L'AVÈNEMENT DE BONAPARTE

LA GENÈSE DU CONSULAT - BRUMAIRE - LA CONSTITUTION DE L'AN VIII

 

APPENDICE.

 

 

I. — DOCUMENTS RELATIFS AU RENVOI DE BERNADOTTE.

Procès-verbaux du Directoire. Séance du 28 fructidor an VII.

La séance est ouverte par la lecture de la correspondance.

Le Directoire délibère sur la démission que le citoyen Bernadotte, ministre de la guerre, lui a plusieurs fois offerte. Il l'accepte et nomme, pour remplacer le citoyen Bernadotte, le citoyen Dubois-Crancé, général de division. Il écrit au nouveau ministre par télégraphe pour lui donner avis de cette nomination et l'inviter à se rendre de suite à son poste. Il arrête que l'intérim du ministère sera rempli par le citoyen Milet-Mureau, ex-ministre. Il prévient de ces dispositions les citoyens Bernadotte et Milet-Mureau, et ordonne à ce dernier d'aller prendre le portefeuille de suite. (Archives nationales, AF, III, 16.)

[La pièce est signée des cinq Directeurs, ce qui contredit l'assertion d'après laquelle la décision aurait été prise à l'insu et sans nulle participation de Gohier. (Mémoires de Gohier, I, 138-139, 142-144.)]

 

Lettre à Bernadotte, 28 fructidor[1].

Le Directoire exécutif, d'après le vœu que vous lui avez souvent manifesté de reprendre votre activité aux armées, vient de vous remplacer au ministère de la guerre. Il charge (Sieyès avait d'abord écrit le ministre — sans doute le ministre de la justice Cambacérès) le général de division Milet-Mureau du portefeuille de la guerre par intérim. Vous voudrez bien lui en faire la remise. Le Directoire vous recevra avec plaisir pendant le séjour que vous ferez à Paris, pour conférer sur tous les objets relatifs au commandement qu'il vous destine. (Signée des cinq Directeurs.)

 

Lettre à Dubois-Crancé, 28 fructidor.

(Envoyée par le télégraphe.)

Le Directoire exécutif, citoyen général, vient de vous nommer ministre de la guerre. Partez sur-le-champ et donnez avis de votre départ par le télégraphe.

[La pièce n'est pas signée de Sieyès; elle porte les quatre autres signatures.]

 

Lettre à Milet-Mureau, 28 fructidor.

Le Directoire exécutif, citoyen général, vient de se rendre au vœu que lui a manifesté plusieurs fois le général Bernadotte de quitter le ministère de la guerre pour reprendre un commandement. Il a en conséquence nommé un nouveau ministre. Le Directoire en même temps vous a choisi comme ex-ministre pour tenir le portefeuille par intérim. Vous voudrez bien vous rendre de suite, à cet effet, à la maison de la guerre. Le citoyen Bernadotte est prévenu. (Archives nationales, AF, III, 627.) (Signée des cinq Directeurs.)

 

II. — ÉTAT DE SERVICES DE JUBÉ, COMMANDANT AU 18 BRUMAIRE LA GARDE DU DIRECTOIRE, ET DE BLANCHARD, COMMANDANT LA GARDE DES CONSEILS.

Archives de la guerre.

JUBÉ (Augustin), né à Valpetit (Seine-et-Oise) le 12 mai 1765, avait été avant la Révolution commis dans l'administration de la marine au port de Cherbourg. En 1793, devenu chef de la légion des gardes nationales de Cherbourg, il fut chargé de la surveillance du service des ports et batteries des côtes de la Manche. Le 31 août 1796, il est nommé chef d'état-major de la 3e subdivision de l'armée des côtes de l'Océan; dès le 12 octobre, il passe comme adjudant-général et commandant en second à la garde du Directoire, où il fait ensuite fonctions de commandant en chef. Après le 18 brumaire, il est nommé pour un instant chef d'état-major de la garde des Consuls, mais là s'arrête sa carrière pseudo-militaire. On en fit successivement un tribun, un préfet, un inspecteur général des haras, un historiographe du dépôt général de la guerre. Très protégé par Barras avant le 18 brumaire, il se fit non moins protéger par le duc de Berry sous la Restauration, qui le nomma maréchal de camp. Il s'appelait alors le baron de La Pérelle. Il mourut en 1824. Son frère était beau-frère de Lacépède.

BLANCHARD (Antoine-Joseph), né à Saint-Aubin (Nord) le 3 février 1751, fut d'abord garde à la compagnie de Connétablie. Pendant la Révolution, capitaine d'infanterie, il fit campagne jusqu'en 1795 à l'armée du Rhin, et le 27 fructidor an III passa dans les grenadiers de la représentation nationale, où il était chef de bataillon et commandant en second lors du 18 fructidor. Après cette journée, où il avait fortement contribué à la défection des gardes, il fut appelé aux fonctions de commandant en chef à la place de Ramel arrêté et déporté. Après le 18 brumaire, il fut nommé commandant en second de la garde des Consuls, puis colonel de gendarmerie. En cette qualité, il est noté u comme ayant protégé avec opiniâtreté des officiers contre lesquels il existait des accusations graves pour délit de conscription ». Retraité le 21 février 1814, il avait demandé une retraite de général de brigade; il fondait cette demande sur ses anciens services, son ancienneté dans le grade de colonel et sur son dévouement à la personne de Sa Majesté, dont il a donné la preuve dans la journée du 18 brumaire, époque à laquelle il commandait en chef le corps des grenadiers près la représentation nationale. Sa demande ne fut pas admise, à raison sans doute des faits relevés à sa charge. Il mourut en 1824.

PONSARD, qui commandait les 18 et 19 brumaire le bataillon des grenadiers des Cinq-Cents, avait été caporal aux gardes françaises et fourrier à la Prévôté de l'Hôtel. Il n'avait fait campagne que dans l'Ouest. Après avoir joué un rôle actif dans le coup d'État, il fut nommé chef de brigade et ensuite chef de la P. légion de gendarmerie, fait baron, et en 1813 retraité comme général de brigade.

 

III. — BRUMAIRE.

Références et critique des sources.

Les journées de Brumaire ont donné lieu à d'innombrables récits insérés dans les Mémoires de personnages divers ou faisant l'objet d'écrits spéciaux. Nous donnons ci-dessous, dans l'ordre de nos pages et avec mention des lignes auxquelles ils se rapportent, l'indication des textes dont la combinaison et la comparaison nous ont servi à reconstituer la trame des événements.

Parmi les textes qui nous ont paru de nature à élucider les points restés obscurs ou douteux, voici les principaux :

1. Éclaircissements inédits de CAMBACÉRÈS. Ce froid récit porte un caractère évident de sérieux et de gravité.

2. Notes manuscrites de GROUVELLE. Ces notes brèves, parfois informes, qui paraissent avoir été écrites d'après les souvenirs immédiats de Sieyès, rectifient ou complètent sur plus d'un point la version accréditée.

3. Notice de JOURDAN sur le 18 Brumaire, d'autant plus importante qu'elle renferme des aveux caractéristiques.

4° Conversations recueillies au cours des événements par Le Couteulx de Canteleu et insérées dans le fragment de Mémoires publié par LESCURE, Journées révolutionnaires, II, 205-229.

5° Lettres de Madame Reinhard (lettres de brumaire, frimaire et nivôse an VIII). Ces lettres ont paru après l'insertion presque intégrale de notre récit dans la Revue des Deux Mondes (avril-mai 1900, 15 mars 1901) et dans le Correspondant (10 et 25 novembre-10 décembre 1900). Nous avons eu la satisfaction d'y trouver confirmées nos appréciations.

D'autre part, le double récit de Rœderer (Journal de Paris du 19 brumaire, réédité dans les Œuvres, III, en note des pages 296 à 301, et Notice de ma vie pour mes enfants, Œuvres, III, 296-302), tout en faits et en documents, demeure un témoignage considérable. Le récit peu connu de Sébastiani, inséré dans VATOUT (234-242), donne un bon précis des premiers mouvements militaires. Les Souvenirs d'un sexagénaire, par ARNAULT le futur secrétaire perpétuel de l'Académie française, sont des mémoires plus littéraires qu'historiques; on ne saurait les admettre qu'à propos de certains traits pittoresques et de certains détails de société. Les journaux de l'époque, fort curieux, doivent être néanmoins consultés avec précaution ; ils sont précieux en ce qui concerne la physionomie de Paris et l'état des esprits. Un ouvrage intitulé : Mémoires historiques sur le 18 brumaire, paru peu de semaines après l'événement, écrit d'après des témoins oculaires, donne beaucoup de détails sur l'aspect matériel des scènes.

Par contre, les récits des principaux personnages mêlés à l'événement, c'est-à-dire de Bonaparte, Barras, Gohier et autres, doivent demeurer très suspects; ils ont naturellement le caractère d'une apologie ou d'une défense rétrospectives. Il faut les lire avec prudence et autant que possible lire entre les lignes. Notre observation s'applique spécialement aux dires de Lucien que l'on a beaucoup trop cru sur parole. Lucien a écrit sa Révolution de Brumaire d'abord pour grandir son rôle dans le passé et aussi à l'appui d'une thèse politique qu'il soutenait au commencement de la monarchie de Juillet.

Les relations des acteurs ou témoins secondaires ont été également faites après coup ; elles abondent en détails suspects et souvent contradictoires; elles portent l'empreinte des passions de l'époque à laquelle elles furent écrites au moins autant que de l'époque dont elles parlent. En général, à l'égard de ces récits, nous nous sommes fait une règle : c'est de ne présenter comme avérés que les faits résultant de plusieurs témoignages corrélatifs qui se sont produits indépendamment et à l'insu les uns des autres. Les documents contemporains de l'événement, imprimés ou inédits, articles, brochures, rapports de police, lettres particulières, méritent plus de créance; nous nous sommes efforcés néanmoins de les soumettre au même contrôle.

 

 

 



[1] La minute, écrite de la main de Sieyès, est marquée de ratures et de surcharges, car la rédaction était délicate à établir.