LIVRE VII. — PÉRIODE D’AGNÈS SOREL. - AFFRANCHISSEMENT DU TERRITOIRE NATIONAL. - Depuis les trêves jusqu’à l’entière expulsion des Anglais (1444 -1453).
Les Anglais, dès qu’ils virent la ville de Rouen soumise au pouvoir de Charles VII, désespérèrent de conserver plus longtemps la haute Normandie. Renonçant donc à la possession de cette contrée, ils se replièrent sur la région inférieure. Là, indépendamment de Caen, la capitale, ils occupaient encore Cherbourg, port de premier ordre, Bayeux, plusieurs bonnes villes, et tout le littoral des grèves maritimes, c’est-à-dire l’accès extérieur. Dès lors ils dirigèrent vers ces points les débris de leur fortune, y concentrèrent leurs nouvelles ressources, et se préparèrent à tenter leurs derniers efforts. Le 21 novembre 1449, quelques munitions furent expédiées d’Angleterre à Caen ; puis, le lendemain, à Cherbourg. Le 20 décembre, un writ royal ordonna la formation d’une nouvelle armée contre la France, et les joyaux de la couronne furent engagés comme nantissement de la solde. Mais il fallut attendre la fin de l’hiver, pour que l’Océan redevint praticable à la faible marine du quinzième siècle. Enfin, le 15 mars 1450, une flottille de canaques débarqua, au port de Cherbourg, cinq à six mille Anglais de nouvelle recrue[1]. Tout porte à croire que la perte de la belle Agnès fut, pour le roi Charles VII, une secousse morale profondément sentie ; mais cette douleur, aussi violente qu’éphémère, ne ralentit pas l’activité qu’il avait jusque-là déployée. Le roi, au sortir de Jumièges, prit successivement son gîte dans les abbayes de Grestain et de Préaulx, près Pont-Audemer, au diocèse de Lisieux. Ces trois monastères, de même que Montivilliers, appartenaient à l’ordre de Saint-Benoît. Après avoir conquis le clergé séculier, le roi établissait ainsi des rapports politiques et amiables entre lui et le clergé régulier, représenté par les suppôts ou prélats les plus élevés de cet ordre. Charles VII habita ensuite Bernay, Essai, puis Alençon ; traçant, dans ce parcours, une ligne d’observation parallèle à celle du littoral maritime. Aux diverses stations de ce trajet, le roi pourvoyait aux besoins de la guerre et du conseil. Vers le 22 mars, étant à Alençon, il envoya mettre le siége devant une petite place des environs, nommée Fresnay, qui se rendit immédiatement[2]. Charles apprit également, durant son séjour d’Alençon, le débarquement des Anglais, qui s’opéra sous le commandement de sir Thomas Kiriel. Le duc de Somerset, à Caen, fut instruit de cette nouvelle. Edmond de Beaufort, homme vain et très cupide, se montrait tour à tour souple et hautain, selon le vent de la fortune. Aussitôt il s’écria : Ah ! Français, vous nous avez donné la chasse ; mais je vous tiens maintenant et je serrerai à mon tour vos fumées de plus près ! Les nouveaux débarqués, en effet, ne perdirent point de temps. Valognes, qui appartenait aux Français, avait pour capitaine un écuyer poitevin, nommé Abel Rouault, qui commandait une faible garnison. L’ennemi, à peine débarqué, en fit le siége. Après avoir vaillamment défendu, pendant trois semaines, cette place isolée, Rouault capitula et la rendit aux Anglais. Ces derniers s’emparèrent, en outre, de diverses autres positions, et rentrèrent en possession presque complète de la presqu’île ou clos du Cotentin[3]. A la suite de ces premiers avantages, Thomas Kiriel partit, le 12 avril, de Valognes, suivi de ses troupes. Aux recrues nouvelles s’étaient joints des vétérans, qu’avaient fournis les garnisons anglaises de Caen, Bayeux et Vire. Kiriel alla passer le gué de Saint-Clément, proche la mer, pour enfiler, par cette voie, les gorges du littoral normand. Le plan de l’ennemi était de se diriger en force vers Caen et de reprendre l’offensive contre la France[4]. Mais le temps n’était plus où Henri V conquérait aisément un pays désarmé, abandonné de son gouvernement, sans défense. L’artillerie anglaise, malgré le zèle ou le talent de Simon Morhier et de Forsted, son lieutenant, maître des ordonnances pour Henri VI en Normandie, avait accompli comparativement peu de progrès. Au contraire, du côté de la France, cette arme s’était perfectionnée avec un succès très remarquable, grâce à la rare aptitude de Jean et de Gaspard Bureau[5]. L’armée anglaise, toujours en proie au banditisme, à l’indiscipline, avait maintenu son cadre aristocratique, qui forme aujourd’hui encore le principe de sa constitution. Charles VII venait de créer les compagnies d’ordonnance et les francs-archers. Enfin, et cette dernière différence complète et résume le parallèle : de 1419 à 1449, le sentiment patriotique s’était définitivement affermi. En jetant les cendres de Jeanne Darc au vent, en précipitant dans la Seine ses restes invisibles, les anglais avaient confié à ce sol même de Normandie , encore placé sous leur joug, une semence qui n’était point demeurée stérile. Le duc de Bretagne et le roi de France avaient été respectivement informés des mouvements de l’ennemi. Une grande œuvre allait s’accomplir : tout présageait entre les deux partis belligérants un conflit brillant et décisif. A défaut de son fils, le roi voulut confier à son gendre l’honneur de soutenir personnellement cette lutte et de présider à cette action d’éclat. Peu de temps après la mort d’Agnès Sorel, Jean de Bourbon, comte de Clermont, époux de Madame Jeanne de France, fut nommé lieutenant général du roi dans la basse Normandie. Soit que les forces du jeune capitaine se fussent égarées à la recherche de ses adversaires, soit que les ordres du roi eussent été méconnus ; Charles VII se montra fort courroucé, lorsqu’il apprit la reddition de Valognes, ayant résolu de secourir cette place[6]. Hais Jean de Bourbon ne tarda pas à venger cet échec. Le prince vint prendre position à Carentan. S’étant, le 14 avril, élancé à la poursuite de l’ennemi, le comte rencontra Th. Kiriel et ses Anglais, auprès d’un petit village appelé Formigny, dont le nom est devenu l’un des ornements de nos fastes militaires. Jean avait auprès de lui, entre autres hommes de guerre, Jacques d’Armagnac, comte de Castres, fils du comte Bernard, naguère précepteur du Dauphin ; le seigneur de Montgascon La Tour, Auvergnat, des comtes de Boulonne ; le cadet d’Albret ; Pierre de Brezé, Guillaume de Ricarville ; Jacques de Chabannes, sénéchal de Bourbonnais ; R. Floquet, Prégent de Coëtivy, Robert Cuningham, Odet d’Aydie, Joachim Rouault, Pierre de Louvain, le sire de Mauny, etc. Ce même jour, il manda près de lui en toute hâte le connétable de Richemont, qui arrivait de Bretagne. Ce dernier, parti de Saint-Lô, vint, dans la nuit du 14 au 15, occuper le lieu de Trévières, près Formigny[7]. Le 15 avril 1450 eut lieu, devant le village de Formigny, la bataille de ce nom. Les Anglais se fortifièrent à leur avantage, en s’appuyant à la fois sur la petite rivière qui bordait l’une des l’aces de ce village, et sur des jardins. Suivant leur coutume, ils creusèrent devant eux un fossé remparé de pieux obliques, pour se préserver de la cavalerie. Avant le combat, Jean de Bourbon reçut le degré de chevalerie, ainsi que le comte de Castres et beaucoup d’autres personnages considérables. L’action s’engagea dès le matin et dura, pendant trois heures, à l’état d’escarmouches. Deux coulevrines, placées en avant de la bataille des Français, tiraient sur l’ennemi et lui nuisaient grièvement. Sir Thomas Kiriel envoya un détachement qui s’empara de ces deux pièces et dispersa les artilleurs[8]. Mais bientôt la place et les cieux coulevrines furent reprises parles hommes d’armes toue dirigea sur ce point Pierre de Brezé. La lutte recommença sur une ligne plus étendue et dans des conditions toutes nouvelles. Pierre de Brezé entraîna les troupes, en marchant à leur tète avec la plus brillante valeur. La nouvelle armée nationale fit merveille ; les Anglais furent entamés, puis culbutés de toute part. Déjà l’ennemi pliait, lorsque le connétable de Richemont arriva sur le terrain, suivi de trois cents lances d’élite et des archers. Il avait avec lui Jacques de Saint-Paul, de la maison de Luxembourg ; André de Lohéac, maréchal de France ; Gilles de Saint-Simon, le seigneur de Boussac, Jean et Philippe de Malétroit ; Guillaume Gruel, écuyer breton, historiographe du connétable, etc. La venue du connétable et une manœuvre hardie, qu’improvisa Pierre de Brezé, achevèrent de démoraliser les Anglais[9]. L’attitude de ces derniers se changea bientôt en déroute. Leur nombre total s’élevait à environ sept mille hommes. Nos Français n’en comptaient que trois mille. La moitié au moins des Anglais périt sur le champ de bataille. Un certain nombre prirent la fuite et se dirigèrent vers leurs garnisons respectives. C’est ainsi que Mathieu Gough s’en retourna vers Bayeux, et maître Robert Veer[10] à Caen, fuyant l’un et l’autre de toute la vitesse de leurs chevaux. Plus de quinze mille hommes demeurèrent prisonniers des Français. Th. Kiriel, H. Norbery et plusieurs autres Anglais de marque furent au nombre des captifs. La perte totale, du côté des Français, suivant le témoignage unanime et incontesté de nos historiens, s’éleva de cinq à huit hommes, lesquels furent tués, d’après le dire de Thomas Basin, lors de la prise des coulevrines[11]. La victoire de Formigny, prophétisée (probablement après coup) par les astrologues, célébrée en prose, en ballades et, dit-on[12], en vaux-de-vire (ou vaudevilles), représentée en tapisseries, etc., causa sur les esprits une très grande impression. Le nom de Formigny se place dans nos annales à la suite des noms néfastes de Poitiers, de Crécy, d’Azincourt. La journée de Formigny ne saurait être comparée aux trois autres, si l’on ne tient compte que des forces numériques engagées dans ces divers conflits. Mais le parallèle demeure plein de sens, en comparant la portée morale des résultats produits. Sous un tel rapport, cette dernière victoire fut, pour l’orgueil national, une consolation et une revanche. Ces quatre souvenirs marquent les points culminants de la période historique connue sous le nom de guerre de cent ans. La bataille de Formigny précipita le dénouement de ce grand drame[13]. Au risque d’interrompre un moment ce récit, nous lie pouvons nous dispenser de rapporter, du moins en quelques mots, un remarquable épisode qui se place de lui-même en ce point dans l’ordre chronologique. Jean VI, duc de Bretagne, était mort, laissant après lui le duc François Ier, qui lui succéda, et un autre fils, né vers 1425, nommé Gilles. Celui-ci avait été, élevé en Angleterre, auprès de Jeanne de Navarre, veuve de Jean V, aïeul de Gilles, puis reine d’Angleterre, comme épouse de Henri IV. Henri VI, compagnon d’enfance de Gilles, le combla de caresses et de présents pour le séduire à la cause anglaise ou pour l’y retenir. Gilles, au partage de la succession paternelle, se trouva petitement nanti par rapport à son ambition. Il s’en prit à son frère, le duc régnant, et finit par se déclarer Anglais. François Ier, qui s’était rallié à la cause de Charles VII par les liens les plus solides, conçut de cette défection un pénible ressentiment. Il ordonna l’arrestation de son frère et sa mise en jugement. Mais des passions et des intérêts secondaires vinrent compliquer ce litige. Prégent de Coëtivy, amiral de France, était devenu possesseur, par don royal, de seigneuries importantes, provenant de la succession de Gilles de Rais, dévolues à Gilles de Bretagne, puis confisquées sur ce prince. D’autre part, Gilles de Bretagne avait enlevé Françoise de Dinan, mineure, la plus riche héritière de Bretagne, afin d’être agréé plus sûrement comme futur époux de Françoise. Or, la main de Françoise était recherchée, entre autres compétiteurs, par Arthur de Montauban, favori tout-puissant de François Ier, duc de Bretagne. Arthur noua des intrigues, s’entoura de complices, et supposa des pièces fausses, afin de perdre sans recours possible le prince Gilles dans l’esprit du duc son frère. Arthur de Montauban commença par affamer le prince dans sa prison, espérant faire passer sa mort pour naturelle. Mais Gilles fut alimenté secrètement par une vieille femme, qui lui faisait passer l’eau et le pain retranchés sur sa propre nourriture. Arthur demanda ensuite en Italie un poison, nommé Everbemene, que lui apporta son allié Marc, bâtard de Milan. Le prince, fortement constitué, résista encore à l’empoisonnement. Enfin, le 25 avril 1450, Gilles de Bretagne fut étranglé dans son lit, à l’aide de touailles, espèces de nappes disposées par manière de nœud coulant[14]. La victoire de Formigny, comme celle de Patay, avait été remportée sur les Anglais, en bataille rangée. Elle fut pour Charles VII une journée d’Hastings, avec cette différence que le prince valois reconquérait son propre royaume. De Formigny, les Français se portèrent au siège de Vire, qui ne tarda pas à tomber en leur pouvoir. Le duc François, dans le même temps, vint assiéger Avranches, qui subit le même sort. Bayeux fut ensuite attaqué et se rendit le 16 mai. Peu après, Tombelaine, forteresse isolée près du mont Saint-Michel, Briquebec et Valognes capitulèrent également. Puis de mai à juin, les vainqueurs soumirent successivement Saint-Sauveur le Vicomte, ainsi que d’autres places, et tout le clos du Cotentin rentra sous la domination du roi de France[15]. Le roi, durant cet intervalle, avait pris sa demeure aux châteaux d’Alençon, d’Essai, puis à Carentan. Vers le 5 juin, il partit de cette dernière ville, afin de diriger en personne le siège de Caen. Charles VII se porta successivement en un lieu nommé Argences, puis en l’abbaye de la Trinité des Dames, puis au monastère d’Ardaine, sous les murs de la ville assiégée. L’artillerie des frères Bureau joua de nouveau un rôle considérable. Elle contribua puissamment à la prompte soumission de cette place, la plus importante, au point de vue politique, après Rouen. Les ouvrages de la défense étaient munis de canon d’un médiocre calibre. Bureau entoura ces ouvragés d’un cercle de bouches à feu de diverses grandeurs. Quelques-unes de ces pièces, ou obusiers, offraient une telle embouchure que, suivant le témoignage de Thomas Basin, un homme assis aurait pu facilement s’y tenir la tête haute. Le 24 juin 1450, le duc de Somerset et ses lieutenants capitulèrent avec le roi de France, représenté par le comte de Dunois. Le 6 juillet suivant, il céda la place aux représentants de Charles VII et se retira, suivi de sa femme, de sa famille et de la garnison anglaise. Tous s’embarquèrent dans le petit port d’Oyestreham, au confluent de l’Orne à la mer. Les uns, comme le duc, firent voile pour Calais, dont il devint bientôt capitaine. Les autres se dirigèrent vers les divers points qui reconnaissaient encore le pouvoir de Henri VI. Charles VII fit son entrée solennelle à Caen le même jour, 6 juillet 1450[16]. La plus grande partie de la Normandie était rendue à la France. Quelques points seulement subissaient encore le joug anglais. Tels étaient Domfront, Falaise, Cherbourg. L’importance maritime de ce dernier port et les ressources défensives que l’occupation y avait accumulées, faisaient du siège de cette place une œuvre très sérieuse. Cependant les finances étaient épuisées. Certain prélat, dans les réunions préparatoires du clergé normand, ou dans les conseils du roi, avait ouvert l’idée d’une contribution à frapper sur les ecclésiastiques. Mais cet expédient, si plausible d’après nos idées modernes de péréquation en matière d’impôt, bouleversait tous les principes reçus[17]. Le roi n’entra que timidement dans cette voie ; il en écrivit au saint-siège, et le 2 mai, le pape Nicolas V lui répondit par, un refus formel. Les plus grands seigneurs, enrichis par les succès du roi et par ses conquêtes, demeuraient insensibles ; ils fermaient à la fois, sur ce besoin public, leurs yeux, leurs oreilles et leur escarcelle. Un seul homme se montra pour tous : ce t’ut Jacques Cœur. Il avança au roi cent mille écus, et Charles VII put achever l’expulsion des Anglais[18]. En dehors de la Normandie, un dernier point attire (ainsi que Cherbourg) les regards de l’historien, fixés sur le théâtre de ces événements, c’est Calais. Calais, place d’armes des Anglais, leur magasin de toutes choses, situé à deux pas de Douvres, sillonné par leur continuel passage, commandé par leurs plus sûrs capitaines, Calais s’était assimilé, depuis près de cent ans, leurs habitudes, leurs mœurs, leurs intérêts, leur langage. Mais là ne gisait point peut-être la difficulté la plus grave que présentait le recouvrement de cette ville. Calais, situé plus loin que la Picardie, entre les comtés de Guines, d’Ardres et de Boulogne,,se trouvait, par ses enclaves, enveloppé de pays neutres, sur lesquels rie s’exerçait pas l’élan du patriotisme français, ni l’action pleine et directe du roi de France. Ces enclaves appartenaient au duc de Bourgogne ou à ses vassaux. Or, le duc venait de se lier par des obligations de neutralité, qui avaient surtout pour sanction ou pour objet, à ses yeux, ses intérêts commerciaux de la Flandre. Il importait surtout de laisser dormir dans le statu quo les relations pacifiques qui subsistaient entre Charles VII et le vassal ombrageux. On se rappelle enfin dans quelles circonstances avait eu lieu une tentative directe de ce duc et quelle en avait été l’issue[19]. Ces considérations, ces difficultés, n’enchaînèrent point complètement le vaillant esprit d’entreprise qui animait le roi et\son conseil. Nos historiens français ont gardé, sur ce sujet, un silence facile à comprendre. Mais il est hors de doute, par divers témoignages anglais, que, notamment du 6 au 14 mai 1450, un projet de siége Fut arrêté ou résolu par les chefs de la guerre. A plusieurs autres reprises, depuis cette époque, des alarmes positives, caractérisées, attestent que le même plan d’attaque fut de nouveau pris en main. Toutefois, et au résumé ; aucun résultat effectif ne vint convertir ces desseins en réalité[20]. Cependant Charles VII choisit successivement son gîte en l’abbaye d’Ardaine, puis à Caen, à Escouchy et à Saint-André en Gouffern (diocèse de Séez). De ces diverses stations, il suivit les opérations militaires, qu’il ne cessa point un instant de diriger, et pourvut en même temps aux besoins de l’administration du royaume. C’est de l’abbaye d’Ardaine et du mois de juin que sont datées les lettres d’abolition accordées, lors de la réduction, à la population de Caen. Un diplôme, du 7 juillet et de cette ville, régla les conditions de la navigation sur la Seine entre les marchands de Paris et ceux de Rouen. Par acte royal du 30 juillet, à Escouchy, le roi confirma les privilèges de l’université de Caen. Vers le même temps, un édit important, dont la teneur textuelle ne nous est pas parvenue, forma de nouveau le cadre des généralités financières. Ces circonscriptions administratives furent portées de trois à quatre, savoir : 1° Généralité d’Outre-Seine et Yonne, trésorier général : maître Jean Bureau ; 2° généralité de Languedoil, trésorier : maître Jean Hardouin ; 3° Id. de Languedoc (nouvelle création) : maître Jean Picard ; 4° Id. de Normandie, maître Pierre Bérard[21]. La ville de Falaise, assiégée sous les yeux du roi, du 6 au 13 juillet, se rendit le 23 du même mois. Le siège de Domfront dura du 13 juillet au 2 août, jour de sa reddition. Enfin, Cherbourg fut investi ou approché dans la première quinzaine de juillet, et l’attaque de cette place coûta aux Français de graves sacrifices. L’artillerie y déploya de nouveau ses ressources et la science récemment acquise. Des pièces volantes, atteintes deux lois quotidiennement par la marée, furent assises et pointées avec une rare précision. Jean Bureau fit couvrir ces canons de peaux de bêtes, qu’on posait avant le flux et qu’on enlevait après le reflux, pour les préserver de l’immersion[22]. Deux hommes de marque périrent dans le cours de cette action finale, avant que se terminât le mois de juillet. Tous deux, gentilshommes bretons, servaient la cause de Charles VII, depuis le commencement de sa carrière. Le premier, généralement nommé, dans les textes, de son nom de guerre : le Bourgeois, s’appelait Tugdual de Kermoisan. C’était un des plus braves chevaliers de son temps, fort estimé du connétable, et très renommé. Sans obtenir de titre supérieur ni de grand commandement, il s’était assimilé à un haut degré les progrès récents de l’art de la guerre. L’armée perdit en lui l’ingénieur le plus expérimenté dans le fait des mines et de l’approche souterraine des places. L’autre, Prégent de Coëtivy, amiral de France, commandait à ce titre l’expédition ; l’un des plus grands seigneurs de l’époque et des plus distingués, il jouissait de l’estime particulière de Charles VII et de l’intimité royale[23]. Enfin, le 12 août 1450, la place de Cherbourg se rendit au roi de France et fut évacuée par les Anglais. Ainsi cette merveilleuse campagne, d’une rapidité sans exemple, s’était accomplie en un an et six jours, à partir du 6 août 1449, époque où le roi franchit la Loire à Amboise. Charles VII attribua cet heureux succès à la protection de Madame sainte Radegonde de Poitiers, pour laquelle la reine et lui professaient une dévotion spéciale. Les bonnes villes saluèrent avec enthousiasme la conclusion d’une expédition si brillante et si considérable. Par ordre du roi, une procession périodique et perpétuelle fut établie dans tous les diocèses du royaume. De nombreux documents attestent le concours empressé que le roi trouva auprès du clergé, pour la célébration de ce patriotique anniversaire[24]. Charles VII, après avoir achevé la conquête de la Normandie, vint se reposer des fatigues de la guerre, et prit ses quartiers d’hiver en Touraine. Le 2 septembre 1450, après avoir passé par Château-du-Loir et Maillé, il fixa sa résidence à Tours, puis à Montbazon, et se tint dans ces parages jusqu’au printemps de l’année suivante. Le roi, durant cet intervalle, renoua ses relations diplomatiques ou ses alliances avec les rois d’Écosse, d’Aragon, de Castille[25], et avec le duc de Savoie, que le Dauphin tenait pour ainsi dire assiégé de ses instances et de ses suggestions hostiles. L’administration civile du royaume occupa également ses soins et l’activité de son gouvernement. En même temps, il ne négligeait pas de poursuivre la guerre contre les Anglais[26]. |
[1] Ms. latin 6198, f° 74. Stevenson, Henri VI, t. I, p. 501 à 503. Ms. Fontanieu 121-2. Escouchy-Beaucourt, p. 277. Berry, p. 449. J. Chartier, t. II, p. 190. 23 mars 1450, note constatant que Henri VI a fait retirer de la trésorerie de l’Échiquier plusieurs joyaux, et entre autres une croix d’or ayant appartenu au roi saint Louis. Delpit, Documents, etc., p. 264.
[2] Berry, p. 449. J. Chartier, p. 190. Ms. Gaignières 649, f° 40. Ms. Moreau 252, f° 51 et suiv. Du Tillet, Recueil des traitez, p. 243. Itinéraire du roi : février 16, Jumièges ; 17-20, Grestain ; 24 à la fin du mois, abbaye de Préaulx et Pont-Audemer ; mars 5, 9, Bernay ; entre 9 et 14, Essai ; 15, 20, 23, 24, 27, fin de mars, avril 1 à 14 (passim) : Alençon.
[3] Les mêmes. R. Blondel, Ms. 6138, f° 74. Il paraît, d’après cet auteur, que l’assaut de Valognes fut donné parles Anglais le vendredi 27 mars avant les Rameaux. K. 68, n° 49. Basin, t. I, p, 1912, 234. Du Clercq, p. 17. Chronique de Normandie, f° 200 v°. Abel était frère de Joachim Rouault, qui servait dans la même campagne, l’un des premiers hommes de guerre de son temps.
[4] Ibid. Escouchy.
[5] Du Clercq, p. 26.
[6] Les mêmes. D. Taillandier, p. 28. Escouchy, p. 278. Ms. latin 6198, f° 75 v°.
[7] Les mêmes. G. Gruel, Panthéon, p. 399 et suiv. Holinshed, p. 1276.
[8] Berry, p. 450. J. Chartier, p. 192 et suiv. Escouchy, p. 286. Ms. lat. 6198, f° 80 à 83 et 95 v°.
[9] Les mêmes. Th. Basin, t. I, p. 236. G. Gruel, p. 400. Chronique de Normandie, f° 201. Du Clercq, p. 17. Actes de Bretagne, 1744, t. II, col. 1521.
[10] Frère du marquis, puis duc (1449) de Suffolk.
[11] Mêmes autorités. Holinshed, p. 1276. Le comte de Clermont fit creuser quatorze grandes fosses, par les soins des hérauts, prêtres et autres délégués, pour déposer les cadavres des Anglais, au nombre de trois mille sept cent soixante et quatorze. Berry, Chartier, Escouchy.
[12] Lincy, Chants populaires, t. I, p. 330-338. Beaurepaire, Gasté, etc. Nous tenons pour contestables, jusqu’à de nouveaux éclaircissements, l’existence d’Olivier Basselin, et surtout l’authenticité de ses poésies.
[13] Me Loys de Langle, Espaignol, florit à Lyon... prédist au roy Charles de la journée de Fremigny l’an iiicl, où furent tués iiijmvclxxiiij (4574 ; Cf. Berry Godefroy, variante, p. 450) Anglois et plusieurs prisonniers. S. de Phares, Ms. fr. 4357, f° 157. De la journée gaingnee en Normandie, dans la Revue anglo-française, t. III, p. 124. Réjouissances à Rouen, Fallue, t. II, p. 483 ; à Compiègne, 23 et 24 octobre ; Archives municipales de cette ville, C. 19. Lépinois, Biblioth. de l’École des chartes, t. XXIV, p. 496. Lettres de Jacques II d’Écosse à Charles VII : Stevenson, t. I, p. 299, 301. Tapisseries de Formigny : Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 1894, in-8°, t. I, p. 490 et suiv., 678 et suiv. ; La Saussaie, Histoire du château de Blois, 1850, p. 132, note 1 ; Le Roux de Lincy, Biblioth. de l’École des chartes, t. XI, p. 162 ; Vie de la reine Anne de Bretagne, Paris, Curmer, 1860, in-8°, t. IV, p. 79. Chastelain, Œuvres, t. II, p. 165.
[14] Taillandier, Histoire de Bretagne, 1756, in-fol., t. II, col. 1360 et suiv. Anatole de Barthélemy, Mélanges historiques et archéologiques sur la Bretagne, 1856, in-8°, 2e cahier, p. 14 et suiv. Gilles de Bretagne, fragment historique dans la Revue française du 1er mai 1859, in-8°, t. VIII, p. 252 et suiv. D’Argentré, Histoire de la Bretagne, 1618, in-fol., p. 802-851. Marchegay, Cartulaire de Rais, 1857, in-8°, p. 92. J. Du Clercq, p.27. Ms. Blancs-Manteaux, n° 143, f° 127. Etc., etc.
[15] Berry, p. 421. J. Chartier, t. II, p. 201 à 213. Basin, t. I, p. 238 et suiv. Chronique de Normandie, f° 201 et suiv. Escouchy-Beaucourt, p. 287 et suiv. Du Clercq, p. 19 et suiv. Gruel, p. 401 et suiv. Ordonnances, t. XIV, p. 89 à 93. Ms. Gaignières, n° 649, f° 40. Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 2e série, t. IV, 1844, in-4°, p. 337 et 346. Ms. latin 6198, f° 95 à 105. — Au siège d’Avranches, le capitaine anglais John Lampet, se voyant hors d’état de résister plus longtemps qu’il n’avait fait, résolut de capituler. Mais sa femme, jeune et belle, s’éleva contre cet avis. Déposant la cornette pour revêtir le chaperon et l’habit masculin, elle harangue les soldats, court chez les bourgeois, chez les gens d’église, ranime leur courage et, prenant en main le bâton de commandement, elle rallie sous le feu de l’ennemi les défenseurs de la ville, prêts à se rendre, mais, vains efforts ! le duc foudroie les murs, mine les remparts, et la résistance est de nouveau vaincue. L’intrépide amazone change alors d’attitude et d’allure. Elle reprend les habits de son sexe et, se parant de tout ce que l’art le plus habile et le plus exquis peut ajouter aux charmes de la beauté, elle se rend auprès du vainqueur... Ô douleur ! le bruit court que le jeune duc, pris à l’improviste, sentit, à l’aspect de ces atours et de ces charmes, se réveiller en lui de vénériques désirs, et que cette femme, à l’aide d’une préparation composée de drogues perfides, versa au prince embrasé de passion un poison mortel... Robert Blondel (Notice), p. 54, 55.
[16] Les mêmes. K. 68, n° 45. Cagny, Ms. Duchesne, f° 224. Ms. Fontanieu 121-2. Gallia christiana, t. XI, coll. 421 à 460, 528 et 658. Léchaudé d’Anisy, Chartes du Calvados, t. II, p. 409. Ordonnances, t. XIV, p. 96 ; t. XV, p. 508, 541. Lefebvre, Histoire de Calais, 1766, in-4°, t. II, p. 170. Proceedings, etc., t. VI, p. xxxvij.
[17] Demander l’impôt aux membres de la tribu de Lévi, dit le patriotique Blondel, c’est toucher à la prunelle de l’oyeul de Jésus-Christ. Notice, p. 40.
[18] Th. Basin, t. I, p. 243-4, 320. Cf. Escouchy, t. II, p. 286. Berry, p. 458. Spicilegium, in-fol., t. III, col. 790. Le roi, par lettres données le 19 mai 9430, ordonne de lever à son profit, pendant un an, par forme d’emprunt, la moitié du subside que se sont imposé les villes du Poitou, pour entretenir leurs fortifications. K. 68, n° 41. Narine : Comptes rendus de l’Académie des inscriptions, séance du 23 août, 1861, p. 217 ; communication de M. V. Le Clerc. Aide de 120.000 livres levées en Normandie pour la guerre. (K. 68, n° 46 ; acte du 16 mars 1451, n, s.)
[19] Delpit, Documents anglais, p. 265. En 1440, Philippe le Bon tente une nouvelle entreprise pour inonder Calais par la rupture des digues. (Lefebvre, Hist. de Calais, t. II, p. 160) Mais il est douteux que Philippe, en 1450, fût animé du même zèle, et la neutralité de ce prince paraît avoir été la véritable cause qui s’opposa au recouvrement de Calais par Charles VII.
[20] Paston papers, 1787, in-4°, t. I, p. 46. Proceedings and ordinances, t. VI, p. XXXIX, note 2 ; p. 912, 113, 124. Stevenson, Henri VI, t. I, p. 520, 521. Basin, t. I, p. 247.
[21] Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 3e série, t. I, 1854, in-4°, p. 142 et suiv. Berry, p. 452, 454. Chronique de Normandie, f° 203. Gruel, p. 402. Ordonnances, t. XV, p. 463. Cheruel, Hist. de l’administration, etc., 1854, in-8-, t. I, p. 123. Léchaudé d’Anisy, Chartes du Calvados, 1835, in-8°, t. Il, p. 337, n° 27. Fournival, Trésoriers de France, 1655, in-fol., p. 14. Voyez ci-dessus, p. 61. Juillet 17, remise d’impôts par le roi à ceux de Montpellier pour achever leur loge (ou parloir commercial ; — influence de Jacques Cœur) : Germain, Commerce de Montpellier, t. II, p. 371 et suiv. Juillet 31, Dunois, chef des arrière-bans de France : Daniel, Hist. de la milice, t. I, p. 203 ; Le Beurier, Arrière-ban, 1861, in-8°, p. 30, note 63. Août, don à Armenion ou Amanieu d’Albret, par le roi, des baronnies de Lesparre et de Carquances en Guyenne, confisquées sur Florimont, seigneur de Lesparre, P. P. 110, f° 273.
[22] Ms. latin 6198, f° 105 et 106. K. 68, n° 43. Ms. Fontanieu 121-2, au 26 septembre 1450. Stevenson, t. I, p. 517. D’Argentré, p. 827. Berry, p, 454, 455. Basin, t. I, p. 242, 244 et suiv. Escouchy, p. 318. Cagny, p. 224. J. Chartier, t. II, p. 223, 227. Du Clercq, p. 23, 29. Gallia christiana, t. XI, col. 745 E ; 765 B ; 795 C ; 815 B ; 828 C ; 841 A. Chronique de Normandie, f° 205 v°.
[23] Les mêmes. J. Chartier, p. 232. Gruel, p. 402. Notes biographiques sur Coëtivy et Kermoisan, Cabinet des titres. Anselme, etc.
[24] Chartier, Berry, Basin, Chronique de Normandie, Gruel, Escouchy, Du Clercq, loc. cit. Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, in-8°, t. X, p. 602 et planche IX. Ms. latin 6198, f° 127 v°. Ms. Moreau 152, f° 100 à 103. Hémérée, Augusta Viromanduorum, p. 320. Bugniot, Vie de Jehan Germain, Châlons, 1862, in-4°, p. 16. Fallue, Hist. de la cathédrale de Rouen, t. II, p. 483. Gallia christiana, t. XI, col. 943 C. — J. Filleau, Preuve historique des litanies de sainte Radegonde, etc., 1643, in-4°, p. 111. 3. Chartier, t. III, p. 330, 332, Louvet, Hist. de Beauvais, 1635, in-8°, t. II, p. 568. Stevenson, ibid., p. 307 et suiv. Etc.
[25] Le roi demande à Jean de Castille de renouveler les anciens traités et de lui fournir des navires pour appuyer par mer son expédition contre les Anglais. Ms. 6024, f° 62.
[26] Itinéraire. Ms. latin 5956 A, f° 196, 211. Ms. latin 6024 Baluze, f° 61 et 79 ; 84 à 90. Ms. Dupuy, 762, f° 15. Memorie per gli ambasciatori di Francia, etc. Archives de Gênes ; communiqué par M. Casati. Ms. fr. 4054, f° 122. Stevenson, t. I, p. 310. Chronique de Cousinot, p. 27, 76 et suiv. Ms. Gaignières 567, f° 47. 1450, novembre 3, hommage de Pierre II, duc de Bretagne, à Montbazon. Ms. Fontanieu 121-2 ; Preuves de Bretagne, 1744, t. II, col. 1546. J. Chartier, t. II, p. 248. Gruel, Du Clercq, etc. Administration civile : Ms. Brienne, 197, f° 308-314. Ms. fr. Saint-Germain 1060, an 27 novembre 1450. D. Plancher, t. IV, Preuves, p. cxcvij, Ordonnances, t. XIV, p. 99 à 133 ; t. XV, p 60 ; t. XVI, p. 141, 314 ; t. XIX, p. 190 ; t. XX, p. 140. Marchegay, Archives d’Anjou, 1853, in-8°, t. II, p. 30,5 et suiv. Réparations d’églises, dons à des couvents, œuvres pies : K. 68, n° 40, 44. Ms. Fontanieu 121-2, au 30 décembre 1450. Cartulaire de Marmoutiers, Ms. Baluze, n° 77, f° 361. Ordonnances, t. XIV, p. 123, 124. L. d’Anisy, Chartes du Calvados, t. II, p. 394, n° 172. Le 17 octobre 1450, Charles VII confirme les privilèges des Dieppois. Ms. Moreau 252, p. 109, 110.