I. — Forces engagées dans l'attaque et dans la défense d'Orléans. Le relevé des indications du Journal du siège, en supposant qu'Orléans avait 400 hommes de garnison au commencement, ne porte pas au delà de 5876 le nombre de ceux qui y entrèrent avant l'arrivée de la Pucelle, selon les calculs de M. Jollois (Hist. du siège d'Orléans, p. 42) ; mais ce nombre est trop fort. On ne peut regarder comme acquis à la défense ceux qui ne firent que passer par la ville pour la bataille de Rouvray, au nombre de 15 à 1600, et il est assez probable que le comte de Clermont, après la bataille, n'amena pas beaucoup plus de monde dans la ville qu'il n'en emmena deux ou trois jours après (2000) : car le nombre de tous les combattants réunis est évalué par le Journal du siège (p. 122) à 3 ou 4000 avant la bataille ; 400 périrent, plusieurs purent se disperser. Il y a donc à retrancher, du nombre de M. Jollois, les 1600 hommes qui passent pour aller à Rouvray, et les 2000 hommes que le comte de Clermont emmène : reste 2276 hommes. Il n'est pas nécessaire de dire qu'on n'y compta jamais autant d'hommes en même temps : 650 hommes n'y vinrent que sur la fin d'avril, peu dé temps avant Jeanne d'Arc. La principale défense fut donc toujours dans la bourgeoisie, qui, à raison. de 30 000 hommes, pouvait fournir 5000 combattants. — Les Anglais avaient laissé 500 hommes aux Tourelles avant d'en partir le 8 novembre, et ils y envoyèrent un renfort de 300 hommes au 1er décembre. Ils étaient venus au nombre de 2500 au 31 de ce mois, pour commencer le siège par la rive droite ; et ils reçurent ensuite 1200 hommes amenés par Falstolf le 16 janvier, et 1500 autres amenés par le même le 17 février, après la bataille des Harengs : ajoutez-y 40 hommes venus le 7 mars, les renforts tirés de Jargeau et des garnisons de la Beauce le 8 mars, que M. Jollois porte approximativement à 2000 hommes, et enfin 1400 hommes qui purent s'adjoindre comme escorte à divers convois, et vous aurez un total de 9440, sans les Bourguignons que le duc de Bourgogne rappela, et qu'on évalue à 1500 hommes. (Voy. la note de M. Jollois, Siège d'Orléans, p. VI.) II. — Sur le nom de Jeanne d'Arc. Dans un article du Journal de l'Institut historique, et dans un mémoire plus étendu intitulé Nouvelles recherches sur la famille et le nom de Jeanne Darc, M. Vallet de Viriville, à qui l'on doit tant de savantes études sur le XVe siècle, a montré que le nom de Jeanne d'Arc s'était écrit constamment jusqu'en 1576, Darc, et que c'est seulement depuis le XVIIe siècle que la forme d'Arc a prévalu : en conséquence, il a proposé de revenir à l'ancienne forme, et il a été suivi par MM. Michelet, Henri Martin et plusieurs autres. Mais lui-même reconnaît que l'étymologie la plus probable du nom est le substantif Arc[1] : c'est celle qui était du moins adoptée dans la famille, puisque, au rapport de Charles du Lis, issu du plus jeune frère de Jeanne d'Arc (Pierre d'Arc), Jacques d'Arc, père de la Pucelle, avait pour armoiries, ou, pour nous servir d'un, mot moins ambitieux, pour signet ou pour sceau, un arc bandé de trois flèches. Jean du Lis, fils puîné de Pierre d'Arc, laissant à son aîné les armes que Jeanne et ses frères avaient obtenues de Charles VII[2], s'était contenté de retenir ces armoiries anciennes de la famille, auxquelles il ajouta le timbre comme écuyer, et le chef d'un lion passant, à cause de la province à laquelle son roi (Louis XI) l'avait habitué (l'Artois)[3] : c'étaient celles que Charles du Lis, son arrière-petit-fils, portait encore en 1612[4], et auxquelles il obtint de Louis XII la faveur de joindre, écartelées dans le même, écusson, à l'extinction de la branche aillée, les armes reçues de Charles VII. Quoi qu'il en soit de l'étymologie et de l'origine même de ce blason rustique, c'était au moins le sens que la famille, dès avant Jeanne d'Arc, ou tout au moins avant la fin du siècle où elle vécut, attachait à son nom ; et dès lors il est bien légitime de l'écrire selon qu'elle l'entendait. Elle l'écrivait Darc, et on le dut écrire ainsi tant que la particule, après l'élision, s'unit à la voyelle initiale du mot suivant, sans apostrophe ; mais depuis que ce signe est devenu en usage, on a le droit de l'appliquer à ce nom comme aux autres ; ou, pour être conséquent, il faudrait écrire, comme autrefois, Dharcourt, Darmagnac, etc. : car peu importe que le mot exprime un lieu ou autre chose. En employant la forme d'Arc, on peut être assuré qu'on ne fait pas autre chose que ce qu'eût fait la famille au temps où elle prenait l'arc pour emblème, si l'apostrophe eût été alors- usitée. C'est donc par une fausse fidélité à l'ancienne orthographe, que Charles du Lis écrivait ce nom comme il le trouvait dans les pièces du temps ; et les pièces officielles ne font pas même autorité en cette matière : le nom du Lis, que cet héritier de la famille de Jeanne d'Arc écrit constamment en deux mots, selon l'étymologie, se trouve écrit Dulis dans les lettres patentes qu'il obtint de Louis XII pour réunir dans un même écusson les armoiries de sa famille. Nous nous conformerons donc à l'usage suivi depuis, et consacré, on le peut dire, par le livre qui sera désormais la source de toute histoire de Jeanne d'Arc : l'édition des deux Procès, par M. J. Quicherat. Un mot encore, non plus sur le nom, mais sur le prénom de Jeanne. M. Michelet est tenté d'y voir une prédestination au mysticisme : Il semble, dit-il, annoncer dans les familles qui le donnaient à leurs enfants, une sorte de tendance mystique ; et il cite, parmi les hommes célèbres qui ont porté ce nom au moyen âge, Jean de Parme, Jean Fidenza (saint Bonaventure), Jean Gerson, Jean Petit, etc. (Hist. de France, t. V, p. 51.) Pour le nom de Jeanne, porté par la Pucelle, on pourrait citer plus justement Jean Moreau, Jean Le Langart, Jean Rainguesson, et Jean Barrey, qui furent ses parrains ; Jeanne Thiesselin, Jeanne Thévenin et Jeanne Lemaire Aubéry, qui, avec deux ou trois autres, furent ses marraines (on sait que l'usage était d'en prendre plusieurs).. Quant aux parents de Jeanne, une chose diminue l'idée qu'on voudrait se faire de leur mysticité : c'est que s'ils ont choisi, avec ce patron, ces parrains et marraines pour leur fille, et nommé encore un de leurs fils Jean, le père s'appelait Jacques et le fifs aillé Jacques, nonobstant l'opposition de Jean et de Jacques signalée par M. Michelet au tome IV de son histoire. III. — Sur le pays de Jeanne d'Arc. On a disputé sur la nationalité de Jeanne d'Arc. Jeanne d'Arc était-elle Lorraine, était-elle Française[5] ? Il semble étrange qu'on ait pu poser cette question. Toute l'histoire de Jeanne d'Arc prouve assez qu'elle appartient à la France, et il importe médiocrement que la limite entre le comté de Bar et la Champagne ait été en deçà ou au delà de la maison où la Pucelle est née. Mais pour ceux qui auraient quelque scrupule à cet égard, il a été établi que Domrémy se partageant entre les deux pays, la partie où l'on retrouve encore la maison de Jeanne d'Arc était sur le territoire de la France. Le fait de la nationalité de Jeanne d'Arc, en laissant de côté ces minuties, est d'ailleurs établi par l'enquête anglaise au procès de condamnation : Et est oriunda in villa de Grus, paire Jacobo d'Arc, maire Ysabella, ejus uxore ; nutrita in juventute usque ad xvm annum œtatis ejus vel eo circa, in villa de Dompremi super fluvium Mosæ, diocesis Tullensis, in bailliviatu de Chaumons-en-Bassigny et priepositura de Monteclere et d'Andelo. T. I, p. 209. (Monteclaire est une colline voisine d'Andelot.) Une autre preuve décisive que son pays natal appartenait à la France (et cette preuve était déjà donnée par Charles du Lis, Traité sommaire, p. 3-4), c'est que Charles VII, en considération de ses services, accorda (Château-Thierry, 31 juillet 1429) exemption d'impôts à Domrémy et à Grena (c'étaient comme deux parties du même village) ; et Domrémy en profita jusqu'au jour où, pour résoudre une question de frontière, on le céda à la Lorraine (15 février 1571). Quand la Lorraine, à son tour, fut réunie à la France (1766), les habitants de Domrémy sollicitèrent en leur faveur le rétablissement du privilège dont ceux de Greux, qui n'avaient pas cessé d'être Français, continuaient de jouir, et ils envoyèrent à l'appui de leur demande la copie authentique de la charte royale[6]. Cette requête amena un échange de notes entre l'intendant de la généralité de la Lorraine et du Barrois et le contrôleur général, et eut pour résultat de faire retirer le privilège aux habitants de Greux, sans qu'il fût rendu aux habitants de Domrémy (1776). Voy. Vallet de Viriville, dans le Bulletin de la Société de l'histoire de France (1854), p. 103 et suiv. IV. — Étendard de Jeanne d'Arc. Il y a quelques diversités dans les descriptions qui nous sont faites de l'étendard de la Pucelle. Jeanne d'Arc dit elle-même qu'il était blanc et semé de lis ; qu'on y voyait le monde et deux anges aux côtés avec cette inscription : JESUS, MARIA. Respondit quod habebat vexillum (Gallice, estendart ou banière) cujus campus erat seminatus liliis ; et erat ibi mundus figuratus, et duo angeli a lateribus ; eratque coloris albi de tela alba vel boucassino, erantque ibi scripta ista nomina JHESUS, MARIA, sicut ei videtur, et erat fimbriatum de serico. (T. I, p. 78.) Cette expression le monde, est expliquée un peu plus loin : c'est Dieu tenant le monde : Deum tenentem mundum, et duos angelos ; — Regem cœli (Ibid., p. 117) ; cf. p. 181 : Ipsa fecit ibi fieri istam figuram Dei et angelorum, » et dans le 58e des articles proposés contre elle : Fecit depingi vexillum suum, ac in eo describi duos angelos assistentes Deo tenenti mundum in manu sua, cum his nominibus JHESUS, MARIA, et aliis picturis. (Ibid., p. 300.) Selon Jeanne d'Arc, la principale figure est donc Notre-Seigneur ; selon le Journal du siège, il semble que ce soit la sainte Vierge. Il dit de Jeanne à son entrée dans Orléans : Et faisoit porter devant elle un estendard qui estoit pareillement blanc, ouquel avait deux anges tenant chacun une fleur de lis en leur main ; et on panon estoit paincte comme une Annonciation (c'est l'image de Notre-Dame ayant devant elle ung ange luy présentant ung liz). (T. IV, p. 152). Mais la description est double et incomplète : l'auteur décrit incomplètement le côté principal, le seul dont Jeanne ait parlé ; et il décrit de plus le revers, car l'étendard était peint sur les deux faces. C'est ce qui résulte du témoignage de Perceval de Cagny : La Pucelle print son estendart ouquel estoit empainturé Dieu en sa majesté, et de l'austre costé... et ung escu de France tenu par deux anges. (T. IV, p. 12.) La lacune, comme le remarque M. J. Quicherat, peut être remplie au moyen de l'indication donnée plus haut par l'historien : Elle fist faire ung estandart ouquel estoit l'image de Nostre-Dame. (Ibid., p. 5.) Car on ne peut entendre par là cette autre bannière confiée à Pasquerel et aux prêtres ; ou bien il faudrait prendre dans le méme sens la bannière décrite par le Journal du siège à l'entrée de Jeanne : or, la bannière des prêtres accompagnait alors les troupes qui étaient allées passer la Loire à Blois ; et l'on sait d'ailleurs, par le témoignage de Pasquerel, qu'ôn y voyait l'image du crucifix. (T. III, p. 104). Telles étaient donc, dans leurs traits principaux, les peintures de l'étendard de Jeanne d'Arc. Les autres témoignages ne font que les reproduire en résumé, ou y joindre quelques traits accessoires. La Chronique de la Pucelle se borne à dire : Un estendart blanc auquel elle fist pourtraire la représentation du sainct Sauveur et de deux anges. (T. IV, p. 215.) Pasquerel ne parle que d'un ange tenant un lis que bénissait le Seigneur, siégeant sur les nuées : In quo depingebatur imago Salvatoris nostri sedentis in judicio in nubibus cœli, et erat quidam angelus depictus tenens in suis manibus fiorem quem benedicebat imago. (T. III p. 103.) Eberhard de Windecken, trésorier de l'empereur Sigismond, qui doit écrire d'après les relations officielles venues de France, modifie simplement l'attitude du Sauveur : Une bannière de soie blanche sur laquelle était peint Notre-Seigneur Dieu, assis sur l'arc en ciel, montrant ses plaies, et ayant de chaque côté un ange qui tenait un lis à la main. (T. IV, p. 490.) Dunois, par une confusion évidente, dit que c'était le Seigneur qui tenait le lis : Vexillum.... album.... in quo erat figura Domini nostri, tenens florem lilii in manu sua. (T. III, p. 7.) Une addition, ou, pour mieux dire, une modification plus considérable aux descriptions connues, est celle que M. de Certain a tirée du Mystère du siège d'Ornans, mystère qu'il est à la veille de publier et dont il a donné ce fragment dans la Bibliothèque de l'École des Chartes (mars-avril 1859), à l'occasion d'une tapisserie où Jeanne d'Arc est représentée visitant le roi à Chinon (cette tapisserie a été offerte par M. d'Azeglio au musée historique d'Orléans). Voici comme la bannière y est représentée : Un estendart avoir je vueil Tout blanc, uns nulle antre couleur, Ou dedans sera un souleil Reluisant ainsi qu'en chaleur ; Et ou milieu en grant honneur En lectre d'or escript sera Ces deux mots de digne valeur Qui sont cest : AVE MARIA. Et au-dessus notablement Sera une Majesté Pourtraicte bien et jolyment Faicte de grant auctorité. Aux deux comtés seront assis Deux anges, que chascun tiendra En leur main une fleur de liz, L'autre le soleil soustiendra. On voit combien de traits de fantaisie l'auteur a joints à quelques traits exacts. M. de Certain me parait expliquer fort bien comment Jeanne n'a parlé que d'un côté de son étendard. Elle n'a pas l'habitude de répondre à ses juges plus qu'ils ne lui demandent, et ils ne lui ont pas demandé si l'étendard était peint de deux côtés. Mais il diminue trop l'autorité de sa description, sous prétexte que la simple jeune fille n'avait pas acquis une grande connaissance des choses d'art. Elle avait pu, en commandant son étendard au peintre, ne pas lui marquer fort exactement l'ordonnance du sujet ; mais l'ouvrage fait, elle savait aussi bien et mieux que personne ce qu'il représentait. Aux descriptions données, ajoutons celles des lettres patentes de Louis XII sur les armoiries de la Pucelle, quelque peu officielle que soit cette pièce en cette matière. Il y est dit qu'elle estoit de toile blanche semée de fleurs de lis d'or avec la figure d'un ange qtii présentoit un lis à Dieu porté par la vierge sa mère. n (Procès, t. V, p. 229.) —On trouve dans les comptes le nom du peintre et ce qui lui fut payé pour les deux étendards : Et à Hauves Poulnoir, paintre demourant à Tours, pour avoir paint et baillée estoffes pour ung grand estandart et ung petit pour la Pucelle, 25 livres tournois (141 fr.). T. V, p. 258. V. — Lettre de Jeanne aux habitants de Tournai. (25 juin 1429.) † Jhesus, † Maria. Gentilz loiaux Franchois de la ville de Tournay, la Pucelle vous faict savoir des nouvelles de par dechà que en vui jours elle a cachié les Anglois hors de toutez les places qu'ilz tenoient sur la rivire de Loire, par assaut ou aultrement ; où il en a eu mains mors et priez, et lez a desconfis en bataille. Et croiés que le conte de Suffort (Suffolk), Lapoulle (Pole) son frère, le sire de Tallebord (Talbot), le sire de Scallez (Scales), et messires Jehan Falscof (Falstolf) et plusieurs chevaliers et capitainez ont esté prinz, et le frère du conte de Suffort et Glasdas mors. Maintenés vous bien loiaux Franchois, je vous en pry, et vous pry et vous requiers que vous soiés tous presti de venir au sacre du gentil roy, Charles à Rains où nous serons briefment, et venés au devant de nous quand vous saurés que nous aprocherons. A Dieu vous communs, Dieu soit garde de vous et vous doinst sa grace que vous puissiés maintenir la bonne querelle du royaume de France. Escript à Gien le xxve jour de juing. — Sur l'adresse : Aux loiaux Franchois de la ville de Tournay. — (Procès, t. V, p. 125, tirée des Archives du Nord, nouvelle série, t. I, p. 520.) VI. — Lettre de Jeanne aux habitants de Troyes. (4 juillet 1429.) Jhesus, † Maria. Très chiers et bons amis, s'il ne tient à vous, seigneurs, bourgeois et habitans de la ville de Troies, Jehanne la Pucelle vous mande et fait sçavoir de par le roy du ciel, son droitturier et souverain seigneur, duquel elle est chascun jour en son service roial, que vous fassiés vraye obéissance et recongnoissance au gentil roy de France quy sera bien brief à Reins et à Paris, quy que vienne contre, et en ses bonnes villes du sainct royaume, à l'ayde du roy Jhesus. Loiaulx François, venés au devant du roy Charles et qu'il n'y ait point de faulte ; et ne vous doublés de voz corps ne de voz biens, se ainsi le faictes. Et se innsi ne le faictes, je vous promectz et certiffie sur voz vies que nous entrerons à l'ayde de Dieu en toultes les villes quy doibvent estre du sainct royaulme, et y ferons bonne paix fermes, quy que vienne contre. A Dieu vous commant, Dieu soit garde de vous, s'il luy plaist. Responce briefe Devant la cité de Troyes, escrit à Saint-Fale, le mardy quatriesme jour de jullet. Au dos desquelles lettres estoit escrit : Aux seigneurs bourgeois de la cité de Troyes. (Procès, t. IV, p. 287-288.) VII. — Christine de Pisan. Dans un petit poème, écrit à l'âge de soixante-sept ans, après avoir rappelé l'exil du roi, elle exprime sa joie de le voir enfin revenir : L'an mil quatre cens vingt et neuf Reprint à luire li soleil, Il ramone le bon temps neuf. Elle entreprend de raconter ce miracle : Chose est bien digne de mémoire Que Dieu, par une vierge tendre, Ait adès voulu (chose est voire) Sur France si grant grace entendre. Tu, Johanne, de bonne heure née, Denoist soit cil qui te créa ! Elle cite Moise délivrant Israël ; Josué : Il estoit homme Fort et puissant. Mais tout en somme Veci femme, simple bergière Plus preux qu'on homs ne fut à Romme. Quant à Dieu, c'est chose légère. Gédéon, Esther, Judith et Débora ; mais Dieu a fait plus encore par la Pucelle : Car Merlin, et Sebile et Bede, Plus de cinq cens a la veïrent En esperit. Elle rappelle le siège d'Orléans : Réel quel honneur au féminin Sexe !... Une fillete de seize ans (N'est-ce pas chose fors nature ?) A qui armes ne sont pesans, Ains semble que sa norriture Y soit, tant y est fort et dure. Si rabaissez, Anglois, vos cornes, Car jamais n'aurez beau gibier En France, ne menez vos sornes ; Matez estes en l'eschiquier. Vous ne pensiez pas Fautrier Où tant vous monstriez perilleux ; Mais n'estiez encour ou sentier Où Dieu abat les orgueilleux. Jà cuidiés France avoir gaingnée, Et qu'elle vous deust demourer. Autrement va, faulse mesgniée ! Vous irés ailleurs labourer, Se ne voulez assavourer La mort, comme vos compaignons, Que loups porroient bien devourer, Car mors gisent par les sillons. Et sachez que, par elle, Anglois Seront mis jus sans relever, Car Dieu le veult, qui ot les voix Des bons qu'ils ont voulu grever. Le sanc des occis sans lever Crie contre eulz. Dieu ne veult plus Le souffrir ; ains les resprouver Comme mauvais, il est conclus. Elle entrevoit un plus vaste horizon : En chrestienté et en l'Église Sera par elle mis concorde. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des Sarrasins fera essart En conquerant la Sainte Terre. Mais le sentiment national la ramène aux Anglais : Si est tout le mains qu'affaire ait Que destruire l'Englescherie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le temps advenir mocquerie En sera faict : jus sont rué. Elle interpelle les Français rebelles : Ne voiez-vous qu'il vous fast mieulx Estre alez droit que le revers Pour devenir aux Anglais serfs ? Mais maintenant le roi est sacré : A très grant triumphe et puiteance, Fu Charles couronné à Raine. Elle ne doute point que la France ne lui revienne : Avecques lui la Pucellette, En retournant par son païs, Cité, ne chastel, ne villette Ne remaint. Amez ou hays Qu'ils soient, ou soient esbaïs, Ou asseurez, les habitans Se rendent ; pou sont envahys Tant sont sa puissance doubtanal Paris pourtant lui donne quelque inquiétude : Ne eçai se Paris se tendra, Car encoures n'y sont-ilz mie, Ne se la Pucelle attendra. Mais elle ne s'y arrête pas : Car ens entrera, qui qu'en groingne : La Pucelle lui a promis. Paris, tu cuides que Bourgoigne Defende qu'il ne soit ens mis ? Non fera, car ses ennemis Point ne se fait. Nul n'est puissance Qui l'en gardast, et tu soubmis Seras et ton oultrecuidance. Elle date sa pièce : L'an dessusdit mil quatre cens Et vingt et neuf, le jour où fine Le mois de juillet. (Procès,
t. V, 4 et suiv.) VIII. — Lettre de Jeanne au duc de Bourgogne. (17 juillet 1429.) † Jhesus Maria. — Hault et redoubté prince, duc de Bourgoingne, Jehanne la Pucelle vous requiert de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain seigneur, que le roy de France et vous, faciez bonne paix ferme, qui dure longuement. Pardonnez l'un à l'autre de bon tuer, entièrement, ainsi que doivent faire loyaulx chrestians ; et s'il vous plaist à guerroier, si alez sur les Sarrazins. Prince de Bourgoingne, je vous prie, supplie et requiers tant humblement que requerir vous puis, que ne guerroiez plus ou saint royaume de France, et faictes retraire incontinent et briefment voz gens qui sont en aucunes places et forteresses dudit saint royaume ; et de la part du gentil roy de France, il est prest de faire paix à vous, sauve son honneur, s'il ne tient en vous. Et vous faiz à savoir de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain seigneur, pour vostre bien et pour vostre honneur et sur voz vie, que vous n'y gaignerez point bataille à l'encontre des loyaulx François, et que tous ceulx qui guerroient oudit saint royaume de France, guerroient contre le roy Jhesus, roy du ciel et de tout le monde, mon droicturier et souverain seigneur. Et vous prie et requiers à jointes mains, que ne faictes nulle bataille ne ne guerroiez contre nous, vous, voz gens ou subgiez ; et croiez seurement que, quelque nombre de gens que amenez contre nous, qu'Ili n'y gaigneront mie, et sera grant pitié de la grant bataille et du sang qui y sera respendu de ceulx (Fil y vendront contre nous. Et a trois sepmaines que je vous avoye escript et envoié bonnes lettres par ung hérault, que feussiez au sacre du roy qui, aujourdui dimenche xvije jour de ce présent mois de juillet, ce fait en la cité de Reims : dont je n'ay eu point de response, ne n'ouy oncques puis nouvelles dudit hérault. A Dieu vous commens et soit Barde de vous, s'il lui plaist ; et prie Dieu qu'il y mecte bonne pais. Escript audit lieu de Reims, ledit xvije jour de juillet. Sur l'adresse : Au duc de Bourgoigne. (Procès, t. V, p. 126. L'original est encore aux archives de Lille.) IX. — Lettre de Jeanne aux habitants de Reims. (6 août 1429.) Mes chiers et bons amis, les bons et loyaux François de la cité de Rens, Jehanne la Pucelle vous faict à savoir de ses nouvelles, et vous prie et vous requiert que vous ne faictes mil doubte en la bonne querelle que elle magne pour le sang royal ; et je vous promet et certiffy que je ne vous abandoneray poinct tant que je vivray. Et est vray que le roy a faict tréves au duc de Bourgogne quinze jours durant, par ainsi qu'il ly doibt rendre la cité de Paris paisiblement au chieff de quinze jour. Cependant ne vous donnés nule merveille se je ne y entre si brieffvement, combien que des trêves qui ainsi sont faictes, je ne soy point contente et ne sçay si je les tendroy ; mais si je les tiens, ce seta seulement pour garder l'honneur du roy ; combien aussy que ilz ne rabuseront point le sang royal, car je tiendray et maintiendray ensemble l'armée du roy pour estre toute preste au chief desdictz quinze jours, s'ils ne font la paix. Pour ce, mes très chiers et parfaicts amis, je vous prie que vous ne vous en donnés malaise tant comme je vivray, mez vous requiers que vous faictes bon guet et gardez la bonne cité du roy ; et me faictes savoir sc il y a nuls triteurs qui vous veullent grever, et an plus brief que je pourray, je les en osteray ; et me faictes savoir de vos nouvelles. A Dieu vous commande qui soit garde de vous. Escript ce vendredy, cinquiesme jour d'aoust, emprès un logis sur champ ou chemin de Paris. Sur l'adresse : Aux loyaux Francxois habitans en la ville de Rains. (Procès, t. V, p. 139.) X. — Lettre de Jeanne aux habitants de Riom. (novembre 1429.) Chers et bons amis, vous savez bien comment la ville de Saint-Pierre le Moustier a esté priuse d'assault ; et, à l'aide de Dieu, ay entencion de faire, vuider les autres places qui sont contraires au roy ; mais pour ce que grant despense de pouldres, trait et autres habillemens de guerre a esté faicte devant ladicte ville, et que petitement les seigneurs qui sont en ceste ville et moy en sommes pourveuz pour aler mettre le siège devant la Charité, où nous atone présentement : je vous prie sur tant que vous aymez le bien et honneur du roy et aussi de tous les autres de par deçà, que nielliez Incontinant envoyer et aider pour ledit siège, de pouldres, salpestre, souffre, trait, arbelestres fortes et d'autres habillemens de guerre. Et en ce faictes tant que, par faulte desdictes pouldres et autres habillemens de guerre, la chose ne soit longue, et que on ne vous puisse dire en ce estre négligens ou refusans. Chien et bons amis, Nostre Sire soit garde de vous. Escript à Molins, le neufviesme jour de novembre. — Signé : Jehanne. Sur l'adresse : A mes chers et bons amis, les gens d'Église, bourgois et habitans de la ville de Rion. (Procès, t. V, p. 147.) XI. — Lettre de Jeanne aux habitants de Reims. (16 mars 1430.) Très chiers et bien ornés et bien desiriés à veoir Jehanne la Pucelle ay recue vous letres taisent mancion que vous vous doptiés d'avoir le sciege. Vellhés savoir que vous n'arés point, si je les puis rencontrer ; et si and fut que je ne les rencontrasse, ne eux venissent devant vous, si vous fermés vous pourtes, car je serey bien brie ! vers vous ; et sy eux y sont, je les ferey chausser leurs esperons si à aste qu'il ne sauront por ho les prendre, et leur seil (essil, destruction) y est si brief que ce sera bientost. Autre chouse que (ce) ne vous escry pour le present mès que soyez toutjours bons et loyals. Je pry à Dieu que vous rit en sa guarde. Escrit à Sully, le XVIe jour de mars. Je vous mandesse anquores augunes nouvelles de quoy vous seriés bien joyeux ; mais je doubte que les letres ne fussent prises en chemin et que l'on ne vit les dittes nouvelles. — Signé : Jehanne. Sur l'adresse : A mes très chiers et bons aimés, gens d'Église, bourgois et autres habitans de la ville de Rains. Aux mêmes (28 mars). Très chiers et bons amis, plese vous savoir que je ay rechu vous letres, lesquelles font mantion comment on a raporté au roy que dedens la bone cité de Bains il avait moult de mauvais. Si veulez savoir que c'est bien vray que on uy a raporté, voirement qu'il y en avoit beaucoup qui estoient d'une aliance, lesquelz estoient d'une aliance et qui devoient Wall- la ville et mettre les Bourguignons dedens. Et depuis, le roy a bien seu le contraire, par ce que vous lui en avez envoyé la certaineté : dont il est très contens de vous ; et crpiez que vous estes bien en sa grasce ; et si vous aviez à besoingnier, il vous secouroit, quant au regard du siege ; et cognoie bien que vous avez moult à soufrir pour la durté que vous font ces traitrez Bourguignons adversaires ; si vous en delivrera au plesir Dieu bien brief, c'est assavoir le plus tost que fere se pourra. Sj vous pris et requier, très chiera amis, etc. (Procès, t. V, p. 160-162.) |
[1] Nouvelles recherches, p. 41.
[2] Elles sont, disent les lettres patentes de Louis XII, blasonnées d'un escu d'azur à deux fleurs de lys d'or, et une espée d'argent à la garde dorée, la pointe en haut férue en une couronne d'or. (Procès, t. V, p. 227.)
[3] Traité sommaire, tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d'Orléans (1612 et 1628), p. 37. Dès le XIVe siècle, des familles ou des individus plus ou moins considérables, quoique non nobles, tels que pouvait l'être à cette époque la famille Darc, se servaient pour leurs signets ou sceaux, etc., de marques ou insignes personnels et distincts. Ces marques se groupaient et se figuraient exactement comme des armoiries, à la seule exception du timbre ou heaume, lequel étant essentiellement militaire, faisait le complément caractéristique du blason. Vallet de Viriville, Nouvelles recherches, p. 34.
[4] D'azur à l'arc d'or, mis en fasce, chargé de trois flèches entrecroisées, les pointes en haut férues, deux d'or, ferrées et plumetées d'argent ; et une d'argent, ferrée et plumetée d'or, et le chef d'argent an lion passant de gueule. Lettres patentes de Louis XII (t V, p. 228.)
[5] Dans le premier sens, M. Lepage (Nancy, 1852) ; dans l'autre, N. Renard (Chaumont, 1853). Voy. M. Vallet de Viriville, Athenæum français, 10 juin 1854, p. 528.
[6] Cette copie est aujourd'hui aux Archives, Sect. doman. H. 1535, 3. M. Vallet de Viriville en a donné le texte dans la Bibl. de l'école des Chartes, 3e série (1854), t. V, p. 271.