781-788
DANS toute l’étendue de la vieille Germanie il ne restait plus, après les nouveaux serments du duc de Bavière, que la Saxe dont les rapports avec la monarchie franke ne fussent pas encore nettement définis. L’administration ecclésiastique seule y avait été réglée d’une manière sérieuse au mallum de 780. Deux années d’expérience avaient d’ailleurs justifié l’efficacité des mesures prises, en produisant un remarquable apaisement des esprits. Le calme n’avait pas cessé (le régner dans le pays. Les Saxons semblaient se résigner de bonne grâce à leur situation, à laquelle d’ailleurs le christianisme enlevait tout caractère humiliant, en les plaçant sur le pied de l’égalité avec leurs vainqueurs. Charlemagne résolut donc de maintenir cette égalité dans à système d’institutions civiles les plus libérales qu’il eût encore appliquées. Il convoqua à cet effet, aux sources de la Lippe, le Champ de mai de 782. Les leudes d’entre le Rhin et l’Elbe y prirent part comme les Franks et ne s’y montrèrent pas moins dociles. Il ne manqua au rendez-vous, observe l’annaliste de Fulda, que le rebelle Witikind et les hommes de sa truste. Le roi organisa alois d’une manière uniforme les cantons de la Westphalie, de l’Angrie et de l’Ostphalie[1], et il leur donna des chefs dont la hiérarchie et les fonctions étaient les mêmes que celles des comtés de France, mais qui tous furent choisis dans les principales familles saxonnes. Après quoi, l’armée étant inutile en Saxe, il la ramena en Austrasie. Mais à peine avait-il opéré cette retraite, qu’il apprit que les Sorabes (ou Serbes), tribu slave cantonnée entre l’Elbe et la Saale, son affluent, avaient franchi cette rivière, et s’étaient jetés en pillards sur les marches de Saxe et de Thuringe. Ainsi la chrétienté, en étendant ses frontières, ne parvenait pas à les rendre plus solides, et la Germanie domptée devait servir à son tour de boulevard contre les attaques d’une nouvelle ligue de barbares. Ce mouvement, toutefois, n’avait par lui-même rien de bien inquiétant. Charles se contenta d’envoyer en toute hâte au secours des populations envahies trois de ses officiers, le chambellan Adelgis, le connétable Geilon et le comte du palais Worad, à qui il commanda de lever, chemin faisant, quelques scares de Franks orientaux et de Saxons pour donner la chasse aux bandes sorabes. Ils n’eurent pas besoin d’aller chercher si loin la bataille ; avant même d’arriver au Weser, ils se trouvèrent en plein pays ennemi. Une soudaine recrudescence de fanatisme venait d’éclater dans les cantons abandonnés quelques semaines auparavant par le roi. De tous les points du territoire des bandes insurrectionnelles se dirigeaient à travers les grands bois sombres, au cœur de l’Angrie, vers un rendez-vous mystérieux : le mot d’ordre de ces bandes était l’extermination du christianisme, et l’homme qui avait jeté ce mot d’ordre, c’était Witikind, revenu tout à coup de Norwége. Nul doute que la démonstration presque insignifiante des Sorabes ne fût autre chose qu’une manœuvre du farouche exilé destinée à cacher sa propre entreprise et à attirer dans un piége les soldats de Charlemagne. Dans la région d’entre l’Ems et l’Elbe, et surtout dans la Wigmodie, les églises étaient en cendres, les chrétientés dispersées, les missionnaires égorgés ou en fuite, avant même que ces soldats fussent entrés en campagne. L’explosion hâtive de la révolte en compromit le succès. Les comtes franks firent face aussitôt à ce nouveau péril et ne s’avancèrent plus qu’avec précaution. D’ailleurs, privés des renforts saxons sur lesquels ils avaient compté, ils no leur restait qu’un faible noyau de troupes ; mais en quelques jours une armée de secours, formée sur leurs derrières en Austrasie, rallia leur faible avant-garde ; elle avait pour chef un capitaine illustre, appartenant à la famille carolingienne et nommé Théoderic, qui prit le commandement général de l’expédition. On savait par des rapports d’espions que le camp de Witikind se trouvait au delà du Weser, sur le flanc septentrional du mont Sunthal. Les mouvements des divers corps furent combinés en vue de cerner cette position, et Théoderic, ayant amené l’armée jusque-là sans coup férir, distribua les postes entre le fleuve et la montagne aux trois autres comtes. Mais l’habileté et l’assurance du chef inspirèrent une résolution funeste à ses lieutenants, remplis à la fois de présomption et de jalousie. Ne voulant pas se laisser frustrer par un intrus de l’honneur de la victoire, ils devancèrent ses ordres afin de gagner sans lui la bataille. Les trois palatins concertèrent leur plan avec le plus grand secret, et, avant le moment convenu, lancèrent leurs scares à bride abattue contre les retranchements des Saxons. Pour toute tactique, cet entrain furieux qui de tout temps caractérisa le premier élan des soldats de France. On eût dit que la victoire devait être le prix de la course, et qu’il ne s’agissait que de parcourir une lice ouverte ou d’atteindre un ennemi en déroute. Ce choc impétueux et désordonné vint se briser contre le front de bataille de Witikind, sans pouvoir entamer ses lignes profondes. Ce fut, au contraire, la colonne d’attaque qui se rompit en tronçons épars, donnant sur tous les points à la fois, partout repoussés et revenant toujours à la charge. Lentement cependant les Saxons se déployaient dans la plaine, et finirent par envelopper d’une muraille vivante et impénétrable cet essaim tourbillonnant de cavalerie qui ne recevait ou n’écoutait plus aucun ordre. Ce fut alors une de ces mêlées formidables, telles qu’on en trouve à chaque page de l’histoire de nos guerres nationales. Les auteurs de cette folle entreprise la rachetèrent par des prodiges d’héroïsme, et, ne pouvant échapper à la défaite, ils ne songèrent plus qu’à l’ennoblir par leur courage. Les comtes et les seigneurs se firent tuer presque jusqu’au dernier ; les soldats auraient eu honte de survivre aux chefs ; il tinrent à honneur de les venger et de mourir sur leurs cadavres. Les palatins Adelgis et Geilon avaient, des premiers, lavé dans leur sang la criminelle imprudence qui avait causé cet inutile carnage ; un petit nombre seulement de leurs compagnons se résignèrent à la fuite et vinrent annoncer le désastre au camp de Théoderic[2] Après dix ans de lutte, le paganisme odinique venait de prendre sa revanche. Au nord comme au midi le prestige des armes frankes avait pâli, et Sunthal était le pendant de Roncevaux. Théoderic put néanmoins opérer sa retraite sans encombre. Les vainqueurs, acharnés après une autre proie, ne s’occupèrent plus de lui ; c’était le christianisme national qu’ils avaient surtout à cœur de poursuivre et d’anéantir. Heureusement Charlemagne ne leur en laissa pas le temps. Au premier bruit de la défaite de Sunthal, il avait convoqué l’hériban, et on le vit arriver à marches forcées sur le théâtre de la guerre. Mais déjà l’armée de Witikind était dispersée, et le chef lui-même était repassé chez les Normands. Le roi ne trouva dans toute la contrée que des sujets pleins de soumission. Toutefois ni la feinte, ni même le repentir, ne pouvaient plus le désarmer. Le sang des martyrs criait vengeance. S’il n’avait pas de soldats à combattre, il avait des meurtriers à punir. Il convoqua à Verden, dans la Wigmodie, au milieu des ruines encore fumantes que la persécution avait entassées, un plaid national des chefs des cantons saxons. Il leur rappela le pacte qu’ils avaient juré à Paderborn cinq ans auparavant, en vertu duquel la trahison dont ils venaient d’être les complices ou les lâches spectateurs mettait à sa discrétion la vie et les biens de tous leurs compatriotes, et il les somma, pour sauver le reste du peuple, de lui livrer les compagnons de Witikind. Arrachés à leurs familles, traqués, poursuivis comme des bêtes fauves à travers les forêts, quatre mille cinq cents relaps furent amenés à ce tribunal de mort, que la crainte rendit inexorable. En un seul jour les quatre mille cinq cents têtes tombèrent sous la hache du bourreau. Après quoi, ajoutent froidement les chroniques, le roi revint tranquillement hiverner à Thionville et y célébra, suivant l’usage, les fêtes de Noël et de Pâques[3]. Ainsi les contemporains n’ont vu dans l’exécution de Verden qu’un châtiment légal et ne s’en sont pas émus. Qu’était-ce, après tout, que ces victimes ? Des massacreurs incorrigibles, les champions d’une religion qui prescrivait les sacrifices humains. Condamnés, à la suite d’un procès criminel, par leurs juges nationaux, en vertu de leurs lois nationales, la sentence qui leur avait appliqué la peine des traîtres était assurément conforme au droit commun de l’époque. Sans doute ; mais il ne fut jamais plus vrai de dire que la justice, poussée à un tel excès de rigueur, est le comble de l’iniquité. En dépit des formes juridiques, cette tuerie, résolue et exécutée dans un premier moment de colère, ne nous apparaît que comme une boucherie de prisonniers. Si coupables qu’ils fussent individuellement, le nombre des condamnés devait les absoudre aux yeux de la postérité. Le massacre de Verden est resté le scandale de la vie de Charlemagne[4]. Hâtons-nous d’ajouter qu’il forme un douloureux contraste avec tout le reste de sa conduite politique, car jamais conquérant ne montra autant de douceur à l’égard des peuples vaincus, et ne fut aussi respectueux de leurs droits et de leurs usages : c’est lui, en effet, qu’un assemblage de vertus publiques, rare même au sein des civilisations les plus avancées, a fait proclamer par un juge compétent le plus honnête des grands hommes[5]. La violence appelle la violence. L’exécution de Verden eut pour résultat de faire dégénérer en une guerre d’extermination l’œuvre, méthodiquement accomplie jusque-là, de l’assimilation de la Saxe aux autres États de la Germanie chrétienne. Il fallut trois ans pour que les missionnaires pussent relever leurs églises dévastées. Et combien d’autres ruines dans cet intervalle ! Le premier moment de stupeur et d’effarement passé, les dénonciateurs s’unirent aux parents de leurs victimes dans un même sentiment de rage et un même désir de vengeance. Pour la première fois peut-être, un intérêt commun souleva la patrie saxonne tout entière. Les divisions intestines, fruit de la conquête étrangère et de l’introduction d’une foi nouvelle, furent en un clin d’œil oubliées, reniées, sacrifiées à cet immense besoin de concorde ; et le cri unanime du peuple acclama la dictature de Witikind. Le banni accourut, entraînant en foule à sa suite ces farouches hommes du Nord, ses hôtes et ses alliés fidèles. Woden, prêt à livrer au Christ un combat suprême, ralliait tous ses disciples sous une même bannière. La Frise ne tarda pas à entrer, à son tour, dans le mouvement. Elle aussi se mit à égorger ses prêtres, à brûler leurs sanctuaires, et envoya à Witikind ses contingents ivres de carnage. Ainsi, au printemps de 783, un vent de colère poussait vers la frontière de France comme une sombre marée d’hommes. Un affreux malheur venait de frapper le roi Charles au milieu de ses préparatifs de campagne, et de tristes devoirs le retinrent à Thionville, quand sa présence eût été si nécessaire au delà du Rhin. Sa noble compagne, Hildegarde, mourut en cette ville le 30 avril[6]. Il eut à peine le temps de lui rendre les derniers honneurs, et, refoulant au fond de son cœur ses chagrins personnels, il sauta à cheval pour voler à la défense de la chrétienté. L’armée nationale n’avait pas encore eu le temps de se réunir, que déjà il avait franchi le Rhin à la tète d’un corps d’avant-garde. La tactique était venue aux Saxons avec la discipline. La main puissante de Witikind maîtrisait ces rudes natures et faisait de toutes les forces de la Germanie païenne un faisceau redoutable. Au lieu d’aventurer ses troupes en plaine, il leur avait fait prendre de solides positions sur les hauteurs de l’Osneggebirge. C’est là qu’il attendait de pied ferme l’attaque des Franks ; nouvel Arminius, animé des mêmes passions que le premier, et essayant sur le même champ de bataille de briser encore l’essor des légions de l’Occident civilisé. Le chef barbare occupait, sans doute avec l’élite de ses troupes, le sommet fortifié et boisé d’une montagne voisine de l’Osnegg, et que son nom semble indiquer comme un centre ordinaire de réunions militaires, politiques et religieuses. On l’appelait Théotberg, Théotburg, Théotmal et Théotwald (montagne, citadelle, assemblée ou bois de Théot, aujourd’hui Detmold). Jamais jusque-là Charles, commandant en personne, n’avait rencontré sur le sol de la Saxe une armée qui osât lui résister. Cette fois, il dut acheter chèrement la victoire. Les défenseurs de l’Osneggebirge se firent hacher sur place, sans livrer le passage de leurs montagnes. Incapables cependant de s’y maintenir, ils reculèrent à la fin, mais en bon ordre et pour aller se reformer au bord de la petite rivière de Hase, au pays d’Osnabrück. Charles n’osa les poursuivre. Sa colonne avait besoin de combler elle-même ses pertes, et il dut attendre, à Paderborn, l’arrivée des troupes fraîches que la France lui envoyait. La fortune ne seconda pas l’opiniâtre courage des rebelles. Le second choc des armées, au bord de la Hase, décida le triomphe définitif et éclatant du roi. L’ennemi se retira en désordre, après avoir couvert le sol de ses morts et en laissant au pouvoir des vainqueurs une multitude de prisonniers, qui, plus heureux que ceux de Verden, n’eurent à subir que la captivité. Charlemagne employa tout le reste de la campagne à ravager jusqu’à l’Elbe, par le fer et le feu, les cantons révoltés. La Saxe, noyée dans le sang, ne demanda cependant pas grâce, et l’hivernage ne fut qu’une trêve. Charles, après avoir passé quelques mois à Héristal, repartit au printemps en Westphalie. Il n’y rencontra pas ombre de résistance ; mais pas un député de ce peuple opiniâtre ne se présenta non plus pour traiter de la paix. Le roi s’avança vers le Nord, occupant ses troupes à dévaster tout le pays. Il ne laissait derrière lui qu’une terre nue, arrachant les moissons, brûlant et rasant les villages, réduisant ainsi les habitants à se soumettre ou à mourir de faim. Un débordement du Weser, causé par l’abondance des pluies, préserva l’Angrie du fléau de l’invasion franke. Charles se rabattit par la Thuringe sur les cantons ostphaliens, qui eurent le même sort que ceux de l’Ouest et le supportèrent avec la même résignation farouche. Depuis Lippenheim jusqu’à Schahaning, dans le Derlingau, il ne trouva pas un ennemi sur sa route ; mais il ne fit pas rentrer un seul Saxon dans son obéissance. La population entière se dérobait devant lui. Il revint à Worms, chargé de butin, traînant à sa suite de longues colonnes de prisonniers, partout vainqueur, maître nulle part. Les rebelles, dont la tactique semblait être d’éviter tout combat avec leur terrible roi, essayèrent pourtant, après son départ, de reconstituer leurs forces. Le prince royal, nommé Charles comme son père et âgé seulement de douze ans, était resté sur les bords de la Lippe à la tête d’un corps d’observation. Quelques bandes westphaliennes vinrent l’attaquer ; niais ses scares, sous la conduite de capitaines expérimentés, n’eurent pas de peine à dissiper ce rassemblement, et l’adolescent rentra à son tour à Worms en triomphateur[7]. Malgré la saison avancée, cette apparente résurrection de la Saxe détermina la reprise immédiate des hostilités. Pour la première fois depuis le siége de Pavie, le roi célébra la Noël dans un camp. La promptitude de ce retour déconcerta l’ennemi, et il put pousser sans coup férir jusqu’à l’Ems. Mais au delà sa marche fut arrêtée non loin du fort saxon de Dedikodroburg, placé au confluent du Weser et de la Verne. La rigueur de l’hiver rendait les chemins du Nord absolument impraticables à une armée. Cependant il ne voulut pas laisser aux Saxons le répit auquel ils étaient accoutumés. Il prit ses quartiers au milieu d’eux, à Heresburg, et y manda ses enfants avec leur belle-mère, l’altière Fastrade, fille d’un comte germain, qu’il avait épousée quelques mois seulement après la mort d’Hildegarde[8]. Il témoignait ainsi sa résolution de ne pas quitter le pays avant de l’avoir dompté. Il commença même la construction d’une basilique sur l’emplacement de l’Irmensul ; puis, laissant sa famille dans la citadelle, sous la protection d’une bonne garnison, il organisa une campagne d’hiver sans précédent sous ce rude climat. L’armée, divisée en nombreux détachements, porta dans toutes les directions à la fois le meurtre et l’incendie. Alors plus de feuilles qui dérobent le proscrit : les marais durcis par la glace ne le défendent plus ; le soldat l’atteint isolé dans sa cabane, au foyer domestique, entre sa femme et ses enfants, comme la fauve tapie au gîte et couvant ses petits[9]. Au printemps, la Saxe, épuisée, terrassée, le pied de son vainqueur sur la gorge, était hors d’état de faire le moindre mouvement. Comme elle avait subi les exécutions militaires, elle courbe la tête, impassible, sous les lois draconiennes que lui dicte l’assemblée de Paderborn (Champ de mai de 785). Du reste, un formidable déploiement de forces lui interdisait toute velléité de résistance. Les contingents de France arrivaient en masse au quartier général du corps d’occupation. Ils se répandirent jusque dans le Bardengau (pays de Lunebourg), et de là Charlemagne donna ses soins à la plus difficile entreprise de toute la campagne : il ouvrit des négociations avec Witikind. Le rude partisan errait alors sur la rive septentrionale de l’Elbe, accompagné d’un de ses complices les plus compromis. L’âme de Witikind était ébranlée : les revers n’avaient pas affaibli son courage ; mais il commençait à douter de la justice de sa cause. Woden, incapable de défendre ses champions contre les soldats du Christ, lui apparaissait enfin, à ce signe, comme un faux dieu. Les émissaires saxons que Charles lui envoya n’eurent pas à lutter contre l’entêtement d’un fanatique : le banni, se souvenant seulement de l’exécution de Verden, se borna à réclamer des garanties pour sa personne et pour les rares amis qui lui étaient demeurés fidèles. Le roi était trop heureux de pouvoir acheter par un acte de clémence cette grande victoire morale, qui devait étouffer en Saxe le dernier ferment de discorde. D’ailleurs, il ne pouvait refuser son admiration à l’héroïque adversaire qu’il avait eu tant de mal à terrasser. Il lui accorda donc amnistie pleine et entière, et lui livra des otages franks. Witikind, une fois le traité conclu, demeura libre sur parole : il n’eut pas la honte de traverser sa patrie vaincue en suivant lui-même avec l’attitude également humiliante soit d’un transfuge, soit d’un prisonnier, le cortége du triomphateur. Il n’eut qu’à rejoindre la cour à Attigny, en compagnie d’Amaluin, officier palatin, chargé de recevoir son serment. C’était au Dieu des chrétiens, bien plutôt qu’au roi des Franks, simple instrument des desseins de ce Dieu, que le chef westphalien s’était rendu. Sa soumission était donc une conversion, et c’est pour recevoir le baptême qu’il se présenta à Attigny. Charlemagne voulut être lui-même le parrain du glorieux néophyte, et il s’empressa de faire part de l’événement au souverain pontife et à Offa, roi de Mercié, le plus puissant des princes de l’Angleterre saxonne. La capitale de la catholicité solennisa par des cérémonies religieuses un triomphe dont la gloire revenait surtout à l’Église. C’est en actions de grâces de la conversion de Witikind que le pape Adrien institua, sous le nom de Litanies, le premier triduum de prières, en prescrivant à cette occasion, à toutes les paroisses de la chrétienté, trois jours de processions publiques[10]. Célébré dans l’épopée française à l’égal d’un héros national, compté par certains légendaires au nombre des saints, et en même temps placé par de naïfs généalogistes en tète de notre troisième dynastie, comme aïeul de Robert le Fort, Witikind devait être un des personnages historiques les plus populaires parmi les générations du moyen âge. Son nom resta comme ceux de Roland, d’Arthur et de tant d’autres illustres vaincus, que la poésie est allée ramasser sur les champs de bataille, comme pour montrer que l’imagination des peuples est généreuse et ne se range pas toujours du côté du plus fort[11]. L’orgueil des Saxons s’est plu tout particulièrement à proclamer que le défenseur de leur indépendance n’avait cédé qu’à une intervention de la Divinité. Dans les récits épiques de cette fière nation, il ne faut rien moins qu’une apparition miraculeuse du Christ pour convertir, et par conséquent pour désarmer Witikind. Ils racontent que, le jour de Pâques de l’année 785, celui-ci s’était introduit, en habit de mendiant, dans le camp de son rival pour en étudier les dispositions, pendant que Charlemagne se faisait dire la messe sous sa tente. Il s’amusait à contempler ce spectacle nouveau pour lui, quand, au moment de l’élévation, il vit dans l’hostie consacrée la figure d’un enfant d’une éblouissante beauté. S’étant approché avec la foule des pauvres qui venaient, selon l’usage, au sortir de l’office, recevoir l’aumône de la main du prince, le faux mendiant fut reconnu sous ses haillons. Il annonça alors le prodige dont il venait d’être le témoin, demanda à être reçu dans la communion chrétienne, et fit enjoindre à ses partisans de se soumettre comme lui[12]. Telle est la légende. On vient de voir l’histoire. L’allégresse du chrétien ne diminua en rien chez Charlemagne la fermeté du conquérant, et les dispositions du capitulaire de Paderborn, appliquées avec la dernière rigueur, firent rudement expier à la Saxe ses fréquentes rébellions. L’idée première de la guerre saxonne avait bien dévié à travers les péripéties sanglantes de ces douze ans de lutte acharnée. Toutes les guerres saintes, observe à ce sujet Ozanam, sont premièrement défensives : elles commencent par la juste résistance de la chrétienté attaquée sur ses frontières. Mais, comme il n’y a pas de droit des gens avec des barbares, la guerre de défense, ne pouvant finir par la paix, se tourne en conquête, et la conquête se légitime en civilisant. Ainsi la politique des Franks se renfermait d’abord en ces termes : arrêter les incursions des païens et protéger la prédication de l’Évangile. Ils ne songeaient pas à pousser, l’épée dans les reins, les barbares au baptême. Les traités qui suivirent les premières campagnes ne soumettaient les Saxons qu’au serment de fidélité : les vainqueurs installaient le prêtre et se retiraient ensuite, respectant la liberté de son ministère. Mais l’horreur d’une lutte désespérée égara le grand esprit de Charlemagne. Il crut avoir le droit de punir quand il n’avait que celui de vaincre, et cette erreur causa le massacre de Verden. Ce jour-là, le pouvoir temporel commença à sortir de ses limites : maître du sol, il pensa l’être aussi des consciences et voulut tenter par le glaive ce que la parole n’avait pas pu. Alors fut dicté le capitulaire de 785[13]. De fait, la Saxe fut supprimée comme nation, et ne conserva pas trace de vie politique. Divisée en comtés sans liens entre eux, ses magistrats locaux, maintenus dans un isolement systématique, ne devaient plus tenir leurs plaids que sous la surveillance des évêques. Les hommes libres furent bien encore admis, et même obligés, à assister aux Champs de mai annuels, mais sans droit de suffrage, et uniquement pour faire acte d’obéissance et y recevoir des ordres. La liberté individuelle était garrottée, étouffée dans les mille entraves d’un code sanguinaire, où, par une funeste confusion des principes, le zèle religieux sert de prétexte à tous les excès de la tyrannie ; où l’excommunication ecclésiastique, profanée et réduite à n’être qu’un moyen de gouvernement, retranche en même temps le coupable du nombre des chrétiens et du nombre des vivants. Et quels coupables ! En dépit de la raison d’État, l’esprit reste confondu devant l’effroyable disproportion des délits et des peines, consacrée par une législation qui juge également dignes de la peine de mort les crimes de trahison ou de conspiration, le meurtre des prêtres et le simple refus du baptême, l’incendie des églises et l’incinération des morts, les sacrifices humains, l’anthropophagie et l’usage d’aliments gras en carême[14] ! Il est à peine besoin de dire que l’Église, que de telles lois compromettaient tout en paraissant édictées pour elle, loin d’en accepter le bénéfice se hâta d’en répudier l’inspiration, et travailla ardemment, par la voix de ses représentants les plus éminents, à en tempérer la rigueur. Le pape Adrien fixa tout d’abord[15] les pénitences canoniques à imposer aux Saxons relaps, afin de substituer, en matière de foi, le tribunal de la pénitence aux juridictions sanguinaires du pouvoir temporel. Un docteur, simple clerc il est vrai, mais dont l’autorité était considérable dans tout l’Occident, et dont le blâme empruntait à ses relations personnelles d’amitié avec le roi des Franks un caractère tout particulier de gravité, Alcuin lui-même, n’hésita pas à recommander aux apôtres de la Saxe des moyens de propagande absolument contraires à ceux que le capitulaire de Paderborn avait mis à leur disposition. Il écrivit à ce sujet à l’évêque Magenfred : La foi, comme la définit saint Augustin, est un acte de volonté et non pas de contrainte. On attire l’homme à la foi, on ne peut l’y forcer ; vous pousserez les gens au baptême, vous ne leur ferez pas faire un pas vers la religion. C’est pourquoi ceux qui évangélisent les païens doivent user avec les peuples de paroles prudentes et pacifiques, car le Seigneur connaît les cœurs qu’il veut et les ouvre à l’intelligence de la vérité. Après le baptême, il faut encore des principes indulgents aux âmes faibles. Paul écrit à la jeune chrétienté de Corinthe : Je vous ai donné du lait et non du pain. Le pain est pour les hommes ; il représente ces grands préceptes qui conviennent aux âmes exercées dans la loi du Seigneur ; et, comme le lait est pour l’âge tendre, ainsi l’on doit donner des lois plus douces à ces peuples ignorants qui sont dans l’enfance de la foi... Si le joug suave et le fardeau léger du Christ eussent été annoncés à ce peuple inflexible des Saxons avec autant de persévérance qu’on en a mis à exiger les dîmes et à faire exécuter toute la rigueur des dispositions de l’édit pour les moindres fautes, peut-être n’auraient-ils pas horreur du baptême. Que les propagateurs de la foi s’instruisent donc aux exemples des apôtres ; qu’ils soient des prédicateurs et non des déprédateurs, et qu’ils se confient en celui de qui le prophète a dit : Il n’abandonna jamais ceux qui espèrent en lui[16]. Telle était la conduite la plus conforme à la raison, même à la raison d’État. Charlemagne, en s’y rendant, aurait pu épargner à ses calculs politiques de prochains et cruels mécomptes. II Durant les treize années de la guerre franko-saxonne, la Thuringe, située entre les deux nations belligérantes, sans relâche sillonnée par le passage des corps expéditionnaires et exposée encore, après chaque suspension d’armes, aux représailles de l’ennemi, obligée ainsi plus que toute autre province carolingienne à de perpétuels sacrifices d’hommes et d’approvisionnements, avait presque autant souffert que les vaincus eux-mêmes. Aussi la fatigue et l’irritation étaient extrêmes chez les leudes thuringiens, et, au moment où Witikind demanda grâce, il se tramait parmi eux une vaste conspiration dont le succès eût pu, sinon sauver l’indépendance de la Saxe, du moins prolonger longtemps encore la résistance du chef westphalien. Il ne s’agissait de rien moins que de secouer le joug de la monarchie franke, et même d’assassiner Charlemagne au cours de cette ruineuse campagne de 78’5. Le comte Hartrad était à la tête du complot. La soumission de Witikind et la retraite de l’armée en deçà du Rhin le firent avorter, soit parce qu’elles supprimèrent le principal grief des conjurés, soit parce qu’elles leur enlevèrent les moyens d’exécuter leur plan. Mais le roi, informé du péril qu’il avait couru, ne pardonna pas à ses ennemis en faveur de leur impuissance. Toutefois il ne se comporta pas non plus, dans cette occasion, en justicier implacable et pressé de vengeance comme au plaid de Verden. Peut-être la conspiration était-elle trop redoutable pour être abordée de front ; peut-être les preuves n’étaient-elles pas suffisantes pour convaincre les coupables et assurer leur châtiment. Quoi qu’il en soit, ce crime de haute trahison ne fut introduit qu’incidemment en justice, dans une affaire de minime importance en elle-même, mais qui avait précisément l’avantage de prédisposer les juges franks à la sévérité vis-à-vis des accusés. Un des grands de Thuringe, ayant fiancé sa fille selon la loi des Franks à un Austrasien, refusa de conclure le mariage. Charles le somma, mais inutilement, de tenir sa promesse, et les Austrasiens indignés, considérant comme une question d’honneur national cette injure faite à un des leurs, envahirent, les armes à la main, le pays de l’offenseur. Celui-ci et ses partisans, incapables de soutenir la lutte dans ces conditions, n’eurent d’autre ressource que de chercher asile dans la basilique de Fulda, et de solliciter, par l’intermédiaire de l’abbé, une procédure légale sur le litige. Charles leur accorda le sauf-conduit dont ils avaient besoin, et les assigna à comparaître au plaid convoqué à Worms pour le mois d’août 786. Ils y vinrent sans défiance, comptant n’avoir à répondre que sur une de ces querelles privées que la législation d’alors résolvait toujours par une amende. Mais, au cours des débats, le roi les amena à fournir des explications sur le complot de l’année précédente. Pris ainsi à l’improviste, ils n’eurent pas le moyen de concerter leur défense. La vérité se fit jour. On prétend même que l’un d’eux aurait fait cette audacieuse déclaration : Si mes collègues et mes compagnons m’avaient écouté, tu n’eusses jamais repassé vivant le fleuve du Rhin. La conduite de Charles vis-à-vis des coupables est bien difficile à comprendre. Les annalistes le louent d’avoir fait preuve en cette occasion d’une sagesse et d’une modération sans exemple, et ils racontent qu’il envoya les Thuringiens par groupes, sous la conduite d’officiers palatins, vers les sanctuaires les plus renommés de l’Italie, de la Neustrie et de l’Aquitaine, afin d’y jurer, sur les reliques des saints, fidélité au monarque et à ses enfants. Puis ils ajoutent, sans chercher à justifier, et sans blâmer non plus cette tardive sévérité, qu’au retour les pèlerins furent les uns arrêtés en route et jetés en prison, les autres, à leur rentrée à Worms, condamnés à un exil perpétuel ; que tous eurent les yeux crevés ; que trois d’entre eux, ayant essayé de résister, furent mis à mort, et que les biens de tous furent confisqués[17]. On ne saurait soupçonner Charlemagne d’avoir traîtreusement, à l’avance, médité un pareil guet-apens, il était assez puissant pour donner cours à ses colères. Donc, en imposant à ses ennemis désarmés un pèlerinage expiatoire, il n’avait évidemment aucune arrière-pensée perfide. Les contemporains n’hésitèrent pas à attribuer à la reine Fastrade l’inspiration de ces mesures odieuses. Ce cas, du reste, ne fut pas le seul où, par son influence fatale sur son mari, cette femme devait se montrer trop digne de son nom, qui, dans les idiomes germaniques, signifiait rigoureux conseil (fest rath). Avant le jugement des Thuringiens, Charles avait eu à faire rentrer dans le devoir d’autres vassaux rebelles. C’étaient les Bretons de la péninsule armoricaine. Ce peuple, rejeté des îles océaniques par l’invasion anglo-saxonne, n’avait jamais été réellement incorporé à la monarchie franke. Les rois mérovingiens l’avaient simplement assujetti à un tribut annuel. Il prétendit s’affranchir, et choisit pour le faire un moment bien défavorable. Son insurrection éclata juste au moment où la cessation de la guerre de Saxe laissait à Charles la disposition de toutes ses troupes. Le sénéchal Audulf, à la tête de quelques scares, vint aisément à bout de cette manifestation sans consistance. Les Bretons durent non seulement se soumettre au tribut, mais reconnaître en toutes choses la souveraineté du roi frank. Audulf amena à Worms, au mois d’août 786 et pendant la tenue du plaid, les otages livrés par les vaincus, au nombre desquels figuraient les principaux chefs de la contrée[18]. Ainsi se raffermissaient les frontières du royaume carolingien. Au delà même des Pyrénées, sans que le désastre de Roncevaux eût été réparé par les armes, l’influence franke se rétablissait d’elle-même, grâce au prestige des victoires remportées dans le Nord. Aussitôt après la fin de la guerre saxonne, les gouverneurs de Girone et d’Urgel, dans la Marche d’Espagne, avaient de nouveau sollicité le protectorat de Charlemagne, et s’étaient placés sous sa suzeraineté[19]. Maintenant enfin le roi pouvait donner tous ses soins à l’affermissement de sa domination, toujours indécise dans les duchés de Bénévent et de Bavière. L’alliance d’Arigis avec l’empire était alors bien relâchée, sinon tout à fait rompue : on le voit, en 786, en guerre ouverte avec les Amalfitains, sujets grecs du duché de Naples. Cette circonstance, dont il fut informé par une lettre du pape[20], ne fut sans doute pas étrangère au projet, que Charlemagne réalisa à la suite de l’assemblée de Worms, de passer en Italie. Il franchit les Alpes vers la fin de l’automne ; s’arrêta à Florence durant les fêtes de Noël, puis se dirigea sur Rome, où il ne séjourna que le temps nécessaire pour se concerter avec Adrien. Entrant résolument en campagne, au cœur même de l’hiver, il pénétra en force sur le territoire de son vassal insoumis, et il vint prendre ses quartiers à Capoue. Au premier bruit de son approche, Arigis s’était hâté de faire la paix avec les Napolitains. Mais il n’osa pas mettre en ligne sa petite armée ducale en face des soldats franks. Au lieu de combattants, ce fut une ambassade qu’il envoya au-devant de Charlemagne. Malheureusement le chef de cette ambassade, Romuald, fils aîné du duc, n’apportait que des présents et de vagues déclarations à l’endroit des sentiments de son père ; il n’avait pas de pouvoirs pour conclure une convention sérieuse. Charles, de son côté, n’était pas disposé à se contenter de paroles ; il lui fallait des engagements catégoriques appuyés de solides garanties. Romuald, dont la mission lui parut plus que suspecte et dans tous les cas absolument inutile, se vit retenu au quartier royal, jusqu’à ce qu’Arigis eût fourni des témoignages plus explicites de ses résolutions. Les demandes signifiées à ce dernier étaient d’ailleurs parfaitement nettes. Il lui était enjoint de reconnaître la souveraineté directe et immédiate du roi frank Pépin, de restituer au saint-siège les patrimoines de l’Église enclavés dans le duché de Bénévent et qu’il avait soustraits à l’administration pontificale, enfin de fournir bonne caution de sa conduite à venir. En cas de refus, la province de Bénévent devait être traitée en pays conquis, et son duc en vassal rebelle. Le sort de Rothgaud donnait à une telle menace une signification aussi sinistre que précise. Il n’en fallait pas tant pour abattre l’orgueil du gendre de Desiderius. Déjà, ne se sentant plus en sûreté dans sa capitale, il avait déserté le palais sacré des Langobards, où, depuis douze ans, il prétendait avoir relevé le siége libre de la monarchie d’Alboin. Ce fut dans le port de Salerne que, fugitif et prêt à s’en aller par mer partager la fortune de son beau-frère Adelgis, il reçut l’ultimatum du véritable maître de cette monarchie. Trop heureux de sauver sa dignité au prix même de sa puissance effective, il ratifia d’avance toutes les conditions qui lui seraient imposées et chargea son second fils, Grimoald, avec les évêques de Salerne et de Bénévent, d’apporter cette humble réponse à Capoue. Le jeune négociateur, en vertu de ses pleins pouvoirs, opéra la remise des cités de Sara, Arce, Aquino, Arpino, Trano et Capoue, qui furent réunies aux États pontificaux, et souscrivit la promesse d’une redevance annuelle de sept mille sous d’or (environ six cent trente mille francs de notre monnaie actuelle). Des délégués royaux allèrent aussitôt recevoir le serment de fidélité du duc et de tous les sujets bénéventins, et Arigis leur livra douze otages nouveaux, parmi lesquels figurait l’auteur même du traité, le jeune Grimoald. Charles, en échange du cadet, remit Romuald en liberté, et regagna Rome, où il célébra les fêtes de Pâques (787)[21]. Le coup frappé à Bénévent ne tranchait qu’à moitié le nœud gordien, si savamment compliqué, des vieilles intrigues langobardes. Indépendamment de la cour de Byzance, où le traité de Capoue imprima à la politique une direction qui sera examinée plus loin, cet événement devait produire en Bavière un contrecoup immédiat et décisif. Rien jusqu’ici n’avait pu détacher le prince agilulfing de la cause des Germains d’Italie. Les traditions séculaires de sa race, consacrées et ravivées par son mariage avec une des filles de Desiderius, étaient plus fortes que les velléités de soumission ou les terreurs passagères qui de loin en loin l’avaient ramené aux pieds du monarque frank. Sous ce rapport, la démarche de 781 n’avait pas eu plus de sincérité, ou du moins des conséquences plus durables, que toutes lés précédentes. Cinq ans après, il affectait de nouveau les allures d’un souverain indépendant, et dans une circonstance des plus compromettantes. Ayant eu une contestation de limites avec un comte frank du Tyrol, vers les sources de l’Adige, au lieu d’en référer au jugement de leur suzerain commun, le duc des Baïvares fit de lui-même la guerre à son voisin. Or, soit calcul, soit coïncidence fortuite, son attaque contre le royaume carolingien d’Italie eut lieu dans le temps même où Charlemagne entreprenait de faire rentrer Bénévent dans le devoir. Le mouvement parut concerté entre les deux beaux-frères, et rien d’ailleurs n’est plus naturel à supposer qu’un pareil accord quand on considère le passé de Tassilon. Quoi qu’il en soit, après la défaite d’Arigis, il comprit que l’orage allait fondre sur lui, et, selon son habitude, il recourut à l’intervention du clergé pour obtenir le pardon du roi avait si souvent offensé. Heureusement pour lui, ses défections périodiques et les vaines tentatives de sa diplomatie n’avaient jamais entravé d’une façon sérieuse la politique carolingienne. Cette démonstration de son impuissance, en dépit de ses infidélités avérées, lui rendait encore assez faciles les voies du raccommodement. Le pape Adrien, dont, pour la seconde fois, il invoqua l’appui, ne le lui refusa pas, et s’efforça de préparer l’esprit de Charlemagne à la miséricorde. Une ambassade bavaroise arriva à Rome pendant que le roi frank y séjournait encore, à la suite de sa campagne de Capoue. Mais les envoyés du duc, l’évêque de Salzburg et un abbé nommé Heinrich, dont on ignore le siége, avec lesquels le pontife, muni des pleins pouvoirs de Charles, essaya de régler à l’amiable les conditions de la paix, n’avaient pas d’instructions qui leur permissent de profiter de ces dispositions favorables. Leur mission, au fond, était un pur moyen dilatoire ; Tassilon réclamait le pardon du passé sans vouloir engager l’avenir. Aux questions nettes et catégoriques de l’auguste plénipotentiaire de Charles, les négociateurs baïvares ne purent rien dire, sinon qu’ils étaient seulement chargés de reporter à leur maître la réponse du roi et celle du pontife. C’était l’accusé qui prétendait faire l’interrogatoire de ses juges ! Grande fut l’indignation d’Adrien, d’être ainsi pris pour dupe. Il menaça Tassilon de l’anathème s’il ne tenait ses serments antérieurs, déclarant que, dans ce cas, le roi et son armée, provoqués à la guerre, ne seraient coupables d’aucun péché pour les homicides, les incendies et les autres maux qui arriveraient en Bavière[22]. — Fleury[23] signale là le premier exemple d’une déclaration solennelle émanée du saint-siège sur ce grand principe des responsabilités de la guerre, qui, privé de sanction aujourd’hui plus que jamais, se trouve, au bout de dix siècles, non moins méconnu, non moins faussé dans l’intelligence du peuple, qu’à l’époque la plus barbare de notre histoire. Charles, rentré dans ses États, attendit vainement à Worms son vassal récalcitrant, qu’il y avait mandé. L’assemblée convoquée en cette ville pour recevoir la soumission de Tassilon se termina par une déclaration de guerre contre le rebelle (Champ de mai 787). L’expédition, dont Charlemagne avait prévu la nécessité, était déjà tout organisée. Elle commença sur-le-champ avec un déploiement de forces considérable. Trois corps d’invasion se mirent en marche en même temps. Pépin, avec ses Italo-Franks, reçut l’ordre de son père de s’acheminer par la vallée de l’Adige, afin de forcer, sur la rivière d’Ens, la frontière méridionale de la Bavière. Une seconde armée, composée des Franks orientaux, des Thuringiens et des Saxons, était destinée à opérer dans le nord et vint prendre ses positions à Pferinga (aujourd’hui Pforingen), près du Danube. Enfin Charlemagne lui-même, à la tête des Neustriens, des Bourguignons et des Aquitains, traversa l’Allemanie, dont, chemin faisant, il rallia les milices, et parut bientôt devant Augsburg, clef de la frontière orientale. Tassilon, de son côté, n’avait pas négligé les préparatifs de défense. Poussé à un parti extrême, sans doute par les implacables ressentiments de sa femme, il n’avait pas reculé devant les menées les plus criminelles pour relever sa fortune et, du même coup, réaliser ce rêve chimérique de toute sa vie, qui consistait à chasser les Franks de l’Italie et de la Germanie. Les alliés sur lesquels il comptait, dont il avait peut-être sollicité le concours dans le temps même qu’il feignait de se rapprocher du roi, ce n’étaient pas seulement les Grecs, mais bien aussi des peuples barbares et païens, dont les hordes ne cherchaient qu’une occasion de déborder sur la chrétienté : les Huns-Avares et les Slaves. Telle était l’importante négociation qui l’occupait pendant que Charlemagne, à Worms, n’attendait de lui qu’une simple prestation de serment pour lui confirmer l’intégrité de son territoire et une situation de vassal égale en autorité et en prestige à celle des deux princes royaux investis du gouvernement direct de l’Italie et de l’Aquitaine. Mais la prompte irruption des Franks le surprit : ses auxiliaires n’étaient pas prêts. Les Grecs d’ailleurs, on le sait, ne l’étaient jamais dès qu’il s’agissait de combattre ; quant aux Huns et aux Avares, il n’était pas facile de former une coalition sérieuse de leurs bandes indisciplinées. Mal soutenu, même par ses propres sujets de race baïvare, chrétiens zélés et que l’appel fait par leur chef aux païens avait épouvantés comme un sacrilège, Tassilon se trouva une fois de plus obligé de se rendre à merci et de solliciter le pardon de Charlemagne. Il se présenta, comme un suppliant, au camp d’Augsburg, et accomplit la cérémonie symbolique du vasselage, en offrant au souverain un bâton dont l’extrémité sculptée avait la forme humaine et que le roi lui remit ensuite entre les mains. Cela fait, il demeura libre sur parole jusqu’au Champ de mai suivant, où il promit d’apporter son serment solennel de fidélité et celui de tout son peuple[24]. En garantie de cet engagement, son fils Théodon fut retenu seul en otage. Au demeurant, l’inaction de ses alliés lui avait été plus avantageuse que n’eût pu l’être leur concours le plus empressé. Charlemagne, en effet, se retira aussitôt, sans soupçonner, ou du moins en feignant d’ignorer, les relations compromettantes du prince agilulfing. Rassuré de ce côté, désespérant aussi, sans doute, de réussir dans une lutte ouverte contre les forces réunies de l’empire frank, il se résigna à comparaître devant le mallum national rassemblé à Ingelheim au printemps de 788. Mais là ses leudes eux-mêmes témoignèrent contre lui et fournirent les preuves irrécusables de ses intrigues avec les ennemis du nom chrétien. Accablé par ces révélations imprévues, il n’essaya pas même de se défendre : il fit des aveux complets, d’ailleurs tout à fait superflus. Convaincu du crime de haute trahison, que les codes barbares appelaient herisliz, l’assemblée le condamna à mort[25]. Mais le roi, en considération de leur parenté, lui fit grâce de la vie. L’intérêt absolu des nations civilisées lui interdisait pourtant de laisser aucun pouvoir et même la liberté à un conspirateur aussi opiniâtre. Sa peine fut celle de toutes les grandes victimes des révolutions politiques dans ces âges de foi : il fut relégué dans un monastère. Mais ce descendant d’une des plus vieilles dynasties de la Germanie ne subit pas, comme tant de Mérovingiens, l’humiliation de perdre, avec le rang suprême, la longue chevelure qui marquait la noblesse de son extraction. Il ne fut pas tondu, mais seulement tonsuré dans l’abbaye de Saint-Nazaire (sur le Rhin), où il reçut l’habit monastique, pour être ensuite envoyé au fond de la Neustrie, à Jumièges. Pareille sentence frappa indistinctement tous les membres de la famille ducale. Non seulement la femme de Tassilon, Liudberge, l’intrigante langobarde, cause immédiate de la catastrophe, et son fils aîné, Théodon, complice des manœuvres de son père, et d’ailleurs son otage responsable, mais encore ses neuf autres enfants, dont l’histoire n’a pas même enregistré les noms et dont le seul crime était de perpétuer une race proscrite, ne purent sauver leur vie qu’en prenant le froc ou le voile. Le repos du monde exigeait qu’ils s’éteignissent dans l’obscurité. Le chef de la famille, Tassilon, est le seul que les historiens ne perdent pas absolument de vue dans sa retraite. Ils semblent insinuer qu’il prit aisément son parti de sa déchéance : il vécut dans le cloître aussi pieusement qu’il y était entré de bon cœur, dit, en forme de conclusion, l’annaliste Angilbert[26]. Encore le vague de ces termes corrélatifs laisse-t-il place, au fond, à toutes les hypothèses sur la nature des sentiments qu’une chute aussi profonde mit au cœur du dernier des Agilulfings. Ainsi tomba, devant l’inéluctable prépondérance des Franks, la dernière des libres dynasties germaniques. Depuis que l’Église, en l’adoptant pour sa tille aînée, l’avait placée à la tète de la civilisation européenne, la jeune monarchie fondée par Clovis avait, en l’espace de deux siècles, subjugué, dompté, dénationalisé tous les peuples de la grande famille teutonique. Allemans, Burgondes, Thuringiens, Wisigoths d’Aquitaine, Langobards, Saxons étaient venus tour à tour se fondre dans la grande unité de l’empire catholique des Franks. Les l3aïvares eurent le même sort ; ils perdirent cette fois, pour jamais, les derniers vestiges de leur autonomie. Leur pays, la Bavière, qui s’étendait alors depuis le cours du Lech jusqu’à celui de l’Ens et comprenait une partie du moderne archiduché d’Autriche, fut, comme toutes les autres conquêtes carolingiennes, partagé en comtés et réduit au rang de simple division administrative du royaume. Charlemagne, en vingt ans de règne, avait enfin achevé cette constitution politique de la chrétienté, qui était la mission particulière de sa race. Il avait étendu sa domination et organisé un système de gouvernement uniforme sur toutes les contrées de langue romane et de langue tudesque. L’Elbe et le Danube formaient vers le nord la limite naturelle de son empire. Cette limite, il est vrai, ne laissait pas de présenter, au point de vue ethnographique, des irrégularités dont l’avenir démontrera bientôt le péril. D’abord il restait encore au delà de l’Elbe, entre l’embouchure du fleuve et les côtes de la Baltique, quelques tribus saxonnes, échappées, grâce à cette situation, à la conquête. Les îles danoises et scandinaves étaient aussi peuplées de Germains. Cette population maritime, désignée par les autres Germains sous la vague dénomination de Confédération des hommes du Nord ou Normands, était hors d’état de faire aucune entreprise continentale et n’inspirait pas d’inquiétude à Charles. Mais les libres espaces de l’Océan lui étaient ouverts ; elle y avait déjà lancé ses flottilles de hardis navigateurs, qui, dès cette année (788), commencèrent à exercer leurs déprédations sur les côtes anglaises. La France, à son tour, devait les connaître, et du vivant même de Charlemagne. Le grand roi ne se doutait pas, alors qu’il était à l’apogée de sa puissance, que cette poignée de pirates, qu’il avait dédaigné de vaincre, renverserait un jour sa dynastie. Il en eut bientôt, il est vrai, le pressentiment. Mais déjà le mal avait fait de tels progrès que le remède était impossible, et l’on verra la pensée de cette irréparable erreur, dont nul autre ne comprenait comme lui la gravité, assombrir la vieillesse du clairvoyant monarque. Le reste de la rive droite de l’Elbe, depuis le Holstein jusqu’à la Bohême, longeait des tribus slaves qui, n’ayant pas à craindre pour leur indépendance du côté du royaume chrétien, songeaient moins à l’attaquer qu’à se ménager son appui dans leurs dissensions intestines. Au contraire, entre les sources de l’Elbe et le cours du Danube, de même qu’au sud de ce dernier fleuve, la frontière, ouverte du côté de la Pannonie, était bordée par d’autres peuplades slaves et tartares dont les dispositions n’étaient rien moins que rassurantes. La perfidie de Tassilon, qui avait suggéré des plans d’invasion à ces dangereux voisins, nécessitait sur ce point la plus active surveillance. Mais la frontière la plus vulnérable et qui réclamait des secours immédiats, c’était le duché de Bénévent, confié à la garde d’Arigis, dont les menées venaient justement de déterminer une rupture entre Charlemagne et le gouvernement impérial. III L’alliance franke, recherchée en 781, rentrait mal dans le système général et traditionnel de la politique byzantine. Aussi cette combinaison, essayée par l’impératrice Irène dans un intérêt tout, personnel, devait être aisément sacrifiée à un intérêt contraire, et c’est ce qui arriva en 787. Néanmoins le rapprochement passager qu’elle opéra entre l’Orient et l’Occident eut un résultat considérable au point de vue de l’union religieuse des deux mondes : ce fut la tenue à Nicée du septième concile œcuménique, convoqué par Irène et son fils, sous les auspices du saint-siège. Le but de cette assemblée fut la condamnation de l’erreur iconoclaste. L’orthodoxie de l’impératrice et surtout le zèle d’un prélat pieux, élevé en 784 au siége patriarcal de Constantinople, avaient en peu de temps amené tous les esprits à souhaiter le retour de l’Église nationale schismatique à la communion romaine. Élu patriarche par les suffrages unanimes de la cour et du peuple, Taraise mit cette condition expresse à son acceptation. S’adressant à la foule qui acclamait son nom : Chrétiens, dit-il, écoutez un homme que vous ne désirez pour patriarche que parce que vous ne le connaissez pas... Nous vivons dans un temps d’orage ; vous avez besoin d’un pilote expérimenté pour gouverner cette Église. L’héritage de Jésus-Christ est déplorablement agité. Tout est chrétien, tout professe la même foi ; les eaux du baptême coulent sans obstacle et couvrent toute la terre, depuis l’Euphrate jusqu’aux extrémités de l’Occident ; mais, dans cette unité de profession, que de contrariétés, que de voix discordantes ! L’Occident anathématise l’Orient ; l’Orient même est partagé. Combien d’Églises ne sont-elles pas séparées de celle de Constantinople ! A ces maux il n’y a qu’un remède je le demande à nos très pieux empereurs (Constantin et Irène, qui gouvernaient ensemble), et je présume assez de votre piété pour croire que vous le demandez tous avec moi. Un concile universel est le seul lien qui puisse rejoindre le christianisme divisé. Pour moi, j’ai tant de confiance dans cette réunion de lumières, que je me flatte qu’elles suppléeraient à la faiblesse des miennes ; je puiserais à cette source abondante les vertus qui me manquent ; et dans cette espérance, si nos princes veulent ordonner la célébration d’un concile, j’accepte la dignité dont vous m’honorez. Autrement, souffrez, mes frères, que je ne m’expose pas à paraître un jour couvert d’anathème et déjà condamné devant ce juge terrible des mains duquel ni la puissance des empereurs, ni tous les peuples de la terre, ne pourraient me délivrer[27]. Un cri général s’éleva pour demander la convocation du concile, et Irène s’empressa d’y acquiescer. Au commencement de l’année 785, le pape Adrien reçut, avec les lettres synodales et la profession de foi du nouveau patriarche, un message impérial pour lui demander de présider, en qualité de chef suprême du sacerdoce, l’assemblée générale des pasteurs de l’Église. Constantinople avait donné tant de preuves de sa versatilité religieuse et de sa malveillance à l’égard du saint-siège, qu’Adrien ne crut pas devoir s’y rendre en personne. Mais il applaudit au projet de concile et accrédita deux légats pour l’y représenter. Dans le bref adressé à cette occasion aux princes d’Orient (26 octobre 785), il n’hésite pas à signaler la grande révolution accomplie en Europe par le fait et au détriment de l’empire grec ; il montre la royauté franke investie maintenant de la mission civilisatrice de l’ancien empire, négligée par les successeurs du grand Constantin. En traçant à Irène et à son fils la conduite qu’il leur convient de tenir vis-à-vis du saint-siège injustement spolié par les iconoclastes, l’exemple qu’il les engage à imiter, c’est celui de Charlemagne. Lui, écrit-il, en suivant nos conseils et en se conformant à nos désirs, a soumis à sa puissance toutes les nations barbares de l’Occident. Il a donné à l’Église romaine, à perpétuité, des provinces, des villes, des châteaux et des patrimoines qui étaient détenus par les Langobards, quoique appartenant de droit à saint Pierre, et il ne cesse pas de lui offrir tous les jours des sommes d’or et d’argent pour l’entretien du luminaire et pour la nourriture des pauvres[28]. Le concile, ouvert le 17 août 786 à Constantinople, ne put siéger. Une émeute militaire l’en chassa. L’armée seule tenait encore pour la doctrine iconoclaste ; mais son attachement était aussi passionné que peu désintéressé. La soldatesque de Copronyme et de Léon le Khasar, habituée depuis longtemps, dans les expéditions de guerre, à grossir son butin des images et des ornements précieux des églises, fondait ses préférences théologiques sur un simple calcul de cupidité. Son hostilité n’était que plus dangereuse dans un État où la religion suivait si docilement les fluctuations de la politique et où la politique était le plus souvent à la merci des gens de guerre. Irène eut l’habileté de conjurer le péril, en éloignant les troupes sous de vains prétextes de service aux frontières. Une fois dispersés, les détachements de ces turbulents théologiens furent licenciés. Mais il fallut plus d’un an pour rétablir l’accord gravement compromis dans cette échauffourée, et ce fut seulement le 24 septembre 787 que les Pères se réunirent de nouveau, non plus au milieu des agitations de la capitale, mais à Nicée, ville de l’Asie Mineure, déjà célèbre par la tenue du premier concile œcuménique. Leurs travaux occupèrent sept séances, et se terminèrent le 13 octobre par le rétablissement du culte des images et par une définition générale de la foi catholique. On verra plus loin quel effet la publication des actes du concile de Nicée produisit en Occident, et en particulier dans l’entourage de Charlemagne. Dans le temps même où ce grand événement s’accomplissait, le souverain pontife eut occasion de reconnaître que, si les Grecs consentaient à lui donner satisfaction sur le terrain des questions purement dogmatiques, ils n’avaient pas pour cela renoncé à contrecarrer l’exercice de son pouvoir temporel en Italie, mus sans doute par l’arrière-pensée naïvement égoïste de ramener sous leur tutelle politique cette papauté, dont l’ascendant moral avait ressaisi leurs consciences. Les deux beaux-frères, Adelgis et Arigis, ne manquaient pas d’exciter, chez les chefs du gouvernement impérial, ce sentiment de jalousie inquiète vis-à-vis des grandes puissances de l’Occident. La campagne victorieuse de Charlemagne contre Bénévent, au printemps de cette même année, paraît du reste avoir causé de vives alarmes aux Grecs, en avançant les limites réelles de l’empire frank jusqu’à la porte des quelques cités qui dépendaient encore du patricial de Sicile, le long du littoral napolitain et dans les Calabres. Une ambassade byzantine vint aussitôt trouver le roi à Capoue[29]. On ignore les péripéties de cette conférence ; mais elle aboutit à la rupture du mariage projeté entre le jeune Constantin Porphyrogénète et la princesse Rothrude. Les historiens des deux nations sont en complet désaccord sur le motif de cette rupture, chacun attribuant à son propre souverain l’initiative du refus et l’honneur d’avoir donné congé à l’autre. Les raisons sont plausibles des deux côtés. Si Charlemagne reconnut l’impossibilité de concilier l’intérêt du saint-siège, dont il avait la garde, avec les prétentions vivaces de la cour orientale, l’altière Irène devait redouter de donner l’appui du roi frank au fils sur lequel elle exerçait et tenait à conserver une influence despotique. L’avenir ne mit que trop en lumière les calculs ambitieux de cette mère dénaturée. Du reste, aussitôt après les négociations de Capoue, en dépit des regrets de Constantin pour sa fiancée carolingienne, elle lui lit épouser de force une jeune Arménienne, dont la naissance obscure ne portait pas d’ombrage à l’impératrice mère. La ligue gréco-langobarde, aussitôt reformée, attendit à peine le départ de Charlemagne pour reprendre ses menées dans l’Italie méridionale. Arigis, humilié mais non découragé, avait hâte de secouer le joug de son vainqueur : il se flattait de ressaisir son ancienne indépendance avec l’aide et sous le protectorat moins onéreux de l’empire grec. Afin de se faire bien voir des alliés dont il escomptait ainsi l’assistance, il commença par exciter en leur faveur les sympathies de quelques villes de Toscane, récemment attachées par le roi Frank au domaine de Saint-Pierre. Ses émissaires travaillèrent si bien auprès des habitants de Terracine et des cités environnantes, que ceux-ci offrirent, en effet, leur soumission au patrice de Sicile. Les légats pontificaux essayèrent vainement à deux reprises de rétablir dans cette contrée l’autorité du saint-siège ; force fut à Adrien d’en appeler au roi Charles[30], alors tout occupé des affaires de Bavière, et de réclamer de lui des mesures de répression contre les manœuvres perfides du duc de Bénévent. On ne connaissait pourtant encore que la moitié de la trahison d’Arigis. Ses députés étaient déjà à Constantinople, chargés de proposer la réunion, sous le sceptre impérial du territoire de Bénévent à celui de Naples, à la condition que l’administration des deux duchés serait conférée à leur maître avec le titre de patrice. Celui- ci demandait, pour opérer cette annexion ou du moins pour la défendre, l’envoi immédiat d’une armée sous les ordres d’Adelgis ; il promettait de se faire, si l’on peut ainsi parler, naturaliser sujet grec, de reconnaître en tout la souveraineté de l’empereur et d’adopter le costume de sa nouvelle patrie. Irène s’empressa de souscrire à un marché si avantageux. Bientôt deux officiers de son palais abordèrent en Italie, apportant à Arigis les vains simulacres de la dignité qu’il avait réclamée : des habits tissus d’or, une épée, un peigne et des ciseaux, pour lui couper les cheveux à la grecque. L’armée de secours lui était également accordée, et Adelgis devait la faire débarquer très prochainement au point le plus propice du littoral. Mais, quand les messagers impériaux arrivèrent à Bénévent, Arigis venait de mourir, précédé de quelques jours dans la tombe par son fils aîné, Romuald. Le cadet restait toujours entre les mains de Charlemagne, incapable par conséquent de recouvrer ses États sans répudier la politique paternelle. Sa veuve, Adelberge, était, il est vrai, ardemment dévouée à la cause byzantine ; elle avait dirigé le trésor ducal sur Tarente, où elle comptait se rendre elle-même avec ses filles, dans le but de favoriser les entreprises de son frère Adelgis, dès qu’il aurait pris terre. Mais, en attendant l’ouverture des hostilités, la situation de cette femme était ambiguë et perplexe. Charlemagne avait, à la prière du pape, envoyé des délégués pour arrêter l’agitation séparatiste de Terracine et des autres villes toscanes. Adelberge avait d’autant plus d’intérêt à dissimuler devant les Franks, que de leur rapport dépendrait la décision du roi à l’égard de Grimoald. Quel succès, quelle revanche pour la fille de Desiderius, si elle pouvait faire donner par Charlemagne l’investiture du duché de Bénévent à un jeune prince en qui elle se flattait de trouver un exécuteur docile du traité secret d’Arigis ! Tel était le plan qu’elle avait conçu, et dont la réalisation paraissait déjà assurée, quand les deux écuyers impériaux se présentèrent au palais de Bénévent, conduits par le gouverneur de Sicile. Adelberge n’était plus alors dans sa capitale. Sans quitter son duché, elle avait cru prudent de se rapprocher des possessions grecques, et elle tenait provisoirement sa cour, ou plutôt son conciliabule, à Salerne[31]. C’est là que la députation byzantine vint s’aboucher avec elle (20 janvier 788). Ils trouvèrent les conspirateurs dans toute la joie d’un premier triomphe et débarrassés de toute crainte du côté de la France. Les envoyés de Charlemagne, aux prises avec des adversaires aussi rompus à l’intrigue, n’avaient pas plus que d’habitude réussi sur le terrain diplomatique, bien que leur roi leur eût prescrit de se concerter d’abord avec le pape. Ils s’étaient, en effet, rendus à Rome vers la. fin de l’année précédente, au nombre de cinq, trois ecclésiastiques et deux officiers palatins : les diacres Hatton et Joseph, l’abbé Maginer, le chambellan Gotheramn et le comte Liuderic. Adrien leur donna les instructions les plus minutieuses sur la conduite à tenir vis-à-vis de la veuve d’Arigis. Il ignorait encore les négociations conclues à Constantinople ; mais il savait de combien d’embûches ils allaient être environnés au milieu de la population langobarde : il leur recommanda, par-dessus tout, de ne se séparer les uns des autres en aucune circonstance et sous aucun prétexte. Mais le conseil fut vite oublié. Hatton et Gotheramn, partis les premiers, dédaignèrent d’attendre leurs compagnons à la sortie du duché de Spolète, comme ils l’avaient promis. Ils poussèrent ensemble jusqu’à Bénévent, puis de là à Salerne, où Adelberge était déjà rendue. Sur ces entrefaites, arrivaient à Rome dix des principaux citoyens de Capoue. Cette ville ayant été, comme on l’a vu, détachée par Charlemagne du duché de Bénévent et réunie au domaine de l’Église, ses représentants venaient, en exécution d’un ordre royal, jurer fidélité au saint-siège. Après avoir prononcé le serment dans la Confession de saint Pierre, le chef de l’ambassade, le prêtre Grégoire, demanda à Adrien un entretien secret. Il avait à faire, lui dit-il, des révélations graves que son serment ne lui permettait plus de cacher. Il mit le souverain pontife au courant de toute la trame ourdie entre les Langobards et les Grecs. Il lui apprit le projet d’annexion de la province de Bénévent, le débarquement prochain d’Adelgis, la complicité de sa sœur, leurs vues sur Grimoald, servies à souhait par l’insigne maladresse des envoyés franks, qui, après les avoir exposés aux plus grands périls, avait abouti à faire de l’un d’eux la dupe de la ligue ennemie et son avocat officieux auprès de Charlemagne[32]. Voici, en effet, ce qui s’était passé depuis un mois. A Salerne, on avait amusé par de vaines paroles Hatton et Gotheramn, en attendant l’arrivée de leurs trois compagnons. Cependant les Langobards de la ville, d’accord avec leurs voisins d’Amalfi et de Sorrente et avec les Grecs de Naples, avaient formé l’odieux dessein de se débarrasser, dans un guet-apens nocturne, de ces naïfs étrangers. On devait, après avoir donné une conclusion quelconque à leur ambassade, les faire sortir du côté de la mer, comme pour les embarquer, et sur la plage déserte les égorger à l’improviste. On aurait ensuite répandu le bruit que les auteurs de cette mort étaient des Napolitains, qui auraient frappé sur les Franks, les prenant pour des Bénéventins. Par bonheur, le complot fut révélé à temps aux ambassadeurs. Gotheramn parvint à s’échapper de la ville, et, en rebroussant chemin vers l’État pontifical, il rencontra les trois retardataires, qu’il entraîna dans sa fuite. Mais ils n’osèrent pousser jusqu’à Borne et se présenter devant le pape. A peine en sûreté sur le territoire de Spolète, ils lui adressèrent une relation de leur aventure, en le priant de demander à Charlemagne de nouvelles instructions pour eux. Quant à Hatton, n’ayant pu sortir de Salerne, il s’était réfugié dans une église de la ville, et, la main sur l’autel, avait invoqué le droit d’asile. Leur coup manqué, les Bénéventins ne voulurent pas se compromettre davantage par un attentat isolé et dès lors inutile. Au contraire, ils firent tout pour calmer ses craintes, le traitèrent avec beaucoup de douceur, et finirent par lui persuader que ses terreurs étaient purement chimériques. Si bien qu’en se faisant rapatrier par la voie de mer, il leur promit d’appuyer près de son maître la candidature de Grimoald au duché de Bénévent. Peut-être, au fond, s’applaudissait-il d’avoir été ainsi servi par les circonstances et de recueillir seul l’honneur de cette délicate mission, pacifiquement accomplie. A peine était-il éloigné, que les émissaires grecs arrivaient à leur tour. Ils n’eurent qu’à recueillir des présages de bon augure. Toutes les difficultés semblaient aplanies. Grimoald, appuyé par Hatton, ne pouvait manquer d’être nommé duc. Aussitôt installé, il exécuterait le traité paternel, d’autant moins libre de s’en dégager, que ses futurs sujets juraient de rester inviolablement fidèles à l’empire. Il ne fallait donc plus que de la patience et du calme. On invita les écuyers de l’empereur à se rendre sur leur propre territoire, à Naples, pour observer de là les événements sans éveiller les soupçons du gouvernement frank. Reconduits en grande pompe, le 23 janvier, par une escorte langobarde, la population enthousiaste de Naples les reçut comme des Conquérants, bannières déployées. L’évêque Étienne, adversaire acharné de l’autorité pontificale et franke, s’adjoignit à eux, et, par leur intermédiaire, les négociations, les intrigues continuèrent plus actives que jamais entre Bénévent et Constantinople[33]. Le pape avait, lui aussi, des correspondants dévoués, notamment l’évêque de Gaëte, qui ne lui laissait rien ignorer des machinations de ses ennemis. Il mit Charlemagne en garde contre les rapports trop optimistes de Hatton, en lui adressant le récit de tout ce qui vient d’être raconté. Bientôt après, il lui signale la présence d’Adelgis en Calabre, coïncidant avec un commencement d’agitation dans la Pentapole. Il le presse de se préparer à une lutte inévitable et le sollicite surtout de ne pas s’en tenir aux demi-mesures. Mettez, lui dit-il, les Bénéventins en demeure de se prononcer nettement et sans délai. Quand même ils feraient leur soumission complète, gardez-vous de leur accorder Grimoald pour duc ; prenez, au contraire, toutes les précautions nécessaires pour assurer définitivement la tranquillité de l’Église. Que s’ils montrent la moindre hésitation à remplir leurs devoirs, expédiez une armée, et qu’elle soit ici au 1er mai. Le but de vos ennemis est de vous tenir dans l’indécision jusqu’au delà de cette date, afin de profiter contre vous des chaleurs de l’été. Si vous laissez passer l’époque favorable pour entrer en campagne, au mois de septembre il sera trop tard, et, dans l’intervalle, Adelgis vous aura causé de rudes embarras[34]. Tels étaient les points sur lesquels Adrien insistait, et il demandait l’envoi immédiat de nouveaux délégués, avec des instructions et des pouvoirs suffisants pour déjouer tous les subterfuges des Langobards et tirer au clair la situation. Cette fois encore, la politique royale s’écarta, et non sans grand dommage, comme on le verra, de la ligne rigoureusement logique que la clairvoyance du pape lui avait suggérée. Les conseils de Hatton triomphèrent et Grimoald ne tarda pas à arriver à Bénévent en qualité de duc légalement investi. Présomptueux ou dissimulé, ce jeune homme n’avait reculé devant aucune protestation de dévouement pour gagner la confiance de son suzerain. Un séjour d’une année à la .cour carolingienne et la générosité de Charles à son égard parurent alors avoir dissipé en lui le vieux levain d’hostilité langobarde. Dans tous les cas, il jugeait au moins prudent de ne pas braver à la légère une puissance qu’il avait appris à connaître de près. En reparaissant parmi ses compatriotes, il démentit donc toutes les espérances que la ligue byzantine avait fondées sur lui, et il se montra le représentant fidèle et le restaurateur jaloux de l’autorité franke. Il est vrai qu’il ne prit pas la peine de ménager les susceptibilités ni même les intérêts du pape qui l’avait desservi. A Capoue, ville pontificale, il affecta de proclamer qu’il était autorisé par Charlemagne à recevoir le serment de quiconque, grand ou petit, préfèrerait la domination ducale à celle d’un autre seigneur[35]. C’était provoquer ouvertement la défection des sujets du saint-siège. Le conflit s’accentua bien davantage encore à propos de certaines villes du territoire même de Bénévent, que Charles avait réunies au patrimoine de Saint-Pierre. C’est justement à l’occasion de la revendication de ces villes qu’Adrien avait espéré voir surgir, entre les agents de Charlemagne et les chefs langobards, le casus belli nécessaire, selon lui, pour démasquer les sourdes menées de ces derniers et étouffer dans son germe la révolution qu’ils préparaient. Il n’en fut rien. Les délégués franks chargés de faire exécuter la donation de leur maître se trouvèrent avoir à traiter, non pas avec un corps politique suspect et sans mandat comme celui qui s’était formé autour d’Adelberge pendant quelques mois, mais avec Grimoald, représentant, lui aussi, des intérêts de la monarchie carolingienne. Ils s’avisèrent de trancher le différend par une sorte de transaction aussi contraire, il faut le reconnaître, à l’esprit de la donation royale qu’aux prétentions du saint-siège, auquel les droits utiles furent seuls attribués, tandis que le pouvoir séculier fut maintenu en possession de la juridiction civile. Les plaintes très vives que le pape adressa, à ce sujet, à la cour carolingienne n’eurent pas de résultat, du moins immédiat. Charlemagne ferma les yeux sur l’ambition de son jeune vassal, en considération de son attitude nette et énergique en face de l’invasion grecque. Les troupes impériales, en effet, débarquées sous les ordres d’Adelgis, de Jean le Trésorier et du patrice de Sicile, prirent le parti d’attaquer, dans le courant de l’été, le duché de Bénévent, que Grimoald, sourd aux sollicitations de sa mère, refusait de leur liVrer. De son côté, le roi Charles avait suivi, quant aux préparatifs militaires, les habiles conseils du souverain pontife. Il avait fait rassembler une armée dans l’Italie septentrionale, sous les ordres du leude frank Vinigis, qui prit ainsi le commandement en chef des milices de Bénévent et de Spolète. Les ducs langobards Grimoald et Hildebrand obéirent sans défaillance au ban de guerre de leur suzerain, et se rangèrent sous la bannière de Vinigis. La victoire, longtemps disputée, finit par leur rester. Adelgis et Jean le Trésorier trouvèrent la mort dans la mêlée[36]. Ainsi périt, de la main même de ses compatriotes, le dernier prétendant à la monarchie nationale des Langobards. Après lui, nul ne devait plus songer à restaurer le trône de Desiderius, et du même coup l’empire grec perdit toute espérance de rétablir sa domination en Italie. Celle des Franks, au contraire, s’étendit, aux dépens de l’empire, de tous les côtés à la fois. Déjà maître de l’Istrie, sur la côte orientale de l’Adriatique, le roi Pépin enleva encore, peu après, la Liburnie aux Impériaux[37] (788 ou 789). L’incorporation à la monarchie carolingienne de ces deux provinces, habitées par une population de race slave, n’avait pas seulement pour objet un agrandissement de territoire : elle faisait partie d’un vaste système stratégique, et cette conquête nouvelle devait compléter au sud-est la base des opérations entreprises par le chef politique et militaire de la chrétienté pour endiguer, si l’on peut ainsi parler, le flot toujours mouvant des peuples barbares de l’Europe septentrionale. |
[1] Chron. Moissiac.
[2] Eginh., Annal. ; — Mettens. ; Poet. Sax., ann. 782.
[3] Eginh., Annal.
[4] Ozanam, la Civilisation chrétienne chez les Francs, ch. VI, p. 250.
[5] Montalembert, Lettre (inédite) à M. Léon Gautier, sur les Épopées françaises.
[6] Carol. Magn. Diplom., ap. D. Bouquet, t. V, p. 749.
[7] Annal. Fuldens., ann. 784.
[8] Annal. Mettens., ann. 783.
[9] Michelet, Hist. de France, t. I, p. 197.
[10] Darras, Hist. génér. de l’Église, t. XVII, ch. VI, p. 587.
[11] Ozanam, la Civilisation chrétienne chez les francs, ch. VI, p. 254.
[12] Grimm, Deutsche Sagen, t. II.
[13] Ozanam, la Civilisation chrétienne cher les Francs, ch. VI, p. 256.
[14] Capitulare Padebrunnense, ap. Migne, Patrolog. lat., t. XCVII, col. 143.
[15] Adrian. I, papœ, Epist., XXV.
[16] Alcuin., Epist., cité ap. Ozanam, la Civilisation chrétienne chez les Francs, ch. VI, p. 258.
[17] Annal. Nazarian., ann. 785.
[18] Eginh., Annal., ann. 786.
[19] Chron. Moissiac., ap. D. Bouquet, t. V, p. 71.
[20] Adrian. I, papœ, Epist., ibid., p. 569.
[21] Eginh., Annal., ann. 787.
[22] Loisel, Annal., ann. 787.
[23] Hist. ecelésiast., tome IX, liv. XLIV, p. 569.
[24] Eginh. Annal., ann. 787.
[25] Eginh., Annal., ann. 788.
[26] C’est l’auteur des annales attribuées jusqu’à ces derniers temps à Éginhard. On les a indiquées dans les notes de cet ouvrage sous ce nom, que leur donne encore la dernière édition de D. Bouquet (t. V).
[27] Lebeau, Hist. du Bas- Empire, liv. LXVI, § 7.
[28] Fleury, Hist. ecclésiast., t. IX, §25.
[29] Lebeau, Hist. du Bas-Empire, liv. LXVI, § 20.
[30] Adrian. I, papœ, Epist., ap. D. Bouquet, t. V, p. 576.
[31] Adrian. I, papœ, Epist., ap. D. Bouquet, t. V, p. 572.
[32] Adrian. I, papœ, Epist., ap. D. Bouquet, t. V, p. 574.
[33] Adrian. I, papœ, Epist., ap. D. Bouquet, t. V, p. 574.
[34] Adrian. I, papœ, Epist., ap. D. Bouquet, t. V, p. 571.
[35] Adrian. I, papœ, Epist., ap. D. Bouquet, t. V, p. 576, 577.
[36] Eginh., Annal., ann. 788.
[37] Lebeau, Hist. du Bas-Empire, liv. LXVI, § 21.