L'AVÈNEMENT DE BONAPARTE

LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE - 1800

 

CHAPITRE XII. — PENDANT LA CAMPAGNE.

 

 

I

Sous le ciel des Alpes, ciel variable, tantôt chargé de neige et tantôt tourmenté d'orages, l'armée de réserve prononçait son mouvement. Le Saint-Bernard était assailli. Fantassins à la file, cavaliers tirant leur monture par la bride, officiers et gradés, ouvriers d'artillerie, paysans soldés, gravissaient les pentes, et toute cette fourmilière s'attaquait au géant. Par une gorge abrupte, par un âpre couloir montant, l'armée s'élevait à la région des mousses et des lichens, à la région des neiges, et atteignait le chaos des grandes cimes ; sur les sentiers glissants, sous les rafales glacées que le vent lui poussait au visage, elle peinait, souffrait, haletait. Le passage de l'artillerie présentait des difficultés inouïes. Il fallait démonter les affûts, coucher les pièces dans des troncs d'arbre évidés et les traîner à bras d'hommes. Une pièce mettait deux jours à passer, et les caissons, ces maudits caissons[1], donnaient encore plus de mal. Une division ne voulait pas se séparer de son artillerie et préférait passer en deux jours, bivouaquant dans la neige. Lorsque la montée était trop rude, l'escarpement trop difficile, on marchait comme à l'assaut ; les tambours battaient la charge, la musique jouait, et les républicains passaient.

Le 24 floréal-16 mai, Lannes avec l'avant-garde avait franchi le col, dépassé l'hospice et occupé Aoste, d'où il avait débusqué un détachement croate. Depuis trois jours, le gros de l'armée travaillait à le suivre. Bonaparte établi au pied des monts, à Martigny, et se préparant lui-même à passer, activait le mouvement. Il espère surmonter l'obstacle par un effort d'ingéniosité méthodique et de volonté ardente. Il se rend compte néanmoins des difficultés de sa dure entreprise. Avec sa disposition d'esprit à tout se représenter sous forme vivante et sensible, il donne une personnalité au Saint-Bernard ; il en fait un grand être formidable, qu'il faut à tout prix terrasser. Par trois fois, il emploie dans sa correspondance cette épique et singulière façon de parler : Le Saint-Bernard est étonné de voir tant de monde et si brusquement le franchir. Il s'est opposé tant qu'il a pu au passage de nos pièces de huit, et surtout de nos caissons ; cela était nouveau pour lui. Depuis Charlemagne, il n'avait vu une armée aussi nombreuse[2].

Derrière la montagne, voici qu'un autre obstacle surgit. Dans l'étroite vallée où la Dora Baltea écume et se tord, les demi-brigades qui ont passé se heurtent au fort de Bard, occupé par une garnison autrichienne et commandé par un officier énergique. Ce fort tient sous le feu de ses canons la route que l'on doit nécessairement suivre pour atteindre la plaine. On essaye de s'en emparer par bombardement et escalade ; il résiste, et cet infime obstacle suffit à transformer la vallée en cul-de-sac, bouche l'issue, met en péril l'opération tout entière.

D'affligeants avis arrivaient d'autres lieux. Un courrier venait d'annoncer un lointain écroulement : l'Égypte perdue, Kléber signant la capitulation d'El-Arish. Sur le littoral français, le département des Alpes-Maritimes est en proie à l'ennemi ; les Autrichiens ont forcé le col de Tende ; Suchet se maintient péniblement sur le Var. Derrière lui, le Midi royaliste frémit ; dans l'Ardèche et Vaucluse, les guérillas s'enhardissent, et il se forme un noyau de Vendée[3], contre lequel le général Férino ne peut employer qu'une faible infanterie. Dans le Nord, au delà du Rhin, Moreau avec sa grande armée a repoussé l'ennemi à Engen, à Mœsskirch, mais il ne se presse pas d'envoyer à Moncey, sur le Gothard, un nombre de troupes suffisant pour faciliter notre descente en Italie.

Malgré la fermeté d'âme et la vaillance d'humeur dont il fait preuve, Bonaparte se sent dans une passe obscure, tourmentée, critique, au bout de laquelle il n'aperçoit pas encore le point de lumière, et dans la partie qu'il hasarde, la France encore plus que l'Italie est l'enjeu. S'il ne force l'accès de l'Italie, la France désenchantée peut le renier. Dans les ténèbres où il marche, s'il bronche, s'il trébuche, mille ennemis embusqués par derrière vont fondre sur lui : Jacobins, royalistes, rebelles, traîtres, jaloux ; les intrigants de Paris, les Chouans du Midi et de vingt autres provinces, l'Ouest qui recevra de ces événements une secousse générale[4], et de plus loin les escadres britanniques dont la forme se dessine vaguement dans les brumes de l'Atlantique et de la Manche, ces flottes qui s'approchent de nos côtes pour v jeter la guerre civile. Dès à présent, les à-coups de la marche à travers les Alpes, les revers essuyés ailleurs peuvent retentir fâcheusement sur l'intérieur. L'heure est propice aux défaillances, aux infidélités, aux écarts. Bonaparte le sait, et quand on le croirait tout entier à son rôle de conducteur d'armée, à son incessant travail militaire, il regarde constamment derrière lui, vers les hommes qui ont mission de lui garder Paris et la France.

Avec ce mélange de rouerie et de grandeur que nul ne posséda au même point, il les cajole tous et les stimule, pique leur amour-propre, entretient leur zèle, affecte envers chacun d'eux une particulière confiance ; il tache de retenir les dévouements et de raviver les énergies, d'étreindre toutes ces forces disparates, de resserrer le faisceau.

Il écrit affectueusement aux Consuls : J'espère dans quinze jours être de retour à Paris. Au reste recevez mes compliments sur la tranquillité de Paris[5]. A Mortier, qui a succédé à Lefebvre dans le commandement de la 17e division militaire : Grâce à votre activité et à votre surveillance, je suis tranquille sur Paris[6]... Il s'intéresse à la santé de tout le monde, à celle de Talleyrand, à celle de Lebrun. Talleyrand a été malade : Je désire fort apprendre que vous êtes parfaitement rétabli et que vous êtes débarrassé de vos vilains médecins... J'ai appris avec bien du plaisir que vous étiez sorti[7]. Le général Lefebvre souffre d'une ancienne blessure : Dites à Lefebvre qu'il se dépêche de se guérir de son bras[8]. A l'adresse de Fouché, ce ne sont que compliments, flatteries et douceurs : La réponse à toutes les intrigues, à toutes les cabales, à toutes les dénonciations, sera toujours celle-ci, c'est que, pendant le mois que j'aurai été absent, Paris aura été parfaitement tranquille. Après de tels services, on est au-dessus de la calomnie et, auprès de moi, cette épreuve n'était pas nécessaire et ne peut rien ajouter à la confiance entière que j'ai en vous[9]. Il n'est pas jusqu'au citoyen Abrial, l'effacé ministre de la justice, qui n'ait sa part de gâteries : J'espère effectivement être de retour à Paris dans le courant de prairial. Ce ne serait pas toutefois mes sollicitudes sur votre ministère qui pourraient accélérer mon retour ; ma confiance dans tout ce que vous faites et dans vos décisions judiciaires est, vous le savez, bien entière ?...[10]

Quoi qu'il en dise, il lui faut veiller à tout, penser à l'armée de l'Ouest qui a besoin de 500.000 francs pour aligner la solde, penser à Joséphine qui réclame de l'argent : Je te prie de donner 30.000 francs à ma femme, écrit-il Joseph qu'il a institué trésorier de la famille[11]. Afin de retenir Bernadotte nouvellement réconcilié, il envoie un mot de souvenir pour sa femme : Mille choses aimables à Mme Bernadotte, si elle est à Brest[12]. Écrivant au mari, il termine ainsi sa lettre : Je vous salue et je vous aime[13].

Aux autres commandants d'armée, il essaie de communiquer sa propre énergie ; il leur adresse des paroles fortes qu'il enveloppe de délicats compliments. Avec quel empressement il félicite Moreau de ses nouveaux succès : Vous venez d'illustrer les armes françaises par trois belles victoires ; cela abattra un peu l'orgueil autrichien. C'est un préambule pour demander que Moreau ne diffère plus l'envoi sur le Cothard des troupes promises : Vous voyez les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Le succès de la campagne peut dépendre de la promptitude avec laquelle vous opérerez la diversion demandée. Si elle s'exécute d'un mouvement prompt, décidé, et que vous l'avez à cœur, l'Italie et la paix sont à nous. Je vous en dis déjà peut-être trop. Votre zèle pour la prospérité de la République et votre amitié pour moi vous en disent assez[14].

Il conjure Suchet de tenir bon sur le Var, de réprimer les malintentionnés ; le mouvement par le Saint-Bernard va nécessairement le dégager ; le secours approche, il arrive. Avec Masséna bloqué dans Gênes, il est difficile de communiquer ; Bonaparte tâche de lui faire passer un billet : Vous êtes dans une position difficile, mais ce qui me rassure, c'est que vous êtes dans Gênes ; c'est dans des cas comme ceux où vous vous trouvez qu'un homme en vaut vingt mille. Je vous embrasse[15]. Il apprend que Desaix sorti d'Égypte vient de débarquer à Marseille ; vers ce lieutenant préféré, vers cet ami qui lui revient, c'est un sincère élan de cœur : Enfin, vous voilà arrivé : une bonne nouvelle pour toute la République, mais plus spécialement pour moi qui vous ai voué toute l'estime due aux hommes de votre talent et une amitié que mon cœur, aujourd'hui bien vieux et connaissant trop profondément les hommes, n'a pour personne... Venez, le plus vite que vous pourrez, me rejoindre où je serai[16].

Le 29, après avoir reçu son courrier de Paris, il se décide à passer lui-même le Saint-Bernard et couche à Étrouble, sur le versant piémontais. Bard tient toujours. L'infanterie réussit à tourner l'obstacle par des chemins de chasseurs, la cavalerie par un sentier si effrayant que les gens du pays même n'osent pas y faire passer les mulets[17]. Sans artillerie, Lannes intrépide se lance en avant et s'empare d'Ivrée, qui nous assure un débouché en plaine, mais il réclame instamment des munitions et des canons.

Finalement, après plusieurs essais infructueux, on arrive à faire passer sous le fort de Bard six pièces une à une, nuitamment et par divers stratagèmes. Quelques-unes passent ou plutôt glissent silencieusement sur un lit de paille, les roues étoupées de foin. Le gros de l'artillerie, avec ses munitions, reste buté à l'obstacle. C'est avec six pièces d'artillerie en tout que l'armée doit entreprendre ses opérations de grande guerre, se dégager complètement des montagnes, se porter sur Milan, se relier aux troupes de Moncey et à la ligne du Gothard, refouler les corps ennemis qui lui disputent les derniers contreforts des Alpes et le passage des rivières[18].

D'Aoste, d'Ivrée, des bords de la Sésia et du Tessin, de chacun de ces points marqués par une lutte obscure, par un obstacle brisé, Bonaparte se retourne vers Paris sans cesse, surveille l'esprit public et tâche de le maîtriser. Durant ces jours où, suivant son expression, il est en mouvement perpétuel[19], où il lui faut presser l'arrivée des approvisionnements, remettre ses divisions en ordre et en assurer la progression à travers un enchevêtrement de montagnes où roule la fusillade, à travers les bois et les ravins fourmillants de partis ennemis, il trouve le temps de composer ou d'inspirer des articles pour les journaux de Paris.

Journaliste, il l'était dans l'âme. Nul n'eut davantage le goût, la passion, l'art d'agir sur l'opinion, de l'éblouir et de lui en imposer. Pour lui parler, il employait alors trois organes. Et d'abord n'est-ce pas un journal, un véritable journal, que ce bulletin de l'armée de réserve qu'il se met à dicter périodiquement après le passage, à destination des camps et de la France, et qui sera le précurseur des bulletins de la Grande Année ? C'est le journal gratuit, le journal pour tous, spécialement pour les humbles, les troupiers, les artisans, les campagnards ; celui qui doit se mettre au niveau des intelligences le, plus simples et eu même temps faire vibrer les cœurs, intéresser aussi et récréer : le journal excitant et le journal amusant. On y trouve le récit des opérations militaires à la fois simplifié et dramatisé ; puis, l'anecdote typique, le détail, le pittoresque. C'est comme une façon de mettre la description d'une campagne en images pour tous, fortement coloriées, avec des traits et des tons qui accrochent le regard et s'impriment dans la mémoire populaire.

A lire le récit du transport de l'artillerie par le col du Saint-Bernard. on croit voir littéralement la chose. Plus loin, voici des traits épiques et des discours à la romaine : Le premier Consul a dit à la 28e de ligne : Voilà deux ans que vous passez sur les montagnes souvent privés de tout, et vous êtes toujours à votre devoir sans murmurer. C'est la première qualité d'un bon soldat. Te sais qu'il vous était titi, il y a huit jours, huit alois de prêt, et que cependant il n'y a pas eu une seule plainte. Le premier Consul a ordonné, pour preuve de sa satisfaction de la bonne tenue de cette demi-brigade, qu'à la première affaire elle marcherait à la tète de l'avant-garde[20].

A tourner le feuillet, nous trouvons des descriptions de pays et des faits divers. Plus tard, il sera question des concerts qui se donnent à Milan et de la musique italienne, qui a un charme toujours nouveau[21]. Ce sera l'article Spectacles, et voici le mot pour rire : Les soldats autrichiens prisonniers disent qu'on leur avait assuré que le général Bonaparte serait venu à l'armée commander les Français, mais qu'il avait été fait premier ministre à Paris, et que les ministres ne vont pas se battre[22].

Le 15 prairial, en guise d'illustration comique, ou insère au bulletin la description minutieuse et comme la reproduction des caricatures que les Autrichiens avaient répandues sur l'armée de réserve, avant de la connaître : La cavalerie était montée sur des ânes, l'infanterie composée de vieillards invalides et d'enfants armés de bétons avec des baïonnettes an bout ; l'artillerie consistait en deux espingoles du calibre d'une livre. Ils commencent à bien changer de langage.

Le Moniteur servait aux communications officielles et à leur commentaire. Du fond des Alpes, Bonaparte en surveille assidûment la rédaction, confiée à Maret, et indique la note à donner, ce qu'il faut dire, ce qu'il faut celer. Tant qu'on n'avait pas eu de résultats majeurs à publier, il lui avait paru bon de n'annoncer aucune nouvelle, à moins que cela ne fût très nécessaire[23]. Plus tard, il a permis d'insérer deux petites relations pour étancher la soif du public[24] ; ensuite, la série des bulletins et des rapports. Entre temps, il a composé lui-même le canevas d'un article destiné à expliquer les événements d'Égypte et naturellement à démontrer que, s'il eût été sur les lieux, cette superbe colonie serait encore à nous[25]. Il charge Lebrun, l'homme de lettres du gouvernement, de mettre cet article en forme sans y rien changer pour le fond.

Il ne lui parait pas moins urgent de démentir les faux bruits et d'en ridiculiser les auteurs. Quelques journaux se mêlent de le faire parler, citent une prétendue lettre à sa mère où il aurait annoncé à date fixe son entrée dans Milan : Cela ne peut être dans mon caractère. Bien souvent, je ne dis pas ce que je sais, mais il ne m'arrive jamais de dire ce qui sera. Je désire que vous fassiez mettre à ce sujet une note dans le Moniteur, sur le ton de la plaisanterie[26].

A. côté de la publicité officielle, il a organisé la publicité officieuse. Comme Talleyrand dispose de plusieurs journaux, c'est lui qui reçoit l'ordre d'y faire paraitre des articles destinés à paraphraser et à renforcer ceux du Moniteur. Mais Bonaparte, depuis quelque temps, avait mis lui-même la main à une entreprise de presse. En germinal, un assez mauvais journal, celui des Défenseurs de la patrie, n'avait échappé à la suppression qu'en se livrant à Lagarde, secrétaire général des Consuls[27]. Pour la rédaction, Lagarde s'associa Bourrienne, le secrétaire intime, et ce fut désormais à la porte même du cabinet consulaire que le journal se fit, avec la collaboration directe ou indirecte du maître.

Ce maître en viendra, lui si avare de son écriture, à griffonner de sa propre main un entrefilet relatif à un mouvement de troupes, une note que Lagarde aura toutes les peines du monde à déchiffrer et pour laquelle il devra recourir à Bourrienne[28]. Un jour, ce sera un article à sensation : Le premier Consul a passé une partie de la nuit d'avant-hier à hier à faire l'article dont on a lié les diverses parties dans le travail qu'on a fait aujourd'hui.

A présent, pendant la campagne, Lagarde resté à Paris et Bourrienne attaché au quartier général se tiennent en communication journalière. Bourrienne expédie presque quotidiennement à l'autre un petit bulletin puisé à la source directe et le gratifie de cette primeur. Il lui transmet l'impression du Consul sur le journal : Le premier Consul a été content du journal ; il me l'a dit hier soir ; le premier Consul a promis formellement de soutenir le journal par la prise d'un certain nombre d'abonnements ; il le soutiendra envers et contre tous, pourvu qu'on sache mordre sur le public : Marchons bien, travaillons pour la chose, et ne vous inquiétez de rien ; avec un homme tel que le premier Consul il ne faut que réussir. Mais Lagarde a des ennuis ; les anciens propriétaires du journal contestent ses droits et lui intentent des procès. Au plus fort de la campagne, Bonaparte écrira à ses collègues : Voyez à mettre fin à tout cela[29]. C'est Lagarde, d'autre part, qui se fait le transmetteur des divers journaux et les expédie en paquet au quartier général. Bonaparte est ainsi tenu au courant de tous les incidents de la vie parisienne ; de chacune des étapes de sa marche aventurée, il les suit et au besoin y prend part.

L'incident du jour, c'était une tempête autour de l'Institut, remuant de fâcheux souvenirs el d'anciennes discordes. Après le coup d'État directorial du 18 fructidor, l'Institut avait eu la faiblesse d'exclure de son sein et de remplacer ceux de ses membres inscrits sur la liste de déportation. Aujourd'hui que ces citoyens recommandables à tant de titres avaient été rendus à la patrie, la proscription littéraire, pour parler comme les journaux, devait-elle survivre à la proscription politique ? Dans un généreux mouvement, Lisle de Salles avait demandé à ses confrères la réintégration des fructidorisés ; l'opinion se prononçait dans le même sens et pressait l'Institut de rétracter ses longues erreurs[30] : est-ce que ce corps ne pouvait s'incliner devant la justice réparatrice de Bonaparte, s'étant incliné devant Barras, Rewbell et Larevellière-Lépeaux ?

La question se posait pour quatre des anciens fructidorisés, Pastoret, Fontanes, l'abbé Sicard et Barthélemy, et elle se compliquait d'une difficulté légale. La loi du 3 brumaire an IV, charte organique de l'Institut, avait fixé limitativement le nombre des membres à cent quarante-quatre ; la réintégration des proscrits le porterait à cent quarante-huit, chiffre illicite. L'Institut biaisa et rit un moyen terme. Réuni en séance plénière, il décida que Pastoret, Sicard, Fontanes et Barthélemy, en attendant d'être renommés aux premières places vacantes, auraient droit d'assister aux séances et y seraient convoqués par écrit.

Celte façon de les mettre à la suite ne leur parut pas compatible avec leur dignité. Dans une lettre très mesurée, ils repoussèrent la demi-réparation qu'on leur offrait. Saisi de leur lettre, l'Institut s'assembla de nouveau ; la séance fut à tel point troublée de violences qu'elle parut renouveler les orages parlementaires. Lisle de Salles réclama un vote au scrutin secret sur cette question de principe : Un membre de l'Institut, légalement élu, peut-il être privé de sa place ? Malgré un noble discours de Legouvé, une majorité passionnée réclama bruyamment et fit prononcer la question préalable. Quelques membres ayant ouvert l'avis de s'adresser aux pouvoirs publics pour qu'ils tranchassent la difficulté au moyen d'une loi, la réunion crut devoir passer à l'ordre du jour[31]. Ces résolutions furent vivement critiquées, et un journal, l'Ami des lois, lança contre l'Institut une furieuse diatribe.

L'Institut étant corps constitutionnel, partie intégrante de l'État, Cambacérès et Lebrun jugèrent à propos de sévir ; sur rapport du ministre de l'intérieur, le journal fut bel et bien supprimé. Le plus curieux est que Bonaparte, instruit de ces incidents, désapprouva la mesure de rigueur et donna très spirituellement à ses collègues, à ses ministres, une leçon de libéralisme. Il persistait à ménager la presse, l'opinion, et au fond tenait-il à ce que l'Institut, ce parlement d'idéologues, avec lequel il se sentait déjà en sourd désaccord, fût déclaré intangible ? Il écrivit donc aux Consuls pour déclarer l'Institut supérieur aux attaques et par cela même tenu de les négliger ; dans sa lettre pleine de désinvolture, il est difficile de ne pas voir un chef-d'œuvre de malicieuse hypocrisie :

Le rapport du ministre de l'intérieur, pour la suppression de l'Ami des lois, ne me parait pas du tout fondé en raison. Il me semble que c'est rendre l'Institut odieux que de supprimer un journal parce qu'il a léché quelques quolibets sur cette société qui est tellement respectée en Europe, qu'elle est au-dessus de pareilles misères. Je vous assure que, comme président de l'Institut, il s'en faut peu que je ne proteste. Qu'on dise, si l'on veut, que le soleil tourne, que c'est la fonte des glaces qui produit le flux et le reflux, et que nous sommes des charlatans ; il doit régner la plus grande liberté[32].

 

II

Malgré cette intervention continue et cette vigilance qui s'exerçait de loin, les partis se remuaient davantage au fond de Paris, sans que leur agitation parût à la surface, et poussaient leurs mines.

Les royalistes d'action reprenaient courage, depuis que la police avait laissé Hyde et sa bande lui filer entre les doigts. On commençait, il est vrai, a soupçonner le rôle joué par le chevalier de Coigny ; un mandat d'arrêt fut lancé contre lui, mais cet incident ne fit que manifester les influences occultes qui paralysaient encore l'action de la police. Pour se préserver. Coigny contesta d'abord son identité, puis fit appel à des relations qu'il possédait en très haut lieu, et ces puissances intervinrent. Fouché sut que Joséphine s'intéressait fortement au sort du chevalier ; il n'en put plus douter en recevant du général Morand, commandant de la place, ce billet extraordinaire et presque comminatoire, à la date du 25 floréal : Citoyen ministre, ci-joint la demande du citoyen Coigny. Veuillez donner les ordres les plus prompts au préfet de police pour suspendre le mandat d'arrêt lancé contre lui, comme vous me l'ayez promis hier soir. Mine Bonaparte y prend le plus vif intérêt. Salut et considération. Morand[33]. Fouché tenait essentiellement à tirer Joséphine de son côté dans la lutte acharnée qu'il avait à mener contre toute une partie du gouvernement ; Coigny n'alla pas au Temple. Il semble qu'on lui promit de ne point l'inquiéter sous la condition qu'il s'engagerait d'honneur à se tenir tranquille ; Morand se porta garant de celte espèce de traité et prit chez lui comme en dépôt le chevalier[34]. Étrange situation que celle de ce gouvernement consulaire, présenté dès ses débuts comme le type du pouvoir fort, homogène, maitre de ses décisions, et où la femme du premier magistrat intervenait, d'accord avec un officier général, pour soustraire aux rigueurs légales un chef de conspirateurs !

La trame ourdie par Hyde, Coigny et leurs associés, n'en était pas moins rompue, mais d'invisibles mains s'avançaient dans l'ombre pour la renouer, pour reprendre le permanent complot. L'explosion devait toujours concorder avec l'insurrection de l'Ouest ; c'est de ce côté que nous arrivent d'irrécusables indices.

Georges, plein de ses vastes projets, venait de quitter l'Angleterre et de se rejeter dans le Morbihan en boutefeu ; rôdant à travers le pays, il voyait ses gens, expédiait au loin des avis, faisait passer depuis la Normandie jusqu'en Vendée le mot d'ordre : insurrection générale dès que le Bourbon attendu et le secours d'Angleterre auraient paru. II communiquait en même temps avec Paris et comptait y opérer par procuration l'attentat qu'il essaierait plus tard de commettre en personne.

D'après les bruits qui couraient, il s'imaginait que Bonaparte allait rentrer prochainement à Paris, après une campagne peu décisive, sans être préservé et sacré par la victoire ; il ne doit v rentrer que pour tomber dans l'embuscade royaliste. Une lettre écrite le 30 prairial-19 juin par Georges au ministre anglais Grenville montre où en était l'ensemble de l'entreprise : Tout est prêt ; j'ai parlé à tous les chefs ; ils sont en mesure... L'insurrection éclatera dans tout l'Ouest et même dans une partie du Midi, avec laquelle nous correspondons. Les royalistes de l'Anjou, du Poitou, du Maine, réunis à la grande armée, peuvent espérer le plus grand succès, surtout si l'on n'a pas manqué le coup essentiel à Paris. Le premier Consul y arrivera au premier jour. Il est de la dernière conséquence de s'emparer le plus promptement possible de ce personnage. J'envoie à Paris pour savoir dans quelle position sont ceux qui se sont chargés de cette opération. J'ai une soixantaine d'hommes à coup de main que je leur propose. S'ils ont de l'énergie, ils réussiront, et alors le succès de la grande entreprise est assuré...[35]

Quels étaient les hommes chargés à Paris de l'opération, selon le mot de Georges. Dans une autre lettre, Georges cite parmi les personnes désignées pour passer de Londres à Paris, Hyde de Neuville, dont il n'était plus question, et le marquis de Rivière, ancien capitaine des gardes. Il est certain que le marquis de Rivière fit alors à Paris un mystérieux voyage, désapprouvé par Louis XVIII[36]. Faut-il rapprocher de ce voyage certains faits découverts par la police, la présence signalée à Paris et surtout aux environs d'un grand nombre d'officiers et de militaires d'ancien régime, animés des plus mauvais desseins : On est instruit positivement qu'il est arrivé de Hambourg à Paris une cinquantaine de chevaliers ou cadets ci-devant dans les maisons du Roi et d'Artois, gens d'exécution. Des personnes bien instruites prêtent à ces chevaliers le projet d'une entreprise sur la personne du premier Consul. On apprend aussi, par une autre voie, que des individus de la ci-devant maison militaire du Roi et des princes sont disséminés tant à Paris qu'à Franciade (Saint-Denis), Saint-Cloud, Meudon, qu'ils se communiquent et s'entendent à l'effet de tenter d'enlever le premier Consul, etc. En restreignant ces renseignements à la mesure de confiance qu'ils méritent, la police n'en a pas moins pris tous les moyens de surveillance nécessaires[37].

Plus dangereux sans doute que ces conspirateurs suburbains étaient quelques-uns des Chouans déjà introduits dans Paris. L'un des chefs, Bruslart, homme à figure énergique, à barbe noire qui lui mangeait le visage, s'était juré de venger Frotté, dont il avait été le lieutenant et l'ardent ami ; ce dessein serait désormais le but et la passion de sa vie. Il avait emmené avec lui à Paris quelques-uns de ses compagnons de guerre et d'aventures, qu'il avait absolument fanatisés. Une bande, une légion de vengeurs de Frotté se formait obscurément. L'un d'eux, Pivet de Boëssulan, arrêté sous l'Empire pour attaque de diligences, ferait ces aveux rétrospectifs : Je confesse ici que tels étaient l'aveuglement et le fanatisme de ma jeunesse (à présent trente et un ans), que j'aurais fait tout ce qui m'aurait été ordonné. Peu après notre pacification, Bruslart étant à Paris avait le projet formel d'enlever le premier Consul avec une petite troupe. Je lai toujours entendu depuis regretter de n'avoir pu faire effectuer ce coup et emmener l'Empereur (sic) jusqu'à la côte de Caen par le moyen de nos intelligences sur toute cette côte[38]. Bruslart lui-même avouerait plus tard qu'il était entré dans un complot ayant pour but d'attaquer Bonaparte au milieu de son escorte, un jour où il irait à la Malmaison, sauf à le tuer dans le combat s'il n'y avait pas moyen de l'enlever[39].

C'était à des gens de cette trempe que Georges proposait un renfort de Chouans à insinuer dans la ville, quelques compagnons de premier choix. Déjà dans son Morbihan, il s'occupait à les choisir et à les trier ; ils iraient vers Paris par sentiers couverts, sous bois, s'abritant çà et là dans des fermes, dans des maisons amies, dans les lieux d'asile qui jalonnaient le parcours. De gîte en gîte, ils se glisseraient et ramperaient jusqu'aux approches de Paris, pour s'y lever en furieux agresseurs. Parmi eux était Saint-Piégeant, l'un des futurs auteurs de la machine infernale[40]. Pour le moment, il ne s'agissait que de préparer sur le chemin de la Malmaison le guet-apens, l'embûche, la trappe qui, s'ouvrant subitement sous les pas-du Consul, l'engloutirait.

Les bas Jacobins de Paris travaillaient de leur côté. Dans divers quartiers, ils se rencontraient le soir au coin des rues, échangeaient des signes de reconnaissance, puis s'enfournaient dans des locaux obscurs ; ils variaient continuellement le lieu de leurs réunions, pour dépister les soupçons. On leur prêtait maintenant des chefs assez notables, Félix Lepelletier, Antonelle, Briot ; ceux-là disait-on, dînaient ensemble, s'échauffaient le verre en main, déclaraient impossible de vivre plus longtemps sous la tyrannie : Qu'il fallait se réunir et qu'on en viendrait à bout ; qu'alors chacun serait bien placé[41]. Une portion du parti se composait d'officiers de la Révolution mis en réforme et exaspérés de cette mesure, car le Consulat eut ses officiers à la demi-solde qui traînaient dans Paris leur houppelande minable, leurs bottes éculées, et exhalaient leur rancœur. Quelques-uns songeaient à employer au profit du jacobinisme le procédé chouan : D'anciens militaires, réunis à quelques Jacobins forcenés, conçoivent le projet de tuer Bonaparte sur la route de sa campagne de la Malmaison[42]. Sans attendre son retour, d'autres forcenés ne jugeaient pas impossible de le frapper au milieu même de l'armée et pendant la campagne. La police avait signalé le départ d'un individu suspect pour Dijon, d'où il comptait se rendre à Genève[43]. Le gros du parti s'en tenait à des projets informes d'insurrection et d'attentat.

 

III

Loin des deux partis tranchés, royaliste et anarchiste, un troisième existe. Il n'est pas à l'extérieur du gouvernement, il est au dedans. Recruté dans le haut personnel législatif, pourvu des meilleures places, aspirant à s'y consolider, il se tient à l'état d'observation et d'attente ; c'est celui qui n'annonce pas ses intentions, celui qu'on ne sait comment nommer : l'autre.

Tous les rapports de la police préfectorale vont pourtant le désigner d'un nom ; ils l'appelleront quotidiennement : le parti orléaniste. Ils y placent Sieyès et, à ses côtés, des tribuns, des députés, des sénateurs : tous orléanistes. D'une locution passée en usage depuis le début de la Révolution et en quelque sorte traditionnelle, doit-on induire que Sieyès et ses amis eussent lié partie avec un prince de la branche cadette, avec un Bourbon à côté, pour le substituer à Bonaparte[44] ? Chez eux, il y avait moins dessein arrêté que velléité permanente, orientation commune de désirs et de tendances, état d'esprit.

Rœderer les qualifiait assez justement de brumairiens mécontents. Ce que l'on aperçoit en effet, c'est toujours la sourde révolte du vrai parti brumairien contre l'homme de Brumaire. Parmi les politiques qui avaient conçu l'opération de force, avant le retour d'Égypte, plusieurs envisageaient comme but final l'établissement (l'une royauté constitutionnelle par substitution de branche ou de dynastie[45] ; en dehors d'un roi couronné de leurs mains, subordonné à leur influence et pourtant reconnu par l'Europe, ils n'apercevaient point de garantie permanente et stable pour l'oligarchie révolutionnaire ; pour finir la Révolution, dirait plus tard un homme exprimant l'opinion de toute une classe, il faut un roi créé par elle[46]. L'entreprise préparée au profit d'un parti et presque d'une caste, Bonaparte la faisait dévier au profit de ses ambitions personnelles et aussi de toutes les classes ; c'est pourquoi quelques-uns de ses anciens auxiliaires songeaient maintenant à reprendre sans lui et contre lui la conception primitive, à suborner un prince de sang royal. Subissant le Consulat, ils appelaient de leurs vœux un régime moins despotique et plus exclusif, moins national et plus parlementaire, moins brillant et plus paisible ; au parvenu hasardeux qui risquait sans cesse la fortune de la France révolutionnaire, ils voulaient faire succéder un prince qui se déclasserait pour leur servir d'instrument et faciliter leur paix avec l'étranger ; au dictateur dont ils dépendaient, un roi qui dépendrait d'eux. Ces hommes d'arrière-pensée se posaient simplement aujourd'hui en détracteurs du despotisme naissant ; ils attiraient ainsi à eux des républicains attristés, des libéraux convaincus, qui désespéraient un peu plus tous les jours de faire coexister Bonaparte et la liberté.

Parmi ces mécontents et ces prévoyants, nul ne songeait à s'insurger ouvertement contre Bonaparte, à le renverser par violence ; plusieurs désiraient sincèrement que sa main forte continuât quelque temps encore de régir la France, car ils l'estimaient nécessaire pour déblayer et préparer le terrain. Seulement, il ne leur échappait pas que le Consul, à monter plus haut, s'exposait davantage : que la haine des légitimistes déçus et des bas Jacobins s'exaspérait ; que des poignards s'aiguisaient dans l'ombre. Sans vouloir participer à la besogne brutale, le tiers parti la faisait entrer dans ses calculs et tenait à en accaparer le bénéfice.

Aujourd'hui, il juge nécessaire d'aviser plus positivement, puisque Bonaparte s'est lancé dans une formidable aventure et court de lui-même au-devant du danger. S'il force les Alpes, s'il descend en Italie, quel sort l'y attend ? La victoire peut-être, c'est-à-dire la confirmation de son pouvoir par coup d'éclat ; peut-être la halle ennemie on traitresse, qui n'a pas épargné Joubert ; peut-être la défaite qui n'a pas épargné nos meilleurs généraux et qui rompra le charme par lequel le Consul tient la France ensorcelée. Bonaparte mort ou vaincu, c'est la vacance du pouvoir immédiate ou prochaine ; donc, il faut s'organiser à tout événement et pourvoir à l'éventualité.

Le groupement se resserre. Les membres des anciennes commissions intermédiaires, ceux qui s'intitulaient volontiers entre eux les conjurés du 18 brumaire[47], quoique répartis entre le Sénat, le Tribunat et le conseil d'État, avaient su garder le contact et ne pas se perdre de vue. Le 19 de chaque mois, ils se réunissaient dans un diner commémoratif, qui était presque une institution[48]. Maintenant, eu lieu discret, à Auteuil, dans ce village verdoyant et tranquille où vit une petite colonie d'idéologues, ils tiennent des conciliabules. Comme ils se font honneur d'avoir six mois auparavant sauvé la chose publique, ils se jugent sur leur œuvre un droit de surveillance et de suite ; ils se forment en comité de prévoyance.

Hommes d'assemblée et de tribune, ils dissertent, confèrent. Il n'est pas temps encore de produire la solution définitive que certains ont en vue, la solution pseudo-monarchique. L'essentiel est de désigner dès à présent un successeur éventuel, un remplaçant de passage, qui rassure et rallie la majorité des révolutionnaires nantis.

Si Bonaparte disparaissait d'une façon quelconque, on se retrouverait à peu près dans la même situation qu'avant Brumaire, avec cette différence que l'on disposait dune administration reconstituée et d'une légalité plus forte. Avant le débarquement de Bonaparte, Sieyès et ses amis avaient recherché l'alliance de deux hommes alors proscrits, mais dont le nom restait notable, Carnot et La Fayette. Le premier était aujourd'hui ministre de la guerre, le second rentré en France et disponible. Il était naturel que leurs noms reparussent et fussent prononcés en vue de la magistrature suprême : On a balancé entre C... et L. F... Je ne sais si le grand prêtre (Sieyès) se décidait pour l'un ou pour l'autre ; je crois qu'il les jouait tous deux pour un d'Orléans[49]. Il paraît que Carnot rallia la majorité des suffrages ; ce choix d'ailleurs était le plus raisonnable.

Parallèlement à cette intrigue collective, une autre se mène, dans des milieux avoisinants. Le tiers parti avait ses dissidents, rebelles à l'influence de Sieyès et de son groupe. Ceux-là s'occupaient également du successeur à désigner, recherchaient une solution moyenne, mais espéraient la trouver dans le principat de l'un des frères de Bonaparte, dans une sorte d'hérédité consulaire. De même qu'avant. le retour d'Égypte, on voit reparaître, distinct de Sieyès et de ses affidés, le parti des frères, caressant la chimère d'un gouvernement bonapartiste sans Bonaparte.

Lucien fait l'indépendant, tantôt s'isole et tantôt se prodigue, s'enferme en son château du Plessis pour pleurer sa femme récemment décédée, revient à Paris surveiller la coterie d'Auteuil, refuse de travailler avec les Consuls et les fatigue de son indiscipline. Il s'est néanmoins attaché tant de personnes que plus tard Bonaparte, lors de sa brouille avec lui, s'étonnera de trouver dans l'administration, dans les états-majors et jusqu'à l'étranger, tout un parti de Lucien[50]. Se faire suivant les cas copartageant ou héritier du pouvoir, c'est à quoi tend toute la manœuvre de Lucien depuis Brumaire, et qui percera jusqu'au fond de ses troubles intrigues ?

Dans la famille, Joseph représentait spécialement l'élément libéral et parlementaire. Il cultivait les hommes de lettres, recherchait les orateurs d'opposition, soignait ses rapports avec Mme de Staël. Quelques sénateurs et tribuns voyaient hypothétiquement en lui le Consul de la modération et de la paix. Au commencement de prairial, il part pour rejoindre son frère en Italie ; va-t-il réclamer une désignation éventuelle, une sorte de testament politique ? Une lettre récemment publiée semble avérer en lui ce projet[51]. A Paris, ses amis tenaient en sa faveur des colloques, insinuaient ou sous-entendaient son nom[52].

Une grosse question était de savoir ce que ferait, en cas d'événement, le dépositaire de l'autorité légale, le second Consul investi d'une espèce de régence, Cambacérès. Il paraissait se complaire beaucoup dans la partie honorifique et décorative de son rôle, présidait à la parade du quintidi, traversait la ville en voiture officielle, avec un piquet de grenadiers à cheval ; au reste bon prince, se mêlant à la foule à condition de s'y distinguer, faisant chaque matin sa promenade à pied au Palais-Royal en grand habit et haut tricorne, accompagné de quelques familiers et d'une bande de galopins qui suivaient assez irrévérencieusement la solennelle silhouette. Sous ces dehors dont les Parisiens s'amusaient, Cambacérès était tout circonspection et mystère. En réalité, d'après ses confidences ultérieures, cet homme de haute prévoyance, trop sage pour ambitionner la succession de Bonaparte, trop avisé pour ne pas en régler la dévolution au mieux de ses intérêts, avait fixé son choix, pris ses mesures, assuré ses moyens, mais il gardait impénétrablement son secret.

Parmi les ministres, en dehors de Carnot et de Lucien, deux seulement comptaient, Fouché et Talleyrand. Fouché est alors un abîme d'intrigues. Au milieu de ces ténèbres où se profilent des formes discordantes, peut-on néanmoins se reconnaître, s'éclairer, comprendre ?

Le principal appui de Fouché, c'était le parti démagogue, le parti de l'émeute et de l'action violente, celui qu'il avait depuis Brumaire constamment ménagé, consolé, protégé contre les impatientes justices du Consul. Mais ce parti réduit ne lui donnait pas une base d'opération suffisamment large ; il sentait le besoin de s'adjoindre d'autres auxiliaires. Où les chercher ? Des modérés et des hommes du centre, rien à attendre ; c'étaient eux qui jugeaient la présence de Fouché dans le gouvernement un scandale, une honte, et qui lui jetaient sans cesse à la face son hideux passé. Ils avaient Fouché en horreur ; Fouché les tenait en aversion et en mépris. Au fond, il ne détestait vraiment que ces parleurs, ces éternels délibérants, avec lesquels Bonaparte avait eu le tort, selon lui, d'entreprendre son opération de Brumaire et avait failli la manquer. Plutôt que de se rapprocher de ces vains personnages, il aimerait mieux se chercher des alliés au delà d'eux, plus loin de la Révolution, à l'extrême droite, chez les royalistes d'entreprise.

S'il ne regardait pas à faire fusiller ou assassiner ces royalistes lorsqu'il y trouvait sa sûreté, il ne pouvait s'empêcher d'admirer leur tempérament. Ceux-là du moins étaient des môles, des caractères fortement trempés, et derrière eux se tenait la grosse bande de Chouans qui avait comme transporté l'Ouest à Paris. Parmi les chefs de chouannerie, s'il y avait des énergumènes à surveiller et des fauteurs d'attentat, il en était d'autres dont on pourrait momentanément capter l'énergie. Ils haïssaient par-dessus tout l'orléanisme, et Sieyès était leur bête noire ; en cas de bouleversement, serait-il très difficile de les utiliser en même temps que les républicains à poigne ? Cette alliance des partis extrêmes, cet accouplement monstrueux entre Jacobins et royalistes que certains conspirateurs rêvaient au profit de leur chimère, Fouché l'essayait pour son compte, afin de mettre à ses ordres une double milice.

Il n'avait jamais frappé les Chouans qu'avec discernement. Ses ménagements envers eux devinrent extraordinaires. Bruslart, dans une lettre, se dit franchement hostile à Bonaparte, qui n'a pas puni les assassins de Frotté, mais se déclare enchanté et reconnaissant des procédés du ministre[53]. Contre Georges rentré dans le Morbihan, le premier Consul avait envoyé d'Italie des ordres impitoyables[54] ; par félonie caractérisée, Fouché fit avertir Georges indirectement et lui conseilla de se mettre en sûreté[55] ; vis-à-vis même de cet irréductible, il n'entendait pas encore pousser à bout les rigueurs.

Pour parler à d'autres chefs plus malléables, il disposait d'hommes d'ancien régime et même de grands seigneurs passés à ses gages ; il s'était payé un Montmorency-Luxembourg pour lui servir d'intermédiaire avec les Chouans[56]. L'objet principal de ses entreprises fut Bourmont, ce personnage ambigu qui disposait néanmoins de toute une portion de la chouannerie. Le jardin du ministère et ses calmes ombrages entendirent de curieux entretiens entre Fouché, Montmorency-Luxembourg et Bourmont. Le premier Consul avait taché d'accaparer Bourmont ; le ministre de la police reprenait ce jeu en sous-main et tâchait de soutirer Bourmont au Consul pour l'avoir tout à soi.

Il finirait par lui proposer une association véritable et lui dirait en propres termes : Soyez le chef de tous les royalistes ; livrez-m'en quelques-uns afin de pouvoir mieux protéger les autres, et je vous aiderai à augmenter votre influence sur tous. Je conserve une grande influence sur les républicains prononcés, et si vous vous liez avec moi, nous pourrons disposer à notre gré du sort de l'État, puisque nous disposerons des deux partis où se sont classés tous les hommes de courage. Nous aurons pour adversaires ces imbéciles de modérés, mais vous savez bien que ce sont des poltrons fort peu à craindre...[57] Bourmont stupéfait se méfiait, se récusait un peu ; Fouché lui reprochait alors de ne rien entendre aux hardiesses de la politique et de n'avoir de courage que l'épée à la main[58].

Fouché, si habile à tâter des hommes très divers, à mettre dans son jeu toute sorte de cartes et de couleurs, venait, par comble d'adresse, de s'assurer un gros atout, un général en renom, le plus populaire peut-être de nos guerriers après Bonaparte, l'ex-ministre de la guerre Bernadotte.

On a vu qu'en 1799 Bernadotte s'était fait un instant le coryphée de la défense nationale et s'était placé très haut dans l'imagination des patriotes. Lors du conflit avec les Jacobins du Manège, il s'était heurté à Fouché, qui l'avait durement maté. Après ses faux pas en Brumaire, il était resté à terre, désarçonné. Fouché eut alors l'intelligente magnanimité de tendre la main à cet ennemi tombé, pour s'en faire un ami, et de lui remettre le pied à l'étrier. Bonaparte considérait avec méfiance ce général frondeur et fanfaron ; il n'aimait pas son regard inquiétant, son physique agressif, son profil en bec d'oiseau, son plumage et son ramage. Fouché le rassurait : Une tête d'aigle ! Allons donc ! Une tête de merle[59]. Ce fut Fouché surtout qui ménagea la rentrée en grâce de Bernadotte et lui rouvrit le chemin des hauts emplois. Le secrétaire Villiers du Terrage montre positivement, avant le départ de Bonaparte pour l'armée, Fouché venant, en ennemi généreux, de réconcilier malgré ses anciennes fautes le général Bernadotte avec le premier Consul et de le faire nommer, en peu de jours, conseiller d'État de la guerre et général en chef de l'armée de l'Ouest. S'il concourut à mettre aux mains de Bernadotte la seule force militaire qui restât debout fi l'intérieur, il ne le fit qu'à bon escient.

Reportons-nous maintenant à une série de faits ultérieurs : en 1802, ménagements de Fouché envers Bernadotte conspirateur militaire ; en 1809, leur évidente complicité après Essling, lors de l'ébranlement de la puissance impériale ; leur intimité survivant à la fortune singulière de Bernadotte, à son élection comme successeur des Vasa, aux catastrophes françaises, à 1814, à 1815, et permettant finalement aux enfants de Fouché proscrit de trouver asile auprès du prince royal de Suède. En rapprochant ces points de repère, il est impossible de ne pas reconnaître entre Fouché et Bernadotte une connivence tantôt active, tantôt latente, dont l'origine se découvre dans les services rendus par le premier au second avant la campagne de Marengo. Dès cette époque, tout permet de supposer qu'il y avait entre eux partie liée. Derrière Bonaparte exposé aux chances de la guerre, Fouché tenait en réserve Bernadotte, cet ambitieux qui en Brumaire avait failli se faire le général des Jacobins contre Bonaparte général des modérés. Avec Bernadotte et l'armée de l'Ouest, avec un gros de partisans bigarrés de teintes violentes. Fouché pourrait tenir tète aux blêmes modérés, évincer leur candidat, exécuter au besoin à leurs dépens un coup d'État qui serait comme la contrepartie de Brumaire, pousser Bernadotte à la première place et le gouverner. Ensuite, demandant aux circonstances de lui indiquer la solution finale, il se l'approprierait et l'empêcherait de se faire contre lui en la procurant de sa main.

S'emparer de l'inévitable et le maîtriser, afin de n'avoir pas simplement à le subir, tel était également le but où tendrait toujours Talleyrand, et c'est ainsi qu'après mille évolutions et détours, Talleyrand ferait la première Restauration et Fouché ferait la seconde. Pour le moment, le jeu de Talleyrand était non moins complexe que celui de son rival, plus subtil peut-être et plus nuancé. Talleyrand se tenait en contact avec tout le monde et ne se livrait à personne, afin de rester, quoi qu'il arrivât, l'homme de la situation. Il fréquentait les tribuns et sénateurs d'opposition, renouait avec Sieyès, assistait au dîner mensuel des brumairiens, ménageait la faction dite orléaniste, protégeait les émigrés, entretenait avec les représentants de Louis XVIII des rapports de société, évitait de leur tenir un langage désespérant et permettait à Mme Grand de se dire royaliste[60]. Il semble même que ses manœuvres aient dépassé nos frontières. Fouché intriguait ; Talleyrand ne faisait-il qu'intriguer ?

A ce moment, d'étranges choses se passaient à Calais et aux environs, à cet endroit où le sol semblait poreux, perméable à toutes les influences étrangères et conspiratrices. A Calais, on était sur le passage des secrets ; les porteurs de communications subreptices y affluaient toujours ; parmi eux, un bizarre aventurier reparut. Le nommé Dupérou, ex-directeur de la contre-police royaliste, avait depuis germinal suspendu ce service insuffisamment rémunéré et cherché un autre emploi à son industrie. Lors du passage de Bonaparte par Dijon, on l'avait aperçu dans cette ville, occupé sans cloute à besogne d'espionnage[61]. Se sachant signalé, il s'était comme renfoncé sous terre. Maintenant, après un cheminement inaperçu, il ressortait à longue distance, à Calais, dans cette ville aubergiste et contrebandière, située en vue de l'Angleterre.

A Calais, le commissaire Mengaud le fit arrêter. On le mit en prison, niais les autorités municipales prirent d'admirables précautions pour lui donner le désir et la possibilité de s'évader. On lui laissa ses effets, son argent ; on lui donna un gardien qui ne résistait pas à l'appât de quelques bouteilles de vin et qui avait l'ivresse accommodante. La maîtresse de Dupérou vint de Paris faciliter la chose. L'évasion eut lieu. Là-dessus fureur de Mengaud, émoi de Fouché, recours à un agent secret, muni de pleins pouvoirs[62].

Cet agent se convainquit que Dupérou, soit qu'il n'ait pu sortir de la ville, soit qu'après être allé en Angleterre il ait eu l'inconcevable audace d'en revenir, se cachait quelque part dans Calais. Le lieu de sa retraite fut découvert, et on lui remit la main au collet. Ses papiers, ses aveux fournirent la preuve que le but de son voyage avait été de porter en Angleterre et de livrer des papiers soustraits dans les bureaux des relations extérieures. Il n'agissait certainement plus pour le compte de la défunte agence anglo-royaliste, au profit de Hyde, Coigny, Ratel et consorts, dont il s'était séparé ; pour le compte de qui agissait-il ?

Ses papiers ne livrèrent que quelques noms obscurs. Certains indices firent mettre en cause Bertin rainé, directeur des Débats, soupçonné d'accointances royalistes et anglaises. Bertin fut arrêté à Paris. En même temps Dupérou y était ramené, cette fois sous bonne garde, et écroué au Temple.

L'affaire prend ici les proportions d'un extraordinaire roman. La police eut vent presque aussitôt d'une tentative organisée en plein Paris pour délivrer une seconde fois Dupérou et le tirer du Temple. L'auteur du projet était un individu qui se faisait appeler Husson, un individu à transformations, à trois domiciles et à plusieurs personnages : plumitif de son état, gratte-papier à l'établissement national des Invalides ; à ses heures, organe d'une agence d'espionnage et même chef de bande armée ; il disposait dans Paris de quelques gaillards déterminés. Ces hommes eussent été déguisés en gendarmes ; ils se fussent présentés au Temple porteurs d'un faux ordre d'extraction, avec contrefaçon de la signature préfectorale, et se fussent fait remettre Dupérou pour le cacher en lieu sûr. Une consigne spéciale donnée au portier du Temple déjoua cette tentative d'enlèvement. Les policiers qui filaient Husson et faisaient parler ce protée, prétendaient que des personnages haut placés s'intéressaient au projet d'évasion. Dans un lointain enfoncement, on entrevoyait un individu désigné sous le nom de Leroux, qui paraissait centraliser les fils de l'espionnage[63].

Il ressortait de tous ces faits que Dupérou était décidément une capture précieuse. Fouché le fit garder strictement, mais présumant le parti à en tirer, ordonna d'adoucir pour lui le régime de la prison. Quand Dupérou eut été convenablement préparé, accommodé, amené à point, on le fit parler. Il ne donna d'abord que d'insignifiants renseignements, puis rédigea un mémoire pour l'instruction de la police. Et l'imperturbable Fouché put-il réprimer un sursaut de joie, un tressaillement de tout son être, lorsqu'il vit désigner par la plume accusatrice son mortel ennemi, son plus redoutable collègue et rival, Talleyrand ! Oui, c'était à Talleyrand qu'il fallait remonter pour découvrir la source des infidélités, d'après le mémoire intitulé : De la trahison d'un principal employé des relations extérieures[64]. Pour en acquérir la preuve, il suffisait, selon Dupérou, de remettre en liberté Bertin, puis d'observer ses démarches ; en outre, Dupérou proposait que le premier Consul adoptât à l'avenir vis-à-vis de son ministre un système de fausses confidences, dont il serait facile de vérifier la diffusion au dehors, et qu'il lui tendit positivement un traquenard.

Bonaparte revenu d'Italie s'arrêterait-il à cette dénonciation que semblait infirmer d'avance l'ignominie du délateur ? Le fait est que "Bertin fut relaxé, sans qu'on cessât de l'observer. Husson un instant arrêté fut également remis en liberté. Plusieurs mois s'écoulèrent sans que d'autres fuites fussent signalées à l'office des relations extérieures.

En germinal an IX, nouvelle alerte, très vive ; on apprend de source certaine qu'un projet de traité avec la Russie vient d'être communiqué aux Anglais. La police se remit sur les pistes déjà flairées. Bertin fut réintégré au Temple. Le secrétaire intime de Fouché se jura de percer jusqu'au mystérieux Leroux et, après des peines inouïes, le découvrit dans un logis de la rue de Verneuil, se mourant de la poitrine. Le misérable, torturé de questions sur son lit d'agonie, finit par lâcher un nom, cita connue auteur de la révélation Laborie, Roux-Laborie, attaché à la fois à la rédaction des Débats et au ministère des relations extérieures[65].

C'était un personnage très parisien que ce Laborie, répandu dans les sociétés, questionneur furtif, parleur bref et monosyllabique, spirituel au reste et serviable, un de ces suspects qu'on reçoit partout et qui côtoient le monde et les grandes affaires. La police se lança aux trousses de Laborie, qui détalait à toute vitesse, traversait des maisons amies, se glissait par la porte et sautait par la fenêtre[66] ; il finit par se mettre en lieu sûr. Bertin interrogé protestait énergiquement. Leroux était mort dans la nuit qui avait suivi ses aveux.

Bonaparte ne saurait jamais le fin mot de l'affaire. Sans doute crut-il Laborie coupable de légèreté et d'indiscrétion plus que d'autre chose, puisqu'il se contenta de prononcer contre lui tin ordre d'exil et lui accorda en 1801 permission de rentrer, amnistie, oubli total[67]. Il est vrai que Laborie l'avait servi de très près dans les journées de Brumaire[68]. En 1814, ce même Laborie serait secrétaire-adjoint du gouvernement provisoire sous la présidence du prince de Bénévent. Le premier Consul enverrait Bertin à l'ile d'Elbe et l'en laisserait revenir après quelques années, tout en conservant contre lui des préventions très fortes[69]. Dupérou, à raison de ses services secrets, serait relâché après dix-huit mois de détention, saris qu'on ait pu extraire de lui des vérités palpables. Un fait seul demeure certain : une livraison de papiers d'Etat s'opérant pendant la campagne de 1800 et se renouvelant l'année suivante, une étroite connexité entre l'affaire Dupérou et l'affaire Laborie, qui paraissent avoir eu toutes deux l'énigmatique Leroux comme cheville ouvrière. C'est un anneau de plus qui se découvre dans la chaîne de trahisons perpétuées depuis les derniers temps du Directoire jusqu'à la fin de l'Empire au ministère des relations extérieures, en haut et bas lieu.

Talleyrand était encore loin de ses grandes trahisons d'Erfurt et de la période subséquente. Tout au plus fournissait-il fi l'étranger quelques arrhes sur ses futurs services. Ses affidés, ses faiseurs, ceux qui jouaient pour lui à la Bourse, ceux qui travaillaient pour son compte dans les journaux, gens de besogne inavouable et de trafic en tout genre, rôdaient à ses côtés. Avec cette nonchalance qui faisait partie de ses moyens, il les laissait farfouiller dans ses papiers, circuler autour de son bureau, ramasser quelques bribes de secrets d'Etat, parfois un bon morceau, tombé comme par mégarde. Par eux, il se gardait avec l'étranger de vagues contacts et se conservait la faculté, en cas de besoin, de négocier sa paix personnelle non seulement avec une royauté quelconque, mais avec les puissances de l'Europe, avec l'Angleterre principalement.

Dans tous les milieux, l'intrigue anglaise se faufile alors et serpente. Ou l'aperçoit à peine, on la sent à chaque instant. Parfois, à la lumière d'un document, un de ses replis sort de l'ombre, miroite d'un éclat vénéneux et ondoie : Deux agences anglaises sont maintenant établies et manœuvrent ici. L'une, purement anglaise, ne sert que ce gouvernement qui la paye, et ne pense pas au Roi : culbuter notre gouvernement, tout bouleverser est son plan ; rétablir l'anarchie qui rendra les Anglais maîtres de prolonger la guerre, de nous donner un roi aux conditions qu'ils voudront ; mais la France affaiblie et ruinée ne leur fera pas d'ombrage. Tous les moyens sont bons et employés par cette agence. Elle solde les Jacobins, se rallie tous les mécontents, ceux qui ne savent où donner de la tête pour vivre, les gens de sac et de corde ; elle a un fort parti parmi les gens tenant au gouvernement dans le conseil d'Etat. Ses opérations ont déjà été un peu suspendues par l'arrestation d'un de ses agents, ce qui l'a mise un peu à découvert. Cette agence n'est point connue de Monsieur, elle est sous la direction immédiate du ministère anglais... L'autre agence est un comité royaliste comme celui qui a été arrêté, autorisé par Monsieur[70].

Le but du travail anglais est d'empêcher que la France refasse corps contre l'étranger sous un chef national quelconque, consul ou roi. Le pire de cette intrigue, c'est qu'elle se mêle à toutes les autres ; elle s'asservit le parti d'Artois, soudoie d'infimes déclassés et fait entendre à de hauts besogneux un froissement de bank-notes et un tintement d'argent ; dans la finance, beaucoup de gens s'y rattachent par souci de leurs capitaux placés à Londres, par relations d'affaires et de négoce perpétuées malgré la guerre ; elle agit par les banques cosmopolites, par les coteries protestantes, suisses, bataves, qui se sentent avec les Anglais des affinités religieuses et politiques autant que des liaisons d'intérêt ; quelques-uns des libéraux et des parlementaires se laissent à demi enlacer par elle, parce qu'ils ont l'idolâtrie des institutions britanniques et qu'ils se persuadent qu'une Angleterre puissante est un frein nécessaire à l'ambition de Bonaparte[71] ; elle a dans tous les milieux ses agents payés et d'inconscients complices. Tandis que le gouvernement de Londres pousse contre nos frontières les armées de la coalition et l'Europe mercenaire, il s'efforce, par moyens dissolvants, de décomposer l'intérieur.

Ses escadres commençaient à tâter nos côtes, effleuraient la Vendée, paraissaient devant Ouessant, esquissaient un débarquement à Quiberon. D'un jour à l'autre, le mouvement de l'Ouest pouvait éclater. A Bordeaux, un complot royaliste se laisse saisir. Certains départements, tels que la Charente, passent pour entièrement organisés[72] par la faction ; entre ces éléments explosifs, il ne s'agira plus que de faire passer, au moment voulu, l'étincelle électrique[73]. L'effervescence du Midi redouble. A côté de l'agitation royaliste, le jacobinisme provincial remue, épars en une infinité de villes et de bourgades sous forme de groupes se reliant par d'invisibles fils, et il semble par moments qu'une connivence existe entre tous les partis de révolte. Les anciens terroristes, anarchistes, babouvistes, multiplient leurs conciliabules, leurs allées et venues ; ils se déplacent et circulent. Les préfets s'inquiètent. Avant le départ de Bonaparte, le préfet de la Drôme a constaté un exode de Jacobins remontant vers Lyon et Dijon ; craignant leurs projets assassins, il a écrit personnellement au Consul pour le supplier de ne point s'exposer[74]. Le préfet de la Haute-Loire rappellera plus tard qu'il a remarqué dans certains hommes ardents et extrêmes dans leurs opinions, une joie insultante, un rire moqueur et menaçant, des liaisons plus nombreuses, des députations dans les campagnes, des orgies dans certaines maisons affidées[75]. Autant que les factieux de Paris, ces Jacobins de chef-lieu et de sous-préfecture se tenaient à l'affût des mauvaises nouvelles, se préparaient à en profiter, guettaient le désastre.

Telles furent les conspirations dites de Marengo. Il n'y en avait pas une, il n'y en avait pas dix, il y en avait cent, il y en avait mille, autant que de groupes intéressés à détruire le gouvernement consulaire ou disposés à s'arranger de cette destruction. Ce sont pour la plupart conspirations latentes, expectantes, s'élevant des plus bas degrés de l'échelle sociale jusqu'aux sommets. Une idée les nourrit ; c'est la conviction que le pouvoir et même l'existence de Bonaparte ne peuvent survivre à une défaite. Vaincu ou mort, c'est synonyme, dit de lui une correspondance[76]. Il lui fallait vaincre pour régner et régner pour vivre ; telles étaient la splendeur et la misère de son sort. Ainsi s'explique chez tous ses ennemis un frémissement haineux, chez ses hauts associés une infidélité prévoyante. En vue de la grande succession qui peut échouer au plus habile, au plus prompt, héritiers de tout genre, frères, collègues, ministres, sénateurs, disposent leurs moyens, et quelques-uns ne répugneraient pas à bitter l'événement, de complicité avec la défaite. Dans le plus grand mystère, ils ébauchent des gouvernements de rechange, prêts à remplacer Bonaparte s'il périt, prêts à le supplanter s'il revient vaincu et découronné de son prestige ; ils attendent l'issue de la campagne pour s'insurger ou se prosterner. Mieux que personne, un romancier de génie, Balzac, qui avait reçu la tradition directe de ces temps et qui en eut la perception aiguë, traduit le sens de la crise quand il fait dire aux grands de la République, à propos de Bonaparte : Vainqueur, nous l'adorerons ; vaincu, nous l'enterrerons[77].

 

IV

Son peuple de Paris, son brave peuple lui restait. A la fois las et confiant, dédaigneux des intrigues qui se menaient à ses côtés ou par-dessus sa tète, ce peuple n'écoutait pas les incitations qui lui venaient de droite et de gauche. A tâcher de l'émouvoir, les factieux blancs ou rouges perdaient leur peine. — 27 floréal : Dans le faubourg Antoine, la très grande majorité des habitants, quoique mécontents du défaut d'ouvrage et de la stagnation du commerce, se refuse à toute espèce de mouvement et est parfaitement décidée à n'y prendre jamais part... — 1er prairial : La masse des citoyens est parfaitement tranquille, tandis que les factions continuent de s'agiter dans le secret et combinent les moyens d'opérer un mouvement. — 3 prairial : Paris est tranquille, les faubourgs calmes ; les agitateurs se désespèrent de voir leurs efforts inutiles[78].

Brusquement, une grande nouvelle, une de ces surprises de stratégie auxquelles Bonaparte n'a pas encore accoutumé les Parisiens, vient récompenser leur patiente confiance ; le 16 prairial, on apprend que le premier Consul est à Milan. Vainqueur des Alpes, ayant renouvelé l'exploit d'Annibal, il est tombé en Italie comme la foudre ; l'armée de réserve occupe les plaines de Lombardie, prenant à revers et effarant les Autrichiens coupés de leur base.

L'entrée à Milan avait eu lieu le 13 prairial - 2 juin. L'armée avait pris A l'ennemi ses magasins, ses hôpitaux ; elle avait pris Pavie et son parc d'artillerie ; elle occupait Brescia, Crémone, Plaisance. Maintenant, elle se porte sans coup férir sur l'importante position de Stradella, vient occuper ce défilé resserré entre le Pô et les premiers contreforts des Apennins, afin d'intercepter en ce point capital les communications de l'ennemi et de l'enclore totalement. Ainsi s'achève la manœuvre dominatrice de toute la campagne, celle qui du premier coup vaut à Bonaparte la supériorité stratégique et un grand avantage moral. L'armée de Mélas ne peut plus combattre qu'en position anormale et fausse, tournant le dos à la France et faisant face à la Lombardie. D'autre part, c'est une prestigieuse conquête que Milan, car cette noble capitale semble personnifier l'Italie entière, affranchie d'une réaction persécutrice et accueillant avec transport son libérateur. Milan l'acclame et Paris est en joie :

Cette nouvelle, disent les rapports de police, a électrisé tons les bons citoyens en même temps qu'elle a déconcerté les factieux de tous les partis. Elle s'est propagée à l'instant dans tous les quartiers de la ville et a produit dans les faubourgs surtout le meilleur effet. Les agents assurent que deux individus qui ont osé hier soir, dans le jardin des Tuileries, parler contre les opérations du général premier Consul, ont été menacés d'être jetés dans les bassins, et qu'ils n'ont eu que le temps de se sauver dans la foule. La confiance dans le gouvernement s'affermit charpie jour. L'espérance de la paix anime tous les cœurs. Nos succès la consolident et le commerce semble reprendre un peu de vigueur[79].

Un fâcheux événement tempéra presque aussitôt cette allégresse et assombrit de nouveau l'horizon. Gènes avait succombé. Réduit par la famine, après avoir poussé la résistance au delà des possibilités humaines, Masséna avait signé une convention en vertu de laquelle il évacuait la ville avec armes et bagages, et se faisait reporter par mer sur le littoral français, avec faculté de retourner au combat. Cette convention sauvait plus que l'honneur. Néanmoins, il parut qu'à se laisser arracher de sa base d'opérations en Ligurie, la France perdait dans le sud de la haute Italie ce qu'elle avait regagné au nord. Dans l'opinion, la chute de Gènes contrebalança un moment la prise de Milan. A Paris, au-dessus des calmes profondeurs, une houle d'inquiétudes et de murmures se mit à courir.

Des pronostics sinistres circulaient. L'armée autrichienne, grossie des troupes qui avaient assiégé Gènes, redevenait supérieure en nombre aux forces aventurées dont disposait Bonaparte ; elle pouvait se reporter tout entière contre l'armée de réserve et lui passer sur le corps : Tout Paris croit l'armée perdue, écrit une plume royaliste, exagérant évidemment[80]. Il n'en était pas moins vrai que les dénigreurs, les stratégistes en chambre se mettaient à discuter les plans du premier Consul et à en contester les résultats, jugés d'abord miraculeux. La situation en Italie paraissait se retourner à notre désavantage ; une partie de l'opinion se retournait également :

Paris d'aujourd'hui, dit une autre correspondance, ne ressemble plus à Paris de huit jours. La capitulation de Gènes, qui trompe tant de promesses et tant de calculs, a fait une vive impression sur les esprits. Les révolutionnaires, qui sont bien plus que les royalistes à l'affût des nouvelles, l'annoncent hautement dans la rue : dans d'autres temps, ils auraient Guillotiné comme alarmistes ceux qui auraient osé le faire ; ils ne manquent pas d'ajouter que ce n'est pas la faute de Masséna, c'est celle de Bonaparte... Masséna est universellement plaint, et Bonaparte est blâmé dans les cafés, les clubs littéraires et les sociétés. Les Jacobins prétendent que Bonaparte est jaloux de Masséna et qu'il y a quelque chose là-dessous, et les gobe-mouches répètent : il y a quelque chose là-dessous... Ce ne serait pas être l'ami de Bonaparte de lui conseiller de revenir à Paris... Les négociants grands et petits sont affligés d'un événement qui s'est déjà fait sentir dans le commerce : qui, selon eux, éloigne la fin de la guerre et de la Révolution, et qui a déjà fait baisser les fonds publics, dont la hausse et la baisse, ainsi que celle de l'argent, sont le thermomètre pour juger des événements[81].

Le bulletin du combat de Montebello survint ; il racontait comment Lannes et ses troupes avaient repoussé le corps du maréchal Ott, redevenu disponible par la prise de Gênes. Cette rencontre fortuite et sanglante, cette victoire à la baïonnette, ce corps-à-corps meurtrier où les combattants s'étaient furieusement étreints et où l'on avait entendu craquer les os[82], ne décidait de rien. Toute communication cessa ensuite : plus une ligne au Moniteur, nul avis, et chacun sentait cependant que le sort, de la campagne se jouait. L'appréhension gagnait jusqu'aux classes populaires : Tous les regards sont tournés vers l'Italie... On a peu de craintes sur les événements de la guerre... On n'a qu'une inquiétude... l'existence de Bonaparte en est l'unique objet[83]. Dans l'incertitude universelle, les jours s'écoulaient, vides de nouvelles, lourds d'attente.

C'est le 25 prairial-14 juin que Paris avait douloureusement ressenti la chute de Gênes. Ce même jour, dans la plaine située entre Alexandrie et Tortone, la péripétie décisive s'engageait. Depuis le 21, Bonaparte cherchait l'armée de Mélas pour la contraindre et l'acculer à la bataille. Dans la crainte qu'elle ne lui échappât et afin de lui couper toute voie d'évasion, il avait distendu ses propres forces, lancé Desaix avec une division fers Novi, sur la route de Gènes, et fait repasser sur la rive gauche du Pô la division Lapoype. Les Autrichiens de Mélas, concentrés dans Alexandrie, au lieu de chercher à se dérober par leur droite ou par leur gauche, se résolurent à percer. Le 25, ils sortaient en masse, passaient les ponts de la Bormida et fonçaient ; ce fut le choc.

Après une suite de combats acharnés, notre armée trop faible, opposant une quinzaine de pièces aux cent canons ennemis qui l'écrasaient de mitraille, mal pourvue de munitions, décimée, épuisée, cédait sur toute la ligne[84]. Les villages violemment disputés étaient perdus l'un après l'autre ; tous les corps engagés se retiraient en ordre, stoïques, mettant trois heures à rétrograder de cinq kilomètres, niais laissant derrière eux une traînée de morts et de blessés, de débris et de sang. Finalement, ils se repliaient au fond du champ de bataille, autour de San-Giuliano. Mélas contusionné rentrait dans Alexandrie pour expédier à Vienne un courrier de victoire. Sur la plaine saccagée par la bataille, par la route bordée de mûriers, par les champs de blé faiblement ondulés et les vignes, un grossissement d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie ennemies continuait d'avancer, avançait toujours, mais les Impériaux déjà prenaient leurs aises ; les soldats mettaient le fusil sur l'épaule et attachaient à leur schako ces brindilles vertes que les Autrichiens ont coutume d'arborer dans les jours d'allégresse.

Une chance cependant nous restait. Il n'était que cinq heures. Desaix précipitamment rappelé venait de rallier avec 6.000 hommes de troupes fraiches. Auprès de San-Giuliano, Bonaparte se portait par moments sur la ligne des feux, cinglait de paroles vibrantes les soldats qu'il voyait faiblir ; par moments, il mettait pied à terre, s'asseyait sur le talus de la route et d'un air dégagé causait avec les membres de l'état-major. Plus compromis peut-être qu'en Brumaire, plus ferme, il affectait un grand calme, et cependant l'impression de cet instant se graverait en lui si profonde qu'après vingt et un ans elle reviendrait hanter son agonie. Il monta dans le clocher de San-Giuliano pour découvrir toute l'étendue de la plaine. Il tint avec les généraux conseil de guerre à cheval et renouvela ses dispositions de combat. Alors que d'autres à sa place se fussent préoccupés uniquement d'assurer leur retraite, lui et les siens ne renonçaient pas à vaincre. La bataille était perdue, mais l'arrivée de Desaix permettait d'en recommencer une autre.

 

 

 



[1] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4814.

[2] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4810, 4815, 4819.

[3] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4797.

[4] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4797.

[5] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4834.

[6] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4839.

[7] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4769, 4860.

[8] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4790.

[9] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4837.

[10] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4859.

[11] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4836.

[12] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4838.

[13] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4877.

[14] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4797.

[15] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4795.

[16] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4786.

[17] CUGNAC, la Campagne de Marengo, p. 111.

[18] CUGNAC, la Campagne de Marengo, p. 110.

[19] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4857.

[20] Bulletin du 9 prairial.

[21] 16 prairial.

[22] 9 prairial.

[23] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4811.

[24] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4811.

[25] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4800.

[26] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4817.

[27] Nous devons les détails et documents qui suivent à l'obligeance des descendants de Lagarde.

[28] Lagarde renvoie la traduction à Bourrienne avec ces mots écrits au bas : Je prie le citoyen Bourrienne de voir si j'ai bien lu. — Oui, met Bourrienne en marge.

[29] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4940.

[30] Journaux de floréal et prairial.

[31] Voyez la Décade philosophique, 10 prairial.

[32] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4890.

[33] Archives nationales, F7, 6249.

[34] Un mois plus tard, Bonaparte étant revenu d'Italie, Coigny fut arrêté, sur de nouveaux indices. Sa femme fut se jeter aux pieds de Joséphine. Sur rapport de Fouché invoquant l'espèce d'engagement pris, Bonaparte fit simplement reconduire le chevalier à la frontière. F7, 6249.

[35] MARTEL, p. 212, d'après le Record office. — Cf. BOULAY DE LA MEURTHE, introduction à la Correspondance du duc d'Enghien, XIII-XIV.

[36] MARTEL, p. 300-303.

[37] Rapport du 10 fructidor. AULARD, I, p. 638-639.

[38] Archives nationales, F7, 6275.

[39] PASQUIER, I, p. 155. Cf. Archives nationales, F7, 6231.

[40] DAUDET, la Police et les Chouans, p. 45. — CAUDRILLIER, étude citée.

[41] Rapport de police, 25 floréal. AULARD, I, p. 331.

[42] Mémoires inédits de Villiers du Terrage.

[43] Rapport du 1er prairial, F7, 3701.

[44] On sait que la maison d'Orléans venait de se réconcilier officiellement avec la branche aînée.

[45] Voyez l'Avènement de Bonaparte, I.

[46] Paroles de Champagny à d'Antraigues, en avril 1802. Champagny ajoutait : J'ai vu, il y a quinze mois, une quantité de sénateurs, de généraux, lame des ministres, prévoir cet événement... Mais je n'ai vu balancer qu'entre deux personnes, le duc d'Enghien et le duc d'Orléans. L. PINGAUD, Un agent secret sous la Révolution et l'Empire, p. 226-227.

[47] Papiers inédits de Lemercier.

[48] Texte d'un billet d'invitation : Je vous préviens, mon cher ancien collègue, que le diner fraternel que les membres des deux anciennes commissions législatives ont fixé au 19 de chaque mois pour célébrer la mémorable journée du 19 brumaire an VIII, se prendra le 19 de ce mois, à cinq heures précises, chez le restaurateur Brigant, rue Thomas-du-Louvre. Si quelque empêchement ne vous permettait pas de vous trouver à ce dîner, je vous serais obligé de m'en prévenir avant le 18 à midi. Passé ce jour, vous serez compté comme présent et contribuable comme tel. La dépense est fixée à dix francs. Signé : FARGUES, rue Honoré, n° 386. Papiers Lemercier.

[49] Rapport de police intercalé dans les Mémoires de Bourrienne.

[50] Mémoires inédits de Villiers du Terrage.

[51] Frédéric MASSON, Napoléon et sa famille, p. 341.

[52] Voyez spécialement Journal de Stanislas de Girardin, III, p. 175-189.

[53] Archives de Chantilly, série Z, LXXIII, f° 401, 26 juillet 1800.

[54] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4868.

[55] Voyez la lettre d'avis dans DAUDET, la Police et les Chouans, p. 44-45.

[56] C'était ce personnage qui avait écrit la lettre pour Georges, signée des initiales M. L.

[57] Mémoire manuscrit de Bourmont, cité à la p. 371. M. de Martel a cité ce passage du mémoire, p. 339.

[58] Mémoire manuscrit de Bourmont, cité à la p. 371. M. de Martel a cité ce passage du mémoire, p. 339.

[59] Mémoires inédits de Villiers du Terrage.

[60] DAUDET, Histoire de l'émigration, II, P. 437-440.

[61] Rapports de police du 23 floréal, F7, 3701.

[62] Archives nationales, F7, 6247.

[63] Archives nationales, F7, 6247 et 6250. D'après certaines notes de police, Husson et Leroux n'auraient été qu'un même personnage.

[64] Ce mémoire ligure aux Archives nationales, F7, 6247.

[65] Mémoires inédits de Villiers du Terrage.

[66] Mémorial de Norvins, II, p. 269. — Cf. Mémoires d'outre-tombe, II, p. 251.

[67] Archives nationales, F7, 6283.

[68] Archives nationales, F7, 6283.

[69] Voyez notamment la lettre du 22 mai 1805, publiée par LECESTRE, p. 49.

[70] Mme Danjou à d'Avaray, 4 novembre 1800.

[71] Voyez SOREL, Lectures historiques, Une agence d'espionnage sous le Consulat, d'après le livre de M. PINGAUD sur d'Antraigues.

[72] Mme Danjou à d'Avaray, 22 mai.

[73] Mme Danjou à d'Avaray, 22 mai.

[74] Je vous en conjure, au nom des Français dont vous êtes le génie tutélaire, ne quittez pas Paris, ne les exposez pas au plus grand des malheurs. Quant à moi, mon parti est pris ; je sers mon pays autant par attachement pour vous que par devoir, et si nous vous perdions, je ne serais pas témoin des nouveaux déchirements auxquels il serait livré. 19 germinal an VIII. Archives nationales, FIC, III, 6.

[75] Archives nationales, F7, 6267.

[76] Mme Danjou à d'Avaray, 11 juillet 1800.

[77] Une Ténébreuse affaire.

[78] Rapports de police cités par nous dans la Conquête de Paris sous Bonaparte, Revue des Deux Mondes, 1er juin 1901.

[79] Rapport du 17 prairial.

[80] Mme Danjou, 19 juin.

[81] Agents de Condé, 16 juin 1800. Archives de Chantilly, série Z.

[82] Duc DE VALMY, Histoire de la campagne de 1800, p. 138, d'après un mot de Lannes.

[83] Rapport du 21 prairial. F7, 3701.

[84] Voyez l'ensemble de documents publiés par le capitaine DE CUGNAC dans son ouvrage, II, p. 362-465.