La Pucelle, prisonnière du bâtard de Wandonne, fut menée au camp de Margny, où bientôt accoururent, poussant des cris de joie, tous les chefs anglais et bourguignons, et après eux le duc de Bourgogne, arrivé trop tard pour la bataille. Que lui dit-il ? Que lui dit Jeanne elle-même ? Monstrelet, présent à l'entrevue, n'en a point gardé le souvenir. Le duc était du sang de France ; et Jeanne, à plusieurs reprises, lui avait écrit pour le ramener au roi ; mais depuis la campagne de Paris, elle n'espérait plus le détacher des Anglais que par la force. — Le bâtard de Wandonne étant de la compagnie de Jean de Luxembourg, c'est à ce prince que Jeanne appartenait. Après trois ou quatre jours passés au camp, il l'envoya à son château de Beaulieu, jugeant peu sûr de la retenir si près de la ville assiégée[1]. Ce n'étaient pas seulement les assiégés que le sire de Luxembourg devait craindre, s'il voulait garder la captive dont le droit de la guerre l'avait fait maitre. La Pucelle avait été prise le 23. Le 25 on le sut à Paris. Dès le 26, le vicaire général de l'inquisition adressait au duc de Bourgogne un message, que dut accompagner ou suivre de bien près une lettre de l'Université, conçue dans le même sens : lettre perdue, mais qui est rappelée dans une autre conservée au procès. L'Université' priait le duc de livrer Jeanne, comme idolâtre, à la justice de l'Église. L'inquisiteur la réclamait en vertu de son office, et sur les peines de droit, rappelant l'obligation formelle de tous loyaux princes chrétiens et tous autres vrais catholiques d'extirper toutes erreurs venans contre la foi. Mais il y avait, derrière l'inquisition et l'Université, une puissance bien autrement redoutable pour la Pucelle, je veux dire les Anglais. Ils voyaient en elle la cause unique de leurs revers, et ce n'était point assez pour leur sécurité que de savoir aux mains des Bourguignons celle qui avait relevé la fortune de la France. Comment douter que Charles VII ne sacrifiât, s'il le fallait, le meilleur de son royaume, pour recouvrer celle qui ratait sauvé d'une entière conquête et promettait de le reconquérir entièrement ? Et comment se flatter que le sire de Luxembourg résistât à ces offres ? Le comte avait repoussé leurs premières ouvertures : n'était-ce pas dans l'espoir d'avoir de Charles VII un meilleur prix ? Pour la lui disputer il fallait aux Anglais plus que de l'argent : il leur fallait l'autorité de la religion, mise au service de leurs intérêts. C'est par l'Église qu'ils tentèrent de la prendre, comme c'est par elle qu'ils la voulaient frapper : entreprise d'une hypocrisie infernale, où ils déployèrent assez d'habileté, sinon pour égarer le sentiment populaire, au moins pour donner le change à certains esprits trop prompts à relever comme idées nouvelles des apparences dont le bon sens public a de tout temps fait justice[2]. Si l'on en croit, en effet, non point le savant éditeur des procès de Jeanne d'Arc, mais des interprètes un peu téméraires des documents qu'il a réunis, les Anglais seraient, pour ainsi dire, étrangers à la conduite de cette affaire ; c'est l'affaire de l'Église de France et de l'Université de Paris. C'est l'Université qui a eu l'idée du procès : c'est un évêque français qui l'exécuta, assisté de docteurs en théologie et autres juges parmi lesquels on trouve à peine un nom anglais. Les Anglais y assistent en simples spectateurs. Voilà la thèse comme on la pourrait soutenir de l'autre côté du détroit, mais à la condition pourtant de s'arrêter à la surface des choses. Assurément il ne faut pas laisser aux Anglais tout l'odieux de ce grand crime. Il y avait en France tout un parti lié à eux par nos troubles civils. Charles VII était pour les Bourguignons l'homme des Armagnacs. La Pucelle, nous ne voulons pas dire par quel blasphème impur ils la disaient des Armagnacs. Ils la détestaient donc, et les haines civiles ne sont pas moins vives que les haines nationales. Mais sur un point où l'orgueil et la fortune de l'Angleterre étaient tenus en échec, la haine des Anglais ne le cédait point aux haines civiles de la France : elle sera là pour les entretenir, les guider, et y suppléer au besoin. Il ne fut pas nécessaire qu'on suggérât aux Anglais l'idée de ce procès : si l'inquisition, si l'Université de Paris l'exprimèrent au lendemain de l'affaire de Compiègne, eux-mêmes, on le peut dire, l'avaient eue dès la veille de la délivrance d'Orléans, quand ils répondaient aux sommations de la Pucelle en menaçant de la brûler dès qu'ils l'auraient : on ne brûle pas des prisonniers de guerre. Dès l'origine, ils étaient donc résolus à la faire juger comme hérétique et comme sorcière. Pour accomplir leur résolution, ils n'eurent qu'à prendre les instruments qu'ils trouvaient tout prêts à les servir : Les Anglais n'ont pas eu seulement la première idée de ce procès : ils en ont eu la direction. Pour juger la Pucelle, il la fallait avoir. Pour l'avoir, comme pour la juger, ils employèrent un homme à eux, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais. Pierre Cauchon parait dans le procès l'organe le plus accrédité de l'Université de Paris. Dès le temps de Charles VI, il avait été appelé, par les suffrages de ce corps, aux fonctions de recteur, et il était devenu le conservateur de ses privilèges. Mais les circonstances l'avaient particulièrement attaché au parti des Anglais. Évêque de Beauvais, grâce à l'appui du duc de Bourgogne, il avait été chassé de son siège par un mouvement du peuple en faveur de Charles VII ; réfugié à Rouen, il convoitait ce siège archiépiscopal vacant alors, et il l'attendait de l'intervention du roi d'Angleterre auprès du pape. Ce fut lui que les Anglais choisirent pour se faire livrer et pour juger la Pucelle. La Pucelle avait été prise dans le diocèse de Beauvais, et, à ce titre, relevait de l'évêque du lieu. Pierre Cauchon n'eut garde de s'excuser de son absence ; le siège d'où il était chassé lui offrait le moyen d'arriver à l'autre ; l'ambition et le ressentiment conspiraient en lui au profit des intérêts de l'Angleterre. S'étant concerté avec l'Université de Paris, il vint, le 14 juillet, au camp de Compiègne, et réclama du duc de Bourgogne la prisonnière, comme appartenant à sa justice ; il présenta à l'appui de sa requête les lettres adressées par l'Université de Paris au duc et à Jean de Luxembourg. La main qui dirigeait tout se trahissait d'ailleurs dans sa requête. Cette requête était accompagnée d'offres pécuniaires : un évêque n'offre pas de l'argent pour juger ceux qui sont de sa juridiction. Aussi l'offre était-elle faite purement et simplement au nom du roi d'Angleterre : Et combien, dit l'évêque, qu'elle ne doive point être de prise de guerre, comme il semble, considéré ce que dit est ; néanmoins, pour la rémunération de ceux qui l'ont prise et détenue, le roi veut libéralement leur bailler jusques à la somme de VI mil francs, et pour ledit bâtard qui l'a prise, lui donner et assigner rente pour soutenir son état, jusques à II ou III cents livres. Il finit même, en terminant sa lettre, par offrir 10.000 francs, somme au prix de laquelle, selon la coutume de France qu'il invoquait, le roi avait le droit de se faire remettre tout prisonnier, fût-il de sang royal[3]. Pour soutenir le sire de Luxembourg contre ces obsessions,
il eût fallu que Charles VII fit des démarches, des offres même, et que le
clergé, qui avait reconnu la mission de la Pucelle, fit voir que toute
l'Église n'était pas du côté de ceux qui la voulaient juger. Or, il n'y a
nulle trace d'aucun acte de cette nature. Charles VII demeure immobile, et
son clergé se tait. Je me trompe : on a l'extrait d'une lettre du chancelier
Regnault de Chartres, archevêque de Reims, aux habitants de sa ville
épiscopale. Il leur annonce la prise de la Pucelle, et y veut voir comme un
jugement de Dieu, comme elle ne vouloit croire
conseil, ains (mais) faisoit tout à son plaisir ; il leur annonçait, par
une sorte de compensation, qu'il étoit venu devers
le roi un jeune pastour, gardeur de brebis des montagnes de Gévaudan, en
l'évêché de Mende, lequel disoit ne plus ne moins que avoit fait la Pucelle,
et qu'il avoit commandement d'aller avec les gens du roi et que sans faute
les Anglois et les Bourguignons seroient déconfits. Bien plus, sur ce que on lui dit que les Anglois avoient fait mourir.
Jeanne la Pucelle, le pasteur répondit que tant plus il leur mescherroit, et
que Dieu avoit souffert prendre Jeanne, pour ce qu'elle s'étoit constituée en
orgueil, et pour les riches habits qu'elle avoit pris, et qu'elle n'avoit
fait ce que Dieu lui avoit commandé, ains avoit fait sa volonté. Ainsi
ce n'étaient pas seulement les Anglais et les Bourguignons qui triomphaient
de la chute de la Pucelle : c'étaient les conseillers de Charles VIII La
Pucelle succombait, parce qu'elle ne les avait point écoutés. Dieu avait jugé
: un envoyé plus docile (aux conseillers, on
le peut croire) venait prendre sa place, et c'était de la réprobation
de Jeanne qu'il faisait les préliminaires et comme le fondement de sa
mission. Les Anglais avaient donc bien eu tort de tant craindre d'être
traversés dans leurs négociations : Charles VII n'avait garde de leur faire concurrence.
Que s'ils poussaient leur haine jusqu'au bout, s'ils faisaient mourir Jeanne
d'Arc, tant mieux encore, puisque, d'après le jeune pasteur de l'archevêque
de Reims, tant plus il leur en mescherroit[4]. Le sire de Luxembourg céda, et l'évêque put en rapporter la bonne nouvelle à ceux qui l'avaient envoyé. C'est l'Angleterre qui payait, mais c'était la Normandie et les pays de conquête qui en devaient donner l'argent ; on en répartit la somme par surcroît à l'impôt que ces provinces devaient fournir pour une levée de soldats : la Pucelle valait bien, sans doute, une armée. Au mois d'août, le marché étant conclu, les États de Rouen votent le subside ; le 2 septembre, le roi ordonne el' soit réparti et levé avant la fin du mois ; et le 24 octobre, en vertu des lettres royaux, datées du 20, le trésorier de Normandie fait acheter la mon-paie d'or qui doit solder le prix de la Pucelle[5]. Le marché faillit manquer par un incident qui n'avait pas été prévu au contrat. Jeanne avait subi avec courage l'épreuve si dure de la captivité. Si l'événement de Compiègne, qui comblait de joie tous ses ennemis, avait, jusque parmi les siens, donné satisfaction aux jaloux et ébranlé les faibles, il n'avait pas diminué sa foi. Sa captivité lui avait été prédite, et ses saintes ne rayaient point abandonnée. Elle se résignait donc, mais elle se tenait toujours prête à reprendre l'œuvre qu'elle estimait seulement interrompue. Un jour, à Beaulieu, elle crut en avoir trouvé l'occasion : elle faillit s'échapper à travers les ais de sa prison. Elle était déjà sortie de la tour, et, pour mieux assurer sa fuite, elle allait y enfermer ses gardiens, quand elle fut aperçue du portier, qui la reprit[6]. De Beaulieu, où elle demeura trois ou quatre mois (mai-août), le sire de Luxembourg la fit passer en son château de Beaurevoir, près de Cambrai, à une distance du théâtre de la guerre qui devait rendre moins facile toute tentative soit d'évasion, soit d'enlèvement. Là résidaient la femme et la tante de ce seigneur ; et Jeanne n'eut qu'à se louer de leurs soins : mais elle refusa les vêtements de femme que ces dames lui offraient, disant qu'elle n'en avait pas congé de Notre-Seigneur, et qu'il n'était pas temps encore. Si les habits d'homme lui étaient nécessaires dans la vie des camps, parmi les gens de guerre, qui respectaient en elle l'envoyée de Dieu et la messagère de la victoire, l'étaient-ils moins parmi des ennemis dans l'isolement de la prison ? Jeanne put en faire l'expérience dans ce château même. Les jeunes seigneurs voulaient la voir et lui parler, et plus d'une fois elle eut à se défendre contre leurs indécents badinages. D'ailleurs elle ne croyait point sa mission terminée, et n'avait pas renoncé à ses projets de fuite. Le sire de Luxembourg les redoutait fort : il la tenait dans un donjon très-élevé, et il craignait encore qu'elle n'échappât par art magique ou par quelque moyen subtil[7]. Jeanne n'y mit point tant de subtilité. Elle savait qu'elle était vendue aux Anglais ; elle savait que Compiègne tenait encore, mais sans être secourue : elle résolut de sauter du haut de la tour. Elle-même a raconté les luttes qu'elle eut à soutenir contre l'inspiration à laquelle elle avait jusque-là toujours obéi. Vainement ses voix blâmaient-elles ce dessein périlleux ; vainement sainte Catherine lui répétait tous les jours que Dieu lui aiderait, et même à ceux de Compiègne : elle trouvait réplique à toute objection. Elle répondait que puisque Dieu y devait aider, elle y voulait être ; et comme la sainte lui disait de prendre patience, qu'elle ne serait point délivrée tant qu'elle n'eût vu le roi d'Angleterre, elle protestait qu'elle ne le voulait point voir, et qu'elle aimerait mieux mourir que d'être mise en la main des Anglais. Ce combat si pénible pour Jeanne durait déjà depuis longtemps, quand on lui dit que Compiègne était à la veille d'être prise, qu'elle serait détruite et tous les habitants mis à mort depuis l'âge de sept ans. À cette nouvelle, elle s'écria : Comment Dieu laissera-t-il mourir ces bonnes gens de Compiègne, qui ont été et sont si loyaux à leur seigneur ? Dès ce moment elle n'écouta plus rien, et, se recommandant à Dieu et à Notre-Dame, elle sauta du haut de la tour. Elle demeura sur la place sans mouvement ; ceux qui la relevèrent la croyaient morte, et elle devait se tuer en effet : car on ne peut guère supposer à cette tour moins de soixante pieds de haut. Toutefois elle reprit ses sens, mais dans le moment elle avait perdu la mémoire : il fallut qu'on lui dit qu'elle avait sauté du haut du donjon. Elle fut deux ou trois jours ne voulant, ou, pour mieux dire, ne pouvant ni boire ni manger. Mais sainte Catherine, dit-elle, la réconforta ; elle la reprit doucement de son imprudence, elle lui dit qu'elle se confessât et demandât pardon à Dieu, ajoutant, pour la consoler, que Compiègne serait secourue avant la Saint-Martin d'hiver. Elle se prit donc à revenir et à recommencer à manger, et en peu de jours elle fut guérie[8]. Le marché put donc s'accomplir. Le sire de Luxembourg avait éprouvé qu'une pareille prisonnière est de garde difficile, et, malgré les résistances de sa tante, il la livra (novembre 1430). — De Beaurevoir on la mena à Arras, et de là au Crotoy, où elle fut remise aux Anglais par les officiers du duc de Bourgogne (novembre 1430). Le duc de Bourgogne, qui avait besoin des Anglais pour achever de s'affermir aux. Pays-Bas, s'était prêté de bonne grâce à la négociation, et n'était point fâché de paraître dans la conclusion du marché. Par cet acte de condescendance, il acquérait de nouveaux titres à leur faveur. Qu'il en garde la responsabilité devant l'histoire[9]. Avant de la livrer, comme elle était encore à Arias, on lui offrit des vêtements de femme ; mais parmi les Anglais, elle devait plus que jamais avoir besoin de ses habits d'homme : elle refusa. Au Crotoy, où elle séjourna jusqu'à ce que les dernières mesures fussent arrêtées pour son procès, sa captivité ne paraît pas avoir été fort rigoureuse encore. Elle y pouvait assister à la messe. Un chancelier de l'église cathédrale d'Amiens, qui se trouvait alors dans le château, l'entendait en confession et lui donnait l'eucharistie ; les dames mêmes d'Abbeville étaient admises à la visiter : et c'est une justice à rendre aux femmes, que parmi tant d'outrages dont elle fut l'objet, pas un seul ne lui vint de leur part. On ne cite d'elles que des témoignages d'admiration et d'estime pour celle qui, elles le sentaient bien, ne déshonorait pas leur sexe soue ces habits dont la pudeur des hommes se montrait si fort scandalisée. La Pucelle fut touchée de ces honneurs rendus à ses chaînes ; elle remerciait ses nobles visiteuses, se recommandait à leurs prières, et les baisant amiablement, leur disait : À Dieu ![10] Les Anglais n'avaient acheté la Pucelle que pour la juger
; c'est à ce titre qu'ils l'avaient fait réclamer par l'évêque de Beauvais.
Mais Beauvais appartenant à Charles VII, où allaient-ils dresser le tribunal
? L'Université de Paris réclamait pour Paris. L'Université, qui avait montré
tant de crainte que la Pucelle n'échappât lorsqu'elle était encore aux
Bourguignons, apprenant qu'elle est aux Anglais, se met aussitôt en campagne.
Dès le 21 novembre, elle écrit au roi ; elle le complimente d'avoir entre ses
mains cette ennemie de la foi, et le presse de la livrer enfin à la justice,
c'est-à-dire à l'évêque de Beauvais et à l'inquisiteur ; elle le prie de la
faire conduire à Paria, pour donner au procès plus de sûreté et d'éclat : Car par les maistres docteurs et autres notables personnes
estant par deçà en grant nombre, seroit la discussion d'icelle de plus grant
réputation que en autre lieu. Le même jour, elle écrivait à l'évêque
de Beauvais une lettre acerbe, que l'évêque ne manque pas d'insérer parmi les
pièces de procédure, comme pour rendre sa responsabilité moins lourde en la
partageant. L'Université s'étonne de si longs retards ; elle s'en prend à la
négligence de l'évêque : Si Votre Paternité,
dit-elle, avait mis plus de zèle dans la poursuite
de l'affaire, cette femme serait déjà en justice. Il ne nous importe pas si
peu, tandis que vous êtes revêtu d'une si grande dignité dans l'Église,
d'ôter les scandales commis contre la religion chrétienne, surtout quand il
se trouve que le soin d'en juger est de votre juridiction. Elle le
prie donc de ne pas laisser plus longtemps en souffrance l'autorité de
l'Église, et de faire en sorte que le procès se poursuive à Paris, où il y a
tant de sages et de docteurs[11]. Mais les Anglais ne se souciaient point de conduire la Pucelle à Paris : car, bien que la ville fût à eux, ils ne s'y sentaient pas assez les maîtres. Les Armagnacs poussaient encore leurs courses jusqu'au Bourget, jusqu'à la porte Saint-Antoine : le 6 novembre, le roi d'Angleterre donne à l'évêque de Thérouanne, son chancelier pour la France, la faculté de différer la rentrée du parlement en raison des dangers de la route ; et la ville même n'était pas sûre. On le voit par les plaintes perpétuelles du Bourgeois sur l'abandon où elle est laissée, sur la cherté des vivres. Les Anglais ne voulaient donc point de Paris. Un coup de main des Armagnacs, un mouvement populaire pouvait tout emporter. Peut-être même ne se souciaient-ils pas de faire le procès si près de l'Université elle-même : car ce corps, tout passionné qu'il fût, était indépendant. Ils entendaient bien s'en servir, mais non se livrer à sa discrétion ; et pour cela, rien de mieux que de placer leur tribunal à distance et d'y appeler, par des choix réfléchis, les plus sûrs des docteurs parisiens. Ils menèrent donc Jeanne à Rouen. Là quelques impatients se seraient même passés du secours des docteurs de Paris : ils voulaient la mettre dans un sac et. la jeter à la Seine. On croyait, en effet, parmi les Anglais, qu'aucun succès n'était possible tant qu'elle serait en vie, et le siège qu'on voulait mettre devant Louviers fut ajourné jusqu'après sa mort. Mais l'expédient, qui semblait tout finir, laissait les Anglais sous le coup de leurs défaites. Pour les en relever, c'était peu que de tuer Jeanne ; il fallait la flétrir. Jeanne s'était dite envoyée de Dieu pour chasser les Anglais, et elle les avait Vaincus partout où on l'avait voulu suivre. Dieu était-il donc contre les Anglais ? Il fallait montrer qu'elle n'était pas son envoyée, mais bien une magicienne et un suppôt du diable. À ce prix-là seulement, l'autorité des Anglais devait se rétablir dans leurs conquêtes : brûler Jeanne comme sorcière, ce n'était pas seulement pour eux une affaire d'amour-propre, mais une question de domination[12]. On la mit, dès son arrivée, dans une cage de fer : un peu plus tard, on se contenta de la tenir à la chaîne ; mais combien elle eut à regretter sa cage, dans la compagnie des soldats qu'on lui donnait pour gardiens, ou des seigneurs qui la venaient visiter ! De ce nombre, on vit un jour venir à la prison, avec Warwick et Stafford, Jean de Luxembourg, qui l'avait vendue. Il osa lui dire qu'il venait la racheter si elle voulait promettre de ne plus jamais s'armer contre l'Angleterre. En nom Dieu, lui répondit-elle, vous vous moquez de moi, car je sais bien que vous n'en avez ni le vouloir ni le pouvoir ; et elle le répéta plusieurs fois. Comme il insistait, elle ajouta : Je sais bien que ces Anglais me feront mourir, croyant après ma mort gagner le royaume de France ; mais quand ils seraient 100.000 Godons plus qu'ils ne sont à présent, ils n'auront pas le royaume. Le comte de Stafford indigné tirait sa dague pour la frapper, mais Warwick le retint. On a vu qu'il avait ses raisons[13]. Les Anglais avaient le juge, l'évêque de Beauvais. Il lui fallait un tribunal, puisque son siège était à l'ennemi. On avait rejeté Paris, et choisi Rouen : le siège était vacant ; il semblait qu'on n'y dût faire. ombrage à personne. Mais le choix était peu goûté du chapitre, dans la crainte que le prélat chassé de Beauvais ne se fit un titre de cet exercice des fonctions épiscopales à Rouen pour parvenir au siège. ne fallut pas moins que l'habileté anglaise pour négocier avec les chanoines, et obtenir d'eux concession du droit territorial à l'évêque de Beauvais[14]. L'évêque de Beauvais ainsi installé à Rouen, il fut moins difficile de lui composer son cortège judiciaire. Il prit pour procureur général ou promoteur, son vicaire général, qui partageait son exil et ses haines, Jean d'Estivet, dit Benedicite. Quant aux assesseurs, l'Université de Paris s'était trop avancée pour qu'on ne fût pas sûr d'en trouver parmi ses principaux docteurs : on appela donc et l'on vit arriver sur cet appel Jean Beaupère, recteur en 1413 et depuis chancelier en l'absence de Gerson ; Jacques de Touraine, Nicole Midi, Gérard Feuillet, Thomas de Courcelles, déjà alors recteur émérite, quoique âgé de trente ans seulement, l'une des lumières de l'Église gallicane, dont il défendit avec éclat les privilèges au concile de Bâle. On en tira aussi du diocèse où le jugement allait s'accomplir : Gilles, abbé de Fécamp, conseiller du roi d'Angleterre ; Nicolas, abbé de Jumièges ; Pierre Miget, prieur de Longueville ; Raoul Rousset, trésorier de là cathédrale ; Nicolas de Venderez, un des prétendants au siège de Rouen ; Nicolas Loyseleur, etc. Plusieurs paraissent avoir accepté ce mandat sans répugnance, soit par conviction, soit par ambition ; mais d'autres ne cédèrent qu'à la peur. Jean Tiphaine, maitre ès arts et médecin, voulait se récuser : il fut contraint. Le sous-inquisiteur lui-même laissa commencer sans lui le procès dont il devait être un des juges. Il n'y accéda que sur l'ordre de l'inquisiteur général, et, selon Massieu, sur l'avis confidentiel qu'il était en péril de mort s'il s'obstinait à refuser. On en cite un qui sut se montrer indépendant : ce fut Nicolas de Houppeville. Il osa soutenir que le procès n'était pas légal, parce que l'évêque de Beauvais était du parti ennemi de la Pucelle, et parce qu'il se faisait juge d'un cas déjà jugé par son métropolitain : la Pucelle ayant été approuvée dans sa conduite par l'archevêque de Reims, de qui relevait Beauvais. L'évêque, furieux, l'exclut de l'assemblée quand il vint prendre séance et le fit assigner devant lui : mais l'intimé refusa de comparaître, comme ne relevant que de l'officialité de Rouen. Il allait se présenter à ses juges quand il fut arrêté, conduit au château et mis en prison ; et on lui dit que c'était par l'ordre même de l'évêque, dont il avait récusé la compétence. On ne voulait pas s'en tenir là : il était question de l'exiler outre-mer ; on parlait même de le jeter à l'eau, mais il fut sauvé par les autres[15]. Cet exemple était moins propre à encourager qu'à effrayer les opposants. On voit d'ailleurs qu'il n'y en avait guère el qu'on pouvait s'arranger de manière à ce qu'il n'y en eût pas ; mais le mandat une fois accepté, il n'eût pas été facile d'en user contrairement à la volonté de celui de qui on l'avait reçu. L'avis des témoins est que personne n'eût osé opiner autrement que l'évêque, et on en aura des preuves dans le cours du procès. Plusieurs ont, de leur aveu, voté par peur. G. de La Chambre, qui s'excusait comme étranger à la théologie en sa qualité de médecin, reçut l'avis que s'il ne signait au procès il se repentirait d'être venu à Rouen ; P. Miget, prieur de Longueville, dénoncé comme favorable à la Pucelle, eut toutes les peines du monde à se justifier auprès du cardinal de Winchester ; le greffier Manchon, l'huissier Massieu, furent aussi plusieurs fois en péril. Et le sous-inquisiteur lui-même, qui s'était si difficilement rallié, ayant paru moins docile par la suite, fut menacé d'être jeté à la rivière[16]. Voilà donc le tribunal. On n'y trouve guère d'Anglais, mais il n'y a personne qui n'y soit sous la main des Anglais. Le juge est à leurs ordres. Quand Jeanne le récuse comme son ennemi, il répond : u Le roi m'a ordonné de faire votre procès, et je le ferai. i Il s'y porte de tout cœur. On a vu sa joie quand il rapportait au roi et au régent le contrat qui leur livrait Jeanne ; et à présent qu'il la tient il s'applaudit de ce qu'il va faire un beau procès. Mais le juge n'est dans le procès que le fondé de pouvoir de l'Angleterre. Les deux oncles du roi, Bedford et Winchester, le surveillent. Le tribunal siège au château eu milieu des Anglais. Ils travaillent aux frais des Anglais. L'exacte comptabilité de l'Angleterre en donne la preuve pour chacun par livres et par sous ; et s'ils ne travaillent pas bien, on a vu de quelle manière sommaire on entend régler leurs comptes. Il y en eut encore un autre exemple dans le cours du procès. Quelqu'un ayant dit de Jeanne une chose qui ne plut point à Stafford, le noble seigneur le poursuivit, l'épée à la main, jusque dans un lieu sacré. Il l'eût frappé, s'il n'eût été averti qu'il allait violer un asile ! D'ailleurs, quelque garantie que trouvent les Anglais dans un juge dévoué et un conseil asservi à leur influence, le procès n'est qu'une épreuve dont ils n'ont rien à redouter. Si, contre toute attente, il n'aboutit pas à la condamnation de la Pucelle, ils se réservent de la reprendre : c'est une clause formellement exprimée dans la lettre royale qui la livre à son juge ; et même alors ils ne s'en dessaisissent point. La règle que l'accusée soit remise aux mains du juge est oubliée. La Pucelle est gardée dans le château de Rouen par les Anglais : Pierre Cauchon, si jaloux d'observer les formes de la justice, dut subir ici la volonté de ses maîtres. Il voulut au moins dégager sa responsabilité en un point si délicat, et prit l'aveu de son conseil : mais le conseil inclinant à observer le droit, il coupa court à la discussion, et décida seul. Bien plus, sa démarche, loin de le couvrir, ne faisant dès lors que le compromettre davantage, il supprima la délibération du procès-verbal : il n'y en a trace que par la déposition de l'un des assesseurs, Martin Ladvenu. Ainsi Jeanne demeura aux mains des Anglais, non plus dans la cage, mais dans une chambre obscure de la tour du château, les fers aux pieds, liée par une chaîne à une grosse pièce de bois, et gardée nuit et jour par quatre ou cinq soldats de bas étage, des houce-paillers (houspilleurs), comme dit Massieu. Cette circonstance, si étrangère aux habitudes des juges ecclésiastiques, n'est pas indifférente ; on peut même dire qu'elle fut capitale au procès : on verra que, sans elle, il eût été bien difficile de trouver un prétexte pour condamner la Pucelle[17]. Ce sont donc bien les Anglais qui ont fait le procès de Jeanne d'Arc. Ils l'ont achetée, afin qu'elle soit jugée par eux ; sinon par des Anglais de race, au moins par des hommes qui ne leur offrent pas moins de garantie : car le juge est à eux par ses haines comme par son ambition, et les autres appartiennent sinon aux mêmes passions, au moins à la même influence. L'Angleterre les paye, et leur donnera sa garantie, même contre le pape, si, en la servant, ils s'exposent à encourir son animadversion. D'ailleurs, si les Anglais ne tiennent pas tous les juges, ils tiennent toujours l'accusée : ils la gardent dans leur prison, et ils sont là pour suppléer au jugement, si l'issue du procès trompe leur espérance. La sentence est déjà tout entière dans la lettre de Henri VI, qui la livre à son tribunal[18]. Lorsqu'il est prouvé que le procès de la Pucelle ne fut qu'une œuvre de parti, il est assez indifférent de rechercher s'il s'est fait dans les formes légales. La question pouvait avoir de l'intérêt à l'époque du procès de révision, et nous en pourrons dire un mot alors. Mais l'observation, même rigoureuse, des formes de la justice, n'est pas un signe qu'on en garde l'esprit. Y eut-il désir sincère d'arriver à la vérité dans la poursuite du procès ? Y eut-il au moins respect de la vérité dans la reproduction des interrogatoires et des enquêtes ? Et que sera-ce si des enquêtes sont supprimées, si les interrogatoires sont altérés ; si le procès-verbal, même ainsi rédigé, on le soustrait à la connaissance.de ceux que l'on consulte, pour ne les mettre en présence que d'un réquisitoire ? Toutes ces questions seront à résoudre à mesure qu'elles se poseront dans la suite des débats. Mais dès ce moment il est deux points que nous devons signaler, parce qu'ils touchent aux fondements mêmes du procès et au monument qui nous en a gardé la substance : je veux parler des enquêtes préliminaires et des procès-verbaux. Des enquêtes ont été faites et supprimées au procès-verbal. On sait de quelle importance était en matière de visions le fait de la virginité : la vision étant acceptée comme réelle, c'était un signe où l'on prétendait juger si l'esprit qui se communiquait à la jeune fille était pur ou impur. Jeanne avait été visitée à Poitiers, et le rapport des matrones en ce point n'avait pas semblé moins décisif que celui des docteurs sur la foi due à ses paroles. Elle ne pouvait manquer de subir la même épreuve à Rouen : et le fait est attesté par d'irrécusables témoignages. L'huissier Massieu déclare qu'elle fut visitée par ordre de la duchesse de Bedford et par les soins de deux matrones ; c'est de l'une d'elles qu'il tient la chose. Guillaume Colles a ouï dire que le duc de Bedford assistait d'un lieu secret à l'examen ! Thomas de Courcelles, l'un des principaux assesseurs et le rédacteur dû procès sous sa forme latine, dit qu'il n'a jamais entendu mettre la chose en délibération, mais il lui parait vraisemblable et il croit qu'elle s'est faite, parce qu'il a ouï dire à l'évêque de Beauvais que Jeanne avait été trouvée vierge. Il dit même assez naïvement que, si elle n'avait pas été trouvée vierge, on ne s'en serait pas tu au procès. Pourquoi, l'épreuve étant favorable, n'en dit-on rien ? Puisqu'on avait fait l'enquête, pourquoi en supprime-t-on le résultat ? C'est que le juge l'estimait inutile, comme ne tournant pas contre l'accusée[19]. Mais il est une autre information qui était commandée par la nature même du procès, et qu'on cherche en vain parmi les pièces de la procédure. Avant de poursuivre un hérétique, il fallait connaître ses antécédents, ouvrir une enquête sur sa renommée dans le pays où il avait vécu. Cette enquête n'a-t-elle pas été faite à l'égard de Jeanne ? Les greffiers du premier procès, interrogés par les juges de la réhabilitation, ont déclaré qu'ils n'en ont pas eu connaissance. Manchon dit qu'il ne l'a ni vue ni lue, et que, si elle avait été produite, il l'eût insérée au procès. G. Colles va jusqu'à dire qu'il croit qu'elle n'a jamais existé. Mais son existence est attestée par le premier procès lui-même. Il est dit en toutes lettres au procès-verbal de la séance préparatoire du 13 janvier, tenue par l'évêque avec l'assistance de cinq ou six conseillers intimes, qu'il y fit lire les informations faites dans le pays natal de Jeanne et en divers autres lieux. Pourquoi donc ne sont-elles pas au procès ? On le devine, quand on sait ce qu'elles étaient, au témoignage de ceux qui les ont pu connaître. On a, en effet, sur cette enquête, les déclarations les plus compétentes. C'est d'abord un des commissaires, Nicolas Bailly, d'Andelot, qui en parle au procès de réhabilitation. Il déclare qu'il fut chargé par Jean de Torcenai, bailli de Chaumont pour Henri VI, d'aller avec Gérard Petit, prévôt d'Andelot, recueillir des renseignements sur Jeanne alors détenue dans le château de Rouen. Mais le résultat parut tellement favorable à la Pucelle, qu'ils durent produire des témoins eux-mêmes, pour en attester la vérité ; ce qui n'empêcha pas le bailli de Chaumont de les traiter de faux (traîtres) Armagnacs. Au rapport d'un autre témoin, l'un des commissaires vint à Rouen apporter son enquête, espérant bien recevoir de l'évêque le prix de ses peines. Mais l'évêque, à la lecture du document, lui dit qu'il était 'un traître et un méchant homme, et qu'il n'avait pas fait ce que l'on voulait qu'il fît. Le commissaire, commençant à comprendre le véritable objet de sa mission, eut grand'peur alors de ne point toucher son salaire ; ses informations n'avaient paru bonnes à rien, et on se l'explique sans peine : car, ajoutait-il, bien que je les eusse faites à Domrémy et dans cinq eu six paroisses du voisinage, je n'ai rien trouvé en Jeanne que je ne voulusse trouver en ma sœur. L'enquête n'a donc pas seulement été faite ; elle a été remise à l'évêque ; elle a même été communiquée par lui à quelques assesseurs. Mais en quelle forme ? c'est ce que nul ne peut dire, puisque ce document disparaît dès lors du procès. Du reste, en quelque forme qu'il ait été lu ce jour-là à cinq ou six docteurs, il a été supprimé pour tous les autres ; et cette suppression, qui témoigne si hautement de la partialité du juge, a été justement signalée parmi les vices radicaux du procès[20]. Les procès-verbaux offrent donc déjà sur les préliminaires du procès des lacunes graves, où se révèle la pensée qui y préside ; et à mesure que l'affaire se déroulera, nous aurons plus d'une autre omission à signaler dans leur texte. Mais cette exposition officielle, incomplète sur des points qu'on a pu taire aux greffiers, doit-elle faire foi sur tous les autres ? Il importe d'examiner de près cette question, puisqu'il s'agit du document dont le texte, quel qu'il soit, sera toujours la principale source de cette histoire. Le procès-verbal, tel que nous l'avons, a été traduit de l'original par Thomas de Courcelles, et la comparaison de la minute française, dont une copie nous est restée en partie, a prouvé que c'est généralement à tort que dans les enquêtes de 1452 et 1455 on l'avait accusé d'infidélité. La traduction vaut donc, à 'peu de chose près, l'original, et c'est à l'œuvre même de la rédaction que nos observations doivent s'appliquer[21]. Trois greffiers furent attachés à ce travail : Manchon, G. Colles, dit Boisguillaume, et Taquel ; l'un pour l'évêque de Beauvais, l'autre pour le roi d'Angleterre, et le troisième pour l'inquisiteur. Les notes prises dans les interrogatoires, le matin, étaient collationnées le soir et reproduites dans une minute française que Manchon rédigea. Quand il la présenta lui-même au procès de réhabilitation, on lui demanda ce que signifiaient plusieurs nota qu'on lisait à la marge. Il répondit que dans les premiers interrogatoires de Jeanne, le premier jour, dans la chapelle du château, il y eut grand tumulte ; on l'interrompait presque à chaque mot quand elle parlait de ses apparitions. Or il y avait là deux ou trois secrétaires anglais qui enregistraient ses dépositions comme ils voulaient, supprimant ce qu'elle disait à sa décharge. Manchon s'en plaignit et dit (c'est toujours lui qui parle) que si on ne procédait autrement, il déposerait la plume. Sur sa plainte, on changea de lieu, et le lendemain on s'assembla dans une salle du château, voisine de la grande salle, avec deux Anglais à la porte. Comme il y avait quelquefois difficulté sur les réponses de Jeanne, et que plusieurs disaient qu'elle n'avait pas répondu de la façon dont il l'avait écrit, il marquait d'un nota le lieu contesté, afin que Jeanne fût interrogée de nouveau, et la difficulté éclaircie[22]. Voilà un homme qui veut la vérité, et c'est une garantie sans doute. Mais on voit combien il y en avait d'autres qui la voulaient altérer. Une déposition antérieure de Manchon à- Rouen, lors de l'enquête préliminaire du procès de réhabilitation, achève de prouver que ces criminelles tentatives ne se produisirent pas seulement à la première séance : pendant les cinq ou six premières journées, quelques juges lui disaient en latin (pour n'être pas entendus de la Pucelle), qu'il mît en autres termes en muant la sentence de ses paroles. C'est l'évêque de Beauvais lui-même qui avait placé auprès du tribunal, dans une fenêtre, derrière un rideau, ces greffiers clandestins, chargés de recueillir les charges et d'omettre les excuses ; et c'était avec ces rédactions sciemment infidèles que se faisait le soir la collation. On voit quelles différences devait offrir celle de Manchon, et l'évêque de Beauvais savait à qui s'en prendre : toute sa colère retombait sur le pauvre homme qui marquait ses nota. Quelquefois même l'évêque et d'autres docteurs, intervenant plus directement, commandaient à Manchon d'écrire selon qu'ils l'imaginaient, et tout au contraire de ce que Jeanne avait entendu ; ou si quelque chose leur déplaisait, ils défendaient de l'écrire, comme n'étant pas du procès. Manchon proteste qu'il n'en fit rien, qu'il agit toujours selon sa conscience ; et on le veut croire : mais cet homme qui avoue n'avoir accepté que par peur les fonctions de greffier, n'a-t-il pas pu quelquefois capituler avec la peur, sinon pour commettre un faux constant, du moins pour accepter une rédaction plus conforme à l'esprit du procès ? On l'en peut soupçonner : car on en a plusieurs indices. Jean Monnet, secrétaire de Jean Beaupère, qui prenait des notes, mais non comme greffier officiel, dit que Jeanne se plaignit souvent des inexactitudes du procès-verbal et les faisait, corriger. Les releva-t-elle toujours et ne se pouvait-il faire que souvent il lui en échappât ? Qu'on en juge par ce trait de la déposition de J. Fabri ou Lefebvre, religieux augustin, depuis évêque de Démétriade. Un jour que la Pucelle étant interrogée sur ses visions, on lui lisait une de ses réponses, J. Lefebvre y reconnut une erreur de rédaction et la fit remarquer à Jeanne, qui pria le greffier de relire. Il relut, et Jeanne déclara qu'elle avait dit tout le contraire. Manchon promit de faire plus d'attention à l'avenir. Voilà pour les erreurs, et quant aux omissions, voici un fait bien grave, constaté par le témoignage d'Isambard de La Pierre. Lorsqu'a la persuasion de ce dernier, Jeanne déclara qu'elle se soumettait au concile alors réuni (le concile de Bâle), l'évêque furieux s'écria : Taisez-vous de par le diable ! et Manchon lui ayant demandé s'il fallait écrire sa déclaration, l'évêque répondit : Non, ce n'est pas nécessaire ; sur quoi Jeanne lui dit : Ah ! vous écrivez bien ce qui est contre moi, et vous n'écrivez pas ce qui est pour moi[23]. Nous n'accusons point Manchon de faux dans ses écritures ; nous admettons qu'il n'a pas été le docile instrument de toutes les volontés de l'évêque, qu'il a su même lui résister quelquefois, bien qu'il ait eu beau jeu de l'affirmer au procès de réhabilitation : mais en présence de ces faits constants, il est difficile de dire que l'on tient de lui une rédaction rigoureusement exacte, et que jamais il n'a rien concédé à la colère d'un homme dont la violence envers ceux qui avaient l'air de ne point penser comme lui, est attestée pour des faits bien moins graves. Un jour que l'huissier Massieu ramenait Jeanne en prison, un prêtre lui ayant demandé : Que te semble de ses réponses ? Sera-t-elle erse (brûlée) ? il avait répondu : Jusqu'ici je n'ai vu que bien et honneur en elle ; mais je ne sais ce qu'elle sera à la fin ; Dieu le sache ! Sa réponse fut rapportée ; il fut mandé par l'évêque, qui lui dit de bien prendre garde, ou qu'on le ferait boire plus que de raison. Et il déclare que, sans le greffier Manchon, il n'eût point échappé. Manchon qui l'excusa dut profiter de la leçon pour lui-même[24]. Concluons donc : le procès-verbal n'offre pas ces caractères assurés de sincérité qu'on doit attendre de la justice : le juge lui-même a pesé sur la rédaction pour la corrompre et l'altérer. Que s'il n'a pu y réussir complètement, c'est qu'ayant pris pour greffier principal un prêtre, greffier de Rouen, il s'est trouvé aux prises avec les habitudes honnêtes d'un homme qui savait les devoirs de sa charge, et y demeura généralement fidèle, sans toutefois se défendre toujours des influences parmi lesquelles il écrivait. On doit donc prendre avec défiance certaines réponses où le tour de la phrase peut changer le sens de la pensée, quand une altération de ce genre est si facilement concevable avec les obsessions ou les préoccupations du moment. Mais cette réserve faite, nous acceptons les procès-verbaux comme base de notre jugement. Il y a dans Jeanne d'Arc une telle force de raison, une telle vigueur de réplique, que sa parole, comme un glaive aigu, traverse les replis du texte dûment collationné par Manchon, Taquel et Boisguillaume ; il y a de telles illuminations dans ses réponses que, malgré les voiles de ce résumé si habilement serré, on en est encore ébloui. FIN DU PREMIER TOME |
[1] Jeanne à Margny : t. IV, p. 402 (Monstrelet, II, 86) : Cheux de la partie de Bourgogne et les Anglois en furent moult joyeux, plus que d'avoir prins cinq cens combatans : car ils ne cremoient, ne redoubtoient nul capitaine, ne aultre chief de guerre, tant comme ils avoient toujours fait jusques à che présent jour ycelle Pucelle. — A Beaulieu : ibid., et p. 34 (Gagny),
[2] Nouvelle de la prise de Jeanne à Paris : t. IV, p. 458 (Clém. de Fauquemberque, greffier du parlement). — Lettre de l'Université : Que cette femme dicte la Pucelle fust mise es mains de la justice de l'Église, pour luy faire son procès deuement sur les ydolatries et autres matières touchans nostre sainte foy. — Lettre de l'inquisiteur : ibid., p. 12. — Premier refus de Jean de Luxembourg, et idée de recourir à l'évêque de Beauvais : t. IV, p. 282 (Abrév. du Procès).
[3] P. Cauchon : note de M. J, Quicherat au t. I, p. 1, du Procès, et Aperçus nouveaux, p. 98 ; t. II, p. 360 (P. Miget), et t. IV, p. 282 et 288 (Abrév. du Procès). Le gouvernement d'Angleterre était en instance près du pape pour faire obtenir à l'Évêque de Beauvais le siège de Rouen (15 déc. 1429). Rymer, t. X, p. 438.
Lettre de l'Université : t. I, p. 8 et 10.
Requête de l'évêque de Beauvais : .... Combien que la prinse d'icelle femme ne soit pareille à le prise de Roy, princes et autres gens de grand estat, lesquels toutes voies se prins estoient, ou aucun de tel estai, fust Roy, le Daulphia ou autres princes, le Roy le pourroit avoir, se il vouloit, en baillant ou preneur dix mil francs, selon le droit usage et coutume de France. Ibid., p. 13, et le procès-verbal de la sommation, ibid., p. 16.
[4] Lettre de Régn. de Chartres : t. V, p. 168. — Jean Rogier, qui en donne l'extrait, dit que, de son temps, elle existait en original aux archives de, l'hôtel de ville de Reims. Ce berger fut pris dans une embuscade près de Beauvais avec Xaintrailles (août 1431), et mené à Rouen, puis à Paris, lié de bonnes cordes, comme un larron. Lefebvre de Saint-Remi ajoute qu'il a ouï dire qu'il fut jeté à la Seine. Voy. les fragments du Bourgeois de Paris et des autres historiens sur ce sujet. Procès, t. V, p.170-173. — A l'époque où Jeanne fut prise, le roi n'avait de l'argent et des troupes que pour soutenir La Trémouille contre Richemont. (Voy. mém. de Rich, p. 757 (Éd. Godef.). On n'a de trace de quelque pensée de délivrer Jeanne que dans les craintes exagérées de l'Université de Paris : Mais doubtons moult que par la faulceté et séduccion de l'ennemy d'enfer et par la malice et subtilité des mauvaises personnes vos ennemis et adversaires qui mettent toute leur cure, comme l'en dit, à vouloir délivrer icelle femme par voyes exquises, elle soit mise hors de votre subjeccion par quelque manière, que Dieu ne veuille permettre. T. I, p. 9 (lettre au duc de Bourgogne portée par l'évêque de Beauvais).
[5] L'évêque de Beauvais : Quem vidit reverti de quærendi eam et referentem legationem suam regi et domino de Warwick, dicendo lætanter et exsultanter quædam verbe quæ non intellexit, et postmodum locutus est in secreto dicto domino de Warwick. T. II, p. 325 (N. de Houppeville). — Le jeune roi d'Angleterre était depuis plusieurs mois déjà venu en France (25 avril). Il fit son entrée à Rouen (le 29 juillet). P. Cochon, Chron. norm., chap. LVI.
Levée de l'argent, etc. : 3 septembre, lettre de Th. Blount, trésorier, et de P. Sureau, receveur général, en vertu de lettres du roi du 2 sept., ayant pour objet de lever, avant le dernier jour du mois, la somme de 80.000 livres tournois octroyées par les gens des trois États de Normandie, et pays de conquête en l'assemblée de Rouen au mois d'août dernier ; pour tourner et convertir c'est à savoir 10.000 l. tournois (73.501 fr. 78 c.) au payement de l'achat de Jeanne la Pucelle. T. I, p. 179. — 24 décembre : Thomas Blount écrit à P. Sureau de faire acheter des deniers de la recette 2.636 nobles d'or de deux sous, et un denier sterling, monnaie d'Angleterre, pour payer J. Bruyse, garde des coffres du roi, selon les ordres du prince. — 6 décembre : J. Bruyse déclare avoir reçu de P. Sureau, 5249 livres 19 sous, 10 deniers obole tournois, pour le pour payage de 2.636 nobles d'or de 2 sous, 8 deniers sterling qui, par lettres du roi du 20 octobre dernier passé, m'ont été ordés être payés et restitués par ledit receveur ; pour ce que par l'ordonnance du roi, je les avoye bailliés des deniers de sesditz coffres et trésors pour employer en certaines ses affaires touchant les 10000 l. tournois payées par le dit seigneur, pour avoir Jeanne qui se dit la Pucelle. T. V, p. 190 ; cf. t. II, p. 200 (requête du promoteur à la réhabilitation).
[6] Beaulieu : Requise de dire la manière comme elle cuida eschapper du chastel de Beaulieu, entre deux pièces de boys : respond qu'elle ne fut oncques prisonnière en lieu qu'elle se eschappast voulentiers ; et elle estant en icelluy chastel eust confermé ses gardes dedans la tour, n'eust été le portier qui la advisa et la rencontra. T. I, p. 163.
[7] A Beaulieu ; quatre mois : t. IV, p. 34 (Cagny). — A Beaurevoir : Elle y fut quatre mois environ : t. I, p.110 ; trois mois : t. II, p. 298 (Manchon) ; t. IV, p. 402 ; Monstrelet, II, 86. — Refus de vêtements de femme : t. I, p. 95 ; cf. p. 230. — Tentatives libertines : Et tentavit ipse loquens pluries, cum ea ludendo, tangere mammas suas, nitendo ponere manus in sinu suo : quod tamen pati nolebat ipsa Johanna, imo ipsum loquentem pro posse repellebat. T. III, p. 121 (Haimond de Macy). — Crainte qu'elle ne s'échappe : t. IV, p. 262 (Abrévr. du Procès).
[8] Saut du haut de la tour : t. I, p. 110 et 150-152, et M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 56. — Jeanne risquait sa vie, mais cela n'a jamais pu être pris que par ses juges pour une intention coupable, à quelque degré que ce fût, de se tuer. Si elle dit, dans le Procès, qu'elle fut deux ou trois jours qu'elle ne vouloit mengier, cela s'explique par ce qui suit, et mesme aussi pour ce sault fut grevée tant qu'elle ne povoit ne boire ne mangier. Si on a relevé au procès-verbal ce prétendu acte de volonté, c'est par une insinuation que Jeanne repousse hautement, et dont il est facile de faire justice. Nous y reviendrons au procès.
Délivrance de Compiègne : ibid., 152. — Compiègne fut délivré le 24 octobre.
[9] Jeanne livrée : t. I, p. 23. Le duc de Bourgogne venait de recueillir l'héritage du duc de Brabant (le 4 août 1430), et il était en guerre, à propos de Namur, avec les Liégeois. Voy. Monstrelet, II, 89 et suiv.
[10] Jeanne à Arras : t. I, p. 95 ; etc. — En quittant Arras elle passa par Drugy, t. V, p. 360 (Chron. de St.-Riquier, de 1492). — Au Crotoy : t. I, p. 89, et t. III, p. 121 (H. de Macy). — Refus de vêtements de femme : t. I, p. 95 et 231. — Le chancelier d'Amiens : t. III, p. 121 (H. de Macy). — Les dames d'Abbeville : t. V, p. 361 (Itinéraire de Drugy à Rouen).
[11] Lettres de l'Université à Henri VI : t. I, p. 17, 18 ; — à l'évêque de Beauvais : ibid., p. 16. Une Bretonne nommée Pierronne avait été brûlée à Paris, le 3 septembre, pour s'être donnée comme inspirée, et avoir dit, entre autres choses, que dame Jehanne était bonne et que ce qu'elle faisait était bien fait et selon Dieu, t. IV, p. 467 (Bourgeois de Paris).
[12] État de Paris : Journal du Bourgeois, août-octobre 1430, p. 408, 411 et 413 (Éd. Buchon). — Ajournement du Parlement (au 9 décembre). Ordonn., t. XIII, p. 159. — En fév. 1431, les séances en furent suspendues plusieurs semaines : le greffier dut interrompre son travail, faute de parchemin. — Défiance pour l'Université : Voy. M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 97.
Craintes des Anglais à propos de Louviers : t. II, p. 3 (J. Toutmouillé) ; p. 344 (Manchon) ; p. 348 (Is. de La Pierre) ; p. 373 (J. Riquier) ; cf. t. III, p. 189, id. : Et quia ipsi Anglici sunt superstitiosi, æstimabant de ea aliquid fatale esse. T. II, p. 370 (Th. Marie). Interrogé comment il sait que les Anglais sont superstitieux, il répond que c'est un commun proverbe (ibid.). Les échecs du parti anglais n'avaient pas cessé par la prise de la Pucelle. Compiègne avait été délivrée (24 octobre), et le duc de Bourgogne n'avait osé accepter à Germiny la bataille que lui offraient les Français. Vers le même temps Barbazan avait battu une armée bourguignonne près de Troyes ; Gaucourt avait défait le Prince d'Orange à Anthon près du Rhône. Voy. Monstrelet, les autres chroniqueurs, et M. de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne, t. V, p. 268 et suiv.
Pourquoi Jeanne plutôt jugée que tuée : Valeran de Varanis, auteur du commencement du XVIe siècle, dans un poème latin composé sur les actes du procès, a très-bien démasqué cette politiqte. Voy. t. V, p. 84.
[13] Cage de fer : Un serrurier, nommé Castille, dit à l'huissier Massieu qu'il avait construit pour Jeanne une cage de fer où elle était tenue et liée par le cou, par les pieds et les mains, et qu'elle y fut gardée en cet état, depuis le jour où elle fut amenée à Rouen jusqu'au commencement du procès. T. III, p. 155 (Massieu). Thomas Marie dit à peu près la même chose (t. p. 371). P. Guimet, bourgeois de Rouen, vit la cage, qui fut pesée chez lui (t. II, p. 306 et 346, et t. III, p. 180) : seulement il n'y a pas vu la prisonnière. — Visite de Jean de Luxembourg : t. III, p. 122 (H. de Macy).
[14] Droit territorial : t. I, p, 20 (Lettres du chapitre).
[15] Promoteur et assesseurs : M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 105 et suiv., et les notes qu'il a jointes sur chacun de ces noms, la première fois qu'ils paraissent dans le procès. Il y eut 95 assesseurs environ qui parurent, à diverses fois. On en compte quelquefois jusqu'à 60 dans une même séance. — Acceptation volontaire des uns, forcée des autres : t. II, p. 325 (N. de Houppeville) ; p. 356 (Grouchet) ; t. III, p. 131 (P. Miget). — Pour plaire aux Anglais : t. II, p. 7, et t. III, p. 167 (Ladvenu). — Qu'ils n'auraient osé refuser : t. II, p. 340 (Manchou). — J. Tiphaine : t. III, p. 47 (lui-même). — Le sous-inquisiteur : voy. les actes du procès à son égard, t. I, p, 33, 35.
Menaces : Sed per aliquos sibi notos fuit ei dictum quod nisi interesset, ipse essetin periculo mortis : et hoc fecit compulsus per Anglicos, ut pluries audivit a dicto Magistri qui sibi dicebat ; Video quod nisi procedatur in hujus modi materia ad voluntatem Anglicorum, quod imminet mors. T. III, p.153 (Massieu) ; cf. t. III, p. 167 (Ladvenu), et p. 172 (N. de Houppeville). — N. de Houppeville : Son propre témoignage, t. II, p. 326, et t. III, p. 171, 172 ; cf., t. II, p. 364, et III, p. 166 (Ladvenu) ; t. II, p. 370 (Th. Marie) ; p. 348, 349 (Is. de La Pierre) ; G. de La Chambre (t. III, p. 50) dit qu'on menaçait de le jeter à l'eau ; Massieu (ibid., p. 162), qu'il fut banni avec plusieurs autres. Un certain nombre avaient pris la fuite, t. II, p. 356 (Grouchet).
[16] Intimidation : Et bene scit quod omnes qui intererant hujusmodi processui non erant in plena libertate, quia nullua audebat aliquid dicere, ne esset notatus. T. III, p. 175 (J. Fabri) ; cf., p. 130 (P. Miget), etc. — Vote par peur : t. II, p. 356 (Grouchet). — G. de La Chambre : t. III, p. 150 (lui-même). — P. Miget : t. II, p. 351 (lui-même) ; Manchon : t. II, p. 340 (lui-même). — Massieu : t. III, p. 154 (lui-même). — Le vice-inquisiteur : t. III, p. 167 (Ladvenu). Jean Lemaire, qui était à Rouen pendant le procès, signale encore, comme ayant couru risque de vie, Pierre Morice, l'abbé de Fécamp et plusieurs autres, t. III, p. 178. - Plusieurs chanoines de Rouen paraissent avoir été incarcérés pour avoir fait, en opinant, quelque réserve. T. V, p. 272 ; cf. t. I, p. 343.
[17] L'évêque de Beauvais : Rex ordinavit quod ego faciam processum vestrum et ego faciam. T. III, p.154 (Massieu). — Quod intendebant facere unum pulchrum processum contra dictam Johannam. T. III, p. 137 (Manchon). — Le tribunal au château : Voy. les procès-verbaux, t. I, p. 5, 38, etc. — Solde des juges et des assesseurs : A Pierre Cauchon pour 143 jours de voyage ayant trait en partie aux négociations qui amenèrent l'achat de la Pucelle, du 1er mai au 30 septembre, au prix de cent sous tournois par jour : 775 livres tournois (6.423 fr. 55 c.). T. V, p.194. — Au vice-inquisiteur Jean Lemaitre, 20 saluts d'or (240 fr. 80 c.). Ibid., p. 202 (14 avril 1421). — A. G. Érard, 31 livres tournois (260 fr. 84 c.), à raison de 20 sous tournois par jour (8 juin 1431). Ibid., p. 206. — Aux docteurs de Paris, Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicole Midi, Pierre Maurice, Gérard Feuillet, Thomas de Courcelles, plusieurs payements au même taux (4 mars et. 9 avril 1431). Ibid., p. 196 et 200. Dans le règlement définitif, Beaupère figure pour cent jours et 100 l. (841 fr. 75) ; Nicole Midi, 113 l. (951 fr. 16) ; Pierre Morice, 98 l. (824 fr. 93 c.) ; Thomas de Courcelles, 113 l. (951 fr. 16 c.), 12 juin 1431, ibid., p. 208. Thomas de Courcelles, qui dit si bien dans sa déposition que le vice-inquisiteur a reçu de l'argent (t. III, p. 57), ne parle pas de ce qu'il a touché lui-même : c'est la plus forte somme. Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Gérard Feuillet et Nicole Midi reçurent en outre 100 l. t. (841 fr. 75), pour les frais de leur voyage à Paris, quand ils vinrent prendre l'avis de l'Université pour le procès de la Pucelle (21 avril), ibid., p. 203 ; Jean Beaupère, une indemnité de 30 l. (252 fr. 42 c.), en raison des frais supplémentaires que lui occasionna l'ajournement de son départ pour le concile de Bâle (2 avril), ibid., p. 199. — Cf. II, p. 317 (Taquel).
Justice sommaire : Cum aliquis diceret de ipsa Johanna quod non placuit domino de Stauffort, ipse dominus de Stauffort eumdem loquentem sic insecutus fuit laque ad quemdam locum immunitatis cum ense evaginato. T. III, p. 140 (Manchon). — Lettre de Henri VI : Ordenons et consentons que toutes et quantes fois que bon semblera audit révérent Père en Dieu, icelle Jehanne lui soit baillée et délivrée réalment et de fait par nos gens et officiers, qui l'ont en leur garde, pour icelle interroguer et examiner et faire son procès selon Dieu, raison et les saints canons.... Toutes voies, c'est notre entencion de ravoir et reprendre par devers nous icelle Jehanne, se ainsi estoit qu'elle ne fust convaincue ou actainte des cas dessusdiz, etc. (3 janvier 1431). T. I, p. 19. — Délibération sur la prison : Qu'en la première session ou instance, l'évesque allégué requist et demanda le conseil de toute l'assistance, assavoir lequel estoit plus convenable de la garder et détenir aux prisons séculières, ou aux prisons de l'Église ; sur quoy fut délibéré, qu'il estoit plus décent de la garder aux prisons ecclésiastiques qu'aux autres ; fors, respondit cest évesque, qu'il n'en feroit pas cela, de paour de desplaire aux Anglois. T. II, p. 7, 8 (Ladvenu), et t. III, p. 152 : Et inter consiliarios tunc fuit murmur de eo quod ipsa Johanna erat inter manus Anglicorum. Dicebant enim aliqui consiliarii quod ipsa Johanna debebat esse in manibus Ecclesiæ ; ipso tamen episcopus non curabat, sed eam in manibus Anglicorum dimisit. Cf. t. III, p. 175 (J. Fabri), et p. 183 (Marguerie). — Prison : In castra Rotomagensi, in quadam camera media in qua ascendebatur per octo gradus ; et erat ibidem lectus in qua cubabat ; et erat ibidem quoddam grossum lignum in quo erat quædant catens ferres, cum qua ipsa Johanna existens in compedibus ferreis ligabatur, et claudebatur cum sera apposita eidem ligno. Et habebat quinque Anglicos miserrimi status, gallice houcepaillers, qui eam custodiebant, et multum desiderabant ipsius Johannæ mortem, et de eadem sæpissime deridebant. T. III, p. 155 (Massieu) ; cf. t. II, p. 329 (le même) ; t. III, p. 161 (G. Colles) ; p. 200 (P. Daron) ; p. 345 (Cusquel) ; p. 48 (Tiphaine), tous témoins oculaires. La prison (dit P. Boucher) avait trois clefs, dont l'une était gardée par le cardinal de Winchester, l'autre par l'inquisiteur, la troisième par le promoteur, Jean Benedicite. T. II, p. 323. On ne pouvait voir Jeanne sans la permission des Anglais, t. III, p. 167 (M. Ladvenu), et sans celle de l'évêque ou du promoteur. T. II, p. 303 (Is. de La Pierre).
[18] Lettres de garantie (12 juin 1431) : t. III, p. 240-244 ; cf. t. III, p. 161 (G. Colles) ; p. 166 (M. Ladvenu) ; p. 56 à l'évêque de Noyon ; et le texte même.... Pource que par adventure aucuns qui pourroient avoir eu les erreurs et malefices de ladicte Jehanne aggréables, et autres qui indeuement s'efforceroient.... troubler les vrays jugements de nostre mère saincte Église, de traire en cause pardevant nostre saint-père le pape, le saint concile général ou autre part, lesdits révérend père en Dieu, vicaire, les docteurs, maistres, etc., qui se sont entremis dudit procès : Nous.... affin que d'ores en avant tous aultres juges et docteurs.... soient plus ententifs..... de vacquier et entendre sans peur ou contraincte aux extirpacions des erreurs.... PROMECTONS en parolle de roy ques'il advient que lesdits juges, etc., feussent traiz en cause [à l'occasion] dudit procès pardevant nostre dit saint-père le pape, ledit saint concile général, etc., nous aiderons et deffendrons.... à nos propres cousis et despenz et à leur cause en ceste partie, nous.... adjoindrons au procès.... Et il donne à cet effet des ordres à ses ambassadeurs et à tous les évêques, etc., de son obéissance (12 juin 1431), t. III, p. 241-243.
Lettre du roi d'Angleterre à l'évêque de Beauvais (3 janvier 1421) : Henry, par la grâce de Dieu, roy de France et d'Angleterre, à tous ceula que ces présentes lettres verront, salut. Il est assez notoire et commun comment, depuis aucun temps ença, une femme qui se fait appeler Jehanne la Pucelle, laissant l'abbit et vesteure de sexe féminin, s'est, contre la loy divine, comme chose abhominable à Dieu, réprouvée et défendue de toute loy, vestue, habilée et armée en estas et habit d'orme ; a fait et exercé cruel fait d'omicides, et, comme l'en dit, adonné à entendre au simple peuple pour le séduire et abuser, qu'elle estoit envoyée de par Dieu, et avoit cognoissance de ses divins sacrez ; ensemble plusieurs dogmatizations très périlleuses, et à nostre sainte foy catholique moult préjudiciables et scandaleuses. En poursuivant par elle lesquelles abusions et exerçant hostilité à l'encontre de nous et nostre peuple, a esté prinse armée devant Compiengne, par aucuns de nos loyaulx subgez, et depuis amenée prisonnière pardevers nous. Et pource que de supersticions, faulses dogmatizacions et autres crimes de lèse-majesté divine, comme l'en dit, elle a esté de plusieurs réputée suspecte, notée et diffamée, avons esté requis très instamment par révérera père en Dieu, nostre amé et féal conseiller l'évesque de Beauvais, juge ecclésiastique et ordinaire de ladite Jehanne, pource qu'elle a esté prinse et appréhendée ès termes et limites de son diocèse ; et pareillement exhortés de par nostre très chière et très amée fille l'Université de Paris, que icelle Jehanne vueillons faire rendre, bailler et délivrer audit révérent père en Dieu, pour la interroguer et examiner sur lesdiz cas, et procéder contre elle selon les ordenances et disposicions des droits divins et canoniques ; appeliez ceulx qui seront à appeller. Poarce est-il que nous, qui pour révérence et honneur dû nom de Dieu, défense et exaltacion de sadiete sainte Église et foy catholique, voulons dévotement obtempérer comme vrais et humbles filz de sainte Église, aux requestes et instances dudit révérent père en Dieu, et exortacions des docteurs et maistres de nostre dicte fille l'Université de Paris : Ordenons, etc. T., I, p. 18.
[19] Virginité : Bene scit quod fuit visitata an esset virgo vel non per matrones seu obstetrices, et hoc ex ordinatione ducissæ Bedfordiæ et signanter per Annam Bavon et aliam matronam.... Et post visitationem retulerunt quod erat virgo et integra, et ea audivit referri per eamdem Annam. T. III, p. 155 (Massieu) ; cf. p. 180 (Cusquel) ; p. 50 (G. de La Chambre), p. 89 (J. Marcel), et t. II, p. 201. — Et quod dux Bedfordiæ erat in quodam deo secreto, ubi videbat eamdem Johannam visitari. T. III, p. 163 (G. Colles). — Et credit quod si non fuisset inventa virgo, sed corrupta, quod in eodem processu non siluissent. Ibid., p. 59 (Th. de Courcelles) ; cf. p. 54 (l'évêque de Noyon). Jean Monnet a ouï dire qu'à cette occasion on reconnut qu'elle s'était blessée en montant à cheval. Ibid., p. 63.
[20] Information préalable : Quia alias quis in materia fidei trahere non debet, nisi informatione previa et fama contra eum referente. T. II, p. 200 (Requête du promoteur, à la réhabilitation). Non tamen recordatur eas vidisse eut legisse, scit tamen quod, si fuissent producite, eas inseruisset in processu. T. III, p. 136 (Manchon). — Eas non vidit, nec credit quod unquam aligne fuerunt factæ. Ibid., p. 161 (G. Colles), cf. t. II, p. 379. — Perlegi fecimus informationes facies in patrie originis dicte mulieris, et alibi in pluribus ac diversia locis. T. I, p. 28 (13 janvier). — N. Bailly : Et dum dictas ballivus vidit relationem dicti locumtenentis, dixit quod dicti commissarii erant falai Armagnaci. T. II, p. 451. et 453 ; cf. ibid., p. 441 (M. Lebuin), et p. 463 (Jacquard). Nous négligeons plusieurs témoignages qui n'expriment que de vagues souvenirs, ibid., p. 394 (Jacob) ; p. 397 (Beatrix Estellin). — Colère de l'évêque : Quod erat proditor et malus homo, et quod non fecerat debitum in eo quod sibi fuerat injunctum.... Quia iste informationes non videbantur dicto episcopo utiles, etc. T. III, p. 191, 192 (J. Moreau). Pierre Miget dit avoir entendu citer certaines informations : Eas tamen non vidit nec legi audivit. Ibid., p. 133. Le procès de réhabilitation constate qu'on les a vainement recherchées ; t. II, p. 381.
[21] Voy. M. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 147.
[22] Rédaction des procès-verbaux : t. III, p. 135 (Manchon) ; cf. p. 160 (G. Colles) et p. 195 (Taquel).
[23] Première déposition de Manchon : t. II, p.. 12, 13. Cf. p. 39 (le même). — Greffier par peur : Et hoc invitus fecit, quia non fuisset ausus contradicere præcepto dominorum de consilio regis. T. III, p. 137 (lui-même). Le bruit courait que les greffiers étaient empêchés d'écrire tout ce que disait Jeanne, t. III, p. 179 (N. de Houppeville). Les greffiers, comme on le pense bien, protestent tous de leur exactitude, t. II, p. 343 (Manchon) ; t. III, p. 160 (G. Colles) ; t. II, p. 319 (Taquel). — Jean Monnet : Eidem Johannæ audivit dici, loquendo eidem loquenti et notariis, quod non bene scriberent et multoties faciebat corrigere. T. III, p. 63. Cf., t. III, p. 160-161 (G. Colles). — J. Fabri : t. III, p. 176. — Isamb. de La Pierre : t. II, p. 349, 350 ; Cf. ibid., 304 : Conquerebatur quod ipse episcopus nolebat quod illa quæ faciebant pro excusatione sua scriberentur ; sed ea quæ contra eam faciebant volebat scribi.
[24] Massieu : t. II, p. 16 et 330. — Massieu lui-même rend bon témoignage au caractère de Manchon, II, p. 331.