçus en armes. Que faisaient les armes ? c'était assez de l'habit pour qu'elle demeurât convaincue de sacrilège par son aveu. Aussi ne lui en demanda-t-on point davantage. On lui parla de la haquenée de l'évêque de Senlis : autre profanation ; elle l'avait prise comme cheval de guerre. Il est vrai qu'elle l'avait achetée 200 saluts (2.430 fr. environ). L'évêque avait-il été payé ? au moins avait-il reçu mandat pour l'être ; mais d'ailleurs elle lui avait écrit qu'elle lui rendrait son cheval, s'il voulait ; qu'elle ne s'en souciait pas, que la bête ne valait rien pour la peine[44]. L'interrogatoire révéla un fait que l'histoire n'a point mentionné, et sur lequel Jeanne s'explique avec une simplicité qui n'ôte rien à la vertu de sa prière. On lui demanda quel âge avait l'enfant qu'elle avait ressuscité à Lagny. Elle répondit qu'il avait trois jours. On le porta devant l'image de la sainte Vierge, et on lui dit, à elle, que les jeunes filles de la ville étaient devant cette image : on l'invitait à y aller elle-même, prier Dieu et Notre Dame pour qu'il -donnât la vie à l'enfant. Elle y alla, et pria avec les autres ; et finalement il donna signe de vie et bâilla trois fois. Il fut baptisé, et aussitôt mourut et fut mis en terre sainte. Il y avait trois jours, comme on disait, ajoutait-elle, que l'enfant n'avait donné signe de vie, et il était noir comme sa cotte ; mais quand il bâilla, la couleur lui commença à revenir. Tout ce que Jeanne dit d'elle-même en ce récit, c'est qu'elle était avec les jeunes filles, à genoux devant Notre Dame, faisant sa prière. N'a-t-on pas dit par la ville que
c'est vous qui avez fait faire cela, et que cela se fit à votre prière ? — Je ne m'en informai point[45]. Après cela, on lui parla de Catherine de la Rochelle, cette femme qui voulut faire l'inspirée, et à qui Jeanne conseilla bonnement de retourner à son mari, et de faire son ménage. Jeanne raconta l'entrevue qu'elle eut avec elle, comme elle s'offrit d'être témoin de ses visions, et comme elle ne vit rien. Puis on lui parla de ce siège de la Charité, où Catherine ne lui conseillait point d'aller, parce qu'il faisait trop froid ; où Jeanne était allée pourtant, mais sans succès : c'est un échec que l'on opposait victorieusement à son inspiration. Pourquoi, lui dit-on, n'y êtes-vous pas entrée, puisque vous aviez commandement de Dieu ? Elle répondit : Qui vous a dit que j'avais
commandement d'y entrer ? — N'avez-vous pas eu conseil de votre voix ? — Je voulais venir en France, mais les gens d'armes me dirent que c'était le mieux d'aller devant la Charité premièrement[46]. On l'interrogea enfin sur son séjour à Beaurevoir. Elle raconta comme elle avait voulu s'en échapper, sautant du haut de la tour malgré ses voix, et comment sainte Catherine l'avait consolée en lui disant qu'elle guérirait et que ceux de Compiègne auraient secours. On voulait faire de cette tentative d'évasion une tentative de suicide. On lui demanda, pour en insinuer l'intention, si elle n'avait point dit qu'elle aimerait mieux mourir que d'être en la main des Anglais. J'ai dit, reprit-elle, sans se soucier du piège, que j'aimerais mieux rendre l'âme à Dieu que d'être en la main des Anglais. On termina par l'accusation la plus étrange. On prétendait qu'en reprenant ses sens, elle s'était courroucée et avait blasphémé. le nom de Dieu. Et de même, qu'en apprenant la défection du capitaine de Soissons, elle avait renié Dieu. Elle répondit qu'elle n'avait jamais maugréé ni saint ni sainte, et qu'elle n'avait point coutume de jurer[47]. Jeanne fut ramenée à sa prison sans autre assignation à comparaître. Le spectacle de ces débats, la candeur de la jeune fille, sa présence d'esprit, sa fermeté, sa droiture dans cette lutte soutenue avec les docteurs les plus habiles, devaient produire dans l'âme des assistants les moins prévenus une impression que ne recherchaient pas ses ennemis. L'évêque déclara donc que, voulant continuer sans interruption le procès, il choisirait quelques savants docteurs pour recueillir et mettre en écrit les principaux aveux de Jeanne ; et que, si des éclaircissements paraissaient encore désirables, il donnerait à quelques commissaires le soin de l'interroger, sans fatiguer par de nouveaux débats la multitude des assistants. Tout d'ailleurs devait être 'écrit, afin qu'ils pussent en conférer quand cela paraîtrait utile. L'évêque les invitait en outre à réfléchir dès à présent sur ce qu'ils avaient entendu, et à lui communiquer leurs sentiments, s'ils n'aimaient mieux les mûrir pour en délibérer en temps opportun[48]. P. Cauchon, réunissant donc plusieurs solennels docteurs, employa les cinq jours suivants à extraire des réponses de Jeanne ce qui pouvait fournir matière à une information nouvelle, et il commit Jean de La Fontaine pour l'aller interroger dans sa prison[49] Cette nouvelle enquête se continua presque sans interruption toute une semaine, du 10 mars au 17, et plusieurs fois les séances commencées le matin recommencèrent après midi. L'évêque y amena le premier jour et y accompagna plusieurs fois son commissaire. Mais de plus il eut la satisfaction de s'y adjoindre enfin le collègue désiré. Le Il mars il reçut le message par lequel l'inquisiteur donnait à son vicaire, Jean Lemaitre, l'ordre d'intervenir en son nom au procès. Jean Lemaitre, assigné le 12 devant l'évêque, demanda pour dernier délai le temps de prendre connaissance des pièces. Elles lui furent immédiatement communiquées, et, le 13, il vint prendre officiellement la place qui lui était marquée. Il confirma, pour sa part, dans leur titre le promoteur, l'huissier et les gardiens de la prison nommés par le premier juge, et adjoignit comme greffier à Manchon et à Boisguillaume, Jean Taquel, qui entra en fonctions le lendemain[50]. Les interrogatoires de la prison sont, en plusieurs points, comme une édition nouvelle des interrogatoires publics. C'est toujours la même pensée qui y préside ; et c'est aussi à peu près le même thème. Le caractère et les particularités des visions de Jeanne, le signe par lequel le roi y a cru, les circonstances en raison desquelles on refuse d'y croire, à savoir, les échecs de Paris, de la Charité, de Compiègne, opposés à son inspiration, et tout ce qu'on peut relever dans sa vie, dans son enfance, dans les actes de sa mission, pour établir l'indignité de t'inspirée : voilà le cercle où continuera de rouler le débat. Malgré ces répétitions, l'étude est loin d'en être sans intérêt ; car une chose y paraît toujours la même aussi, et d'autant plus admirable qu'elle dure sans jamais s'altérer : c'est le calme et la fermeté de Jeanne parmi ces assauts redoublés. Et le désordre même de l'interrogatoire a bien son enseignement : on a vu dans les séances antérieures par quelle tactique le juge, rom-Ont sa voie et revenant par mille détours au même propos, cherche à la prendre en contradiction, sans parvenir à mettre en lumière autre chose que la constance de l'accusée. Mais c'est assez pour qu'on en jugé, d'avoir suivi une première fois le procès-verbal dans la marche tortueuse de l'enquête. En y ramenant pour cette seconde période le lecteur, nous craindrions de lui faire éprouver la fatigue dont Jeanne se plaignait elle-même. Nous rassemblerons donc, selon l'ordre des matières, les questions éparses dans l'interrogatoire. Cela simplifiera les redites sans les supprimer entièrement : car l'objet même de l'enquête est de revenir sur les points où l'on a cherché vainement à établir les fondements du procès. D'ailleurs, les redites du jugé feront jaillir des traits nouveaux de la Pucelle ; et, de plus, c'est parmi ces répétitions, lorsque le juge a retourné en tous sens les griefs de l'accusation sans y rien découvrir, qu'on le verra trouver dans le sentiment même de sa défaite l'idée d'une attaque nouvelle, où Jeanne un instant semble n'avoir d'autre alternative que de se rendre à sa merci ou de succomber sous ses coups. Les révélations de Jeanne étaient-elles feintes ou réelles ? Pour l'éprouver, rien ne semblait plus sûr que de connaître quel signe elle en avait donné au roi. Elle avait d'abord refusé net d'en rien révéler. Elle n'en avait rien voulu dire que le temps, le lieu, toutes choses accessoires. C'était donc le point où il convenait surtout de la presser. Lorsqu'on lui en parla : Il est, dit-elle, beau et honoré ; il est bien croyable et bon, et le plus riche qui soit au monde. On lui demanda pourquoi elle ne le voulait pas dire et montrer, comme elle avait voulu avoir le signe de Catherine de la Rochelle. Elle répondit que, si le signe de Catherine eût été aussi bien montré que le sien devant notables gens d'Église et autres, elle n'aurait point demandé à le savoir. Et elle alléguait comme ses propres témoins l'archevêque de Reims, Charles de Bourbon (comte de Clermont), le duc d'Alençon, le sire de La Trémouille et plusieurs autres. — C'était donc, à ce qu'on devait croire, quelque chose de constant, de sensible. On lui demanda s'il durait encore : Il est bon à savoir, et qu'il durera jusques à mille ans et au-delà. — Où est-il ? — Au trésor du roi. — Est-ce or, argent, pierre précieuse ou couronne ? — Je ne vous en dirai autre chose. Et ne saurait-on deviser aussi riche chose comme est le signe. Toutefois, le signe qu'il vous faut, c'est que Dieu me délivre de vos mains ; c'est le plus certain qu'il vous sache envoyer. Elle raconta ensuite comment c'était sur la foi de ce signe qu'elle était venue trouver le roi. Ses voix lui avaient dit : Va hardiment ; quand tu seras devers le roi, il aura bon signe de te recevoir et croire. Et répondant ensuite â diverses questions qui ne sont pas toutes exprimées — car plusieurs, dans le procès-verbal, ne s'agencent pas bien exactement aux paroles qu'on lui prête —, elle dit que ce signe l'avait délivrée de la peine que lui faisaient les clercs chargés d'arguer contre elle. Elle en avait remercié Dieu et s'était agenouillée plusieurs fois. C'est un ange envoyé de Dieu et non d'aucun autre qui l'avait donné au roi. Le roi le vit et ceux qui étaient avec lui ; et quand elle se fut retirée dans une petite chapelle au voisinage, elle ouï dire qu'après son départ plus de trois cents personnes le virent encore : Dieu l'ayant ainsi permis pour qu'on cessât de l'interroger. Comme on lui demandait si son roi et elle-même n'avaient pas fait de révérence à l'ange quand il apporta le signe, elle ne dit rien du roi, mais répondit que, pour elle, elle avait fait révérence, qu'elle s'était agenouillée et avait ôté son chaperon[51]. Ces réponses, assez précises en apparence sur un point où elle avait déclaré qu'elle ne voulait pas et qu'elle ne pouvait pas dire la vérité, encourageaient par leur demi-clarté les investigations du juge, et lui laissaient l'espoir d'arriver à une entière révélation. Il se promit bien de n'en pas rester là Il y revint dès la séance suivante. Il lui demanda si l'ange qui avait apporté le signe au roi ne lui avait point parlé. Oui, dit-elle, il lui a dit qu'on me mît eu besogne et que le pays serait tôt allégé. — Est-ce le même ange qui vous est premièrement apparu ? — C'est toujours tout un, et jamais il ne m'a failli. Cette parole fit dévier le juge de la question. Mais il la reprit le lendemain avec plus d'insistance. Elle répondit : Seriez-vous content que je me
parjurasse ? — Est-ce que, lui dit le juge, vous avez promis à sainte Catherine de ne point dire ce signe ? Elle avait déjà répondu : elle répéta : J'ai juré et j'ai promis de ne point dire ce signe, et je l'ai fait de moi-même, parce qu'on me chargeait trop de le dire. Et elle ajouta : Je promets que je n'en parlerai plus à personne. Tout ce qu'elle en voulut dire, c'est que l'ange avait certifié au roi, en lui apportant la couronne, qu'il aurait tout le royaume de France avec l'aide de Dieu et le labeur de la Pucelle ; ajoutant qu'il la mit en besogne, c'est-à-dire qu'il lui. donnât des gens d'armes : autrement, il ne serait sitôt couronné et sacré[52]. On lui demanda comment l'ange avait apporté la couronne au roi, s'il la lui mit sur la tête. Elle répondit, mêlant à dessein la promesse et la cérémonie du sacre, la scène de Chinon et celle de Reims, qu'elle fut donnée à un archevêque, à l'archevêque de Reims, comme il lui semble, en la présence du roi. L'archevêque la reçut et la donna au roi, elle présente ; et la couronne fut mise au trésor du roi. En quel lieu fut-elle apportée ? — En la chambre du roi, au château de Chinon. — Quel jour et à quelle heure ? — Du jour, je ne sais, et de l'heure, il était haute heure, ajoutant qu'elle n'avait autrement mémoire de l'heure ; quant au mois, c'était en avril ou en mars, comme il lui semblait, il y avait bientôt deux ans, et c'était après Pâques. De quelle matière était cette
couronne ? — C'est bon à savoir qu'elle était de fin or, et si riche que je ne saurais nombrer la richesse. Et elle déclara à qui voulait l'entendre ce qu'était ce signe au fond ; elle dit que la couronne signifiait que le roi obtiendrait le royaume de France. Y avait-il des pierreries ? dit le juge, refusant de comprendre. — Je vous ai dit ce que j'en sais. — L'avez-vous maniée ou baisée ? — Non. — L'ange qui l'apporta venait-il de haut, ou s'il venait par terre ? — Il venait de haut. Et elle dit qu'elle l'entendait ainsi, en ce qu'il venait par le commandement de Notre-Seigneur : déclaration gardée par la minute française, et supprimée dans la rédaction latine du procès. Elle ajouta, revenant à sa propre mission, sous la figure de l'ange, qu'il était entré par la porte de la chambre, qu'il fit révérence au roi en s'inclinant devant lui et prononçant les paroles qu'elle a dites du signe, et en lui rappelant la patience qu'il avait montrée dans ses grandes tribulations. Quel espace y avait-il de la
porte jusques au roi ? — Il y avait bien la longueur d'une lance. Et elle dit que l'ange s'en retourna par où il était venu[53]. Elle parlait d'un ange, et c'est à elle qu'elle pensait dans tout ce discours. Les juges, qui prenaient ses paroles à la lettre, devaient être curieux de savoir ce qu'elle faisait elle-même pendant que l'ange faisait ainsi. Elle répondit, pressée sans doute par leurs questions et ne se séparant pas d'ailleurs du guide invisible dont elle avait accompli le message, que quand l'ange vint, elle l'avait accompagné ; qu'elle était allée avec lui par les degrés à la chambre du roi ; que l'ange entra le premier, puis elle, et que ce fut elle qui dit au roi : Sire, voilà votre signe, prenez-le. En quel lieu l'ange vous a-t-il
apparu ? — J'étais presque toujours en prière, afin que Dieu envoyât le signe du roi. J'étais à mon logis, chez une bonne femme, près du château de Chinon, quand il vint. Et puis, nous nous en allâmes ensemble vers le roi. Et il était bien accompagné d'autres anges que chacun ne voyait pas. Et elle ajouta que plusieurs virent l'ange (connurent sa céleste mission), qui ne l'eussent pas vu si ce n'était pour l'amour d'elle et pour la mettre hors de peine des gens qui l'arguaient. Tous ceux qui étaient là avec le
roi ont-ils vu l'ange ? — Je pense que l'archevêque de Reims, les seigneurs d'Alençon et de La Trémouille et Charles de Bourbon l'ont vu ; pour ce qui est de la couronne, plusieurs gens d'Église et autres la virent, qui ne virent pas l'ange. — De quelle figure et de quelle grandeur était l'ange ? — Je n'ai point congé de le dire, je répondrai demain[54]. Les juges la retinrent sur ce chapitre où elle semblait
s'abandonner. Ils lui demandèrent si ceux qui étaient dans la compagnie de
l'ange étaient tous de même figure : Ils
s'entre-ressemblaient volontiers pour plusieurs, et les autres non, en la
manière que je les voyais : les uns avaient des ailes, d'autres des couronnes.
Elle ajouta que sainte Catherine et sainte Marguerite étaient en leur
compagnie, et qu'elles furent avec l'ange désigné et les autres anges jusque
dans la chambre du roi ; que l'ange l'avait quittée dans la petite chapelle
où il s'était montré à elle ; qu'elle en fut bien courroucée et pleurait, et
qu'elle s'en fût volontiers allée avec lui. Est-ce par votre mérite que Dieu
a envoyé son ange ? — Il venait pour grandes choses. Ce fut en espérance que le roi crût le signe et qu'on cessât de m'arguer, pour donner secours aux bonnes gens d'Orléans, et aussi pour le mérite du roi et du bon duc d'Orléans. — Et pourquoi vous, plutôt qu'un autre ? — Il plut à Dieu ainsi faire par une simple pucelle, pour rebouter les adversaires du roi. — Vous a-t-il été dit où l'ange avait pris cette couronne ? — Elle a été apportée de par Dieu, et il n'y a orfèvre au monde qui la sût faire si belle ou si riche. Où il la prit, je m'en rapporte à Dieu, et ne sais point autrement où elle fut prise. — Avait-elle bonne odeur, était-elle reluisante ? — Je n'en ai point mémoire ; je m'en aviserai. Et elle ajouta aussitôt : Elle sent bon et elle sentira, pourvu qu'elle soit bien gardée, ainsi qu'il appartient. — L'ange vous a-t-il écrit des lettres ? — Non. — Quel signe eurent le roi, les gens qui étaient avec lui et vous-même, pour croire que c'était un ange ? — Le roi le crut par l'enseignement des gens d'Église qui étaient là, et par le signe de la couronne. — Et les gens d'Église ? — Par leur science et parce qu'ils étaient clercs[55]. Les gens d'Église qu'elle avait devant elle n'en demeuraient pas aussi convaincus ; mais s'ils ne devinaient pas l'allégorie dont Jeanne lisait en cette rencontre, c'est qu'en général, dans le récit de ses visions, ils recherchaient tout autre chose qu'une feinte. On reprit donc toute cette matière. Jeanne avait dit qu'en ses grandes affaires, quelque chose qu'elle fit, ses voix l'avaient toujours secourue : Et, disait-elle, allant hardiment au devant de la secrète pensée du juge, c'est un signe que ce sont bons esprits. — N'avez-vous pas, dit le juge, d'autres signes que ce soient bons esprits ? — Saint Michel me l'a certifié avant que les voix me vinssent. — Et comment avez-vous connu que c'était saint Michel ? — Par le parler et le langage des anges. — Comment connûtes-vous que c'était le langage des anges ? — Je le crus assez tôt, et j'eus cette volonté de le croire. — Si l'ennemi se mettait en forme d'ange, comment connaîtriez-vous que ce fût bon ange ou mauvais ange ? — Je connaîtrais bien si c'était saint Michel ou une chose contrefaite à son image. Elle avoua d'ailleurs qu'à la première fois elle fit grand doute si c'était saint Michel, et qu'elle eut grand'peur, et qu'elle le vit maintes fois avant de savoir si c'était lui. Pourquoi, cette dernière fois, le
connûtes-vous plutôt que la première ? — La première fois j'étais jeune enfant, et j'eus peur ; mais depuis il m'enseigna et me montra tant de choses, que je crus fermement que c'était lui. — Quelle doctrine vous enseigna-t-il ? — Sur toutes choses il me disait que je fusse bonne enfant, et.que Dieu m'aiderait. Il me disait encore, entre autres choses, que je vinsse au secours du roi de France. Et la plus grande partie de ce que l'ange m'enseigna est dans ce livre — elle parlait peut-être du livre de ses interrogatoires à Poitiers —, et l'ange me racontait la pitié qui était au royaume de France[56]. Les juges ne tentèrent pas d'en savoir davantage sur ce point ; ils aimèrent mieux l'interroger sur la grandeur et la stature de l'ange. Elle les ajourna à la séance suivante. Et quand alors ils lui demandèrent en quelle forme et espèce, grandeur et habit lui avait apparu saint Michel, elle répondit : Il était en la forme d'un très-vrai prud'homme ; et de l'habit et autre chose je n'en dirai pas davantage. Quant aux anges, je les ai vus de mes yeux, et on n'en aura rien de plus de moi. — Quel était l'âge, quels étaient les vêtements de sainte Catherine et de sainte Marguerite ? — Vous êtes répondus de ce que vous en aurez de moi, et n'en aurez autre chose. Je vous en ai répondu tout au plus certain que je sais. — Ne croyiez-vous pas autrefois que les fées fussent mauvais esprits ? — Je n'en sais rien. — Ne savez-vous point que sainte Catherine et sainte Marguerite haïssent les Anglais ? — Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime, et haïssent ce que Dieu hait. — Dieu hait-il les Anglais ? — De l'amour ou de la haine que Dieu a aux Anglais, je ne sais rien ; mais je sais bien qu'ils seront boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra victoire aux Français contre les Anglais. — Dieu était-il pour les Anglais quand ils étaient en prospérité en France ? — Je ne sais si Dieu haïssait les Français, mais je crois qu'il voulait permettre de les laisser battre pour leurs péchés, s'ils y étaient[57]. Des voix si peu favorables aux Anglais ne pouvaient pas être fort bien famées auprès des juges. On demanda à Jeanne ai, quand elles venaient, elle leur faisait révérence, absolument comme à un saint ou à une sainte. Oui, dit-elle, et si parfois je ne l'ai fait, je leur en ai crié pardon et merci ; et je ne leur sais faire de si grande révérence comme il leur appartient : car je crois fermement que ce sont sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel. — N'avez-vous point fait à ces saints et saintes qui viennent à vous oblation de chandelles ardentes ou d'autres choses, à l'église ou ailleurs, comme on fait volontiers aux saints du paradis ? — Non, si ce n'est en faisant offrande à la messe en la main du prêtre et en l'honneur de sainte Catherine ; et je n'en ai point tant allumé comme je ferais volontiers à sainte Catherine et à sainte Marguerite, qui sont en paradis : car je crois fermement que ce sont elles qui viennent à moi. — Quand vous mîtes ces chandelles devant l'image de sainte Catherine, les mites-vous en l'honneur de celle qui vous est apparue ? — Je le fais en l'honneur de Dieu, de Notre Dame et de sainte Catherine, qui est au ciel, et ne fais point de différence de sainte Catherine qui est au ciel et de celle qui se montre à moi. — Les mîtes-vous en l'honneur de celle qui s'est montrée à vous ? — Oui, car je ne mets point de différence entre celle qui se montre à moi et celle qui est au ciel[58]. » A propos de l'un de ses anneaux, qui portait les noms Jesus Maria, comme on lui avait demandé pourquoi elle le regardait volontiers allant à la guerre, elle avait répondu : Par plaisance et pour l'honneur de mon père et de ma mère, et parce qu'ayant cet anneau en ma main, j'ai touché sainte Catherine. — En quelle partie avez-vous touché sainte Catherine ? s'écria le juge avec empressement. — Vous n'en aurez autre chose. — N'avez-vous jamais baisé ou accolé (embrassé) sainte Catherine ou sainte Marguerite ? — Je les ai accolées toutes deux. — Fleuraient-elles bon ? — Il est bon à savoir qu'elles sentaient bon. — En les accolant ne sentiez-vous point de chaleur ou autre chose ? — Je ne les pouvais point accoler sans les sentir et toucher. — Par quelle partie les accoliez-vous, par le haut ou par le bas ? — Il convient mieux de les accoler par le bas que par le haut. — Ne leur avez-vous point donné de guirlandes ou de couronnes ? — En l'honneur d'elles, j'en ai plusieurs fois donné à leurs images dans les églises ; quant à celles qui se montrent à moi, je ne leur en ai point baillé, que j'en aie mémoire. — Quand vous mettiez des guirlandes à l'arbre, les mettiez-vous en l'honneur de celles qui vous apparaissaient ? — Non. — Quand ces saintes venaient à vous, ne leur faisiez-vous pas révérence, comme de vous agenouiller et incliner ? — Oui, et le plus que je pouvais leur faire de révérence, je le faisais, car je sais que ce sont bien celles qui sont au royaume de paradis[59]. Le juge avait les déclarations qu'il voulait. Les voix de Jeanne étaient des êtres véritables : elle les avait honorés comme des saints ; mais, si c'étaient de mauvais esprits, Jeanne se trouvait par là atteinte et convaincue d'idolâtrie. Il ne s'agissait donc que de faire voir qu'ils procédaient du démon : c'est ce qu'on avait déjà voulu établir par maintes questions dans l'interrogatoire public, et c'est encore le principal objet qu'on a en vue dans ce nouvel interrogatoire. Une chose déjà rendait suspectes les voix de Jeanne : c'est qu'elle avait eu si longtemps commerce avec elles, sans en rien dire à personne. Il lui était arrivé de les mentionner à propos des incidents de son enfance, et on lui avait demandé si elle en avait parlé à son curé ou à quelque autre homme d'Église ; elle répondit : Non, mais seulement à Robert de Baudricourt et au roi. L'aveu dut paraître grave, car on lit en marge du procès-verbal : Elle a celé ses visions à son père, à sa mère et à tout le monde. Mais, si ses voix étaient de Satan, elles devaient se trahir, dans les œuvres de Jeanne, par ce qui est de Satan : la révolte, l'orgueil, la vanité, l'impudicité, le mensonge ; elles devaient se manifester à la fin par l'impuissance et par le désespoir. Le juge va rechercher, tous ces signes dans l'inspiration et dans les actes de la Pucelle[60]. Il crut en trouver la marque à l'origine même de sa mission. Elle est partie sans la permission de ses parents. Il lui demanda si elle pensait bien faire de partir sans le congé de ses parents, puisqu'on doit honorer père et mène. Elle répondit qu'en toute autre chose, elle leur avait bien obéi ; que, depuis, elle leur en a écrit, et qu'ils lui ont pardonné. — Si elle leur a demandé pardon, elle se jugeait donc coupable ? On lui demanda si, en quittant son père et sa mère, elle ne croyait point pécher. Puisque Dieu le commandait, il le fallait faire. Quand j'aurais eu cent pères et cent mères, et que j'eusse été fille de roi, je serais partie. — N'avez-vous pas demandé à vos voix si vous deviez en parler à votre père et à votre mère ? — Pour ce qui est de mon père et de ma mère, les voix étaient assez contentes que je le leur disse, n'était la peine qu'ils auraient eue si je leur avais dit mon départ ; et, quant à moi, je ne le leur eusse dit pour chose quelconque. On aurait voulu mettre ses voix elles-mêmes en contradiction avec le souverain commandement d'honorer père et mère : mais elle persista à dire que ses voix l'avaient laissée libre de leur en parler ou de s'en taire[61]. La révolte contre l'autorité légitime a son principe dans l'orgueil, et l'orgueil peut aller jusqu'à rechercher des adorations sacrilèges. Le juge demanda à Jeanne si les voix ne l'avaient point appelée fille de Dieu. Elle répondit en toute simplicité qu'avant la levée du siège d'Orléans, et, depuis, tous les jours, quand les voix lui parlent, elles l'ont plusieurs fois appelée : Jeanne la Pucelle, fille de Dieu. Autres signes ou matière d'orgueil : son étendard, ses armoiries, ses richesses. On lui demanda ce que signifiait sur son étendard l'image de Dieu tenant le monde, avec deux anges à ses côtés. Elle répondit que sainte Catherine et sainte Marguerite lui avaient dit de prendre et de porter hardiment cet étendard, d'y faire mettre cette peinture, et qu'elle n'en savait autre chose. Sur ses armoiries, elle dit qu'elle n'en avait jamais eu ; que le roi en avait donné à ses frères : un écu d'azur avec deux fleurs de lis d'or et une épée au milieu ; qu'il l'avait fait sans sa demande et sans révélation. Quel cheval elle avait quand elle fut prise ; qui le lui avait donné ; si elle tenait du roi quelque autre richesse Je n'ai rien demandé au roi, si ce n'est bonnes armes, bons chevaux, et de l'argent à payer les gens de mon hôtel. — N'aviez-vous point de trésors ? — Dix ou douze mille (écus) que j'ai vaillants ; ce n'est pas grand trésor à mener la guerre. Elle ajouta que ses frères en avaient le dépôt, et que c'était de l'argent du roi[62]. On revint à plusieurs reprises sur cette matière. Son étendard, son épée, ses anneaux, n'étaient vus des juges qu'avec une défiance extrême. Les actes mêmes, où respirait sa piété, sentaient pour eux la superstition et la magie. Les noms de Jésus et de Marie, qu'elle mettait dans ses lettres, leur étaient suspects. On lui demanda quelles armes elle avait offertes à saint Denis. Un blanc harnois, avec une épée que j'avais gagnée devant Paris. — A quelle fin cette offrande ? — Par dévotion, ainsi qu'il est accoutumé par les gens de guerre quand ils sont blessés ; et, parce que j'avais été blessée devant Paris, je les offris à saint Denis, pour ce que c'est le cri de France. — N'était-ce pas pour qu'on les adorât ? — Non. — A quoi servaient ces cinq croix qui étaient en l'épée trouvée à sainte Catherine de Fierbois ? — Je n'en sais rien. — Qui vous mut de faire peindre des anges avec bras, pieds, jambes, vêtements ? — Vous y êtes répondus. — Les avez-vous fait peindre tels qu'ils viennent à vous ? — Je les ai fait peindre en la manière qu'ils sont peints dans les églises. — Les vîtes-vous jamais en la manière qu'ils furent peints ? — Je ne vous en dirai autre chose. — Pourquoi n'y fîtes-vous peindre la clarté qui venait à vous, avec les anges et les voix ? — Il ne me fut point commandé[63]. On la ramena au même sujet à la reprise de la séance. On lui demanda, si les deux anges qui étaient peints sur l'étendard représentaient saint Michel et saint Gabriel. Ils n'y étaient que pour l'honneur de Notre-Seigneur qui était peint en l'étendard, tenant le monde, et j'ai tout fait par le commandement de mes voix. — Ne leur avez-vous pas demandé si, en vertu de cet étendard, vous gagneriez toutes les batailles où vous iriez ? — Elles me dirent que je prisse hardiment l'étendard, et que Dieu m'aiderait. — Qui aidait plus, vous à l'étendard, ou l'étendard à vous ? — De la victoire de l'étendard ou de moi, c'était tout à Notre-Seigneur. — Mais l'espérance d'avoir victoire était-elle fondée en votre étendard ou en vous ? — Elle était fondée en Notre-Seigneur, et non ailleurs. — Si un autre que vous l'eût porté, eût-il eu aussi bonne fortune ? — Je n'en sais rien ; je m'en attends à Notre-Seigneur. — Si un des gens de votre parti vous eût baillé son étendard à porter, eussiez-vous eu aussi bonne espérance comme en celui qui vous était donné de Dieu, ou en celui de votre roi ? — Je portais plus volontiers celui qui m'était ordonné de par Notre-Seigneur, et toutefois du tout je m'en attends à Notre-Seigneur. — Ne fit-on point flotter ou tourner votre étendard autour de la tête du roi, comme on le sacrait à Reims ? — Non, que je sache. — Pourquoi fut-il plutôt porté au sacre, en l'église de Retins, que ceux des autres capitaines ? — Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à l'honneur[64]. La marque la plus certaine de l'esprit diabolique, c'est l'impudicité. Mais. Jeanne était vierge, et les juges ne le savaient que trop. Rien ne les embarrasse plus que ce point. Ils voudraient croire qu'elle a voué sa virginité au diable. On lui demanda si elle parlait à Dieu quand elle lui promit de la garder : Il devait bien suffire, dit-elle, de la promettre à ceux qui étaient envoyés. de par lui, c'est à savoir sainte Catherine et sainte Marguerite. On affecta de croire qu'elle avait voulu rompre sou vœu en. promettant mariage à un jeune homme, en le voulant épouser, en l'assignant sur son refus à comparaître devant l'officialité de Toul. C'est Jeanne, en se le rappelle, qui avait au contraire repoussé cette étrange poursuite ; elle le raconta à ce propos, et ajouta que ses voix l'avaient assurée qu'elle gagnerait son procès. Mais du moins, elle portait l'habit d'homme. On lui demanda si elle Pavait pris à la requête de Robert de Baudricourt ou au commandement de ses voix ; si en le prenant elle pensait mal faire. Non, dit-elle, et encore à présent, si j'étais en cet habit d'homme avec ceux de mon parti, il me semble que ce serait un des grands biens de la France que je fisse comme je faisais avant d'être prise. Elle s'en rapportait d'ailleurs au commandement de Dieu : Puisque je l'ai fait par commandement de Notre-Seigneur et en son service, je ne cuide point mal faire, et quand il lui plaira à commander, il sera tantôt mis là. On crut avoir une manière sûre de prouver que Dieu ne lui avait pas commandé de le prendre, en mettant son obstination à le garder en opposition avec un autre commandement de Dieu. Elle avait prié qu'on l'admit à entendre la messe, ce qu'on lui avait refusé à cause de son habit. Mais comme, malgré ce refus, elle avait gardé son habit, on volent la mettre en demeure de déclarer elle-même sa préférence. On lui demanda ce qu'elle aimerait le mieux, prendre habit de femme et entendre la messe, ou demeurer un habit d'homme et point entendre la messe. Certifiez-moi, dit-elle, que j'entendrai la messe si je suis en habit de femme, et je vous répondrai. — Je vous le certifie, dit le juge. — Et que direz-vous, reprit-elle, si j'ai juré et promis à notre roi de ne point quitter cet habit ? Toutefois je vous réponds : faites-moi faire une robe longue jusques à terre, sans queue, et me la baillez pour aller à la messe, et puis, au retour, je reprendrai l'habit que j'ai. Mais comme on insistait pour qu'elle prit l'habit de femme simplement et absolument : Baillez-moi, dit-elle, un habit comme en ont les filles de bourgeois, c'est à savoir une houppelande longue, et je le prendrai, et même le chaperon de femme pour aller entendre la messe. Mais elle tint à cette condition, requérant d'ailleurs, en l'honneur de Dieu et de Notre-Dame, qu'elle pût entendre la messe en cette bonne ville, et demandant instamment qu'on lui laissât l'habit qu'elle portait, et qu'on lui permit d'entendre la messe sans le changer[65]. Si le juge avait voulu comprendre pourquoi elle tenait tant à l'habit d'homme, il en aurait eu plus d'une occasion dans le cours de ce débat. A la séance suivante, comme il revenait sur l'habit de femme et sur la messe, elle refusa, mais elle dit : Si ainsi est qu'il me faille mener jusques en jugement, qu'il me faille dévêtir en jugement, je requiers aux seigneurs de l'Église qu'ils me donnent la grâce d'avoir une chemise de femme et un couvre-chef en ma tête. Le juge crut la prendre en contradiction. Elle avait dit qu'elle portait habit d'homme par le commandement de Dieu : pourquoi demandait-elle chemise de femme en article de mort ? Il suffit qu'elle soit longue. Le juge, déconcerté, se rejeta sur une tout autre question ; mais il revint bientôt à l'habit. N'avait-elle pas dit qu'elle prendrait l'habit de femme, pourvu qu'on la laissât aller, s'il plaisait à Dieu ? Jeanne redressa sa réponse, et lui donna, un autre moyen d'entendre pourquoi elle ne renonçait point à cet habit, qui était sa sauvegarde, non-seulement dans la prison, mais encore à la guerre, et comme la marque de sa mission : Si on me donne congé en habit de femme, dit-elle, je me mettrai tantôt en habit d'homme, et ferai ce' qui m'est commandé par Notre-Seigneur. Je l'ai autrefois ainsi répondu, et ne ferai pour rien le serment de ne m'armer et mettre en habit d'homme pour faire le plaisir de Notre-Seigneur. — Quel garant et quel secours attendez-vous de Notre-Seigneur, de ce que vous portez habit d'homme ? — Tant de l'habit que d'autres choses que j'ai faites, je n'en ai voulu avoir d'autre loyer que le salut de mon âme[66]. C'était peu que de lui reprocher de porter l'habit du soldat ; on aurait voulu montrer qu'elle en avait pris les mœurs, l'accuser, la convaincre de jurements, de cruautés, de rapines. Elle nia tout jurement ; pour -le reste, on ne trouvait à lui objecter que la haquenée de l'évêque de Senlis, qu'elle avait prise, pour de l'argent, et fait rendre au prélat ; et la mort de Franquet d'Arras. Elle raconta comment Franquet avait été mis à mort après s'être reconnu meurtrier, larron et traître. Jeanne, loin d'ordonner sa mort, l'avait voulu échanger contre un prisonnier ; mais, sur les réclamations du bailli de Senlis, elle dut l'abandonner à la justice. En vain essaya-t-on d'obtenir par aveu ce qu'on n'avait pu découvrir par enquête. Dans un précédent interrogatoire elle avait cité ce dicton des petits enfants, que parfois on était pendu pour avoir dit la vérité. On lui demanda si elle savait en elle quelque crime out faute pour quoi elle pût être mise à mort si elle s'en confessait. Elle dit : Non[67]. Mais si l'esprit malin ne se manifestait point dans ses actes, ne se trahissait-il pas au moins dans ses prédictions et dans ses échecs ? Elle, avait échoué à Paria, à la Charité, à Pont-l'Évêque ; elle avait déclaré qu'un des objets de sa mission était de délivrer le due d'Orléans, et elle avait été prise elle-même à Compiègne. Pour tous ces lieux, elle répondit qu'elle n'y était point allée par le conseil de ses voix, mais à la requête des gens d'armes, comme elle l'avait déjà déclaré. Depuis qu'elle avait eu révélation à Melun qu'elle serait prise, elle se rapportait surtout du fait de la guerre aux capitaines, sans leur dire toutefois qu'elle sût par révélation qu'elle dût être prise[68]. Fut-ce bien fait le jour de la
Nativité de Notre-Dame, un jour de fête, d'aller attaquer Paris ? — C'est bien fait de garder les fêtes de Notre-Dame, et en ma conscience il me semble que ce serait bien fait de garder les fêtes de Notre-Dame depuis un bout jusques à l'autre. — Ne pensez-vous pas avoir fait péché mortel en attaquant Paris ce jour-là ? — Non, et si je l'ai fait, c'est à Dieu d'en connaître et en confession à Dieu et au prêtre. — N'avez-vous point dit devant Paris : Rendez la ville de par Jésus ? — Non, mais j'ai dit : Rendez la ville au roi de France. Quant à la délivrance du duc d'Orléans, on fut curieux de savoir comment elle l'aurait opérée : J'aurais pris en France assez d'Anglais pour le ravoir, et si je n'en eusse assez pris de çà, j'aurais passé la mer pour l'aller quérir en Angleterre à puissance (par la force). On lui demanda, si sainte Marguerite et sainte Catherine le lui avaient dit ainsi. Oui. Je l'ai dit à mon roi et je lui ai demandé qu'il me laissât faire des prisonniers. Elle ajouta que, si elle avait duré trois ans sans empêchement, elle l'eût délivré[69]. Mais elle-même était prisonnière. N'était-ce point assez pour qu'elle reniât ses voix comme l'ayant déçue. Elle répondit que sainte Catherine et Sainte Marguerite lui avaient dit qu'elle serait prise avant qu'il fût la Saint-Jean, qu'il le fallait ainsi, qu'elle ne s'en ébahît point et prît tout en gré, et que Dieu lui aiderait. Elle ajouta que ses voix le lui avaient souvent annoncé depuis son passage à Melun ; qu'elle leur demandait de mourir quand elle serait prise, sans long travail de prison ; mais elles lui disaient toujours qu'elle prît tout en gré, qu'il le fallait ainsi, sans lui faire connaître l'heure. Si elle l'eût su, elle n'y fût point allée ; et elle avait plusieurs fois demandé de savoir l'heure, mais elles ne la lui dirent point. Si les voix vous eussent commandé
de faire la sortie, et signifié que vous seriez prise, y seriez-vous allée ? — Si j'avais su l'heure que je dusse être prise, je n'y serais point allée volontiers ; toutefois j'aurais fait leur commandement, quelque chose qui me dût advenir. Le juge revint à sa question, la pressant de répondre précisément sur ce point : Si sa voix lui avait commandé de sortir ce jour-là ? comme s'il voulait au moins la rendre, de son propre aveu, complice de sa captivité. Elle répondit que ce jour-là elle ne sut point qu'elle serait prise, et qu'elle n'eut autre commandement de sortir[70]. Il y avait pourtant, depuis sa captivité, une dé-constance qui semblait condamner infailliblement Jeanne ou ses voix, selon qu'elle leur avait obéi ou qu'elle leur avait résisté : c'est l'affaire de Beaurevoir, lorsque Jeanne avait sauté de la tour. Elle répéta qu'elle l'avait fait parce qu'on disait que l'ennemi voulait tout tuer dans Compiègne, et parce qu'elle savait qu'elle était vendue aux Anglais ; et elle dit encore qu'elle eût eu plus cher mourir que d'être en la main des Anglais ses adversaires ; Elle ajouta qu'elle l'avait fait, non par le conseil, mais contre l'avis de ses voix. Et comme on lui demandait si elle avait dit à sainte Catherine et à sainte Marguerite : Laira Dieu mourir si mauvaisement ces bonnes gens de Compiègne ? parole où l'on voulait voir un blasphème, comme si elle avait voulu accuser la méchanceté de Dieu, là où elle ne songeait qu'à plaindre le malheur de ces bonnes gens, elle démêla la malice du juge, et dit qu'elle n'avait point dit si mauvaisement, mais en cette manière : Comment laira Dieu mourir ces bonnes gens de Compiègne, qui ont été et sont si loyaux à leur seigneur ? Jeanne avouait qu'elle avait mal fait de sauter de la tour. Sainte Catherine, qui l'en avait détournée, lui avait dit, la chose faite, de s'en confesser et d'en demander pardon à Dieu. Mais on voulait, malgré les explications si nettes et si franches qu'elle en donnait, faire de cette imprudence un tout autre crime. Elle avait dit qu'après sa chute elle fut deux ou trois jours qu'elle ne voulait manger ; nouvel argument pour le juge. Il est vrai que le procès-verbal, qui le lui donne, le lui ôte lorsque aussitôt il ajoute : Et même aussi pour ce saut fut grevée tant qu'elle ne pouvait ni boire ni manger. Ce n'était donc pas l'aveu qu'on voulait. On tenta d'en obtenir plus directement un autre. On lui demanda si en sautant de la tour, elle n'avait pas pensé se tuer. Mais elle répondit : Non ; qu'en sautant elle s'était recommandée à Dieu, et qu'elle n'avait eu qu'une pensée, celle d'échapper et de se soustraire aux Anglais, à qui on la voulait livrer. Elle répéta une autre fois encore qu'elle avait mal fait, ajoutant qu'elle s'en était confessée, comme sa voix lui en avait donné le conseil, et qu'elle en avait eu pardon de Notre-Seigneur. En avez-vous eu grande pénitence
? — J'en portai une grande partie du mal que j'ai eu en tombant. — Était-ce péché mortel ? — Je m'en attends à Notre-Seigneur. L'information dressée sur cet incident avait même prétendu que, quand elle reprit la parole, ce fut pour renier Dieu et ses saints. On reprit cette accusation, faute de mieux ; mais Jeanne la repoussa comme la première fois. Et comme on lui demandait si elle s'en -voulait rapporter à l'information faite ou à faire, elle répondit : Je m'en rapporte à Dieu et non à autre, et à bonne confession ! Ainsi Jeanne s'accusait d'une faute, mais d'une faute dont elle avait fait pénitence et qui prouvait en faveur de ses voix, car ses voix l'en avaient détournée : elles lui avaient commandé, comme l'eût pu faire l'évêque, de s'en confesser, et, ce qu'elles seules pouvaient faire, elles l'avaient secourue et gardée de la mort. Ses voix n'étaient donc pas ce qu'on voulait croire, et elle-même apparaissait d'autant plus sainte qu'on l'éprouvait davantage. Tous les fantômes de l'accusation se dissipaient à la lumière de cette âme pure : au lieu des œuvres diaboliques, de l'orgueil, de la vanité, de l'impudicité, de la violence, du blasphème, du désespoir et du mensonge, on n'avait trouvé en elle qu'humilité, honnêteté, douceur, simplicité, confiance en Dieu. Elle semblait ne pas soupçonner la malice de ses juges, tant elle mettait de franchise, quand elle s'en croyait libre, à leur répondre, sans se soucier si elle ne provoquait pas la malignité de ses accusateurs ou les ressentiments de ses ennemis. A propos de sa tentative d'évasion de Beaulieu, elle avait dit qu'elle ne fut jamais en aucun lieu prisonnière sans avoir la volonté de s'échapper. Et il me semble, ajoutait-elle, qu'il ne plaisait pas à Dieu que je m'échappasse pour cette fois, et qu'il fallait que je visse le roi des Anglais, comme les voix me l'ont dit. On lui demanda si elle avait congé de Dieu ou de ses voix de partir de prison toutes les fois qu'il lui plairait. Je l'ai demandé plusieurs fois, mais je ne l'ai pas encore. — Partiriez-vous de présent si vous trouviez l'occasion de partir ? — Si je voyais la porte ouverte, je m'en irais, et ce me serait le congé de Notre-Seigneur. Mais sans congé, je ne m'en irais, à moins que ce ne fût pour faire une entreprise, afin de savoir si notre Sire en serait content. Et elle alléguait le proverbe : Aide-toi, Dieu t'aidera, ajoutant qu'elle le disait afin que, si elle s'en allait, on ne dit pas qu'elle s'en fût allée sans congé[71]. Sa prison ne lui était donc pas si odieuse, qu'elle n'aimât mieux y demeurer que de manquer à la volonté de Dieu ou de paraître fausser sa foi. C'est pourquoi, au risque de se la rendre plus dure encore, elle disait tout haut par quels liens elle s'y croyait uniquement retenue. Sa délivrance lui était chère pourtant, mais elle ne la séparait pas de la libération de la France et du salut de son âme : c'étaient les trois choses qu'elle demandait en même temps à ses saintes. Elle songeait aussi au salut de ses persécuteurs. Elle avait dit à l'évêque de Beauvais qu'il se mettait en grand danger en la mettant elle-même en cause. On voulut qu'elle s'expliquât sur ce point. J'ai dit à Mgr de Beauvais, reprit-elle : Vous dites que vous êtes mon juge ; je ne sais si vous l'êtes mais avisez bien que vous ne jugiez mal, car vous vous mettriez en grand danger ; et je vous en avertis afin que, si Notre-Seigneur vous en châtie, j'aie fait mon devoir de vous le dire. — Mais quel est ce péril ? dit le juge. Elle n'hésita point à s'ouvrir devant lui davantage, tant elle croyait la force des hommes impuissante contre la volonté de Dieu. Elle déclara que sainte Catherine lui avait dit qu'elle aurait secours, elle ne savait comment : si elle devait être délivrée de la prison, ou si, lorsqu'elle serait au jugement, il y surviendrait aucun trouble par le moyen duquel elle pût être délivrée. — Le greffier, prenant acte de ses paroles, écrit en marge de sa minute : Au jugement, il pourra y avoir trouble par quoi elle soit délivrée —. Je pense, continua Jeanne, que ce sera l'une ou l'autre chose ; ce que mes voix me disent le plus, c'est que je serai délivrée par grande victoire, et elles ajoutent : Prends tout en gré, ne te chaille de ton martyre, tu t'en viendras enfin au royaume de paradis. Pour cela, mes voix me l'ont dit simplement et absolument, sans faillir[72]. » Son martyre ! le paradis ! Ses juges n'étaient-ils. que des persécuteurs devant lesquels elle confessait la foi ? Jeanne l'entendait plus humblement d'elle-même : son martyre, c'était la peine et l'adversité qu'elle souffrait en la prison. Et je ne sais, ajoutait-elle, si je souffrirai plus, mais je m'en attends à Notre-Seigneur. Le juge lui voulut faire un piège même de ses paroles : il lui demanda si, depuis que ses voix lui ont dit qu'elle ira à la fin au royaume de paradis, elle se croit assurée d'être sauvée et de ne pas être damnée en enfer. Elle répondit : Je crois fermement ce que mes voix m'ont dit, c'est à savoir que je serai sauvée, aussi fermement que si j'y fusse déjà. — Cette réponse est de grand poids, dit le juge. — Mais aussi je la tiens pour un grand trésor. — Croyez-vous donc, après cette révélation, que vous ne puissiez plus faire péché mortel ? — Je n'en sais rien, mais je m'en attends du tout à Notre-Seigneur. Elle dit pourtant à quelle condition elle espérait être sauvée c'est qu'elle tînt le serment qu'elle avait fait de bien garder sa virginité de corps et d'âme. Pensez-vous, dit le juge cherchant toujours à ressaisir le prétexte qui lui échappait, pensez-vous qu'il soit besoin de vous confesser, puisque vous croyez à la parole de vos voix que vous serez sauvée ? — On ne saurait trop nettoyer sa conscience[73]. Toutes ces questions, toutes ces réponses n'avaient rien fourni de sérieux contre la Pucelle. Il y avait des matières qu'elle avait réservées, où elle avait déclaré elle-même qu'elle ne pourrait pas dire la vérité, parce que cette vérité était le secret d'un. autre : le signe du roi. A cet égard, pressée de questions, elle avait fini par calquer ses réponses sur les demandes qu'on lui adressait, prenant au sens allégorique l'idée grossière que s'en faisaient les juges ; et quand on aurait pu l'accuser de s'être trop complaisamment arrêtée au développement de son allégorie, en se jouant de la curiosité qu'elle ne voulait pas satisfaire, ce n'était pas un crime capital. Les juges, d'ailleurs, lorsqu'ils s'attaquaient à ses visions, songeaient moins à y trouver des fictions (le cas était véniel) que des réalités, des voix réelles révélant la source de leur inspiration par leurs impostures. Mais tous leurs efforts pour amener Jeanne à se faire leur complice en rejetant sur ses voix ses échecs ou ses fautes, n'avaient point abouti. Ni dans l'affaire de Paris ou de la Charité, ni dans l'affaire du saut de Beaurevoir, elle n'avait rien dit qui n'allât contre leur but. Ses voix ne lui avaient rien commandé que de bon, rien révélé que de vrai ; sa captivité même, elles la lui avaient prédite. Sur aucun point on n'avait donc pu les prendre en défaut ; sur aucun point on ne l'avait pu incriminer elle-même. Une tentative d'évasion, un chevalier pillard abandonné à la vindicte de la justice, la haquenée de l'évêque de Senlis, un mauvais cheval acheté fort cher et renvoyé dès qu'on le réclama, ce n'était point là de quoi la faire réputer hérétique : elle ne l'était que dans son habit. Mais si le crime ici était patent, il était de telle sorte qu'on sentait le besoin, pour la condamner, d'en avoir un autre à mettre à sa charge. On commençait à en désespérer, lorsqu'on trouva dans la défiance même de Jeanne à l'égard de ses juges un piège d'où il ne semblait pas qu'elle pût sortir. C'est le commissaire Jean de La Fontaine qui fit entrer le procès dans cette voie. Mais à la perfidie et à l'habileté de la manœuvre, on sent qu'une autre main le dirige ; et il parut en témoigner lui-même par les efforts qu'il fit un peu plus tard pour tirer Jeanne du péril où il l'avait amenée. Le jeudi 15, dès le début de la séance (nouveau signe de préméditation), la question s'engage, mais paisiblement, sans éclat ni rien qui pût faire ombrage à l'accusée. Le commissaire lui dit avec des exhortations charitables, et comme pour en finir amiablement, que s'il se trouve qu'elle ait fait quelque chose contre la foi, elle doit vouloir s'en rapporter à la détermination de notre sainte mère l'Église. Jeanne, justement défiante, demanda que ses réponses fussent vues et examinées par les clercs, et qu'on lui dît s'il y avait en elles quelque chose contre la foi chrétienne : Et alors, dit-elle, je saurai bien dire par mon conseil ce qu'il en sera ; ajoutant d'ailleurs que, s'il y avait rien contre la foi chrétienne, elle ne le voudrait soutenir, et serait bien courroucée d'aller à l'encontre. A ses juges elle opposait ses saintes. On lui expliqua la distinction de l'Église triomphante et de l'Église militante, et on la requit de se soumettre présentement à la détermination de l'Église pour tout ce qu'elle a fait ou dit, soit bien ou mal. Elle dit : Je ne vous en répondrai autre chose pour le présent[74]. On n'insista pas, et l'interrogatoire passa comme de plain-pied aux détails ordinaires ; mais on y revint un peu après, et on lui répéta la question : Voulez-vous vous soumettre et rapporter à la détermination de l'Église ? Elle répondit dans le même sens : Toutes mes œuvres et mes faits sont en la main de Dieu, et je m'en attends à lui ; et je vous certifie que je ne voudrais rien faire ou dire contre la foi chrétienne, et si j'avais rien fait ou dit qui fût, au jugement des clercs, contre la foi chrétienne, je ne le voudrais soutenir, mais le bouterais hors. Ces protestations générales n'étaient pas ce que voulait le juge : il lui fallait une déclaration nette et précise, et il lui demanda encore si elle ne s'en voudrait point soumettre en l'ordonnance de l'Église. Elle dit : Je ne vous en répondrai maintenant autre chose ; mais samedi, envoyez-moi le clerc si vous ne voulez venir et je lui répondrai sur ce point à l'aide de Dieu, et il sera mis en écrit[75]. C'est ce qu'on entendait bien faire. Le samedi 17 mars, on lui posa donc plus catégoriquement encore la question : Voulait-elle s'en remettre à la détermination de l'Église de tous ses dits et faits, soit de bien, soit de mal. Si elle disait oui, elle abandonnait sa mission elle-même à l'arbitraire de ses juges ; si elle disait non, elle se rendait suspecte d'hérésie. Jeanne ne se laissa pas prendre au piège ; elle distingua entre les matières de foi et l'objet de sa mission : Quant à l'Église, dit-elle,
je l'aime et la voudrais soutenir de tout mon
pouvoir pour notre foi chrétienne ; ce n'est pas moi qu'on doive empêcher
d'aller à l'église et d'entendre la messe — le mot d'Église rappelait
surtout à cette simple fille le lieu où elle faisait ses dévotions —. Quant aux bonnes œuvres que j'ai faites et à ma venue, il
faut que je m'en attende au Roi du ciel, qui m'a envoyée à Charles, fils de
Charles, roi de France, qui sera roi de France. Et vous verrez,
s'écria-t-elle, que les Français gagneront bientôt une grande besogne que
Dieu leur enverra, tant qu'il branlera presque tout le royaume de France. Je
le dis, afin que quand ce sera advenu, on ait mémoire que je l'ai dit. — Quand cela sera-t-il ? dit le juge. — Je m'en attends à Notre-Seigneur[76]. Le juge la rappela à sa question : Vous en rapportez-vous à la
détermination de l'Église ? — Je m'en rapporte à Notre-Seigneur qui m'a envoyée, à Notre-Dame et à tous les benoîts saints et saintes du paradis. Elle ajouta qu'il lui semblait que c'était tout un de Notre-Seigneur et de l'Église, et qu'on n'en doit point faire de difficulté. Pourquoi, dit-elle, interpellant ses juges, faites-vous difficulté que ce ne soit tout un ? On lui redit la distinction de l'Église triomphante et de
l'Église militante : Il y a l'Église triomphante, où
est Dieu, les saints, les anges et les âmes sauvées ; l'Église militante,
c'est notre Saint-Père le Pape, vicaire de Dieu en terre, les cardinaux, les
prélats de l'Église, le clergé et tons les bons chrétiens et catholiques,
laquelle Église bien assemblée ne peut errer et est gouvernée du
Saint-Esprit. Ne voulez-vous pas vous en rapporter à l'Église militante ? — Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge Marie et tous les benoîts saints et saintes du paradis et l'Église victorieuse de là-haut, et de leur commandement ; et à cette Église-là, je soumets tous mes bons faits et tout ce que j'ai fait ou à faire. Pour l'Église militante, je n'en répondrai maintenant notre chose[77]. C'était assez pour les juges qu'elle ne répondit pas. Mais il était un autre point sur lequel on croyait pouvoir compter qu'elle œ répondrait pas davantage. On n'y arriva pas sur-le-champ. On passa aux questions ordinaires, l'habit d'homme, les fées, les visions, et on reprit de la même sorte la séance de l'après-midi, que l'évêque de Beauvais vint présider lui-même pour clore cette enquête. On lui demanda s'il lui avait été révélé qu'en perdant sa virginité elle perdrait son bonheur ; si ses voix lui viendraient encore après qu'elle serait mariée ? On lui demanda même si elle pensait que son roi fit bien de tuer ou faire tuer le duc de Bourgogne : Ce fut grand dommage pour le royaume de France, dit-elle, et quelque chose qu'il y eût entre eux, Dieu m'a envoyée au secours du roi de France. Alors on lui dit : Vous avez dit à Mgr de Beauvais
que vous répondriez à lui ou à ses commissaires comme vous feriez devant
notre saint père le Pape, et toutefois il y a plusieurs interrogatoires à
quoi vous ne voulez répondre. Ne répondriez-vous pas devant le Pape plus
pleinement que vous ne faites devant Mgr de Beauvais ? — J'ai répondu tout le plus vrai que j'ai su, et s'il me venait à la mémoire quelque chose que je n'aie dite, je la dirais volontiers. — Vous semble-t-il que vous soyez tenue de répondre pleinement au Pape, vicaire de Dieu, sur tout ce qu'on vous demanderait touchant la foi et le fait de votre conscience ? — Menez-moi devant lui, et je répondrai tout ce que je devrai répondre. La question tournait donc contre le juge ; il n'avait introduit le nom du pape que pour le faire récuser, et il n'avait fait que donner à Jeanne l'occasion de le reconnaître et d'en appeler à lui[78]. Il était grand temps d'en finir. Après quelques questions encore sur le menu détail des superstitions où on l'eût voulu engager, sur ses anneaux, sur ceux qui vont en l'erre (qui errant) avec les fées, et sur son étendard, l'évêque la laissa enfin, assuré d'avoir dans ses procès-verbaux la matière de son accusation[79]. C'est uniquement des procès-verbaux que nous avons tiré l'exposition de cette enquête, et nous avons pris leur texte comme faisant foi, sous certaines réserves préalablement indiquées ; mais il y a tout, un supplément à cette enquête, supplément fourni par les greffiers, les assesseurs et autres témoins qui, après avoir figuré au jugement de condamnation, ont comparu pour la réhabilitation de la Pucelle ; et il serait bien étrange d'écarter les témoignages du second procès comme suspects de faveur, pour s'eu tenir uniquement aux actes du premier, quand celui-ci porte si évidemment la trace de la prévention et de la haine. C'est d'ailleurs par le texte même de ce premier procès qu'on peut vérifier ce qui est dit au second des pièges tendus à Jeanne, des difficultés proposées à son ignorance, de la continuité accablante de l'épreuve, et de cette tactique habile qui entrecoupait les demandes et changeait de matière pour tâcher de la faire varier dans ses déclarations. Les juges entassaient questions sur questions ; à peine commençait-elle à répondre à l'un qu'un autre l'interrompait ; et plusieurs fois elle dut leur dire : Beaux seigneurs, faites l'un après l'autre. Les assesseurs eux-mêmes sortaient harassés de ces séances. Jeanne avait bien le droit d'en être aussi fatiguée ; elle se plaignait qu'on la tourmentât de questions inutiles. Un jour même elle demanda que si on la devait mener à Paris, on lui donnât le double de ses interrogatoires, afin qu'elle pût le présenter à ses nouveaux juges, et se dispenser de leur répondre davantage ; et pourtant c'était là son triomphe ! Tous les témoins en déposent, et la pâle copie où sa parole est reproduite suffit encore peur confirmer ce qu'ils en déclarent[80]. On peut donc les en croire quand ils disent que plus d'une fois les assesseurs eux-mêmes, que les gens les plus habiles, que de grands clercs auraient été fort embarrassés de répondre aux questions dont elle se tirait ; on peut les en croire quand ils vantent sa simplicité, son bon sens, sa présence d'esprit, sa mémoire, et cette prudence dans ses réponses, et cette hardiesse de langage qui témoignaient tout à la fois de la sûreté de son jugement et de la droiture de son cœur. Ils n'approuvent pas tout dans ce qu'elle dit, et c'est une marque de l'entière liberté de leur témoignage. Jean Lefebvre trouve qu'elle insistait trop sur ses révélations ; Isambard de la Pierre dit que quand elle parlait des affaires publiques et de la guerre, elle semblait animée du Saint-Esprit ; mais que quand elle parlait de sa personne, elle feignait beaucoup de choses. Mais l'impression générale était pour elle. Malgré la terreur qui régnait dans l'assemblée, des voix s'élevèrent pour protester contre l'esprit et les procédés de l'interrogatoire. Un jour, dit-on, J. de Châtillon osa dire, comme autrefois Jean Lefebvre dans la question de la grâce, qu'elle n'était pas tenue de répondre, et comme il se faisait un grand tumulte parmi les assistants, il ajouta : Il faut bien que je décharge ma conscience. Mais l'évêque lui ordonna de se taire et de laisser parler les juges. D'autres fois, quand Jeanne trompait l'interrogateur par la précision de sa réponse, il y en eut qui s'écrièrent : Vous dites bien, Jeanne. Des gens que n'avaient pu convaincre les merveilles, de sa mission, étaient vaincus par cette nouvelle épreuve et commençaient à la croire inspirée. Des Anglais même furent émus en l'entendant. Un jour un docteur (Jacques de Touraine), qui voulait sans doute flatter leurs passions en amenant Jeanne à se montrer devant eux toute couverte de leur sang, lui demanda si elle avait jamais été en un lieu où les. Anglais aient été tués : En nom Dieu, si ay (j'y ai été), dit-elle, comme vous parlez doucement ! pourquoi ne voulaient-ils pas se retirer de France et retourner dans leur pays ? Un des seigneurs anglais qui étaient là s'écria : C'est vraiment une bonne femme ; si elle était Anglaise ![81] Ce qui rendait plus vive encore l'impression du débat, c'est que Jeanne, aux prises avec tant de docteurs, était seule à soutenir leur attaque. Pas une main dont elle pût s'appuyer, pas un seul de tous ces maîtres en droit civil ou en droit canon qui fût près d'elle pour mettre en garde sa simplicité contre le péril ou éclairer son ignorance. Au commencement elle avait, selon Massieu, demandé qu'on lui donnât un conseil ; mais on lui dit qu'elle n'en aurait pas, qu'elle eût à répondre comme elle voudrait. Après ce refus, elle ne pouvait guère espérer que personne vînt s'offrir à elle. Cependant l'humanité ne perd jamais entièrement ses droits, et quelquefois, quand les questions étaient trop difficiles, des assesseurs, par un mouvement naturel, prenaient la parole pour la guider ; mais ils en étaient durement repris, soit par l'évêque, soit par Jean Beaupère, chargé, comme on l'a vu, d'interroger pour lui dans plusieurs des séances publiques. On les notait comme favorables ; or il en pouvait résulter autre chose que la réprimande de l'évêque ; car près de l'évêque il y avait au procès les Anglais. Parmi les assistants on comptait plusieurs dominicains, entre autres Isambard de La Pierre, l'un des acolytes du vice-inquisiteur Jean Lemaître, et qui ne paraît pas avoir vu de meilleur œil que lui toute la conduite de cette affaire. Quand il venait avec le vice-inquisiteur aux interrogatoires de la prison, il se plaçait volontiers à la table auprès de la Pucelle, et ne manquait pas l'occasion de l'avertir en la poussant, ou par quelque autre signe. On le remarqua, et un jour, comme il revenait au château l'après-midi, pour admonester Jeanne avec Jean de La Fontaine, commissaire de l'évêque, il rencontra Warwick, qui l'accueillit l'insulte et la menace à la bouche : Pourquoi, lui disait-il, dans sa fureur, pourquoi souches-tu (soutiens-tu ?) le matin cette méchante en lui faisant tant de signes ? Par la morbieu, vilain, si je m'aperçois plus que tu mettes peine de la délivrer et avertir de son profit, je te ferai jeter en Seine. On aurait même voulu lui ravir dans cet isolement la consolation et la force qu'elle cherchait dans sa foi. Pendant les interrogatoires publics, quand Jeanne, conduite de sa prison à la salle des séances, passait devant la Chapelle du château, elle demandait à l'huissier Massieu si le corps de Jésus-Christ était là, et le requérait qu'il lui permit de s'arrêter à la porte pour y faire sa prière. Le promoteur l'ayant su, gourmanda violemment l'huissier : Truant, lui disait-il, qui te fait si hardi de laisser approcher cette p excommuniée de l'église, sans licence ? Je te ferai mettre en telle tour que tu ne verras lune ni soleil d'ici à un mois, si tu le fais plus. Et comme l'huissier ne tenait pas trop rigoureusement compte de la menace, le promoteur, guettant sa victime au passage, vint plusieurs fois s'interposer entre elle et la porte de la chapelle, pour empêcher qu'elle n'y priât[82]. Jeanne était donc seule et sans conseil de la part des hommes ; je me trompe : elle eut des conseillers, mais pour la trahir et pour la perdre. Le bruit public en signala plusieurs qui se chargèrent de cette mission infâme : le greffier Boisguillaume nomme entre autres ce même promoteur, qu'on trouve au premier rang dans tous les actes de violence ou de perfidie à l'égard de Jeanne. Mais on s'accorde surtout à donner le principal rôle dans cette machination à un chanoine de Rouen, nommé Nicolas Loyseleur. Avant même que le procès commençât, Loyseleur avait été mis à l'œuvre auprès de Jeanne. Il feignit d'être de sa province et de son parti, homme de métier, prisonnier comme elle ; et trouvant moyen de lui plaire par les nouvelles qu'il lui donnait du pays, il cherchait à tirer d'elle à son tour, dans les entretiens qu'on savait leur ménager seul à seul, des confidences qui pussent donner prise à l'accusation. L'évêque et Warwick, auteurs de la ruse, voulaient même donner à ces infamies un caractère authentique : ils s'étaient placés dans une chambre voisine d'où l'on pouvait, par une ouverture faite exprès, entendre tout ce qui se dirait dans la prison, et ils y avaient amené les greffiers pour recueillir cette conversation prétendue secrète. Mais les greffiers refusèrent leur office, disant qu'il n'était pas honnête de commencer de la sorte le procès. Le juge n'y perdit rien. Loyseleur, abusant de la confiance de Jeanne, se chargeait de porter lui-même à l'évêque les paroles qu'il avait recueillies, et c'est par là, selon toute apparence, que l'information commença. Mais il n'eut pas seulement mission de surprendre ses secrets ; il était chargé de lui donner des conseils, d'égarer sa simplicité, de l'entraîner et de l'affermir dans la voie où l'on comptait la perdre. Pour donner plus d'expansion aux confidences de Jeanne, plus d'autorité à ses propres conseils, il avait repris l'habit de prêtre, et venait à elle en qualité non-seulement de compatriote et de compagnon d'infortune, mais de confesseur[83]. Cette perfidie ne fut pas sans résultat. Loyseleur ne tira de Jeanne aucune confidence qui la pût compromettre, mais il lui donna des conseils qui préparèrent l'œuvre de l'accusation. Dans cette question si complexe de la soumission à l'Église, il ne put pas faire que Jeanne ne démêlât, avec son bon sens ordinaire, la vérité, et ne distinguât clairement ce qu'elle devait à l'Église universelle et au pape comme une simple fidèle, et ce qu'elle avait le droit de refuser à l'évêque de Beauvais comme à son ennemi ; mais il contribua peut-être à donner des apparences suspectes à ses justes défiances, à ajouter des réserves équivoques à ses actes de soumission ; il fit que la chose parût suffisamment embrouillée pour que le juge, même après l'épreuve si triomphante pour Jeanne de ses interrogatoires, soit publics, soit privés, pût encore se dire avec une joie homicide ce qu'il disait au commencement à son greffier Manchon : Nous allons faire un beau procès ! |
[1] 9 janvier : Procès, t. I, p. 5. Les ecclésiastiques réunis sont, avec ceux qui ont été nommés, Raoul Roussel, trésorier de la cathédrale, N. de Venderez, R. Barbier et Nicole Coppequesne, chanoines de la cathédrale. N. Venderez avait failli devenir archevêque de Rouen en 1423, et avait quelques prétentions encore au siège vacant. — Actes antérieurs : ibid., p. 4 et 8-26.
[2] 13 et 23 janvier : t. I, p. 27. Présents, l'abbé de Fécamp, N. de Venderez, G. Haiton, Coppequesne, La Fontaine et Loyseleur.
[3] 13 février : Les docteurs de Paris : t. I, p. 29. Voy. M. J. Quicherat, ibid., et Aperçus nouveaux, p. 103 et suiv. — Le vice-inquisiteur : t. I, p. 31-36.
[4] Assignation : t. I, p. 40-43.
[5] Assesseurs de la 1re séance publique : Gilles, abbé de Fécamp, Pierre, prieur de Longueville-Giffard, Jean de Châtillon, chanoine d'Évreux, Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicole Midi, Jean de Nibat, Jacques Guesdon, Jean Fabri ou Lefebvre, depuis évêque de Démétriade, Maurice du Quesnay, G. Lebouchier, P. Houdenc, Pierre Morice, Richard du Prat (Prati) et G. Feuillet, docteurs en théologie ; Nicole de Jumièges, G. de Conti, abbé de Sainte-Catherine, et G. Bonnel, abbé de Cormeilles, Jean Garin, chanoine, Raoul Roussel, docteur utriusque juris, G. Haiton, N. Coppequesne, Jean Lemaître, Richard de Grouchet, P. Minier, J. Pigache, R. Sauvage, bacheliers en théologie ; Robert Barbier, D. Gastineli J. Ledoux, N. de Venderez, J. Basset, J. de La Fontaine, J. $ruillot, A. Morel, J. Colombelle, Laurent Dubust et R. Auguy, chanoines de Rouen ; André Marguerie, Jean Alespée, Geoffroy du Crotay, Gilles Deschamps, licenciés en droit civil, t. I, p. 38-40.
[6] Serment : t. I, p. 45.
[7] Serment : t. I, p. 46. La demande de la récitation du Pater et du Credo à l'accusé au commencement de l'instance était dans les usages de l'inquisition. Voy. Llorente, Hist. de l'Inquisition, ch. IX, art. 5 ; t. I, p. 303.
[8] Serment : t. I, p. 47.
[9] Scandales de la 1re séance : t. III, p. 135 (Cauchon) ; t. II, p. 12 (le même).
[10] 2e séance publique, nouveaux assesseurs : Jean Pinchon, chanoine, l'abbé de Préaux (Jean Moret), frère G. l'Ermite, G. Desjardins, Robert Morellet et Jean Le Roy, chanoines, t. I, p. 49.
[11] Serment : t. I, p. 50.
[12] Serment : t. I, p. 51.
[13] T. I, p. 51-56.
[14] T. I, p. 51-56. Nous reviendrons sur plusieurs points de cet interrogatoire.
[15] T. I, p. 57.
[16] 3e séance, nouveaux assesseurs : Jean Charpentier, Denys de Sabeiras, G. de Baudrebois, Nicole Medici, R. Legaigneur (Lucratoris), les abbés de Saint-Ouen et de Saint-George, les prieurs de Saint-Lô et de Sigy, J. Duquemin, R. de Saulx, Bureau de Cormeilles, M. de Foville ; t. I, p. 58. — Débat sur le serment : t. I, p. 60.
[17] T. I, p. 62.
[18] T. I, p. 63, 64.
[19] T. I, p. 64, 65. Ipse loquens præsens dixit quod non erat conveniens quæstio tali mulieri, t. II, p. 367 (Fabri) ; — quoderat maxima quæstio et quod ipsa Johanna non debebat respondere dictæ quæstioni ; ipse episcopus Belvacensis eidem loquenti dixit : Metius vobis fuisset si tacuissetis, t. III, p. 175 (le même). — De quo responso interrogantes fuerunt multum stupefacti, et illa hora dimiserunt, nec amplius interrogaverunt pro illa vice, ibid., p. 163 (G. Colles). Il faut l'entendre d'une simple suspension de l'interrogatoire.
[20] T. I, p. 66-68.
[21] T. I, p. 68.
[22] Séance du 27 : On y trouve deux ou trois membres nouveaux : J. de Favo, J. Le Vautier et N. Cavel ; mais plusieurs sont absents, t. I, p. 69-71.
[23] T. I, p. 71, 72.
[24] T. I, p. 72-74.
[25] T. I, p. 74.
[26] T. I, p. 75.
[27] T. I, p. 75-78.
[28] T. I, p. 78-80.
[29] Séance du 1er mars : On y compte cinquante-huit assesseurs, t. I, p. 80. — Les trois papes sur lesquels le comte d'Armagnac consultait Jeanne sont : le pape Martin V, élu au concile de Constance, et les deux antipapes Clément (VII ou plutôt VIII) et Benoît (XIV) ; ces deux derniers élus en Aragon après la mort de Benoît XIII en 1424 : Clément (Gilles de Mugnos), par ses trois cardinaux, à Peniscola où il était mort ; Benoît, par un seul cardinal et en secret ! au témoignage du comte d'Armagnac lui-même (voy. sa lettre, Procès, t. I, p. 245). Dans le même mois où il écrivait à Jeanne, le roi d'Aragon s'étant réconcilié avec Martin V, Gilles de Mugnos, qui n'avait accepté la papauté que malgré lui, abdiqua (29 juillet 1429), et le comte d'Armagnac, comme le roi d'Aragon, rentra en grâce auprès du pape. Voy, Raynald, Ann. ecclés., an. 1426, § 7, et 1429, § 11. — aux appendices de ce volume, n° I, la lettre attribuée à Jeanne.
[30] T. I, p. 83.
[31] T. I, p. 84 : Prédiction sur les Anglais. Arrêtons-nous ici, dit L'Averdy, pour observer que Paris s'est soumis à Charles VII, en 1436, avant six années révolues depuis cette espèce de prédiction, et que, depuis la mort de la Pucelle, les affaires des Anglais ont continué de plus en plus à tomber en décadence. (Notice des manuscrits, t. III, p. 45..) On peut remarquer d'ailleurs que le terme de sept ans porte tout spécialement, même dans la rédaction du procès-verbal, sur le gage que devaient laisser les Anglais, c'est-à-dire Paris. Le reste en devait être la conséquence dans un temps qui n'était pas défini.
[32] T. I, p. 85, 86.
[33] T. I, p. 86, 87.
[34] T. I, p. 87, 88 : Les trois mois entre l'annonce de sa délivrance et sa mort. Gœrres, La Pucelle d'Orléans, ch. XXX.
[35] T. I, p 88, 89.
[36] T. I, p 89, 90.
[37] T. I, p. 90, 91. Nous aurons à revenir sur le signe du roi. L'explication des paroles de Jeanne et la justification de sa conduite se trouvent déjà dans le mémoire composé par Th. de Leliis, et présenté aux juges de la réhabilitation, t. II, p. 35.37. L'Averdy adopte complètement le sentiment du docteur, et il a très-bien montré comment Jeanne, ne pouvant révéler le signe du roi, a dû recourir à l'allégorie. (Not. des man., t. III, p. 65-71.) Cf. Lebrun des Charmettes, t. II, p. 409, et t. III, p. 30.
[38] Séance du 3 mars : On n'y compte que quarante et un assesseurs. Érard, qui doit avoir un si grand rôle au procès, par la suite, y figure pour la première fois avec Nicole Lami, Gilles Quenivet et Rolland L'Écrivain, t. I, p. 91-93.
[39] T. I, p. 94.
[40] T. I, p. 94-96.
[41] T. I, p. 96-98.
[42] T. I, p. 99-101.
[43] T. I, p. 101-103. — Levé des fonts de baptême : nous dirions, selon nos usages, tenu sur les fonts de baptême.
[44] T. I, p. 104, 105.
[45] T. I, p. 105.
[46] T. I, p. 106-109.
[47] T. I, p. 109, 110.
[48] T. I, p. 111, 112.
[49] Procès, t. I, p. 112.
[50] T. I, p. 113 et suiv. : Lettres de l'inquisiteur Jean Graverent, ibid., p. 124. — Adjonction du vice-inquisiteur : ibid., p. 134. — Institution de ses officiers : p. 135, 138, 149. — Assesseurs : ibid. : N. Midi et G. Feuillet sont présents à toutes les séances. N. de Hubert, notaire apostolique, assiste à la plupart depuis le 12 ; frère Isambard de La Pierre à toutes depuis le 13, avec le vice-inquisiteur dont il était l'acolyte. A la dernière, on retrouve avec l'évêque les docteurs de Paris, non-seulement N. Midi et G. Feuillet, mais J. Beaupère, Jacques de Touraine, P. Maurice, Th. de Courcelles.
[51] Signe du roi : t. I, p. 54 (22 février) ; p. 119 (10 mars).
[52] Même sujet : t. I, p. 126 (12 mars) ; 139 (13 mars).
[53] Même sujet : t. I, p. 140-142 (même jour).
[54] Même sujet : t. I, p. 142, 143 (même jour).
[55] Même sujet : t. I, p. 144-146 (même jour).
[56] Saint Michel : t. I, p. 169-171 (15 mars).
[57] Saint Michel : t. I, p. 172 (17 mars). — Sainte Catherine et sainte Marguerite : p. 177, 178 (même jour).
[58] Révérences, oblations aux saintes : t. I, p. 166-168 (15 mars).
[59] Sainte Catherine : t. I, p. 185-187 (17 mars après-midi).
[60] Secret sur ses voix : t. I, p. 128 (12 mars). L'observation sur le secret est du greffier : car on la retrouve uniformément à la marge des copies authentiques : Bibl. du Corps législ., B. 105 g, fol. 29, r ; Bibl. imp., n° 5965, fol. 42, v° ; 5966, fol. 59, v°. Le manuscrit d'Urfé, copie de la minute française, porte aussi une annotation marginale, Bibl. imp., Suppl., lat. 1383, fol. 20, v°.
[61] Silence à l'égard de ses parents : t. I, p. 129 (12 mars).
[62] Fille de Dieu : t. I, p. 130. — Étendards, armoiries, richesses : p. 117-119 (10 mars) ; cf. p. 78 (27 février).
[63] Offrande à saint Denis, etc. : t. I, p. 179, 180 (17 mars).
[64] L'étendard : t. I, p. 181-183 et 187 (même jour après-midi).
[65] Vœu de virginité, etc. : t. I, p. 127 (12 mars) ; — l'habit d'homme, p. 133 (même jour après-midi) ; p. 161 (14 mars après-midi) ; p. 164-166 (15 mars).
[66] La chemise de femme : t. I, p. 176 (17 mars) ; — l'habit de femme pour partir : p. 177 et 179 (même jour).
[67] Accusation de jurement, etc. : t. I, p. 157, 158 (14, après-midi) ; — le proverbe : p. 171 (15 mars) ; cf. p. 65 (24 février).
[68] Ses échecs : t. I, p. 146-148 (13 mars) ; p. 159 (14, après-midi).
[69] Délivrance du duc d'Orléans : t. I, p. 133 (12, après-midi).
[70] Sa captivité prédite, etc. : t. I, p. 115-117 (10 mars).
[71] Droit de s'échapper : t. I, p. 163 (15 mars).
[72] Ce quelle demandait : t. I, p. 154. — Avertissement à l'évêque : ibid. — Sa délivrance et son martyre : ibid. (14 mars). — Note du greffier : Bibl. du Corps législ., B 105 g, fol. 35, r° ; Bibl. imp., n° 5965, fol. 51, r° ; n° 5966, fol. 70, r°. Le manuscrit d'Urfé note le passage par une accolade à la marge.
[73] Si elle se croit sûre d'être sauvée : t. I, p. 156, 157 (même jour).
[74] Soumission à l'Église : t. I, p. 162 (15 mars).
[75] Même sujet : t. I, p. 166 (même jour).
[76] Même sujet : t. I, p. 174 (17 mars).
[77] Même sujet : t. I, p. 175 (même jour).
[78] Questions diverses : t. I, p. 181-183 (17, après-midi). — Le pape : p. 184.
[79] Les anneaux, etc. : t. I, p. 185, 187 (même jour).
[80] Pièges, etc. : Fiebantque sibi per examinatores quam subtiliores quæstiones quas facere poterant. T. II, p. 342 (Manchon) ; cf. p. 350 (Is. de La Pierre). On lui demandoit questions trop difficiles pour la prendre à ses paroles et à son jugement. T. II, p. 8 (Ladvenu) ; cf. p. 365 (id.). — Quod vidit eam interrogari difficilibus, involutis et captiosis interrogationibus, ut caperetur in sermone. T. II, p. 358 (Marguerie). — Quod interrogantes totis viribus laborabant ad capiendum eam in verbis. T. III, p. 180 (Cusquel). — Longueurs de l'interrogatoire : Et eam multum vexabant interrogatores, quia non cessabant aliquando eam interrogare per tres horas de mane et totidem post prandium. Ibid., p. 167 (Ladvenu) ; cf. t. II, p. 365, et t. III, p. 176 (Fabri). — Questions entrecoupées : Aliquando interrumpebant interrogatoria, transeundo de uno ad aliud, ad experiendum an ipsa mutaret propositum. T. II, p. 368 (Fabri), et t. II, p. 176 : Ita truncabant sua interrogatoria quod vis poterat respondere. — Dum ipsa Johanna interrogaretur, erant sex assistentes cum judicibus qui interrogabant eam (dans la prison), et aliquando unus interrogabat, et ipsa respondebat ad quæsitum, alius interrumpebat responsionem suam, etc. T. III, p. 155 (Massieu). — Fatigue : .... In tantum quod doctores assistentes exinde erant multum fatigati. T. III, p. 175 (Fabri). — Multum defatigabatur in interrogationibus. T. II, p. 342 (Manchon). — Plainte de Jeanne : Quod nimis vexabatur ex interrogatoriis, quæ non pertinebant ad processum. T. II, p. 326 (N. de Houppeville) ; cf. p. 327 (d'après le vice-inquisiteur J. Lemaître). Quod si ita sit quod ducatur Parisiis, quod ipsa habeat duplum istorum interrogatoriorum et responsorum ejus, ut ipsa tradat illis de Parisiis.... et ut amplius ipsa non vexetur de tot petitionibus. T. I, p. 154 (Procès-verbal).
[81] Difficulté des questions : Imo sapientior homo mundi cum difficultate respondisset. T. III, p. 176 (Fabri). — Audivitque ab ore domini tunc abbatis Fiscampnensis quod unus magnus clericus bene defecisset respondere interrogationibus difficitibus sibi factis. T. II, p. 358 (R. de Grouchet). — Quibus unus magister in theologia cum difficultate respondisset. T. III, p..64 (J. Monnet) ; cf. p. 48 (J. Tiphaine). — Simplicité et pudeur de Jeanne : Et erat mullum simplex, et vix sciebat Pater noster, licet aliquando, dum interrogaretur, prudenter responderet. T. III, p. 166 (Ladvenu) ; cf. t. II, p. 8 et p. 364 (le même) ; t. III, p. 174 (Fabri) ; p. 185 (Le Parmentier). — Présence d'esprit et mémoire : Et habebat multum bonam memoriam, quia dum eidem aliquid petebatur, ipsa dicebat : Ego alias respondi et in tali forma, et faciebat quærere a notario diem in qua responderat, et ita inveniebatur sicut dicebat, nil addito vel remoto. T. III, p. 178 (N. Caval) ; cf. p. 201.et p. 89 (J. Marcel), et p. 201 (P. baron). — Un jour qu'elle disait avoir déjà répondu, un des greffiers le nie ; on cherche au jour qu'elle indique et, on trouve : De quo gavisa est ipsa Johanna, dicendo eidem Boisguillaume, quod si alias deficeret, ipsa traheret aurem. — Dum interrogaretur super aliquibus de quibus sibi videbatur quod non debebat respondere, dicebat quod se referebat conscientiis interrogantium an deberet respondere vel non. T. III, p. 63 (J. Monnet). — Constance et hardiesse : Multum providenter et sapien ter cum magna audacia. T. III, p. 47 (Tiphaine) ; cf. p. 170 (N. de Houppeville). — Critique de ses réponses : ... Licet multum et nimis, videre loquentis, persisteret in suis revelationibus. T. III, p. 174 (Fabri) ; cf. ibid., p. 129 (P. Miget). — Quando loquebatur de regno et de guerra, videbatur mota a Spiritu Sancto ; sed dum loquebatur de persona sua, multa fingebat. T. II, p. 304 (Is. de La Pierre). — Protestation de J. de Châtillon : t. III, p. 139 (Manchon) ; cf. t. II, p. 329 (Massieu) : Oportet quod acquittem conscientiam meam. Massieu ajoute qu'il lui fut fait défense de reparaître au tribunal sans convocation expresse ; et ailleurs (t. p. 153), qu'il cessa dès lors d'y assister. Mais s'il s'agit véritablement de J. de Châtillon, sa mémoire le trompe ; car on le retrouve à presque toutes les séances du procès jusqu'à la fin. C'est même lui qui, le 2 mai, sera chargé de faire l'admonition publique (t. I, p. 384-392). Il vote comme les autres et assiste au supplice (t. I, p. 463 et 469). — Approbation : Vos dicitis bene, Johanna. T. II, p. 318 (N. Taquel). — Croyance à son inspiration : Quod constantia ipsius Johannæ multos arguebat quod ipsa habuerat spirituale juvamen. T. II, p. 327 ; cf. t. III, p. 170 (N. de Houppeville). Ita quod per tres septimanas credebat eam inspiratam. Ibid., p.174 (J. Fabri). — Non erat ex se sufficiens ad se defendendum contra tantos doctores, nisi fuisset sibi inspiratum. T. II, p. 342 (Manchon). — Réponse à Jacques de Touraine : t. II, p. 48 (J. Tiphaine).
[82] Conseil demandé et refusé : Ipsa Johanna petiit habere consilium ad respondendum ; quod diceret se esse simplicem ad respondendum : cui responsum fuit quod per ipsam responderet, sicut vellet ; et quod consilium non haberet. T. II, p. 354 (Massieu) ; — Quod non habuit defensores aut consiliarios, quamvis petierit. Ibid., p. 366 (Ladvenu) ; cf. t. III, p. 166 (id.), et t. II, p. 357 (R. de Grouchet). — Et credit quod nullus fuisset ausus sibi præbere consilium aut defensionem nisi sibi fuisset concessum. T. III, p. 130 (P. Miget). — Menaces aux conseillers favorables : Dicit præterea quod nescit si aliquis fuerit in periculo mortis, occasion eam defendendi ; sed bene scit quod dum alla interrogatoria difficilia fiebant eidem Johannæ, et aliqui ipsam dirigere volebant, dure et rigide reprehendebantur et de favore notabantur. T. II, p. 357 (R. de Grouchet). — Isamb. de La Pierre : t. II, p. 9 (Frère G. Duval, un des témoins de la scène) ; cf. t. II, p. 325, et t. III, p. 171 (N. de Houppeville). — L'huissier Massieu et le promoteur : t. II, p. 16 ; cf. t. III, p. 151 (Massieu).
[83] Faux conseillers : t. II, p. 350 (Is. de La Pierre), p. 327, et t. III, p. 173 (N. de Houppeville). — Jean d'Estivet : Quod magister G. de Estiveto similiter intravit carcerem, fingendo se esse prisonarium. T. III, p. 162 (G. Colles). — N. Loyseleur ou Aucupis : .... Et feignit qu'il estoit du pays de ladicte Pucelle, et par ce moien trouva manière d'avoir actes, parlement et familiarité avec elle, en lui disant des nouvelles du pays à lui (elle) plaisantes, etc. T. II, p. 10 et 342, et t. III, p. 140. (Manchon) ; cf. t. II, p. 17, et t. III,. p. 156 (Massieu). — Fingens se sutorem et captivum de parte regis Franciæ et de partibus Lotharingiæ. T. III, p. 162 (G. Colles). Il avoua lui-même à Th. de Courcelles (témoin peu suspect de faveur) qu'il avait vu Jeanne, sous un déguisement. T. III, p. 60. — Ses perfides conseils : t. III, p. 162 (G. Colles) ; t. II, p.17, et t. III, p.15.6 (Massieu), p. 133 (P. Miget). — Confesseur de Jeanne : Cui non permittebatur confiteri nisi dicto Loyselleur, qui in ea re fictus erat. T. II, p. 342 (Manchon). — P. Cusquel a entendu dire qu'il contrefaisait sainte Catherine et poussait Jeanne à dire ce qu'il voulait (t. III, p. 181). Ceux qui disaient cela se faisaient une singulière idée des apparitions de sainte Catherine.