NAPOLÉON ET ALEXANDRE Ier

L'ALLIANCE RUSSE SOUS LE PREMIER EMPIRE

I. — DE TILSIT À ERFURT

 

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE. — AUTRICHE, PRUSSE OU RUSSIE.

 

 

Après une ébauche d'alliance pendant le règne de Paul Ier, Napoléon et la Russie se retrouvent ennemis. — Austerlitz. — A la fin de 1806, la guerre devient une lutte corps à corps. — Napoléon pénètre sur le terrain des intérêts propres de la Russie. — Ses vues sur l'Orient. — Son principal moyen pour diviser ses adversaires. — Le partage de l'empire ottoman. — Premières insinuations à Alexandre Ier. — Ce monarque résiste à la séduction. — Politique nouvelle de la Russie. — Le sultan Selim. — Napoléon essaye de ranimer en Orient le conflit entre l'Autriche, la Prusse et la Russie. — Projet célèbre de Talleyrand. — Était-il réalisable ? — Ecrasement de la Prusse. — Ouvertures successives à l'Autriche. — Proposition de paix et d'alliance à la Prusse. — Frédéric-Guillaume refuse de ratifier l'armistice. — Napoléon entre en pays slave. — La Pologne s'insurge. — La Turquie se ranime. — Napoléon offre à l'Autriche de s'entendre avec lui sur la Pologne et sur l'Orient. — L'Autriche lient entre ses mains le sort des relations futures entre la France et la Russie. — Mission de Pozzo di Borgo à Vienne. — Il est reçu par l'empereur François et par l'archiduc Charles. — Une audience point compromettante. — L'Autriche refuse de s'engager ; raisons de son attitude. — Les Russes dans les Principautés. — Premières opérations en Pologne ; Pultusk. — Napoléon redouble d'activité guerrière et diplomatique. — Diversion turque et persane. — Appel aux musulmans ; l'archichancelier Cambacérès et les orientalistes français. — Langage tenu à l'Europe ; mouvement d'opinion à créer. — Message au Sénat. — Politique conservatrice. — Napoléon et la diplomatie secrète de Louis XV. — Rapport de Talleyrand. — Contraste entre les déclarations officielles du ministre et ses confidences intimes. — Il ne croit pas à la possibilité de faire vivre la Turquie. — Napoléon autorise quelques insinuations à l'Autriche au sujet d'un partage éventuel de l'empire ottoman. — Sa conversation avec le baron de Vincent. — Réponse froide et évasive de Stadion. — Eylau — Situation critique. — Un mot de Jomini. — Napoléon veut vaincre par les négociations. — Dernière proposition à la Prusse. — Rêve d'alliance russe. — Caractère d'Alexandre. — Ses entours. — Instabilité Gouvernementale en Russie. — Le lien de l'intérêt matériel attache la Russie à l'Angleterre. — Phrase significative de Napoléon. — Ouvertures indirectes. — Le cinquante et unième bulletin de la Grande Armée. — Mise en demeure adressée à l'Autriche. — Langage correspondant de Pozzo à Vienne. — Au lieu d'une alliance, l'Autriche offre une médiation. — Plan de Stadion. — La crise orientale continue. — Échec des Anglais devant Constantinople. — Déception à Londres, à Saint-Pétersbourg et à Vienne. — Le futur congrès. — Talleyrand croit à la paix générale ; Napoléon comprend la nécessité de combattre encore et de vaincre. — La paix sur le tambour. — Hostilité irréconciliable de la coalition. — Convention de Bartenstein. — Friedland. — L'armée russe hors de combat. — Lettre de Bennigsen. — Commission donnée au grand-duc Constantin. — Réponse d'Alexandre. — Il se décide brusquement à la paix ; quels motifs le déterminent. — Sa rencontre avec la cour de Prusse. — Attrait subit qui le pousse vers Napoléon. — L'idée de l'alliance naît dans son esprit. — Appels indirects de l'Empereur. — Alexandre propose l'entrevue. — La veille de la rencontre aux deux quartiers généraux. — Intentions respectives de Napoléon et d'Alexandre.

 

I

Après avoir conquis l'Italie et l'Allemagne, vaincu trois fois l'Autriche, supprimé momentanément la Prusse, Napoléon se trouva en face de la Russie. Naguère, il avait ébauché avec elle un essai d'alliance, interrompu par la mort de Paul Ier ; il l'avait vaincue à Austerlitz, quand elle était descendue en Allemagne pour s'opposer à sa fortune : l'année suivante, après Iéna, obligé, pour se défendre, d'avancer encore, il pénétrait sur le terrain des intérêts propres et des ambitions traditionnelles de la Russie. Le 28 novembre 1806, il dépassait la Prusse conquise et entrait en terre slave : de Berlin, il transportait son quartier général à Posen, au seuil de la Pologne ; le 1er décembre, il adressait à Sélim III, sultan de Turquie, d'énergiques appels, lui montrant l'occasion propice pour s'insurger contre l'ennemi éternel de l'Islam, et rendre à l'empire des Ottomans sa splendeur première[1].

Cette double action marque dans la carrière de Napoléon une étape importante et son entrée de vive force dans un monde nouveau ; c'est l'instant où il rencontre, au delà de l'Allemagne soumise, l'Europe orientale, cette zone de peuples qui s'échelonnent des rives de la Baltique jusqu'à celles du Bosphore, et qui, divers par l'origine, la religion, la race, se sont trouvés réunis depuis un siècle par un péril commun, l'extension continue de la Russie. Cette grande ennemie les a tour à tour molestés et opprimés, pliés à son joug ou à son ascendant, et c'est en cet état que Napoléon les retrouve, mais sa venue leur rend l'espoir et pose à nouveau le problème de leur sort : comme si sa destinée était de rouvrir et de porter à leur crise aiguë toutes les querelles du passé, tandis qu'il déclare par le blocus continental une guerre sans merci eu despotisme maritime des Anglais, il remet en question sur la Vistule et le Danube l'œuvre de Pierre-le-Grand et de Catherine II.

Consul et empereur, Napoléon avait toujours observé avec attention les troubles du Nord, ceux de l'Orient, et le travail qui s'opérait dans ces régions. Depuis dix ans, écrivait-il en 1800, je suis les affaires de Pologne[2]. Mais la Pologne, partagée, occupée, comprimée, sans gouvernement ni représentation propres, ne lui avait offert jusqu'alors aucune prise; il ne pouvait prétendre à agir sur elle qu'après l'avoir matériellement touchée. Il n'en était point de même pour la Turquie et les paya d'alentour. Un instant, lors de l'expédition d'Egypte, Napoléon avait choisi l'Orient pour objectif ; dans les années qui suivirent, il y vit surtout un moyen de diversion et de transaction : c'était sur ce terrain qu'il espérait diviser nos ennemis, dissoudre la coalition en lui ravissant l'un de ses membres, s'attacher l'une des cours principales, quelle qu'elle fût, conquérir enfin cette grande alliance dont il avait besoin pour maîtriser le continent et vaincre l'Angleterre.

En Occident, la haine de la France révolutionnaire, la peur de la France conquérante réunissaient contre nous toutes les puissances et faisaient taire leurs rivalités ; pourquoi se disputer l'Italie ou l'Allemagne, quand l'ennemi commun détenait cette double proie ? En Orient, si la lutte des intérêts s'était ralentie, elle n'avait point cessé et pouvait redevenir aiguë. Depuis un demi-siècle, on avait vu s'accomplir dans ces contrées de graves événements ; on en prévoyait de décisifs : le partage de la Pologne avait paru préparer et annoncer le démembrement de la Turquie. Affaibli, diminué, miné dans ses fondements, cet empire s'effritait et se dissolvait : les provinces n'obéissaient plus à la capitale, les pachas se rendaient indépendants, les peuples se soulevaient, et la monarchie des sultans n'offrait plus qu'un assemblage de souverainetés hostiles et disparates, au-dessous desquelles s'agitait la mêlée confuse des nationalités chrétiennes. Pour déterminer la chute de cette ruine, il semblait que le moindre choc dût suffire, et c'était une croyance universellement répandue que la Turquie ne survivrait point à la tourmente qui s'abattait sur l'Europe. Parmi les États voisins, certains avaient longtemps désiré le partage, bien, qu'ils n'osassent le précipiter aujourd'hui, craignant d'introduire en Europe une nouvelle cause de trouble et de confusion ; plusieurs le redoutaient, mais se réservaient d'en profiter et d'empêcher surtout qu'il n'en résultât pour autrui un surcroît de grandeur et de fortune. Point de cabinet, point d'homme d'État qui n'eût ébauché un projet de morcellement et qui ne le tînt en réserve pour l'opposer au besoin à des prétentions rivales ; sans se heurter avec violence, les convoitises s'attendaient et se suspectaient. Dans le conflit latent qui existait à ce sujet entre Pétersbourg, Vienne, Berlin et Londres, Napoléon avait reconnu la fissure de la coalition, et sa politique s'appliquait à y pénétrer comme un coin pour la creuser et l'élargir. Cette idée de partager la Turquie, qui flotte dans l'air, il s'en saisit, et la formule, non pour la réaliser encore, mais pour en faire, selon les cas, un appât ou un épouvantail ; tour à tour, il l'approuve, la condamne, et, suivant la puissance avec laquelle il s'entretient et qu'il veut séduire, se montre pressé de détruire la Turquie ou jaloux de la conserver.

En 1801 et 1802, pendant son premier rapprochement avec la Russie, s'adressant au tsar Paul, à Alexandre Ier ensuite, il appelle leur attention sur l'état précaire et chancelant de la Turquie, annonce l'inévitable écroulement (le cet empire, et montre dans le partage de ses dépouilles le lien qui doit réunir la France et la Russie. Il s'efforce de réveiller, de stimuler à Pétersbourg des convoitises traditionnelles, et, pour parler aux Russes, s'approprie le langage de Catherine II : Parlez de Catherine II, dit-il à Duroc envoyé en mission à Saint-Pétersbourg après la mort de Paul Ier, comme d'une princesse qui avait prévu la chute de l'empire turc et qui avait senti qu'il n'y aurait de prospérité pour le commerce russe que lorsqu'il se ferait par le Midi[3]. Alexandre Ier reste sourd à ces paroles tentatrices et résiste à la séduction : ajournant toute conquête matérielle en Orient, tout partage, il préfère retourner à la lutte contre la France et veut que la Russie serve de réserve à la coalition. Napoléon reprend alors la question orientale sous une autre forme, et s'en fait une arme contre la Russie. Naguère ennemi et contempteur des Ottomans, il revient à eux, veut être leur ami et s'efforce de les mettre en garde contre une ambition qui, pour se voiler de modération, n'en demeure pas moins active et persévérante.

Si la Russie semblait avoir renoncé momentanément à la politique envahissante de Catherine, elle s'était bornée en fait à en modifier les moyens. On a dit que son système consiste à être tour à tour le plus grand ennemi ou le plus grand ami de la Turquie[4]. Paul Ier, puis Alexandre à ses débuts, avaient donné la préférence au second rôle sur le premier : pour dominer en Orient, ils avaient substitué à la forme brutale de la conquête la forme savante du protectorat. L'expédition d'Égypte, en soulevant les Turcs contre nous, les avait jetés dans les bras de la Russie ; celle-ci en avait profité pour les soumettre à une alliance despotique et faire la loi dans leur empire. Semant l'intrigue dans le Divan, achetant les ministres, traitant avec les pachas, agissant sur les peuples, elle avait insinué partout son autorité. L'influence que nous lui avons vu de nos jours exercer dans le Levant ne saurait se comparer à celle qu'elle s'y était acquise au début de ce siècle, alors qu'elle garantissait seule les privilèges des Principautés roumaines, régnait despotiquement sur la mer Noire, faisait passer ses vaisseaux devant le Sérail, communiquait librement par les Détroits avec la Méditerranée, tenait dans chaque île de l'Archipel un consul qui en était devenu le vice-roi, groupait autour de ses agents des milliers de protégés désignés sous le nom significatif de Gréco-Russes, occupait Corfou, travaillait la Morée et l'Albanie, cernait, opprimait, dominait de toutes parts la Turquie, et étendait sur cet empire son ombre sans cesse grandissante.

Cependant, alors que tout autour de lui s'assujettissait et se vendait à la Russie, alors que lui-même affectait la soumission, le sultan Sélim sentait son abaissement et brûlait de secouer un joug qui lui pesait : il tournait parfois un regard plein d'espoir vers la puissance française, qui montait à l'horizon. A partir de 1804, Napoléon s'appliqua à cultiver et à fortifier en lui ces tendances ; il faisait appel à sa dignité, à son énergie : As-tu cessé de régner ? lui écrivait-il, le 30 janvier 1805.... Réveille-toi, Sélim ; appelle au ministère tes amis ; chasse les traîtres, confie-toi à tes vrais amis... ou tu perdras ton pays, ta religion et ta famille[5]. Par ces paroles enflammées, par un travail continu de diplomatie, il espérait soustraire progressivement les Turcs à la tutelle du Nord, puis, à un moment donné, les déterminer à une action vigoureuse et les jeter sur le flanc de nos ennemis, reprenant à son profit la vieille politique de la monarchie.

Cette diversion, dont la décadence militaire des Ottomans diminuait la valeur, n'était pourtant que l'un des services qu'il attendait de l'Orient : ce qu'il voulait toujours de ces régions, c'était un moyen de rompre le concert de nos ennemis. Au dix-huitième siècle, l'Autriche et la Prusse s'étaient émues tour à tour des progrès de la Russie sur le Danube, et s'étaient efforcées d'y mettre obstacle ; depuis la Révolution, le péril français les avait distraites du péril moscovite, sans leur en dérober entièrement la vue. Serait-il impossible de réveiller leurs défiances, de les porter au comble, de rattacher à nous les puissances germaniques par le sentiment d'un danger commun ? Napoléon ne jugeait pas cette tâche irréalisable. De 1804 à 1807, la pensée de provoquer avec la Prusse, avec l'Autriche surtout, une entente sur l'Orient, inspire périodiquement son action diplomatique, elle en forme un des traits essentiels, le plus original peut-être et le plus habile. Talleyrand, qui tient le portefeuille des relations extérieures, s'en fait l'interprète ; elle se formule dans ses dépêches, dans ses circulaires, mais apparaît avec non moins de relief dans les lettres de l'Empereur, dans ses conversations, et rien ne permet d'établir que cette vue d'ingénieuse politique appartienne au ministre plus qu'au souverain[6]. En 1805, Napoléon fait écrire à l'empereur d'Autriche, déjà presque en guerre avec la France, qu'on ne peut plus se battre raisonnablement que pour l'empire de Constantinople[7], et montre en Orient le point de contact et de réunion entre l'intérêt des deux États. En toute circonstance, il s'attache à prouver que la politique du Tsar, en préparant l'asservissement graduel de la Turquie, nuit à l'Allemagne, au continent tout entier, autant qu'à la France, et tandis qu'Alexandre Ier se présente contre lui comme le champion de l'indépendance européenne, il se pose en défenseur de l'équilibre oriental contre les visées usurpatrices de la Russie.

A un moment, la pensée de Talleyrand dépasse celle de l'Empereur et s'en distingue. C'était en 1805, au lendemain d'Ulm, à la veille d'Austerlitz ; Napoléon marchait sur Vienne, et Talleyrand, établi à Strasbourg avec sa chancellerie, pensait, en diplomate prévoyant, aux conditions de la paix future et aux moyens de la rendre durable. Héritier des dernières et des plus saines traditions du cabinet de Versailles, il désirait sincèrement la réconciliation de la France et de l'Autriche, et voyait dans l'alliance de ces deux empires un gage de repos et de stabilité. Mais la France et l'Autriche ne cesseraient d'être rivales qu'en perdant tout point de contact, c'est-à-dire de conflit : il fallait donc que l'Autriche fût à jamais éloignée de nous, mais il importait que, bannie de l'Italie, rejetée de l'Allemagne, elle reçût une compensation pour tant de dommages, qu'elle sortit de la lutte apaisée, consolée, relevée à ses propres yeux, et l'Orient seul pouvait offrir à ses ambitions une carrière nouvelle. En la poussant dans ces régions, en l'amenant à s'y réfugier et à s'y refaire une fortune, la France gagnerait l'inestimable avantage de la mettre en état d'hostilité constante avec la Russie : regardant désormais vers l'Est, l'Autriche cesserait de nous faire face ; elle s'adosserait au contraire à nous pour s'opposer à la Russie et l'écarter du Danube.

Entrant dans le détail des moyens, Talleyrand proposait d'offrir à l'Autriche les Principautés roumaines, la Bessarabie, de la laisser atteindre les embouchures du Danube : son territoire, ainsi prolongé en ligne droite jusqu'à la mer Noire, interposé entre le reste des possessions ottomanes et la Russie, formerait barrière contre cette puissance. Au prix de quelques provinces, la Turquie retrouverait l'indépendance et la tranquillité ; quant à la Russie, endiguée du côté de l'Orient européen, elle reporterait ailleurs sa force d'expansion, opérerait un mouvement analogue à celui de l'Autriche, se rejetterait elle-même vers l'Est, s'enfoncerait de plus en plus dans les profondeurs de l'Asie et, tôt ou tard, s'y heurterait à l'Angleterre, maitresse des Indes. Ce double déplacement organiserait le conflit entre nos adversaires, préviendrait toute coalition nouvelle, assurerait la sécurité de nos conquêtes et résoudrait le problème de la paix la plus durable que la raison puisse permettre d'espérer.

Talleyrand développa ces vues dans un mémoire célèbre[8] et les condensa ensuite dans un projet de traité : ces deux pièces montrent en lui l'un des politiques qui eurent le plus d'avenir dans l'esprit, suivant l'expression qu'il appliquait au duc de Choiseul[9]. L'Empereur mérite-t-il toutefois le reproche de n'avoir point rédigé la paix de Presbourg conformément aux conseils de son ministre ? Il jugeait d'abord, — et l'avenir devait lui donner raison, — qu'une réconciliation avec Alexandre Ier n'était pas impossible, et ne voyait point avantage à créer entre la France et la Russie une opposition d'intérêts définitive. De plus, le projet de Talleyrand, qualifié par son auteur lui-même de roman politique[10], n'était point susceptible de réalisation immédiate, car l'Autriche ne sentait pas encore sa vocation orientale et se fût dérobée à nos propositions. Ulcérée de ses défaites, considérant la paix comme une trêve, ne renonçant que des lèvres à ses provinces d'Allemagne et d'Italie, elle eût redouté nos présents et refusé de s'exiler aux extrémités de l'Europe ; elle eût craint surtout de se compromettre avec la Russie, dont la bienveillance lui apparaissait, dans son malheur, comme sa sauvegarde et son refuge. Napoléon apprécia donc le projet de Talleyrand à sa juste valeur, lorsqu'il se borna à en approuver l'esprit, à y voir une indication pour l'avenir et la règle de ses rapports futurs avec l'Autriche tant que durerait la lutte avec la Russie. Il prévoyait, désirait l'évolution de l'empire des Habsbourg vers l'Est, mais jugeait impossible de la déterminer brusquement, ne l'admettait point d'ailleurs sans un agrandissement parallèle de la France, et, pour le moment, se bornait à la préparer. Aux conférences de Presbourg, il fit faire aux plénipotentiaires autrichiens quelques insinuations, éludées d'ailleurs, au sujet de conquêtes combinées à entreprendre en Orient, pour le cas où la monarchie ottomane se dissoudrait d'elle-même[11] : en attendant, il s'efforçait toujours d'intéresser le cabinet de Vienne aux événements du Danube, lui remontrait la nécessité d'appuyer la Turquie défaillante et de réserver ainsi le sort futur de l'Orient.

En 1806, à mesure que les dispositions de la Prusse deviennent plus équivoques et qu'une nouvelle campagne s'annonce, le langage de Napoléon à l'Autriche devient plus clair, plus pressant. En octobre, lorsqu'il a pris déjà le commandement de son armée, il s'efforce d'obtenir la neutralité de cette puissance en Allemagne en lui offrant de traiter avec elle sur la base de la conservation et de la garantie de l'empire ottomane[12]. Le comte de Stadion, principal ministre de l'empereur François, répond à notre ambassadeur par monosyllabes[13], et l'Autriche concentre sur notre flanc droit, en Bohème, une menaçante armée d'observation ; le coup de foudre d'Iéna déconcerte son mauvais vouloir. L'armée prussienne disparue, avant de marcher à la rencontre des Russes, Napoléon se retourne de nouveau vers l'Autriche, lui enjoint de disperser ses rassemblements de troupes, mais lui renouvelle en même temps ses propositions, la somme d'être notre ennemie ou notre alliée : Le moment est plus unique que jamais, écrit Talleyrand, car d'un jour à l'autre des négociations peuvent s'ouvrir avec la cour de Berlin et avoir des conséquences telles qu'il ne serait plus possible de revenir à un système d'alliance avec l'Autriche[14]. En effet, las des atermoiements de cette dernière, Napoléon se retourne vers la Prusse qu'il vient d'abattre, et tente de l'entraîner dans son orbite : il offre au roi Frédéric-Guillaume III de lui rendre ses États, si ce prince consent à garantir avec nous et contre la Russie l'indépendance et l'intégrité de la Porte Ottomane[15]. Mais déjà Frédéric-Guillaume s'est jeté dans les bras de la Russie et a appelé dans la Pologne prussienne les armées du Tsar ; il n'est plus libre, il refuse de ratifier l'armistice conclu en son nom. L'Empereur s'abandonne alors à son destin, continue d'avancer vers l'Est, réveille de redoutables questions, provoque lui-même la crise dont il n'a fait jusqu'à présent que surveiller les approches, et, touchant l'Europe orientale de son épée, la fait tressaillir et se lever.

A la vue de nos troupes, la Pologne s'insurge. Les Français sont accueillis en libérateurs ; Posen, Varsovie leur dressent des arcs de triomphe. La noblesse sort de ses châteaux, où elle porte, depuis onze ans, le deuil de la patrie, et s'offre a Napoléon ; les costumes d'autrefois, les emblèmes proscrits, les couleurs de la Pologne reparaissent : il semble que ce soit la résurrection d'un peuple.

En Turquie, l'explosion préparée se produit. En novembre 1806, le général Sébastiani a été envoyé comme ambassadeur à Constantinople, avec ordre d'amener la Porte à faire acte d'indépendance formel envers la Russie. Sam a déjà prévenu en partie nos désirs ; il a prescrit la fermeture des Détroits et restreint les privilèges des protégés : à l'arrivée de l'ambassadeur, il abolit virtuellement le protectorat moscovite sur les Principautés, en destituant leurs princes sans la permission du Tsar. Aussitôt l'ambassadeur de ce monarque, Italinski, proteste et tempête ; il somme la Porte d'avoir à rétablir les hospodars déposés et parle de départ immédiat. Terrifié par ces menaces, travaillé par les intrigues de l'Angleterre, le Divan cède d'abord et révoque le firman de déposition ; mais déjà la Russie, alléguant l'ensemble de ses griefs, jeté une armée en Moldavie et la pousse sur Bucarest : en se saisissant des Principautés, elle tient à s'assurer un gage contre la défection définitive de la Turquie, et voit dans cette occupation une mesure conservatoire de son influence. Cependant la Turquie, façonnée de longue date à la soumission, flotte entre plusieurs partis, lorsque l'annonce de nos victoires en Prusse et de notre marche triomphante finit son indécision. Les ministres, timides ou corrompus, hésitent encore ; mais le souverain et le peuple veulent des mesures de vigueur ; ils l'emportent. La guerre est déclarée : Sélim envoie au quartier général français un ambassadeur chargé de négocier un traité avec Napoléon ; le fanatisme religieux, la haine de l'étranger se réveillent, font passer à travers l'empire ottoman un souffle belliqueux et rapprochent pour un instant les membres épars de ce grand corps. Si les populations chrétiennes s'agitent, si les révoltés serbes s'enhardissent et attaquent Belgrade, les pachas à demi indépendants du Danube se confédèrent pour marcher contre les Russes ; ceux d'Albanie et de Bosnie, naguère nos ennemis, demandent secours à notre armée de Dalmatie ; des troupes régulières s'assemblent à Constantinople, l'Asie envoie ses réserves, et l'ébranlement de la Turquie répond à l'effervescence polonaise[16].

Napoléon envisagea d'abord ce double et tumultueux mouvement en général et en chef d'armée ; il y discerna des moyens de guerre et, sans s'exagérer leur importance, les appropria immédiatement à son usage. Il organisa les levées polonaises en corps réguliers ; de Varsovie, il fit rayonner l'insurrection dans les provinces. En Turquie, il se mit en correspondance réglée avec Sélim, lui offrit un traité, une armée, des officiers qui serviraient d'instructeurs aux troupes ottomanes. Non content de s'adresser au souverain, il voulut parler aux peuples, alla jusqu'à faire composer par des orientalistes français, sous la direction de l'archichancelier Cambacérès, une exhortation rédigée en turc et en arabe, et ordonna de la répandre à dix mille exemplaires dans les contrées du Levant. Cet appel aux musulmans était présenté sous forme de prosopopée ; c'était le muezzin que l'on faisait parler, le crieur dont la voix tombe d'heure en heure du haut des minarets pour rappeler Dieu aux hommes et leur ordonner la prière. On mettait dans sa bouche de pathétiques objurgations ; on lui faisait retracer les progrès de la Russie depuis un siècle, montrer en elle l'adversaire acharné de l'Islam, et convier tous les croyants à une lutte suprême[17]. Par de tels moyens, Napoléon espérait remuer de grandes masses d'hommes, les pousser sur le Danube et le Dniester, attirer de ce côté une partie des troupes russes, et affaiblir d'autant les armées qu'Alexandre nous opposerait sur la Vistule. Mais ces forces nationales qu'il évoquait, pourraient-elles plus tard se coordonner, acquérir consistance, se solidifier en États régulièrement constitués ? La Pologne pouvait-elle revivre, la Turquie pouvait-elle se régénérer ? S'animaient-elles seulement d'une vie factice, ou allaient-elles reprendre une place permanente dans le système européen et le modifier à notre avantage ? Problèmes d'incalculable portée, mystérieux et complexes, dont Napoléon hésitait encore aborder ou à préjuger la solution.

Il tient aux Polonais un langage bienveillant, mais énigmatique, déclare qu'il n'a jamais reconnu le partage, mais que la Pologne ne peut attendre son salut que de la Providence et d'elle-même, qu'elle doit d'abord prouver sa vitalité en s'armant tout entière et en se signalant dans la lutte. Par moments, de vastes et ingénieux projets fermentent dans son esprit. Dès novembre, à Berlin, lorsqu'il offrait sincèrement à Frédéric-Guillaume une suspension d'armes et une réconciliation, il avait pris ses mesures pour que les provinces polonaises appartenant à ce prince, restant inoccupées pendant la trêve, pussent reprendre leur autonomie ; il destinait ces pays, accrus peut-être de la Galicie, à former dans la monarchie prussienne restaurée l'élément prédominant ; la Prusse, écartée du Rhin, repoussée même au delà de l'Elbe, mais fortifiée sur la Vistule, deviendrait plus slave qu'allemande ; elle succéderait au rôle que notre ancienne politique réservait à la Pologne, et qui consistait à appuyer la Turquie au Nord, à former rempart contre la Russie ; c'eut été appliquer à la Prusse le système t recommandé par Talleyrand à l'égard de l'Autriche, la rejeter dans l'Est, la dépayser en quelque sorte, et lui faire changer de politique en même temps que d'intérêt. Frédéric-Guillaume repousse nos offres : Napoléon songe alors à se passer de lui, à le détrôner, à prononcer la déchéance de sa dynastie, et à placer sous un autre sceptre l'état germano-polonais qu'il est tenté de constituer. On a retrouvé le préambule du décret par lequel il eût annoncé au monde que la maison de Hohenzollern avait cessé de régner, et le motif principalement invoqué était l'indispensable nécessité qu'entre le Rhin et la Vistule il existât une puissance inséparablement unie d'intérêts avec l'empire ottoman, qui fasse constamment cause commune avec lui, et contribue, dans le Nord, à sa défense, pendant que la France ira l'embrasser au sein même des provinces ottomanes[18].

Toutefois, si Napoléon ne recule pas en principe devant les conséquences extrêmes de sa victoire, il ne les admet encore qu'à titre d'hypothèse. En fait, il sent qu'il n'est point libre et qu'un intérêt majeur enchaîne ses résolutions. L'Autriche reste postée sur notre droite, avec sa force encore imposante et ses troupes toutes fraîches ; sa situation la met en mesure, si les Russes nous résistent sur la Vistule et balancent la fortune, de nous prendre en flanc, si les Russes se replient et nous attirent dans l'intérieur de leur pays, de nous prendre à revers ; l'intervention d'un nouvel ennemi peut mettre en péril la Grande Armée triomphante, mais éloignée de sa base d'opérations, affaiblie par ses victoires mêmes, par le prodigieux élan qui l'a portée d'un bond aux rives de la Vistule. C'est donc l'Autriche qu'il importe toujours et plus que jamais de ménager, de se concilier. Or, la crise turco-polonaise offre cette singularité qu'elle est susceptible, sous certains rapports, de ramener l'Autriche à notre alliance, sous d'autres, de la rejeter vers nos adversaires. La renaissance d'une Pologne sur sa frontière peut lui inspirer de vives alarmes, peut-être des déterminations hostiles, en l'inquiétant pour ses possessions de Galicie ; d'autre part, la brusque irruption des lusses sur le Danube, leur entrée dans ces provinces roumaines d'où sa politique s'est fait un principe de les écarter, est de nature à réveiller son attention sur un péril trop négligé. Il importe donc de la rassurer au sujet de la Pologne, d'entretenir et d'aviver ses craintes en Orient. Napoléon ne perdra plus de vue ce double objet. A peine établi à Posen, il s'adresse à l'empereur François en termes conciliants ; s'il lui propose, par insinuations d'abord, puis en termes formels, d'abandonner la Galicie, il lui offre une ample compensation en Silésie, dans cette belle province que Marie-Thérèse a perdue et pleurée, et encore ne prétend-il pas imposer à l'Autriche cet échange ; il lui laisse l'entière liberté de son choix, affirme qu'il ne prendra aucun parti sans son assentiment, remet entre ses mains la destinée future de la Pologne[19]. En même temps, Talleyrand fait renouveler à Vienne l'offre de se concerter sur l'Orient[20], et c'est cet accord que le ministre des relations extérieures, avec une habileté convaincue, va s'efforcer pendant plusieurs mois de réaliser. Napoléon le laisse agir ; s'il ne partage point ses préférences de principe pour l'Autriche, s'il conserve contre cette cour d'invincibles défiances, s'il la tient au fond pour irréconciliable et n'attend guère de sa part une conversion sincère, il sent l'extrême besoin de conjurer actuellement son hostilité ; d'une nécessité militaire il consent à faire un système politique ; envisageant les événements de Varsovie et de Constantinople surtout dans leurs rapports avec Vienne, il subordonne toute décision sur la Pologne, sur la Turquie même, à la pensée de s'assurer dans le présent la neutralité de l'Autriche et, s'il est possible, son alliance dans l'avenir.

Dans le même moment, par une coïncidence remarquable, c'était vers l'Autriche que se portaient les regards de la Russie, son principal espoir et l'effort de sa politique. Comme Napoléon, Alexandre Ier sentait le besoin d'une grande alliance. Depuis Austerlitz, il ne croyait plus que ses forces, si imposantes qu'elles fussent, pussent suffire par elles-mêmes à contrebalancer la valeur de nos troupes, le génie et la fortune de leur chef. La Prusse, réduite à quelques lambeaux de territoire, ne lui offrait plus qu'un concours insignifiant : il ne s'agissait plus de combattre avec elle, mais pour elle, et quelque ardeur que mît Alexandre à la secourir et à la venger, il hésitait parfois à affronter seul une campagne plus redoutable que les précédentes, où l'enjeu ne serait plus seulement le prestige des armes russes, mais l'intégrité de l'empire et la conservation des conquêtes antérieures. Il sentait vaguement que si l'Autriche, seule en état de lui fournir une assistance efficace, ne saisissait point cette occasion de s'unir à lui et de compléter l'accord européen, il serait forcé, tôt ou tard, de traiter avec nous, d'écouter Napoléon, toujours disposé à négocier séparément avec ses adversaires, d'isoler l'intérêt russe de l'intérêt général et de sauvegarder le premier aux dépens du second. Répugnant encore à ce parti, il espérait se l'épargner en triomphant diplomatiquement à Vienne, et toute la force persuasive de son gouvernement s'employait à obtenir la coopération de l'Autriche. Il semblait donc que l'Autriche, par sa situation et la position respective des belligérants, tint entre ses mains le sort de l'Europe, celui des rapports futurs entre la France et la Russie ; en se portant vers l'une ou vers l'autre, elle prolongerait la lutte, en changerait le caractère et les chances ; son abstention pourrait amener les deux adversaires, hésitant devant un combat corps à corps, à se rapprocher et à s'entendre.

 

II

Tandis que Napoléon faisait porter à l'Autriche par un nouvel ambassadeur, le général Andréossy, ses explications et ses offres, Alexandre Ier comptait tout d'abord, pour déterminer son ancienne alliée, sur son représentant auprès d'elle, le comte Razoumovski, diplomate remuant, bien posé à Vienne, agissant sur la cour par la société. Néanmoins, la gravité des circonstances parut comporter une mission extraordinaire ; on la confia à un personnage dont le nom se trouve mêlé à toutes les luttes de ce temps. Le Corse Pozzo di Borgo était allé chercher jusqu'à Pétersbourg un terrain où combattre librement contre son glorieux compatriote, devenu pour lui un ennemi abhorré ; il s'était fait Russe, et c'était en cette qualité qu'il menait aujourd'hui sa guerre contre Napoléon, et devait rendre plus tard à la France accablée de précieux services. L'empereur Alexandre, remarquant en lui des talents hors de pair, le jugea propre à activer la plus importante négociation que la Russie eût alors à conduire.

Adroit, audacieux, profondément dévoué à la cause qu'il avait embrassée, Pozzo savait mettre l'intrigue au service des principes[21] : dans sa manière de traiter, il apportait une verdeur de langage et de pensée qui pourrait avoir raison de la débilité autrichienne ; il excellait à déchirer les voiles, à préciser les situations, à montrer le parti qu'elles commandaient ; il ne ménageait point les vérités hardies à ceux mêmes qu'il voulait convaincre et servir ; il fut souvent le confident de la coalition, il n'en fut jamais le courtisan. Avec cela, fort connu à Vienne, possédant à fond le personnel mondain et diplomatique de cette résidence, il pourrait mettre à profit ses relations cosmopolites pour concerter ses attaques avec celles des autres représentants, et paraissait mieux que quiconque à même de porter la parole au nom de l'Europe tout entière. Enfin, la haine qui stimulait son ardeur naturelle, son âpre envie de réussir, semblaient le meilleur garant de son succès : on ne crut mieux faire que de confier à l'adversaire personnel de Napoléon le soin de déterminer le mouvement tournant qui devait surprendre l'Empereur abordé de front par les Russes et mettre en péril sa fortune aventurée.

Pozzo arriva à Vienne le 13 décembre, peu de jours après Andréossy. Il apportait une longue missive du général baron de Budberg, ministre des affaires étrangères de Russie, pour le comte Stadion ; il apportait deux lettres de l'empereur Alexandre, l'une pour l'empereur François, l'autre pour l'archiduc Charles, dont l'avis passait pour décisif en tout ce qui concernait l'emploi des armées autrichiennes. La première était conçue en termes pressants et solennels : Le sort du monde, disait le Tsar à François Ier, dépendra en grande partie de la résolution que Votre Majesté va prendre[22]. La seconde était un appel flatteur à l'intervention de l'archiduc, auquel on voulait ouvrir une nouvelle carrière de gloire. Pozzo tint d'abord avec Stadion plusieurs conférences ; après divers ajournements, le ministre finit par dire, en enveloppant son refus de chaleureuses protestations, que l'Autriche, vu l'insuffisance de ses armements, la restauration imparfaite de ses forces, l'épuisement de ses finances, ne pouvait entrer immédiatement en lice : il donnait des espérances et déclinait tout engagement. Mécontent de cette réponse, Pozzo alla droit à l'empereur et à l'archiduc Charles, fut reçu par eux, et il a fait de cette double audience un récit caractéristique :

M. le comte de Razoumovski et moi, écrivait-il à sa cour, nous fûmes présentés à l'Empereur. Je remis la lettre de Sa Majesté Impériale. L'Empereur me dit : J'en sais le contenu, j'ai examiné l'affaire et lu tout ce que vous avez remis par écrit à Stadion. Il vous aura dit que je ne peux pas me battre à présent. Je répondis que j'avais reçu cette communication avec peine, parce que je savais que S. M. l'Empereur, mon maitre, pensait que le moment actuel offrait des avantages qui seront perdus peut-être à jamais, et que le temps que Sa Majesté voulait attendre, au lieu de diminuer les difficultés, les augmenterait de beaucoup. L'Empereur ajouta : J'ai la plus grande confiance dans les sentiments de votre maître ; je serai toujours son ami de cœur, il pense si noblement ! Je répliquai que cette juste et heureuse réciprocité ne pouvait que contribuer au bien des deux empires, mais que pour la rendre utile, elle avait besoin d'efforts et de coopération réelle. Sa Majesté dit alors : Il me faut gagner du temps ; je manque de beaucoup de choses ; l'empereur Alexandre sait lui-même dans quel état il m'a laissé il y a un an. Si je me déclare, il faut m'attendre à avoir toutes les forces de Bonaparte sur les bras ; je risque d'être écrasé, et alors ce serait pire pour votre maitre, il ne resterait plus personne sur qui compter. J'observai que cette hypothèse était impossible et que, pour s'en convaincre, on n'avait qu'il jeter les yeux sur la situation des armées. Alors, Sa Majesté répéta : Je me suis souvent battu avec les alliés sans succès ; dans ce cas, il ne faut compter que sur soi. Alors, le comte Razoumovski prit la parole et dit : Si Sa Majesté ne croyait pas que Bonaparte l'obligerait à se déclarer et l'attaquerait en cas de résistance. L'Empereur répliqua : Dans ce cas, il faut se battre, en va sans dire, et en désespéré ; on se bat mieux dans ces extrémités. Je dis que j'espérais que Sa Majesté n'aurait jamais attendu les extrémités ; ce à quoi il répondit : Je suis franc, je me battrai le plus tard possible.

Ma conversation avec l'archiduc Charles a été plus monotone. Il dit, en se prosternant jusqu'à terre, que c'était une grande bonté à Sa Majesté Impériale d'avoir bien voulu se rappeler de lui, que Sa Majesté étant soldat lui-même, il prenait intérêt à tous ceux de sa profession. Je répondis qu'en effet, c'était en général une grande recommandation auprès de Sa Majesté Impériale que ce titre honorable, mais que Son Altesse en avait encore de plus particulières à l'estime de mon maitre par la réputation brillante et méritée qu'il s'était acquise par ses victoires ;alors encore une grande révérence. Je voudrais que Sa Majesté fût persuadée que c'est à l'armée seule qu'est dû tout ce mérite. Je dis que Sa Majesté ne pouvait pas ignorer combien les talents et le courage de Son Altesse avaient influé sur la bonne conduite de l'armée, et que c'étaient ces grands motifs et cette conviction qui avaient déterminé Sa Majesté Impériale à comprendre au nombre des grands moyens pour le salut des deux empires et de l'Europe en général, l'emploi de ces mêmes talents. Alors, comme je voulais entrer en matière, il me coupa la parole en me disant : Je ne peux pas... Sa Majesté l'Empereur... Ce n'est pas à moi, d'un ton tout embarrassé. Pour surprendre son hésitation, je lui demandai s'il avait des nouvelles de l'armée. Il me dit qu'on lui mandait qu'il y avait eu une canonnade sur les bords du Narew, sans conséquence ; que, jusqu'alors, le corps de Davoust seul avait passé la Vistule. Je profitai de la tournure de la conversation pour lui dire que notre armée fixait dans ce moment toute l'attention et occupait les forces de Bonaparte, et que Son Altesse Royale, à la tête des Autrichiens, pouvait... Alors, nouvelle interruption et embarras, en répétant que l'Empereur son frère est le seul à qui l'on pouvait parler de choses pareilles, et tout de suite ; avec de profondes révérences, il nous congédia, M. de Razoumovski et moi[23].

Ainsi l'archiduc se dérobait ; l'empereur avouait son impuissance, en la déplorant ; le ministre paraissait bien disposé, mais se disait retenu et paralysé par des difficultés d'ordre intérieur ; et Pozzo, éconduit de toutes parts, constatait avec douleur l'impossibilité présente d'entraîner l'Autriche. Devait-il en induire que cette puissance se disposait à écouter nos offres, à trahir définitivement la cause commune ? Il ne lui faisait point l'injure d'un tel soupçon, et, s'il eût pénétré le mystère des propos qui s'échangeaient dans le cabinet de M. de Stadion entre ce ministre et Andréossy, il n'eût été que mieux rassuré. L'Autriche avait accueilli nos propositions comme celles de la Russie, avec une politesse évasive ; elle se refusait à l'échange de la Galicie contre la Silésie, sans écarter pour l'avenir l'idée d'une alliance ; donnant de bonnes paroles à Pozzo, elle en faisait porter d'autres à Napoléon par un envoyé spécial, le baron de Vincent, dirigé sur Varsovie, où l'Empereur venait d'établir son quartier général ; en un mot, elle entendait ne s'engager nulle part et ne se brouiller avec personne[24].

Pozzo découvrit très vite, sous les excuses données, les causes réelles et diverses de cette attitude. Dans plusieurs entretiens, Stadion s'était exprimé avec aigreur sur la rupture de la Russie avec la Porte et l'occupation des Principautés : il jugeait cette mesure inopportune, car elle détournait de la lutte contre la France une partie des forces moscovites, dangereuse, car elle risquait d'entraîner la Russie malgré elle dans un système de conquêtes désavantageuses à l'Autriche. Vainement, en vertu d'instructions formelles, Pozzo avait-il affirmé le désintéressement de la Russie, sou désir d'exercer seulement une pression sur la Porte, par la saisie temporaire des Principautés, et de l'arracher à l'influence française ; il était certain que le réveil de la question orientale donnait quelque ombrage à l'Autriche et, la plaçant entre deux dangers, entre deux craintes qui la tiraient en sens contraire, contribuait à la tenir immobile. Là n'était point cependant le motif principal qui occasionnait son inertie calculée. En fait, l'Autriche restait de cœur avec nos ennemis : elle désirait leur triomphe, se fût unie à eux si elle l'eût osé, mais ne croyait pas à leur succès, redoutait Napoléon et appréhendait que le conquérant, au moindre signe prématuré d'hostilité, ne se retourna contre elle et n'acheva sa ruine avant de se porter contre d'autres adversaires. L'archiduc ne voulait point compromettre, dans une lutte avec Napoléon, une réputation militaire lentement acquise et soigneusement préservée ; l'empereur tremblait pour sa couronne et l'existence de son État, l'aristocratie viennoise pour sa sécurité et ses richesses, et la peur, — Pozzo n'hésitait pas à trancher le mot, — imposait silence à la haine : Il est certain, écrivait-il, que les dispositions secrètes du cabinet sont contre la France ; c'est un mouvement de la nature impossible à contenir, produit par les pertes et les torts qu'ils ont soufferts ; mais la peur glace leurs cœurs ; on se garde d'avouer ce motif honteux, mais il est la cause dominante de leur conduite[25]. Pour déterminer l'Autriche à agir, il n'est qu'un moyen : résister victorieusement à nos armes et montrer que Napoléon peut être mis en échec. Les mesures que Sa Majesté Impériale prend de son côté, ajoutait Pozzo en s'adressant au Tsar, sont l'étoile polaire de cette cour et le thermomètre de son courage[26]. Les yeux fixés sur le théâtre des opérations, sur les plaines de Pologne, sur ce réseau de rivières, Vistule, Bug, Narew, entre lesquelles les armées évoluent et se cherchent, l'Autriche attend que des rencontres suffisamment décisives soient venues lui donner une indication, justifier ses craintes ou réveiller ses espérances, et sa conduite finale dépendra des événements de la guerre.

Les Russes avaient pris position en arrière de Varsovie. En décembre, Napoléon marcha contre eux, força leur ligne de défense, les battit à Czarnowo, à Golymin, à Soldau ; de savantes manœuvres devaient lui livrer leur armée tout entière, mais la nature du terrain, la saison ennemie, la pluie, la neige, le dégel contrariaient l'élan de nos troupes ; nos soldats avançaient difficilement sur un sol détrempé ; l'obscurité de ces tristes régions leur dérobait la vue des mouvements de l'adversaire ; Lannes le rencontra en forces à Pultusk : et ne put que le contenir. Combattant à l'aveugle, Napoléon préféra suspendre ses opérations et mit son armée en quartiers d'hiver. Les Russes de Bennigsen, abandonnant une partie de leur artillerie, purent néanmoins se replier sans avoir été sérieusement entamés, et c'était pour eux presque un triomphe que d'avoir, dans cette rencontre avec Napoléon, échappé à un désastre[27].

Devant une résistance qui, s'annonçant opiniâtre, pouvait donner du cœur à l'Autriche et grossir le nombre de nos adversaires. Napoléon sentit la nécessité de développer tous ses moyens de guerre et de négociation. Il voulut, sur toutes les frontières de la Russie, prolonger une ligne continue d'attaques, de diversions, enserrer le grand empire dans un cercle d'ennemis. Tandis qu'il lui opposait sur la Vistule un front de défense redoutable et préparait pour le printemps une reprise d'offensive, tandis qu'il organisait plus fortement les corps polonais, il essayait de propager la révolte dans les provinces rosses de Volhynie et de Podolie, d'y former des bandes d'insurges. Cette Pologne d'avant-garde servirait de lien entre la Grande Armée et les forces ottomanes, qui devaient s'avancer sur le Dniester et remonter an Nord en débouchant de la vallée du Danube, après avoir chassé les Russes des Principautés. Pour activer ce mouvement, Napoléon lance de tontes parts. des agents, des observateurs, établit à Widdin un centre de correspondance, cherche à nouer des rapports directs avec les pachas de Bulgarie, avec les Serbes ; il songe à transporter son armée de Dalmatie sur le bas Danube ; trente-cinq mille Français appuieront les bandes musulmanes dans leur marche en avant, donneront un noyau solide à cette masse flottante. Sur la mer Noire, Napoléon veut que les Turcs aient une flotte destinée à insulter les côtes de la Russie, à assaillir la Crimée, et montre à Sébastopol l'un des points vulnérables du colosse. L'Asie même doit coopérer à nos mouvements. Des émissaires pratiquent les pachas d'Arménie et les poussent contre la région du Caucase ; une alliance avec la Perse se prépare : il faut que cette monarchie, diminuée Graduellement par la Russie, enlacée d'intrigues, se ressaisisse, reprenne conscience d'elle-même, comprenne que l'heure est propice pour réparer ses pertes : dans la lutte qui s'organise contre l'empire du Nord, la Turquie doit former notre droite, et la Perse notre extrême droite[28].

Mais la question d'Orient reste surtout pour Napoléon une arme politique : plus que jamais, il veut s'en servir pour retourner contre la Russie la coalition dont cette puissance le menace. Il met l'Orient à l'ordre du jour de l'Europe. S'adressant à tous les États, directement aux neutres, à l'Autriche surtout, indirectement aux ennemis, tels que la Prusse et l'Angleterre même, il leur montre qu'il combat pour tous en empêchant la Russie de se frayer à travers la Turquie un chemin vers la Méditerranée. Pour intéresser, pour convaincre, il varie ses moyens, met en activité tous les ressorts qui peuvent agir sur les gouvernements et émouvoir l'opinion ; il fait parler la diplomatie et la presse, inspire des dépêches, des circulaires, rédige des proclamations, suscite des ouvrages et commande des articles. En même temps qu'il multiplie les formes de sa pensée, il les condense dans un document solennel. Le 17 février 1808, le Sénat est convoqué à Paris et reçoit un message adressé de Varsovie, appuyé d'un rapport du ministre des relations extérieures ; le message est à la fois un discours à la France et un manifeste à l'Europe : Qui pourrait, dit-il, calculer la durée des guerres, le nombre de campagnes qu'il faudrait faire un jour pour réparer les malheurs qui résulteraient de la perte de l'empire de Constantinople, si l'amour d'un liche repos et les délices de la grande ville l'emportaient sur les conseils d'une sage prévoyance ? Nous laisserions à nos neveux un long héritage de guerres et de malheurs. La tiare grecque relevée et triomphante depuis la Baltique jusqu'à la Méditerranée, on verrait, de nos jours, nos provinces attaquées par une nuée de fanatiques et de barbares. Et si, dans cette lutte trop tardive, l'Europe civilisée venait à périr, notre coupable indifférence exciterait justement les plaintes de la postérité et serait un titre d'opprobre dans l'histoire[29].

Avec une éloquence plus sobre, le rapport du ministre reprend et développe la même pensée : Napoléon y tient indirectement un langage qui étonne de sa part. Il reprend et s'approprie, pour les besoins de sa cause, cette politique conservatrice que la monarchie à son déclin a eu l'honneur de formuler, et que son action défaillante n'a su faire prévaloir. Impérieusement, à la face du monde, il répète ce que les agents secrets de Louis XV murmuraient à l'oreille des puissances, ce que leur disaient Louis XVI et Vergennes ; le conquérant affirme aujourd'hui la nécessité de maintenir les droits acquis, les souverainetés existantes, de refréner les ambitions perturbatrices. Avec une haute raison, il montre dans le partage de la Pologne, dans cette première atteinte au droit public, le principe et la source des maux qui affligent l'Europe ; la destruction de la Turquie, si on la laisse s'accomplir, préparera de plus grandes calamités ; c'est pour sauver cet empire, dont la préservation est d'intérêt général, pour le rétablir dans son intégrité et son indépendance, que la France verse aujourd'hui son sang, combat à trois cents lieues de ses frontières : l'Europe doit reconnaître en elle le champion de sa cause et le défenseur de ses droits[30].

Le rapport est signé de Talleyrand, et nul doute que le ministre n'en ait inspiré le fond et la forme. Mais cc politique avisé, cet incomparable rédacteur était-il aussi convaincu qu'habile et disert ? Croyait-il vraiment à la possibilité de maintenir la Turquie, en faisant de cet empire rétabli dans la plénitude de ses droits l'un des fondements de l'Europe reconstruite ? A consulter les témoignages épars de sa pensée, on surprend une discordance singulière entre ses communications officielles et ses confidences privées.

Le 31 janvier 1807, Talleyrand écrivait à M. d'Hauterive, chef de division au ministère, demeuré à Paris, pour lui annoncer l'envoi du message et du rapport ; il lui fournissait en même temps des indications sur la manière de créer un mouvement d'opinion en faveur du principe proclamé par l'Empereur, de donner aux esprits l'impulsion nécessaire. Je vous envoie, disait-il, un article que vous ferez insérer dans l'un des petits journaux ; vous en ferez faire un autre dans le même sens pour un autre journal. Il faut que ces articles soient insérés le lendemain du jour de la séance du Sénat, et le jour même où les pièces officielles seront insérées dans le Moniteur. Vous comprenez qu'il ne faut pas différer l'insertion d'un seul jour, afin de ne pas laisser prendre aux journaux une fausse direction. — Le principal objet, avait écrit Talleyrand dans un passage précédent, est de faire sentir que l'Empereur, en faisant tout pour rétablir la paix, a dit ne vouloir qu'une paix solide et durable... C'est pour l'affermir que l'Empereur veut l'existence de l'empire ottoman ; il la veut pour empêcher que d'autres ne s'enrichissent de ses dépouilles et ne deviennent formidables à leurs voisins ; il la veut pour conserver à notre commerce du Midi la première, la seule source de sa prospérité. La conservation de l'empire ottoman devient, sous ce rapport, le premier de nos intérêts, et Sa Majesté ne peut point l'abandonner[31].

Ce langage porte l'accent de la sincérité. Seulement, six jours auparavant, le 25, Talleyrand avait écrit confidemment à d'Hauterive, qui lui rendait compte des mesures prises pour assurer la composition de l'appel destiné à réchauffer le zèle des musulmans : Vous faites très bien de suivre les directions officielles que vous a données M. l'archichancelier. Du reste, je ne crois pas que quelque chose puisse relever la puissance ottomane : elle est, à mon sens, perdue, et la question est de savoir quelle portion en aura la France dans le partage qui nécessairement doit être fait de nos jours. Je trouve tout bien, parce que je trouve toute diversion excellente, quelque peu importante qu'elle soit. Aveuglément ou non, ni l'Autriche, ni la Prusse, ni la Turquie même, ni l'Angleterre, ne veulent plus de l'empire ottoman.

Ainsi, le ministre ne jugeait point qu'une pensée conservatrice à l'égard de la Turquie pût jamais servir de lien entre l'Empereur et l'une des puissances. Fidèle a son projet de 1805, il estimait que ce résultat ne pourrait être obtenu qu'au prix de vastes remaniements en Orient, combinés de manière à créer entre la France et l'une de ses rivales une solidarité d'intérêts actifs et à associer leurs ambitions. Et cette fois encore, malgré ses déclarations officielles, Napoléon ne répugnait pas aux vues de son ministre. Il avait choisi la défense de la Turquie comme terrain d'entente offert à d'autres puissances : c'était à ses yeux un moyen plus qu'au but ; mais, s'il lui était prouvé qu'il rallierait l'une des cours européennes en lui proposant de partager plutôt que de maintenir la Turquie, il  ne se refuserait pas à entrer dans cette voie, et cette pensée, rencontrée dans son esprit dès le début de sa carrière, retrouvée au début de 1807, rendra moins surprenante son évolution de Tilsit. Actuellement, dans l'état de ses relations avec la Russie, c'est à l'Autriche seule qu'il peut s'adresser, et la nécessité de la gagner devient plus pressante à mesure que croissent les difficultés de notre situation militaire. Jusqu'à présent, l'Autriche demeurée sourde à nos sollicitations, à nos raisonnements, mais peut-être l'appât d'un profit matériel, d'un agrandissement territorial, la laissera-t-il la moins insensible. Napoléon permet donc à Talleyrand de tenter les convoitises orientales de cette puissance, et tandis qu'il semble ériger en politique l'intégrité de la Turquie, il autorise quelques insinuations à l'Autriche au sujet d'un partage éventuel de cet empire.

M. de Vincent, envoyé par l'Autriche en porte-parole et en observateur, était arrivé à Varsovie le 8 janvier 1807, muni d'une lettre amicale et vague de son maitre pour l'empereur Napoléon. Celui-ci l'accueillit bien, traita avec lui les différentes questions en cause, annonça l'intention de rendre au roi de Prusse tous ses États, sauf les provinces situées sur la rive Gauche de l'Elbe, de ne point restaurer la Pologne, puis, allant au point principal, parla de l'Orient, du péril que faisaient courir de ce côté à l'empire des Habsbourg l'ambition, le progrès constant de la Russie, le pouvoir d'attraction qu'elle exerçait sur ses coreligionnaires du Levant : Un jour viendra, dit-il, où je paraitrai devant Vienne avec cent mille hommes pour défendre cette capitale contre l'invasion des Russes[32]. En attendant, il ne s'opposait point à ce que l'Autriche prit ses sûretés et sauvegardât ses intérêts. Le baron de Vincent ayant prononcé le nom de la Serbie et de Belgrade, la réponse fut que l'on verrait sans déplaisir l'Autriche mettre la main sur cette position d'importance majeure ; seulement, comme il y avait lieu de ménager encore les susceptibilités ottomanes, il ne fallait point qu'elle s'établit officiellement à Belgrade ; elle pourrait s'y glisser subrepticement, déguisant ses soldats en Turcs ou en Serbes[33]. A la lettre de l'empereur François, Napoléon répondit par une autre où il était dit que la puissance russe, non fondée sur une armée plus ou moins forte, mais sur une influence bien prononcée à l'égard des Grecs, devait un jour resserrer les liens entre l'Autriche et la France[34].

Dans un long entretien, Talleyrand se chargea de fournir à M. de Vincent le commentaire de cette phrase. Sans cesser d'exprimer des vœux pour la conservation de la Turquie, il ne se refusa pas à prévoir le cas où l'on reconnaîtrait d'un commun accord que cet empire ne pouvait plus subsister ; il indiqua la nécessité de se concerter dès à présent en vue de cette hypothèse, fit allusion aux prétentions que l'Autriche aurait è faire valoir, laissa entendre que la France serait disposée à les favoriser, et que les paroles de l'Empereur devaient être considérées à cet égard comme une avance : J'ai fait remarquer au baron de Vincent, écrivait-il à Andréossy, que la lettre de l'empereur Napoléon entrait plus en matière sur les questions qui intéressent les deux gouvernements que celle de l'empereur d'Autriche. J'appuie sur cette observation, parce que le premier mot de M. de Vincent était que nous ne faisions point un pas et que nous restions en arrière. La lecture raisonnée de la lettre de l'empereur Napoléon a prouvé le contraire. Elle nous a même placés, pour rendre trivialement mon idée, dans la position de deux personnes qui se rencontrent et dont l'une fait à peine un signe de tète, que l'autre a déjà marché deux pas eu avant. La dernière a mieux témoigné sans doute l'intention et le désir d'un rapprochement.

Après l'analyse de ces deux lettres, faite avec soin et avec détail dans ce sens, j'ai dit à M. de Vincent quo la politique de l'Empereur n'était point comme celle du cabinet de Vienne, qu'elle ne variait point suivant les circonstances; qu'elle était uniforme et constante; que la cour de Vienne, au contraire, après avoir parlé de l'alliance, en avait aussitôt éloigné l'époque en faisant naître des obstacles chimériques de la guerre qui s'est élevée entre la France et la Prusse. J'ai ajouté que l'Empereur persévérait dans les dispositions qu'il avait manifestées pour un rapprochement plus intime entre les deux empires. J'ai même été plus loin. J'ai fait remarquer à M. le baron de Vincent que les affaires de l'empire ottoman étaient le véritable nœud des difficultés actuelles, et je lui ai proposé de faire un traité éventuel dont l'objet serait, s'il y a moyen de conserver l'empire des Turcs, d'en garantir l'indépendance et l'intégrité, ou de s'entendre et de se concerter sur ce qu'il y aurait à faire de ses débris pour l'intérêt des deux puissances, si, dans une supposition contraire, il était prouvé qu'il n'est pas plus possible de le conserver dans son entier que de réparer une glace qui se serait brisée en un grand nombre de morceaux[35].

Cette grave communication trouva la cour de Vienne sous l'impression des derniers événements militaires. Les bulletins russes en avaient singulièrement altéré l'aspect ; d'affaires honorables, ils avaient fait des succès marqués ; à propos de Pultusk, ils avaient entonné un chant de triomphe, et ces nouvelles inattendues avaient provoqué à Vienne une explosion de joie et d'ardeur belliqueuse. Le parti de la guerre relevait la tète, montrait Napoléon presque vaincu et l'occasion favorable pour déterminer sa défaite ; l'empereur paraissait moins timide, l'archiduc Charles semblait ébranlé ; Pozzo reprenait espoir et renouvelait ses efforts. Néanmoins, le cabinet ne cédait pas encore à l'entraînement, il éprouvait seulement avec plus de force la tentation de s'y livrer. Avec cette tendance, il devait plus que jamais éviter de se lier avec nous, sans cesser de nous ménager, et réserver ses déterminations. Il répondit à nos offres nouvelles en style de chancellerie. M. de Stadion rédigea une note ambiguë, embarrassée, où la pensée se voilait sous de savantes réticences. On y démêlait pourtant une théorie à laquelle l'Autriche semblait s'être fixée sur les affaires d'Orient ; en principe, elle ne voulait, ne demandait rien, et n'interviendrait que dans le cas où l'agrandissement d'autres puissances l'obligerait à réclamer des compensations et à rétablir l'équilibre ; en attendant, elle refusait de produire aucune prétention et se dérobait à toute initiative[36].

La note autrichienne ne trouva plus Napoléon à Varsovie ; elle dut âtre dirigée vers les bivouacs de la basse Vistule et n'allait parvenir à sa destination qu'après un grand événement de guerre. Une subite irruption des Russes vers Thorn et Dantzig avait obligé l'Empereur à lever ses quartiers d'hiver et à se remettre en campagne. En attaquant sa gauche, les ennemis lui tendaient le flanc ; il espérait les surprendre en flagrant délit d'imprudence et leur infliger un désastre. Un incident fortuit, l'interception d'un ordre, déjoua ce projet ; prévenu à temps, Bennigsen suspendit son mouvement et se déroba en combattant ; vivement poursuivi, il fit front en avant de Kœnigsberg et risqua une bataille : ce fut Eylau. Dans cette journée où la guerre atteignit des horreurs qui n'ont point été dépassées, où les deux armées s'entre-tuèrent sans se voir, sous un ciel obscur, voilé de neige, et ne réussirent qu'à accomplir en vain des miracles d'héroïsme, Napoléon sentit plus sérieusement chanceler sa fortune. Après douze heures de carnage, l'ennemi avait à peine reculé, et il fallut que l'aube du lendemain éclairât ses positions désertes pour montrer que le champ de bataille nous restait. Habituée à d'autres victoires, la Grande Armée comptait silencieusement ses blessures ; malgré sa confiance en elle-même et dans son chef, une angoisse douloureuse l'oppressait. Autour de Napoléon, ou ne se méprenait point sur le péril Grandissant ; on calculait l'effet que produirait en Europe cette journée meurtrière et indécise, et l'on sentait l'heure propice aux traitreuses surprises ; sans connaître le secret des négociations entamées avec l'Autriche, chacun se demandait si cette ennemie mal réconciliée n'allait point surgir sur nos derrières. Pendant la bataille, le Suisse Jomini, qui servait dans nos rangs, mais suivait les péripéties du combat avec son flegme d'étranger, s'était écrié, en voyant nos colonnes fondre sous le canon et les Russes rester immobiles, sans profiter de leurs avantages : Ah ! si j'étais Bennigsen ! Le soir, au bivouac, il tint un autre langage : Ah ! dit-il, si j'étais l'archiduc Charles !

Dans cette situation critique, Napoléon fut à hauteur de lui-même, actif, ingénieux, plein de force d'âme et de ressources. Après avoir fait mine de poursuivre l'ennemi et, par quelques marches .en avant, affirmé plutôt que prouvé sa victoire, il se replia sur la Vistule et se cantonna dans une position défensive, tandis qu'il pressait le siège de Dantzig, pour assurer ses derrières, et appelait à lui ses réserves. En même temps, il se mit à traiter de toutes parts : ne se sentant pas actuellement le plus fort, il voulut être le plus adroit, demanda aux négociations cette victoire que la guerre lui faisait attendre, et se livrant à de multiples tentatives pour désunir ses adversaires déclarés ou secrets, se rattacher l'un d'eux, briser le faisceau de forces qui le tenait en échec, espéra par ce moyen ressaisir et maitriser la fortune.

Attendant toujours la réponse de l'Autriche, ne la voyant point venir, il se tourna d'abord vers la Prusse. Six jours après la bataille, il détachait l'un de ses aides de camp, le général Bertrand, auprès de Frédéric-Guillaume, et offrait de nouveau à ce monarque de lui restituer ses États, pourvu qu'il consentit à se séparer de la Russie et à épouser notre système. Cette démarche, disaient les instructions du général Bertrand, doit être aigre et douce[37] ; il faut laisser prévoir à la maison de Brandebourg la possibilité d'une déchéance, d'un anéantissement total, mais montrer qu'un moyen de salut lui reste et consiste à se jeter dans nos bras, à contracter avec nous une éternelle amitié[38] ; sous peine de périr, la Prusse doit accepter notre alliance. Sans s'émouvoir des menaces, sans céder à la persuasion, Frédéric-Guillaume refusa d'abandonner ses alliés, et l'officier chargé de porter cette réponse remarqua que l'Empereur, en la lisant, dissimulait mal son impatience et ses préoccupations. Il avait la contenance, écrivait-il, d'un homme dont l'esprit était inquiété furieusement, ce qui, en le rendant distrait, lui faisait répéter souvent la même chose[39].

Quelques jours après, Napoléon recevait enfin la note autrichienne. Il la lut, la relut, cherchant en vain à pénétrer la pensée qui se cachait sous un texte rendu obscur à dessein : Je n'y comprends rien, écrivait-il avec impatience à Talleyrand, et je ne sais quelle réponse vous faire... Que veut la maison d'Autriche ? Je ne sais pas. Veut-elle traiter pour garantir l'intégrité de la Turquie ? J'y consens. Veut-elle un traité par lequel, la Russie venant à acquérir un accroissement de puissance ou de territoire en Turquie, les deux puissances feraient cause commune pour obtenir l'équivalent ? Cela peut encore se faire. Enfin, la maison d'Autriche veut-elle gagner quelque chose dans tout ceci ? se mettre du côté de celui qui lui donnera de l'avantage ? Que veut-elle ? Je ne sais rien de tout cela[40]. Il ordonnait néanmoins à Talleyrand de continuer les pourparlers avec M. de Vincent, de chercher ii le pénétrer, de renchérir au besoin sur nos offres précédentes, d'aller jusqu'à proposer une part de la Silésie sans conditions ; le premier but à atteindre est de prolonger l'immobilité de l'Autriche.

Toutefois, si l'Empereur ne désespère pas d'entretenir les hésitations de cette cour, il ne conserve plus guère d'illusions, en admettant qu'il s'eu fût jamais fait, sur la possibilité de contracter avec elle des liens sérieux et durables, de prendre à Vienne son point d'appui. Où le trouvera-t-il donc ? Devant ce problème de plus en plus menaçant, une idée nouvelle entre en lui et se glisse dans son esprit. L'armée russe vient de lui tuer plusieurs milliers de soldats, quelques-uns de ses meilleurs officiers ; il souffre de ces pertes cruelles, pleure vraiment sur ces braves, sur le sacrifice de tant de vies précieuses ; mais ressent-il contre l'auteur de ces maux un âpre désir de vengeance et un redoublement d'ardeur guerrière ? Point, il l'admire. Il apprécie maintenant la Russie à sa juste valeur et songe que cette puissance pourrait mieux qu'aucune autre, s'il parvenait à se la rallier, l'aider à tenir l'Europe sons ses lois et fi la soulever contre l'Angleterre. Le sens suprême de son intérêt, cette passion de l'utile qui n'empêche pas, mais domine dans soit aine tous autres mouvements, lui inspire le désir de s'approprier l'instrument qui vient de le blesser, et c'est au lendemain d'Eylau que renait dans son esprit l'idée de l'alliance russe.

Mais cette alliance n'est-elle pas un rêve, une insaisissable chimère ? Comment passer avec la Russie de la guerre à l'intimité, d'une lutte acharnée à un concert de mesures ? Jadis, il est vrai, le premier consul a entretenu avec le tsar Alexandre une correspondance directe et presque amicale : distinguant chez ce monarque des idées libérales et philosophiques qui lui donnent une physionomie à part parmi les princes de son temps, Bonaparte a essayé de flatter ses aspirations, de caresser ses rêves ; il a cru pouvoir un instant le dominer moralement et le tenir ; mais Alexandre, ondoyant et versatile, lui a glissé entre les mains, s'est éloigné, et son hostilité systématique n'a plus désarmé. Sa protestation contre l'enlèvement du duc d'Enghien a eu le caractère d'une prise à partie personnelle et injurieuse. Dans l'été de 1806, il a refusé de Tati-fier le traité conclu à Paris par M. d'Oubril, et a rompu la paix déjà signée. Aujourd'hui, il laisse soulever contre nous les passions de son peuple et n'épargne rien pour donner à la guerre un caractère national et religieux. D'ailleurs, son amour-propre saigne encore au souvenir d'Austerlitz. Après cette journée, les Russes et leur souverain, poursuivis, éperdus, sur le point d'être enveloppés, n'ont dû leur salut qu'à une évasion tolérée par le vainqueur : Alexandre pardonnera-t-il jamais à Napoléon cette clémence plus insupportable que la défaite ? A supposer qu'il se prête loyalement à un essai de réconciliation, ce prince aux impressions mobiles, au rêve changeant, échappera-t-il longtemps aux influences qui le circonviennent ? N'a-t-il point pour favoris, pour amis personnels, les principaux artisans de la coalition de 1805 ? Autour de lui, la France n'aperçoit que des ennemis : famille impériale, ministres, dignitaires, généraux, cour, noblesse, armée, tout passe pour être assujetti, livré à l'Angleterre. On sait au moins que la Russie tient à notre rivale par le plus solide des liens, celui de l'intérêt matériel : depuis près d'un siècle, grâce à des traités périodiquement renouvelés, la Grande-Bretagne s'est acquis, en fait, le monopole du trafic avec l'empire moscovite, en achète les produits, y déverse les siens ; le commerce avec les Anglais est devenu indispensable à la Russie ; c'est l'une des fonctions de sa vie, et il en est résulté entre les deux États une persistance de rapports amicaux, une tradition d'intimité qu'il ne dépend peut-être d'aucune volonté humaine, fût-ce celle de l'autocrate, de rompre brusquement. Rejetée en dehors de ce qu'elle considère comme sa voie naturelle, la Russie sentira toujours l'invincible tentation d'y rentrer, fût-ce au prix d'une secousse violente, d'un changement de règne, et l'exemple du passé démontre que cette hypothèse n'a rien d'invraisemblable.

En ce temps, l'autorité du Tsar, toute despotique qu'elle fût, ne se présentait pas avec le caractère d'immuable fixité qu'elle a paru revêtir par la suite. Quatre révolutions de palais ou de caserne, accomplies en soixante ans, lui avaient donné l'apparence d'un pouvoir mouvant, précaire, dépourvu de cette consistance qui fait le crédit politique des Etats. A Pétersbourg, disait l'un de nos envoyés, les souverains sont plus qu'ailleurs sur un volcan[41], et c'est l'un des traits les plus singuliers de nos anciennes relations avec la Russie que l'instabilité de son gouvernement ait été considérée par tous nos souverains, depuis Louis XV jusqu'à Napoléon, comme l'un des principaux obstacles à l'alliance. En 1807, Napoléon se rappelait 1801 : maitre alors de l'esprit de Paul Ier, il voyait déjà dans la Russie un instrument ii son service, s'apprêtait à s'en saisir, lorsque le pouvoir avec lequel il traitait s'était évanoui subitement, et sa main n'avait rencontré que le vide. Le souvenir de cette déception pesait sur ses jugements à l'égard de la Russie et le mettait en garde contre un retour prématuré de confiance.

Il se demandait toutefois si la Russie de 1807, qu'il combattait sans la connait ce, ressemblait trait pour trait à celle de 1801, si le pouvoir du Tsar n'avait point gagné en sérieux, en solidité, en autorité réelle ; si, d'autre part, le souverain et ses ministres, instruits eux-mêmes tzar l'expérience, ne saisiraient point avec empressement l'occasion qui leur serait offerte de fortifier. c paix utile par une alliance brillante. Ne saurait-on leur remontrer qu'il n'existait entre les deux empires aucune divergence essentielle d'intérêts, que seules les nécessités de la lutte nous avaient conduits à attaquer directement la Russie, à l'inquiéter sur ses frontières, à ranimer ses ennemis, que la Pologne et la Turquie ne présentaient pour nous qu'une utilité relative et perdraient leur prix à nos yeux dès que la Russie aurait consenti à les remplacer avec un incontestable surcroît d'avantages dans notre système d'alliances ? Le préjugé du Tsar résisterait-il à ce langage, à une explication cordiale et de bonne foi ? En agissant personnellement sur ce prince, Napoléon ne saurait-il le ramener, le changer, et, s'emparant de cet esprit malléable, le marquer à une autre empreinte ? En somme, il inclinait à essayer de l'alliance russe, sans cesser de la considérer comme une aventure, et son nouveau penchant, en même temps que son doute, se trahit et se résume dans cette phrase écrite à Talleyrand, le 14 mars : Je suis d'opinion qu'une alliance avec la Russie serait très avantageuse, si ce n'était pas une chose fantasque, et qu'il y eût quelque fond à faire sur cette cour[42].

Quel moyen d'approcher pacifiquement la Russie et d'entrer en matière avec elle ? Depuis quelque temps, des négociations se poursuivaient conjointement avec la Russie et la Prusse par l'intermédiaire du cabinet, mais ne pouvaient mener à rien, puisqu'il devait s'agir, au contraire, d'isoler le Tsar de ses alliés et de l'aborder directement. Napoléon ordonna d'entamer quelques pourparlers avec Bennigsen ; ce général répondit qu'il avait mission de combattre, non de négocier[43]. Réduit à employer des voies détournées, Napoléon fit placer dans les journaux des notes sur l'immensité des pertes subies par les Russes, sur la barbarie de prolonger une lutte sans objet réel, sur le désir de paix qui s'éveillait dans l'armée du Tsar et à Pétersbourg[44] : il voulait agir sur Alexandre par l'opinion, s'adresser aussi à la sensibilité d'un monarque philanthrope. Vingt jours après Eylau, dans un bulletin remarquable, il revient et insiste sur le spectacle d'horreur que présentait le lieu du combat. Pendant près d'une semaine après la bataille, il a visité chaque jour le champ de carnage, reconnaissant l'emplacement des divisions aux cadavres entassés, faisant relever les blessés couches dans la neige, les consolant de paroles magiques, secourable et bienfaisant, dans l'attitude où il a voulu lui-même que la peinture le fixât pour la postérité[45] et son âme s'est sincèrement émue à l'aspect de ces scènes où la pierre se dépouillait de son prestige et se montrait affreuse. L'impression qu'il a ressentie, il s'efforce de la communiquer. Dans son bulletin, il accumule les détails frappants, recherche l'effet, compose un tableau : Qu'on se figure, sur un espace d'une lieue carrée, neuf ou dix mille cadavres, quatre ou cinq mille chevaux tués, des lignes de sacs russes, des débris de fusils et de sabres, la terre couverte de boulets, d'obus, de munitions, vingt-quatre pièces de canon auprès desquelles ou voyait les cadavres des conducteurs trias au moment où ils faisaient des efforts pour les enlever : tout cela avait plus de relief sur un fond de neige[46] ; et le passage se termine par ces mots : Ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l'amour de la paix et l'horreur de la guerre. Ce rappel à l'humanité, répandu dans toute l'Europe, ne s'adressait-il point particulièrement à l'adversaire principal, à celui qui portait surtout le poids et la responsabilité de la lutte, et le bulletin d'Eylau n'est-il pas une première ouverture de paix à l'empereur de Russie ?

Cependant, avant de donner suite ii un projet hasardeux, problématique, présentement irréalisable. Napoléon voulut voir si la combinaison recherchée depuis six mois avait perdu tonie chance de succès. Une dernière fois. il se retourna vers l'Autriche, la mit eu demeure de parler net et de se prononcer. C'était quelques semaines après Eylau : la Grande Armée se refaisait, nos approvisionnements étaient assurés ; en France, la conscription se levait, cieux armées de réserve étaient en voie de formation ; en Italie, quatre-vingt mille hommes, qui seraient quatre-vingt-dix mille au printemps, se massaient sur l'Adige, prêts à passer la frontière au premier signal, et cette situation, qui nous donnait barre sur l'Autriche, permettait à l'Empereur de lui tenir un langage d'une impérieuse franchise. Il ne déguisa rien, laissa voir le travail qui s'opérait en lui et présenta la question telle qu'il se la posait à lui-même ; il écrivit à Talleyrand : La tranquillité de l'Europe ne sera stable que lorsque la France et l'Autriche, ou la France et la Russie, marcheront ensemble. Je l'ai proposé plusieurs fois à l'Autriche, je le lui propose encore. Vous pouvez dire à M. de Vincent que vous êtes autorisé à signer tout traité éventuel sur ces bases[47]. Que l'on se décide donc à Vienne et que l'on ne se méprenne point sur la solennité de l'instant ; il s'agit d'une dernière ouverture ; l'Empereur est résolu, si l'on se dérobe encore, à se pourvoir ailleurs et à chercher parmi ses ennemis mémes.son allié de demain. Au même temps, à l'insu de Napoléon, un mouvement non moins remarquable s'opérait chez Alexandre. Ému des proportions que prenait la lutte, n'accordant pas une entière confiance aux bulletins de Bennigsen, apprenant d'autre part que les Autrichiens hésitaient toujours, le Tsar comprenait que cette pusillanimité l'enfermait dans un cercle vicieux : on ne se déclarerait point à Vienne avant que les armes russes eussent remporté un avantage indiscutable, et la Russie était impuissante à prendre nettement le dessus sans un secours effectif de l'Autriche. Cette situation laissait-elle d'autre issue à la crise qu'un rapprochement avec la France au détriment de l'Europe ? Alexandre, à la vérité, envisageait encore cette extrémité avec une sorte d'horreur ; il n'était nullement résigné à se séparer d'une cause 'il avait embrassée avec une conviction ardente, quoique momentanée, mais il sentait que les circonstances pourraient l'y contraindre. Cette menace qui pesait sur l'avenir, il la signalait à l'Autriche, afin d'arracher cette puissance, s'il était possible, aux spéculations de la lenteur[48], mêlait à ses instances auprès d'elle un avertissement, et le langage de Pozzo à Vienne servait de pendant à celui que l'Empereur plaçait dans la bondie de Talleyrand. Le 13 mai, dans un entretien avec Stadion, l'émissaire russe déclarait que la pente naturelle des événements menait son maitre, d'une manière évidente, à prendre un parti définitif ; que si, d'un côté, l'Autriche s'obstinait à ne pas vouloir donner la promesse de réunir ses armes à celles de Sa Majesté Impériale, et, de l'autre, Bonaparte offrait pour la paix des conditions et des avantages, inefficaces à la vérité pour le rétablissement de l'indépendance générale de l'Europe, mais proportionnés à ceux que Sa Majesté Impériale pouvait raisonnablement espérer d'obtenir par la guerre isolée du moment, la continuation de cette même guerre aurait cessé d'avoir un objet utile, et qu'ainsi la paix se ferait sans la participation de l'Autriche, qui resterait exclue d'un système établi dans des circonstances qu'elle seule aurait rendues aussi défavorables ; que tout délai à l'avenir était sans raison et même sans excuse, d'autant plus que si nous avions le malheur de perdre une bataille, la cour de Vienne serait encore plus effrayée, et cette disgrâce deviendrait plus grande, parce qu'elle nous ferait perdre entièrement l'espoir de sa coopération[49].

 

III

Avant de recevoir cette double et plus pressante sommation, avant même Eylau, l'Autriche s'était arrêtée à un parti qui la rapprochait des événements, sans l'y mêler encore de Macon compromettante. Aux partis qui se disputaient son alliance, elle avait décidé d'offrir sa médiation : elle émit discrètement d'abord, puis en termes officiels, l'idée d'un congrès où tous les belligérants, y compris l'Angleterre, seraient appelés à se rencontrer sous ses auspices.

Stadion avait été l'instigateur de cette mesure et y voyait un moyen de ménager l'entrée de l'Autriche dans la coalition ; il disait à Pozzo qu'après avoir tout essayé, la tournure qu'il avait prise, c'est-à-dire l'offre de la médiation et le désir de s'immiscer dans les affaires sur le motif de la paix, était la seule qui pouvait se concilier avec la différence des opinions ici, c'est-à-dire entre l'archiduc et l'empereur ; s'il existait un moyen de leur faire prendre part à la guerre, c'était ou le refus de Bonaparte de consentir à une négociation générale, ou les incidents qui pourraient arriver pendant cette négociation[50]. Dans le premier cas, l'obstination de l'empereur des Français fournirait contre lui un argument décisif ; dans le second, au cours d'une discussion générale, l'Autriche serait amenée à épouser les revendications de nos adversaires, à y joindre les siennes, à s'engager peu à peu, et, insensiblement, elle Glisserait de la médiation dans la guerre. Dès à présent, Stadion proposait de mettre sur pied toutes les armées de la monarchie, de les porter sur la frontière de Pologne et de les tenir prêtes à tout événement : il rêvait le rôle que l'un de ses successeurs devait jouer avec succès en 1813, et le nom de Prague, désigné dans les notes autrichiennes comme lieu du futur congrès, achève d'accuser l'analogie des deux époques. L'empereur François, il est vrai, retenu par l'archiduc Charles, qui possédait toute la force négative de l'empire[51], n'admettait pas dans son entier le plan du ministre : se laissant attirer vers la guerre sans la préméditer avec une froide résolution, il se refusait encore à appuyer une démarche pacifique par un grand déploiement des forces, et, lorsqu'il offrait ses bons offices, son but immédiat était surtout d'empêcher que la Russie et la Prusse ne traitassent directement avec la France, que l'Autriche ne fût exclue d'un débat et d'une paix qui régleraient à nouveau le sort de l'Europe. Présente à la négociation, la cour de Vienne pourrait y soutenir ses intérêts, s'y faire payer de ses services, et peut-être réussirait-elle, sans tirer l'épée, à se relever de la déchéance que ses désastres lui avaient fait encourir. Dans tous les cas, son rôle nouveau lui offrait à la fois un prétexte pour prolongée son inaction militaire et un moyen d'en sortir opportunément. Dans la position d'attente qu'elle s'était choisie, elle serait mieux établie pour suivre les péripéties de la crise et se régler d'après leur tournure tant en Turquie qu'en Pologne, car le conflit soulevé par les Russes sur le Danube continuait de l'inquiéter, et cette épine incommode ajoutait à l'embarras de ses mouvements[52].

Durant quelques semaines, elle crut que de ce côté tout souci allait cesser. Le différend turco-russe paraissait sur le point de tourner court, sous la pression violente de l'Angleterre. L'ambassadeur de cette puissance à Constantinople, sir Arbuthnot, après avoir vainement essayé par ses remontrances d'arrêter le Divan dans la voie des mesures guerrières, était allé chercher, comme suprême argument, la flotte britannique qui croisait dans l'Archipel ; revenu avec elle, il lui avait lait franchir les Dardanelles, l'avait établie dans la mer de Marmara, devant Constantinople, et du haut de ses trois-ponts l'Angleterre sommait le Divan de désavouer tout ce qu'il avait fait, de répudier l'alliance française, de chasser Sébastiani, de renouveler ses traités avec la Russie, de livrer en gage les châteaux des Détroits et la flotte ottomane ; une menace de bombardement appuyait cette injonction. Que la Porte capitulât, la situation de l'Orient redeviendrait ce qu'elle était un an auparavant ; toute hypothèse de remaniement territorial serait écartée ; la Russie, satisfaite d'avoir renouvelé sa mainmise sur le gouvernement ottoman, retirerait ses troupes des Principautés, et l'Autriche, délivrée de ce voisinage alarmant, se sentirait moins gênée pour embrasser la cause des coalisés.

Personne en Europe, pas même Napoléon, ne croyait à la résistance de la Turquie ; on s'était tellement habitué à la voir plier, s'affaisser sous le moindre choc, qu'une fermeté persistante de sa part devait paraître invraisemblable et prodigieuse. Ce miracle, le nom de Napoléon et le zèle de ses agents l'opérèrent. Confiants dans la protection du grand empereur, les Ottomans ne voulurent point démériter d'un tel allié ; ils écoutèrent Sébastiani et le conseiller d'ambassade Rufin leur montrant que le danger était plus apparent que réel, que toute résistance déconcerterait l'agresseur, et que le meilleur moyen d'éviter le combat était de l'offrir. S'ils négocièrent, ce fut pour gagner le temps de s'armer : sur les conseils, sous la direction de notre ambassadeur, Constantinople s'entoura de défenses improvisées, se hérissa de batteries ; puis, rompant les pourparlers, démasquant trois cents bouches à feu, la Turquie se présenta en ordre de bataille. Venu pour menacer plutôt que pour agir, Arbuthnot et l'amiral Duckworth hésitèrent à transformer une démonstration en attaque : le succès d'une opération de vive force devenait singulièrement douteux, et, d'ailleurs, convenait-il à l'Angleterre de s'aliéner irrévocablement la Turquie en frappant sa capitale ? La flotte s'éloigna donc et repassa les Dardanelles, maltraitée dans sa retraite par le-feu plongeant des batteries ottomanes[53]. L'insuccès de cette tentative retentit dans toute l'Europe : à Vienne, la déception ne fut pas moins vive qu'à Pétersbourg et à Londres. La question orientale, que l'on avait crue prête à se fermer, restait ouverte, et l'Autriche y vit une raison de plus pour ne rien précipiter et s'en tenir au système d'intervention progressive qu'elle s'était lentement formé.

Sa médiation fut envisagée par Napoléon avec défaveur ; il avait compris que le congres rapprocherait nos adversaires et préparerait entre eux de nouveaux accords : ce serait la coalition délibérante, en attendant qu'elle redevint agissante. Toutefois, fidèle à son principe de ne jamais repousser une offre pacifique, désireux d'ailleurs de ne fournir à l'Autriche aucun prétexte de rupture, il accepta les propositions de cette cour, dès qu'elles eurent été clairement formulées. Il prescrivit seulement à Talleyrand de gagner du temps, et de traîner en longueur les discussions préalables. Surtout, il entendait rester maitre de l'instant où les hostilités seraient suspendues, et ne se décider à cet égard que d'après les circonstances : en mars, après Eylau, il avait paru désirer un armistice ; en mai, sa tendance était de l'ajourner[54]. A ce moment, Dantzig succombait ; la Vistule, définitivement dégagée d'ennemis, assurait notre base d'opérations ; le printemps approchait, réchauffait le sol glacé de la Pologne, rendait aux armées la liberté de se mouvoir, et Napoléon espérait, avant que l'Europe se fût assemblée en congrès, imposer une solution à la pointe de l'épée, surprendre à l'un des belligérants une paix suivie d'alliance, et trancher le nœud de la coalition sans lui laisser le temps de se resserrer. Nourrissant avec plus de force, à mesure que les dispositions de l'Autriche devenaient, plus équivoques, l'idée d'un rapprochement avec la Russie, il comptait qu'une grande victoire en ferait surgir l'occasion et, finissant momentanément la querelle, provoquerait chez l'ennemi une défaillance dont notre politique saurait profiter.

La Russie, de même que la Prusse, avait accepté la médiation autrichienne, mais du bout des lèvres, et les deux puissances, qui demandaient plus à la cour de Vienne que de les aider à faire la paix, s'étaient ménagé des échappatoires : la Prusse subordonnait son assentiment définitif à l'adhésion de l'Angleterre, la Russie à la connaissance des bases sur lesquelles Napoléon consentirait il traiter. D'ailleurs, les pourparlers qui continuaient directement entre le quartier général français et les deux gouvernements ennemis, à travers les avant-postes, avaient abouti à un résultat relatif, qui ne rendait pas indispensable l'entremise de l'Autriche. De part et d'autre, le principe du congrès avait été admis ; on était même tombé d'accord sur quelques points préliminaires. La réunion des plénipotentiaires se tiendrait à Copenhague ; nos alliés, tels que l'Espagne et la Turquie, y seraient appelés. Comme base de négociation, Napoléon proposait un système de compensation portant sur l'ensemble des conquêtes opérées par les cieux masses belligérantes, ce qui nous permettrait de recouvrer nos colonies et de faire rendre à la Porte les Principautés contre abandon d'égale partie des territoires prussiens. La Russie et la Prusse avaient paru adhérer à ce principe ; la réponse de l'Angleterre se faisait attendre, mais ne pouvait tarder.

En présence de ces symptômes favorables, Talleyrand concevait l'espoir d'une paix générale. Il préférait cette solution, la meilleure en principe assurément, à celle que Napoléon jugeait être la seule pratique, à cette capitulation isolée, à cette paix sur le tambour, suivant l'expression de Pozzo[55], qu'il voulait arracher à l'un de ses adversaires. A cet égard, une divergence d'opinion caractéristique existait entre le souverain et le ministre, et certains témoignages la rendent perceptible. Le 4 juin, Talleyrand fait rédiger pour l'Empereur un rapport sur l'état des négociations : la minute de cette pièce, chargée par le ministre de ratures et d'additions, atteste qu'il y a mis toute sa pensée ; il résume l'ensemble de la situation et la peint sous un jour avantageux. Avec finesse, il déduit les raisons qui le font croire à la résignation des différentes cours. A Londres, un changement de ministère vient de s'opérer ; le nouveau cabinet, dirigé par MM. Canning et Castlereagh, appuyé sur une majorité factice, suspect à l'opinion, doit désirer d'offrir au peuple anglais la paix avec la France comme don d'avènement ; la Prusse, dans l'état on nos victoires l'ont mise, accueillera comme le salut toute transaction, quelle qu'elle soit ; la Russie ne demande qu'à se retirer, sans sacrifices essentiels, d'une guerre qui dévore ses armées et épuise ses ressources. L'Empereur n'a donc qu'à laisser les puissances venir à lui, à accepter leur soumission ; il peut attendre la paix, sans avoir à la conquérir sur le champ de bataille, et l'on sent percer chez Talleyrand la crainte qu'un succès plus décisif que les précédentes rencontres, s'il doit se produire, ne rende l'Empereur plus entier, plus exigeant, et n'éloigne la pacification totale. Le ministre redoute à l'égal d'un malheur un triomphe trop prononcé de nos armes ; avec d'adroits ménagements, sur un ton caressant et flatteur, il s'efforce de retenir Napoléon et le dissuade de vaincre. Après avoir indiqué les moyens de patience qui doivent, suivant lui, conduire à un accord, il ajoute : Il n'y a point en ce moment de voie plus courte pour arriver à la paix, si ce n'est que Votre Majesté la force, comme Elle le peut, par une nouvelle victoire. Mais Votre Majesté préférera de la devoir à des moyens plus doux, quoique peut-titre un peu pins lents, et qui donneront un résultat à la fois plus complet et plus sûr. En effet, que la Prusse et la Russie soient forcées de faire seules la paix, sans qu'elles puissent reprocher à l'Angleterre de les avoir abandonnées, l'Angleterre conservera sur elles toute son influence. Elle y gagnera de pouvoir faire sa paix particulière avec moins de sacrifices et par conséquent avec plus de désavantage pour nous, on, si elle poursuit la guerre dans de nouvelles conditions, elle pourra espérer de trouver encore des alliés sur le continent[56].

Ce raisonnement eût été irréprochable, si l'Angleterre eût été prête à céder, si Ici Russie et la Prusse, sincères dans leurs assurances, eussent été disposées à signer une paix acceptable pour Napoléon, un traité qui se fût borné à limiter les résultats de la campagne présente, sans remettre en question ce que la France avait acquis par quinze ans de combat et d'héroïsme. Malheureusement, il n'en était point ainsi, et l'Empereur, lorsqu'il jugeait indispensable de vaincre avant tout, d'abattre l'une de ses ennemies pour la relever ensuite et se l'attacher, pénétrait mieux que son ministre l'arrière-pensée des puissances et leur infatigable déloyauté : Talleyrand avait raison en théorie, Napoléon dans le fait. Aussi bien, à ce moment même, loin de vouloir transiger, ainsi qu'elle s'en donnait les airs, la coalition se jurait secrètement à elle-même de rester intraitable et de ne poser les armes qu'après avoir diminué de toutes parts la puissance impériale ; la Prusse, acharnée à l'espoir d'une revanche, demeurait rame de la ligue formée contre nous, et la Russie s'en faisait toujours l'instrument.

Avant de se livrer aux idées de paix qui le hantaient quelquefois, Alexandre Ier, par scrupule et point d'honneur, s'était décidé à tenter un dernier effort. Il était venu rejoindre son armée, s'était rencontré avec Frédéric-Guillaume et la reine Louise, avait cédé à leurs instances, et, le 26 avril, au village de Bartenstein, une convention nouvelle avait été passée entre la Russie et la Prusse. Les deux puissances s'associaient plus étroitement et s'engageaient à ne jamais traiter l'une sans l'autre. Avec un désintéressement chevaleresque, Alexandre s'interdisait toute prétention territoriale et reconnaissait le principe de l'intégrité ottomane ; ne s'occupant que de ses alliés, il promettait à la Prusse non seulement la restitution de tout ce qu'elle avait perdu, mais un arrondissement avec une meilleure frontière. La confédération du Rhin serait dissoute, l'Allemagne soustraite à notre influence et constituée dans une forme nouvelle, sous la direction de la Prusse et de l'Autriche. L'Italie serait remaniée d'accord avec les cours de Londres et de Vienne, celle-ci devant recouvrer dans tous les cas le Tyrol et la ligne du Mincio ; il s'agissait d'effacer de l'histoire non seulement les conséquences d'Iéna, mais celles d'Ulm et d'Austerlitz[57].

Napoléon n'admettrait jamais ces conditions ; les poser à l'avance, c'était renouveler contre lui une déclaration de guerre. En élargissant ainsi la question, en dressant une première liste de revendications européennes, susceptible de s'étendre par la suite, Alexandre et Frédéric-Guillaume se flattaient d'entraîner dans leur cause toutes les puissances. La convention devait être présentée à la signature des cours de Stockholm, de Londres et de Vienne ; dans la pensée de ses auteurs, son but était surtout de forcer le concours actif de l'Angleterre, qui faisait attendre les secours d'hommes et d'argent qu'elle avait promis, et de lever les hésitations de l'Autriche. A Vienne, les agents russes et prussiens redoublaient d'importunité ; le texte nouveau ii la main, ils subordonnaient, dans une certaine mesure, l'acceptation de la médiation à l'entrée de l'Autriche dans l'accord de Bartenstein. On consentait traiter par son entremise, sous la condition qu'elle se lierait à l'avance, s'interdirait toute impartialité dans le débat et s'obligerait à la guerre après un simulacre de négociation. La convention d'avril était une suprême tentative pour reformer, étendre, fortifier la coalition, et opposer à Napoléon, dans le futur congrès, un accord préalable de tontes les puissances, destiné à préparer une reprise générale d'hostilités.

Les atermoiements de l'Autriche et le génie militaire de Napoléon firent échouer cet effort. Au lieu d'accéder il l'acte de Bartenstein, l'empereur François envoya au quartier général des alliés le général Stutterheim, chargé de faire espérer son adhésion. Stutterheim n'avait pas encore quitté Vienne lorsque la nouvelle d'un choc décisif retentit dans celle capitale : Napoléon avait enfin rencontré l'occasion si longtemps attendue de ressaisir pleinement l'avantage. Les Russes l'avancèrent de quelques jours en tentant pour la seconde fois un mouvement offensif. La belle contenance du maréchal Ney leur en imposa presque aussitôt et les fit reculer, mais l'Empereur avait eu le temps de concentrer ses forces : il fondit sur l'ennemi, le combattit à plusieurs reprises, Cherchant toujours à le tourner et à l'envelopper ; il le surprit enfin le 14 juin à Friedland, entassé dans un ravin, acculé à l'Aile. Friedland, ce fut Eylau réussi, la victoire accablante que Napoléon poursuivait depuis six mois, et qui deux fois lui avait échappé. Aucune ombre ne ternit l'éclat de cette belle journée, date claire et lumineuse de notre histoire : la fortune de Napoléon se dégageait des nuages qui l'avaient un instant obscurcie et de nouveau resplendissait. Les résultats furent immenses : trente mille Russes avaient été tués, blessés ou pris : une nombreuse artillerie tomba entre nos mains ; Kœnigsberg, la place d'armes de la coalition, ouvrit ses portes ; le roi de Prusse s'enfuit à Memel : de ses États, il ne lui restait qu'une ville. En même temps, l'Autriche était déjouée dans ses desseins hostiles, l'Allemagne contenue, le Midi raffermi dans l'obéissance, la France rassurée ; l'Europe tout entière, après quelques doutes, recommençait de croire à la continuité fatale de nos succès, et dans Napoléon reconnaissait l'invincible.

L'armée russe fuyait dans le plus grand désordre, emportée par le torrent de la défaite. Toutes les positions derrière lesquelles elle eût pu se reformer et reprendre pied lui échappaient successivement ; après la ligne de l'Alle, celle de la Pregel, celle du Niémen. Près de Tilsit, situé au bord dit Niémen et sur la rive gauche, le prince Murat et notre avant-garde eurent un singulier spectacle : une horde de barbares à face asiatique, Kalmouks et Sibériens, sans fusils, s'entourant d'un nuage de flèches, tourbillonnait dans la plaine et nous opposait un vain épouvantail : c'était l'armée de réserve annoncée par la Russie et amenée par le prince Lobanof. Une division de cuirassiers se déploya, chargea, et l'avant-garde de l'Asie s'évanouit[58]. Nos troupes entrèrent à Tilsit, et l'armée ennemie disparut derrière le fleuve, se masquant d'un rideau de cavalerie légère.

Au lendemain de Friedland, le 15 juin, Bennigsen avait écrit au Tsar, retiré sur la frontière russe, une lettre dans laquelle il rendait compte de sa défaite et signalait l'urgence, pour arrêter la poursuite, d'entamer une négociation. En même temps, afin de faire dire ce qu'il n'osait écrire, il s'adressa au Grand-duc Constantin, frère d'Alexandre, le pria de se rendre auprès du maître et de lui exposer la situation sous son véritable jour : Demandez-lui, dit-il, s'il ne veut pas arrêter l'effusion du sang ; ce n'est plus un combat, mais une véritable boucherie. Le grand-duc ayant répondu qu'il transmettrait fidèlement ces expressions et n'irait pas au delà : Dites-lui tout ce que vous voudrez, reprit Bennigsen, pourvu que je puisse faire arrêter le carnage[59]. C'était reconnaître l'impossibilité de prolonger la lutte et s'avouer hors de combat.

L'empereur Alexandre répondit à Bennigsen, le 16 juin, par une lettre sévère, douloureuse ; il lui reprochait la perte de belles troupes inutilement sacrifiées, redemandait son armée, autorisait enfin une offre de suspension d'armes ; le prince Lobanof partit aussitôt pour Tilsit, précédé d'un parlementaire ; le feu cessa entre les avant-postes, et des communications s'établirent entre les deux armées.

Il semblait toutefois que le Tsar ne se résignât à interrompre les hostilités qu'avec un déchirement d'âme, contraint par la nécessité, sans préjuger ses résolutions définitives. Vous devez sentir, écrivait-il à Bennigsen, tout ce qu'il m'en coûte de passer par ce parti[60]. Il n'admettait pas encore que la paix fût une suite nécessaire de l'armistice, et avait voulu que les pourparlers ne fussent ouverts qu'au nom du général en chef, afin de ne point engager le gouvernement.

Cependant, ce qui lui arrivait de toutes parts, ce qu'il voyait, lui faisait mieux connaître l'étendue du désastre. Point de régiment qui ne fût décimé et démoralisé ; certains avaient perdu quatre cents hommes sur cinq cent vingt ; la discipline avait péri, le soldat ne se battait plus et pillait, exerçant ses ravages sous les yeux mêmes de l'Empereur ; la résistance de la Russie, inébranlable jusqu'alors, s'abattait d'un seul coup : ce mur tombait en poussière. Parmi les généraux, Barclay de Tolly seul parlait de continuer la guerre, de se retirer et d'attirer l'ennemi dans l'intérieur de l'empire ; les autres n'échappaient pas à ce découragement qui saisit les plus braves au lendemain d'un grand effort inutile. Dans l'entourage du Tsar, un travail actif s'opérait pour le déterminer à la paix : le grand-duc Constantin s'en faisait l'ardent promoteur ; il remontrait à son frère en termes véhéments la nécessité d'en finir et a raconté lui avoir tenu le langage suivant : Sire, si vous ne voulez pas faire la paix avec la France, eh bien, donnez un pistolet bien chargé à chacun de vos soldats et commandez-leur de se briller la cervelle, vous obtiendrez le même résultat que celui que vous offrira une nouvelle et dernière bataille, qui ouvrira infailliblement les portes de votre empire aux troupes françaises exercées aux combats et toujours victorieuses[61]. Les ministres ne combattaient plus ces avis, et les plus hostiles à la France, tels que Budberg, recommandaient de traiter. Alors, eu présence de cette universelle défaillance, éperdu, épouvanté, voyant. la Russie sans armée et la frontière ouverte, Alexandre prit son parti, le prit complet et sans réserve ; dépassant les conseils qu'on lui donnait, quittant le système dans lequel il avait mis son honneur jusqu'alors à persévérer, il passa brusquement à l'extrême de l'autre ; après s'être résigné le dernier à la paix, il fut le plus ardent à la vouloir. Il montra désormais une impatience surprenante à se mettre en rapport direct avec Napoléon, et on le vit, s'arc& tant dans sa retraite, rebrousser chemin et reprendre la direction de Tilsit.

Au village de Szawl, il rencontra la cour prussienne, qui errait désolée, réduite au roi Frédéric-Guillaume, à son ministre Hardenberg, à quelques officiers et fonctionnaires. Les souverains et leurs ministres tinrent conseil ; on récrimina contre l'Autriche, contre l'Angleterre : on tomba d'accord sur la nécessité de s'entendre avec la France, sans convenir des moyens. Sur ces entrefaites, arriva la nouvelle de l'armistice signé le 22 à Tilsit au nom de la Russie ; c'était une première défection envers la Prusse, puisque les deux cours avaient pris l'engagement, à Bartenstein, de ne jamais séparer leur fortune. La Russie s'était bornée à stipuler que les hostilités seraient interrompues pendant cinq jours entre Français et Prussien, afin de laisser aux derniers le temps de conclure eux-men-les une suspension d'armes. Frédéric-Guillaume fit aussitôt partir pour Tilsit le maréchal de Kalckreuth, chargé de régulariser la situation ; mais Alexandre, sans attendre le résiliai, lie cette démarche, se remit en route et continua de se rapprocher du Niémen, entraînant la cour de Prusse, qui le suivait d'un pas haletant ; le 23, il était à moins dune journée du fleuve ; le 24 ; à une lieue, presque en vue de nos avant-postes ; il avançait toujours, attiré et comme fasciné.

C'est qu'en effet, de jour en jour, presque d'heure en heure, des paroles plus douces, plus encourageantes, lui arrivaient de l'autre côté du fleuve. Le 19, Napoléon s'est établi à Tilsit ; les hostilités avaient cessé depuis la veille, et déjà Lobanof avait conféré une heure avec le prince de Neufchâtel. Le lendemain de son arrivée, l'Empereur a envoyé le grand maréchal Duroc s'aboucher avec Bennigsen et l'entretenir longuement ; d'autres officiers français se sont présentés au quartier général russe : Murat s'est mis en rapport avec le grand-duc Constantin, qui a fait sa conquête en lui donnant d'emblée de l'Altesse. Les Français ont tenu un langage singulièrement engageant, affectant de traiter la Russie moins en ennemie vaincue qu'en amie égarée, qu'il s'agit de ramener dans sa voie véritable ; c'est à la suite de ces propos qu'Alexandre a admis l'armistice individuel, sans adjonction de la Prusse, et le principe d'une négociation de faix à ouvrir dans le plus court délai[62] ; sa réponse est arrivée le 21 au soir au quartier général, qui a reçu mission de la transmettre à Tilsit[63]. Pourtant l'espoir du Tsar ne va pas encore au delà d'une paix qui assurerait l'intégrité de l'empire : il est prêt à évacuer les Principautés, à abandonner les îles Ioniennes, espérant obtenir à ce prix des conditions moins écrasantes pour la Prusse[64]. Mais voici que le prince Lobanof, revenu à Tilsit le 22 pour y signer l'armistice, est reçu par l'empereur des Français en personne, qui l'accueille avec faveur, l'invite à sa table, boit à la santé de l'empereur Alexandre et, inaugurant son système de séduction, jette dans la conversation que la Vistule pourrait bien être la frontière naturelle de la Russie[65]. Victorieux et irrésistible, Napoléon eût été en droit de tout refuser à la Russie ; il lui laisse beaucoup espérer, pourvu que l'on s'entende seul à seul et sans se préoccuper d'intérêts étrangers aux deux empires. Il ne parle pas encore, à la vérité, d'explication intime et directe entre les souverains et ne prononce pas le mot d'entrevue ; avant jadis, à la veille d'Austerlitz, proposé un colloque aux avant-postes et sa demande étant demeurée sans réponse, il met son orgueil à ne point la réitérer aujourd'hui, à se laisser provoquer ; ii se borne à tenter Alexandre par d'attirantes insinuations et amicalement lui fait signe. Alexandre n'y tient plus ; cédant à un mouvement intense de curiosité et d'espoir, il risque une démarche positive, et Lobanof est renvoyé à Tilsit, le 24, avec des instructions écrites. On y lit cette phrase surprenante sous la signature du prince qui venait de nous faire une guerre de deux ans : L'alliance de la France et de la Russie a toujours été l'objet de mes désirs, et je suis convaincu que seule elle peut garantir le bonheur et le repos de l'univers ; et le Tsar continue : Un système entièrement nouveau doit remplacer celui qui a existé jusqu'ici, et je me flatte que nous nous entendrons facilement avec l'empereur Napoléon, pourvu que nous traitions sans intermédiaires[66]. C'était proposer l'entrevue. Napoléon ne s'y refusa pas, redoubla de bienveillance envers Lobanof, qu'il retint longtemps dans son cabinet, envoya Duroc complimenter l'empereur Alexandre, qui était arrivé tout près du fleuve et venait s'offrir, et ce fut pendant ces allées et venues que les conditions de la conférence furent arrêtées ; on se rencontrerait le lendemain 25, à une heure, dans un pavillon élevé sur le fleuve qui séparait les armées[67].

Dans les instants qui précédèrent l'entrevue, Alexandre et Napoléon reçurent l'un et l'autre, de leurs agents à l'extérieur, des avis qui achevèrent de préparer leurs résolutions. Alexandre savait déjà que l'Angleterre avait d'accéder à la convention de Bartenstein, qu'elle faisait même difficulté de garantir un emprunt à contracter par la Russie pour la continuation de la guerre, qu'elle jugeait le placement aléatoire et exigeait des avantages proportionnés aux risques à courir. Le Tsar apprit un peu plus tard, par des dépêches concluantes du comte Razoumovski, que tout espoir fonde sur la coopération de François Ier devait être tenu définitivement pour illusoire, tant que la Russie n'aurait point par elle-même décidé le sort de la guerre ; l'Autriche ne s'engagerait qu'à coup sûr. Ce marchandage d'une part, cet égoïsme de l'autre, provoquèrent chez Alexandre un mouvement plus prononcé d'impatience et de dégoût, dissipèrent ses derniers scrupules, le détachèrent plus complètement de la cause européenne. Puisqu'on laissait la Russie s'exposer seule pour le salut de tous, pourrait-on lui reprocher une défection, si éclatante fût-elle ? pourrait-on se plaindre qu'après avoir tout essayé en vain, elle n'ait pris conseil que de sa sécurité et de ses intérêts propres, recherché son avantage particulier, préféré un adversaire magnanime à d'inutiles amis ? En venant franchement à Napoléon, elle obtiendrait peut-être de participer aux faveurs qu'il déversait si généreusement sur ceux qui savaient le comprendre et le servir, et l'idée de féconder une paix nécessaire par une alliance profitable prenait forme dans l'esprit d'Alexandre[68].

On remettait en même temps à Napoléon, dans la journée du 24, deux plis de provenance différente. Le premier contenait une série de dépêches du général Andréossy : il en résultait que l'Autriche n'avait jamais voulu traiter sérieusement avec nous et n'avait attendu qu'une occasion vraiment propice pour tenter le sort de la guerre[69]. La seconde communication était un avis de Constantinople, portant qu'une révolution avait éclaté dans cette ville le 27 mai, que les janissaires avaient détrôné Sélim, l'avaient égorgé (ce dernier fait était controuvé), que la Turquie retombait dans l'impuissance et le désordre.

Par ce que mandait Andréossy, l'Empereur fut affermi dans ses défiances et dans ses préventions contre l'Autriche ; il s'écarta d'elle plus résolument et sentit davantage la tentation de transporter en Russie les offres dédaignées à Vienne. D'autre part, la disparition de Sélim, le seul homme qui eût pu ranimer la Turquie et la faire concourir à nos desseins, privait notre politique du point d'appui qu'elle s'était cherché au delà du Danube ; elle justifiait notre défection à l'égard des Ottomans, permettait de les abandonner sans scrupule et sans regret, de se ménager à leurs dépens une alliance plus efficace. Avec la Russie, comme naguère avec l'Autriche, l'Orient restait le terrain d'entente : il convenait toutefois de s'y placer autrement pour négocier avec la première que pour converser avec la seconde ; au lieu de mettre en avant le principe de l'intégrité ottomane et de n'admettre le partage qu'à titre subsidiaire, il importait désormais de placer cette hypothèse en première ligne, de la rapprocher, de se montrer prêt à la réaliser. Napoléon reprendrait donc directement avec Alexandre l'entretien entamé jadis par intermédiaires, et Tilsit devait marquer moins un complet revirement qu'une nouvelle évolution fie sa politique, de cette politique ondoyante et souple, qui revenait à son point de départ après un long circuit, qui savait, avec une adroite mobilité, tourner sur elle-même, se replacer dans la même position à mesure que les circonstances se retrouvaient, identiques, et présenter toujours aux événements une l'ace appropriée.

Admettant, il est vrai, le cas où Alexandre éluderait ses offres et se montrerait insaisissable, où la Russie ne traiterait que pour se donner le temps de reprendre haleine, Napoléon n'entendait renoncer prématurément à aucun de ses avantages ; il mandait à Sébastiani de se concilier le nouveau gouvernement ottoman, quel qu'il fût, d'entretenir l'ardent des musulmans : Si d'ici à un mois, faisait-il écrire à l'ambassadeur, je m'aperçois qu'on ne veut pas négocier de bonne foi, je passerai le Niémen, et ma jonction sera bientôt faite avec le grand vizir[70]. Néanmoins, sentant derrière lui la France impatiente de repos et à peine remise de ses inquiétudes, pressé de se montrer à elle, apercevant devant lui le morne et vaste empire qui déployait au loin ses horizons fuyants, hésitant à pénétrer dans cet inconnu, il désirait sincèrement que l'entente se fit avec Alexandre et lui permit de fixer l'avenir. Non qu'il cria ù une identité permanente d'intérêts entre les deux empires, non qu'il voulut, stipulant des à présent une parfaite : réciprocité d'avantages, admettre comme système immuable un partage d'autorité et d'influence entre la France et la Russie régnant d'accord sur le monde. A vrai dire, il n'avait point de système, mais un but, qui était de vaincre l'Angleterre et de conquérir la paix générale. De toutes les puissances, la Russie lui semblait la mieux placée pour l'assister dans cette tâche ; elle pourrait aider par sa situation géographique, à la fois continentale et maritime, par sa force, par l'immensité de ses moyens ; lui offrait prise par son désarroi présent ; il allait à elle, afin de lui proposer de lutter à deux contre l'Angleterre et lui offrir, comme prix de cette alliance, l'espoir de partager avec nous l'empire de l'Orient.

 

 

 



[1] Correspondance de Napoléon, 13138.

[2] Correspondance de Napoléon, 11350.

[3] TRATCHEVSKI, p. 115. Dans ses conversations avec l'envoyé russe à Paris, le premier consul montrait l'empire turc prêt à tomber de lui-même, de manière qu'il ne restait plus qu'à en recueillir les débris. Id., 484, 485.

[4] Ce mot a été prêté à M. de Boutenief, ambassadeur de Russie à Constantinople sous l'empereur Nicolas.

[5] Correspondance, 8298.

[6] Voyez notamment BAILLEU, Preussen und Frankreich von 1795 bis 1807, II, 322, 360.

[7] Correspondance, 9038.

[8] Analysé par MIGNET, Notices historiques, I, 199, par THIERS, VI, 349, par M. RAMBAUD, Histoire de Russie, 587 ; cité en extrait par M. PALLAIN, Correspondance de Talleyrand et de Louis XVIII, XX, XXI ; publié in extenso par M. Pierre BERTRAND dans la Revue historique (janvier-mars 1889) et dans son ouvrage intitulé Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon, 156-174.

[9] Mémoire sur les colonies, lu à l'Institut le 15 messidor an V.

[10] BAILLEU, II, 360.

[11] WERTHEIMER, Gesehichte Œsterreichs und Ungarns in ersten Jahrzehnt des XIX Jahrhunderts, I, 372.

[12] Talleyrand à La Rochefoucauld, ambassadeur à Vienne, 20 septembre 1806. Tous les extraits cités dans ce chapitre de lettres échangées entre le prince de Bénévent et nos ambassadeurs en Autriche sont tirés des archives des affaires étrangères, Vienne, vol. 379 et 380.

[13] Talleyrand à La Rochefoucauld, 7 octobre 1806.

[14] Talleyrand à La Rochefoucauld, 24 octobre. Cf. Armand LEFEBVRE, Histoire des cabinets de l'Europe pendant le Consulat et l'Empire, II, 352.

[15] BAILLEU, II, 577.

[16] Correspondance de Turquie, 1806, archives des affaires étrangères. Mémoire de Pozzo di Borgo sur les causes la rupture entre la Russie et la Porte. Archives Pozzo di Borgo.

[17] Archives des affaires étrangères, Turquie, suppléments.

[18] BAILLEU, II, 581.

[19] Correspondance, 11339.

[20] Dépêche du 9 décembre 1806. Archives des affaires étrangères, Vienne, 379.

[21] Victor CHERBULIEZ, Revue des Deux Mondes du 1er mai 1890.

[22] Adolf BEER, Zehn Jahre œsterreichischer Politik, 472. Cet auteur donne le texte de la lettre à l'Empereur et de celle à l'archiduc Charles, 472-474.

[23] Lettre à Budberg, 14-26 décembre 1806. Archives Pozzo di Borgo.

[24] Pozzo à Budberg, 14-26 décembre 1806. Archives Pozzo di Borgo. — Andréossy à Talleyrand, décembre 1806.

[25] 14-26 décembre 1808. Archives Pozzo di Borgo. Cette dépêche a été citée dans l'ouvrage russe sur la Famille Razoumovski, par A. VASSILICHIKOFF, IV, 279. Andréossy écrivait de son côté : La cour de Vienne voudrait se mettre en mesure de n'offenser ni la France ni la Russie, bien qu'évidemment elle soit plus portée vers cette dernière puissance. 14 décembre 1806. Cf. ADAIR, Historical memoir of a mission to the court of Vienna in 1806, 157-160.

[26] 8-20 mars 1807. Archives Pozzo di Borgo.

[27] THIERS, VII, 300-323.

[28] Correspondance, 11651-66-71, 11734-38. Talleyrand à Sébastiani, 20 janvier 1807. Cf. l'étude de M. BOPPE sur la Mission de l'adjudant-commandant Mériage Widdin. (Annales de l'École des sciences politiques, 15 avril 1886.)

[29] Correspondance, 11722.

[30] Moniteur du 18 février 1807.

[31] Archives des affaires étrangères, Turquie, suppléments. La lettre suivante est tirée de la même source.

[32] BEER, Zehn Jahre œsterreichischer Politik, 268.

[33] BEER, Zehn Jahre œsterreichischer Politik, 268.

[34] Correspondance, 11670.

[35] Talleyrand à Andréossy, 26 janvier 1807. Cf. la lettre de Talleyrand à Napoléon, du 4 avril 1807, P. BERTRAND, 410.

[36] Archives des affaires étrangères, Vienne, 380.

[37] Correspondance, 11810.

[38] Correspondance, 11810.

[39] BAILLEU, II, 586 à 588.

[40] Correspondance, 11918.

[41] TRATCHEVSKI, 501.

[42] Correspondance, 12028.

[43] RAMBAUD, 544.

[44] Correspondance, 11899.

[45] Il fit mettre le sujet au concours, et ce fut à cette occasion que Gros composa son célèbre tableau.

[46] Cinquante et unième bulletin de la Grande Armée.

[47] Correspondance, 11977.

[48] Pozzo à Stadion, 30 décembre 1806-11 janvier 1807. Archives Pozzo di Borgo.

[49] Pozzo à Budberg, 18-30 mars 1807. Archives Pozzo di Borgo.

[50] Pozzo à Budberg, 14-26 janvier 1807. Archives Pozzo di Borgo.

[51] Pozzo à Budberg, 14-26 décembre 1806.

[52] Pozzo à Budberg, 14-26 janvier, 22 février-4 mars, 8-20 mars 1807. BEER, Zehn Jahre œsterreichischer Politik, 270-283.

[53] Sur l'échec des Anglais devant Constantinople, voir spécialement JUCHEREAU DE SAINT-DENYS, Révolutions de Constantinople en 1807 et 1808, I, 50-93 ; et Armand LEFEBVRE, Histoire des cabinets de l'Europe pendent le Consulat et l'Empire, III, 45-56.

[54] Sur toute cette négociation, voyez la correspondance de Napoléon avec Talleyrand (mars-mai 1807). Les lettres de l'Empereur sont dans les tomes XIV et XV de la Correspondance ; celle du ministre, dans l'ouvrage de M. BERTRAND.

[55] Archives Pozzo di Borgo.

[56] Les archives des affaires étrangères (Prusse, vol. 240) ne possèdent que la minute de cette pièce : on ne saurait donc dire si elle a été présentée à l'Empereur ; elle n'en indique pas moins les tendances du ministre.

[57] Voir le texte de la convention dans GARDEN, Recueil des traités de paix, X, 407.

[58] Correspondance, 12775. Mémoires de Roustam, publiés dans la Revue rétrospective, n° 8-9.

[59] Le chargé d'affaires Lesseps au ministre des relations extérieures, 22 août 1807. Pour l'indication des sources, voyez l'Avant-propos.

[60] Mémoires de Hardenberg, V, 510.

[61] Lesseps au ministre des relations extérieures, 22 août 1807.

[62] Termes de l'acte d'armistice.

[63] Lettres de l'officier prussien Schladen, Mémoires de Hardenberg, V, 518-521.

[64] Lettre du prince Kourakine à l'impératrice mère. TATISTCHEFF, Nouvelle Revue du 1er juin 1890.

[65] Le prince Lobanof à l'empereur Alexandre, 22 juin. TATISTCHEFF, Nouvelle Revue du 1er juin 1890.

[66] TATISCHEFF, Nouvelle Revue du 1er juin 1890.

[67] Correspondance, 12821-12827.

[68] VASSILTCHIKOFF, IV, 367-381.

[69] Correspondance, 12813.

[70] Correspondance, 12819.