NAPOLÉON ET ALEXANDRE Ier

L'ALLIANCE RUSSE SOUS LE PREMIER EMPIRE

III. — LA RUPTURE

 

CHAPITRE IV. — L'ALERTE.

 

 

Naissance du roi de Rome. — Anxiété de la population. — Explosion d'allégresse. — Émotion de l'Empereur. — Premiers bruits de guerre. — Les Varsoviens signalent au delà de leur frontière quelques mouvements suspects. — Incrédulité de Davout. — Renseignements venus de Suède et de Turquie. — Scepticisme de l'Empereur. — Il croit que la Russie arme par peur et tâche de la rassurer. — En apprenant que plusieurs divisions de l'armée d'Orient remontent vers la Pologne, il commence à s'émouvoir. — Mesures de précaution. — Napoléon aimerait mieux éviter la guerre que d'avoir à la faire tout de suite. — Il se résigne à l'idée d'une transaction. — Départ de Lauriston. — Nouvelle lettre à l'empereur Alexandre : appel à la confiance. — Arrivée de Tchernitchef : l'Empereur le reçoit aussitôt. — Quatre heures de conversation. — Vivement pressé, Tchernitchef finit par répéter la métaphore du comte Roumiantsof. — Napoléon se figure d'abord que la Russie lui demande le duché tout entier. — Mouvement de révolte et de colère. — Dantzick ou Varsovie. — Contre-propositions de l'Empereur. — Système de ménagements. — Tchernitchef comblé d'attentions et de gâteries. — Savary s'avise spontanément de couper court aux investigations de cet observateur. — Aplomb de Tchernitchef. — Savary joue de la presse. — Le Journal de l'Empire. rt cl e du 12. avril. — Les nouvellistes. — Esménard. — Courroux de l'Empereur ; reproches au ministre de la police ; mesures prises contre l'auteur de l'article et le rédacteur du journal. — Arrivée de Bignon à Varsovie. Tumulte d'avis contradictoires. — Poniatowski reçoit communication par miracle des lettres écrites à Czartoryski par l'empereur Alexandre. — Le projet d'invasion surpris et éventé. — Les découvertes de Poniatowski confirmées par l'approche des troupes russes. — Affolement des Polonais. — Alarme générale. — La guerre en vue. — Activité de l'Empereur. — Les fêtes de Pâques 1811. — Napoléon prépare l'évacuation du duché et reporte sur l'Oder sa ligne de défense. — Davout invité à se diriger éventuellement sur ce fleuve. — Mesures prises pour le renforcer et le soutenir. — Négociations avec l'Autriche, la Prusse, la Suède et la Turquie. — _Napoléon ne renonce pas à éviter la guerre. — Ses efforts persévérants pour s'éclairer sur les désirs et les prétentions d'Alexandre. — Lettre inédite à Caulaincourt. — On cherche à faire parler Tchernitchef. — Chasse du 16 avril. — Visite matinale de Duroc. — Tchernitchef ne se laisse tirer aucune parole positive. — Changement dans le ministère. — Le duc de Bassano substitué au duc de Cadore. — Seconde lettre à Caulaincourt : si ce que les Busses désirent est faisable, cela sera fait. — Napoléon reste en garde : la Prusse et la frontière russe en observation. — Avis plus rassurants : phénomène d'optique : l'agitation des Polonais s'apaise. — Napoléon interrompt ses négociations avec l'Autriche, la Prusse, la Suède et la Turquie. — Il modère ses préparatifs militaires sans les discontinuer. Doutes qu'il conserve sur les causes de l'alerte : il tient passionnément à pénétrer le secret de la Russie.

 

I

Depuis quelques jours, l'attente d'un grand événement tenait en émoi Paris et la France : la grossesse de l'Impératrice touchait à son terme. Quand le moment parut tout à fait prochain, la vie de la capitale s'interrompit ; les affaires furent suspendues, les ateliers chômèrent, chacun quitta son travail ou ses plaisirs ; inoccupée et désœuvrée, la population cherchait à distraire son impatience par des prévisions, des pronostics, des gageures. A la Bourse, où les sentiments sont les intérêts[1], les transactions ordinaires avaient cessé, mais la spéculation aventurait de grosses sommes sur le sexe de l'enfant à naître.

Le 19 mars au soir, l'Impératrice commença à souffrir ; le lendemain matin, la ville entière était sur pied, la foule encombrait les rues, les places, les quais, les abords des Tuileries, compacte et muette. À dix heures, le canon se mit à tonner, annonçant l'accouchement : il devait tirer vingt et une fois pour une fille, cent une fois pour un fils. Au premier coup, la circulation s'arrêta dans les rues : chacun resta immobile, figé dans l'attitude prise, dans le geste commencé, et à chaque détonation nouvelle répondait un battement de cœur de la grande cité. Les secondes qui s'écoulèrent après le vingt et unième coup parurent un siècle : enfin, le vingt-deuxième retentit, lança dans l'air la triomphante nouvelle, annonça à la ville et au monde la naissance d'un fils de France qui trouvait dans son berceau une couronne de roi et la promesse de l'Empire. Alors, un formidable cri de Vive l'Empereur ! s'échappa d'un million de poitrines. Bientôt, d'un bout a l'autre du pays, ce furent un enthousiasme presque unanime, une effusion générale. Pour quelques jours, les dissidences se turent, les querelles s'apaisèrent, les ennemis cessèrent de se haïr[2] : la confiance se releva : la majorité des Français croyait encore en l'Empereur, elle se mit à croire en l'Empire. Tandis que la joie et l'obséquiosité se manifestaient sous mille formes, par des illuminations spontanées, par des pièces de circonstance improvisées dans tous les théâtres, par un déluge d'odes et de cantates, tandis que les congratulations officielles se succédaient, tandis que l'étiquette obligeait les dames présentées à la cour à venir chaque matin en Grande toilette prendre des nouvelles de l'Impératrice et s'inscrire au château, tandis que les corps constitués traversaient Paris en équipages de gala pour porter au maître leurs félicitations ampoulées, lui, le front rayonnant, les yeux humides, le verbe familier et vibrant, se montrait largement et simplement heureux. Il était heureux comme homme, heureux comme chef et fondateur d'État. Son cœur s'attendrissait devant ce petit être vers qui allaient d'un élan passionné les tendresses de son fume, faite pour éprouver à un degré extraordinaire tous les sentiments humains. Puis, en ce berceau sur lequel l'aigle veillait, il croyait trouver pour sa race et son œuvre un gage de perpétuité. Par des largesses, des bienfaits, des pardons, il ajoutait au bonheur des humbles, augmentait l'allégresse de ces instants qui tiraient momentanément la France de ses incertitudes et de ses souffrances, qui l'arrachaient du présent pour la faire vivre dans l'avenir, un avenir qu'elle voulait se figurer radieux et calme.

Ce fut en ces jours qu'arrivèrent du Nord les premiers bruits inquiétants. L'ennemi reparaissait à l'horizon : l'ennemi, c'est-à-dire la guerre, qui avait fait des Français le peuple-roi, et qui leur apparaissait aujourd'hui, par ses reprises continuelles et ses cruautés croissantes, comme le principe de leurs maux. La menace était encore à peine sensible : ce n'était qu'un avertissement lointain, un murmure d'alarme, venant de ces régions de la Vistule qui marquaient la frontière stratégique de l'Empire. Les Polonais de Varsovie, malgré le soin que mettaient leurs voisins à se cacher d'eux, commençaient à remarquer quelques mouvements suspects. Leurs regards dépassaient avec peine la frontière étroitement gardée : néanmoins, derrière ce voile, ils voyaient passer et repasser des ombres menaçantes, des formes d'armées se dessiner confusément et grandir. Avertis par l'instinct de conservation, ils sentaient qu'un péril se levait en face d'eux et appelaient à l'aide. Les autorités ducales s'adressaient à tout le monde, écrivaient à Dresde, à Dantzick, à Hambourg, informaient la cour suzeraine, le général Rapp, le maréchal Davout. Le prince Poniatowski, ministre de la guerre et général en chef de l'armée, envoyait un de ses aides de camp à Paris prévenir l'Empereur[3].

Mais les Polonais avaient tant de fois dénoncé d'irréels périls qu'ils avaient épuisé l'intérêt et lassé l'attention. On connaissait leur tempérament impressionnable et nerveux, leur esprit exalté ; on savait que leur imagination se créait volontiers des fantômes, et que ce verre grossissant décuplait tout à leurs yeux : pour une fois qu'ils voyaient juste et disaient vrai, ils n'arrivaient plus à se faire croire. Par acquit de conscience, Davout prescrivait à Rapp, plus rapproché que lui de la frontière, de s'éclairer et d'envoyer discrètement des officiers en reconnaissance ; mais il se refluait, jusqu'à plus ample informé, à prendre l'alarme. Il reprochait un manque total de discernement aux divers chefs varsoviens, à Poniatowski comme aux autres : Lorsque j'étais à Varsovie, écrivait-il en invoquant d'anciens souvenirs, on se servait de lui pour me faire les rapports les plus extravagants[4]. Malgré l'estime qu'inspirait leur bravoure, les Polonais n'avaient pas réussi à se rendre populaires dans notre armée ; leurs revendications tapageuses, leur manie de se plaindre à tout propos, leurs continuelles demandes d'argent importunaient : on avait peine à les prendre au sérieux, en dehors du champ de bataille.

Peu à peu, d'autres avis vinrent jusqu'à un certain point corroborer leurs dires. Ces nouvelles arrivaient à la fois du Nord et du Sud, des deux pays le mieux placés pour observer ce qui se passait dans l'empire russe. Notre ministre en Suède signalait sur le bord opposé de la Baltique, en Finlande, des déplacements de troupes, un défilé d'hommes et de matériel se dirigeant vers le Sud : il croyait à la reprise de relations entre la Russie et l'Angleterre, à un va-et-vient d'émissaires. A la vérité, notre légation de Stockholm ne parlait que par ouï-dire, d'après des renseignements détaillés et romanesques que Bernadotte lui faisait complaisamment passer, et il était fort possible que le prince royal prêtât au Tsar d'agressifs desseins pour se rendre plus utile à l'Empereur et se vendre plus cher. En Orient, nos agents invoquaient le témoignage de leurs propres yeux. Notre consul de Bucharest, qui résidait dans un pays occupé par les Russes et vivait an milieu d'eux, voyait chaque jour des régiments, des brigades, des divisions quitter les bords du Danube et se reporter vers les provinces polonaises. Pour que la Russie s'ôtai, ainsi les moyens d'arracher aux Turcs la cession des Principautés, pour qu'elle renonçât à ses espérances et à ses poursuites en Orient, il fallait qu'elle se crut elle-même menacée ou qu'elle eût brusquement déplacé ses ambitions, qu'elle nourrit d'insidieux projets ou qu'elle eût bien peur.

Cette dernière hypothèse est la seule qui paraisse d'abord vraisemblable à l'Empereur. Quand on lui parle de projets sur le duché et de brusque invasion, il accueille ces propos avec un haussement d'épaules, avec un sourire d'incrédulité : le souverain et le cabinet de Russie ne l'ont point habitué à de pareils coups de tête : Ils n'oseraient, semble-t-il dire. Si la Russie arme, c'est sans doute qu'elle a eu vent de nos propres préparatifs militaires, si discrets et rudimentaires qu'ils soient. Observant le grossissement graduel du premier corps, l'envoi à Dantzick de renforts divers, elle se croit plus près d'être attaquée et prend précipitamment quelques mesures. Pour dissiper cette alarme, Napoléon ordonne à Champagny de mentir plus soigneusement à Kourakine, de répéter avec un grand luxe de détails que la nouvelle garnison de Dantzick est destinée à empêcher un débarquement des Anglais[5]. Caulaincourt est chargé de tenir un langage des plus pacifiques, en attendant que son successeur Lauriston vienne renouveler les mêmes assurances avec l'autorité d'un homme muni d'instructions toutes fraîches. Par quelques explications émollientes, Napoléon s'efforce de calmer une fermentation qu'il juge regrettable, mais encore superficielle et peu grave.

Dans les premiers jours d'avril, les armements de la Russie retentirent si haut qu'il devint impossible d'en méconnaître l'importance. L'écho nous en arrivait de toutes parts, plus net, plus distinct, forçant l'attention. Tandis que les Polonais vivaient dans les transes et renouvelaient leurs signaux de détresse, on voyait clairement de Stockholm la Finlande se vider de soldats. En Orient, au dire de nos agents, c'est maintenant le gros de l'armée russe, ce sont cinq divisions sur neuf, cinq divisions portées au delà de leurs effectifs réglementaires par des prélèvements opérés sur les autres, qui font demi-tour, qui reviennent à marches forcées vers la frontière occidentale de l'empire : et cette volte-face militaire, indice d'un changement de front politique, apparaît à Napoléon comme le fait significatif entre tous et suspect.

D'ailleurs, l'Europe entière commence à parler d'une guerre dont la Russie prendrait l'initiative : nos amis, nos agents s'émeuvent et se croient tenus d'avertir. A Paris, le ministre de la police passe ses soirées et brûle ses yeux à lire des rapports inquiétants ; le ministre des relations extérieures trouve dans les correspondances de Dresde, de Vienne, de Berlin, de Copenhague, la confirmation des faits signalés par celles du Nord et de l'Orient. Les bruits de guerre transpirent même dans le public : la Bourse s'émeut, les cours baissent : chacun s'aperçoit qu'un orage se forme au Nord et monte sur l'horizon. Seule, l'ambassade française à Pétersbourg conserve une impassible sérénité : elle ne voit rien, n'entend rien, vit dans un nuage : elle ignore qu'autour d'elle, dans le vaste empire dont elle a la surveillance, tout se lève et marche, qu'une impulsion continue se fait sentir, que la Russie porte et groupe toutes ses forces sur un point de sa frontière, celui qui confine à la Pologne varsovienne.

Dans ces conditions, une surprise du grand-duché devenait moins impossible. A supposer toujours que l'empereur Alexandre n'obéit à aucune intention préméditée d'offensive, résisterait-il à se servir de ses troupes lorsqu'il les tiendrait sous sa main, lorsqu'il les verrait toutes rassemblées, rangées en bel ordre, effleurant la faible armée du duché, qui s'offre comme une proie ? La guerre est proche dès que les armées sont en présence : elle naît alors du moindre incident, d'un heurt fortuit d'où jaillit l'étincelle incendiaire. Depuis plusieurs mois, on allait incontestablement à la guerre ; on y court aujourd'hui.

Napoléon se décide enfin à prendre quelques mesures de précaution immédiate. Il accélère la marche des contingents allemands dirigés sur Dantzick, stimule l'activité des princes appelés à les fournir, gourmande les retardataires. Davout devra, si les circonstances l'exigent, se porter à tire-d'aile vers l'Oder et la Vistule, par Stettin, le Mecklembourg et la Poméranie : le premier corps traverserait tout cet espace en masse et avec rapidité, marchant comme en temps de guerre et sur trois colonnes[6]. — Mais nous n'en sommes pas encore là, se hâte d'ajouter l'Empereur. Néanmoins, il songe à opérer d'urgence quelques rassemblements derrière le Rhin et les Alpes.

Puis, par une répercussion naturelle, les inquiétudes que lui donne la Russie se traduisent en avances un peu plus marquées aux États qui peuvent le servir contre elle. Le 5 avril, dans une conversation avec le prince de Schwartzenberg, ambassadeur d'Autriche, il prononce pour la première fois le mot d'alliance positive et exprime le désir d'avoir à sa disposition, en cas de besoin, un corps auxiliaire[7]. Il dédaigne moins les avances de la Prusse et permet à Saint-Marsan, son représentant auprès d'elle, d'entrer en conversation[8]. Dans le Nord, Alquier est invité à prêter une oreille plus attentive aux propositions de Bernadotte et à découvrir positivement ce que l'on veut[9]. Champagny prépare un projet de dépêche pour Latour-Maubourg, notre chargé d'affaires à Constantinople : cet agent devra s'ouvrir un peu plus aux ministres de la Porte, en y mettant toujours beaucoup de prudence : Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie, dit le projet. L'Empereur ne veut pas cette guerre nouvelle ; la Russie la craint sûrement, bien loin de la désirer. L'alliance existe encore entre les deux gouvernements, l'apparence doit en être soigneusement conservée. Vous devez donc bien vous garder d'aucune démarche patente que la Russie pourrait regarder comme dirigée contre elle. Cependant, préparez le lien qui devrait unir la France et la Turquie, si la guerre venait à éclater, et aplanissez dans le silence tous les obstacles qui pourraient s'opposer à l'intime union des deux puissances[10]. Napoléon veut se mettre à même de jeter la Turquie, comme la Suède, sur le flanc des armées russes, s'il leur prend fantaisie de marcher sur Varsovie.

Cette irruption n'en serait pas moins pour lui le pire des contretemps : elle dérangerait tout l'avenir tel qu'il le compose dans sa pensée, et la déplaisance qu'il éprouverait à improviser une guerre le pousse à traiter plus sérieusement avec la Russie. Tant qu'il a cru à la possibilité de reporter la crise à l'année suivante, c'est-à-dire à une époque où il aurait en main l'ensemble de ses moyens, il n'a guère admis qu'une solution radicale et tout à son avantage, une guerre qui jetterait la Russie à ses pieds ou une capitulation de cette puissance devant le simple déploiement de nos forces. Aujourd'hui, comme la crise se produit prématurément et le prend au dépourvu, il ne repousse plus l'idée d'un dénouement à l'amiable ; il incline de son côté à transiger, à faire droit dans une certaine mesure aux demandes de l'adversaire, pourvu qu'il n'en coûte pas trop à son orgueil et à sa politique. Ces aspirations allaient-elles s'accorder avec les velléités de même ordre nées un peu plus tôt dans l'esprit d'Alexandre, interrompre le conflit et sauver la paix ?

 

II

Notre nouvel ambassadeur en Russie, le général de Lauriston, avait reçu le 1er avril ordre de quitter Paris et de se rendre à son poste. Ses instructions l'autorisaient à dire que l'Empereur ne ferait la guerre que dans deux cas, si la Russie signait la paix avec les Anglais ou réclamait des Turcs une extension de territoire au delà du Danube[11]. A peine parti, Lauriston fut rejoint par une lettre que Napoléon lui donnait mission de présenter à l'empereur Alexandre : c'était un appel plus pressant à un mouvement d'expansion et de confiance, à une franche explication où l'on se dirait tout des deux parts, où les prétentions pourraient se concilier. Napoléon avoue maintenant qu'il arme et soutient qu'il en a le droit, car les nouvelles de Russie ne sont pas pacifiques. — Ce qui se passe, ajoute-t-il, est une nouvelle preuve que la répétition est la plus puissante figure de rhétorique : on a tant répété à Votre Majesté que je lui en voulais que sa confiance en a été ébranlée. Les Russes quittent une frontière où ils sont nécessaires, pour se rendre sur un point où Votre Majesté n'a que des amis. Cependant, j'ai dû penser aussi à mes affaires et j'ai dû nie mettre en mesure. Le contre-coup de mes préparatifs portera Votre Majesté à accroître les siens ; et ce qu'elle fera, retentissant ici, me fera faire de nouvelles levées ; et tout cela pour des fantômes. Ceci est la répétition de ce que j'ai vu, en 1807[12], en Prusse, et en 1809, en Autriche. Pour moi, je resterai l'ami de la personne de Votre Majesté, même quand cette fatalité qui entraîne l'Europe devrait un jour mettre les armes à la main à nos deux nations. Je ne me réglerai pas sur ce que fera Votre Majesté : je n'attaquerai jamais, et mes troupes ne s'avanceront que lorsque Votre Majesté aura déchiré le traité de Tilsit. Je serai le premier à désarmer et à tout remettre dans la situation où étaient les choses il y a un an, si Votre Majesté veut revenir à la même confiance. A-t-elle jamais eu à se repentir de la confiance qu'elle m'a témoignée ?[13]..... 

Porteur de cette lettre, Lauriston croisa sur les routes d'Allemagne le colonel Tchernitchef, qui courait eu sens inverse. Le 9 avril, le télégraphe aérien signalait le passage à Metz de l'alerte officier. Napoléon en fut charmé : Tchernitchef apportait sans cloute une réponse à la lettre du 28 février, et son arrivée pourrait tout éclaircir. On l'attendait pour le surlendemain, mais sa célérité dépassait toujours les prévisions : le 10 au matin, il tombait à Paris. Tout en arrivant et presque au débotté, il se rendit aux Tuileries. Là, il n'eut pas à faire halte longuement dans le salon d'attente : à peine se fut-il nominé que le chambellan de service l'introduisit chez Sa Majesté.

Averti par le ministre de la police, l'Empereur savait que ce messager était aussi un espion. Néanmoins, ayant d'impérieuses raisons pour le bien accueillir, il vint à lui d'un air riant, témoigna une joyeuse surprise de le revoir sitôt et le félicita pour ses prodiges d'activité. Eh bien, — dit-il ensuite, — à quoi croit-on chez vous, à la paix ou à la guerre ?[14]

Pour réponse, Tchernitchef lui présenta la lettre de l'empereur Alexandre en date du 25 mars et ajouta que son maître conservait l'inébranlable désir de restaurer l'alliance. Une longue discussion s'engagea aussitôt sur les griefs respectifs, après quoi Napoléon déclara qu'ayant la ferme conviction qu'il n'aurait rien à gagner que des coups dans une guerre avec la Russie, il n'avait rien tant à cœur que de s'arranger à l'amiable avec elle : il allait donc voir si la lettre de l'empereur Alexandre lui en fournissait les moyens.

Il rompit alors le cachet. A mesure qu'il parcourait la lettre, le désappointement perçait sur ses traits ; dans tout ce que lui disait Alexandre, il ne trouvait rien de précis et de concluant. En effet, il était difficile de deviner le sens caché de la lettre, à défaut du commentaire que Tchernitchef était autorisé à en donner. Arrivé au passage où le Tsar se plaignait d'un défaut de sécurité, Napoléon s'écria avec humeur : Qui est-ce qui en veut à votre existence ? Qui est-ce qui a le projet de vous attaquer ? Il avait déjà dit que le rétablissement de la Pologne était le cadet de ses soucis.

Il partit de là pour déplorer les terreurs de la Russie, ses vaines agitations, qui la portaient à des mouvements mal combinés et incohérents : ennemis de l'Angleterre, les Russes faisaient son jeu ; ennemis des Turcs, ils suspendaient les hostilités sans signer la paix, se plaçant vis-à-vis de la Porte et aussi de l'Autriche dans une situation fausse, bizarre, mal définie ; portant intérêt à la Prusse, ils la compromettaient et l'exposaient au pire destin : enfin, alliés de la France, ils se mettaient dans le cas de se trouver inopinément en guerre avec elle. Et se rendait-on compte à Pétersbourg de ce que serait cette guerre ? Je crois, — dit Napoléon, — que l'empereur Alexandre est dans l'erreur sur nos moyens : en nous croyant faibles dans ce moment, il se trompe ; j'ai sur lui l'avantage de pouvoir lui faire la guerre sans retirer un seul homme de mes armées d'Espagne... Cela arrêtera mes projets pour la marine et me contera de l'argent. Mais les six cents millions qui se trouvent dans mon trésor pourront y suffire... Si vous ne m'en croyez pas, je suis capable de vous faire conduire sur-le-champ dans l'aile de mon château qui contient le trésor pour le compter. Ainsi, la France est en mesure de soutenir la guerre, mais elle n'a ni les moyens ni l'envie de la commencer : elle ne prendra jamais l'offensive : Je donne ma parole d'honneur, — dit Napoléon, — à moins que vous ne commenciez vous-même, de ne pas vous attaquer de quatre ans. Il ne tiendrait qu'à lui pourtant de réunir en peu de mois trois cent mille Français, d'innombrables alliés : et subitement il fait surgir aux yeux de Tchernitchef un terrifiant appareil : des camps de cent mille hommes chacun tout prêts à se former, cent quarante-quatre régiments dont soixante-dix seulement sont occupés en Espagne, une armée immense, gigantesque, sur le point de s'acheminer vers le Nord avec huit cents pièces d'artillerie. C'est ainsi que tour à tour, par un jeu alterné, il cherche à rassurer sur ses intentions et à effrayer sur ses moyens, afin de prouver à la Russie qu'un arrangement reste possible et qu'elle doit le préférer à la guerre.

Mais, reprend-il en faisant allusion à cet arrangement, la lettre de l'Empereur votre maître ne m'indique nul moyen pour y arriver : j'aime garder mon argent en poche, et j'avoue que je vous attendais avec impatience, espérant que votre arrivée dissiperait tous les différends survenus et permettrait de suspendre et d'épargner les frais immenses que nous coûtent les préparatifs que nous faisons de part et d'antre. Cependant je vois d'après tout, mon cher ami, que malgré la célérité de vos deux courses, toute votre mission se borne à m'adresser quelques reproches ; nous voilà donc aussi avancés qu'avant votre départ. Comme Tchernitchef réitérait ses protestations pacifiques : C'est très bien, continua-t-il, cela ne me fait pourtant pas deviner quel peut être le désir de la Russie. Sur ce, prenant Tchernitchef par l'oreille, démonstration qui prouvait une grande caresse de la part de Sa Majesté, il lui dit, en appuyant ses paroles de ce geste impérieusement amical : Parlons maintenant en vrais soldats, là, sans verbiage diplomatique. Et fixant sur le jeune homme un regard interrogateur et plongeant, il cherchait à lire jusqu'au fond de son aine, à lui arracher le secret de sa cour.

Quoique tenu en assez gênante posture, Tchernitchef ne livra pas immédiatement ce secret, ne voulut point révéler à première sommation les prétentions de la Russie sur l'État varsovien. Comme ce qu'il avait à dire était grave et risquait d'être mal pris, il ne s'en ouvrirait qu'après une longue contrainte. Il se récusa d'abord, fit des façons, se laissa prier : à la fin, jugeant le moment venu de placer l'insinuation décisive, il l'exprima au figuré et répéta mot pour mot la métaphore de Roumiantsof : Comme M. le chancelier, dit-il, m'a constamment témoigné beaucoup de bonté et de confiance, j'oserai, si Sa Majesté le permet, lui rapporter le discours qu'il me tint, en conservant même une de ses expressions, qui était que si l'on pouvait parvenir à mettre les affaires de la Pologne ainsi que celles d'Oldenbourg dans un même sac, les y bien mêler ensemble et puis le vider, M. le comte était fermement persuadé que l'alliance entre les deux empires en deviendrait bien solide, plus intime et plus sincère qu'autrefois, et cela en dépit des Anglais et même des Allemands.

Le mot était lâché. La lumière se fit dans l'esprit de l'Empereur, instantanée et violente. Il crut même d'abord que la Russie lui demandait le duché tout entier, qu'elle voulait en échange de l'Oldenbourg se faire livrer l'ouvrage avancé qui formait la tête de notre système défensif et la clef de l'Allemagne. A cela, il ne consentirait jamais ! Abandonner le duché ! L'imprudence serait grande, la honte plus grande ; plutôt mille fois la guerre, la guerre immédiate, avec ses chances et ses périls, que de souscrire à une telle exigence ! Ce furent l'orgueil offensé de l'Empereur, sa méfiance en révolte, qui firent la réponse.

Il s'était levé et marchait maintenant à grands pas, secoué de colère, et tout en marchant jetait violemment ces paroles : Non, monsieur, heureusement nous ne sommes pas encore réduits à cette extrémité ; donner le duché de Varsovie pour l'Oldenbourg serait le comble de la démence. Quel effet produirait sur les Polonais la cession d'un pouce de leur territoire au moment où la Russie nous menace ! Tous les jours, monsieur, l'on me répète de toutes parts que votre projet est d'envahir le duché. Eh bien, nous ne sommes pas encore tous morts ; je ne suis pas plus fanfaron qu'un autre, je sais que vos moyens sont grands, que votre armée est aussi belle que brave, et j'ai trop livré de batailles pour ne pas connaître tà combien peu de chose tient leur sort ; mais, comme les chances sont égales, dans le cas que le Dieu de la victoire se range de notre côté, je ferai repentir la Russie, et c'est alors qu'elle pourra perdre non seulement ses provinces polonaises, mais aussi la Crimée.

Tchernitchef laissa passer cette bourrasque. Dès qu'il trouva occasion de placer un mot, ce fut pour donner ft ses précédentes paroles une interprétation restrictive : il s'excusa d'avoir répété à la légère une réflexion échappée au chancelier : peut-être avait-il mal compris la pensée de ce ministre, peut-être l'avait-il mal rendue ?

Voyant ce recul, Napoléon en conclut que Tchernitchef avait pouvoir de modifier et d'atténuer la demande : à défaut de l'État polonais, la Russie voulait tout au moins un territoire adjacent qui mettrait Varsovie sous sa dépendance, l'importante place qui dominait la Vistule : A présent, dit-il d'un ton plus calme, je vous devine : c'est Dantzick que vous désirez avoir en échange. Il y a de cela un an, seulement six mois, je vous l'aurais donné ; maintenant que j'ai de la méfiance, que je suis menacé, comment voulez-vous que je vous livre l'unique place sur laquelle je puisse, dans le cas d'une guerre contre vous, appuyer toutes mes opérations sur la Vistule ? Il faudrait donc que je les reporte volontairement sur l'Oder, dans le cas que je sois menacé postérieurement.

Ainsi, sans juger la seconde idée aussi révoltante que la première, il avouait très haut les raisons qui la lui faisaient rejeter. Il ne rompit pas pour cela l'entretien. Tenant à savoir si la crainte d'une renaissance polonaise restait bien la préoccupation essentielle et le tourment de la Russie, s'il fallait chercher là le nœud du problème et la difficulté à résoudre, il s'y prit pour se renseigner d'originale façon, et le récit de Tchernitchef nous fait assister à un curieux jeu de scène.

Napoléon — raconte l'officier dans son rapport au Tsar — me dit là-dessus avec cet air de rondeur et de bonhomie que Votre Majesté Impériale lui connaît : Dites-moi franchement, l'empereur Alexandre et le comte de Roumianzoff croient-ils sérieusement que j'ai le désir de rétablir la Pologne ? Je répondis que je ne pouvais pas dire positivement si Votre Majesté lui supposait cette intention, mais que néanmoins ce qui s'était passé dans le duché de Varsovie depuis la campagne de 1809 était fait pour lui donner de l'inquiétude. Me prenant de nouveau par l'oreille, il me dit alors qu'il voulait absolument connaître ce que j'en pensais, moi, ajoutant : N'est-ce pas, vous croyez que je n'attends que la fin de mes affaires d'Espagne pour effectuer ce projet ? Je répondis que j'étais trop jeune et trop inexpérimenté pour avoir une opinion à moi, que de plus mon devoir était de ne juger que par les yeux de l'Empereur mon maitre. Pour lors, me pressant toujours de répondre, Napoléon s'amusa tout en riant à me tirer l'oreille avec force, en m'assurant qu'il ne la lâcherait point avant que je l'aie satisfait. Cette plaisanterie commençant à m'impatienter parce qu'elle me faisait un peu mal, je lui dis : Eh bien, Sire, puisque Votre Majesté veut absolument une réponse, je lui dirai que je ne saurais déterminer si l'exécution d'un tel projet serait dans ses intérêts ou non ; cependant, dans le cas qu'elle lui parût avantageuse, malgré son alliance avec la Russie, je n'hésiterai pas à supposer le rétablissement de la Pologne être une de ses arrière-pensées une fois qu'elle serait libre de toute autre guerre.

Devant cet aveu, Napoléon manifesta une sorte de stupéfaction douloureuse : Il est inconcevable, dit-il, que l'on persiste à m'attribuer pareil dessein c'est même une grande gaucherie ; à force de nie répéter que j'ai cette idée, on finira peut-être par me la faire venir, on me poussera à tenter l'entreprise. Alors, si je suis bien rossé et obligé de rentrer chez moi, au moins la question sera-t-elle décidée une fois pour toutes ; elle le sera aussi dans un autre sens, si la guerre tourne à mon avantage. Cependant, fallait-il renoncer à tout espoir de prévenir cette extrémité ? N'existait-il pas quelque moyen de dissiper le malentendu, en dehors des sacrifices territoriaux auxquels Tchernitchef avait fait allusion en termes sibyllins ? A l'énigme qui lui avait été proposée par deux fois et qu'il craignait d'avoir trop devinée, Napoléon finit par opposer une série de contre-propositions fermes : offre d'ajouter à Erfurt autant de territoire allemand qu'il en faudrait pour constituer au duc d'Oldenbourg un apanage pleinement égal à la principauté confisquée ; offre de reprendre et de signer la convention portant garantie contre le rétablissement de la Pologne, dans les termes où elle avait été naguère proposée par la France. En échange de cette grave concession, Napoléon ne demandait qu'une chose, c'était que la Russie renonçât à brûler nos produits ; après quoi, il proposerait un désarmement simultané. Il pria Tchernitchef de communiquer ses offres à qui de droit, sans perdre un instant, et comme il était loin d'accorder tout ce que la Russie paraissait réclamer, il essaya de combler la différence par de grands ménagements dans la forme. Jusqu'à la fin de l'entretien, qui dura en tout quatre heures et demie, il combla Tchernitchef de paroles amicales et flatteuses, honorant le Tsar dans la personne de son émissaire.

Les jours suivants, il sembla qu'un mot d'ordre fût tombé de haut dans les milieux officiels, recommandant de bien traiter l'aide de camp voyageur, de lui rendre son séjour à Paris agréable et plaisant. Ce fut dès lors, chez la plupart des personnages appartenant à la cour, un empressement à lui faire fête. Chacun se mit à l'attirer, à le choyer ; le prince de Neufchâtel le pria d'assister à un concert intime, donné devant une vingtaine d'élus : la princesse Pauline eut permission de l'inviter, comme autrefois, à ses petites soirées.

Ce jeu souple et câlin allait être brusquement dérangé par l'intervention inopportune d'un ministre. On sait à quel point la curiosité remuante de Tchernitchef et ses allures de furet inquiétaient le général Savary, duc de Rovigo. Ce grand maitre de la police avait respiré en voyant Tchernitchef repartir pour la Russie, mais son soulagement avait été de courte durée : quels n'avaient pas été son émoi, son indignation, en apprenant que l'officier suspect n'avait fait que toucher barres à Pétersbourg, comme s'il y fût allé uniquement pour changer de chevaux[15], et qu'il revenait effrontément à Paris poursuivre ses manœuvres ! La manière dont il y était accueilli, le bruit fait autour de son arrivée, la bienveillance qu'on lui témoignait et dont il ne manquerait pas d'abuser, achevèrent de désoler et de scandaliser l'ombrageux ministre, qui ne connaissait point les dessous de la politique impériale. Réagissant contre l'universelle faiblesse, il crut devoir montrer les dents et faire autour de nos secrets militaires le bon chien de garde.

Tchernitchef fut averti de sa part que trop de curiosité pourrait lui nuire : qu'il s'amusât de son mieux à Paris, sans se mêler d'autre chose, tel était le conseil qu'on avait à lui donner. Sentant la pointe, Tchernitchef paya d'audace, commettra par le ministre de la police sa tournée de visites et se montra à lui fort affecté d'injurieux soupçons. Pour mettre désormais sa conduite à l'abri de toute interprétation fâcheuse, il demanda à Savary, avec un air de candeur, de lui tracer un plan de conduite et de lui indiquer les maisons à fréquenter.

Jouant au plus fin, Savary feignit d'accueillir ses protestations avec une crédulité débonnaire, prodigua au visiteur caresses et attentions, l'embrassa à plusieurs reprises[16], mais dès le lendemain lui décocha un nouveau trait de sa façon. Cette fois, l'arme qu'il employa fut la presse. Pour dissiper l'engouement qui se déclarait de plus belle en faveur du jeune étranger et qui lui rouvrait toutes les portes, pour rabattre son assurance et le ramener au simple rôle de courrier, il imagina, par un persiflage inséré en bon lieu, de le disqualifier en quelque sorte et de le ridiculiser aux yeux du public.

L'ex-Journal des Débats, transformé en Journal de l'Empire, devenait de plus en plus un Moniteur officieux, moins solennel que l'autre et plus littéraire. C'était là que l'administration faisait passer des notes, des allusions propres à orienter l'esprit public ; l'expression de toute pensée libre s'y était effacée devant ce journalisme d'État. Le 12 avril, on put lire en deuxième page un article d'une colonne et demie, non signé, intitulé : les Nouvellistes. Le ton en était humoristique et plaisant : l'auteur anonyme citait un passage fort piquant des Lettres persanes sur les nouvellistes du dernier siècle et en faisait l'application à ceux du temps présent : ces derniers ne se montraient-ils point les dignes émules de leurs devanciers par leur tendance à émouvoir inconsidérément l'opinion, par leur manie de tout grossir, choses et hommes, de pronostiquer sans cesse des événements formidables et de transformer en personnage de haute marque le plus mince porteur de lettres ?

Après avoir vingt fois précipité le Nord sur le Midi, ou l'Europe sur l'Asie, après avoir assemblé plus d'armées en Pologne que toutes les puissances de la terre n'ont de bataillons, après avoir fait venir de l'artillerie du Kamtchatka et levé des escadrons de rennes en Laponie, ils passent de ces prodiges à l'exagération des événements les plus vulgaires : ils les travestissent de la manière la plus ridicule... Il y a tel officier étranger dont ils ont mesuré l'importance sur le nombre de postes qu'il a parcourues depuis six mois ; ils ont calculé savamment que le chemin qu'il a fait en moins d'une année pourrait embrasser deux ou trois fois le tour du monde ; d'où ces messieurs concluent que le présent est gros de l'avenir, et qu'on ne voyage pas si vite, si loin et si souvent, sans être chargé de la destinée de deux empires et de cinq ou six royaumes.

On pourrait cependant les tranquilliser en leur rappelant une anecdote connue. Le prince Potemkine, qui, de son temps, donnait aussi de l'exercice à l'imagination des nouvellistes, avait parmi ses officiers un major nommé Bawer, l'un des hommes du dernier siècle qui ont le plus occupé les gazetiers d'Allemagne et les postillons de Russie. On le voyait sans cesse sur les routes les plus opposées, courant de l'embouchure du Danube à celle de la Neva, et de Paris aux confins de la Tartarie. Les politiques de café, témoins de tous ces mouvements, rêvaient déjà la renaissance de l'ancienne Grèce, le rétablissement du royaume de Tauride, la conquête de Constantinople, ou même quelques-unes de ces grandes émigrations du Nord qui jadis couvraient de ruines l'occident et le midi de l'Europe. Veut-on savoir quelles étaient les missions secrètes du major Bawer ? De retour de Paris, où il venait de choisir un danseur, le prince l'envoyait chercher de la boutargue[17] en Albanie, des melons d'eau à Astrakan ou des raisins en Crimée. Cet officier, passant sa vie sur les grands chemins, craignait de s'y rompre le cou et demandait une épitaphe : un de ses amis lui fit celle-ci, qui pourra servir à quelques-uns de ses successeurs :

Ci-git Bawer, sous ce rocher ;

Fouette, cocher.

L'article fit grand tapage. Cette manière de présenter l'envoyé d'un souverain officiellement allié, un colonel en mission, sous les traits d'un postillon qui s'en faisait accroire, toujours allant, toujours courant, passant dans un claquement de fouet et un bruit de grelots, fut jugée en général le comble du mauvais goût et de l'irrévérence. Mais nul n'en fut plus courroucé que l'Empereur. Ainsi, c'était le chef de sa police qui prenait sur lui de contrecarrer sa politique de ménagements et d'exaspérer des susceptibilités déjà trop en éveil. Cette guerre que tous ses efforts tendaient à éloigner, il allait peut-être l'avoir tout de suite sur les bras, par la faute et l'ineptie d'un de ses ministres.

Il manda le duc de Rovigo et le tança furieusement : Voudriez-vous me faire faire la guerre ? lui disait-il. Mais vous savez que je ne la veux pas, que je n'ai rien de prêt pour la faire[18]. Et derechef ordre fut donné au duc, en termes absolus cette fois et péremptoires, de rentrer ses crocs, de laisser Tchernitchef parfaitement tranquille, libre d'aller, venir, voir, écouter. — Il n'y manquait que l'ordre de le faire informer moi-même, ajoutait plus tard Savary d'un ton boudeur, au souvenir de sa mésaventure[19].

L'Empereur ne se borna pas à des véhémences de parole et à de rigoureuses prescriptions pour l'avenir. Au-dessous du ministre qu'il n'entendait point découvrir aux yeux du public et sacrifier, il voulut trouver des coupables à punir. Il tint à savoir qui avait rédigé l'article : on lui nomma Esmenard, aventurier de lettres, retraité dans l'administration de la police, où il exerçait les fonctions de censeur : c'était la plume habituée à biffer impitoyablement chez autrui tout passage suspect qui s'était risquée à tracer, dans une feuille officieuse, de suprêmes inconvenances. Un fait plus singulier, resté dans l'ombre à cette époque, achève de caractériser et de juger le personnage. Esmenard s'employait à démasquer les espions, mais ne négligeait pas à l'occasion de les servir. Il entretenait des relations plus que suspectes avec certaines légations et faisait volontiers commerce de papiers d'État : il parait avoir conclu avec Tchernitchef lui-même quelques affaires de ce genre. Seulement, trompant l'agent russe sur la qualité de la marchandise vendue, il lui annonçait des documents authentiques et les lui produisait faux[20]. Il vivait ainsi de méfaits divers, dans une impunité tranquille : ce fut un excès de zèle qui le perdit, et l'article du 12 avril lui fut fatal. L'Empereur le cassa aux gages et l'envoya réfléchir à quarante lieues de Paris sur l'inconvénient de trop bien servir les rancunes ministérielles[21]. Le rédacteur en chef du journal, Étienne, fut pour trois mois suspendu de ses fonctions.

Par ces mesures prises avec éclat, Napoléon comptait atténuer l'effet que produirait en Russie l'article malencontreux, assurer davantage celui de ses contre-propositions : il espérait éviter toute altération plus profonde des rapports, tandis qu'il réfléchirait à tête reposée aux vagues ouvertures de Tchernitchef et préparerait pour son nouvel ambassadeur en Russie des instructions appropriées.

Il n'en eut pas le temps. Encore une fois, les événements vinrent le surprendre et le saisir. Brusquement, il fut assailli par une nuée de nouvelles plus inquiétantes les unes que les autres ; pendant quatre ou cinq jours, correspondant au milieu d'avril 1811, elles se succédèrent sans relâche et d'heure en heure, se pressant, s'accumulant, arrivant de tous les points de l'horizon. En particulier, la correspondance de Varsovie prenait une gravité inattendue. Notre légation ne se bornait plus à recueillir des rumeurs grossissantes : elle avait obtenu des notions décisives, reçu de stupéfiantes confidences, et ses rapports, concordant avec les mille cris d'alarme qui montaient vers l'Empereur dans un formidable unisson, portèrent la crise à son point culminant.

 

III

Depuis un mois, un nouvel agent représentait la France à Varsovie, en qualité de ministre résident : M. Bignon, précédemment employé à Bade, avait été désigné pour occuper ce poste d'observation. C'était un petit homme singulièrement actif, remuant, fureteur, plein d'intelligence et de zèle, passionné pour le service et la gloire de l'Empereur. En arrivant dans le pays, il avait été d'abord comme étourdi par un tumulte de voix confuses et discordantes. Tout le monde lui parlait à la fois : dans les salons, dans les bureaux, dans les états-majors, chacun prétendait le mettre au courant des projets russes, mais ces avis différaient essentiellement. Au milieu de cet assourdissant vacarme, parmi tant de renseignements contradictoires, M. Bignon avait peine à se reconnaître, lorsque le premier personnage de l'État, le prince Joseph Poniatowski en personne, lui fournit des données d'une importance et d'une précision telles qu'il était impossible à un agent français de ne s'en point émouvoir.

Le 29 et le 30, deux longues conversations s'étaient engagées entre Poniatowski et le ministre de France. D'abord, le prince Joseph s'attacha à bien établir qu'il demeurait en pleine possession de son sang-froid, qu'il se défendait contre l'exaltation propre à ses compatriotes et souvent nuisible à la rectitude de leur jugement : suivant lui, on ne devait point attribuer ses paroles à ce zèle indiscret qui grossit le danger pour accélérer le secours et qui, peut-être, veut amener un éclat en ayant l'air de le craindre[22]. Cette précaution prise, il entra en matière. D'un ton calme et pénétré, avec l'accent d'une conviction indéracinable, il dit que le duché avait été tout récemment à deux doigts de sa perte : que l'empereur Alexandre avait eu l'intention de l'assaillir, d'y jeter une armée, d'appeler cet État à se fondre dans une Pologne unie et rivée à la Russie ; cette absorption eût été le premier acte d'une grande guerre contre la France. Et Poniatowski d'ajouter qu'il ne parlait point par ouï-dire, d'après de simples présomptions, d'après des indices plus ou moins sûrs : il avait eu la preuve matérielle de ce qu'il avançait : il l'avait vue et touchée, tenue entre ses mains. Il savait les desseins de l'empereur Alexandre avec la même certitude qu'il connaîtrait les intentions de l'empereur Napoléon s'il avait lu les lettres de Sa Majesté[23] : impossible de faire entendre plus clairement, à moins de le dire en propres termes, que les instructions données par Alexandre à ses partisans en Pologne lui avaient été communiquées mot pour mot, et que l'écriture même du Tsar avait passé sous ses yeux.

Sur l'origine de la découverte, il demeurait aussi réservé qu'il se montrait affirmatif sur le fait en lui-même. On sentait qu'il ne voulait point nommer et compromettre l'auteur de ces poignantes révélations. Il parlait de circonstances providentielles, d'un miracle[24], qui l'avait éclairé sur le péril national. Par qui s'était opéré ce miracle ? On doit se rappeler que les instructions d'Alexandre à l'homme de confiance chargé de préparer l'entreprise, c'est-à-dire au prince Adam Czartoryski, comportaient et nécessitaient une certaine dose d'indiscrétion : le prince Adam avait dû pressentir quelques membres éminents de la noblesse et de l'armée, puisque tout dépendait de leur assentiment. Avait-il jugé indispensable de s'ouvrir à Poniatowski lui-même et de sonder ses dispositions, au risque de tout compromettre ? Avait-il pensé que l'intérêt supérieur de la patrie, dont les destinées allaient se jouer, lui commandait de consulter l'homme qui en semblait l'incarnation vivante ? La communication avait-elle été volontaire ou fortuite, directe ou indirecte ? Autant de points qui restent dans l'ombre. Il n'en est pas moins certain que les pièces auxquelles Poniatowski faisait allusion et dont il avait eu connaissance, étaient les propres lettres de l'empereur Alexandre à Czartoryski, les deux lettres en date des 25 décembre et 30 janvier, celles dont le Tsar avait fait pendant près de trois mois la base et le pivot de sa politique.

Ce qui ne permet aucun doute, c'est la concordance qui existe entre les révélations de Poniatowski à Bignon, telles qu'elles se trouvent relatées dans la correspondance de ce dernier[25], et le contenu des lettres : il suffit de collationner les deux textes pour que l'analogie se manifeste en toute évidence : à quelques variantes près, ce sont mêmes pensées, mêmes expressions. Dans le langage de Poniatowski, tout se retrouve de ce qu'Alexandre avait indiqué et détaillé au prince Adam : promesse d'accorder aux Polonais la plus large autonomie et une constitution libérale, espoir fondé sur la coopération de la Prusse, perspective d'un soulèvement universel en Europe contre le despotisme impérial, mise en mouvement de deux armées russes destinées à s'ébranler l'une après l'autre ; enfin, nécessité d'une adhésion préalable et formelle des chefs varsoviens à leur changement de condition. Au dire de Poniatowski, cette réserve ressortait des termes de la seconde lettre, et nous avons vu qu'elle était en effet particulièrement explicite et comme interprétative de la première : Alexandre, s'y faisant mieux comprendre, se déclarait prêt à entrer en campagne, mais exigeait que les Varsoviens lui adressassent au préalable une sorte d'invitation à venir et à les recevoir sous ses lois.

Poniatowski savait que cet appel ne s'était nullement produit, que le concours espéré par les Busses leur avait fait défaut, que ce mécompte avait empêché l'exécution immédiate de l'entreprise. Actuellement, d'après des informations plus récentes, les dispositions d'Alexandre demeuraient problématiques : il semblait incliner à une politique d'expectative et d'inertie armée, mais rien n'indiquait qu'il s'y fût fixé. Le danger, qui avait certainement existé, n'avait pas disparu et s'était tout au plus éloigné : il pouvait se rapprocher d'un instant à l'autre et fondre sur Varsovie[26].

Tout concourait à donner cette impression, la présence dans le pays de nombreux émissaires lancés par la Russie en avant-garde, un effort visible pour travailler et égarer l'opinion, le bruit répandu d'une reconstitution nationale par le bienfait de l'autocrate, enfin et surtout l'accumulation progressive des forces russes en avant du grand-duché. Les officiers et chefs de poste qui faisaient sentinelle sur la frontière, les agents déguisés qui se hasardaient à la franchir, envoyaient des bulletins terrifiants : à Varsovie, les pouvoirs publics, le ministère de la guerre, la légation de France étaient assiégés de ces avis ; Poniatowski passait ses jours et ses nuits à en opérer le dépouillement : il communiquait ensuite à Bignon les pièces mêmes ou leur analyse. Sans cloute, beaucoup de ces récits variaient entre eux et portaient la trace de l'exagération polonaise : le tempérament même de la nation s'opposait à toute constatation précise : Il n'est pas, écrivait judicieusement Bignon, jusqu'à l'espion le plus vulgaire qui, au lieu de donner simplement la note de ce qu'il a vu, ne fasse un roman d'armée à sa façon[27]. Néanmoins, comme tous les rapports s'accordaient en certains points, il était possible de dégager quelques certitudes approximatives. Suivant toutes probabilités, on avait en face de soi cent soixante mille hommes, peut-être deux cent mille, — tel était en réalité le chiffre exact, d'après les aveux mêmes d'Alexandre. Une partie de ces niasses s'était rapprochée de la frontière. Dans les districts les plus avancés de la Lithuanie, de la Volhynie et de la Podolie, sur toute la lisière occidentale de ces provinces, les routes se couvraient de régiments en marche, les moindres hameaux regorgeaient de troupes, des divisions parcouraient le pays, évoluaient, passaient d'un point à l'autre, changeant continuellement de place, comme si elles eussent voulu déconcerter l'observateur par cette mobilité et échapper à tout dénombrement. Et ces mouvements divers, ondoyants, difficiles à suivre, surgissant par intervalles de l'obscurité, se confondaient aux yeux des Polonais dans une vision d'épouvante. Vivant dans un cauchemar, il leur semblait qu'une ombre menaçante s'était dressée devant eux et les opprimait ; ils la voyaient s'allonger démesurément, s'élever au-dessus de leur tête, se rapprocher, prendre les traits d'un colosse qui se laissait tomber sur eux de toute sa hauteur, pour les écraser de sa masse.

Par des dépêches presque quotidiennes, Bignon signalait à son gouvernement ces angoisses et les notait au jour le jour ; il transmettait tous les documents en bloc, sans prendre le temps d'opérer dans ce fatras un triage et de démêler le vrai du faux, hésitant encore à formuler une appréciation d'ensemble et à porter un jugement[28]. Quant à Poniatowski, voyant les semaines s'écouler sans amener de détente, effrayé de sa responsabilité, il ne se bornait plus à informer notre légation : c'était à l'Empereur même qu'il voulait aller et parler, dût-il quitter un instant son poste pour chercher du renfort. Il venait de se faire désigner comme envoyé extraordinaire et complimenteur officiel à l'occasion de la naissance du roi de Rome ; cette mission lui serait un prétexte pour accomplir à Paris un rapide voyage. En attendant, il répandait partout l'alarme, et, depuis Varsovie jusqu'à l'Elbe, l'inquiétude gagnait de proche en proche : la cour de Dresde s'affolait : à Vienne, il n'était bruit que de l'apparition imminente des Russes au bord de la Vistule ; à Hambourg, l'imperturbable Davout n'échappait plus aux atteintes de l'émotion ambiante. Il admettait maintenant la possibilité d'un événement[29], demandait des ordres, traitait moins les craintes des Polonais d'hallucinations et de rêveries. Au reste, des renseignements de toute provenance s'accordent à prouver que ces fous ont mieux vu que les sages, que la Russie a réuni et persiste à diriger contre eux toutes ses forces. Il résulte d'avis multiples que les troupes rappelées de Finlande et de Turquie ont rejoint sur le Bug et le Dniester la masse principale, que celles d'Odessa et de Crimée refluent maintenant dans la même direction : il n'est pas, suivant quelques rapports, jusqu'à la Sibérie qui n'envoie ses lointaines réserves[30]. A l'aspect de la puissance russe continuant à se replier et à se ramasser sur elle-même comme pour prendre un subit élan, qui pourrait affirmer que l'empereur Alexandre a totalement abandonné ses projets, qu'il n'est pas à la veille d'un nouvel entraînement ? Le duché et ses entours, les deux rives de la Vistule, les approches de Dantzick, tous les pays dont se compose notre première ligne de défense, restent en péril d'invasion.

 

IV

Napoléon prit immédiatement ses dispositions de combat, comme si la guerre eût dû éclater le lendemain. Trois jours de suite, le lundi de Pâques 15 avril, le 16, le 17, sans qu'il cesse de vaquer aux devoirs extérieurs de la souveraineté, de recevoir les ambassadeurs et les députations qui viennent le féliciter pour la naissance de son fils, il impose à sa pensée un travail ininterrompu : il prévoit, calcule, combine, ordonne. En ces jours de fête et de loisir où la population de Paris se répand dans les rues et jouit du printemps, où la foule s'amasse aux abords des Tuileries pour apercevoir et saluer l'Impératrice qui fait sur la terrasse du bord de l'eau sa première sortie, où les conversations du public roulent sur les solennités annoncées à l'occasion du baptême, une agitation invisible au dehors, une fièvre de travail règne dans les ministères et les bureaux. Le personnel de la guerre et des affaires étrangères est sur pied, occupé jour et nuit à rédiger des ordres de marche, à préparer des décrets : d'heure en heure des instructions partent du cabinet impérial, des courriers s'envolent dans toutes les directions, vers Dantzick, Varsovie, Hambourg, Dresde et Milan.

Le plus pressant des soins à prendre était de mobiliser et de concentrer l'armée varsovienne. Il faut que vingt-quatre heures après l'arrivée du premier courrier tous les ordres soient donnés pour réunir les troupes, compléter les effectifs, monter la cavalerie, atteler l'artillerie, mettre les places en état de défense ; il faut que l'armée se rassemble rapidement sur une position bien choisie, en évitant de s'éparpiller et de s'offrir dispersée aux atteintes de l'adversaire. Que l'on se mette donc à l'œuvre, résolument, sans tarder d'un instant, sans s'inquiéter de la dépense : Ce n'est pas le moment, écrit Napoléon au roi de Saxe[31], où Votre Majesté doit regarder à un million. Surtout, que chacun conserve son sang-froid et se pénètre bien de cette idée que rien n'est perdu, quand même les Russes arriveraient à Varsovie : en 1809, les Autrichiens ont occupé Munich, et la Bavière n'en est pas moins sortie intacte de cette épreuve.

Aussi bien, l'Empereur ne se pave point d'illusions : il sait que les cinquante mille hommes de Poniatowski, appuyés sur des forteresses en ruine ou sur des ouvrages à peine ébauchés, ne sauraient arrêter longtemps les masses moscovites : il sait également que Davout ne peut plus arriver à temps sur la Vistule et couvrir le duché. Au point où en sont les choses, la ligne de la Vistule est perdue, si l'attaque se prononce ; il convient donc de reporter en arrière notre véritable base d'opérations, et Napoléon, tout en ordonnant la résistance, prévoit et prépare l'évacuation de la principauté varsovienne.

L'essentiel est de ne céder que le terrain, de sauver les armes, les munitions, les administrations, les archives, et de faire en sorte que l'État tout entier émigre avec l'armée. A mesure que les Russes avanceront, la grosse artillerie, les objets les plus importants, seront mis sur bateaux et expédiés à Dantzick par la Vistule. Avec son vaste système de fortifications et sa garnison déjà imposante, Dantzick leur ouvre un refuge. Dès à présent, l'Empereur arrête sur l'Oder les convois d'armes destinés au duché, afin que ce précieux outillage n'aille point tomber aux mains de l'envahisseur. Quant à l'armée varsovienne, il lui prescrit de se ménager une ligne de retraite vers l'Allemagne, d'y échelonner des poudres et des subsistances, afin qu'elle puisse, après avoir honorablement tenu tète en avant et autour de la capitale, se replier à pas mesurés et en fière contenance jusqu'à l'Oder : c'est là que doit commencer réellement et s'asseoir la résistance.

Au premier avis de l'invasion, Davout se portera sur l'Oder avec tout son inonde : il déploiera ses divisions en arrière du fleuve, en les appuyant aux places de Stettin, Custrin et Glogau : il recueillera l'armée varsovienne, qui prendra rang dans la sienne et grossira ses effectifs : à sa droite, deux divisions saxonnes, rapidement mobilisées et accourues de Dresde, viendront appuyer et prolonger sa ligne ; à sa gauche, la garnison de Dantzick, avec laquelle il aura à se tenir en communication, lui servira de poste avancé ; il pourra ainsi, dès le 1er juin, opposer près de cent cinquante mille soldats aux deux cent mille Russes dont les baïonnettes scintillent au bord de la frontière. Pour des hommes commandés par le duc d'Auerstædt, prince d'Eckmühl, se trouver trois contre quatre, c'est avoir presque la certitude de vaincre.

D'ailleurs, Davout sera promptement secouru. Les quatrièmes et sixièmes bataillons de ses régiments, déjà mis en route, vont lui arriver : des divisions de cuirassiers s'élanceront à toute bride au delà du Rhin et de l'Elbe. Dans les vallées du Tyrol et de la haute Italie, un corps de quarante à cinquante mille hommes, demandé d'urgence à Eugène, va se former, se tenir prêt à passer les Alpes au 15 mai, à traverser l'Allemagne du sud-ouest au nord-est, à s'élever rapidement jusqu'à l'Oder par cette marche oblique. En même temps, l'Empereur lui-même apparaîtra en Allemagne, amenant un corps qui se rassemble en Hollande, amenant sa garde, amenant toutes ses forces disponibles, et poussera droit à l'Oder ; là, joignant Davout et le relevant de faction, prenant le commandement en chef, il franchira le fleuve pour reconquérir le terrain abandonné, rejeter les Pusses en deçà de leurs limites et châtier leur audace[32].

Malgré la lucidité d'esprit merveilleuse avec laquelle il concevait tous ces mouvements, malgré l'aisance souveraine avec laquelle il gouvernait ses préparatifs, malgré la confiance qu'il essayait d'inspirer aux autres, Napoléon n'en restait pas moins violemment préoccupé et dans une certaine mesure déconcerté. Ses projets renversés, la guerre anticipant d'une année sur ses prévisions, l'avantage et le prestige de l'offensive passant à l'adversaire, la campagne de 1809 à recommencer dans de pires conditions et contre un ennemi plus redoutable, voilà ce qu'il apercevait nettement dans les bulletins d'alarme qui envahissaient son cabinet. Et cette guerre à brève échéance, en temps et lieu inopportuns, lui est tellement odieuse qu'il s'obstine encore et plus fortement à l'espoir de la prévenir, tout en se préparant à y faire face. En dépit des témoignages qui éclatent à sa vue, il a peine toujours à croire ce qu'on lui rapporte de l'empereur Alexandre : tant de hardiesse le confond chez un prince qu'il s'est habitué à considérer comme faible et irrésolu : Si la Russie, — se dit-il, — n'avait affaire qu'au grand-duché, je suppose qu'elle pourrait se divertir d'un coup de main ; mais, dans l'état actuel des choses, elle doit voir cette entreprise sous un point de vue plus sérieux[33]. Après tout, si l'empereur Alexandre a failli se jeter sur le duché, c'était peut-être l'excès de la peur qui le précipitait à cette audace. Le fait qu'au lieu de donner suite à son extraordinaire projet, il a envoyé Tchernitchef à Paris avec mission d'entamer quelques pourparlers, prouve qu'il préférerait à la guerre une garantie de sécurité. Mais en quoi peut consister cette garantie ? Que veut la Russie, que réclame-t-elle en fin de compte ? Les timides énonciations de Tchernitchef sont-elles le premier ou le dernier mot de sa cour ? Alexandre prétend-il réellement se faire céder le duché en totalité ou en partie ? En ce cas, aucun accord n'est possible, et il faudra se battre. Mais peut-être le Tsar se contenterait-il d'un gage moins onéreux pour la France ? C'est ce qu'il importe d'éclaircir à tout prix, au plus vite. Et précipitamment, avec une ardeur un peu fébrile, Napoléon cherche à s'enquérir. Pendant les trois jours où il accumule sans relâche des dispositions militaires, il tente parallèlement des démarches interrogatrices, pousse de tous côtés des reconnaissances, afin de savoir où, comment et sur quelle base il pourra négocier.

Dès le début de la crise, le 15 avril, il trace le canevas d'une dépêche pour son ambassadeur en Russie. Caulaincourt n'a pas encore été déchargé de ses fonctions par l'arrivée de son successeur : c'est à lui que s'adressent ces lignes inédites. Il est de toute nécessité que cet ambassadeur soit tiré de sa quiétude, instruit du danger, et qu'il tire au clair les véritables désirs de la Russie, afin que l'on puisse, s'il y a lieu, traiter, s'entendre et ramener le calme.

Monsieur le duc de Cadore, — écrit Napoléon en revenant premièrement sur l'incident de presse, — je désire que vous expédiiez aujourd'hui pour la Russie un courrier par lequel vous ferez connaître au duc de Vicence que j'ai vu avec indignation l'article du Journal de l'Empire qui semblait singer M. de Tchernitchef, qu'on assure que cet article a été fait avant l'arrivée de cet officier, et que l'insertion n'en avait été retardée que par des circonstances du journal ; mais je n'en ai pas moins fat destituer le sieur Esménard, qui était chargé de la surveillance des journaux ; que je l'ai envoyé à quarante lieues de Paris ; qu'il (le duc de Vicence) pourra donner connaissance de cette notification au grand chancelier, cependant indirectement et comme une nouvelle. Vous ferez connaître au duc de Vicence qu'il est mal instruit des nouvelles de Russie, que de Moldavie et de Finlande les troupes affluent sur la frontière de Pologne, et qu'il paraît qu'on lui fait mystère de tous ces mouvements ; que cependant il est nécessaire de savoir ce que l'on veut, parce que cet état de choses qui nous oblige à armer est fort coûteux ; que dans ses dépêches il n'y a rien de positif ; que, quant à moi, je ne me plains en rien de la Russie et je ne veux rien. Aussi je n'ai point armé comme elle ; qu'il faudrait donc savoir ce qu'elle veut pour faire tant d'armements ; que je désire qu'avant de revenir il ait quelques explications là-dessus et puisse savoir quels moyens il y a de faire renaître la confiance[34].

La réponse de Caulaincourt, à la supposer rapide et concluante, n'arriverait que dans un mois au plus tôt ou six semaines. Un mois, c'est un délai bien long pour l'impatience de l'Empereur, en ces jours d'émotion et d'alarme où toute heure perdue risque d'entraîner d'irréparables conséquences. Est-il nécessaire d'aller chercher si loin le secret de la Russie ? A Paris, quelqu'un le possède suivant toutes probabilités, mais hésite peut-être à le livrer. Peut-être Tchernitchef, effrayé de l'accueil fait à ses allusions concernant le duché et Dantzick, n'a-t-il point osé, dans sa conversation avec l'Empereur, indiquer ce qu'accepterait finalement son maitre, quel serait le minimum indispensable de concessions et de garanties. En revenant à lui, on arrivera sans doute, à force de cajoleries et de sollicitations, à lui tirer des lèvres une proposition à la fois réduite et ferme, qu'il a reçu ordre apparemment de tenir en réserve et de ne présenter qu'après beaucoup d'instances.

En ce même jour du 15 avril, Tchernitchef était invité à un dîner d'apparat au ministère des relations extérieures. Rentrant chez lui à la fin de la soirée, il fut étonné d'apprendre qu'en son absence le grand maréchal du palais, le général Duroc, duc de Frioul, avait passé par deux fois à sa porte. Ce haut émissaire était venu, lui dit-on, d'abord pour l'inviter à chasser le jour d'après avec Sa Majesté, ensuite pour lui parler d'affaires. La chasse du lendemain devait avoir lieu dans la forêt de Saint-Germain et serait particulièrement brillante : on y verrait figurer, le grand-duc de Wurtzbourg, le roi de Naples, le prince Borghèse, le prince vice-roi, plusieurs maréchaux et généraux, plusieurs dames de la cour[35]. Convier Tchernitchef à cette réunion, c'était le distinguer et lui faire honneur ; c'était aussi se ménager avec lui l'occasion d'entretiens familiers[36].

Le lendemain, Tchernitchef fut l'un des premiers au rendez-vous de chasse, indiqué comme d'habitude dans un pavillon situé en plein milieu des bois. Les invités, les équipages, la vénerie commençaient à se rassembler. Le grand maréchal arriva de bonne heure et essaya de remplir auprès de Tchernitchef la commission dont il n'avait pu s'acquitter la veille. Il lui dit que l'empereur Napoléon, supposant ne pas lui avoir laissé le temps de s'acquitter de toutes les communications que Sa Majesté Russe avait pu le charger de faire, avait donné l'ordre de reprendre avec lui la discussion des mêmes objets et d'écouter s'il n'avait pas quelque proposition à faire. Les vains efforts de Duroc pour obtenir une réponse furent interrompus par l'arrivée de l'Empereur, venant à la rescousse : il parut enchanté de revoir Tchernitchef et, pour commencer, se mit à l'entourer d'une sollicitude quasi paternelle.

Je fus d'abord désigné — écrivait quelques jours après le jeune officier — pour être du petit nombre des personnes admises à déjeuner avec Sa Majesté. A table, nie trouvant très pille, elle me questionna avec beaucoup d'intérêt sur ma santé, me recommanda de me soigner et en général m'adressa fort souvent la parole. Après le déjeuner, on monta à cheval, les chiens furent découplés, la bête lancée, les appels du cor, éclatant en joyeuses fanfares, annoncèrent l'attaque, et la compagnie des chasseurs, souverains, grands dignitaires français et étrangers, cavaliers en habit vert galonné d'or, dames en élégantes calèches de poste, se lança dans les profondeurs de la forêt, sous les arceaux de verdure naissante.

Pendant la chasse, Napoléon interrompit plusieurs fois ses galops effrénés pour se rapprocher du groupe de cavaliers où se tenait le jeune Puisse et placer avec affectation des remarques qui devaient lui être agréables. Je l'entendais — continue celui-ci dans son rapport au Tsar — dire à très haute voix aux personnes de sa suite qu'on lui avait préparé un bien grand plaisir pour la journée : c'était de lui faire monter deux chevaux que Votre Majesté lui avait donnés, prônant fort longuement leurs qualités et leur bonté. Feignant alors de m'apercevoir, il vint à moi pour m'en parler et me demanda ce que Votre Majesté avait fait de ceux qu'il lui avait offerts : sur nia réponse qu'ils se trouvaient aux haras, il nie dit qu'il aurait mieux aimé qu'elle les montât, parce que cela l'aurait rappelé à son souvenir.

Peu de temps après cette digression sentimentale, l'Empereur fit de nouveau halte et, laissant la meute et les piqueurs continuer sans lui la poursuite, permit à ses invités quelque repos. Tandis qu'à distance plus ou moins grande, dans les bois environnants, les péripéties de la chasse se continuaient et se déplaçaient, tandis que tour à tour retentissaient toutes proches ou mouraient au loin les errantes sonneries, il piqua droit sur Tchernitchef, qui causait ii ce moment avec le comte de Wrède, et interrompit ce colloque par une brusque et franche apostrophe : Ils ont furieusement peur de vous dans le duché, s'écria-t-il ; ils ont la même peur que la Bavière en 1809. On me dit que vous avez rassemblé cent cinquante mille hommes au bas mot, que chaque jour une de vos divisions revient de Turquie, que vous préparez un coup de main ; pensez- vous qu'entre grandes puissances on se surprenne comme on enlève une place ? Sans doute, il vous est facile d'envahir le duché ; mais il n'en faudra pas moins ensuite risquer le sort des batailles.

Puis, coupant court aux dénégations respectueuses de Tchernitchef : Pourquoi l'empereur Alexandre ne s'est-il pas d'abord expliqué ? — continua-t-il vivement, — pourquoi a-t-il commencé à armer ?... Maintenant il a rassemblé deux cent mille hommes, j'en mettrai deux cent mille de mon côté, et voilà certes une nouvelle méthode de négocier un peu ruineuse... Il est donc grand temps que tout cela cesse, que l'empereur Alexandre se décide à entrer en matière et à faire connaître ses prétentions : Je ne sais pas ce qui peut vous convenir, c'est à vous à demander. Tchernitchef soutint le thème opposé, et la conversation n'aboutit qu'à une reprise de controverse. Un événement de la chasse la rompit ; sans doute, la poursuite se rapprochait, la bête passait à proximité ; et Napoléon, voyant arriver l'hallali, retourne impétueusement à cette lutte. Dans la suite, il revient encore deux ou trois fois à Tchernitchef ; il lui lance des questions entrecoupées de mots aimables, de clignements d'œil souriants, reprend la conversation par à-coups, par saccades, se rejette ensuite à travers Lois, fournit d'un seul trait des courses à perdre haleine, abat par cet exercice violent la surexcitation de ses nerfs et rompt le travail de sa pensée.

En somme, durant cette journée de liberté et de plein air, favorable aux épanchements, on n'avait pu surprendre à Tchernitchef aucune parole positive. L'Empereur ne se découragea point et revint à la charge, sinon en personne, au moins par procuration. Le lendemain matin, Tchernitchef se reposait chez lui, lorsque le grand maréchal se présenta inopinément. Il lui dit que l'Empereur, ayant vu avec inquiétude qu'il n'était pas très bien portant, désirait savoir si d'abord après des voyages, aussi fatigants une chasse à courre de dix-huit lieues ne lui avait pas fait de mal. Après s'être enquis à ce sujet avec une touchante sollicitude, Duroc aborda le véritable objet de sa visite ; il pria Tchernitchef, en y mettant encore plus d'insistance que la veille, il l'adjura d'énoncer les demandes que Sa Majesté Russe l'avait peut-être chargé de ne faire qu'après des exhortations pressantes.

A cette amicale mise en demeure, Tchernitchef ne pouvait répondre, puisqu'il avait reçu défense expresse de compromettre son gouvernement par de trop claires ouvertures. Ayant touché mot à l'Empereur de sacrifices territoriaux en Pologne, il avait épuisé son mandat et n'avait plus pouvoir de revenir à l'objet légèrement effleuré ; son second entretien avec le grand maréchal, comme le premier, se fondit en discussions vagues.

Voyant que Tchernitchef persiste définitivement dans la réserve dont il n'est sorti qu'un instant, Napoléon se retourne vers son ambassadeur en Russie, juge opportun d'adresser à la perspicacité de Caulaincourt un second, un plus pressant appel. Seulement, la main qu'il emploiera pour lui écrire ne sera plus la même : il confiera ce soin à un rédacteur nouveau, transféré subitement d'un poste à un autre dans la haute administration de l'État. Depuis quelques heures, un coup de théâtre se préparait dans les régions gouvernementales, et, par un fait sans exemple dans l'histoire de l'Empire, la crise extérieure aboutissait à un changement dans le ministère.

Depuis trois ans et demi, Napoléon avait pu expérimenter le zèle, l'assiduité, les qualités d'esprit du comte de Champagny, duc de Cadore. Cependant, chez ce ministre surmené, quelques symptômes de lassitude, quelques défaillances commençaient à se manifester. L'année précédente, dans le maniement d'affaires aussi délicates que celles de Pologne et de Suède, Napoléon l'avait jugé au-dessous de sa tâche. Peut-être aussi, fâché et humilié d'avoir été surpris par les préparatifs militaires de la Russie, reprochait-il au chef de sa diplomatie d'avoir insuffisamment stimulé la vigilance de notre ambassade en cet obscur pays. Conservant pour Champagny beaucoup d'estime et de reconnaissance, il avait cessé d'apprécier ses services et ne voyait pas en lui le ministre des temps difficiles. Il résolut de le déplacer sans le disgracier, de lui réserver l'administration de sa maison, dont, la direction moins absorbante lui serait un repos. En ces instants où la guerre menaçait, où notre diplomatie aurait peut-être à se faire l'auxiliaire de nos armées, à réchauffer le zèle de nos alliés, à surveiller, à diriger, à coordonner leurs mouvements militaires, ce qu'il fallait à l'Empereur aux affaires étrangères, c'était une sorte de chef d'état-major civil, un agent de transmission ponctuel et impeccable. Son choix devait se porter sur l'homme le plus familiarisé avec ses habitudes d'esprit et de travail, sur celui qui l'assistait depuis tant d'années dans sa besogne administrative et politique, sur le secrétaire d'État Maret, duc de Bassano, dont le nom est resté à toutes les époques synonyme de fidélité.

Les sympathies de M. de Bassano pour les Polonais et leur cause étaient notoires ; aux yeux de ce peuple, dont le dévouement et le loyalisme pouvaient être mis bientôt à redoutable épreuve, sa nomination apparaîtrait comme une marque d'intérêt, un encouragement et presque un gage, sans être un défi jeté à la Russie, car le duc savait à propos exprimer des sentiments hautement pacifiques. En fait, habitué à taire ses préférences personnelles, doutant de lui-même plutôt que du maitre, il fournirait moins à celui-ci un conseil qu'un service, le plus constant, le plus actif, le plus infatigable des services. Sa dévotion à l'Empereur, sa foi profonde en l'infaillibilité du grand homme, étaient un sûr garant qu'il n'hésiterait et ne faiblirait jamais dans l'exécution des ordres reçus, que son langage et ses écrits se mouleraient exactement sur la pensée souveraine, qu'ils en sauraient rendre toute l'intensité et aussi en refléter les moindres nuances. Sa remarquable facilité de rédaction permettait de lui imposer un labeur surhumain sans l'écraser sous le fardeau. Enfin, par le charme et l'agrément de sa personne, par l'aménité qui s'alliait en lui à une sereine assurance, par la belle harmonie de son existence partagée entre le travail et la représentation, il ajouterait à l'éclat extérieur et au prestige de la fonction.

La transmission des pouvoirs s'opéra en l'espace d'une matinée. Le 17, au commencement du jour, après avoir prescrit à Champagny quelques envois urgents, Napoléon lui notifia sa détermination par une lettre personnelle, chef-d'œuvre de tact et de délicatesse, destiné à panser la blessure qu'il allait faire : Monsieur le duc de Cadore, — disait-il[37], — je n'ai eu qu'à me louer des services que vous m'avez rendus dans les différents ministères que je vous ai confiés ; mais les affaires extérieures sont dans une telle circonstance que j'ai cru nécessaire au bien de mon service de vous employer ailleurs. J'ai voulu cependant, en vous faisant demander votre portefeuille, vous donner moi-même ce témoignage, afin d'empêcher qu'il reste aucun doute dans votre esprit sur l'opinion que j'ai du zèle et de l'attachement que vous m'avez montrés dans le cours de votre ministère. Peu après l'envoi de cette lettre, la mutation s'opérait : M. Maret recevait le service des mains de son prédécesseur et prenait possession avec aisance du cabinet ministériel.

Sur le bureau, il trouva la lettre commandée l'avant-veille pour le duc de Vicence, rédigée la veille et prête à partir. Le nouveau ministre la soumit à l'Empereur : celui-ci en autorisa l'expédition, mais prescrivit de la confirmer et d'en accentuer la portée par une autre, qui servirait de post-scriptum. à la première.

Cette seconde lettre, le duc de Bassano la fit brève et nette ; il la rédigea sous l'impression immédiate de la conversation qu'il venait d'avoir avec Sa Majesté et qui l'avait laissé tout imprégné de sa pensée : en ces lignes, à travers une imperturbabilité voulue et des affirmations de toute puissance, perce plus manifestement chez l'Empereur le désir de s'arranger avec la Russie, pourvu qu'elle ne lui demande point d'insupportables sacrifices : Il parait, — écrit le ministre, — que la cour de Pétersbourg est occupée de deux griefs, relatifs, l'un à l'affaire du duché d'Oldenbourg, l'autre aux inquiétudes qu'elle a conçues sur la Pologne. Que faut-il faire pour rassurer la Russie ? Une explication franche aurait mieux valu que des armements ; une explication prompte vaudrait mieux que des préparatifs ruineux. Vous connaissez assez, Monsieur le duc, la situation de la France et des armées de l'Empereur pour juger combien peu elle a à craindre, mais l'Empereur ne peut que s'affliger de voir la bonne intelligence menacée pour des bagatelles et l'empereur de Russie abandonner des réalités pour des chimères et se préparer à rompre une alliance qu'on devait croire à l'abri de toutes les vicissitudes. Si ce que désirent les Russes est faisable, j'ai ordre de vous le dire, Monsieur le duc, cela sera fait.

Ayant lancé cette assurance formelle, Napoléon n'avait plus qu'à laisser venir la réponse et en attendant à rester en garde, tout prêt, si les Russes prononçaient une attaque, à les recevoir sur la pointe de son épée. Pendant les semaines suivantes, pendant un mois environ, il demeura et tint tout le monde sur le qui-vive. Même, l'arrivée à Paris de Poniatowski, ses confidences directes sur le projet d'offensive, parurent nécessiter un surcroît de précautions. Les autorités françaises ou alliées dans le Nord furent invitées à presser l'armement de Dantzick, à observer continuellement la frontière de Russie et à se méfier de la Prusse. Ayez un chiffre avec le gouverneur de Dantzick, — écrivait l'Empereur à Davout[38]... Il faut qu'il soit très alerte, qu'il monte une police secrète et sache ce qui se passe du côté de Tilsit, Riga, sur la frontière, et vous tienne informé de tout. Il faut surtout qu'il fasse faire le service de sa place avec rigueur, pour éviter toute surprise. Les officiers d'état-major placés à Stettin, Glogau, Custrin, en pays suspect, doivent avoir l'œil sur tout ; leur vigilance ne doit pas se relâcher une minute : ils doivent dormir le jour et rester debout toute la nuit[39].

En arrière de ces postes, l'Empereur développe et multiplie ses moyens de guerre, par l'action combinée de mouvements militaires et diplomatiques. Sans cesse, il s'efforce de compléter le corps de Davout, de former ceux qui devront, en cas de besoin, rallier et soutenir cette puissante avant-garde, et à l'armée de deux cent trente mille hommes qu'il se met en mesure de réunir avant juillet dans l'Allemagne du Nord, il s'occupe de composer une aile gauche avec la Suède, une aile droite avec la Turquie. Ses envois à Stockholm et à Constantinople, pendant la seconde quinzaine d'avril, si on les compare aux dépêches de la période précédente, montrent qu'il se sent plus près d'éventualités extrêmes, signalent le progrès de la crise.

En Suède, il ne s'agit plus de tâter le terrain, ruais d'y prendre position. Alquier reçoit ordre de proposer carrément et de négocier une alliance, sans la conclure encore : évitant toute allusion à la Norvège, passant sous silence cet objet cher à Bernadotte, il présentera aux Suédois la Finlande comme le prix naturel de leur concours dans une guerre contre la Russie. Au besoin, pour les mieux mettre en état de faire diversion, la France fournira des subsides : c'est l'Empereur qui le dit lui-même dans une note jetée en marge de l'instruction[40]. En ce qui concerne la Turquie, le projet de dépêche préparé le 12 avril par Champagny et non encore approuvé par l'Empereur, est abandonné comme insuffisant : M. de Bassano lui en substitue un autre, plus net, plus précis, plus nerveux. Latour-Maubourg devra réclamer l'envoi à Paris d'un ambassadeur turc, ayant mission et pouvoir de passer des accords : Il est convenable que, dédaignant la pompe orientale, cet ambassadeur parte sur-le-champ. Il faut qu'il soit autorisé à signer un traité en forme, avec toutes les dispositions qui lient les gouvernements. Napoléon veut avoir à sa portée et sous sa main l'alliance de la Turquie, afin de la saisir quand il lui plaira. Le traité à signer serait très avantageux au Sultan : La France garantirait la Moldavie et la Valachie à la Porte, et en cas de succès, ce qui n'est pas douteux, les deux armées se combineraient pour faire rendre la Crimée à la Porte... — Tout cela, ajoute la dépêche du 27 avril, doit être dit avec prudence et sans rien compromettre, car l'alliance avec la Russie n'est pas rompue, et les difficultés peuvent s'aplanir. Mais, avant que le ministre qu'enverra la Porte arrive, tout sera décidé[41].

Ces derniers mots prouvent que l'Empereur croyait alors à un dénouement très bref, qui serait la guerre ou la consolidation de la paix. Ni l'une ni l'autre de ces deux hypothèses ne se réalisa. Alexandre se montrait peu pressé de délier la langue de Tchernitchef, et aucune communication nouvelle n'arrivait du Nord. Par contre, dès le mois de mai, les nouvelles de la frontière prirent un caractère beaucoup moins alarmant. A Varsovie, quand était arrivé l'ordre de mobiliser l'armée, l'émotion avait atteint à son paroxysme : chacun croyait apprendre à tout instant l'entrée des Russes, s'imaginait déjà entendre leur canon[42]. Aujourd'hui, si les bruits d'une restauration de la Pologne par la main du Tsar continuaient à circuler, l'état des forces opposées au duché ne faisait plus croire à l'imminence de l'entreprise. Les agents d'observation, les guetteurs apostés, ne retrouvaient plus les masses ennemies sur les points où ils avaient cru les discerner : elles semblaient s'être dissipées et évanouies : on n'était plus bien sûr maintenant de les avoir vues, et c'était à se demander si un peuple entier n'avait pas été le jouet d'une illusion d'optique. Entre Riga et Brzesc, on continuait à découvrir une ligne de troupes, des divisions échelonnées, dont il était très difficile de déterminer avec exactitude la composition, le numéro d'ordre et l'emplacement, mais la frontière même paraissait se dégager. A Wilna, à Grodno, plus de concentration menaçante ; à Bialystock, où une force imposante avait été signalée, on constatait, vérification faite, l'existence d'un bataillon. Bignon, ayant contrôlé les premiers avis à l'aide d'informateurs plus sages[43], ayant procédé très soigneusement à une contre-enquête, en venait à penser que les Polonais avaient été une fois de plus dupes d'eux-mêmes, que le péril avait existé surtout dans leur imagination : Davout arrivait à sa même conclusion, se reprochant d'avoir cédé à un pessimisme exagéré[44].

En fait, le gros des armées russes restait à proximité du territoire varsovien. Seulement, comme Alexandre persistait dans les hésitations dont nous avons montré le début, quelques divisions avaient été reportées en arrière, éloignées des limites. Puis, chez les troupes qui s'étaient accumulées dans les provinces frontières, une sorte de tassement s'était opéré : les corps, ayant pris leurs positions, s'y tenaient maintenant immobiles, repliés sur eux-mêmes : ils offraient ainsi moins de prise à l'observation qu'à l'état de mouvement et de marelle. Les Varsoviens, n'apercevant plus en face d'eux un remuement d'hommes et de matériel qui multipliait les objets à leurs yeux et prêtait à des grossissements fantastiques, se sentaient quelque peu délivrés de leurs angoisses : ils respiraient plus librement : l'oppression diminuait, la fièvre des esprits s'apaisait : l'alerte était passée[45].

Le premier effet de cette accalmie fut d'arrêter les négociations que menait l'Empereur à titre de précautions contre la Russie. Il cesse de répondre aux assurances douteuses de la Prusse : il tient l'Autriche en suspens. Ayant étendu le bras vers la Suède et la Turquie pour les reprendre et les tirer à lui, il interrompt son geste, dès que le besoin immédiat de ces compromettantes alliances ne se fait plus sentir. Il laisse ses représentants sans ordres, sans instructions, et son silence leur prescrit tacitement l'inaction.

A Stockholm, nos offres avaient été accueillies avec un enthousiasme plus apparent que réel : l'objet proposé à Bernadotte ne correspondait pas à ses véritables désirs, et lorsque le baron Alquier l'avait provoqué à discuter un plan de diversion en Finlande, il l'avait trouvé mal préparé sur le sujet, s'exprimant avec gêne, demandant à réfléchir. Cependant, comme il importait de ne pas décourager la bonne volonté de l'Empereur, comme une partie du conseil tenait encore pour l'ancienne politique et regrettait la Finlande, le ministre Engeström avait d'abord suivi les pourparlers avec une sorte d'ardeur. Au bout de quelques semaines, voyant que son interlocuteur n'insistait plus, il cessa lui-même de nourrir la conversation et laissa tomber l'affaire[46]. Avec les Turcs, ou s'en tint pareillement aux premières ouvertures : notre légation n'ayant pas renouvelé ses instances pour l'envoi à Paris d'un plénipotentiaire, cet ambassadeur ne partit point : les deux gouvernements restèrent l'un vis-à-vis de l'autre dans une situation mal définie et sur un pied de demi-confiance.

Quant à ses armements, Napoléon ne contremande aucune mesure, mais informe ses lieutenants qu'il y a lieu de procéder un peu moins précipitamment, avec plus de mystère et surtout à moins de frais : Lorsque vous trouverez de l'économie, — écrit-il à Davout[47], — à mettre douze ou quinze jours de plus à faire faire une chose, je pense qu'il faut adopter ce parti de préférence. Il veut que les corps en formation s'augmentent incessamment, mais qu'ils se munissent de leurs organes sur place, les uns en Allemagne, les autres en Italie ou en France, sans exécuter aucun mouvement qui éveille l'attention[48].

En somme, l'impulsion donnée soudainement aux préparatifs se modère, mais continue à se faire sentir, méthodique et réglée. Par suite de l'alerte survenue, un grand pas avait été franchi dans la voie des mesures guerrières, et il n'était point dans le tempérament et l'humeur de Napoléon de s'arrêter en ce chemin, dès que les circonstances l'y avaient engagé à fond. Vis-à-vis de la Russie, il demeure sous une impression plus prononcée de méfiance et de colère : il en vent amèrement à cette puissance de lui avoir presque fait peur, sans qu'il se rende un compte exact de ce qui s'est passé dans l'esprit d'Alexandre. Il n'est pas éloigné de croire que ce prince a voulu simplement diriger contre lui une grande démonstration militaire, avec l'espoir de lui forcer la main par cette pression et de lui arracher un lambeau de la Pologne. Mais cette hypothèse suffit à le révolter : est-il homme à qui l'on dicte des conditions à la pointe de l'épée ? Si l'on veut négocier, pourquoi venir le casque en tête au lieu d'un bâton blanc à la main ?[49] Et l'apaisement actuel, loin de le confirmer dans la volonté de mettre fin au litige, l'en détourne au contraire, en lui rendant le loisir de préparer sa revanche : se reprenant à l'espérance de gagner du temps et de pouvoir donner à ses préparatifs une formidable ampleur, il revient progressivement à l'idée de faire la guerre au lieu de l'éviter, de la faire en 1812, de mener alors une campagne offensive, à la tête de l'Europe, et de trancher violemment le conflit par la plus grande expédition des temps modernes. Son ardeur à traiter décroît à mesure que le danger s'éloigne.

Cependant, ayant senti l'embarras où le jetterait une rupture trop prompte avec la Russie, sachant que cette éventualité peut se reproduire, frappé parfois des risques immenses où l'entraînerait une entreprise au Nord même longuement et minutieusement préparée, il reste encore indécis, perplexe, et ne rejette pas tout à fait l'idée d'une transaction. Sincèrement, il voudrait écarter la question polonaise et chasser ce fantôme : il le dit à Kourakine, avec un luxe de paroles obligeantes qui donne au vieil ambassadeur la force de se promener avec Sa Majesté pendant deux heures malgré sa goutte[50]. Il le répète avec une sorte d'impatience à un diplomate russe de passage à Paris, au comte Schouvalof : Que me veut l'empereur Alexandre ? — lui dit-il. — Qu'il me laisse tranquille ! Croit-on que j'irai sacrifier peut-être deux cent mille Français pour rétablir la Pologne ?[51] Et il fait justement observer que le duché dans sou état actuel, c'est-à-dire faible et soumis, lui est plus avantageux qu'une Pologne indépendante et forte, qui se soustrairait tôt ou tard à sa tutelle. Mais est-il possible de rassurer la Russie à moins d'un dépècement du duché, condition inacceptable et déshonorante ? Puis, il est une autre question que Napoléon ne renonce jamais au fond de rame à réveiller et à reprendre : c'est celle des neutres et du blocus. A supposer que l'on trouve moyen d'aplanir les difficultés présentes, Alexandre consentira-t-il à décréter des mesures plus efficaces contre les Anglais et suppressives de leur commerce ? Telle est la question d'importance capitale qui complique toujours aux veux de l'Empereur et aggrave le problème. Sur tous les points en suspens, il espère que le duc de Vicence, soit par réponse aux deux lettres qui lui ont été adressées, soit de vive voix après son retour, va lui fournir enfin des notions précises : il a bâte de savoir à quel prix au juste il pourrait s'épargner une guerre avec la Russie et s'assurer un renouvellement de concours contre l'éternelle ennemie.

 

 

 



[1] Bulletins de police, 7 mars 1811. Archives nationales, AF, IV, 1514.

[2] Bulletin de police du 20 mars : A la Halle, deux portefaix s'étaient pris de querelle et allaient se battre, lorsque le premier coup de canon a été entendu ; ils ont suspendu leur querelle pour compter les coups, et au vingt-deuxième ils se sont embrassés. Archives nationales, AF, IV, 1514.

[3] Correspondance de Serra, résident de France à Varsovie, février et mars 1811, passim. Lettres de Poniatowski, lettres de Rapp, feuilles de renseignements, avis divers transmis par Davout avec ses lettres à l'Empereur des 17, 24 et 31 mars. Archives nationales, AF, IV, carton n° 1633 : ce carton contient un volumineux dossier de pièces relatives à l'alerte d'avril 1811.

[4] Davout à l'Empereur, 31 mars 1811. Archives nationales, AF, IV, 1653.

[5] Correspondance, 17523

[6] Correspondance, 17566.

[7] HELFERT, 197-200.

[8] Correspondance, 17581.

[9] Correspondance, 17581.

[10] Archives des affaires étrangères, Turquie, 221.

[11] Correspondance, 17571.

[12] Il voulait dire 1806.

[13] Correspondance, 17579.

[14] Toutes les citations qui suivent sont tirées du rapport de Tchernitchef publié dans le tome XXI du Recueil de la Société impériale d'histoire de Russie, p. 60 à 109. Le rapport ligure dans cette publication sous une date erronée : il est du mois d'avril.

[15] Mémoires de Rovigo, V, 129.

[16] Rapport cité plus haut.

[17] Sorte de caviar préparé arec des œufs de poisson salé.

[18] Mémoires de Rovigo, V, 132-135.

[19] Mémoires de Rovigo, V, 133.

[20] On verra plus foin, au ch. VIII, un exemple de ce genre de trafic.

[21] Il profita de son exil pour faire un voyage en Italie et y périt d'un accident de voiture.

[22] Bignon à Champagny, 29 mars 1811.

[23] Bignon à Champagny, 29 mars 1811.

[24] Bignon à Champagny, 30 mars 1811.

[25] Dépêches des 20, 30 et 31 mars 1811, avec les pièces jointes.

[26] Bignon à Champagny, 30 et 31 mars.

[27] Bignon à Champagny, 30 avril.

[28] Bignon à Champagny, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 13, 15, 17, 20 avril 1811.

[29] Davout à l'Empereur, 11 avril. Archives nationales, AF, IV, 1653.

[30] Correspondances de Suède et de Turquie, avril 1811 : lettres de Davout, 31 mars, 11, 14, 16, 25, 28, 30 avril, lettres jointes de Poniatowski, rapport à la cour de Saxe, rapport venu de Stockholm. Archives nationales, AF, IV, 1653.

[31] Correspondance, 17612.

[32] Correspondance, 17607 à 17609, 17611 à 17613, 17617, 17619 à 17623.

[33] Lettre au roi de Saxe. Correspondance, 17612.

[34] Archives nationales, AF, IV, 910.

[35] Journal de l'Empire, 19 avril 1811.

[36] Les détails et extraits qui suivent, jusqu'à la page 152, sont tirés du rapport de Tchernitchef précédemment mentionné.

[37] Correspondance, 17614.

[38] Correspondance, 17621.

[39] Correspondance, 17622.

[40] Archives des affaires étrangères, Suède, 295. Cf. la lettre de Maret à l'Empereur du 20 avril 1811, insérée dans la correspondance de Turquie, vol. 221.

[41] Maret à Latour-Maubourg, 27 avril 1811.

[42] Bignon à Maret, mai 1811.

[43] Dépêche du 28 avril 1811.

[44] Davout à l'Empereur, 23 avril, 2, 12 et 17 mai. Archives nationales, AF, IV, 1653.

[45] Bignon à Champagny et à Maret, 20, 24, 25, 27, 28, 30 avril, 2, 7, 5, 9, 10, 11, 15, 22 et 27 mai.

[46] Correspondance d'Alquier, mai à juin 1811.

[47] Correspondance, 17702.

[48] Correspondance, 17726.

[49] Paroles répétées par Alexandre à Lauriston, d'après un rapport de Kourakine ; lettre particulière de Lauriston au ministre, 1er juin 1811.

[50] Rapport cité dans la lettre de Lauriston du 1er juin.

[51] Recueil de la Société impériale d'histoire de Russie, XXI, 415.