Affolement de la Prusse : projet d'extermination qu'elle suppose à l'Empereur. — Pièce fausse. — Hardenberg se jette dans les bras de la Russie et cherche à l'attirer en Allemagne. — Lettre an Tsar. — Envoi de Scharnhorst. — Armements illicites et précipités : explication donnée à l'Empereur. — Napoléon ne veut pas détruire la Prusse ; caractère spécial de l'alliance qu'il compte lui imposer. — L'insoumission de la Prusse dérange toutes ses combinaisons. Premières remontrances. — Napoléon détruira la Prusse s'il ne peut obtenir d'elle un désarmement complet et une obéissance sans réserve. — Continuation des armements. — Mobilisation déguisée. — Ouvriers-soldats. — Mise en demeure catégorique. — Soumission apparente. — Crédulité de Saint-Marsan. — Tout le monde ment à l'Empereur. — La Prusse en surveillance. Rapports attestant la continuation des travaux et des appels. — Nouvelles sommations. — La Prusse à la torture. — Incident Blücher. — Suprême exigence. — Napoléon fait en oléine temps ses propositions d'alliance. Affres de la Prusse. — Retour de Scharnhorst : résultats de sa mission. — Entrevues mystérieuses de Tsarskoé-Selo ; Alexandre blâme les agitations et les imprudences de la Prusse. — Modification du plan russe. — La convention militaire. — Affreuses perplexités de Frédéric-Guillaume. — Motifs qui le poussent à subir l'alliance française. — Suprême espoir du parti de la guerre. — L'idée fixe du Roi. — Recours à l'Autriche. — Scharnhorst part pour Vienne sous un déguisement et un faux nom. — Mission Lefebvre. — Napoléon perd patience ; il incline plus fortement à détruire la Prusse et à faire un terrible exemple. — Victoire des Russes sur le Danube. — Projet demandé : au prince d'Eckmühl. — Plan d'écrasement. — Napoléon laisse vivre la Prusse parce qu'il constate chez elle quelque disposition à se soumettre. — La négociation d'alliance fait un second pas. — Scharnhorst à Vienne. — Metternich le trompe d'abord et l'éconduit ensuite. — Déception finale. — La Prusse aux pieds de l'Empereur. — Ouvertures de Napoléon à Schwartzenberg. — Raisons subtiles qui déterminent Metternich à hiver ses accords avec la France. — Le partage de la Prusse. — Réactions successives. — Alexandre revient an système de la défensive. — Nesselrode en congé. — Son plan de pacification. — La clef de voûte : rôle réservé à l'Autriche. — La paix doublée dyne coalition latente. — Nesselrode est le reflet de Talleyrand. — Alexandre livre à Nesselrode le secret de son inflexibilité. — Il comprend l'avantage de tenter ou au moins de simuler une démarche de conciliation. — Paix imminente sur le Danube : nécessité de temporiser. — L'envoi de Nesselrode est annoncé et perpétuellement ajourné. — Fausse interprétation de certaines paroles de l'Empereur. — Mauvaise foi réciproque. — Le frère d'armes d'Alexandre. — Napoléon avoue ses projets belliqueux à l'ambassadeur d'Autriche. — L'assujettissement de l'Allemagne lui assure le chemin libre jusqu'en Russie : fatal succès. I Avec des alternatives de bonne et de mauvaise foi, la Prusse avait imploré pendant six mois l'alliance française. Depuis que l'Empereur avait cessé de lui répondre, la jugeant trop pressée, elle croyait reconnaître dans ce silence un refus de traiter, l'indice d'une méfiance impossible à vaincre et de desseins sinistres. L'audace d'un faussaire l'affermit dans cette erreur. Sa diplomatie avait acquis du policier-auteur Esménard, dont nous avons signalé les louches trafics et conté la mésaventure, un prétendu mémoire portant la date du 10 novembre 1810 et attribué au duc de Cadore, alors ministre des relations extérieures ; ce mémoire concluait à la nécessité d'anéantir totalement la Prusse, présentée comme dangereuse et incorrigible ennemie. Un examen attentif de la pièce en dit démontré facilement la fausseté. Il n'est pas certain, au reste, que la chancellerie de Berlin l'ait tenue pour pleinement authentique, mais sans cloute l'accueillit-elle comme un écho des projets qui se tramaient aux Tuileries, comme une pièce apocryphe fabriquée sur documents vrais[1]. Rapprochant cette découverte du mutisme désespérant de l'Empereur, elle arriva à l'affolante conviction que Napoléon avait jugé et condamné définitivement la Prusse, qu'il avait rendu contre elle, dans le secret de sa pensée, une sentence sans appel, et qu'il était résolu à l'effacer de la carte avant de se porter contre la Russie. Pour sauver leur pays, les ministres prussiens ne virent qu'un moyen : appeler les Russes en Allemagne, en mettant à leur disposition toutes les ressources de la monarchie, et affronter avec leur assistance une lutte désespérée. Le parti antifrançais l'emporta complètement à Berlin. Le chancelier Hardenberg., qui avait hésité jusqu'alors et oscillé, se jeta à corps perdu dans l'alliance russe. Il obtint que le Roi écrivît au Tsar, le 16 juillet, pour lui offrir un pacte formel sous la condition que les armées moscovites s'avanceraient jusqu'au centre de la Prusse, au moindre signe de danger pour elle : à cet égard, on ne se contenterait pas d'une espérance, on voulait une certitude : la Prusse promettait et exigeait des engagements positifs. Le réorganisateur de l'armée, l'illustre général Scharnhorst, partit furtivement pour la frontière russe : le Tsar fut prévenu de son approche, prié de lui ouvrir ses États, de l'appeler à Pétersbourg et d'arrêter avec lui un plan de campagne commun[2]. En même temps, pour se mettre en mesure de soutenir l'assaut ou au moins de succomber avec gloire, le gouvernement prussien donna une impulsion subite et fiévreuse aux armements commencés de longue date : ne tenant plus aucun compte de la convention limitative de ses forces, il rappela tous les soldats en congé, tous les krumpers ou jeunes gens qu'une courte période de service avait dégrossis et préparés au métier des armes : cent mille hommes environ furent réunis, le matériel et les approvisionnements rassemblés, les travaux de fortification poussés à la hâte. Tandis que les places du littoral s'entouraient de camps retranchés, les principaux corps se groupaient à proximité de ces points d'appui : il y eut à la fois mobilisation et concentration[3]. Comme il fallait gagner du temps et que l'exécution du plan belliqueux demeurait subordonnée aux réponses de la Russie, on tâchait de dissimuler ces mesures à l'aide de savants subterfuges. Néanmoins, le Roi et ses ministres sentaient qu'un si grand mouvement n'échapperait pas longtemps au regard de l'Empereur ; ils essayèrent donc de le justifier provisoirement à ses yeux, en lui donnant pour explication le contraire de la vérité. Le 26 août, Hardenberg dit à Saint-Marsan, notre ministre en Prusse, que le Roi, croyant depuis l'audience du 15 août à une rupture entre la France et la Russie et se considérant comme l'allié désigné de la première, augmentait ses forces pour nous prêter une aide plus efficace[4]. Ce demi-aveu, doublé d'un hardi mensonge, fut transmis à Paris dans les premiers jours de septembre : déjà, d'autres avis avaient fait connaitre à Napoléon l'appel des réserves et l'accélération des travaux. De tous les événements susceptibles de se produire avant son duel avec la Russie, aucun ne pouvait lui être plus déplaisant qu'une résurrection de la puissance prussienne, se dressant entre lui et l'ennemi à atteindre. Satisfait de la nullité absolue à laquelle il croyait avoir réduit la Prusse, il ne songeait point à la détruire, et le plan qu'il s'était tracé à lui-même le 16 août porte témoignage de son intention d'écouter cette cour, lorsqu'il jugerait le moment opportun, et de l'admettre à son service. L'alliance qu'il comptait lui accorder et lui imposer serait toutefois d'un genre particulier. Il ne demanderait pas à Frédéric-Guillaume une coopération active, la mise à sa disposition d'armées nombreuses : il se contenterait d'un contingent modeste qu'il entrainerait dans le Nord moins à titre d'auxiliaire que d'otage. Ce qu'il voulait de la Prusse, c'était un concours passif, une docilité inerte. Il lui demanderait de s'ouvrir et de se livrer intégralement à nos troupes, de se laisser passer sur le corps, de nous abandonner ses places, ses provinces, ses routes, ses moyens de communication et de transport, ses ressources de tout genre, avec faculté d'en disposer librement. Sans prétendre à une dépossession définitive, Napoléon jugeait qu'une expropriation temporaire importait à la sécurité de sa marche et de ses opérations. En supprimant momentanément la Prusse, il se ménagerait une surface parfaitement plane et unie, libre d'obstacles et d'embûches, pour aller à la Russie et faire couler jusqu'au Niémen, comme un fleuve rapide[5], le torrent de ses troupes. En se remettant sur pied, en reprenant consistance et relief, la Prusse traversait essentiellement ce projet. Napoléon ne savait à quoi attribuer cette audace, mais il jugeait que l'effet en serait souverainement fâcheux, quelle qu'en fût la cause. La Prusse armait-elle par suite d'un accord avec la Russie et au profit de cet empire : en ce cas, si nous lui laissions le temps d'achever ses préparatifs, nous aurions à la combattre l'année prochaine avant d'aborder l'ennemi principal, et Napoléon, qui méditait une campagne de Russie, eût été désolé d'avoir à recommencer une campagne de Prusse. La cour de Potsdam armait-elle sans s'être au préalable concertée avec celle de Russie ; armait-elle simplement par peur, par crainte d'une brusque et traîtresse surprise ; était-elle de bonne foi lorsqu'elle nous offrait ses armées au prix d'un pacte qui garantirait son existence ? En ce cas même, sa conduite restait pour nous source d'embarras. Napoléon n'aurait que faire de ces armées qu'on affectait de mettre à ses ordres et dont il suspecterait toujours la fidélité : elles lui seraient moins un secours qu'une gêne. De plus, si les Prussiens armaient sans s'être entendus avec la Russie, celle-ci, en les voyant faire, aurait toutes raisons de croire qu'ils armaient contre elle et à notre instigation : dans leurs mouvements, elle verrait l'indice et la preuve de nos dispositions hostiles : le voile que Napoléon s'efforçait de tendre devant elle se déchirerait brusquement, et l'empereur Alexandre ouvrirait probablement le feu, jetterait ses troupes en Allemagne pour y surprendre les nôtres et celles de nos alliés en flagrant délit de formation. Donc, en attribuant même à la conduite des Prussiens l'explication la moins défavorable, leur imprudence attaquait doublement les combinaisons de l'Empereur : elle risquait d'avancer les hostilités et de les reporter en Allemagne, alors que Napoléon tenait à les ajourner et par-dessus tout à les confiner en Russie. Mesurant le péril d'un rapide coup d'œil, il résolut d'y couper court par tous les moyens que lui livrait sa puissance. Il sommerait la Prusse de désarmer, de se réduire aux effectifs permis ; en même temps, pour la rassurer, il se résignerait à entamer plus tôt qu'il ne l'eût voulu la négociation d'alliance. Si la Prusse obéissait et mettait bas les armes, il se conformerait vis-à-vis d'elle à son plan primitif, lui permettrait de vivre et l'approprierait à ses desseins. Si elle osait lui résister ou essayait de le tromper, il ne lui laisserait pas le temps de reconstituer ses forces et d'élever au devant de la Russie une première ligne de défense : changeant de système, il fondrait instantanément sur elle et la détruirait ; pour se garder un libre passage à travers l'Allemagne, il arracherait du sol les débris de la monarchie prussienne et ferait place nette. Cet enlèvement lui était facile : l'armée de Davout, les garnisons de Dantzick, Stettin, Custrin et Glogau, les troupes mobilisées du grand-duché de Varsovie, celles de Saxe et de Westphalie, tenaient plus étroitement bloqué que jamais le royaume suspect : il suffirait d'un ordre, d'un geste, pour que ce cercle de fer, se rétrécissant subitement, broyât la Prusse dans une mortelle étreinte. Sans cloute, ce serait la guerre avec la Russie, la guerre immédiate et furieuse ; mais l'exécution de la Prusse s'opérerait si aisément et avec une telle promptitude que nos troupes, après avoir accompli ce coup de main, auraient encore le temps de courir sur la Vistule, de s'y déployer avant que les Russes aient pu sortir de leurs frontières et forcer l'entrée de l'Allemagne : la grande lutte s'engagerait plus tôt que ne le souhaitait l'Empereur, mais au moins le théâtre n'en serait-il pas déplacé. Napoléon admet maintenant, à titre éventuel et comme pis aller, une extermination préventive de la Prusse, pour le cas où elle se déroberait aux injonctions qu'il va lui lancer. Il s'était transporté avec sa cour à Compiègne, où il préparait un voyage en Hollande et dans ses possessions d'outre-Rhin. Le 4 septembre, le baron de Krusemarck, ministre de Prusse auprès de lui, était mandé d'urgence à Compiègne. D'un (on grave et pénétré, le duc de Bassano lui tint ce langage : L'Empereur désire sincèrement s'unir à la Prusse ; il la veut pour alliée, mais rien n'est plus propre à altérer ces heureuses dispositions que les mesures inconsidérées auxquelles ou se livre à Berlin et que Sa Majesté ne saurait tolérer. La Prusse commettrait un véritable suicide si elle provoquait chez l'Empereur une défiance qui ne resterait pas inactive. Il n'est qu'un moyen pour elle de se conserver, c'est de renoncer à tous armements extraordinaires, de regagner ainsi la bienveillance de l'Empereur et d'en attendre les effets dans une immobilité absolue. A la même date, M. de Bassano écrivait à Saint-Marsais de conformer sou langage à ces menaçantes remontrances[6]. Sept jours après, le 13 septembre, sur le vu de nouveaux avis qui lui montrent la Prusse en pleine activité militaire, Napoléon fait expédier à Saint-Marsan des instructions décisives. Ce ministre devra mettre le gouvernement royal en demeure de cesser les travaux de fortification et de rendre à leurs foyers les soldats rappelés ; il fournira en même temps, comme preuve de nos bonnes intentions, l'assurance formelle que des pouvoirs vont lui être expédiés à l'effet de commencer la négociation d'alliance. Mais il ne donnera à la Prusse que trois jours pour se replacer en posture pacifique : tout au lilas pourra-t-il accorder quarante-huit heures de grâce. Passé ce délai, s'il n'a pas obtenu pleine et entière satisfaction, il quittera Berlin et préviendra de son départ le maréchal prince d'Eckmühl. A ce signal, l'armée de Davout s'ébranlera sur-le-champ et tombera de tout son poids sur la capitale et les provinces prussiennes : Westphaliens, Saxons, Polonais passeront la frontière en même temps, s'avanceront sur Berlin par mouvements concentriques, tandis que nos garnisons de l'Oder, se reliant l'une à l'autre et faisant chaîne, fermeront toute retraite au gouvernement royal, l'empêcheront de fuir, l'obligeront à se rendre, et ainsi, sans que la victime ait eu le temps de jeter un cri et d'appeler à l'aide, elle périra sur place, et la monarchie du grand Frédéric aura cessé d'exister. Des ordres éventuels furent expédiés à Davout, à Jérôme ; mais en même temps une lettre confidentielle de Maret à Saint-Marsan indiquait avec netteté que l'Empereur, bien résolu à détruire la Prusse si elle l'y obligeait par une attitude équivoque, n'en souhaitait pas moins et très vivement que cette extrémité pût être évitée : Vous devez bien comprendre, disait-elle, que le désir sincère de l'Empereur est que le désarmement soit consenti, que des pouvoirs soient donnés pour que la négociation de l'alliance s'ouvre, soit à Berlin, soit à Paris ; que vous soyez dans le cas de rester à votre poste et que la Prusse fasse connaître à la Russie qu'elle désarme parce qu'elle n'a plus d'inquiétudes sur le maintien de la paix. Cette déclaration de la Prusse est nécessaire parce que l'un des inconvénients les plus graves du parti pris par cette puissance est, dans les circonstances actuelles, que la Russie puisse penser que les armements se sont faits d'accord avec la France. Il faut que dans trois jours les impressions que les armements ont pu donner à la Russie soient dissipées, et elles ne peuvent l'être que par le désarmement[7]. A l'heure où le secrétaire d'État traçait ces lignes, on connaissait déjà à Berlin les observations présentées à Krusemarck. D'autre part, on n'avait pas encore reçu la réponse d'Alexandre à la demande d'alliance et de secours effectif. On savait que ce prince avait lu avec émotion la lettre du Roi, mais Scharnhorst attendait toujours sur la frontière, avec un frémissement d'impatience, un mot qui lui permettrait de se glisser en Russie. On ignorait si le Tsar allait lui faire signe et le mander, régler avec lui l'action commune. Dans cette incertitude, la Prusse voulut gagner du temps et essaya de ruser ; elle résolut d'annoncer le désarmement tout en continuant d'armer. Par lettre autographe, Frédéric-Guillaume fit connaître à Napoléon qu'il renonçait à créer quarante-huit bataillons nouveaux et à renforcer les régiments de seize hommes par compagnie. Effectivement, cette mesure fut contremandée, mais la mobilisation se poursuivit sous une autre forme. Les ouvriers employés aux travaux des places, à la création des camps retranchés, étaient presque tous d'anciens militaires ou de jeunes soldats non encore réincorporés ; on les avait requis pour ce service d'État ; c'était un moyen de les avoir sous la main et de pouvoir les enrégimenter au premier signal. Ce mode d'appel fut maintenu. Tout un monde de paysans, d'hommes du peuple, continua à s'agglomérer autour des places, à fourmiller sous les murs de Spandau, de Colberg, de Graudentz et de Neisse ; on les y occupait à réparer les ouvrages, à en construire de nouveaux, à remuer des terres, à élever des remparts, en les soumettant déjà à la discipline militaire et en les astreignant à des exercices. La Prusse ressemblait à un vaste atelier, en attendant qu'elle devînt un camp. Pour se changer en soldats, les travailleurs n'auraient qu'à jeter la pelle et la pioche, à prendre le fusil, à échanger leur blouse contre la capote d'uniforme ; en un clin d'œil, leurs innombrables équipes se transformeraient en escouades, en compagnies, en bataillons, et feraient une armée, destinée à doubler celle que la Prusse était légalement autorisée à tenir sous les drapeaux[8]. Cependant la dépêche du 13 septembre arrivait à Saint-Marsan et stimulait son zèle. Avec éclat, il réclama des mesures efficaces et complètes, insistant sur la nécessité de cesser les travaux et de renvoyer les ouvriers, ce qui arrêterait effectivement la mobilisation. Il ne dissimula pas que la Prusse, en déclinant nos demandes, s'exposerait à périr[9]. La crise devenait aiguë, l'embarras des Prussiens horrible. Ils avaient appris depuis peu de jours que Scharnhorst avait enfin reçu l'autorisation de franchir la frontière et de s'acheminer très mystérieusement vers Pétersbourg ; à cette heure, il conférait sans doute avec le Tsar, il emportait peut-être la promesse d'une coopération sans réserve. Quand on semblait si près de s'entendre avec les Russes et de pouvoir compter sur leur arrivée, il en eût par trop coûté au Roi et à Hardenberg de se livrer à discrétion ; ils prolongèrent le jeu infiniment dangereux qui consistait à promettre sans tenir. Hardenberg déclara que le Roi se soumettait à tout ; on raconta à Saint-Marsan, on publia qu'ordre avait été donné pour l'abandon des travaux et le licenciement des hommes. En fait, les travaux furent suspendus à Spandau, ville située aux portes de Berlin et sous l'œil de la légation française ; sur tous les points où la vue de notre représentant ne pouvait s'étendre. ils continuèrent avec un redoublement d'ardeur, par la main d'ouvriers-soldats. Mais Saint-Marsan avait la confiance facile et la crédulité opiniâtre ; charmé de ce qui se passait à Spandau, il conclut d'un fait isolé à une mesure d'ensemble, annonça que la Prusse rentrait dans l'ordre, resta à son poste, reprit avec Hardenberg et le comte de Goltz, ministre des affaires étrangères, de cordiaux rapports. Le public de Berlin, qui avait senti planer dans l'air un grand danger, vit avec joie s'éloigner l'orage, et la capitale prussienne, après quelques jours d'angoisse et de fièvre, retomba à sa morne langueur[10]. A Berlin comme à Pétersbourg, comme partout, notre diplomatie se laissait abuser : il était moins facile de tromper l'Empereur. Tenant à savoir si les actes répondaient aux paroles, il mit la Prusse en surveillance. Pour l'épier, il disposait de multiples moyens. Stettin, Custrin, Glogau, étaient trois observatoires désignés : les commandants de ces places furent invités à s'armer de vigilance, à examiner minutieusement ce qui se passait autour d'eux. Une dépêche circulaire prescrivit à nos consuls de Colberg, Stettin, Dantzick et Kœnigsberg, de s'enquérir chacun dans son ressort[11]. Davout eut à couvrir la Prusse entière d'un réseau d'espionnage, à centraliser les renseignements, à en contrôler l'exactitude, à y ajouter ses observations personnelles, et l'on pouvait compter sur l'impeccable soldat, défiant par principe, pour regarder à fond et ne point se payer d'apparences. Napoléon part lui-même pour les Pays-Bas, se rapprochant du Nord : il commence sa tournée par les camps de Boulogne et d'Utrecht, passe aux embouchures de l'Escaut la revue de sa flotte, s'arrête plusieurs jours dans la grande place d'Anvers : ensuite, il visite avec l'Impératrice Amsterdam, Rotterdam, Nimègue, reçoit les hommages contraints des Hollandais ; mais au milieu des pompes officielles, au milieu de journées que les fêtes et de minutieuses inspections semblent entièrement remplir, il trouve le temps de se retourner vers la Prusse, jette à chaque instant sur elle un regard inquisiteur, prête l'oreille à tous les bruits qui lui viennent de ce côté, attend avec impatience les résultats de l'enquête ordonnée. Et bientôt, aux diverses étapes de sa route, des courriers le rejoignent, lui apportant des avis de toute provenance, lettres du maréchal. rapports militaires, rapports des consuls, interrogatoires de courriers, bulletins de police, chiffons de papier noircis à la hâte par les espions qui de toutes parts se tiennent aux aguets. D'importance et de valeur inégales, ces renseignements s'accordent tous en un point ; c'est que nulle part, sauf a Spandau, les travaux aux places n'ont cessé et les rassemblements d'hommes n'ont disparu. A Colberg, on travaille toujours, on travaille à force, comme si l'on avait hâte de pousser l'œuvre à terme et de nous mettre en présence du fait accompli ; sur les autres points du littoral, même activité ; en Silésie, où l'on se croit plus loin de nous, des corps nouvellement formés s'exercent au grand jour : la Prusse élude évidemment ou suspend l'exécution de ses promesses[12]. Aussitôt, le duc de Bassano, qui accompagne l'Empereur et le suit comme son ombre, dépêche à Saint-Marsan courriers sur courriers ; il lui écrit longuement d'Anvers, le 2 octobre : d'Amsterdam, il lui envoie trois lettres, dont deux le même jour, et dans chacune il adresse à notre agent de sévères rappels à la clairvoyance, met la Prusse en contradiction avec elle-même, oppose ses actes à son langage. Quel est le motif de cette discordance ? Est-ce parti pris de nous induire en erreur, arrière-pensée perfide ? Est-ce simplement incohérence et faiblesse, impuissance à se décider, hésitation persistante, susceptible toutefois de céder à une prompte et vigoureuse pression ? Il y a dans toute la conduite de la Prusse en général et dans celle que tient particulièrement le cabinet avec vous, une obscurité, un mystère qu'il est de votre devoir de pénétrer. Ne négligez aucun moyen pour y parvenir, mais surtout montrez bien qu'on espérerait vainement de nous abuser et que ce ne sont point des discours, des manifestations qu'on demande, mais des faits positifs, un désarmement complet, absolu, sans modifications ni réserves[13]. Si M. de Saint-Marsan obtient ce résultat, il aura rendu à son maitre un signalé service : s'il acquiert la conviction que la cour de Berlin est systématiquement de mauvaise foi, au moins l'Empereur saura-t-il à quoi s'en tenir, et la Prusse subira le sort qu'elle se sera préparé. Mais surtout que notre ministre cherche et saisisse la réalité sous de vains simulacres, qu'il ne craigne point de se montrer trop soupçonneux, trop défiant : un nouvel excès d'optimisme engagerait gravement sa responsabilité, en compromettant des intérêts essentiels. Aiguillonné par ces avertissements et ces reproches, ébranlé dans sa confiance par d'irrécusables indices, Saint-Marsan se remet en activité. Il s'est juré de ne plus discontinuer ses réquisitions jusqu'à ce que le cabinet prussien se soit mis en règle, de ne lui laisser ni trêve ni repos. Alors commence pour la Prusse un supplice sans nom. Attendant de jour en jour une lettre de Scharnhorst et un engagement d'Alexandre, elle ne se résigne pas encore à nous céder franchement, tout en trouvant que la Russie met bien du temps à se décider et la laisse cruellement à la gueule du lion. D'autre part, serrée de plus près par nos exigences et prise à la gorge, elle se débat lamentablement sous l'étreinte : elle cherche à se dégager en balbutiant des excuses, en alléguant de faux prétextes, en épuisant toutes les formes et toutes les variétés du mensonge. Hardenberg vient dire à Saint-Marsan que le Roi est plus décidé que jamais à éloigner les ouvriers des forteresses : seulement, il répugne à priver brusquement de tout travail ces masses d'hommes, arrachées à leurs occupations habituelles, et craint de les jeter à la misère : en monarque philanthrope, il voudrait les employer aux travaux de la paix, à de grands ouvrages d'utilité publique : il songe à leur faire réparer les chaussées, construire des ponts et creuser des canaux : c'est un nouveau moyen de les tenir rassemblés et disponibles[14]. Saint-Marsan répond que ses instructions ne lui permettent pas de concéder un seul travailleur, que les ouvriers doivent être renvoyés jusqu'au dernier. Hardenberg n'insiste pas et change de système. Pour pallier les infractions commises à Colberg, il rejette la faute sur le Général Blücher, qui commande dans cette place et n'en fait qu'à sa tête ; ce vieil enragé a continué les travaux malgré la défense formelle du Roi, sacrifiant son devoir à ses passions ; mais on l'a relevé de ses fonctions et mandé à Berlin, où il sera sévèrement admonesté. Saint-Marsan s'applaudit de voir mettre à bas un de nos adversaires implacables : l'Empereur lui-même enregistre avec quelque satisfaction le rappel de Blücher : mais qu'apprend-il bientôt ? Suivant les avis que fournit au duc de Bassano sa police particulière, la disgrâce de Blücher n'est que de pure apparence. A son arrivée dans la capitale, le Roi l'a parfaitement accueilli et l'a invité plusieurs fois à diner : on laisse la populace organiser en sa faveur des manifestations scandaleuses ; quand il a paru sous les Tilleuls et s'est montré sur cette promenade chère aux Berlinois, il a été accueilli par des bravos, des acclamations, sous l'œil complaisant de la police : tout ceci n'est sans doute que le prélude de sa rentrée en scène, de sa promotion à un commandement supérieur. Et Napoléon fulmine le billet suivant, daté de Düsseldorf et adressé au duc de Bassano : Écrivez au comte Saint-Marsan qu'il doit empêcher le général Blücher d'être employé, et qu'il ne faut pas, puisqu'on nous a donné cette raison, le justifier ensuite et montrer par là de la mauvaise foi[15]. En vain Saint-Marsan explique-t-il que les renseignements fournis au duc sont fort exagérés, que Blücher a dîné une seule fois chez le Roi, que l'ovation sous les Tilleuls s'est réduite au salut réglementaire de quelques officiers, que le général se montre peu et passe ses journées au Casino à jouer au whist et à jouer petit jeu[16], Napoléon n'en persiste pas moins et avec toute raison à se défier de la Prusse et de ses hypocrites complaisances. Il vient d'apprendre, à la vérité, que les travaux ont réellement cessé sur plusieurs points : les ouvriers ont quitté les chantiers, mais nul ne les a vus rentrer dans leurs foyers. Que sont-ils devenus ? Un de nos consuls, celui de Stettin, fournit le mot de l'énigme : il a découvert que les ouvriers éloignés de Colberg, au lieu d'être renvoyés chez eux, ont été simplement disséminés dans un rayon de quelques milles autour de la ville : là, on les tient cantonnés dans les villages, dissimulés dans les bois, tout prêts à se réunir de nouveau : Ainsi, d'un coup de sifflet, le gouvernement prussien est encore le maître d'avoir à Colberg le même nombre d'hommes qu'auparavant[17]. Comme d'autres renseignements ne sont ni moins précis ni moins accusateurs, comme il en est aussi de plus vagues et même de contradictoires, Napoléon veut en avoir le cœur net, pouvoir condamner la Prusse en pleine connaissance de cause, s'il la trouve en faute : il fait demander par Saint-Marsan que le secrétaire de notre légation, M. Lefebvre, soit autorisé à parcourir toutes les provinces et à visiter toutes les places, à voir de ses yeux ce qui s'y passe. Devant ce comble d'exigence, Frédéric-Guillaume eut un mouvement de révolte. Il tressaillit sous l'outrage et se retrouva pour quelques heures une fine de roi : se prêter à la vérification demandée, c'était admettre que l'on pfit révoquer en doute sa parole de Hohenzollern et le soupçonner de parjure : plutôt mourir que d'accepter cette honte ! Il déclara qu'il ne voulait point se dégrader aux yeux de son peuple, aux yeux de ses troupes, et Hardenberg notifia ce refus par un billet assez sec[18]. La nuit passa ensuite sur ce coup de tête, avec son cortège de réflexions sinistres : le Roi sentait peser sur lui l'armée de Davout : autour de lui, il apercevait la meute de nos alliés, prêts à la curée : dans huit jours, s'il résistait, les sonneries françaises retentiraient à son oreille, et les canons ennemis rouleraient lourdement sur le pavé de sa capitale. Hardenberg, moins fier encore que lui et plus faux, le conjura de plier mie fois de plus, pour mieux se redresser ensuite ; et le misérable monarque céda, s'humilia, vint à résipiscence. M. Lefebvre reçut licence d'aller où il voudrait, avec des passeports prussiens, sous couleur d'inspecter nos consulats ; on prit seulement de sournoises précautions pour lui laisser voir le moins de choses possible, en ayant l'air de tout lui montrer. Hardenberg redemanda piteusement à Saint-Marsan son billet et le pria de taire à l'Empereur sa velléité de désobéissance[19]. Tandis que le commissaire français commençait sa tournée, Frédéric-Guillaume errait entre Charlottenbourg et Potsdam, tournant autour de sa capitale ou piétinant sur place, dévorant ses humiliations, abreuvé de dégoûts et rongé d'impatience. Hardenberg écrivait à Pétersbourg, demandant, implorant, réclamant une réponse : pour Dieu, que l'on consente enfin à parler, à faire connaître si la Prusse peut compter sur l'entrée des Russes en Allemagne ; au contraire, le Roi doit-il se considérer comme délaissé et s'asservir à des nécessités cruelles ? Quelle que soit la décision à prendre, elle ne saurait tarder davantage : la Prusse se meurt d'anxiété : l'incertitude nous tue[20]. Ce qui ajoutait aux complications et aux périls de l'heure présente, c'était que Napoléon, afin de mieux éprouver la Prusse et de voir plus clair dans son cœur, avait enfin expédié à Saint-Marsan les pouvoirs nécessaires pour traiter de l'alliance : son système consistait toujours à tranquilliser d'une part, tandis qu'il menaçait de l'autre. Le ministère prussien était intimement résolu à ne point s'engager avec nous, tant qu'il lui resterait espoir de signer le pacte en préparation avec Alexandre. Mais comment éluder nos offres, après les avoir sollicitées à genoux ? comment traîner en longueur une négociation si ardemment réclamée, sans se condamner soi-même et se convaincre d'imposture ? A l'annonce des pouvoirs, Hardenberg se fit un masque d'homme satisfait : enfin, disait-il, l'Empereur consentait à accepter la Prusse pour alliée et à la tirer d'inquiétude : et l'air de soulagement avec lequel il prononçait ces paroles, son visage épanoui, son gros rire, contrastaient avec l'humeur sombre des jours précédents : son contentement allait jusqu'à l'hilarité[21]. Le 29 octobre, Goltz et lui se réunirent en conférence avec Saint-Marsan pour écouter les propositions de la France. Napoléon offrait à la Prusse de l'admettre dans la ligue du Rhin ou de signer avec elle une alliance particulière : on y joindrait très secrètement une convention pour le cas de guerre avec la Russie, et déjà le cabinet français en traçait les principales lignes. Tout le territoire prussien sera ouvert à nos troupes et pris par elles en dépôt, à l'exception de la Silésie, où le Roi pourrait se retirer : ses troupes disparaîtraient des espaces occupés et se laisseraient consigner dans deux ou trois places : le contingent auxiliaire serait fixé à vingt mille hommes, que Napoléon emploierait à sa guise[22]. Ces conditions furent transmises au Roi, qui ne les jugea pas absolument inacceptables : il s'était attendu à pis, et dès lors l'idée de subir l'alliance française lui fit un peu moins horreur. Mais Scharnhorst annonçait enfin des résultats et prévenait en même temps de son retour imminent. On résolut de l'attendre pour se décider. Sous divers prétextes, les conférences avec Saint-Marsan furent suspendues : on gagna successivement quatre jours, puis deux, vingt-quatre heures enfin. Pendant ce temps, Scharnhorst se rapprochait de la capitale, s'y faisait précéder par un rapport et par le texte d'une convention qu'il avait conclue avec le Tsar sous réserve de la ratification royale, arrivait enfin lui-même pour rendre compte de sa mission : dans l'acte qu'il avait signé, dans ses écrits, dans ses paroles, le Roi allait-il trouver une indication déterminante, une règle et une sûreté pour l'avenir ? II Scharnhorst avait mis à remplir sa tâche tout son zèle, tout son cœur, toute son indomptable énergie. Fatigues, dégoûts, misères physiques et angoisses morales, rien ne l'avait rebuté. S'étant jeté en Russie sous un nom d'emprunt, il lui avait fallu, pour se mieux dissimuler, s'écarter des grandes routes, éviter d'employer la poste ; il n'avait atteint Pétersbourg qu'au bout de deux semaines, bien qu'il voyageât nuit et jour, durement cahoté sur de lourds chariots de paysan. A Pétersbourg, il était descendu ou plutôt s'était caché chez un ancien valet de chambre de l'Empereur. Là, il avait eu à attendre huit jours une audience. Enfin, le 4 octobre, on l'avait mené par des chemins de traverse au château de Tsarskoé-Selo, où l'Empereur s'était rendu de son côté mystérieusement. Il y avait eu entre eux plusieurs rencontres, échange de communications verbales et écrites[23]. Au début, Alexandre s'était montré froid, réservé, peu accessible aux raisonnements et aux instances. Comme il tenait essentiellement à retarder sa rupture avec la France jusqu'après conclusion de sa paix avec les Turcs, les empressements de la Prusse, cette alliance qui lui venait trop tôt et le tirait au combat, dérangeaient ses calculs. Déjà, à l'annonce des premiers armements, il avait supplié le Roi et son conseil de les discontinuer, de ne pas s'exposer témérairement, de ne point attirer la foudre ; il leur conseillait encore d'éviter toute apparence de concert avec lui, de montrer quelque déférence aux volontés de l'Empereur. Tout autant qu'à Napoléon, la Prusse lui semblait incommode et gênante : à l'un et à l'autre, cette malheureuse nation se rendait à charge par ses agitations, ses mouvements désordonnés, ses affolements : tous deux cherchaient actuellement à l'immobiliser, en se réservant de l'employer dans l'avenir. Alexandre convenait avec Scharnhorst que la guerre était inévitable : elle serait terrible et déciderait de tout : raison de plus, suivant lui, pour ne pas engager à contre-temps cette suprême partie. Il témoignait toujours pour le Roi d'une tendre compassion, offrait un traité secret, promettait de considérer toute invasion du territoire prussien comme une attaque contre lui-même : seulement, dès que Scharnhorst le pressait de concerter pratiquement l'action à deux, il se montrait plus disposé à soulever des difficultés qu'à les résoudre. Il permit pourtant à Scharnhorst de lui communiquer les idées conçues à Berlin, relativement à la conduite de la guerre, et développa ensuite celles que Pfuhl lui avait suggérées : le plan prussien et le plan russe furent exposés et comparés. D'après le premier, dès que la Prusse serait attaquée, les-armées russes auraient à s'élancer de leurs frontières et à courir sur la Vistule : elles ne s'arrêteraient pas à ce fleuve, mais le franchiraient : se déployant entre la Vistule et l'Oder, se liant par leur droite et leur gauche aux positions prussiennes de Poméranie et de Silésie, appuyant leurs ailes à deux groupes de forteresses et de troupes alliées, elles feraient front à l'ennemi et tenteraient hardiment le sort des batailles : l'exemple du passé les montrait capables de se mesurer en ligne avec Napoléon, à condition de bien choisir leur terrain et de ne point retomber dans certaines erreurs de tactique : elles tâcheraient de recommencer Eylau et d'éviter Friedland. Quant au plan russe, tel qu'il avait été arrêté en juin, on se rappelle qu'il ne comportait qu'accessoirement une pointe préalable dans la Prusse orientale et en Pologne, une sorte de reconnaissance renforcée, à laquelle succéderait un recul volontaire, un repliement progressif jusqu'aux positions où l'on attendrait l'ennemi, déjà affaibli par une marche épuisante et harcelée. Il n'était pas question, à moins de circonstances exceptionnellement favorables, de jonction entre les armées russes et prussiennes, celles-ci devant se renfermer dans les places du royaume, s'y défendre le plus longtemps possible et maintenir sur les côtés de la route que suivrait la Grande Armée quelques postes hostiles. Scharnhorst soumit ce plan à une critique raisonnée. En particulier, il fit sentir qu'accepter à priori la nécessité de la retraite à l'approche des Français, ce serait leur abandonner tout le plat pays prussien, avec ses ressources fort appréciables. Quant aux troupes prussiennes, confinées dans quelques forteresses, isolées et immobilisées, elles succomberaient tôt ou tard, et la monarchie, après s'être inutilement dévouée pour la cause commune, n'aurait plus qu'à se constituer prisonnière. En termes audacieusement nets, Scharnhorst expliqua que la Prusse ne pouvait se condamner à ce rôle ingrat et sacrifié, s'assimiler à un poste perdu que l'on abandonne au milieu des masses ennemies pour retarder leur marche en se laissant détruire. Si le Tsar persistait dans ses intentions, le Roi n'aurait plus qu'à tenter la seule voie de salut qui lui resterait ouverte, à écouter les offres de la France. A ce langage, Alexandre comprit que la Prusse lui mettait le marché à la main et ne lui laissait d'autre alternative que de venir à elle ou de l'avoir pour ennemie. Or, dans la guerre future, où Napoléon disposerait de masses énormes et posséderait incontestablement l'avantage du nombre, quatre-vingt à cent mille Prussiens, bien armés, bien munis, enflammés de patriotisme et de haine, n'étaient nullement pour les Russes un appoint à dédaigner. Puis, si le Tsar laissait cette force passer à l'ennemi, cette défection serait d'un fâcheux exemple et pourrait en entraîner d'autres ; elle faciliterait la coalition dont Napoléon cherchait à envelopper son rival. Devant ces perspectives redoutables, Alexandre se sentit ému et fléchit ; peu à peu, avec hésitation et regret, il consentit à modifier son plan encore une fois, se laissa ramener à l'idée de la marche en avant, eu se réservant de ne point dépasser certaines limites. Il ne se refusa plus à signer avec la Prusse une convention militaire qui lierait les deux armées et associerait dans une certaine mesure leur fortune. Scharnhorst fut mis en rapport avec le ministre de la guerre Barclay de Tolly, avec le chancelier Roumiantsof ; dans une série de laborieuses conférences, la convention fut longuement discutée, établie article par article et, le 17 octobre, enfin signée[24]. D'après cet acte, si Napoléon, malgré l'attitude correcte et réservée qu'observeraient les deux puissances, faisait mine d'occuper une partie quelconque du territoire prussien ou prenait une attitude par trop menaçante, les armées russes s'ébranleraient et, avec toute la célérité possible, s'avanceraient sur la Vistule. Elles chercheraient même, autant que les circonstances s'y prêteraient, à franchir ce fleuve, mais Alexandre ne prenait à cet égard aucun engagement positif il avait fait supprimer de la convention un article qui l'eût obligé à pousser jusqu'en Silésie une partie de ses troupes. Les Prussiens, fuyant devant l'envahisseur, se glissant entre ses colonnes, courraient au - devant de leurs auxiliaires et chercheraient à les joindre : si la rapidité de l'invasion ne permettait point ce rapprochement, ils se rejetteraient alors dans les places de la Poméranie ou de la Silésie, où leur résistance serait facilitée par la proximité des Russes, établis sur la Vistule. Afin que ces derniers atteignissent plus rapidement le fleuve, Scharnhorst avait demandé que les armées du Tsar, actuellement rangées à cinq marches de la frontière, reçussent d'avance et éventuellement l'ordre d'entrer en Pologne et en Allemagne, dès que les autorités prussiennes leur feraient signe et réclameraient leur présence. Alexandre n'avait jamais voulu reconnaitre à des autorités étrangères le droit de réquisitionner ses troupes : il avait été convenu seulement que celles-ci se mettraient en marche huit jours au plus tard après que leur gouvernement aurait été prévenu du danger par le roi de Prusse ou ses généraux. Une seule portion des États prussiens serait immédiatement sauvegardée. Dès à présent, un corps de douze bataillons et huit escadrons serait placé en avant et en dehors de l'alignement, posté sur l'extrême bord de la frontière, près de l'endroit où la pointe de la Prusse orientale s'allonge entre la mer et. les possessions moscovites. Aussitôt que les hostilités auraient commencé, ce corps franchirait les limites, viendrait couvrir Kœnigsberg et protégerait contre un coup de main cette ville importante, menacée à la fois par la garnison française de Dantzick et les Polonais de Varsovie. A défaut de Berlin, qui serait abandonné dès le premier moment, Alexandre s'engageait à conserver au Roi une autre capitale, le berceau de la Prusse, où il pourrait transférer sa résidence, son gouvernement, et s'abriter de l'invasion. Telles étaient les concessions que Scharnhorst avait arrachées au gouvernement russe. Si la convention de Pétersbourg, à laquelle devait se joindre un traité d'alliance, eût été ratifiée à Berlin, comme Napoléon aurait incontestablement foncé sur la Prusse restée en armes, la guerre aurait été avancée de sept mois : les opérations se fussent engagées sur la basse Vistule : l'Empereur aurait eu à recommencer vers la fin de 1811 sa campagne de 1807, au lieu de voir l'année suivante s'ouvrir devant lui les profondeurs de la Russie : ce qu'il craignait l'eût vraisemblablement sauvé. III La convention militaire de Pétersbourg, avec ses réticences et ses réserves, ne fit pas cesser les hésitations du Roi : elle le jeta au contraire dans d'affreuses perplexités. En août, s'il s'était jeté vers Pétersbourg avec quelque résolution, au lieu de se tourner vers la France, c'était que les dispositions présumées de Napoléon ne lui laissaient plus le choix. Supposant que l'Empereur ne le voulait point pour allié et méditait de le détrôner, il n'avait vu d'autre parti à prendre qu'un recours désespéré à la Russie. Maintenant, les offres assez précises de la France, en lui rendant l'option, renouvelaient son embarras : retrouvant la liberté de ses décisions, il semblait incapable d'en user, et l'on eût dit que choisir entre les deux voies qui s'ouvraient devant lui, à ce tournant suprême de sa destinée, excédât ses forces. Il ne croyait guère, il n'avait jamais cru à la possibilité de résister au vainqueur d'Iéna avec de sérieuses chances de succès. S'insurger contre l'invincible capitaine, avec l'appui même de quelques forces russes, ne serait-ce point courir à la mort ? D'autre part, s'assujettir à Napoléon, ne serait-ce point la mort aussi, moins rapide sans doute, mais lente et ignominieuse ? Les propositions de l'Empereur ne cachaient-elles point un piège, l'intention abominable de se faire livrer la Prusse pour la frapper ensuite sans défense, après s'être servi d'elle et l'avoir courbée à une avilissante besogne ? N'apercevant dans chaque direction que sujets d'épouvante, Frédéric-Guillaume n'arrivait pas à distinguer de quel côté le péril était moindre, à se faire une opinion, à prendre un parti : Ce serait presque à tirer au sort, disait-il éperdu, — à moins que la Providence ne nous éclaire particulièrement[25]. Au milieu des combats intérieurs qui le déchiraient, sa tête se perdait, un vertige le prenait. Tandis que Saint-Marsan, sur la foi de renseignements trompeurs, le croyait rasséréné, confiant et fort gai[26], l'infortuné monarque écrivait à Hardenberg, le 31 octobre : Il me semble que je suis dans un accès de fièvre chaude : autour de moi, je vois de tous côtés s'ouvrir des abîmes[27]. A la fin, malgré les efforts de Hardenberg, qui montrait plus de fermeté et de suite dans les idées, il laissa entendre qu'il se jugeait condamné à l'alliance française[28]. Les réponses de la Russie, disait-il, n'étaient que relativement réconfortantes : cette puissance s'engageait à couvrir une moitié à peine de la monarchie. Ses troupes marcheraient sans doute sur la Vistule : marcheraient-elles avec l'activité désirable ? Alexandre s'était laissé forcer la main : ne saisirait-il pas la première occasion pour se replacer sur le terrain strictement défensif qu'il avait quitté à son corps défendant ? Frédéric-Guillaume faisait valoir toutes ces considérations, qui étaient assurément d'un grand poids : au fond, peut-être eût-il été fâché que les Russes se fussent montrés par trop rassurants et eussent enlevé ainsi toute excuse à sa timidité. A cet instant critique, c'est surtout dans un vice irrémédiable de son caractère qu'il faut chercher son principal mobile. Un penchant naturel porte les esprits faibles et irrésolus, en temps de crise, à préférer le parti qui leur offre un peu de sécurité immédiate : ils s'estiment heureux d'obtenir un sursis au péril, un répit dans l'angoisse, et ne regardent pas plus loin ; ils se cherchent un lendemain plutôt qu'un avenir. L'alliance de Napoléon offrait au Roi cet avantage éphémère, car il était évident que l'Empereur, après avoir reçu la soumission de la Prusse, la laisserait vivre ou au moins végéter quelque temps : Frédéric-Guillaume verrait s'ouvrir devant lui une période de tranquillité relative. Par ce motif, à l'instant on les plus audacieux d'entre ses généraux et ses ministres, nantis des engagements russes, se flattaient de l'amener au but de leurs efforts, il leur glissait des mains ; hissé péniblement par eux jusqu'à un parti d'énergie et de vigueur, il ne parvenait plus à s'y tenir, retombait au plus bas de la faiblesse et se laissait choir dans l'alliance française. Le parti de l'action avait à peu près gagné sa cause à Pétersbourg : il la reperdait à Berlin. Ce parti ne se tint pas pour battu et se rattacha à un dernier espoir. En expliquant les raisons qui le faisaient incliner vers la France, le Roi avait formulé une réserve ; reprenant un de ses thèmes favoris, il laissait entendre que tout changerait de face à ses yeux si l'Autriche, à l'exemple du Tsar, consentait à le protéger contre une attaque, à le soutenir sur sa gauche, et mettait un second étai à sa monarchie branlante. Hardenberg, qui se croyait des raisons pour ne point désespérer de l'Autriche, le prit au mot : il proposa d'adresser à Vienne un suprême appel, et le résultat de fiévreuses controverses fut en somme l'adoption d'un parti qui laissait tout en suspens, ne préjugeait rien et retardait encore la décision finale. Les conférences avec Saint-Marsan furent reprises le 6 novembre. Afin de pouvoir conclure avec la France, si le besoin s'en faisait absolument sentir, on entama une discussion plus sérieuse. En même temps, Scharnhorst dut se remettre en route et filer par la Silésie vers la frontière autrichienne. Voyageant avec plus de mystère encore que durant sa course précédente ; évitant de s'acheminer directement à son but, déjouant l'espionnage français par des détours et des crochets, s'affublant d'un faux nom, se travestissant, se grimant de son mieux, il se glisserait subrepticement jusqu'à Vienne : là, il dévoilerait franchement aux Autrichiens l'embarras de la Prusse et l'horreur de sa position, confierait à leur discrétion les offres russes, dont il ferait sentir à la fois la valeur et l'insuffisance, et supplierait l'empereur François de consentir à un pacte de défense mutuelle entre les deux cours germaniques. La solution n'était plus à Pétersbourg, elle était à Vienne : c'est là que le chevalier errant de la bonne cause l'irait chercher[29]. Frédéric-Guillaume s'était prêté à cette démarche par acquit de conscience, afin de prouver qu'il n'avait négligé aucun moyen de se soustraire à l'odieuse alliance. Au fond de rame, il n'attendait plus rien de l'Autriche ni de personne. Son noir pessimisme voyait plus clair que l'ardeur et l'exaltation de ses entours : il avait trop expérimenté à ses dépens l'égoïsme des cabinets pour croire que la Prusse, dans sa profonde détresse, recueillerait autre chose à Vienne que de vaines condoléances : d'une façon générale, les cruautés du sort l'avaient déshabitué de croire au bonheur : en tout ce qu'il entreprenait, il se jugeait poursuivi par un destin contraire et présageait l'issue la moins favorable. Si sombres que fussent ses prévisions, elles n'allaient pas jusqu'à lui faire discerner le péril suspendu depuis quelques jours sur sa tête, le plus grand, le plus terrible qui eût jamais menacé sa couronne et sa dynastie. Napoléon, ayant acquis de plus en plus la preuve que la Prusse le trompait et continuait ses préparatifs militaires, venait enfin de perdre patience : il s'occupait à réaliser ses menaces. Les premiers rapports de M. Lefebvre ne l'avaient nullement satisfait. Arrivé à Colberg, l'inspecteur français avait remarqué chez les autorités une tendance évidente à se cacher de lui ; malgré de savantes précautions, il avait aperçu des ouvriers au travail, des soldats en grand nombre, un entassement d'hommes et de matériel, des redoutes continuant à pousser du sol autour de l'enceinte[30]. Nos agents du littoral signalaient un effort ininterrompu pour approvisionner et armer les places. L'un d'eux dénonçait le passage de pesants chariots, traînés à neuf chevaux ; ces véhicules, allant vers Colberg, portaient chacun une caisse énorme, soi-disant remplie de marchandises, et ces caisses — on en avait acquis la preuve — contenaient chacune un canon, soigneusement emballé et rendu invisible sous son enveloppe de bois[31] : ainsi, tout regard jeté sur la Prusse la surprenait en flagrant délit de fourberie. De plus, l'empereur Napoléon, qui avait appris la suspension des pourparlers avec Saint-Marsan et ignorait encore leur reprise, avait reçu de ces lenteurs une impression parfaitement justifiée d'irritation et de méfiance. Pour achever de l'exaspérer, la nouvelle d'un important succès des Russes sur le Danube, en avant de Rouchtchouk, lui arrivait au même montent : sa colère éclatait en exclamations furibondes contre ces chiens, ces gredins de Turcs[32], qui s'étaient laissé battre ; mais elle tendait à se détourner contre la Prusse, sous l'empire d'un raisonnement prévoyant. Croyant les Turcs plus battus encore et plus découragés qu'ils ne l'étaient, jugeant impossible d'empêcher désormais leur paix avec le Tsar, il craignait que les Russes, débarrassés de la diversion orientale, ne s'enhardissent à se jeter en Allemagne et à commencer la guerre en soulevant la Prusse, qui leur tendait frauduleusement la main. Pour leur enlever ce point d'appui, il songeait à le supprimer radicalement, à en finir avec la Prusse, puisqu'elle voulait absolument se perdre : Je vois, disait-il, tant de mauvaise foi et d'incertitude dans ce cabinet que je crois qu'il sera impossible d'empêcher sa ruine[33]. Et, sans s'arrêter encore à une détermination ferme, il se mettait en mesure de frapper. Comme la Prusse, mieux armée que deux mois auparavant, opposerait peut-être une résistance un peu plus sérieuse, il ne voulait plus abandonner l'entreprise aux libres inspirations de Davout : le 14 novembre, revenu de son voyage, il invitait le maréchal à préparer d'avance et à lui soumettre un projet d'opérations dont le but serait d'envahir brusquement la Prusse et de tout enlever, roi, cour, gouvernement, administration, armée, en un seul coup de filet[34]. Le maréchal ne connaissait que sa consigne. Celle-ci étant actuellement d'aviser aux moyens de détruire un État, cette Prusse qu'il sentait menteuse, perfide et toujours prête à profiter du moindre insuccès de nos armes pour nous sauter à la gorge, il appliqua à la tâche prescrite toutes les forces d'un esprit familiarisé de longue date avec les violences et les ruses de la guerre. Aucun scrupule ne l'arrêta dans la poursuite du but proposé à son dévouement et à son patriotisme, et ce doit être pour nous un sujet d'affliction que l'atrocité des moyens à employer n'ait point révolté et fait hésiter sa grande âme. Il conçut, élabora minutieusement et adressa à l'Empereur, le 25 novembre, tout un plan pour la surprise et l'anéantissement de la Prusse : ce plan était effroyable. Au jour fixé, la division Friant avec les chasseurs à cheval de Bordesoulle, la division Gudin entraînant à sa suite deux divisions de cuirassiers et plusieurs corps de réserve, les divisions Morand et Compans avec leurs annexes, entameraient circulairement le territoire prussien : la première, descendant du Mecklenbourg où elle était cantonnée, se jetterait sur Stettin et la ligne de l'Oder ; la seconde déboucherait de Magdebourg, cernerait Spandau et ferait main basse sur Berlin ; les deux autres agiraient dans l'espace intermédiaire, des détachements westphaliens coopérant à tous ces mouvements. Afin de ne point donner tout de suite trop d'alarme, on ferait dire à Berlin que les Russes avaient envahi la Pologne, et qu'en conséquence les troupes françaises empruntaient le sol prussien pour marcher contre eux. On chargerait même un officier intelligent de donner verbalement ces assurances, et, pour mieux y faire croire, cet officier serait trompé lui-même[35]. Le maréchal arriverait alors de sa personne à Stettin, avec une partie de sa 5e division, celle de Desaix, et présiderait à l'œuvre de destruction. On empêcherait les Prussiens de se rallier. On désarmerait toutes les troupes, les détachements isolés, et on arrêterait les convois. Des ordres sévères seraient donnés aux autorités pour empêcher les congés (les hommes en congé), les recrues et les travailleurs de rejoindre. En même temps, le jour même ou le lendemain de notre entrée, Poniatowski partirait de Thorn avec tous ses régiments, s'élèverait le long de la basse Vistule et viendrait s'y joindre à la division Grandjean sortie de Dantzick, de manière à fermer le cercle, à empêcher toute fuite, à intercepter toute communication entre le centre de la monarchie, pris et écrasé dans l'étau, et les provinces orientales. Jusqu'au moment de l'exécution, le plus grand secret serait
observé : Il ne serait confié qu'à la dernière
extrémité, poursuit le maréchal, et à ceux qui doivent le connaître. Je
prendrais la précaution de tromper même les divisions Friant, Morand, Gudin,
Compans, etc., sur le but de la marche. Ce ne serait que le jour où tout
concourrait au plan pour désorganiser l'armée prussienne, que les troupes
connaîtraient le véritable objet... Les
Saxons ne recevraient l'ordre de se mettre en mouvement pour se porter sur
Glogau que le jour à peu près où nous arriverions sur l'Oder. Jusque-là, tout
serait dans le plus grand calme, et ce calme contribuera beaucoup à faire
prendre le change aux Prussiens. Je proposerais de prendre cieux ou trois
régiments de cavalerie saxonne, un ou cieux régiments d'infanterie et une ou
deux batteries d'artillerie légère de cette nation pour garder les routes de
Berlin en Saxe, et arrêter tout ce qui voudrait se sauver par là, même les
individus, dont on saisirait les papiers avec le plus grand soin. On
s'emparera de beaucoup de boutefeux, et on saisira des papiers qui donneront
de bons renseignements sur leurs projets. Cette troupe se mettrait le plus
tôt possible en communication avec la colonne du général Gudin et agirait
suivant les circonstances, s'emparerait de Crossen, etc. Je dois poser l'hypothèse où le Roi pourrait être surpris dans Berlin : sa prise serait si importante que je suppose qu'il ne faudrait pas la manquer. Je demanderai aussi l'intention de Votre Majesté sur tous les ministres étrangers qui seraient à Berlin : la présence. de ces gens-là y est toujours très nuisible. Je propose d'arrêter tous les courriers étrangers venant de ou allant à Pétersbourg et de saisir leurs dépêches, en y mettant toutes les convenances possibles. Par ce projet, Sire, j'évite de mettre qui que ce soit dans la confidence ; ainsi le prince Poniatowski lui-même n'y serait qu'en recevant des ordres. Ce n'est pas que je me méfie de lui ; je le regarde comme un homme d'honneur et dévoué à Votre Majesté, mais une lettre peut traîner, et il y a dans ce pays-là des femmes bien adroites. On peut espérer que le résultat sera une désorganisation parfaite, et que personne en Prusse ne saura ce qu'il a à faire ni l'état des choses, puisque les courriers seront presque tous interceptés. Au besoin, pour éviter de la part des garnisons toute velléité de résistance, on fabriquerait avec beaucoup de soin un faux traité, portant que le Roi, décidé à faire étroitement cause commune avec la France, consentait à nous livrer momentanément les places de sa monarchie, les ouvrages, les points fortifiés. Sur la présentation de cette pièce, toutes les portes s'ouvriraient devant nous, toutes les ressources nous seraient livrées. On ferait croire aux troupes prussiennes qu'elles allaient être conduites en Silésie et là restituées à leur maitre ; ce ne serait qu'après s'être remises entre nos mains qu'elles connaîtraient leur sort et se sentiraient prisonnières. Je sais bien, ajoute le maréchal, qu'aucun mot de ce projet n'a le cachet de la bonne foi ; mais on ne ferait qu'user de représailles envers le gouvernement prussien. C'est par cc motif que je le propose, et parce qu'il remplirait les intentions de Votre Majesté, de rendre, le plus possible, l'initiative profitable. Il peut se faire que Votre Majesté rejette la plus grande partie des idées comprises dans ce projet, surtout celles relatives à un faux traité ; mais cela peut se modifier. Ce qui m'a fait naître cette idée, c'est une ruse de cette nature que les Prussiens ont employée il Mayence : ils ont fabriqué un ordre du général Custine au commandant de la place de se rendre et de capituler aux meilleures conditions, n'ayant plus de secours à attendre. Je sens que la représaille est un peu forte, mais on peut la modifier dans l'exécution. IV Par bonheur pour sa gloire, Napoléon écarta ce projet. Peu de jours après avoir demandé à Davout de lui communiquer ses idées, il avait appris que le cabinet de Berlin rouvrait les conférences et paraissait accepter en principe nos conditions ; c'était une meilleure note à son actif. M. Lefebvre, continuant sa tournée, visitant Pillau et Graudentz après Colberg, constatait un ralentissement des travaux, moins d'ardeur à rassembler et à exercer des hommes ; il avait même cru remarquer un affaissement de l'opinion, une disposition des esprits à ne plus s'insurger contre l'inévitable et à admettre l'idée d'un abandon total à la France[36]. Pour la première fois, Napoléon trouvait — c'était son expression même au prince de Schwartzenberg — que la Prusse semblait vouloir se bien conduire[37], et il écrivait à son frère Jérôme qu'en cas de guerre elle marcherait sans doute avec nous[38]. Il se résolut donc encore une fois à ne rien brusquer en Allemagne, à épargner la Prusse, sans cesser d'avoir l'œil sur elle ; toujours prêt à l'accabler au moindre mouvement suspect, il reprit ses efforts pour se l'attirer pacifiquement et fit franchir un deuxième pas à la négociation d'alliance. Le 15 décembre, dans une nouvelle série d'instructions à Saint-Marsan, le duc de Bassano précisait mieux les conditions de l'entente et la forme à leur donner. Comme l'Empereur affectait toujours de se considérer en état d'alliance avec Alexandre et se piquait de ne point déroger ostensiblement au pacte de Tilsit, les arrangements avec la Prusse seraient en apparence dirigés contre l'Angleterre. Un traité spécifierait mieux les devoirs respectifs des deux parties dans la guerre maritime : cet accord public en dissimulerait un autre, conclu secrètement, un traité d'alliance éventuelle contre les puissances limitrophes de la France et de la Prusse : enfin, ce second acte en recouvrirait un troisième, plus mystérieux encore, celui qui réglerait la coopération prussienne contre la Russie. A cet égard, Napoléon admettait certains adoucissements : le contingent auxiliaire, au lieu d'être dispersé dans les rangs de la Grande Armée, conserverait autant que possible son individualité : une très faible garnison prussienne serait tolérée à Potsdam, où le Roi pourrait maintenir sa résidence. Saint-Marsan devait traiter avec les ministres prussiens sur ces bases, écouter leurs objections, leur céder au besoin sur quelques points de détail, et peu à peu, sans y mettre trop de précipitation, établir avec eux le texte des différents actes qui seraient soumis ensuite à l'approbation de l'Empereur. Dès à présent, l'Empereur appela Krusemarck aux Tuileries et lui tint un langage solennel, définitif, où il dévoilait les deux faces de sa pensée, son désir sincère de s'entendre avec la Prusse et sa résolution de la frapper sans pitié, s'il ne pouvait obtenir d'elle un dévouement absolu et une obéissance ponctuelle. Jamais, dit-il avec force, il n'avait songé par principe à détruire cet État, à détrôner la dynastie : J'aime mieux voir le Roi à Berlin que d'y voir mon propre frère[39]. Les conditions transmises de sa part étaient l'expression réelle de ses vœux, mais il ne tolérerait, une fois que la Prusse se serait engagée à lui, aucune arrière-pensée, aucune défaillance, aucune infraction aux devoirs contractés. Il n'est pas de ces alliés que l'on quitte et que l'on reprend, suivant les oscillations de la fortune, et le Roi s'abuserait dangereusement s'il croyait pouvoir prendre pour modèle Frédéric II, passant et repassant d'un camp dans l'autre pendant la guerre de la Succession d'Autriche : malheur à la Prusse si elle retombait dans un jeu misérable et louche, dans ces errements funestes qui perdent les royaumes ! Tandis que ce suprême avertissement retentissait à Berlin, où Saint-Marsan poussait les négociations, la mission de Scharnhorst à Vienne traînait sans aboutir. Metternich avait d'abord opposé quelques objections au choix de cet émissaire : Scharnhorst passait pour affilié aux sectes révolutionnaires qui dissimulaient sons le voile du patriotisme leurs tendances subversives : la pruderie autrichienne s'effarouchait de ce contact. Scharnhorst étant tombé à Vienne sur ces entrefaites, il ne dut qu'au crédit des agents britanniques de pouvoir aborder le ministre des affaires étrangères. Metternich, ayant tant fait que de le recevoir, l'accueillit bien au début et crut devoir lui fournir quelque sujet d'espérance ; il avait ses raisons — on verra lesquelles — pour ne pas décourager trop tôt la Prusse et pour la tenir en suspens. Il promit d'étudier la question, amusa Scharnhorst pendant quelques semaines par de doucereuses paroles. Puis, les communications du gouvernement autrichien se ralentirent, s'espacèrent, et la dernière, portant la date du 26 décembre, fut une fin de non-recevoir qui rendit le Prussien inexprimablement malheureux : Sa Majesté Impériale s'excusait sur le délabrement de ses finances et ses embarras intérieurs de ne pouvoir se compromettre en aucune façon au profit de la Prusse[40]. La correspondance que Scharnhorst entretenait avec son gouvernement en termes convenus avait déjà fait prévoir à Berlin cette suprême déception. L'événement donnait raison au Loi contre son ministre, et Hardenberg ne se trouvait plus d'argument contre l'alliance française. Néanmoins, si grande était l'horreur des Prussiens de s'enrôler sous le drapeau détesté et de combattre pour l'oppresseur que le premier mois de 1812 s'écoula presque entièrement sans qu'ils se fussent résignés à franchir le pas. Hardenberg continuait à regarder du côté de Vienne, attendant, sollicitant un signe qui lui dirait d'espérer : il ralentissait, interrompait les conférences avec Saint-Marsan, et en même temps, craignant de lasser la patience de notre ministre, il lui écrivait des lettres tremblantes, pour l'assurer que ces retards ne tenaient à aucune mauvaise volonté. Enfin, après le retour de Scharnhorst, quand l'insensibilité de l'Autriche se fut clairement démontrée, quand il fut de toute évidence que l'on avait en vain frappé à cette dernière porte, la Prusse se soumit, courba le front et accepta le joug. Le 29 janvier 1812, Saint-Marsan fut prévenu que le Roi et ses ministres renonçaient à discuter nos exigences : ils admettraient les conditions qu'il plairait à l'Empereur de leur imposer, espérant toutefois que le magnanime monarque, dans sa générosité, leur accorderait par mesure spontanée et gracieuse quelque soulagement. Le Roi désirait que l'effectif de ses forces militaires ne fût plus limité au chiffre de quarante-deux mille hommes ; que la France, tout en mettant garnison dans Berlin, évitât d'y faire passer les corps qui marcheraient contre la Russie et épargnât à la capitale ce surcroît de charge ; par-dessus tout, il tenait à obtenir certaines facilités pour le payement des contributions de guerre restant à acquitter. Toutefois, aucun de ces avantages n'était réclamé comme la condition de l'alliance, qui était accordée dans tous les cas ; la Prusse ne négociait plus, elle sollicitait et implorait[41]. Dans les premiers jours de février, Napoléon la sentit s'abandonner à lui comme matière inerte et molle ; il n'avait plus qu'à étendre la main pour la saisir. Il s'occupait alors à s'emparer définitivement de l'Autriche. Avec elle, les grandes lignes de l'accord avaient été esquissées depuis près d'une année, mais l'on s'était contenté jusqu'à présent de cette entente à demi-mot et par clignement d'œil. Aujourd'hui, Napoléon jugeait l'instant venu de fixer les relations et d'assurer l'alliance, sans la signer encore. Le 17 décembre, il s'ouvrit à Schwartzenberg ; on avait assez causé, dit-il à cet ambassadeur : il était temps de traiter, de formuler avec netteté les engagements respectifs, de faire succéder au verbiage[42] des faits et des conclusions. Cette invite à s'expliquer n'était point pour embarrasser Schwartzenberg, car sa cour venait de le mettre précisément en état de répondre à nos avances et au besoin de les prévenir : à l'instant où l'Empereur faisait vers elle un pas plus marqué, elle s'était déjà mise en chemin pour se rapprocher de lui, et, par un effet bien inattendu de la misérable Prusse, c'était la mission de Scharnhorst qui avait accéléré ce mouvement. A l'invocation suprême qui lui était venue de Berlin, à ce cri de détresse, Metternich avait pu mesurer l'effroi et le péril de la Prusse : il avait compris que cette puissance touchait aux résolutions extrêmes : tiraillée entre les deux empereurs rivaux, elle allait se jeter vers l'un ou vers l'autre. Or, il importait essentiellement aux Autrichiens de ne point se laisser surprendre par cette évolution, en quelque sens qu'elle se fît. Si la Prusse consommait son accord avec la Russie et se serrait contre elle pour résister à nos exigences, Napoléon l'attaquerait infailliblement ; suivant toutes probabilités, il l'écraserait du premier coup et la mettrait en pièces. En ce cas, l'Autriche éprouverait une juste commisération et se trouverait des larmes pour cette grande infortune ; toutefois, après avoir payé ce tribut aux convenances, n'aurait-elle pas à exercer des reprises sur la succession de sa voisine ? Depuis un siècle, la Prusse s'était formée et arrondie aux dépens de tout le monde : dans les dépouilles de cet État fait de rapines, chacun reconnaîtrait et retrouverait son bien : l'Autriche en particulier ne serait-elle pas fondée à rappeler que la Silésie lui avait été indûment soustraite par Frédéric II et revenait de droit à son ancien possesseur ? Seulement, pour qu'elle élevât avec succès cette revendication, il était nécessaire qu'elle se fût placée auparavant dans les bonnes grâces du suprême distributeur des territoires et des provinces ; un traité d'alliance avec l'Empereur lui serait un titre pour se présenter au partage de la Prusse. Que si la Prusse, au contraire, cherchait son salut dans la soumission et s'unissait à la France, avant que l'Autriche eût pris le même parti, l'empereur Napoléon, assuré de l'une des deux puissances germaniques, aurait moins besoin de l'autre et lui ferait des conditions moins douces : la concurrence prussienne mettrait à plus bas prix l'alliance de l'Autriche : cette cour se trouverait distancée et prévenue, et c'est pourquoi, dans la seconde hypothèse autant que dans la première, elle ne pouvait trop tôt s'accorder avec Napoléon et se mettre en règle aux Tuileries[43]. Donc, dès le 28 novembre, tandis que Metternich se préparait à nourrir quelque temps les illusions de Scharnhorst et à prolonger les incertitudes de la Prusse, il avait invité Schwartzenberg à prendre les devants auprès de l'Empereur, à entrer franchement en matière, et c'est ainsi que Napoléon, quand il aborda avec l'ambassadeur la question de l'alliance, trouva un homme qui se disposait à lui en parler. Dans la conférence du 17 décembre, on se mit assez facilement d'accord. L'Autriche ferait cause commune avec nous contre la Russie : elle fournirait un corps auxiliaire ; à ce prix, Napoléon lui garantirait l'échange facultatif de la Galicie contre les provinces illyriennes, dans le cas où la renaissance de la Pologne résulterait de la guerre. Il lui faisait espérer en outre un agrandissement sur le Danube, dans ces principautés roumaines qu'il considérait comme perdues pour la Turquie, et plus vaguement une meilleure frontière du côté de l'Allemagne. Quant à la Silésie, dont le nom avait été légèrement prononcé, elle reviendrait à l'Autriche, si la Prusse commettait le moindre écart et se précipitait ainsi dans l'abîme[44]. Informé de cette conférence et de ses résultats, Metternich laissa à Schwartzenberg toute latitude pour conclure et le munit de pouvoirs. Napoléon apprit très promptement que la cour de Vienne, comme celle de Berlin, n'attendait plus pour signer que son bon plaisir et l'heure marquée par ses convenances. Ainsi, sur ce vaste échiquier de l'Europe centrale où le jeu des différentes pièces se commandait, tout s'était opéré par réactions successives. Comme l'empereur de Russie, mû par des considérations politiques et stratégiques, n'avait osé fournir à la Prusse des assurances pleinement satisfaisantes et s'aventurer trop loin en Allemagne, la Prusse aux abois s'était portée vers l'Autriche, en lui demandant conseil et secours, en cherchant près d'elle le point d'appui de sa débilité : l'Autriche avait craint aussitôt de la part de ses voisins un coup de tête qui la mettrait elle-même en fâcheuse posture : voyant les événements se précipiter et tenant à en profiter, elle n'avait trouvé d'autre moyen que de s'entendre avec celui qui paraissait destiné à les gouverner : elle avait pressé le pas vers l'Empereur et s'offrait à lui humblement. V En ne voyant point revenir de Berlin la convention du 17 octobre avec la ratification royale, Alexandre avait compris que le courage manquait à Frédéric-Guillaume pour persister dans son projet de révolte et tenter la fortune des armes. Il ne fit rien pour peser sur les dernières déterminations de la Prusse. Sans croire encore à une défection complète, il prenait assez facilement son parti d'une défaillance qui lui permettait de revenir à son plan préféré, à cette défensive sur laquelle il fondait tant d'espoir. Il se replaçait à la position d'immobilité absolue, se bornant à tenir ferme contre les instances suspectes de Napoléon et à le braver par son mutisme. Cependant, tout le monde autour de lui ne se résignait pas aussi aisément à l'idée d'une lutte où la Russie jouerait ses destinées : les suprêmes angoisses de la Prusse coïncidèrent avec une tentative fort remarquable pour ménager entre les deux empereurs une reprise d'entretien et faire naître une chance d'accommodement. Ce fut l'œuvre individuelle d'un Russe ; l'honneur en revient à ce comte de Nesselrode dont les débuts fort remarqués montraient l'aurore d'une grande fortune. Le 23 octobre, Nesselrode était arrivé de Paris à Pétersbourg. Il avait obtenu permission de quitter pour quelques semaines son poste de secrétaire et venait en congé. L'emploi occulte qu'il remplissait en France à côté de ses fonctions officielles, la correspondance qu'il entretenait avec le favori du Tsar, la nullité même de son chef lui donnaient une autorité et une importance très supérieures à son grade. L'empereur Alexandre commençait à voir en lui une réserve pour l'avenir, un ministre de demain. De son côté, Napoléon lui avait décerné pendant l'audience du 15 août de publics éloges. Ce concert des deux empereurs pour apprécier ses talents lui inspira l'ambition d'un grand rôle, le désir légitime de se placer hors de pair en épargnant à son pays l'épreuve d'une guerre terrible. Malgré le loyalisme de ses sentiments, il ne pouvait s'empêcher de blâmer et de déplorer la conduite d'Alexandre : il sentait que ce prince, en refusant d'abord de s'expliquer autrement que par énigmes et par périphrases, en se dérobant ensuite à toute négociation, avait contribué pour une grande part à créer l'état de choses actuel et engagé gravement sa responsabilité. Persévérer dans ce système, c'était s'attirer immanquablement la guerre. Nesselrode en redoutait l'issue. Moins hardi que son maître, il estimait qu'aucune puissance n'était de force, seule et sans alliés, à se mesurer contre le colosse. Tandis qu'Alexandre, éclairé par une intuition prophétique, voyait le salut de la Russie dans son isolement même, tandis qu'il avait su discerner à merveille ses véritables et tout-puissants alliés, le temps, le climat, la nature, l'infini dés steppes, Nesselrode ne croyait qu'à l'efficacité des coalitions européennes et s'en tenait à ce remède usé. Or, bien qu'à cette époque la Prusse et l'Autriche ne se fussent pas encore remises aux mains de la France, il se rendait compte qu'actuellement la Russie n'en pouvait attendre aucun secours : par conséquent, il jugeait de toute nécessité d'éviter la guerre. Selon lui, puisque Napoléon réclamait depuis huit mois et avec une persévérance infatigable l'ouverture d'une négociation, il fallait le prendre au mot, ne serait-ce que pour vérifier ses intentions et en avoir le cœur net : il fallait traiter pendant qu'il en était temps encore, traiter tout de suite, en y mettant quelque bonne grâce, et envoyer à Paris un agent chargé de terminer la querelle. Nesselrode s'offrait implicitement à remplir ce rôle, à négocier un traité de rapprochement, un acte de pacification, sur des bases que les deux empereurs pourraient honorablement accepter. Quelles seraient ces bases ? A ce sujet, Nesselrode développa ses idées de vive voix devant l'empereur Alexandre et les consigna ensuite dans un rapport fort intéressant, où l'homme d'État à vues lointaines perce déjà sous l'ambitieux secrétaire[45]. Passant en revue toutes les parties du litige, il indiquait en quoi pourraient consister, d'après lui, les sacrifices à faire et les garanties à obtenir. Sur la question des neutres, il n'admettait aucune concession : l'honneur et l'intérêt de la Russie, disait-il, l'obligeaient également à se conserver une liberté de commerce relative : cela seul la distinguerait de cette foule de faibles alliés, aveuglément soumis aux volontés arbitraires et capricieuses de la France. Par contre, il estimait que la Russie devait passer condamnation sur l'affaire de l'Oldenbourg et abandonner formellement le principe d'une indemnité territoriale. Quant à la Pologne, on pourrait, eu s'autorisant des offres de Napoléon lui-même, faire insérer dans le traité, sous une forme quelconque, la clause fameuse de non-rétablissement. Mais Nesselrode, esprit positif, n'attachait pas plus d'importance qu'il ne convenait à cette satisfaction platonique. Suivant lui, la Russie devait chercher ailleurs ses sûretés. Ce qu'il fallait demander à Napoléon, c'était de limiter matériellement ses facultés offensives : il devrait réduire à un chiffre d'hommes déterminé l'année de Poniatowski et la garnison de Dantzick, s'interdire tout envoi de troupes françaises dans le duché de Varsovie, évacuer graduellement les places de l'Oder et libérer la Prusse, qui ferait désormais barrière entre les deux empires. En échange de ce recul de la puissance française, la Russie consentirait à quelques mesures de désarmement : point d'inconvénient pour elle à éloigner légèrement ses armées de la frontière, et Nesselrode conseillait de ne pas élever à ce sujet trop de difficultés. Mais voici où se montre sa pensée dominante : Il y a encore, écrit-il, un point capital qui est presque à envisager comme la clef de la voûte : c'est que d'un commun accord entre les cieux souverains l'Autriche soit invitée à entrer dans leur arrangement et à en garantir les clauses. Croyant toujours à la vertu des ligues internationales et ignorant
que l'Autriche avait pris son parti de s'abandonner à l'Empereur, Nesselrode
ne voyait de sécurité et d'avenir pour la Russie que dans un rapprochement
avec elle. Or, l'accession de l'Autriche au compromis franco-russe produirait
vraisemblablement ce résultat : elle rétablirait entre les deux cours une
solidarité d'engagements, d'intérêts et de droits, d'où naitrait à coup sûr
un renouvellement de confiance : on reprendrait l'habitude de penser et
d'agir en commun : au sein de l'entente à trois se formerait une liaison
intime à deux, et la Russie trouverait tout à la fois, dans la combinaison
proposée, l'avantage d'éviter actuellement la guerre et de préparer pour
l'avenir une coalition nouvelle, qui suivant les cas resterait à l'état
latent ou se manifesterait activement. Si Napoléon contrevenait à
l'arrangement, l'Autriche, qui en aurait garanti le maintien, ne laisserait
point sans doute protester sa signature : elle se sentirait engagée d'honneur
à marcher aux côtés de la Russie : mais peut-être le seul aspect de ces deux
cours fermement unies suffirait-il à faire réfléchir le conquérant et fi le
tenir en respect. Le jour où ces deux puissances
oseront pour la première fois avouer les mêmes principes et faire entendre le
même langage au gouvernement français sera celui où la liberté de l'Europe
renaitra de ces cendres ; ce sera l'avant-coureur de la résurrection d'un
équilibre politique sans lequel, quoi qu'on fasse, la dignité des souverains,
l'indépendance des États et la prospérité des peuples ne seront que de
tristes souvenirs. C'est ainsi que d'une mesure bien calculée résulteraient
une foule d'avantages, et que Votre Majesté, en conjurant l'orage, verrait
sortir des fruits de sa sagesse les germes d'un véritable état de paix, qui,
s'il est compatible avec l'existence de l'empereur Napoléon, ne pourrait,
dans l'état déplorable où se trouvent toutes les puissances tant sous le
rapport moral que sous celui de leurs moyens physiques, être obtenu que de
cette manière. A lire cette partie du rapport, il est impossible d'échapper à un souvenir : an rapprochement s'impose. Les idées exprimées sont exactement celles que Talleyrand développait naguère à l'empereur Alexandre pendant les soirées d'Erfurt et qu'il insinuait à Metternich au lendemain de l'entrevue. Depuis qu'il avait pris le parti de l'étranger contre l'ambition napoléonienne. Talleyrand ne voyait d'autre frein à opposer au grand destructeur qu'une ligue entre les deux empires dont la puissance avait plus ou moins survécu à l'écroulement de l'Europe. Plus son maître avait cherché à les désunir, plus il s'était efforcé de les rapprocher. Dans les rapports qui pourraient se rétablir entre Pétersbourg et Vienne, l'un et l'autre découvraient, avec une égale sagacité, le nœud de toute coalition sérieuse ; Napoléon cherchait à le trancher, Talleyrand travaillait sourdement à le reformer, et Nesselrode fut sans doute l'instrument qu'il se choisit pour une suprême tentative. L'hypothèse d'une rencontre fortuite de pensée entre ces deux hommes tombe d'elle-même, si l'on se rappelle les relations étroites que Nesselrode entretenait par ordre avec le prince de Bénévent, les avis, les confidences, les enseignements qu'il en recevait : les idées exposées dans son mémoire prouvent qu'il avait su mettre à profit les leçons de cc maître et montrent Talleyrand derrière Nesselrode. Alexandre discuta vivement ces idées et fit difficulté de
les agréer. Il montrait une extrême répugnance à rentrer en négociation.
Nesselrode insista : avec l'audace
d'une conviction ardente, il rappela que le silence d'Alexandre le mettait en
fausse et désavantageuse posture, que l'Europe en comprendrait mal les
motifs, que la Russie donnait beau jeu à Napoléon pour lui faire la guerre,
en s'opiniâtrant à ne point traiter : Continuer à nous
y refuser, dit-il, serait, en mettant les
torts apparents de notre côté, autoriser en quelque sorte ses préparatifs
contre nous. Alexandre ne méconnaissait point la valeur de cette argumentation, mais il énonça en dernier lieu sa grande et secrète objection, sa pensée de derrière la tête, celle qui depuis un an inspirait en partie sa conduite : En vidant, dit-il, les différends actuels par un arrangement, le grief que la France nous a donné par la réunion de l'Oldenbourg disparaîtrait. Or, il tenait à se garder un grief contre la France : il voudrait s'en réserver un afin d'en profiter pour rouvrir ses ports dans telle circonstance où l'empereur Napoléon se trouverait hors d'état de nous faire la guerre pour cette seule raison. Nesselrode lui fit cette réponse : Je pense qu'à cet égard Votre Majesté pourrait s'en remettre au caractère connu de ce souverain, qui certainement ne tarderait pas à lui fournir de nouveaux sujets de plainte et de récrimination. D'ailleurs, ses engagements avec lui ne sont pas éternels, et si d'ici à quelque temps ils ne produisent pas sur l'Angleterre l'effet qu'il se flatte vainement d'en obtenir, Votre Majesté aurait toujours le droit de déclarer à la France qu'elle ne saurait sacrifier davantage les intérêts de son empire à une idée qu'une expérience de six ans a prouvé n'être qu'une chimère. Personne ne saurait voir dans cette déclaration une violation des traités, et si d'ici à cette époque nous sommes parvenus à consolider nos mesures de défense et à leur donner l'étendue et la perfection qu'elles doivent avoir tant que vivra Napoléon, je doute même qu'elle puisse amener la guerre. Finalement, Alexandre fut ou parut convaincu. Il avait alors un motif particulier et très sérieux pour surmonter ses répulsions, pour esquisser un geste pacifique, pour entamer ou simuler une négociation, et Nesselrode avait habilement fait valoir auprès de lui cette raison de circonstance. La victoire remportée par les Russes sur le Danube semblait produire l'effet prévu par Napoléon : le Grand vizir, échappé presque seul du désastre et réfugié à Rouchtchouk, avait fait porter aussitôt à Kutusof des paroles de paix : il avait ouvert des conférences, tandis qu'il demandait à Constantinople instructions et pouvoirs. Cette paix que les Russes avaient espéré surprendre discrètement par l'entremise de l'Angleterre, elle leur venait ainsi avec éclat : elle leur arrivait presque assurée, mais l'évidence même de cette solution n'était-elle point pour la compromettre ? Alexandre savait de quel œil vigilant et anxieux Napoléon suivait les péripéties de la campagne, quel prix il attachait à la prolongation d'une lutte qui divisait les forces de la Russie. En voyant les Turcs s'affoler sous le coup de la défaite et se jeter éperdument à une négociation, à quelles violences ne se laisserait-il point emporter pour les détourner de conclure, pour leur rendre du cœur, pour empêcher une paix éminemment préjudiciable à sa politique ! Il allait peut-être pousser en Allemagne le gros de ses forces, occuper la Prusse, attaquer ou menacer ouvertement la Russie et, par ce secours indirect aux Ottomans, déranger gravement les opérations de la diplomatie moscovite sur le Danube, Ce fut vraisemblablement pour l'immobiliser, pour prévenir de sa part des démonstrations prématurées[46], pour le mettre dans l'impossibilité morale de marquer dès à présent un pas de plus vers le Nord, que l'empereur Alexandre se disposa à un essai de conciliation, à une réouverture des pourparlers : quel qu'en dût are le résultat, il gagnerait au moins le temps de terminer sa querelle avec les Turcs et d'assurer son flanc gauche. Nesselrode fut averti que son maitre le renverrait prochainement Paris, en mission spéciale. Afin qu'il pût se présenter plus dignement aux Tuileries, on l'avança d'un grade : on lui mit un galon de plus sur son habit[47] ; on le nomma secrétaire du cabinet, ce qui lui donnait rang de ministre plénipotentiaire. En même temps, Alexandre annonçait à Lauriston que, voulant en finir et mettant de côté toute fausse honte, il se décidait à parler : il s'expliquerait par la bouche de Nesselrode, clairement, franchement, articulerait ses demandes de la façon la plus nette, sans se montrer bien exigeant : Je veux terminer et je ne serai point difficile[48], telles étaient ses expressions. Nesselrode aurait pouvoir de traiter toutes les questions ensemble ou séparément : Il aura toute ma pensée, disait Alexandre ; ses instructions seront très détaillées ; on est en train d'y travailler[49]. En effet, Nesselrode avait reçu ordre de se préparer à soi-même un commencement d'instructions, dans le sens de son mémoire[50]. Si ingénieux que fût son plan de pacification, il n'en était pas moins chimérique. Napoléon n'aurait jamais souscrit à un accord qui n'eût pas ramené et emprisonné la Russie dans le système continental. De plus, tenant l'Autriche, il se fût estimé bien naïf de la remettre lui- même en rapport avec Alexandre. Mais il n'eut pas à décliner les propositions de Nesselrode. A supposer qu'il y ait eu un instant chez le Tsar désir réel de traiter, ce ne fut qu'une fugitive velléité. Les influences les plus opposées concoururent d'ailleurs à la dissiper. Armfeldt et son groupe la taxaient d'insigne faiblesse. Roumiantsof aspirait de tout son cœur à la paix, mais n'admettait pas que la réconciliation s'opérât par un autre intermédiaire que lui-même : jaloux de Nesselrode, en qui il flairait un aspirant ministre, un candidat à sa succession, il parait avoir déconseillé son envoi. Alexandre se laissa facilement détourner d'une tentative à laquelle il se prêtait à contre-cœur. Très vite, il devint de toute évidence que l'annonce de la négociation n'était plus qu'un leurre, un vain simulacre, destiné à empêcher une diversion française au profit de la Turquie. En novembre et en décembre, ou continua d'entretenir continuellement Lauriston de la mission projetée ; on la lui présentait comme chose décidée et certaine ; seulement, on la retardait sans cesse, on l'ajournait sous divers prétextes. Nesselrode semblait toujours à la veille de partir et ne partait jamais[51]. Pendant plus de deux mois, Alexandre amusa ainsi notre ambassadeur, espérant apprendre à tout moment la conclusion de la paix sur le Danube et le succès de sa manœuvre. Cependant la paix ne se fit point, le sultan Mahmoud et son Divan ayant montré une fermeté inattendue et s'étant refusé à céder la partie orientale des Principautés. L'affaire manquant d'elle-même, le jeu imaginé pour empêcher Napoléon de la traverser devenait sans objet : le Tsar chercha et trouva un prétexte pour retirer sa promesse de traiter. Dans une conversation tenue aux Tuileries avec le Prussien Krusemarck et dont l'écho revint en Russie, Napoléon avait dit, le 16 décembre[52], qu'il verrait arriver Nesselrode avec plaisir : seulement, avait-il ajouté, il considérait qu'une mission d'apparat serait une faute. Ce langage répondait parfaitement à sa pensée. Il désirait que Nesselrode revînt auprès de lui en parlementaire officieux, en causeur, afin de pouvoir entamer par son intermédiaire une négociation traînante qui aiderait à passer l'hiver et faciliterait l'ajournement des hostilités jusqu'à l'époque marquée pour l'explosion : il ne voulait point qu'une ambassade solennelle vint lui présenter une sorte d'ultimatum dont le rejet précipiterait la guerre. Sa réserve n'avait porté que sur la forme de la mission : Alexandre affecta de croire qu'elle avait porté sur le fond ; s'autorisant de cette interprétation fausse, il déclara aussitôt que sa dignité lui interdisait d'envoyer un messager de paix auprès d'un souverain mal disposé à le recevoir : il ajouta avec vérité ; ;Ite ses agents lui signalaient le redoublement de nos préparatifs, l'ébranlement prochain de nos troupes, qu'en conséquence il ne s'abaisserait pas à demander la paix sous le coup d'une menace grossissante et qu'il renonçait à envoyer Nesselrode. De son côté, Napoléon avait compris depuis longtemps qu'Alexandre n'avait plus l'intention de faire partir le jeune diplomate, qu'il ne l'avait peut-être jamais eue : une fois de plus, les deux empereurs en vinrent à se convaincre respectivement de leur mauvaise foi et s'affermirent dans la volonté de combattre. Alexandre donnait sa parole de chevalier au baron d'Armfeldt de ne jamais composer avec Bonaparte : il présentait le Suédois à l'Impératrice comme son futur compagnon de guerre, son frère d'armes : J'espère, disait-il, me rendre digne de lui[53]. Napoléon disait à Schwartzenberg, en parlant des Russes : Ces fous veulent me faire la guerre ; je la leur ferai au printemps avec cinq cent mille hommes[54]. Et l'instant était venu où il lui fallait enfin, pour se mettre en état d'agir au printemps, grouper ses armées, battre le rappel de ses alliés et pousser vers le Nord la totalité de ses forces. Les voies lui sont ouvertes : l'assujettissement complet de l'Allemagne lui donne la route entre le Rhin et le Niémen, entre Mayence et Wilna : il peut accéder librement au territoire russe et s'y enfoncer. C'est en vue de ce résultat qu'il nous a fait assister pendant six mois à de savantes temporisations et à des manœuvres profondément calculées, qu'il a tour à tour calmé et violenté la Prusse, circonvenu lentement l'Autriche, rusé partout, rusé toujours, avec une tenace opiniâtreté : étrange et douloureux spectacle que de le voir s'acharnant à la poursuite d'un avantage qui le perdra, dépensant à l'obtenir une somme incroyable d'efforts, se frayant patiemment passage jusqu'au bord de cette Russie où doit s'engloutir sa fortune et assurant avec une incomparable habileté sa marche à l'abime. |
[1] Voyez sur cette affaire la savante dissertation de M. Alfred STERN, Abhandlungen und Ackenstücke zur geschichte der Preussischer Reformzeit (1807-1815), p. 93-113, avec textes à l'appui. La pièce avait été également livrée à Tchernitchef et communiquée par lui à sa cour. Volume cité, p. 213-214.
[2] DUNCKER, Aus der Zeit Friedrichs der Grossen und Friedrich-Wilhelms, III, 365-369. — Voyez aussi l'important ouvrage de LEHMANN sur Scharnhorst, t. II, 350-352.
[3] DUNCKER, 360-370. LEHMANN, STERN, Abhandlungen und Ackenstücke,
etc., 93-94.
[4] DUNCKER, 373 Cf. LEFEBVRE, Histoire des cabinets de l'Europe, V, 139-140.
[5] Instructions à Saint-Marsan, DRUCKER, 401.
[6] Maret à Saint-Marsan, 4 septembre. Dans cette dépêche, le ministre des relations extérieures fait le récit de sa conversation avec Krusemarck.
[7] Maret à Saint-Marsan, 13 septembre. Divers extraits de la correspondance de Berlin, conservés aux archives des affaires étrangères, ont été publiés par M. STERN, Abhandlungen und Acktenstücke, etc.
[8] Saint-Marsan à Maret, 26 septembre et 16 octobre 1811 ; Saint-Marsan à Davout, 4 octobre 1811, archives des affaires étrangères. Cf. LEHMANN, II, 392.
[9] Maret à Saint-Marsan, 13 septembre 1811. CF. STERN, 340-342.
[10] Saint-Marsan à Maret, 21, 24 et 26 septembre. Cf. STERN, 342-346.
[11] Dépêches identiques du 1er octobre. Archives des affaires étrangères, Prusse, 248.
[12] Archives des affaires étrangères, Documents divers, Prusse, 248.
[13] Maret à Saint-Marsan, 13 octobre.
[14] Saint-Marsan à Davout, 4 octobre 1811. Archives des affaires étrangères, volume cité.
[15] Correspondance, 18234.
[16] Saint-Marsan à Maret, 10 novembre. STERN, 369.
[17] Rapport du 20 octobre, archives des affaires étrangères, volume cité. Cf. DUNCKER, 392.
[18] Archives des affaires étrangères, volume cité.
[19] Saint-Marsan à Maret, dépêche du 20 octobre, lettre confidentielle du 23.
[20] DUNCKER, 391.
[21] Saint-Marsan à Maret, 27 octobre.
[22] Instructions générales et particulières pour le comte de Saint-Marsan, en date du 22 octobre 1811, publiées par STERN, 350-366.
[23] Le récit de la mission de Scharnhorst figure dans DUNCKER, 418-423, et avec plus de détails dans LEHMANN, 402-415.
[24] Le texte en a été publié par MARTENS, Traités de la Russie, VII, 21-37. Cf. LEHMANN, 412-415.
[25] DUNCKER, 402.
[26] Lettre à Maret, 1er novembre 1811.
[27] DUNCKER, 402.
[28] DUNCKER, 413-414.
[29] LEHMANN, 422-435. DUNCKER, 418-423.
[30] A peine nous venions de rentrer dans les dunes, — écrit Lefebvre le 27 octobre, — que nous nous trouvâmes au milieu d'une espèce de forêt de bois coupé : des ouvriers travaillaient à faire des fascines : ils étaient en assez grand nombre. Le général Tauenzien (gouverneur de la place) me parut extrêmement embarrassé de cette découverte. Nous poussâmes plus loin et nous découvrîmes bientôt d'autres travailleurs occupés, en assez grand nombre, à former une chaussée qui doit, aboutir d'un côté à la grande route de Colberg, et de l'autre au fort dont j'ai parlé plus haut... Elle est visiblement destinée au service de cette redoute... M. le comte de Tauenzien, qui, si j'en ai bien jugé, ne s'attendait pas à cette découverte, en demeura fort embarrassé. Il dit quelques mots pour justifier la construction de cet ouvrage ; les expressions ne vinrent pas : il paraissait être à la torture. Nous traversâmes d'un bout à l'autre cette chaussée fort silencieusement, et nues rentrâmes à la nuit tombante. J'avais vu tous les travaux extérieurs, non en détail, car je dois observer que nous n'approchions qu'à une certaine distance des redoutes. Lorsque les objets commençaient à titre trop visibles et distincts, l'ordre était bien vite donné au cocher de rebrousser chemin. Archives des affaires étrangères, Prusse, 249.
[31] Rapport du consul de Stettin, 28 octobre. Archives des affaires étrangères, volume cité. Cf. Correspondance, 18214.
[32] Rapport de Tchernitchef, 18 décembre, volume cité, p. 266. Napoléon écrivait à Davout : Les Russes ont eu de grands succès sur les Turcs, qui se sont comportés comme des bêtes brutes. Je vois la paix sur le point de se conclure. Correspondance, 18239.
[33] Correspondance, 18259.
[34] Correspondance, 18259.
[35] Le projet de Davout, dont nous donnons de larges extraits, figure aux archives nationales, AF, IV, 1656.
[36] Rapport d'ensemble de Lefebvre, daté de Breslau le 24 novembre 1811. Archives des affaires étrangères, Prusse, 248.
[37] DUNCKER, 424, d'après le rapport de Schwartzenberg.
[38] Correspondance, 18341.
[39] DUNCKER, 425, d'après le rapport de Krusemarck,
[40] DUNCKER, Cf. LEHMANN, II, 434.
[41] Saint-Marsan à Maret, 29 janvier 1812.
[42] Rapport de Metternich à son souverain, 15 janvier 1812. Mémoires de Metternich, II, 442.
[43] Rapport de Metternich publié dans ses Mémoires, 422-435. Cette pièce a été inscrite par erreur sous la date du 28 décembre, mais Metternich lui-même, dans une allusion ultérieure à son travail, lui attribue celle du 28 novembre.
[44] Rapport de Metternich d'après le compte rendu de Schwartzenberg, 15 janvier 1812 ; Mémoires, II, 435-440.
[45] C'est le rapport que nous publions à l'Appendice, sous le chiffre II. Toutes les citations suivantes sont tirées de cette pièce, où Nesselrode se réfère constamment à sa conversation préalable avec le Tsar.
[46] Rapport de Tchernitchef en date du 10/22 octobre, volume cité, 260.
[47] Paroles d'Alexandre à Lauriston, d'après la lettre de ce dernier en date du 10 janvier 1812.
[48] Lauriston à Maret, 18 et 27 novembre 1811.
[49] Lauriston à Maret, 16 et 22 novembre 1811.
[50] Archives de Saint-Pétersbourg.
[51] Correspondance de Lauriston, novembre et décembre 1811, janvier 1812, passim.
[52] Voyez le rapport de Tchernitchef en date du 31 décembre/12 janvier, volume cité, p. 280-287. Cf. THIERS, XIII, 396, et ERNOUF, 307-308. Ces deux auteurs interprètent les paroles de l'Empereur chacun suivant un système préconçu.
[53] TEGNER, III, 389.
[54] DUNCKER, 424, d'après le rapport de Schwartzenberg.