NAPOLÉON ET ALEXANDRE Ier

L'ALLIANCE RUSSE SOUS LE PREMIER EMPIRE

II. — 1809. - LE SECOND MARIAGE DE NAPOLÉON - DÉCLIN DE L'ALLIANCE

 

CHAPITRE VI. — AUTRICHE ET RUSSIE.

 

 

A défaut de la princesse russe, Napoléon tient à s'assurer éventuellement d'autres partis. — Alliances possibles. — Le roi et la reine de Saxe à Paris ; causes réelles et résultat de ce voyage. — L'Autriche. — Ouverture de Metternich à M. de Laborde. — Derniers cercles tenus par l'impératrice Joséphine aux Tuileries ; rencontre de Floret et de Sémonville : dialogue interrompu et repris. — La soirée du 15 décembre 1809 et la journée du 16 ; prononcé officiel du divorce. — Napoléon pendant la séance du Sénat. — Nouvelles plaintes d'Alexandre, antérieures à l'arrivée de nos courriers. — Réponse conciliante : mécontentement intime. — L'Empereur en retraite à Trianon ; premier mot à l'Autriche ; instruction verbale et caractéristique au duc de Bassano. — Comparaison entre les deux négociations ; différence qui les sépare. — Voyage de l'empereur Alexandre à Moscou : ajournement forcé de nos demandes. — Schwartzenberg et Laborde. — Napoléon reçoit encore une note russe au sujet de la Pologne. — Mouvement de colère. — Lettre du 31 décembre 1809 à l'empereur Alexandre. — Visite à la Malmaison. — Intervention de Joséphine et d'Hortense. — Mme de Metternich. — Conversation sous le masque. — Prestige de la maison d'Autriche. — Évolution graduelle qui parait s'opérer dans l'esprit de l'Empereur. — Quelles que soient actuellement ses préférences intimes, il reste ferme dans la position prise vis-à-vis de la 'Russie. — Il attend impatiemment une réponse de Pétersbourg. — Lenteur des communications. — Premier courrier du duc de Vicence. — Signature de la convention contre la Pologne. — L'article premier. — Enquête sur la grande-duchesse Anne. — Retour de l'empereur Alexandre. — Ses impressions de voyage. — La négociation s'entame. — Attitude d'Alexandre : ses révélations sur le caractère de sa mère et de ses sœurs. — Théorie de Roumiantsof. — Demande formelle. — Première réponse de l'Impératrice mère. — La grande-duchesse Catherine consultée : situation de cette princesse. — Délais successifs. — Excès de précaution. — Satisfactions accessoires. — L'empire d'Occident. — Caulaincourt augure favorablement de l'issue finale.

 

I

Si décidé que fa l'Empereur il épouser la sœur d'Alexandre, il ne se refusait point — les termes des deux lettres à Caulaincourt en font suffisamment foi — à prévoir le cas on cette alliance manquerait par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. Il se pouvait que Caulaincourt, d'après les renseignements qu'il aurait sur la princesse, ne se crût pas autorisé à produire la demande ; il se pouvait aussi qu'Alexandre soulevât des difficultés, se dérobât, et l'Empereur avait trop expérimenté la politique de ce monarque pour ne point admettre de sa part la possibilité d'une nouvelle défaillance. Si l'une ou l'autre de ces hypothèses survenait, il importait qu'elle ne nous prit pas au dépourvu et qu'une autre princesse fût appelée sur-le-champ à remplacer celle que la Russie ne pourrait ou ne voudrait nous offrir. C'était chez Napoléon une habitude constante, invariable, chaque fois qu'il concevait un projet, d'imaginer en même temps et de tenir en réserve une seconde combinaison, susceptible de se substituer à la première en cas d'insuccès : Je fais toujours, disait-il, mon thème de plusieurs façons[1]. Formulant à Pétersbourg une proposition ferme, il ne jugeait pas inutile de se prémunir contre un refus ou une réponse évasive, et de sonder discrètement d'autres cours ; ce soin l'occupa pendant les jours qui précédèrent immédiatement et virent s'opérer l'accomplissement définitif du divorce, la cérémonie de rupture.

Parmi les maisons souveraines, beaucoup eussent considéré comme un insigne honneur la faveur d'être choisie ; il en était peu qui répondissent pleinement aux vues de l'Empereur, aux exigences de son orgueil et de sa politique. L'Allemagne en comptait plusieurs, catholiques de religion, d'antique origine, d'une fécondité éprouvée ; mais convenait-il au chef de la Confédération de se donner pour épouse une vassale, de recourir à ces dynasties qui tenaient de lui seul la confirmation de leur pouvoir, leur titre nouveau, et dont la grandeur d'emprunt n'était qu'un reflet de la sienne ? Entre toutes, la famille de Saxe méritait seule quelque attention, par la situation élevée que la France lui avait faite, non seulement en Allemagne, mais en Europe. Elle possédait la considération, à défaut de l'éclat ; c'était une grande maison, sinon une grande puissance : sa fidélité semblait absolue. Soit qu'elle eût pris les devants, soit qu'elle eût été provoquée, on sut très vile qu'elle tenait à notre disposition la fille du souverain régnant, la princesse Marie-Auguste[2]. C'est à tort toutefois que certains conseillers de 1Empereur, mal instruits de la situation extérieure, montraient dans cette union un parti neutre, point compromettant, partant fort recommandable : il eût eu une couleur antirusse très prononcée. Le roi de Saxe n'était-il pas en même temps grand-duc de Varsovie, souverain de ces Polonais dans lesquels on voyait à Pétersbourg de dangereux ennemis et l'avant-garde de l'invasion ? Il est difficile d'admettre que Napoléon ait songé sérieusement à un mariage qui eût pu lui enlever une alliance de premier ordre, sans lui en procurer une autre.

Dans le public, l'apparition à Paris du roi Frédéric-Auguste, de sa femme et de sa fille, avait fait croire un instant à quelque préférence pour la Saxe. On sut que ce voyage avait été désiré par l'Empereur ; on remarqua qu'il fit à ses hôtes un accueil plein de cordialité ; on en conclut qu'il n'était pas éloigné de s'unir à eux par un lien de famille. En réalité, lorsque Napoléon attirait Frédéric-Auguste auprès de lui, son but était tout autre. Par la convention qu'il proposait à la Russie et qui emportait renonciation à tout projet ultérieur sur la Pologne, il s'était offert à prendre au nom du roi grand-duc des engagements onéreux et presque humiliants ; ce prince s'interdirait n jamais d'accroitre son domaine varsovien : peut-être lui faudrait-il renoncer aussi à conférer ces décorations et ces ordres polonais dont la distribution était devenue depuis 1807 l'une des prérogatives de sa couronne. Napoléon avait admis, sans le consulter, cette restriction de ses droits souverains. Néanmoins, se croyant tenu à certains ménagements vis-à-vis d'un prince qu'il estimait, il avait voulu le voir pour lui faire connaître en personne le sacrifice exigé de son dévouement et lui en adoucir l'amertume. Dans des entretiens intimes, il réussirait mieux à le raisonner, à le consoler, et tout s'arrangerait plus aisément de vive voix. A Paris, le Roi et ses ministres furent prévenus des accords négociés avec la Russie et invités à y accéder. Après quelques observations de pure forme, le cabinet de Dresde s'inclina docilement, souscrivit d'avance à tout ce qui serait exigé de lui, et ce fut là l'unique résultat du voyage. L'appel à Paris du roi Frédéric-Auguste avait moins eu pour but de préparer un mariage saxon que de faciliter le mariage russe[3].

A vrai dire, si la Russie faisait défaut, il ne pouvait être question que de l'Autriche. Affaiblie et morcelée, l'Autriche n'en demeurait pas moins, après l'empire du Nord, la seule puissance du continent avec laquelle il fallût compter. Dans la dernière campagne, par ses armées, sinon par son gouvernement, elle s'était montrée supérieure à sa fortune ; elle avait fait preuve d'une fermeté, d'une tenue, qui témoignaient des progrès accomplis, et sa défaite honorable l'avait réhabilitée aux yeux de son vainqueur. Puis, si François Ier se présentait aujourd'hui dans l'attitude d'un monarque constamment trahi par le sort, trois fois humilié, courbé sous d'accablants revers, derrière ce vaincu apparaissait une splendide ascendance, des rois, des empereurs sans nombre, une longue série d'aïeux au front couronné, lumineuse dans la nuit du passé. Grâce à ce prestige séculaire, la maison d'Autriche avait pu souffrir sans déchoir : elle conservait ce lustre traditionnel que le malheur ne détruit point et que la victoire même est impuissante à donner ; nulle autre au monde n'eût pu lui être comparée pour la dignité et l'éclat, si l'antique maison de France n'avait point existé.

L'Autriche, il est vrai, rivale, puis alliée de nos rois, avait été, sur le continent, la grande ennemie et la grande victime de la Révolution. Hostilité déclarée ou antagonisme latent, c'était là tout son rôle vis-à-vis de nous depuis dix ans, et le traitement qui lui avait été infligé après ses dernières prises d'armes n'était point pour l'apaiser et la ramener. Cependant, au lendemain de Wagram, elle avait changé subitement de ton et d'attitude ; elle avait paru reconnaitre et déplorer ses torts, proclamer le faux de son système, témoigner le désir de conclure avec nous une paix qui fût plus qu'une trêve, parler même de rapprochement intime et d'alliance. Tel avait été, on ne l'a pas oublié, le langage de ses plénipotentiaires aux conférences d'Altenbourg et de Vienne ; mais ces avances s'expliquaient aisément alors par l'espoir d'obtenir un pardon et d'assurer l'intégrité de la monarchie. Depuis, la signature de la paix et la rigueur de ses conditions n'avaient-elles point modifié les dispositions accommodantes de l'Autriche ? Dans tous les cas, sa réconciliation avec le fait accompli était-elle assez réelle, assez sincère, pour l'amener à rompre avec tous ses principes, s'unir par les liens du sang à un empereur sans ancêtres ? François Ier avait une fille de dix-huit ans, l'archiduchesse Louise ; la donnerait-il à Napoléon comme un gage irrécusable de sa conversion ? Napoléon avait peine à le croire, et le peu de bon vouloir qu'il supposait à l'Autriche avait contribué à l'orienter plus résolument dans la voie russe.

Sur le point qui faisait doute, la difficulté de s'éclairer lui était d'autant plus grande qu'il ne pouvait parler qu'à demi-mot, en évitant de donner trop d'espoir, puisqu'il n'aurait à se retourner vers Vienne qu'au cas peu probable d'un refus de la Russie. D'ailleurs, pour se pressentir et s'expliquer, les deux cours manquaient de leurs intermédiaires naturels ; la guerre avait entrainé le rappel des ambassades, et le temps avait manqué pour en installer de nouvelles. Napoléon n'avait pas même désigné son ministre à Vienne ; l'empereur François avait choisi pour le représenter à Paris le prince de Schwartzenberg, mais cet envoyé n'avait pas encore rejoint son poste et s'était borné à s'y faire précéder et annoncer par son conseiller d'ambassade, le chevalier de Floret. Dans un entretien avec ce dernier, le 21 novembre, M. de Champagny avait posé intentionnellement diverses questions sur la princesse Louise, mais n'avait point réussi à provoquer une réponse engageante qui pût servir de point de départ à quelques pourparlers[4]. Cette parole attendue, que M. de Floret ne s'était pas cru autorisé à prononcer, vint de plus haut et arriva directement de Vienne.

Un jour, pendant la première quinzaine de décembre, M. de Champagny trouva dans le portefeuille qu'il adressait régulièrement à l'Empereur et que celui-ci lui renvoyait avec ponctualité, après avoir lu les correspondances dont il était chargé, une pièce non signée, mais d'une écriture connue ; c'était celle de M. de Laborde, que nous avons vu jouer un rôle actif dans la dernière pacification avec l'Autriche. Après la signature du traité et le départ de l'armée française, Laborde était demeuré à Vienne, avec la mission tout officieuse d'aplanir certaines difficultés de détail, surtout d'observer et de rendre compte : il était particulièrement propre à cette tache, ayant ses entrées chez les ministres, de nombreuses relations dans le monde de la cour et du gouvernement. Il avait assisté au retour de l'empereur François dans sa capitale ; deux jours avant cet événement, qui avait fort occupé et ému les habitants, mais auquel le bruit du divorce de Napoléon faisait diversion, M. de Metternich était lui-même rentré à Vienne, avec le titre de ministre des affaires étrangères ; il venait de succéder définitivement à Stadion ; en sa personne, c'était la politique d'accord avec la France qui prenait officiellement possession du pouvoir. Le 29 novembre, le nouveau ministre avait eu une curieuse conversation avec Laborde, qui s'était empressé de la consigner par écrit. Voici le passage saillant de sa relation :

Parmi les moyens d'union et d'harmonie des deux pays, M. de Metternich glissa dans la conversation le mot d'alliance de famille, et, après des circonlocutions et des détours diplomatiques, il a exprimé plus ouvertement sa pensée : Croyez-vous, me dit-il, que l'Empereur ait jamais eu l'envie réelle de divorcer d'avec l'Impératrice ? Je ne m'attendais pas à cette question, et, dans l'opinion qu'il n'avait conçu cette alliance que relativement à une princesse de la famille impériale de France, je répondis quelques mots vagues pour le laisser s'expliquer. Il revint sur cette question et parla de la possibilité d'un mariage de l'empereur Napoléon avec une princesse de la maison d'Autriche. Cette idée, dit-il, est de moi ; je n'ai point soucié les intentions de l'empereur à cet égard ; mais, outre que je suis comme certain qu'elles seraient favorables, un tel événement aurait tellement l'approbation de tout ce qui a quelque fortune, quelque nom, quelque existence dans ce pays, que je ne le mets point en doute, et que je le regarderais comme un véritable bonheur pour nous et une gloire pour le temps de mon ministère... Avant rencontré M. de Metternich le lendemain, ajoutait Laborde, il me renouvela encore les mêmes assurances[5].

Laborde avait expédié d'urgence ou apporté lui-même son compte rendu, car il était rentré à Paris peu de jours après l'entretien. La pièce avait été remise par ses soins au duc de Bassano, qui le protégeait fort, et c'était par ce canal qu'elle avait dû parvenir à l'Empereur. Quoi qu'il en fût, elle avait passé sous les yeux de Sa Majesté, ainsi qu'en témoignait cette mention : Renvoyé à M. de Champagny, portée en marge de la main même de l'Empereur et suivie de son écrasant parafe. Napoléon renvoyait la pièce à Champagny, chargé jusqu'alors de diriger et de centraliser la correspondance relative au mariage. Sans songer encore à faire usage des insinuations qu'elle contenait, il voulait qu'elle fût conservée et figurât au dossier.

Presque en même temps, nous eûmes un autre indice du bon vouloir autrichien ; il fut dû au hasard d'une rencontre mondaine. C'était durant la semaine où la présence des rois allemands à Paris prolongeait la période des fêtes, malgré l'approche du divorce. Joséphine tenait encore des cercles de cour, sans dissimuler une tristesse qui prêtait à sa grâce un charme plus touchant. Un soir, la réunion venait de finir, et la foule des invités s'écoulait lentement à travers les galeries. Durant ce défilé, où les rangs étaient nombreux et serrés, des conversations s'ébauchaient, des impressions s'échangeaient discrètement et à voix basse, comme il convenait à la majesté du lieu ; c'était l'heure des réflexions et des médisances. À un moment, le hasard plaça M. de Floret à côté du sénateur Sémonville, qu'il connaissait de longue date. Ils se mirent à causer, et leur entretien se porta naturellement sur l'objet qui préoccupait tous les esprits : ils parlèrent divorce et mariage. Sémonville était tout acquis à l'idée de choisir une archiduchesse ; quant à Floret, il allait se montrer beaucoup moins réservé qu'il ne l'avait été avec Champagny, soit qu'il connut mieux la pensée de sa cour, soit que la circonstance, moins solennelle, lui parût plus propice. Ce fut lui qui prit l'initiative d'exprimer un désir ou plutôt un regret, puisque le mariage russe, annoncé de tous côtés, paraissait chose arrêtée : Eh bien, dit-il, voilà donc qui est décidé ! Dans quelques jours nous aurons la notification officielle. — Il parait, reprit Sémonville : l'affaire est faite, puisque vous n'avez pas voulu la faire vous-même. — Qui vous l'a dit ?Ma foi, on le croit ainsi. Est-ce qu'il en serait autrement ?Pourquoi pas ?

La conversation prenait ce tour intéressant lorsqu'elle fut brusquement interrompue. La voix solennelle d'un huissier retentit derrière les deux interlocuteurs, annonçant le prince archichancelier, qui se retirait et auquel on devait faire place. La foule s'entr'ouvre respectueusement ; Cambacérès passe, vivante image de la raideur officielle et de l'étiquette ; puis le vide se comble, les rangs se reforment, Floret et Sémonville se retrouvent voisins, et avec précaution, sans se tourner l'un vers l'autre ni se regarder, reprennent le dialogue au point où ils l'ont laissé.

Serait-il vrai, dit Sémonville, que vous fussiez disposé à donner une de vos archiduchesses ?Oui. — Qui ? vous, à la bonne heure, mais votre ambassadeur ? (Le prince de Schwartzenberg venait enfin d'arriver à Paris.)J'en réponds. — Et M. de Metternich ?Sans difficulté. — Et l'Empereur ?Pas davantage. — Et la belle-mère, qui nous déteste ?Vous ne la connaissez pas ; c'est une femme ambitieuse, on la déterminera quand et comme on voudra...

Son Altesse Impériale madame la princesse Pauline, reprend la voix de l'huissier, et force est aux deux amis de se séparer à nouveau pour laisser passer la radieuse princesse, avec son cortège de dames et de chambellans. Ils ne se rejoignirent que sur l'escalier et trouvèrent moyen d'échanger encore quelques mots dans le tumulte de la sortie et le fracas des équipages appelés de tontes parts. Puis-je, dit Sémonville, regarder comme certain ce que vous venez de me dire ?Vous le pouvez. — Parole d'ami ?Parole d'ami. Là-dessus, Sémonville monte en voiture et se fait conduire directement chez le duc de Bassano, trouve au travail malgré l'heure avancée. Ah ! bonsoir, lui dit le duc. Comment, il est près de minuit, et vous n'êtes pas encore couché ?Non, avant de me coucher, j'ai quelque chose à vous dire. — Je n'ai pas le temps. — Il le faut. — Quoi donc ? (A voir basse.) Est-ce une conspiration ?Mieux que cela : renvoyez vos secrétaires et écoutez quelque chose de plus important que votre travail. Et Sémonville rapporta mot pour mot le récit de sa conversation avec Floret. Le duc l'écrivit sous sa dictée et s'en fut le lendemain matin le porter à l'Empereur[6].

Il parait que ce récit fit quelque impression. Napoléon observa que la qualité de gendre créait un lien de parenté plus étroit que celle de beau-frère, et pouvait lui assurer un ascendant durable sur l'empereur François, très accessible aux sentiments de famille[7]. Néanmoins, il ne se pressa point de relever et d'utiliser les avances de l'Autriche. Il trouvait, d'ailleurs, que les actes de cette puissance répondaient mal à ses paroles. A Vienne, la population, depuis qu'elle n'était plus contenue par nos troupes, donnait libre cours à ses sentiments d'animosité contre la France. Certains de nos blessés, laissés en arrière, avaient été indignement outragés : un Français venait d'are maltraité en plein flaire. Les intrigues reprenaient leur cours, et déjà reparaissaient à Vienne de dangereux agitateurs, émigrés français ou russes, le comte Razoumovski entre autres, qui soufflaient la discorde et attisaient les haines[8]. Outré de ces faits, Napoléon s'en était plaint durement : il témoignait quelque froideur à Schwartzenberg ; il ne lui accordait aucune des distinctions prodiguées à Kourakine, et il laissa arriver le jour fixé pour la consécration officielle du divorce sans qu'un seul mot ont été dit, sur l'éventualité d'un mariage, à l'ambassadeur d'Autriche.

Le 15 décembre au soir, toute la famille des Napoléons, rois et reines, princes et princesses, et au premier rang la mère, Marie-Lætitia, prit séance aux Tuileries, dans le grand cabinet de l'Empereur, pour assister à la dissolution du mariage et sanctionner cette rupture par sa présence. On sait que Joséphine demanda elle-même la séparation, que la déclaration mise dans sa bouche était pleine de douleur et de noblesse, que jamais la raison d'État ne parla plus digne langage[9]. On sait aussi que l'Impératrice ne put aller jusqu'au bout de sa lecture, et que l'archichancelier dut achever pour elle, avant de dresser l'acte de divorce. Le lendemain 16, à onze heures du matin, le Sénat s'assemblait pour recevoir cet acte, appuyé solennellement par le prince Eugène, et à convertir en sénatus-consulte. Cette formalité accomplie, l'Empereur et l'Impératrice se sépareraient et quitteraient tous deux les Tuileries, Joséphine pour s'établir à la Malmaison, Napoléon pour aller à Trianon, où il comptait se mettre en retraite pendant quelques jours et passer les premiers instants de son court veuvage. Pour consommer son sacrifice, il n'attendait plus que la réception du vote sénatorial ; ses préparatifs de départ étaient faits et ses équipages commandés[10].

Les épreuves de la veille l'avaient profondément remué. Il passait par des heures d'abattement réel ; ses secrétaires le trouvaient alors incapable d'activité et de mouvement, abîmé dans sa douleur[11]. Puis, par un sursaut de volonté, sa pensée se ressaisissait, se remettait au travail, échappait aux tristesses du présent pour plonger dans l'avenir. Il songe qu'en ce moment ses premières propositions doivent être arrivées à Pétersbourg ; il désirerait savoir quel accueil leur est fait, si de ce côté tout est assuré et certain, si l'empereur Alexandre l'accepte pour frère. Cette réponse catégorique qu'il attend de la Russie — il n'en admet point d'autre, — il a bâte de la posséder, et son impatience s'irrite des obstacles que lui opposent le temps et l'espace.

Dans cette disposition, il voit se présenter à lui M. de Champagne ; le ministre des relations extérieures lui apporte mi courrier du duc de Vicence, arrivé dans la nuit. Cette expédition, faite le novembre, c'est-à-dire à une époque où Caulaincourt n'avait pas encore reçu ses instructions au sujet de la convention et du mariage, ne pouvait offrir qu'un intérêt secondaire. Néanmoins, ne saurait-on en tirer quelque induction sur l'esprit dans lequel nos communications seront accueillies ? À la veille de cette grande épreuve, rien de ce que dit ou pense l'empereur de Russie ne doit être tenu pour indifférent. Qu'apportent donc les nouvelles de Pétersbourg ? Des plaintes, toujours des plaintes. Malgré l'arrêt de proscription lancé contre la Pologne par la lettre ministérielle d'octobre, malgré les assurances déjà arrivées que l'Empereur se prête, en principe, à tout ce qui peut tranquilliser son allié, Alexandre se refuse de nouveau à la confiance. Pour réveiller ses craintes, il a suffi dune imprudence de rédaction dans un acte public. Le major général Berthier venait de conclure avec les autorités autrichiennes un accord pour le retrait des troupes françaises et alliées ; dans cette convention toute militaire, les Varsoviens avaient été désignés par mégarde, par habitude, sous le nom de Polonais. C'est ce mot malencontreux, connu à Pétersbourg, qui trouble, qui blesse, qui irrite ; en le prononçant, la France a une fois de plus évoqué un fantôme détesté. En même temps, Alexandre et son ministre soulèvent d'autres griefs : ils accusent notre consul dans les principautés danubiennes de n'être pas assez Russe et de méconnaître le fait accompli de l'annexion[12].

A ces reproches, Napoléon fit rédiger séance tenante par Champagny une réponse très douce, très conciliante, sous forme de lettre à Caulaincourt. A propos de la convention militaire, le ministre cherche moins à justifier qu'à excuser la France, tout en faisant observer que la Russie se montre bien chatouilleuse à propos d'une inadvertance fort explicable et qui peut se reproduire. N'y a-t-il pas beaucoup de susceptibilité, dit-il, à s'effaroucher de trouver les mots de Pologne et de Polonais dans une convention rédigée par des militaires, loin de l'Empereur et de son ministre des affaires étrangères ? Cependant, l'Empereur a témoigné son mécontentement au prince de Neuchâtel. Il ne faudra pas s'étonner si, dans leur ignorance ou cédant à l'empire de l'habitude, des employés militaires ou civils emploient encore ces deux mots que malheureusement on ne peut remplacer dans notre langue que par une longue périphrase[13]. Quant au consul de Bucharest, il sera mandé à Paris et admonesté ; si la Russie insiste, son poste sera supprimé. Voilà un ton, une condescendance tout à fait en désaccord avec les habitudes de la diplomatie impériale. Il est facile de voir que Napoléon se fait violence pour rester calme, patient, pour ne fournir aucun sujet de mécontentement, à l'heure où le sort de l'alliance va peut-être se décider : s'étant tracé vis-à-vis de la Russie une ligne de conduite nettement définie, il y persévère encore. Il n'en relève pas moins, dans ce qui lui vient de Pétersbourg, l'indice d'un esprit difficultueux, d'un préjugé persistant, qui l'indispose et lui fait concevoir quelques doutes sur la réussite de ses projets[14]. C'est sous cette impression qu'il quitte les Tuileries et part pour Trianon, après s'être arraché à Joséphine qui l'a surpris au passage et s'est attachée à lui dans une étreinte désespérée.

A Trianon, dans l'étroit palais, assombri par l'hiver, il retrouve sa tristesse, et la journée s'achève dans une inaction inquiète, dans un désœuvrement qu'il ne peut vaincre[15]. Le souvenir des dernières scènes avec Joséphine le poursuit et l'obsède ; il voudrait au moins la savoir plus forte, plus résignée, remise d'aplomb[16] ; à huit heures du soir, se rapprochant d'elle par une lettre affectueuse, il essaye de la consoler et de l'affermir ; il tache d'exercer à distance sur cette autre qui lui appartient l'ascendant de sa volonté souveraine et de lui imposer le calme en lui ordonnant d'être heureuse. Si tu m'es attachée, écrit-il, si tu m'aimes, tu dois te comporter avec force et te placer heureuse... Adieu, mon amie, dors bien, songe que je le veux[17]. Puis, après avoir congédié les personnes admises à son coucher, il ne garde auprès de lui que son fidèle Maret, avec lequel il a pris l'habitude de s'entretenir en se mettant au lit[18]. Revenant alors à la politique, aux affaires, c'est-à-dire à son futur mariage, se remémorant peut-être ce qu'il a appris dans le jour des dispositions peu rassurantes de la Russie, il donne enfin l'ordre de faire quelques ouvertures à l'ambassadeur d'Autriche, en procédant toutefois avec beaucoup de dextérité, de circonspection et de mystère : il importe de parler an prince de Schwartzenberg, mais surtout de l'inciter à parler ; d'un trait, Napoléon prescrit la mesure à observer et le but à atteindre : Il faut, dit-il à Maret, engager l'ambassadeur sans m'engager[19].

Ce mot dévoile et éclaire à fond sa pensée. Son but est de placer l'Autriche à sa disposition, afin de la trouver en cas de besoin. Ce qu'il veut de cette cour, c'est qu'elle lui tienne tout prêt, pour ainsi dire, un parti de rechange, et il s'agit de l'amener, par une préparation habile, à nous offrir ce que nous n'avons pas à lui demander, en présence des démarches ordonnées ailleurs et expressément maintenues[20]. Ce serait trop de dire que Napoléon, engageant double jeu, ait entendu négocier sur le même pied tant à Vienne qu'au Palais d'hiver, afin de prolonger et de réserver la liberté de son choix. En décembre 1809, ce choix est fait ; s'étant prononcé pour la Russie, l'Empereur ne s'occupe qu'éventuellement de l'Autriche, et il ne tient s'assurer de la seconde qu'à titre de précaution contre une réponse négative ou douteuse de la première. La différence qu'il met entre les deux négociations achève de se révéler par sa manière de les conduire. A Pétersbourg, c'est l'ambassadeur qui doit porter la parole, en termes clairs et pressants, en vertu d'instructions transmises par la voie hiérarchique, émanées de son ministre ; avec l'Autriche, les intermédiaires choisis seront des personnages sans grande conséquence, des femmes, certains familiers des deux cours, accrédités seulement par l'habitude et la confiance : la négociation se dispersera en des mains diverses, et c'est le ministre intime, M. de Bassano, qui en dirigera et en réunira les fils. En Russie, tout se passera officiellement, dans le cabinet du souverain ; avec les représentants de l'autre cour, on se contentera d'allusions réitérées, mais légères, placées en toute occasion et en tout lieu, dans les salons, en visite, au bal, au cours de ces conversations mondaines qui s'interrompent et se reprennent avec une égale facilité : un traite avec la Russie, on ne veut que causer avec l'Autriche.

 

II

Par un concours de circonstances fortuites, la négociation subsidiaire s'entama avant l'action principale. Suivant tous les calculs, l'instruction initiale au duc de Vicence devait parvenir à Pétersbourg dans la première semaine de décembre. Le courrier fut retardé par les neiges, par les rigueurs de l'hiver russe, par les formalités de la frontière, et les dépêches qu'il portait, froissées, maculées, à peine lisibles, n'arrivèrent que le 14 aux mains de l'ambassadeur. Depuis le 10, Alexandre avait quitté sa capitale ; il voyageait dans l'intérieur de son empire, ayant voulu revoir Moscou et passer quelques instants auprès de sa sœur Catherine, établie dans le gouvernement de Tver. Il ne rentrerait à Pétersbourg que dans les derniers jours du mois ; toutes paroles durent être renvoyées à l'extrême fin de décembre ou au commencement de janvier.

Avec l'Autriche, il était plus aisé de s'aboucher ; on avait affaire A son représentant en France ; on était tout porté, on négociait chez soi, et d'autre part l'ambassadeur pouvait, en douze A quinze jours, consulter son gouvernement et recevoir une réponse. Les pourparlers, dans la forme spécifiée à Trianon, furent donc activement menés. D'abord, il parut indispensable de faire croire A la cour de Vienne, contrairement à la réalité et aux apparences, que l'Empereur n'avait d'engagement avec personne : la notification du divorce aux gouvernements européens fut rédigée de manière à lui donner cette assurance. Le 17 décembre, dans une circulaire adressée à tous nos agents et destinée à leur fournir la version officielle des événements, le duc de Cadore écrivit que l'Empereur n'avait nullement déterminé ses préférences ; le cœur de Sa Majesté était bien trop affligé pour qu'elle eût pu s'occuper encore de pareils objets[21]. Ces phrases sentimentales avaient un but très pratique, qui était de laisser le champ ouvert à la concurrence : la circulaire fut communiquée à toutes les cours, sauf, bien entendu, à celle de Russie, et devait encourager l'Autriche a s'offrir. Les jours suivants, M. de Laborde, à raison des confidences qu'il avait reçues à Vienne, fut choisi par le duc de Bassano pour porter les premières paroles. Avant la fin de décembre, il vit Schwartzenberg, le trouva personnellement bien disposé, passionné même pour la chose, convaincu des inappréciables avantages qui en résulteraient pour l'Autriche, n'osant toutefois garantir les intentions de sa cour, sceptique sur le résultat, croyant au mariage russe. Laborde ranima ses espérances, caressa son rêve, et lui glissa qu'il serait bon qu'il se tint prêt à tout événement[22]. Des propos analogues furent transmis à l'ambassadeur par divers membres de la cour et du gouvernement. Enfin, à la suite d'incidents on la Russie eut sa part, Napoléon se décida à employer des personnes le touchant de plus près, les dernières que l'on se fin, attendu à voir intervenir.

Depuis le divorce, Joséphine n'avait point quitté la Malmaison, mais sa douleur n'était pas de celles qui cherchent le recueillement et la solitude. Entourée de ses enfants, elle recevait et appelait ses amis, et la récompense de la bonté gracieuse avec laquelle elle avait traversé les grandeurs était de retrouver dans l'adversité des dévouements nombreux et vrais. Très expansive, pariant et s'agitant beaucoup, elle ne faisait trêve à ses doléances que pour s'enquérir, avec une curiosité inquiète et bien féminine, de l'heureuse rivale qui lui succéderait : elle eût voulu être pour quelque chose dans la décision de l'Empereur, participer au grand événement qui se préparait à ses dépens et se persuader que son crédit survivait à son bonheur. Elle inclinait vers l'Autriche par intérêt, pour mieux assurer la sécurité d'Eugène en Italie, par goût, par traditions aristocratiques, par ce fonds d'opinions royalistes qui était resté en elle et qui lui faisait désirer que l'Empire se donnât un trait de ressemblance avec la monarchie légitime en l'imitant dans le choix de ses alliances. Eugène et Hortense s'associaient aux préférences de leur mère ; comme elle, ils voyaient volontiers les personnes qui partageaient leur opinion, qui touchaient de près ou de loin à l'Autriche ; ils avaient notamment conservé des relations avec la comtesse de Metternich, femme du ministre, demeurée à Paris malgré le départ de son mari et la guerre. Napoléon, qui de Trianon se maintenait en rapports fréquents avec Joséphine, la ménageant beaucoup, la réconfortant par d'affectueux rappels et de menues attentions, lui écrivant souvent et lui envoyant de sa chasse[23], savait qu'il pourrait trouver à la Malmaison un moyen de communiquer discrètement avec Vienne ; il ne s'était pas encore décidé à en faire usage.

Le Di décembre, il sort de sa retraite, rentre à Paris et retrouve avec tristesse les Tuileries, où tout lui parle de l'absente[24]. Il ne laissera pas l'année se renouveler sans la voir ; il lui a d'ailleurs promis sa visite pour ces jours où le cœur a besoin de s épancher, où l'isolement pèse, où revivent les souvenirs. Il donnera à Joséphine les instants que ne réclameront point les soins du gouvernement, les réceptions officielles, l'hommage à recevoir de ses troupes, qui viennent lui apporter le salut de nouvel an. Dans la matinée du 31, il écrit à l'Impératrice : J'ai aujourd'hui grande parade, mon amie ; je verrai toute ma vieille garde et plus de soixante trains d'artillerie... Je suis triste de ne pas le voir. Si la parade fuit avant trois heures, je viendrai. Sans cela, à demain[25]. En fait, il n'alla que le lendemain et, avant de partir, put recevoir une note émanée a nouveau de la chancellerie russe, datée des 28 novembre-11 décembre et toujours antérieure à la réception de nos envois[26].

Le cabinet de Pétersbourg revenait sur les termes employés dans la convention utilitaire avec l'Autriche ; sa note était une plainte officielle ; il tenait à laisser trace écrite de son déplaisir. Il signalait aussi avec amertume le langage de certains journaux allemands, des articles favorables à l'émancipation polonaise. Sans doute, il était à présumer qu'Alexandre n'eût point laissé expédier sa note, s'il eût su à temps l'acquiescement de l'Empereur à la signature d'un traité ; c'est toujours l'extrême lenteur des communications qui retarde la paix des esprits et l'accord des volontés. Napoléon le sait ; néanmoins, à lire la pièce qui lui est transmise par Kourakine, il éprouve un violent mouvement d'impatience. Ainsi, à Pétersbourg, on continue à se forger des périls imaginaires, alors que depuis deux mois l'ensemble de sa conduite tout au moins aurait dû rassurer, alors que ses paroles, ses discours, ses actes, ses professions intimes et publiques, tendent à bannir les soupçons. La défiance de la Russie est-elle donc incurable, qu'elle résiste à tant et de si clairs témoignages ? Après tout cela, s'écrie-t-il, je ne sais plus ce que l'on veut : je ne puis détruire des chimères et combattre des nuages. Et ce sont les propres paroles qu'il adresse au Tsar, dans une lettre expédiée le jour même. Je laisse Votre Majesté juge, ajoute-t-il, qui est le plus dans le langage de l'alliance ou de l'amitié, d'elle ou de moi. Commencer à se défier, c'est avoir déjà oublié Erfurt et Tilsit[27].

Cependant, s'il ne peut s'empêcher d'infliger cette leçon à un allié par trop ombrageux, il s'efforce aussitôt de l'atténuer par des expressions caressantes ; il laisse entendre que la chaleur même de son amitié explique la vivacité de son langage ; c'est son cœur, meurtri par d'injustes soupçons, qui s'ouvre et qui se plaint : Votre Majesté sera-t-elle assez bonne pour approuver cet épanchement ? Il glisse ensuite une allusion aux circonstances du moment : J'ai été un peu en retraite et vraiment affligé de ce que les intérêts de ma monarchie m'ont obligé à faire. Votre Majesté connaît tout mon attachement pour l'Impératrice. Et il termine par cette phrase : Votre Majesté veut-elle me permettre de m'en rapporter au duc de Vicence pour tout ce que j'ai à lui dire sur ma politique et ma vraie amitié ? Il ne lui exprimera jamais comme je le désire tons les sentiments que je lui porte. Ainsi, ses dernières paroles semblent bien ratifier d'avance et une fois de plus tout ce que Caulaincourt pourra faire et conclure.

Seulement, il juge le succès un peu plus incertain ; sans doute aussi qu'il y tient un peu moins, et son humeur contre la Russie va se traduire par un langage plus accentué à la Malmaison, c'est-à-dire dans un endroit où il sait que ses paroles seront répétées à l'Autriche. Le résultat de sa visite à Joséphine fut que madame de Metternich, appelée le jour d'après à la Malmaison, entendit des choses bien extraordinaires[28]. La reine Hortense et le prince Eugène lui avouèrent sans ambages qu'ils étaient Autrichiens dans l'âme. L'Impératrice, arrivant à son tour, renchérit sur ces assurances : elle déclara que le projet de mariage avec l'archiduchesse lui tenait particulièrement au cœur, qu'elle y consacrait tous ses soins et désespérait moins que jamais du succès. L'Empereur, qu'elle avait vu la veille, lui avait dit que son choix n'était point fixé[29], refrain éternel et obligé avec l'Autriche. Il avait même ajouté qu'il pourrait bien se décider en faveur de cette puissance, s'il avait la certitude d'être agréé par elle[30]. N'était-ce point un moyen pour lui d'obtenir, de provoquer une parole bien nette qu'il put à l'occasion rappeler et faire valoir ?

Dans les jours qui suivirent, Laborde recommença ses allées et venues entre le cabinet du duc de Bassano et l'ambassade d'Autriche. Le 12 janvier, M. de Champagny, pendant une audience donnée à Schwartzenberg, renouvela ses questions sur la princesse Louise ; pour prouver que l'Empereur restait libre de tout engagement, il reprit et commenta les termes de sa circulaire[31]. Enfin, s'il faut en croire une anecdote dont Metternich lui-même a garanti l'authenticité, Napoléon eût voulu personnellement reconnaître le terrain, en cachette et sous le masque. A Paris, la saison mondaine, interrompue par le divorce, avait repris son cours ; les Tuileries s'étaient rouvertes, et les grands dignitaires rivalisaient de faste dans de brillantes réceptions. En cet hiver de 1810, la mode était aux bals masqués[32]. Après une fête de ce genre, le bruit courut que, pendant la soirée, l'Empereur en domino aurait accosté madame de Metternich et, entre beaucoup de propos frivoles, lui aurait demandé si l'archiduchesse consentirait à devenir impératrice, si le père n'y mettrait point d'obstacle[33].

Avant même de recevoir cette invite, madame de Metternich avait transmis à 'Vienne les paroles de Joséphine, d'Eugène et d'Hortense ; Schwartzenberg avait fait de mène pour les insinuations de Laborde. D'ailleurs, la cour d'Autriche, toujours experte en fait de diplomatie matrimoniale, n'avait pas attendu de connaître ces incidents pour prévoir l'hypothèse d'une demande et se mettre en mesure d'y faire face : dès le début de janvier, Schwartzenberg avait reçu de Metternich des instructions l'invitant, pour le cas où l'empereur des Français songerait à l'archiduchesse Louise, loin de rejeter cette idée, à la suivre, à ne point se refuser aux ouvertures qui pourraient lui être faites[34]. Metternich posait bien certaines réserves, mais de pure forme et destinées simplement à sauvegarder la dignité de sa cour ; en réalité, un scrupule de conscience arrêtait seul l'empereur François : c'était la crainte que le lien religieux entre Napoléon et Joséphine n'eût point été dissous ; or, la décision rendue par l'officialité de Paris venait de lever cet obstacle. Dans ces conditions, Schwartzenberg se crut autorisé à se montrer plus affirmatif avec Laborde ; vers le 15 janvier, en se référant tant à ses paroles qu'a de nouvelles assurances venues directement de Vienne, Napoléon acquit la certitude à peu près absolue que l'Autriche n'attendait qu'un signal pour prononcer son adhésion et faire éclater ses sentiments.

Celte facilité charma l'Empereur ; elle dépassait ses prévisions et répondait vraisemblablement à ses désirs présents. Il est certain que les plaintes réitérées d'Alexandre, dont il s'était senti importuné et blessé, lui avaient rendu moins cher le parti auquel il s'était livré tout d'abord : nous avons vu renaître et croître en lui un mécontentement contre la Russie, fait de successives impatiences. De plus, dès qu'il avait conçu quelque espoir d'être agréé à Vieillie, ne s'était-il point laissé attirer de ce côté par une secrète et orgueilleuse prédilection ? Il était allé à la Russie très délibérément, par raison, un peu par nécessité, par désir de rester dans le système auquel il s'était attaché et d'imprimer à sa politique un caractère de stabilité, plutôt que par un entraînement bien vif vers une alliance qui l'avait plusieurs fois déçu ; à présent, l'Autriche n'était-elle point son inclination ? Napoléon n'était nullement insensible au prestige d'un grand nom. Par une complexité de sa nature, la violence avec laquelle il s'était naguère acharné sur l'Autriche était faite d'instincts révolutionnaires, d'emportement contre la maison qui personnifiait le mieux le droit ancien, mais aussi de quelque regret, de quelque dépit peut-être, de se voir repoussé et méconnu par elle : il avait juré sa perte à maintes reprises, parce qu'il désespérait de gagner son amitié et de s'en orner ; il l'avait furieusement haïe et parfois cherchée. Aujourd'hui, en se révélant possible, aisément et promptement réalisable, le mariage autrichien lui découvrait des horizons éblouissants et profonds. Cette union ajouterait à son front tant de fois couronné par la victoire la seule auréole qui lui manquât ; elle lui ferait des aïeux, vieillirait d'un seul coup sa jeune dynastie, l'égalerait aux Bourbons ; elle le relierait à tous ses prédécesseurs dans le gouvernement de la chrétienté, et même, par ces Césars germaniques qui avaient reçu jadis le dépôt de l'Empire, le rattacherait à l'antique Rome, source à ses veux de toute majesté et de toute splendeur. Puis, quelle tentation pour son génie réparateur que d'effacer les plus odieux souvenirs de la Révolution clans l'éclat même d'une dernière victoire sur les passions et les préjugés d'autrefois, de réaliser ainsi plus complètement la fusion entre les éléments divers dont il voulait composer sa France, de réconcilier le passé et le présent pour fonder l'avenir !

A mesure que ces pensées ambitieuses et grandioses commençaient d'assaillir son esprit, d'envahir son imagination, les inconvénients de l'autre parti, méconnus volontairement au début, se découvraient mieux à ses veux. Plus l'Autriche lui témoignait d'empressement, plus rage de la princesse russe et aussi la différence de culte, a laquelle il n'avait pas cru devoir s'arrêter tout d'abord, lui semblaient prêter matière à de sérieuses objections. Faut-il supposer toutefois que, dès le milieu de janvier, un revirement total s'était produit au fond de lui ? Regretta-t-il alors de s'être engagé précipitamment avec la Russie ? En vint-il à désirer que cette dernière lui fournit un motif ou un prétexte pour se reprendre ? Il est permis de le croire, sans qu'il soit possible de l'affirmer. Aussi bien, en admettant qu'il v ait eu alors interversion clans l'ordre des préférences intimes, elle ne changea rien aux résolutions prises. Durant toute cette période on Napoléon est sans nouvelles de la négociation entamée près du Tsar, où l'acceptation de ce prince peut arriver d'une heure à l'autre, il se considère comme lié par les pleins pouvoirs donnés à Caulaincourt et évite scrupuleusement toute avance compromettante à l'Autriche, tout recul vis-à-vis de la Russie.

Bien plus, a recueillir certaines paroles qui lui échappent, on est fondé à croire que le mariage russe lui apparait, malgré tout, comme l'expectative, sinon la plus souhaitable, au moins la plus probable. C'est la grande-duchesse qu'il considère encore comme son épouse désignée, sur laquelle il voudrait des détails, des renseignements ; c'est elle qu'il cherche à se figurer. Un soir, aux Tuileries, pendant une réception, il demande à Savary de faire appel à ses souvenirs de Pétersbourg et de lui montrer, parmi les dames présentes, celle qui ressemble le plus à Anne Pavlovna[35]. Ceci ne l'empêche point d'accueillir madame de Metternich, régulièrement invitée au château, avec beaucoup d'affabilité ; il l'invite à sa table de jeu, la complimente sur sa toilette, lui accorde ces menues faveurs qui font sensation dans une cour, car il est utile de tenir l'Autriche en haleine et de prolonger son zèle[36]. Cependant, tout se borne en public à des politesses sans conséquence ; en particulier, les insinuations continuent sans s'accentuer. Il semble même que les Beauharnais aient été mis en garde contre un excès de zèle et prévenus de ne point trop s'aventurer. La reine Hortense avait assigné à madame de Metternich un nouveau rendez-vous ; au jour dit, la Reine se trouva indisposée et la visiteuse ne fut point reçue. De son côté, Schwartzenberg ne voit venir aucun encouragement officiel ; malgré les fréquentes apparitions de Laborde, il persiste dans son incrédulité, considère toujours le mariage russe comme plus que vraisemblable[37]. Satisfait de l'allure prise par la négociation avec l'Autriche, Napoléon ne la laisse pas franchir certaines limites ; il la tient sur place et lui fait marquer le pas, pour ainsi dire, car un mot d'Alexandre peut, à tout moment, le mettre en devoir de la rompre.

En somme, la Russie tenait toujours son sort entre ses mains, et si, dans le délai imparti par l'Empereur, on eût appris qu'au retour de Moscou l'accord s'était formé entre le Tsar et notre ambassadeur, qu'il y avait eu échange d'engagements, rien n'autorise à penser que Napoléon eût retiré la parole donnée en son nom. Les jours cependant, les semaines s'écoulaient sans qu'aucun courrier fut signalé de Russie, et ce silence faisait avec la bonne grâce de l'Autriche un contraste déplaisant. Le terme fatal, la fin de janvier, approchait rapidement, et la réponse attendue ne s'annonçait pas encore, retardant sur des prévisions établies avec un soin méthodique[38]. Enfin, le 26 janvier au soir, cette réponse arrive, sous forme de deux longues dépêches adressées au ministre par l'ambassadeur, chiffrées de sa main et recommandées par mention spéciale comme n'étant point dans le cas d'être confiées aux bureaux. Devant ce texte énigmatique, M. de Champagny dut éprouver une vive et anxieuse émotion : sous ces lignes de chiffres qu'il passerait la nuit à interroger, tant que ses yeux ne lui refuseraient pas leur service[39], allait-il découvrir la réponse par oui ou par non qu'il fallait à l'Empereur, le mot décisif d'où sortirait le dénouement de la crise ?

 

III

Alexandre Ier était rentré dans sa capitale le 26 décembre ; Caulaincourt pouvait entamer enfin les deux négociations dont il était chargé, celle qui concernait la sentence à formuler contre la Pologne et celle qui devait assurer pour femme à Napoléon une fille de tsar. La première aboutit en peu de jours et fut menée presque exclusivement avec Roumiantsof, Alexandre se bornant de temps à autre à appuyer par un mot pressant, par une phrase à effet, les exigences de son chancelier. L'un et l'autre apprirent avec joie que Napoléon consentait à un traité et l'admettait aussi large, aussi compréhensif que possible. Ils ne perdirent pas un montent pour mettre à profit cette bonne volonté, et, puisque l'Empereur se déclarait prêt pour une fois à toutes les concessions, ils se binèrent de le prendre au mol. Un traité en huit articles fut présenté au duc de Vicence.

Le cabinet russe, estimant qu'en si importante matière mienne précaution n'était superflue, qu'il ne pouvait enlacer Napoléon de liens trop forts, trop serrés, avait donné à l'engagement accepté en principe une forme solennelle, rigoureuse et, il faut le dire, totalement inusitée dans les rapports entre souverains. Napoléon ne s'obligerait pas seulement à ne point rétablir la Pologne, à ne point favoriser cette restauration, à n'y contribuer en aucune manière, toutes choses qui dépendaient de sa volonté et qu'il pouvait légitimement promettre. Il décréterait souverainement, commandant aux circonstances comme à lui-même, s'attribuant tout pouvoir sur les événements, que la Pologne ne revivrait jamais. L'article Ier consistait en cette phrase, absolue et dogmatique : Le royaume de Pologne ne sera jamais rétabli. En dictant à Napoléon cet arrêt irrévocable, la Russie ne le contraignait pas seulement à se désintéresser de la Pologne, mais à prendre parti contre elle, à employer au besoin sa toute-puissance pour la retenir au tombeau. Non content de l'amener à reconnaitre le fait accompli, elle voulait qu'il le consacrât, qu'il le mit sous sa garantie, qu'il s'engageât à le défendre envers et contre tous : c'était l'associer rétrospectivement au triple partage, exiger qu'il prit à son compte le crime politique auquel la France, pour son honneur, était demeurée étrangère. Les autres articles s'inspiraient tous du principe posé en premier lien et en déduisaient. diverses applications ; ils décidaient que les dénominations de Pologne et de Polonais disparaitraient pour toujours de tout acte officiel ou public ;que les ordres de chevalerie de l'ancien royaume seraient à jamais abolis ;qu'aucun Polonais sujet de l'empereur de Russie ne pourrait titre admis au service du roi de Saxe, et réciproquement ;que le duché de Varsovie n'obtiendrait à l'avenir aucune extension territoriale à prendre sur l'une des parties du ci-devant royaume ; — qu'il ne serait plus reconnu de sujets mixtes entre la Russie et le duché. Enfin, l'empereur des Français obtiendrait l'accession du roi de Saxe aux articles convenus et en garantirait l'observation[40].

Le duc de Vicence, considérant que ses instructions ne posaient aucune limite à sa condescendance, passa outre à la formule extraordinaire qui donnait au traité toute sa couleur : il admit également les clauses accessoires. Le 4 janvier 1810, le traité fut signé par lui et Roumiantsof. Alexandre le ratifia aussitôt ; pour que l'acte devint définitif et parfait, il ne manquait plus que la ratification de notre Empereur, réservée suivant l'usage par le plénipotentiaire français. Alexandre exprima le désir que l'instrument signé fin expédié à Paris au plus vite, afin d'y recevoir cette suprême sanction ; il affectait d'ailleurs de voir qu'une formalité et n'élevait aucun doute sur son accomplissement ; dès à présent, il faisait éclater sa reconnaissance et témoignait d'une satisfaction sans mélange. Il se montrait profondément touché des termes dans lesquels avaient été conçus le discours au Corps législatif et l'exposé du ministre de l'intérieur ; il écrivit à l'Empereur pour le remercier, pour s'excuser de ses soupçons, de ses plaintes, pour rétracter sa dernière note : Maintenant, disait-il à Caulaincourt, je ne chercherai plus que les occasions de prouver à l'Empereur combien je lui suis attaché[41].

C'était à notre tour de le prendre au mot, et Caulaincourt s'était déjà mis en mesure d'expérimenter, à propos de l'autre affaire, cette amitié si solennellement affirmée. Durant l'absence du Tsar, l'ambassadeur s'était livré sur la grande duchesse Aune à une enquête délicate et minutieuse ; les informations qu'il obtint, puisées, parait-il, aux sources les plus intimes et les plus sûres, furent relativement satisfaisantes ; elles lui permirent de tracer, dans sa première dépêche à Champagny, un portrait assez complet de la jeune princesse, au physique et au moral :

Votre Excellence sait par l'almanach de la cour, disait-il, que mademoiselle la grande-duchesse Anne n'entre dans sa seizième année que demain 7 janvier : c'est exact. Elle est grande pour son tige et plus précoce qu'on ne l'est ordinairement ici ; car, au dire des gens qui vont à la cour de sa mère, elle est formée depuis cinq mois. Sa taille, sa poitrine, tout l'annonce aussi. Elle est grande pour son âge, elle a de beaux veux, une physionomie douce, un extérieur prévenant et agréable, et, sans être très belle, a un regard plein de bonté. Son caractère est calme, on la dit fort douce ; on vante plus sa bonté que son esprit. Elle diffère entièrement sous ce rapport de sa sœur, qui passait pour impérieuse et décidée. Comme toutes les grandes-duchesses, elle est bien élevée, instruite. Elle a déjà le maintien et l'aplomb d'une princesse nécessaires pour tenir sa cour. Une réflexion générale, c'est que le sang qui coule dans les veines de la famille impériale est beaucoup plus précoce que celui des Russes. A en juger par la chronique de la cour, la nature s'y développe de bonne heure. Les fils tiennent en général de leur mère, et les filles de l'empereur Paul. Quant à la constitution, les princesses ont l'air et le tempérament secs. Mademoiselle la grande-duchesse Anne fait exception à cette règle ; elle tient comme ses frères de sa mère ; tout annonce qu'elle en aura le port et les formes. On sait que l'Impératrice est encore maintenant, malgré ses cinquante ans, un moule à enfants[42].

Fort de ces renseignements et de ces antécédents, Caulaincourt s'était cru en droit de parler. L'occasion lui fut fournie très naturellement dans la soirée du 28 décembre. Il dînait au palais ; au sortir de table, l'Empereur l'emmena dans son cabinet, et là l'entretien prit comme d'habitude un tour intime et confidentiel. Le Tsar parla beaucoup de son voyage, dont il paraissait enchanté ; de Moscou, où l'accueil des habitants avait dépassé toutes ses espérances. Il s'était senti ému jusqu'aux larmes A l'aspect de ces populations qu'il avait vues s'agenouiller sur son passage, lui témoigner une filiale vénération, le recevoir moins en souverain qu'en père : De tels moments, disait-il, étaient la récompense la plus douce, la plus flatteuse de ses travaux[43]. Dans la haute société, il avait été fort aise de trouver les esprits beaucoup moins aigris et prévenus qu'il ne s'y attendait contre le système actuel et la France. Le génie de Napoléon éblouissait, fascinait tous les regards, imposait silence aux dissidents. Certains personnages faisaient pourtant quelques objections, et il allait les confier franchement à Caulaincourt : ceci était pour l'ami, non pour l'ambassadeur. On doute, dit-il alors, que l'empereur Napoléon tienne à cette alliance autant que moi. Puis, l'excès même de la grandeur française fait craindre pour sa durée : est-il sage, se demande-t-on, est-il prudent de se lier irrévocablement A un empire gigantesque et factice, qui survivra difficilement à son créateur et qui entraînera dans son écroulement quiconque se sera témérairement associé il sa fortune' ? S'il arrivait quelque chose à l'empereur Napoléon, que deviendrait la France elle-même ? Ses alliés seraient la plupart ses ennemis. Les plus dangereux seraient peut-être dans son sein. La Russie, peut-être son seul allié fidèle, la Russie, qui n'a rien à lui envier, qui s'est attachée non seulement à son système, mais à sa dynastie, la Russie, qui a renoncé pour cela à toute autre alliance, qui même pour cela est mal avec ses autres voisins, quel orage fondra sur elle ?... Vous pensez bien, ajoutait l'Empereur, que j'ai répondu à cela, et que ces raisonnements ne m'ébranlent pas[44]. Ces dernières paroles étaient-elles sincères ? Même, par un de ces artifices de langage auxquels il excellait, Alexandre n'avait-il point placé l'expression de ses propres pensées dans la bouche des seigneurs moscovites ? Au moins partageait-il quelques-unes de leurs appréhensions ; il en fit presque l'aveu à Caulaincourt : Ces gens-là, dit-il, ne sont pas si déraisonnables dans la manière dont ils jugent votre position intérieure et la mienne, s'il arrivait un malheur à l'Empereur[45].

Cette profession intime en disait assez long sur l'arrière-pensée d-Alexandre. Néanmoins, comme il venait en même temps de s'exprimer sur le divorce dans les termes les plus sympathiques, s'applaudissant que Napoléon songeât enfin à fonder pour l'avenir[46], Caulaincourt ne balança pas à lui adresser la communication dont il était chargé : il le fit avec la netteté, mais aussi la mesure prescrite par la seule instruction qu'il eût encore reçue, celle du 22 novembre ; il pria Sa Majesté de lui dire en toute confiance, après avoir pensé deux jours, si elle serait en disposition d'accorder sa sœur, au cas où une demande viendrait des Tuileries.

La réponse fut plus gracieuse que satisfaisante. Alexandre affirma sa bonne volonté, mais se retrancha immédiatement derrière l'obstacle déjà mis en avant : Pour moi, dit-il, cette idée me sourit ; même, je vous le dis franchement, dans mon opinion, ma sœur ne peut mieux faire. Mais vous vous rappelez ce que je vous ai dit à Erfurt. Un ukase, ainsi flue la dernière volonté de mon père, donne à ma mère la libre et entière disposition de l'établissement de ses filles. Ses idées ne sont pas toujours d'accord avec mes vœux ni avec la politique, pas même avec la raison. Si cela dépendait de moi, vous auriez ma parole avant de sortir de mon cabinet, car, je vous le dis, cette idée me sourit. J'y penserai et je vous donnerai, comme vous le désirez, une réponse, mais il faut me laisser dix jours au moins.

Le surlendemain de cette entrevue, Caulaincourt eut occasion de voir le chancelier Roumiantsof et fut désagréablement impressionné en constatant que ce ministre, malgré le secret recommandé au Tsar, avait été mis dans la confidence et se montrait contraire à nos vœux. Roumiantsof développa sur les alliances de famille entre souverains une théorie originale : Un mariage est pour moi, dit-il, une pierre dans le chemin : feuilletez l'histoire, vous verrez qu'ils ont toujours refroidi plus que resserré l'alliance. L'humeur contraire à la femme se témoigne à la famille. D'après lui, c'était pour le plus grand bien de l'harmonie entre la France et la Russie qu'il fallait éviter de la consacrer par un lien nouveau. Puis, il voulait savoir si l'idée venait seulement des ministres français ou de l'Empereur lui-même. En ce cas, il faudrait faire en sorte de le contenter ; dans la première hypothèse, mieux vaudrait ne pas même entamer l'affaire avec l'impératrice Marie, vu la situation délicate de son fils vis-à-vis d'elle, vu l'esprit de cette princesse, son indiscrétion, ses confidences sans fin. Caulaincourt évita de répondre à la question posée ; il se tint avec le chancelier sur une entière réserve, jugeant hors de propos de le laisser s'introduire dans un débat où Napoléon avait voulu que le Tsar fût seul et constamment en cause.

Notre ambassadeur revit Alexandre le 3 janvier. Bien que ce prince fût allé la veille à Gatchina, il n'avait osé parler encore à sa mère ; il témoignait d'un extrême embarras, craignait de se lancer dans un dédale de complications et d'ennuis. La question religieuse, disait-il, serait une mine de difficultés. Caulaincourt avant répliqué qu'elle n'en soulèverait aucune, que la princesse serait admise à conserver sa foi et à pratiquer son culte : Mais, dit Alexandre, aura-t-elle son prêtre, sa chapelle, prendrez-vous à ce sujet un engagement écrit ?Oui, répondit l'ambassadeur. Battu sur ce terrain, Alexandre se replia sur un autre : Pourquoi n'avoir pas demandé dans le temps la grande-duchesse Catherine ? Son esprit, son caractère, son âge, tout était plus sortable pour vous. Et il semblait qu'il voulût dégoûter l'Empereur de son projet, en insistant sur les petites tracasseries de famille qui pourraient en résulter. Il allait jusqu'à menacer Napoléon d'une belle-mère acariâtre, despotique, qui pourrait prétendre à régenter son intérieur. L'Impératrice marquait si fortement ses filles à l'empreinte de ses idées, de ses préjugés, de ses passions, qu'elles en perdaient pour leur vie toute personnalité propre ; son autorité sur elles se perpétuait, son action s'exerçait à distance : témoin les deux aînées, qui avaient continué après leur mariage à lui écrire tous les jours.

Ces considérations eurent d'autant moins de prise sur Caulaincourt qu'il venait de recevoir la seconde lettre de Champagny, celle de décembre, dictée tout entière par l'Empereur et l'incitant à conclure. Sous cet aiguillon, il ne craignit point de s'engager à fond ; ce n'était plus une question qu'il formulait, c'était une demande qu'il produisait par ordre : Je fus positif, écrivait-il, même pressant. Serré de très près, Alexandre promit enfin de parler à sa mère ; il ferait de son mieux, serait personnellement heureux de tenir à l'Empereur par un lien de plus ; quant aux conséquences possibles, il s'en dégageait à l'avance et mettait sa responsabilité a couvert : S'il en résulte quelques inconvénients, ce seront des embarras pour les diplomates ; vous aurez fait la chose, vous ne pourrez donc vous en plaindre.

Les premiers pourparlers entre le fils et la mère eurent lieu du 3 au 5 janvier. Alexandre transmit aussitôt leurs résultats Caulaincourt, qui en fit l'objet de sa seconde dépêche. Marie Feodorovna n'avait pas mal accueilli la proposition. On aurait pu craindre de sa part une résistance de parti pris, inaccessible à tous les raisonnements ; rien de semblable ne s'était produit. Elle discutait, ce qui était un grand point, mais demandait à réfléchir et à prendre conseil. Elle avait écrit à Tver pour connaître l'opinion de sa fille Catherine ; c'était le seul de ses enfants qui, en lui tenant tête, eût conquis sur son esprit quelque influence et dont elle aimât dans les cas graves à interroger le jugement. L'Empereur s'était dérobé derrière sa mère : celle-ci s'abritait derrière sa fille.

A la vérité, l'avis de la grande-duchesse Catherine, à le supposer favorable, pouvait être d'un grand poids. Cette princesse faisait autorité dans sa famille, à la cour et dans la société : impérieuse et altière, elle n'exerçait pas seulement sur ses entours l'ascendant d'une volonté ferme et d'une intelligence d'élite ; du fond de la province où elle vivait, son prestige rayonnait dans les deux capitales. A Tver, elle s'était fait sa part de royauté, gouvernait une réunion d'écrivains et de penseurs, et ce groupe était presque un parti ; c'était celui des hommes qui opposaient à la politique novatrice de Spéranski le retour aux traditions moscovites dans toute leur pureté, et qui désiraient que la Russie, au lieu de s'assimiler à l'Europe, restât elle-même. Plus Russe que sa famille[47], la grande-duchesse approuvait et favorisait ce mouvement d'idées. On lui avait même prêté d'ambitieuses visées : aux heures de trouille où le mécontentement de la noblesse faisait craindre pour le règne d'Alexandre une issue funeste, bien des regards s'étaient tournés vers la princesse à l'esprit viril que son nom semblait prédestiner au trône.

Sur l'alliance de famille avec Napoléon, quel pouvait être son avis ? A cet égard, Caulaincourt manquait de toute donnée précise ; il en était réduit à interroger d'anciens souvenirs et des bruits de salon. En 1807, lorsqu'il avait été question d'elle-même, lorsque la rumeur publique l'avait fiancée à Napoléon, Catherine avait paru accepter d'un cœur ferme cette lourde et incomparable fortune. Plus tard, après les événements de 1808, après l'Espagne, elle serait revenue à ses préjugés de race contre l'usurpateur des couronnes. Un mot d'elle avait couru, mot caractéristique et bien russe : J'aimerais mieux, eût-elle dit, être la femme d'un pope que souveraine d'un pays sous l'influence de la France[48]. Néanmoins, Alexandre ne paraissait pas mettre en doute que la réponse de Tver ne fût bonne, que sa sœur ne s'unit à lui pour entrainer leur mère. Seulement, il fallait laisser au courrier dépêché le temps de remettre son message et de rapporter la réponse. Conclusion : demande d'un nouveau délai de dix jours, s'ajoutant au premier ; on était loin des quarante-huit heures de réflexion accordées par l'Empereur.

Mais le Tsar ne pourrait-il promettre au moins, si l'Impératrice n'arrivait pas à prendre un parti en vingt jours, de se décider pour elle, d'exiger ou de prononcer lui-même un consentement ? Après s'être très naturellement attaché ménager et à raisonner sa mère, n'en viendrait-il pas, s'il le fallait, à parler en maître ? Sur ce point, recherché en cent façons par notre ambassadeur, il se récusait toujours. A l'entendre, le respect dû aux volontés de son père, à l'autorité de sa mère, l'empêchait d'user dans la circonstance des prérogatives de la souveraineté : sa toute-puissance expirait au seuil de Gatchina. Là, sa fonction se réduisait à négocier : il n'était que l'ambassadeur de l'ambassadeur[49]. Encore devait-il, en ce rôle, agir avec d'infinies précautions et ne rien brusquer, dans l'intérêt même de Napoléon et afin de sauvegarder une dignité qui lui était chère. En ami fidèle, il se gardait de découvrir l'Empereur ; il s'était tu sur les communications de Caulaincourt, se donnait les airs d'agir spontanément, parlait du mariage comme d'un projet que les circonstances actuelles peuvent amener. A employer ce système, il allait moins vite, il ne pouvait presser autant que s'il eût argué d'une demande déjà produite et exigeant une réponse ; mais il gagnait cet inestimable avantage que Napoléon ne paraissait en rien, que son nom auguste ne serait en aucun cas compromis. A supposer que les scrupules de l'Impératrice ne pussent être vaincus, cette princesse ignorerait toujours que Napoléon avait recherché la main de sa tille, et celui-ci n'aurait point a craindre de sa part de fâcheuses divulgations. Quant à Roumiantsof, c'était la discrétion même ; ce qui lui avait été dit mourrait avec lui. Je ménage, continuait Alexandre, la délicatesse de l'empereur Napoléon comme je voudrais qu'on ménagea la mienne en pareil cas. Si la chose ne peut s'arranger, il est certain que personne n'en parlera jamais. Était-ce donc qu'il prévoyait un refus, pour mettre tant de précautions à en atténuer les conséquences ? A cette réticence de mauvais augure succédait de sa part une remarque non moins obligeante et aussi peu rassurante ; la question se trouvant posée comme il l'avait fait, on demeurait de notre côté parfaitement libre de rétrograder, et Alexandre avait soin de laisser la porte ouverte à cette retraite : L'empereur Napoléon n'est encore engagé à rien, disait-il, pas même avec moi.

Dernier symptôme défavorable : Alexandre et Roumiantsof essayaient de faire passer, par toute sorte d'égards et de cajoleries, le peu d'empressement qu'ils montraient à l'endroit du mariage. Caulaincourt ne s'était vu en aucun temps plus fêté, plus recherché. Jamais, écrivait-il dans une lettre particulière, un ambassadeur n'a été traité comme je le suis... l'Empereur comme le chancelier me témoignent plus que de la confiance, même de l'amitié[50]. En politique, l'un et l'autre souhaitaient prompt et heureux succès à nos diverses entreprises, offraient d'y contribuer ; ils se montraient disposés à tout accorder, sauf ce qui leur était demandé, et ne nous ménageaient guère les satisfactions à côté. Le chancelier, faisant allusion à un bruit d'après lequel Napoléon, conformant son titre à la réalité de son pouvoir, se déclarerait enfin empereur d'Occident, laissait entendre que cette innovation ne saurait à Pétersbourg surprendre ni déplaire[51]. A l'Empereur qui réclamait la main d'une grande-duchesse, la Russie offrait la couronne de Charlemagne, comme s'il ne l'eût pas trois fois conquise à la pointe de l'épée.

Malgré cette tactique qui donnait à penser, Caulaincourt conservait bon espoir, à la date où il avait expédié son envoi : il désirait si passionnément le succès qu'il s'efforçait d'y croire. Suivant lui, l'empereur Alexandre voulait le mariage ; il le voulait pour complaire à Napoléon, pour resserrer l'alliance, et il agissait sincèrement en notre faveur. Cette bonne volonté souveraine nous étant acquise, il était à présumer que l'Impératrice, après avoir sauvé par une résistance assez longue son amour-propre et l'honneur de ses préjugés, finirait par se rendre. Dans ses deux lettres, il est vrai, l'ambassadeur s'était interdit d'émettre aucune prévision personnelle ; par un scrupule d'exactitude, il s'était borné à laisser parler les personnages en scène, l'Empereur, l'Impératrice mère, le chancelier. Pourtant, avant de fermer ses dépêches, il plaça sous le même pli, avec le traité soumis à la ratification de l'empereur des Français et plusieurs rapports relatifs aux affaires courantes, un billet en clair ; dans ces quelques lignes, faisant allusion en termes voilés à la négociation mystérieuse, il se portait jusqu'à un certain point caution d'Alexandre, se jugeait en mesure de garantir sa bonne foi et la véracité de ses dires. J'ai lieu de croire, écrivait-il, que le retard de certaines affaires ne tient qu'aux causes que l'on indique[52].

 

 

 



[1] Cité par M. TAINE, Les origines de la France contemporaine, le Régime moderne, I, 44.

[2] Champagny à Caulaincourt, 31 janvier 1810.

[3] Archives des affaires étrangères, Correspondance de Dresde, 1809-1810.

[4] HELFERT, Maria Louise, Erzherzogin von Œsterreich, Kaiserin der Franzosen, p. 73, d'après les dépêches de Schwartzenberg.

[5] Archives des affaires étrangères, Vienne, 383. Voyez sur cette pièce l'Appendice, I, lettre A.

[6] Toutes les conversations qui précèdent sont tirées des notes du duc DE BASSANO, publiées par le baron ERNOUF, Maret, duc de Bassano, 272.

[7] ERNOUF, Maret, duc de Bassano, 273.

[8] Correspondance, 16052. Cf. HELFERT, p. 77.

[9] Voyez WELSCHINGER, 38-48.

[10] Souvenirs du baron de Méneval, I, 341 et 342.

[11] MÉNEVAL, I, 341 et 342.

[12] Caulaincourt à Champagny, 26 novembre 1810.

[13] Champagny à Caulaincourt, 17 décembre 1810.

[14] Dès la veille, il avait eu une première déplaisante. En lisant les journaux anglais, il avait été surpris et très froissé d'y retrouver la lettre toute confidentielle qu'il avait écrite à Alexandre le 20 octobre 1810 au sujet de la Galicie et du Grand-duché. Pour rassurer l'opinion mondaine, Alexandre n'avait pas cru devoir faire mystère de cette lettre, et de fâcheuses divulgations s'en étaient suivies. Correspondance, 16034. Aucun de ces incidents, si minimes qu'ils paraissent, ne doit être négligé, si l'on veut saisir et suivre, à travers le dédale des petits faits, le travail graduel de détachement qui s'opéra dans l'esprit de l'Empereur.

[15] MÉNEVAL, I, 344.

[16] Correspondance, 1608.

[17] Correspondance, 16058.

[18] ERNOUF, 272.

[19] ERNOUF, 274.

[20] Le lendemain, Champagny écrivait à Caulaincourt le billet suivant : L'envoi que j'ai l'honneur de vous faire du Moniteur de ce jour (où figurait le sénatus-consulte), vous prouvera la nécessité d'une réponse prompte et décisive à mes deux lettres chiffrées des 22 novembre et 13 décembre. L'Empereur l'attend avec impatience. Cf. l'observation portée à l'Appendice, I, lettre au sujet des paroles prononcées par Cambacérès le 12 décembre devant l'officialité de Paris.

[21] Archives  des affaires étrangères.

[22] Pour le détail des négociations avec l'Autriche, voyez l'intéressant ouvrage de M. WELSCHINGER, qui a analysé les pièces conservées aux Archives nationales : Le divorce de Napoléon, 70-81, 149-157. Cf. HELFERT, 83 et suivantes. ERNOUF, 274.

[23] Correspondance, 16068.

[24] Correspondance, 16088.

[25] Correspondance, 16097.

[26] Archives des affaires étrangères, Russie, 149.

[27] Correspondance, 16099.

[28] Mémoires de Metternich, II, 314.

[29] Mémoires de Metternich, II, 315.

[30] Mémoires de Metternich, II, 315.

[31] HELFERT, 84, 85.

[32] Mémoires de Marbot, t. II, 308-309.

[33] Mémoires de Metternich, I, 95 Cf. les Souvenirs du baron de Barante, I, 312.

[34] METTERNICH, II, 313.

[35] Mémoires du duc de Rovigo, IV, 269.

[36] Mémoires de Metternich, II, 315-316.

[37] HELFERT, 86.

[38] L'Empereur avait ses almanachs, où il inscrivait, d'après le jour des envois en Russie et le calcul des distances, la date probable des retours. Archives nationales, AF. IV, 1698.

[39] Billet de Champagny à l'Empereur. Archives nationales, AF, IV, 1699.

[40] Voyez le texte du traité dans la Correspondance de Napoléon, XX. p. 171 et 172 en note.

[41] Rapport n° 69 de Caulaincourt, 6 janvier 1810.

[42] Toutes les citations qui suivent jusqu'à la fin du chapitre, sauf celles qui sont l'objet d'une référence spéciale, sont tirées des dépêches secrètes de Caulaincourt en date des 3 et 6 janvier 1810. Archives des affaires étrangères, Russie, supp. 17.

[43] Rapport n° 66 de Caulaincourt, 28 décembre 1807. Nouvelles et On dit de Pétersbourg, 5 janvier 1810 : L'Empereur, dit-on, est entré à Moscou avec le gouverneur et deux aides de camp seulement. On baisait ses pieds, ses genoux, même son cheval ; l'affluence et la presse autour de lui étaient telles qu'il était obligé de s'arrêter à chaque pas. Le peuple se prosternait devant lui et ne voulait plus se relever : Rangez-vous, disait-il. — Montez sur nous avec votre cheval, répondait-on. Vous êtes un saint, vous ne pouvez nous blesser, nous vous porterons comme notre père. On s'arrêtait, on s'embrassait dans les rues comme aux fêtes de Pâques, dit-on, quand on a su qu'il devait y venir. Archives nationales, AF, IV, 1698.

[44] Rapport n° 66 de Caulaincourt.

[45] Rapport n° 66 de Caulaincourt.

[46] Rapport n° 66 de Caulaincourt.

[47] Feuille de nouvelles annexées aux dépêches de Caulaincourt du 17 janvier 1809. Archives nationales, AF, IV, 1698.

[48] On dit et nouvelles de Pétersbourg, janvier 1809. Archives nationales, AF, IV, 1698.

[49] Caulaincourt à Champagny, 30 janvier 1810. Correspondance secrète.

[50] Caulaincourt à Talleyrand, 6 février 1810. Archives des affaires étrangères, Russie, 150.

[51] Caulaincourt à Champagny, janvier 1810, dans la correspondance ordinaire.

[52] Archives des affaires étrangères, Russie, supp. 17.