HISTOIRE DE NAPOLEON III

TOME PREMIER

 

CHAPITRE XIII. — LOI DE SÛRETÉ GÉNÉRALE. - COMPLOT DE PLOMBIÈRES. - VOYAGE EN BRETAGNE.

 

 

Les élections générales de 1857 avaient été telles qu'on les attendait, excepté à Paris. Les départements restèrent fidèles à leur enthousiasme bonapartiste ; partout les candidats antidynastiques, ou qui avaient cessé de plaire, tels que M. de Montalembert dans le Doubs, furent éliminés ; semble des suffrages marqua même un progrès évident sur les élections de 1852[1]. Mais les Parisiens choisirent Jules Favre et Ernest Picard ; tous deux opposants franchement révolutionnaires, dans la limite où l'on pouvait l'être sans danger.

L'ouverture de la session législative eut lieu quatre jours après le crime d'Orsini. L'Empereur, dans son discours, exposa la situation générale, comme il le faisait chaque année, et la déclara de plus en plus satisfaisante. Il ajouta :

Je pourrais terminer ici mon discours, mais je crois utile, au commencement d'une nouvelle législature, d'examiner avec vous ce que nous sommes et ce que nous voulons. Il n'y a que les causes bien définies, nettement formulées, qui créent des convictions profondes ; il n'y a que les drapeaux hautement déployés qui inspirent des dévouements sincères.

Qu'est-ce que l'Empire ? Est-ce un gouvernement rétrograde, ennemi des lumières, désireux de comprimer les élans généreux et d'empêcher dans le monde le rayonnement pacifique de tout ce que les grands principes de 89 ont de bon et de civilisateur ?

Non : l'Empire a inscrit ces principes en tête de sa Constitution ; il adopte franchement tout ce qui peut ennoblir les cœurs et exalter

les esprits pour le bien ; mais aussi, ennemi de toute théorie abstraite, il veut un pouvoir fort, capable de vaincre les obstacles qui arrêteraient sa marche : car, ne l'oublions pas, la marche de tout pouvoir nouveau est longtemps une lutte.

D'ailleurs, il est une vérité inscrite à chaque page de l'histoire de France et d'Angleterre : c'est qu'une liberté sans entraves est impossible tant qu'il existe dans un pays une fraction obstinée à méconnaître les bases fondamentales du gouvernement : car alors la liberté, au lieu d'éclairer, de contrôler, d'améliorer, n'est plus, dans la main des partis, qu'une arme pour renverser.

Aussi, comme je n'ai pas accepté le pouvoir de la nation dans le but d'acquérir cette popularité éphémère, prix trompeur de concessions arrachées à la faiblesse, mais afin de mériter un jour l'approbation de la postérité en fondant en France quelque chose de durable, je ne crains pas de vous le déclarer aujourd'hui, le danger, quoi qu'on dise, n'est pas dans les prérogatives excessives du Pouvoir, mais surtout dans l'absence de lois répressives. Ainsi, les dernières élections, malgré leur résultat satisfaisant, ont offert en certains lieux un affligeant spectacle : les partis hostiles en ont profité pour agiter le pays, et on a vu quelques hommes, s'avouant hautement ennemis des institutions nationales, tromper les électeurs par de fausses promesses, et après avoir brigué leurs suffrages, les rejeter ensuite avec dédain. Vous ne permettrez pas qu'un tel scandale se renouvelle, et vous obligerez tout éligible à prêter serment à la Constitution avant de se porter candidat.

La pacification des esprits devant être le but constant de nos efforts, vous m'aiderez à rechercher les moyens de réduire au silence les oppositions extrêmes et factieuses.

En effet, n'est-il pas pénible, dans un pays calme, prospère, respecté de l'Europe, de voir, d'un côté, des personnes décrier le gouvernement auquel elles doivent la sécurité dont elles jouissent, tandis que d'autres ne profitent du libre exercice de leurs droits politiques que pour miner les institutions ?

J'accueille avec empressement, sans m'arrêter à leurs antécédents, tous ceux qui reconnaissent la volonté nationale ; quant aux provocateurs de troubles et aux organisateurs de complots, qu'ils sachent bien que leur temps est passé !

Je ne puis terminer sans vous parler de la criminelle tentative qui vient d'avoir lieu. Je remercie le ciel de la protection visible dont il nous a couverts, l'Impératrice et moi, et je déplore qu'on fasse tant de victimes pour attenter à la vie d'un seul. Cependant ces complots portent avec eux plus d'un enseignement utile : le premier, c'est que les partis qui recourent à l'assassinat prouvent par ces moyens désespérés leur faiblesse et leur impuissance ; le second, c'est que jamais un assassinat, vint-il à réussir, n'a servi la cause de ceux qui avaient armé le bras des assassins. Ni le parti qui frappa César, ni celui qui frappa Henri IV, ne profitèrent de leur meurtre. Dieu permet quelquefois la mort du juste, mais il ne permet jamais le triomphe de la cause du crime. Aussi ces tentatives ne peuvent troubler ni ma sécurité dans le présent, ni ma foi dans l'avenir : si je vis, l'Empire vit avec moi ; et si je succombais, l'Empire serait encore affermi par ma mort même, car l'indignation du peuple et de l'armée serait un nouvel appui pour le trône de mon fils.

Envisageons donc l'avenir avec confiance, livrons-nous sans préoccupations inquiètes à nos travaux de tous les jours, pour le bien et la grandeur du pays. Dieu protège la France !

 

On aurait peine à concevoir aujourd'hui une idée, même affaiblie, de l'enthousiasme aussi passionné que sincère avec lequel à cette exclamation finale de Dieu protège la France ! les corps constitués, la diplomatie européenne et toute une immense assistance représentant l'élite de la nation et du monde civilisé, répondirent par les cris de Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le prince impérial ! Dieu protège l'Empire !

Le discours du Trône avait fait pressentir des lois répressives. L'inquiétude publique, plus encore que la prudence du gouvernement et la nécessité de prévenir de nouveaux attentats, imposait à l'Empereur un retour à la politique sévère qui s'était un peu relâchée depuis le Coup d'Etat.

Le portefeuille de l'Intérieur fut retiré à M. Billault et remis à un militaire, au général Espinasse, violateur du palais de l'Assemblée en 1851. Plusieurs journaux furent supprimés ; d'autres reçurent des avertissements[2]. Une véritable loi des suspects fut présentée sous le nom de loi de sûreté générale : en voici quelques articles :

ART. 1er. — Est puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 500 à 10.000 francs tout individu qui a provoqué publiquement, d'une manière quelconque, aux crimes prévus par les art. 86 et 87 du Code pénal — attentat ou complot contre le roi, la famille royale ou la forme du gouvernement —, même quand cette provocation n'a pas été suivie d'effet.

ART. 2. — Est puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 100 à 1.000 francs tout individu qui, dans le but de troubler la paix publique ou d'exciter à la haine ou au mépris du gouvernement, a pratiqué des manœuvres ou entretenu des intelligences, soit à l'intérieur, soit à l'étranger.

ART. 3. — Est puni d'un emprisonnement de six mois à cinq ans tout individu qui, sans autorisation, a fabriqué, débité, distribué... ou détenu de la poudre fulminante et des marchandises meurtrières agissant par explosion...

ART. 5. — Tout individu condamné pour l'un des délits prévus par la présente loi peut être interné dans un département de France ou d'Algérie, ou expulsé du territoire.

ART. 7. — Peut être interné ou expulsé de même tout individu qui a été frappé déjà à l'occasion des évènements de mai et juin 1848, de juin 1849 et de décembre 1851.

 

La loi ne trouva contre elle, au Sénat, qu'un seul opposant : le général de Mac-Mahon. Au Corps législatif elle fut votée par 217 voix contre 24 ; mais il y fut ajouté qu'elle n'aurait d'effet que jusqu'en 1866, à moins que, d'ici à cette époque, elle ne fût renouvelée.

L'article 7 était le plus élastique et le plus périlleux ; le général Espinasse en usa ou abusa contre plusieurs centaines d'anciens déportés qui furent enlevés de chez eux et embarqués pour l'Algérie. Ils en revinrent, à l'époque de l'amnistie, mais pas tous. Les journaux furent invités à ne faire d'eux aucune mention, non plus que des remaniements opérés dans le personnel administratif — ni du testament de la duchesse d'Orléans — ni de plusieurs autres incidents susceptibles de commentaires.

L'Angleterre, elle aussi, s'émut des facilités que des étrangers avaient trouvées sur son territoire pour préparer l'extermination d'un souverain allié. Lord Palmerston jugea qu'il était temps de mettre un terme aux abus dont le droit d'asile est le prétexte. Il proposa au Parlement un bill pour réprimer .les menées des réfugiés qui faisaient si mauvais usage de l'hospitalité britannique. La proposition était des plus naturelles. Ce furent ceux en faveur desquels elle était faite qui l'empêchèrent d'aboutir. Leurs impatiences faillirent même brouiller les deux nations. Plusieurs colonels français, émus de l'attentat récent, exprimèrent leur indignation par la voix des ordres du jour et des journaux. L'un d'eux, qui commandait un régiment de lanciers, offrit de passer la Manche à la tête de ses escadrons et d'aller saisir les assassins jusques dans leurs repaires. Le brave colonel se proposait surtout de passer général, ce qui lui arriva bientôt. Mais les Anglais ne goûtèrent point ces menaces bruyantes. Palmerston fut renversé du même coup et remplacé par lord Derby et les tories (24 février 1858). Néanmoins l'agitation ne tarda pas à se calmer.

En France, comme complément de précautions, le lez février, l'Empereur par lettres patentes, avait conféré la régence à l'Impératrice et, à défaut de celle-ci, aux princes français suivant l'ordre de l'hérédité de la couronne. Un décret impérial constitua en même temps un Conseil privé qui, au besoin, deviendrait Conseil de régence ; il se composait des princes français, de Mgr Morlot, archevêque de Paris, du maréchal Pélissier, de MM. de Morny, Persigny, Troplong, Baroche et Fould. Une des premières délibérations de ce Conseil avait porté sur l'opportunité de gracier Orsini ; nous avons dit qu'elle fut repoussée.

Le 5 avril, Napoléon III inaugura le boulevard de Sébastopol, la première terminée parmi les grandes artères qui ont assaini et transformé la capitale.

Le grand-duc Constantin se trouvait alors à Paris. On lui fit aux Tuileries un accueil empressé. Dans une fête donnée en son honneur, il se permit envers l'impératrice Eugénie une leçon qui la rendit confuse. Prince, lui demanda-t-elle à brûle-pourpoint, quelle est la dame de la cour que vous admirez le plus ? La réponse semblait imposée ; elle ne pouvait être qu'un compliment à l'adresse de la personne qui posait la question. Mais le Russe l'esquiva avec adresse. Madame, répondit-il, vous voyez devant vous un barbare ; en fait de femmes, je n'ai jamais su admirer que la mienne. Cette répartie charmante, mais sévère, eut partout un succès bruyant, excepté, bien entendu, auprès de Sa Majesté.

Napoléon III réalisa, dans la même année, pour le prince Napoléon, un projet que Louis-Philippe avait eu en vue pour le duc d'Aumale ; il décréta que l'Algérie et les colonies formeraient un ministère spécial, et il le confia à son bien-aimé cousin. Mais cette combinaison ne dura que quelques mois. L'esprit brouillon et la paresse du cousin obligèrent de le rappeler.

L'Empereur ne fut guères plus heureux dans une tentative de reconstitution de la noblesse. Il rétablit le Conseil du sceau et défendit l'usurpation des titres et des particules. Il se proposait même, ainsi que le prouve une note rédigée en entier de sa main et trouvée dans ses papiers en 1870, de doter trente maisons ducales à Paris en assurant à chacune 100.000 francs au moins de revenus ; soixante maisons comtales en provinces avec 50.000, et quatre cents baronnies avec 5.000 au minimum. Son oncle avait fait la même chose en créant la noblesse impériale. Mais, comme il l'avait écrit jadis dans sa captivité de Ham, l'armée nobiliaire a été licenciée, détruite en 1789... La noblesse avec privilèges est opposée à nos idées ; sans privilèges elle devient ridicule ; faire à la sourdine quelques petits ducs, quelques petits comtes sans autorité et sans prestige, c'est froisser, sans but et sans résultats, les sentiments démocratiques de la majorité des Français ; c'est condamner des vieillards à jouer à la poupée. Il ne savait pas si bien dire : l'Angleterre se trouve bien d'avoir conservé sa hiérarchie sociale, laborieuse, instruite et largement ouverte au .recrutement. La France, en sacrifiant la sienne, s'est en quelque sorte désossée ; elle s'est rendue incapable de stabilité et de liberté. Mais quels que soient les regrets qu'il puisse inspirer à un philosophe, le fait existe, il est incrusté désormais dans le cœur de la nation, et réagir contre lui paraît chose impossible. Napoléon III ne l'essaya que timidement et pas longtemps[3].

Afin de suppléer à cette noblesse qu'il n'osait rétablir et d'avoir des intermédiaires au moins viagers entre le peuple et le souverain, il s'attacha à faire choix, dans chaque département, d'un homme politique qui eût sa confiance en même temps que celle des populations. Toutes les affaires importantes, toutes les faveurs passaient par les mains de ce personnage ; c'était lui, plus que le préfet, qui désignait les candidats officiels ; préfets et fonctionnaires des diverses administrations étaient tenus de lui plaire ; la voix publique l'appelait le vice-empereur[4].

Le général Espinasse s'avisa de mettre en pratique une idée financière que d'autres ont reprise après lui ; il voulut obliger les communes, les hospices, les congrégations autorisées à vendre leurs biens-fonds pour en mettre le produit en rentes sur l'Etat. Cette conversion d'une valeur solide et immuable en une valeur que les évènements politiques soumettent à des fluctuations fréquentes, ne réjouit que les Juifs et ceux qui vivent de la Bourse. Mais donnons ici la parole au vicomte de Melun, toujours fort écouté de l'Empereur, quoiqu'il ne se fût jamais fait présenter aux Tuileries :

Je n'eus connaissance du décret, qui le matin avait paru au Moniteur, qu'au moment où, réunis dans le salon d'attente, aux Tuileries, nous recevions la visite du ministre de l'intérieur, le général Espinasse, qui dans son uniforme militaire, singulier costuma pour ses pacifiques fonctions, devait  nous introduire chez l'Empereur. Une conversation assez vive s'engagea avec lui sur le décret, qu'il défendait de toutes ses forces et que nous attaquions de toutes les nôtres. La discussion s'éleva peu à peu jusqu'à la dispute, si bien que je résumai mon opinion en l'assurant que si un père de famille agissait ainsi avec les biens destinés à ses enfants, il mériterait d'être interdit.

L'appel de l'huissier interrompit la lutte. Le général Espinasse et M. Rouher présentèrent, suivant l'usage, le résumé des travaux de la commission et les travaux de la mutualité. Après quelques paroles échangées sur cette matière et quelques réponses faites par les membres aux questions de l'Empereur, le ministre, en reportant à Sa Majesté l'honneur de tout le bien dont elle venait d'entendre le récit, y ajouta, comme couronnement de l'édifice, l'éloge du décret du matin sur la vente des biens des hospices. Cependant, continua-t-il, ce dernier bienfait n'est pas compris par tout le monde, et il y a ici une personne, fort expérimentée dans les œuvres, qui le blâme très fortement et lui oppose de très vives objections. — Et qui est cette personne ? demanda l'Empereur. — M. de Melun, répondit le ministre. — Voyons donc les objections de M. de Melun !

Mis ainsi en demeure, j'exposai en toute franchise et avec une certaine vivacité de langage le mal qu'allait faire aux hôpitaux et aux pauvres la vente de leurs biens, produit de la charité de tant de générations ; la différence, pour la solidité et la perpétuité, entre les biens-fonds, qui gagnent toujours avec le temps, comme le prouvait la comparaison de leur prix actuel avec celui de l'époque où ils avaient été légués, et ces valeurs mobilières, susceptibles de réduction et d'un prix variable et incertain, et que la facilité même de leur circulation invitait à dépenser. J'insistai sur l'effet de ces opérations sur l'opinion publique, qui, bien à tort sans doute, interpréterait ces changements comme des mesures financières destinées à mettre à la disposition du gouvernement des moyens de spéculations ou de combinaisons plus ou moins avouables. J'ajoutai que le résultat le plus certain et le plus immédiat du décret serait une diminution considérable dans les dons et les legs aux hôpitaux, les donataires ne trouvant plus garantie l'exécution de leur volonté, c'est-à-dire le maintien perpétuel du bien qu'ils voulaient léguer aux pauvres.

Le ministre répondait à chacun de mes arguments. M. Rouher l'appuyait assez faiblement. L'Empereur écoutait avec attention, se contentant de dire, avec sa placidité ordinaire, lorsque mon argumentation devenait trop vive, que j'allais bien loin et que mes craintes étaient exagérées.

A la fin, il résuma la conversation en exprimant la pensée que son décret ne produirait pas tout le mal que je venais de prédire, mais que les objections qu'il soulevait et que je venais d'exposer faisaient une obligation de l'appliquer avec une grande modération et une extrême réserve ; il recommandait donc au ministre de l'intérieur d'envoyer à ses subordonnés des instructions en ce sens.

Les réclamations de la presse et des administrations hospitalières le convainquirent bientôt que l'opposition avait raison. Le décret fut expliqué, commenté de manière à en annuler les principales dispositions, jusqu'au moment où M. Delangle, le nouveau ministre de l'intérieur, en donna un commentaire qui en fit une lettre morte.

 

Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence le démêlé public et en quelque sorte personnel, entre Napoléon III et un ancien admirateur devenu son adversaire acharné. L'incident est futile, mais il peint bien cette époque avec ses épigrammes à huis-clos, ses méchancetés mondaines, ses recherches d'une petite arène, à défaut de la grande, qui était fermée.

Un article du comte de Montalembert, publié dans le Correspondant sous le titre de Un débat sur l'Inde au Parlement anglais, amena l'auteur sur les bancs de la police correctionnelle, en compagnie de M. Douniol, gérant de cette revue. La poursuite parut des plus maladroites. Le principal délit relevé par le ministère public consistait en une phrase sur les convictions et les espérances libérales conservées par l'élite des honnêtes gens et insultées par des lâches. On prétendit que l'écrivain avait ainsi divisé la France en deux camps : d'un côté une élite rebelle, de l'autre huit millions de lâches qui avaient acclamé l'Empire. Je n'ai outragé personne, répondit l'éloquent inculpé ; il a toujours été permis de dire qu'il y a dans le monde des honnêtes gens et des lâches. — Oui, insista l'accusation, mais vous, qui connaissez si bien la valeur des mots, si dans un salon vous divisiez ceux qui s'y trouvent en honnêtes gens et en lâches, croyez-vous que ceux qui seraient désignés comme faisant partie des lâches n'auraient pas le droit de se Bâcher ? Désignés par qui ? riposta Montalembert ; par eux-mêmes ? En ce cas j'en suis fâché pour eux, et je me garderai d'ajouter Tu dixisti, je me contente de n'avoir désigné personne. Les rieurs ne furent pas du côté du ministère public.

L'Empereur dut regretter plus encore cette poursuite lorsqu'on lui répéta le discours du défenseur, qui avait été le sien jadis, M. Berryer. Le procureur impérial ayant déclaré que la France jouissait d'autant de libertés que l'Angleterre, M. Berryer opposa à cette affirmation audacieuse la peinture de l'avertissement légal et du bâillon officiel :

... En France, l'administration peut dire à chaque instant à l'écrivain : Je vous avertis une fois, deux fois, et à la troisième je vous supprime ; la pensée même que j'anéantis votre propriété ne m'arrêtera pas... Le bâillon officiel, c'est autre chose que l'avertissement légal. Il n'y a pas un journal qui n'ait reçu à certain jour la visite d'un monsieur en habit noir, ayant parfois l'apparence d'un homme fort respectable et qui, envoyé par un ordre officiel, vient dire au gérant ou à l'éditeur : Dans tel procès vous ne parlerez pas de ceci ; on vous attaque sur cela, vous ne répondrez pas ; vous ne reproduirez pas telle pièce ; vous n'annoncerez pas telle fête, telle réunion, et vous vous dispenserez d'en rendre compte ; à part cela vous êtes libre ! Ah ! Messieurs, si vous ne voyez pas là un contraste entre la liberté française et la liberté anglaise, nous qui le voyons — ou qui le croyons le voir, — laissez-nous espérer quo nous ne le verrons pas toujours, ne nous faites pas un crime de nos regrets et de nos espérances.

Il n'y avait rien à répliquer, sinon par le droit du plus fort. C'est ce que fit le tribunal en condamnant Montalembert à six mois de prison et 3.000 fr. d'amende et M. Douniol à un mois de prison et 1.000 francs d'amende.

L'Empereur chercha à reconquérir le beau rôle dans ce duel ; il fit remise de la peine, à l'occasion du 2 décembre. L'insolente bête ! s'écria l'écrivain en trouvant cette nouvelle dans le Moniteur, et il envoya à ce journal une lettre qui se terminait ainsi : J'ai interjeté appel ; aucun pouvoir en France n'a eu jusqu'à présent le droit de faire remise d'une peine qui n'est pas définitive ; je suis de ceux qui croient encore au droit et n'acceptent pas de grâce. L'Empereur eut le bon goût d'autoriser l'insertion de cette lettre qui, du reste, courait les salons.

Condamné de nouveau, malgré deux plaidoiries dans lesquelles Berryer et Dufaure firent trépigner d'aise l'auditoire et d'impatience la magistrature, il fut de nouveau amnistié. Comme il persistait à repousser la clémence, il se rendit à la prison ; mais le geôlier refusa de le recevoir.

Le décret organique du 15 février 1852 ne permettait pas aux journaux français de reproduire les débats. Le procès eut néanmoins un long retentissement à l'Académie et dans l'aristocratie intellectuelle du pays. Heureusement pour l'Empire, il passait par dessus la tête des masses populaires.

Mais l'évènement le plus grave de l'année 1858 — après ou plutôt avec l'attentat d'Orsini., car tous deux sont étroitement connexes — ce fut le complot de Plombières.

Depuis qu'il avait pénétré les implacables rancunes secrètes de Napoléon III, démêlé ses prédispositions aux illusions, reconnu en un mot les points faibles de cet esprit si sûr et si 'ferme pour qui ne le voyait que de loin, le Méphistophélès piémontais ne lui laissait pas un moment de repos. Aux flatteries habiles il mêlait par des allusions les discrètes menaces ; il intéressait à la fois ses ambitions, ses passions, sa sécurité. Certes il n'avait garde de se montrer ce qu'il était ; les Mazzini, les Garibaldi ses futures idoles et déjà ses auxiliaires, n'avaient pas, à l'en croire, d'ennemi plus déterminé que Victor-Emmanuel et son gouvernement ; les excitateurs, les bailleurs de fonds de Mazzini, n'était-ce pas plutôt le Pape, n'était-ce pas l'Autriche ? Cavour n'hésitait pas à l'insinuer, par exemple dans une lettre d'octobre 1857 à son ministre chargé d'affaires à Paris :

Tâchez de persuader à l'Empereur que notre pays est à l'abri de tout mouvement révolutionnaire : ce mouvement n'aurait aucune chance de réussi te, les agitateurs le savent. Ils savent également que le gouvernement est décidé à réprimer la moindre tentative de désordre, et cela de la manière la plus énergique... Tant que l'Empereur vivra et contiendra la révolution en France, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles, sans craindre que notre sommeil soit troublé par Mazzini ou ses adhérents.

... Ayez soin de faire savoir que tous les sicaires que Mazzini envoie en France sont des sujets du Pape, dont bon nombre munis de papiers réguliers... Ce qui m'étonne le plus, c'est l'étendue des moyens dont Mazzini a pu disposer... il a reçu plusieurs sommes provenant de Lombardie. Un individu a traversé plusieurs fois la frontière avec des sacs de zwanziche (monnaie autrichienne)... Mazzini est le plus puissant auxiliaire de l'Autriche, qui maintenant déteste Napoléon autant que nous...

Je vous charge d'engager le gouvernement français de nous expédier sans délai l'agent qu'il croit capable de faire arrêter Mazzini. S'il y réussit, il peut compter sur une belle récompense, car, croyez-le bien, nous désirons ardemment délivrer le Piémont, l'Italie et l'Europe de cet infâme conspirateur, qui est devenu un véritable chef d'assassins. Si nous le prenons, il sera, je l'espère condamné à mort et pendu sur la place de l'Aquasola (à Gênes)...

 

Napoléon III faisait, en juillet, une saison aux eaux de Plombières. M. de Cavour sollicita et obtint l'autorisation de l'y venir voir.

C'était bien le moment et le lieu convenable pour causer intimement. A Plombières, l'Empereur ne se faisait suivre que du strict nécessaire de sa maison. La simplicité et, autant que possible, l'incognito étaient à l'ordre du jour. Précédé et suivi, mais à distance, par quelques agents sûrs, qui ne se faisaient pas connaître plus que lui, il aimait à se promener comme un bon bourgeois et à s'abandonner à ses instincts de sentimentalisme rêveur. Ses bienfaits seuls, par intervalles, trahissaient sa présence. Il dessina lui-même le parc de Plombières et lui-même surveilla l'exécution du plan. Il dota aussi d'une très belle église la bourgade qui s'est transformée, grâce à lui, en une ville coquette.

Cavour y vint sous un nom d'emprunt. Il y passa comme un voleur qui se cache et n'y resta qu'un jour, mais ce jour lui suffit ; son impérial complice était déjà tout préparé et presque aussi pressé que lui de se mettre à la sinistre besogne dont il venait concerter avec lui le plan et arrêter les grandes lignes. Il existe sur ce complot de Plombières un lettre de M. de Cavour aussi explicite et aussi claire qu'on le puisse désirer. Elle est adressée au roi Victor-Emmanuel et, malgré sa longueur, nous devons en reproduire la plus grande partie :

Baden, 24 juillet 1858.

SIRE,

La lettre chiffrée que j'ai expédiée à Votre Majesté, de Plombières, n'a pu donner à Votre Majesté qu'une idée fort incomplète des longues conversations que j'ai eues avec l'Empereur.

C'est ce que je m'empresse de faire, à peine après avoir quitté la France, par cette lettre que j'expédierai à Votre Majesté par M. Tonits, attaché à la légation de Berne.

L'Empereur, dès que je fus introduit dans son cabinet, aborda la question, cause de mon voyage. Il débuta en disant qu'il était décidé à appuyer la Sardaigne de toutes ses forces dans une guerre contre l'Autriche, pourvu que la guerre fût entreprise pour une cause non révolutionnaire, qui pût être justifiée aux yeux de la diplomatie et plus encore de l'opinion publique en France et en Europe.

La recherche de cette cause présentant la principale difficulté à résoudre pour se mettre d'accord, j'ai cru devoir traiter cette question avant toutes les autres. J'ai proposé d'abord de faire valoir les griefs auxquels donne lieu la peu fidèle exécution, de la part de l'Autriche, de son traité de commerce avec nous.

A cela l'Empereur a répondu qu'une question commerciale de médiocre importance ne pouvait donner lieu à une grande guerre destinée à changer la carte d'Europe.

Je proposai alors de mettre en avant, de nouveau, les causes qui nous avaient déterminés, au congrès de Paris, à protester contre l'extension illégitime de la puissance de l'Autriche en Italie, c'est-à-dire le traité de 1847 entre l'Autriche et les ducs de Parme et de Modène ; l'occupation prolongée de la Romagne et des Légations ; les nouvelles fortifications élevées autour de Plaisance.

L'Empereur n'agréa pas cette proposition. Il observa que puisque les griefs que nous avions fait valoir en 1856 n'avaient pas été jugés suffisants pour amener l'intervention de la France et de l'Angleterre en notre faveur, on ne comprendrait pas comment maintenant ils pourraient justifier un appel aux armes.

D'ailleurs — a-t-il ajouté — tant que nos troupes sont à Rome, je ne puis guère exiger que l'Autriche retire les siennes d'Ancône et de Bologne. L'objection était juste. Il fallut donc renoncer à ma seconde proposition ; je le fis à regret, car elle avait quelque chose de franc et d'audacieux qui allait parfaitement au caractère noble et généreux de Votre Majesté et du peuple qu'Elle gouverne.

Ma position devenait embarrassante, car je n'avais plus rien de bien défini à proposer. L'Empereur vint à mon aide, et nous nous mîmes ensemble à parcourir tous les Etats de l'Italie, pour y chercher cette cause de guerre si difficile à trouver. Après avoir voyagé dans toute la Péninsule sans succès, nous arrivâmes presque sans nous en douter à Massa et Carrara, et là nous découvrîmes ce que nous cherchions avec tant d'ardeur. Ayant fait à l'Empereur une description exacte de ce malheureux pays, dont il avait d'ailleurs déjà une idée assez précise, nous convînmes que l'on provoquerait une adresse des habitants à Votre Majesté, pour demander sa protection et réclamer même l'annexion de ces duchés à la Sardaigne. Votre Majesté n'accepterait pas la pétition proposée, mais, prenant fait et cause pour les populations opprimées, adresserait au duc de Modène une note hautaine et menaçante. Le duc, fort de l'appui de l'Autriche, y répondrait d'une manière impertinente. Là-dessus Votre Majesté ferait occuper Massa, et la guerre commencerait. Comme ce serait le duc de Modène qui en serait la cause, l'Empereur pense qu'elle serait populaire non seulement en France, mais également en Angleterre, et dans le reste de l'Europe, vu que ce prince est, à tort ou à raison, considéré comme le bouc émissaire du despotisme. D'ailleurs, le duc de Modène n'ayant reconnu aucun des souverains qui ont régné en France depuis 1830, l'Empereur a moins de ménagements à garder envers lui qu'envers tout autre prince.

Cette première question résolue, l'Empereur me dit : Avant d'aller plus loin, il faut songer à deux graves difficultés que nous rencontrerons en Italie : le Pape et le roi de Naples ; je dois les ménager : le premier, pour ne pas soulever contre moi les catholiques en France ; le second, pour nous conserver les sympathies de la Russie, qui met une espèce de point d'honneur à protéger le roi Ferdinand. Je répondis à l'Empereur que, quant au Pape, il lui était facile de lui conserver la tranquille possession de Rome au moyen de la garnison française qui s'y trouvait établie, quitte à laisser les Romagnes s'insurger ; que, le Pape n'ayant pas voulu suivre à leur égard les conseils qu'il lui avait donnés, il ne pouvait trouver mauvais que ces contrées profitassent de la première occasion favorable pour se délivrer d'un détestable système de gouvernement que la cour de Rome s'était obstinée à ne pas réformer ; que, quant au roi de Naples, il ne fallait pas s'occuper de lui, à moins qu'il ne voulût prendre fait et cause pour l'Autriche ; quitte toutefois à laisser faire ses sujets si, profitant du moment, ils se débarrassaient de sa domination paternelle.

Cette réponse satisfit l'Empereur, et nous passâmes à la grande question : Quel serait le but de la guerre ?

L'Empereur admit sans difficulté qu'il fallait chasser tout à fait les Autrichiens de l'Italie, et ne pas leur laisser un pouce de terrain au delà des Alpes et de l'Izonzo.

Mais ensuite, comment organiser l'Italie ? Après de longues dissertations, dont j'épargne le récit à Votre Majesté, nous avons à peu près convenu des bases suivantes, tout en reconnaissant qu'elles étaient susceptibles d'être modifiées par les évènements de la guerre. La vallée du Pô, la Romagne et les Légations auraient constitué le royaume de la haute Italie, sur lequel règnerait la maison de Savoie. On conserverait au Pape Rome et le territoire qui l'entoure. Le reste des Etats du Pape, avec la Toscane, formerait le royaume de l'Italie centrale. On ne toucherait pas à la circonscription territoriale du royaume de Naples ; les quatre Etats italiens formeraient une confédération à l'instar de la confédération germanique ; on en donnerait la présidence au Pape pour le consoler de la perte de la meilleure partie de ses Etats.

Cet arrangement me parait tout à fait acceptable. Car Votre Majesté, devenue souveraine de droit de la moitié la plus riche et la plus forte de l'Italie, serait souveraine de fait de toute la Péninsule.

Quant au choix des souverains à placer à Florence et à Naples, dans le cas fort probable où l'oncle de Votre Majesté et son cousin prissent le sage parti de se retirer en Autriche, la question a été laissée en suspens ; toutefois l'Empereur n'a pas caché qu'il verrait avec plaisir Murat remonter sur le trône de son père ; et, de mon côté, j'ai indiqué la duchesse de Parme comme pouvant occuper, du moins d'une manière transitoire, le palais Pitti. Cette dernière idée a plu infiniment à l'Empereur, qui parait attacher un grand prix à ne pas être accusé de persécuter la duchesse de Parme, en sa qualité de princesse de la famille de Bourbon.

Après avoir réglé le sort futur de l'Italie, l'Empereur me demanda ce qu'aurait la France et si Votre Majesté céderait la Savoie et le comté de Nice. Je répondis que Votre Majesté, professant le principe des nationalités, comprenait qu'il s'ensuivait que la Savoie dût être réunie à la France ; que par conséquent elle était prête à en faire le sacrifice, quoiqu'il lui en coûtât excessivement de renoncer à un pays qui avait été le berceau de sa famille et à un peuple qui avait donné à ses ancêtres tant de preuves d'affection et de dévouement ; que, quant à Nice, la question était différente, car les Niçois tenaient, par leur origine, leur langue et leurs habitudes, plus au Piémont qu'à la France, et que, par conséquent, leur accession à l'Empire serait contraire à ce même principe qu'on allait prendre les armes pour faire triompher. Là-dessus, l'Empereur caressa à plusieurs reprises ses moustaches, et se contenta d'ajouter que c'étaient là, pour lui, des questions tout à fait secondaires, dont on aurait le temps de s'occuper plus tard.

Passant ensuite à examiner les moyens à employer pour que la guerre eût une issue heureuse, l'Empereur observa qu'il fallait tâcher d'isoler l'Autriche et de n'avoir affaire qu'avec elle ; que c'était pour cela qu'il tenait tant à ce qu'elle fût motivée par une cause qui n'effrayât pas les autres puissances du continent, et qui fût populaire en Angleterre. L'Empereur a paru convaincu que celle que nous avions adoptée remplissait ce double but.

L'Empereur compte positivement sur la neutralité de l'Angleterre ; il m'a recommandé de faire tous nos efforts pour agir sur l'opinion publique dans ce pays, pour forcer son gouvernement, qui en est l'esclave, à ne rien entreprendre en faveur de l'Autriche. Il compte également sur l'antipathie du prince de Prusse envers les Autrichiens, pour que la Prusse ne se prononce pas contre nous.

Quant à la Russie, il a la promesse formelle et plusieurs fois répétée de l'empereur Alexandre de ne pas contrarier ses projets sur l'Italie ; si l'Empereur ne se fait pas illusion, ainsi que suis assez porté à le croire d'après tout ce qu'il m'a dit, la question serait réduite à une guerre entre la France et nous d'un côté, et l'Autriche de l'autre.

L'Empereur, toutefois, considère que la question, même réduite à ces proportions, n'en a pas moins une extrême importance et nous présente encore d'immenses difficultés. L'Autriche, il ne faut pas se le dissimuler, a d'énormes ressources militaires. Les guerres de l'Empire l'ont bien prouvé. Napoléon a eu beau la battre pendant quinze ans, en Italie et en Allemagne, il a eu beau détruire un grand nombre de ses armées, lui enlever des provinces et la soumettre à des taxes de guerre écrasantes, il l'a toujours retrouvée sur les champs de bataille prête à recommencer la lutte. Et l'on est forcé de reconnaitre qu'à la fin des guerres de l'Empire, à la terrible bataille de Leipzig, ce sont encore les bataillons autrichiens qui ont le plus contribué à la défaite de l'armée française. Donc, pour forcer l'Autriche à renoncer à l'Italie, deux ou trois batailles gagnées dans les vallées du Pô et du Tagliamento ne seront pas suffisantes ; il faudra nécessairement pénétrer dans les confins de l'Empire, et l'épée sur le cœur, c'est-à-dire à Vienne même, la contraindre à signer la paix sur les bases arrêtées d'avance.

Pour atteindre ce but, des forces très considérables sont indispensables. L'Empereur les évalue à trois cent mille hommes au moins, et je crois qu'il a raison. Avec cent mille hommes, on bloquerait les places fortes du Mincio et de l'Adige et l'on garderait les passages du Tyrol ; deux cent mille marcheraient sur Vienne par la Carinthie et la Styrie. La France fournirait deux cent mille hommes, la Sardaigne et les autres provinces de l'Italie cent mille. Le contingent italien paraîtra peut-être faible à Votre Majesté ; mais, si Elle réfléchit qu'il s'agit de forces qu'il faut faire agir, de forces en ligne, Elle reconnaîtra que, pour avoir cent mille hommes disponibles, il en faudra cent cinquante mille sous les armes.

L'Empereur m'a paru avoir des idées fort justes sur la manière.de faire la guerre et sur le rôle que les deux pays devaient y jouer. Il a reconnu que la France devait faire de la Spezzia sa grande place d'armes et agir spécialement sur la droite du Pô, jusqu'à ce qu'on se fût rendu maitre du cours de ce fleuve en forçant les Autrichiens à se resserrer dans les forteresses.

Il y aurait donc deux grandes armées, dont une commandée par Votre Majesté et l'autre par l'Empereur en personne.

D'accord sur la question militaire, nous l'avons été également sur la question financière, qui, je dois le faire connaître à Votre Majesté, est celle qui préoccupe spécialement l'Empereur. Il consent, toutefois, à nous fournir le matériel de guerre dont nous pourrions avoir besoin, et à nous faciliter à Paris la négociation d'un emprunt. Quant au concours des provinces italiennes en argent et en nature, l'Empereur croit qu'il faut s'en prévaloir, tout en les ménageant jusqu'à un certain point.

Les questions que je viens d'avoir l'honneur de résumer à Votre Majesté aussi brièvement que possible furent l'objet d'une conversation avec l'Empereur qui dura de onze heures du matin à trois heures de l'après-midi. A trois heures l'Empereur me congédia en m'engageant à revenir à quatre heures pour aller avec lui faire une promenade en voiture.

A l'heure indiquée, nous montâmes dans un élégant phaéton traîné par deux chevaux américains que l'Empereur guidait lui-même ; et suivi d'un seul domestique, il me conduisit pendant trois heures au milieu des vallons et des forêts qui font des Vosges une des parties les plus pittoresques de la France...

 

Cet entretien du soir, ainsi que la deuxième moitié de la lettre de Cavour, roula presque tout entier sur la part qui devait revenir à la France, dans ce brigandage concerté aux dépens de l'Autriche. Et cette part c'était beaucoup moins la Savoie, dont Napoléon III faisait bon marché, qu'une satisfaction de vanité et un calcul dynastique : le mariage du prince Napoléon avec une fille de Victor-Emmanuel.

Cavour continue :

A peine étions-nous sortis de Plombières que l'Empereur entama ce sujet et voulut connaître les intentions de Votre Majesté... Il dit en riant qu'il avait pu dire du mal de son cousin à Votre Majesté, car souvent il avait été en colère contre lui ; mais qu'au fond il l'aimait tendrement, parce qu'il avait d'excellentes qualités et que depuis quelque temps il se conduisait de manière à se concilier l'estime et l'affection de la France. Napoléon, ajouta-t-il, vaut beaucoup mieux que sa réputation ; il est frondeur, aime la contradiction ; mais il a beaucoup d'esprit, pas mal de jugement et un cœur très bon. Ceci est vrai : que Napoléon ait de l'esprit, Votre Majesté a pu en juger et je pourrais le certifier d'après les nombreuses conversations que j'ai eues avec lui. Qu'il ait du jugement, sa conduite depuis l'Exposition, qu'il a présidée, le prouve. Enfin, que son cœur soit bon, la constance dont il a fait preuve soit envers ses amis, soit envers ses maîtresses, en est une preuve sans réplique. Un homme sans cœur n'aurait pas quitté Paris au milieu des plaisirs du carnaval pour aller faire une dernière visite à Rachel qui se mourait à Cannes, et cela quoiqu'il se fût séparé d'elle quatre années plus tôt.

Dans mes réponses à l'Empereur, je me suis toujours étudié à ne pas le blesser, tout en évitant de prendre un engagement quelconque. A la fin de la journée, au moment de nous séparer, l'Empereur me dit : Je comprends que le Roi ait une répugnance à marier sa fille si jeune ; aussi je n'insisterai point pour que le mariage ait lieu tout de suite ; je serais tout disposé à attendre un an et plus, s'il le faut. Tout ce que je désire, c'est de savoir à quoi m'en tenir. Veuillez, en conséquence, prier le Roi de consulter sa fille et de me faire connaître ses intentions d'une manière positive. S'il consent au mariage, qu'il en fixe l'époque ; je ne demande d'autres engagements que votre parole réciproquement donnée et reçue. Là-dessus, nous nous sommes quittés. L'Empereur, en me serrant la main, me congédia en me disant : Ayez confiance en moi, comme j'ai confiance en vous.

 

Cavour supplie ensuite le Roi de ne pas se refuser aux désirs de l'Empereur, d'un homme qui n'oublie jamais un service, comme il ne pardonne jamais une injure. Le mariage n'est peut-être pas une condition sine qua non de l'alliance ; mais si le mariage n'a pas lieu, l'Empereur apportera à l'alliance un esprit tout différent, et le prince Napoléon, plus Corse encore que son cousin, vouera une haine mortelle à un petit roi qui aura refusé de l'accepter comme gendre, même apportant pour prix de l'acceptation la couronne d'Italie. Suit un portrait favorable du prince Napoléon :

Il n'est pas roi, il est vrai, mais il est le premier prince du sang du premier empire du monde. Il n'est séparé du trône que par un enfant de deux ans. D'ailleurs, Votre Majesté doit bien se résoudre à se contenter d'un prince pour sa fille, puisqu'il n'y a pas, en Europe, de rois et de princes héréditaires disponibles. Le prince Napoléon n'appartient pas à une ancienne famille souveraine, il est vrai ; mais son père lui léguera le nom le plus glorieux des temps modernes, et par sa mère, princesse de Wurtemberg, il est allié aux plus illustres maisons princières de l'Europe. Le neveu du doyen des rois, le cousin de l'Empereur de Russie, n'est pas tout à fait un parvenu auquel on ne puisse sans honte s'allier.

Mais les principales objections qu'on peut faire à ce mariage reposent peut-être sur le caractère personnel du prince et sur la réputation qu'on lui a faite. A ce sujet, je me permettrai de répéter ce que l'Empereur m'a dit avec une entière conviction : qu'il vaut mieux que sa réputation. Jeté tout jeune dans le tourbillon des révolutions, le prince s'est laissé entraîner à des opinions fort exagérées.

Ce fait, qui n'a rien d'extraordinaire, a excité contre lui une foule d'ennemis. Le prince s'est fort modéré ; mais, ce qui lui fait grand honneur, c'est qu'il est resté fidèle aux principes libéraux de sa jeunesse, tout en renonçant à les appliquer d'une manière déraisonnable et dangereuse ; c'est qu'il a conservé ses anciens amis, bien qu'ils eussent été frappés par les disgrâces. Sire, l'homme qui, en arrivant au faite des honneurs et de la fortune, ne désavoue pas ceux qui furent ses compagnons d'infortune et ne désavoue pas les amitiés qu'il avait dans les rangs des vaincus, n'a pas mauvais cœur. Le prince a bravé la colère de son cousin pour conserver ses anciennes affections, il ne lui a jamais cédé sur ce point, il ne cède pas davantage aujourd'hui.

La conduite du prince en Crimée est regrettable. Mais s'il n'a pas su résister aux ennuis et aux privations d'un long siège, il a pourtant montré à la bataille de l'Alma du courage et du sang-froid.

D'ailleurs, il pourra réparer dans les champs de l'Italie le tort qu'il a pu se faire sous les remparts de Sébastopol. La conduite privée du prince a pu être légère ; mais elle n'a jamais donné lieu à de graves reproches.

Il a toujours été bon fils, et avec son cousin, s'il l'a fait plus d'une fois enrager, dans les questions sérieuses, il lui est toujours demeuré fidèle et attaché.

Cavour termine en rappelant au Roi le sort de ses quatre tantes, filles de son oncle Victor-Emmanuel Ier, qui toutes ont épousé des souverains d'ancien régime et toutes, selon lui, ont été parfaitement malheureuses. Il conclut en ces termes :

Si Votre Majesté daigne méditer sur les considérations que je viens d'avoir l'honneur de lui soumettre, j'ose me flatter qu'Elle reconnaîtra qu'Elle peut, comme père, consentir au mariage que l'intérêt suprême de l'Etat, l'avenir de sa famille, du Piémont, de l'Italie tout entière lui conseillent de contracter.

Je supplie Votre Majesté de me pardonner ma franchise et la longueur de mes récits. Je n'ai pas su, dans une question si grave, être plus réservé, ni plus bref.

Les sentiments qui m'inspirent, les mobiles qui me font agir sont une excuse que Votre Majesté voudra bien agréer.

Ayant dû écrire cette éternelle épître sur le coin de la table d'une auberge sans avoir le temps de la copier, ni même de la relire, je prie Votre Majesté de vouloir bien la juger avec indulgence, et excuser ce qu'il peut y avoir de désordre dans les idées et d'incohérence dans le style. Malgré les défauts que je viens de signaler, cette lettre contenant l'expression fidèle et exacte des communications que m'a faites l'Empereur, j'ose prier Votre Majesté de vouloir bien la conserver, afin de pouvoir, à mon retour à Turin, en extraire des notes qui pourront servir à la suite des négociations qui peuvent avoir lieu.

Dans l'espoir de pouvoir, à la fin de la semaine prochaine, déposer aux pieds de Votre Majesté l'hommage de mon profond et respectueux dévouement, j'ai l'honneur d'être de Votre Majesté,

Sire,

Le très humble et très obéissant serviteur et sujet,

C. CAVOUR.

 

Telle est cette lettre accusatrice, qui projette une si grande lumière sur l'histoire contemporaine ; lettre d'une politique si prévoyante, si habile et en même temps si criminelle. En pleine paix, alors que tout le monde dort tranquille, deux hommes s'abouchent dans l'ombre, seuls et sans témoins, pour s'entendre sur les moyens d'allumer un incendie et de tirer chacun la meilleure part des dépouilles de leurs voisins, pendant la bagarre qui suivra ; dans cette bagarre deux cent mille hommes perdront la vie ; ils le savent, mais leur soif de butin ne s'arrête pas à cette considération ; et, pour commencer, le plus faible mais le plus rusé des deux, celui qui pousse et exploite l'autre, livre, pour prix du marché, une innocente jeune fille. Peut-on imaginer rien de plus vil et de plus scélérat ? Voilà pourtant la gloire chez les trois quarts des conquérants ; voilà la victoire quand on la dépouille de ses rayons !

Le prince Napoléon ne parait pas avoir assisté à l'entrevue ; mais absent de corps, son inspiration renforçait et avait dirigé à l'avance l'audace de son cousin. C'était lui qui avait dit à Cavour : Venez et osez : je vous promets l'impossible. Quelques-uns des familiers des Tuileries, parmi lesquels M. Walewski, remarquèrent son air de jubilation et flairèrent une intrigue. L'Empereur fut informé de leurs inquiétudes, mais feignit de les ignorer ; il invita seulement le prince à la patience et à plus de circonspection. Mais il n'eut pas besoin de cette recommandation auprès de Victor-Emmanuel, qui était Italien, encore moins auprès de Cavour, plus rusé à lui seul que tous les autres ensemble.

En attendant que se dévoilassent ses noirs desseins, le conspirateur couronné continuait à recueillir les hommages d'un peuple heureux. Le voyage de Normandie et de Bretagne fut pour lui un nouveau triomphe ; nous devons le raconter avec quelque détail.

Le départ eut lieu de Saint-Cloud le 3 août 1858. Leurs Majestés étaient accompagnées du maréchal Vaillant, grand maréchal du palais ; de la princesse d'Essling, grande-maitresse de la maison de l'Impératrice ; des généraux Niel et Fleury, aides de camp de l'Empereur ; du marquis de Chaumont-Quitry, du vicomte de Lezay-Marnésia, du baron de Bourgoing, chambellan-écuyer ; du capitaine Brady et du marquis de Cadore, officiers d'ordonnance ; de la comtesse de La Bédoyère et de la comtesse de Lourmel, dame du palais de l'Impératrice.

Ce voyage n'était pas seulement une promenade décorative à travers nos vieilles provinces. Il se rattachait à des évènements glorieux pour notre pays. La Reine d'Angleterre, accompagnée du prince Albert et escortée par la flotte anglaise, était venue rendre la visite faite en Angleterre par les souverains. A aucune époque une telle démonstration ne s'était produite de la part de la première puissance maritime du monde moderne, si orgueilleuse de sa suprématie. Cette entrevue pacifique fut entourée, du côté de la France surtout, du plus imposant appareil ; une grande activité régnait dans nos arsenaux, depuis l'avènement de Napoléon III, si bien que nos grands ports entrevoyaient dans un avenir prochain le retour de leur gloire passée.

L'Empereur inaugura à Nantes un bassin de radoub auquel on donna son nom ; ce bassin est le plus vaste et le mieux aménagé qui existe. Il assista au lancement d'un nouveau vaisseau, la Ville-de-Nantes et, après des fêtes splendides, s'embarqua sur la Bretagne pour se rendre à Cherbourg et à Brest.

A Cherbourg, l'affluence des visiteurs, venus de toutes les parties du monde pour assister à l'entrevue des souverains, avait été si considérable qu'on avait dû organiser un véritable campement pour les étrangers. Par les ordres de l'Empereur, plusieurs centaines de tentes, parfaitement ordonnées, avaient été dressées autour de la gare, offrant une hospitalité pittoresque à nombre de personnes qui eussent été forcées, sans ce secours, de coucher à la belle étoile.

Le lendemain du départ de Cherbourg, à une heure de l'après-midi, l'escadre franchissait les passes du Goulet et entrait dans la rade de Brest. Les grands vaisseaux aux voiles gonflées s'avançaient noblement, la Bretagne en tête ; ils venaient se ranger au mouillage, dans un ordre admirable, salués par tous les canons de la rade et des forts, tandis qu'une immense population, en habits de fête, couronnant toutes les falaises, acclamait les souverains.

L'Empereur, pour se rendre à terre, était monté dans le canot sur lequel Napoléon Ier visita les bouches de l'Escaut et les défenses d'Anvers, en 1811. Cette embarcation, dirigée par trente rameurs, était ornée avec une grande magnificence. Deux statues dorées y soutenaient à l'arrière une tente de velours écarlate semée d'abeilles d'or, surmontée de la couronne impériale et d'un aigle aux ailes déployées, tandis que des néréides et des tritons groupés dans un mouvement magnifique semblent entrainer sur les flots cette embarcation, d'un luxe qui évoque le souvenir des trirèmes de Cléopâtre[5].

A aucune époque et dans aucun lieu du monde, des souverains ne reçurent un accueil comparable à celui que l'Empereur et l'Impératrice trouvèrent parmi ces bonnes populations bretonnes. Les légitimistes intransigeants restaient chez eux, mais leur protestation abstentionniste se bornait à regretter que Napoléon III ne fût pas, selon eux, un monarque légitime.

Chaque soir, pendant le séjour de Leurs Majestés, le cours d'Ajot, cette magnifique promenade, couverte d'arbres séculaires, qui domine la rade, était illuminé par des millions de verres de couleur, formant comme un dôme de feu. Avec un étonnement naïf, les Bretons s'écriaient, dans leur poétique langage : Nemet er Baradoz, n'euz hetra ebed kaeroch ! Excepté le paradis, il n'est rien de plus beau !

L'Empereur et l'Impératrice se mêlaient familièrement à la foule, profondément touchés de l'accueil digne d'un autre âge qu'ils trouvaient dans ce peuple aussi respectueux qu'empressé.

Afin de réunir le plus de monde possible autour des souverains, on avait aménagé la halle aux grains qui, grâce à une décoration somptueuse, était transformée en salle de bal. Les murs disparaissaient sous d'immenses panneaux de glaces encadrés de velours écarlate, et une profusion de fleurs entourait dix rangées de gradins chargés de femmes en toilette de bal. Après le quadrille officiel, cinquante couples portant le costume des divers cantons défilèrent avec leurs bannières devant l'estrade impériale.

S'arrêtant un moment, ils s'inclinaient avec une génuflexion aussi profonde que s'ils avaient été dans une église ; puis au son du biniou, ils exécutaient les danses nationales. Ce long défilé de bannières, au milieu de la splendeur du bal, ces costumes d'une étrange richesse, l'air grave et digne de tous ces jeunes hommes aux longs cheveux flottants, ces femmes qui, dans leur simplicité, ne manquaient ni de grâce ni de noblesse, tout cela produisait un effet saisissant, et l'on aurait pu se croire transporté au milieu d'une scène du Moyen-Age.

L'Impératrice portait une robe de tulle bleu pâle semée de légers fils d'argent. Son buste incomparable, ses épaules exquises se dégageaient comme d'un nuage au milieu de ces flots de tulle. Le chambellan de service ayant annoncé, d'une voix retentissante, l'Empereur, un profond silence se fit subitement parmi les milliers de personnes réunies. L'Impératrice, d'un mouvement qui n'appartenait qu'à elle, imposante et modeste tout à la fois, fit un salut circulaire, enveloppant de son long regard lumineux et doux toute cette fouie attentive. Elle était alors dans tout l'épanouissement de sa beauté radieuse, que rehaussait encore le prestige de la souveraineté. Et ce prestige fut à son apogée lors du voyage en Bretagne. Aussi, malgré bien des évènements divers, l'Empereur et l'Impératrice en conservèrent toujours un souvenir attendri.

Après avoir visité l'arsenal, les hôpitaux, laissant partout les, traces d'une libéralité vraiment royale, l'Empereur et l'Impératrice quittaient Brest, le 12 août, en chaise de poste, pour continuer, de relais en relais, ce voyage qui fut un véritable évènement pour le pays. De village en village, toute la population faisait escorte. Tous les chevaux de la contrée étaient mis en réquisition pour suivre Leurs Majestés, et l'on voyait de bons curés bretons mêlés au flot de leurs paroissiens, galoper autour des voitures impériales d'un bourg à l'autre.

Le voyage s'acheva le 15 août au sanctuaire de Saint-Anne-d'Auray, le pèlerinage le plus vénéré de toute la Bretagne.

En ce temps là, qui devait s'éloigner si vite et peut-être pour ne jamais revenir, trente-six millions de catholiques français ne craignaient pas de s'agenouiller publiquement avec leurs souverains, et leurs souverains avec eux, pour rendre hommage à Dieu qui leur octroyait le commun bonheur, la mutuelle confiance dont ils jouissaient les uns par les autres, et que nul homme sincère n'osait révoquer en doute.

C'était l'âge d'or de l'Empire. Et celui qui aurait annoncé que l'Empereur était à la veille de descendre spontanément, follement et malgré tous les avertissements de ses amis, de ces sommets lumineux, aurait trouvé autant d'incrédules que d'auditeurs.

Peut-être en aurait-il compté un de plus, car il aurait eu quelque peine à croire lui-même à sa propre prédiction.

 

FIN DU TOME PREMIER

 

 

 



[1] Le Moniteur officiel du 10 juillet en contenait le tableau. Le gouvernement avait gagné, en cinq ans (1852-1857), 253.286 voix, et l'opposition en avait perdu un nombre presque égal : 239.103.

[2] Le Phare de la Loire fut averti pour avoir dit que d'après l'agence Havas, le discours de l'Empereur avait provoqué les cris de : Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le Prince impérial ! Cette formule dubitative fut déclarée inconvenante.

Parmi les journaux supprimés il s'en trouva qui n'étaient guères suspects de pousser au régicide : telles furent l'Assemblée nationale, la Foi bretonne, la Gazette du Languedoc.

[3] Voici une liste, mais incomplète, des titres confirmés ou créés depuis le rétablissement du Conseil du sceau :

Comte Boulay (de la Meurthe) ; comte Casabianca ; comte de Sieyès ; duc de Morny, duc de Persigny, duc de Magenta, duc de Malakoff, duc de Cambacérès, duc de Tascher, duc de Galague, duc de Montmorency (titre octroyé à M. de Talleyrand), duc de Feltre (Goyon) ; comte de Palikao (général Cousin-Montauban) ; comte de Bourqueney, comte Welles de Lavalette, comte Mimerel ; baron Haussmann, vicomte de Pernety (gendre du précédent), baron de Bussières, baron de Graffenrod, etc.

Titres étrangers autorisés sous Napoléon III : comtes romains : vice-amiral Casy, vice-amiral Cécilie, général Rostolan, Janvier de la Motte, maréchal Vaillant, F. de Corcelles, etc. — Titre prussien : prince de Sagan (Talleyrand-Périgord) ; etc.

[4] Ce furent : dans l'Ain, M. le comte Le Don ; dans les Ardennes, M. le baron de Ladoucette ; dans l'Allier, M. le baron de Veauce ; dans le Jura, M. Dalloz ; dans la Meurthe, M. Chevandier de Valdrôme ; dans la Sarthe, MM. Haëntjens et de Talhouët ; dans la Savoie, M. le comte de Boigne ; dans Saône-et-Loire, M. Schneider ; dans le Puy-de-Dôme, M. du Miral ; dans les Vosges, M. de Ravinel ; dans les Basses-Pyrénées, M. Larrabure ; dans les Hautes-Pyrénées, MM. Achille Jubinal et Adolphe Fould ; M. Isaac Péreire, dans les Pyrénées-Orientales ; M. de Cohorn dans le Bas-Rhin ; M. de Wendel dans la Moselle ; il faudrait citer presque tous les départements.

Mais ceux des vice-empereurs qui montrèrent de la clairvoyance et de l'indépendance, quand surgit la question italienne, furent presque tous impitoyablement remplacés ; exemple, le comte de Ségur-Lamoignon, MM. Anatole Lemercier, Chesnelong, etc. — Et pourtant ceux-là étaient les vrais amis, les seuls !

[5] Depuis lors, un peu abandonnée sous un hangar, dans le fond du port, ce vieux canot a eu besoin de coûteuses restaurations pour être mis à la disposition de M. Carnot dans son voyage à Brest.