LIVRE I. — DEPUIS LA NAISSANCE DU PRINCE (21 FÉVRIER 1403), JUSQU’À SA RETRAITE EN BERRY, SIGNATURE DU TRAITÉ DE SAINT-MAUR (16 SEPTEMBRE 1418).
Dans les premiers jours de décembre 1413, la reine de France, Isabeau de Bavière, habitait son hôtel de Barbette, sis à Paris, en la rue Vieille du Temple. Vers le même temps, Yolande d’Aragon, reine de Sicile et duchesse d’Anjou, quitta la ville d’Angers, sa résidence habituelle. Yolande voyageait en compagnie de ses enfants et vint prendre sa demeure à Marcoussis, près de la capitale[1]. C’était un élégant manoir, qu’avait fait élever, depuis peu d’années, le surintendant Jean de Montaigu. Après la mort de l’infortuné grand maître, Marcoussis avait été donné à Louis de Bavière, frère de la reine[2]. Vers le S décembre, la reine de Sicile, avec sa suite, visita la reine de France à Barbette et y reçut une somptueuse hospitalité. Le but de cette ambassade féminine était de conclure une alliance matrimoniale, projetée dans les conseils de la couronne, entre Charles, comte de Ponthieu, et Marie d’Anjou, fille aînée du roi de Sicile. Les deux reines-mères s’accordèrent sur cette proposition[3]. Isabelle, à cette occasion, offrit à ses hôtes de riches présents. Elle fit agréer à la reine de Sicile six hanaps d’or à pied, émaillés intérieurement de rouge clair. L’un de ces hanaps, destiné à l’usage personnel d’Yolande, était couvert, ou muni d’un couvercle en signe de la majesté royale[4]. Louis d’Anjou, comte de Guise (âgé de dix ans), accompagnait sa mère. Il eut en partage un anneau enrichi d’un diamant. Marie de Craon, première dame de la reine Yolande, reçut également un diamant. Le principal conseiller de la reine de Sicile, Mathieu de Beauvau, chevalier, figure aussi dans ces révélations à la fois intimes et d’un intérêt général, que les archives domestiques ont léguées à l’histoire. Mathieu de Beauvau appartenait- à la même famille que Pierre de Beauvau, chevalier, gouverneur de. Charles, comte de Ponthieu. Isabeau lui fit don d’un hanap et d’une aiguière d’argent doré. Enfin le jeune prince Charles prit lui-même une part à ces libéralités. Sa mère lui donna une aiguière et un gobelet d’or de 208 livres tournois[5]. Le 18 décembre suivant (1413), la cérémonie des fiançailles eut lieu dans le palais du roi, qui habitait alors son château du Louvre. Charles VI, ce jour même, en proie à sa cruelle maladie, ne put être témoin de la célébration. Charles, son troisième fils survivant, fut uni par promesse de mariage ou fiancé à Marie d’Anjou, en présente de la reine Isabelle, de Louis II, roi de Sicile et duc d’Anjou, de Louis Dauphin, duc de Guyenne, fils aîné du roi ; de Charles, duc d’Orléans ; de Philippe d’Orléans, comte de Vertus ; de Charles d’Artois, comte d’Eu, et de Bernard VII, comte d’Armagnac[6]. L’union qui venait d’être célébrée s’appelait promesse de mariage per verba de presenti. Aux termes du droit canonique, qui régissait cette matière, la limite d’âge ou majorité légale pour contracter mariage n’était autre que celle de la puberté : quatorze ans révolus en ce qui concernait l’homme et douze ans du côté de la femme. Le traité dé fiançailles constituait un engagement purement provisoire. Pour que cette obligation devînt parfaite, indissoluble, et se convertit en mariage, il fallait un nouvel assentiment ou ratification des deux fiancés, devenus majeurs, et une nouvelle consécration de l’Église. Dans l’intervalle qui séparait ces deux termes, la volonté de l’une des parties suffisait pour annuler ce premier contrat[7]. Charles, comte de Ponthieu ; n’avait point encore atteint la fin de sa onzième année. Marie d’Anjou était née le 14 octobre 1404. Elle comptait donc moins de dix ans d’existence[8]. La politique, ainsi qu’on en peut juger par ces détails, présidait seule à un engagement conclu, pour ainsi dire, entre deux berceaux. Mais à ce dernier point de vue, l’union dont il s’agit offrait une très grave importance. Louis II, roi de Sicile, en 1410, avait agréé la main de Catherine de Bourgogne, fille de Jean sans Peur, âgée de neuf ans, à titre de fiancée, pour son fils aîné, Louis d’Anjou, comte de Guise. Le duc de Bourgogne espérait, à l’aide de ce lien, gagner à son parti le roi de Sicile. Mais ce dernier prince, peu à peu, s’était dégagé de la ligue bourguignonne. Durant près de trois ans, Catherine de Bourgogne habita, près du comte de Guise, au sein de la famille angevine et porta le titre de comtesse de Guise[9]. Cependant, la jeune princesse, au moment où elle devenait habile, par son âge, à confirmer définitivement son union, fut en quelque sorte répudiée par le roi de Sicile. Le 20 novembre 1413, Louis d’Anjou la fit reconduire solennellement jusqu’à Beauvais, par le seigneur de Loigny, maréchal de France, suivi de cent vingt chevaliers. Là, elle fut remise, avec grande pompe, entre les mains de seigneurs bourguignons, venus pour la recevoir au nom. de son père. Ce procédé légal, mais par le fait, outrageant ; causa, au cœur du vindicatif Bourguignon, une amère et mortelle animosité. Entre les maisons de Bourgogne et d’Anjou, ce fut le signal d’une rupture éclatante[10]. L’alliance que Louis venait de prendre avec le prince Charles, était un nouveau pas qui éloignait le roi de Sicile de Jean sans Peur. Par suite de la rivalité sanglante qui divisait les familles d’Orléans et de Bourgogne, un véritable schisme partageait l’État, livré aux désastres de la guerre civile. Ce mariage tendait à créer, entre les deux branches ennemies, une tierce influence, au profit de la maison d’Anjou. Deux degrés ou branches collatérales séparaient du trône, à la vérité, le comte de Ponthieu. Ses frères aînés, Louis et Jean, étaient mariés à des princesses bourguignonnes. Mais tous deux, jeunes encore, n’avaient point d’enfants. Déjà, plus d’une perte était venue atteindre la nombreuse postérité de Charles VI et d’Isabeau de Bavière. De nouvelles éventualités de ce genre pouvaient, d’un jour à l’autre, supprimer, la distance qu’avait mise entré Charles VI et son successeur, l’ordre de primogéniture. Dans ce dernier cas, le comte de Ponthieu faisait asseoir avec lui sur le trône une princesse d’Anjou. En 1413, le voile de l’avenir, l’inconnu, recouvrait encore ces vicissitudes ultérieures de la fortune. Sans les deviner par le don de prescience, il n’était pas toutefois impossible, à un esprit clairvoyant, de pénétrer ce voile jusqu’à un certain point et de supputer ces éventualités. Nous n’hésitons pas à faire honneur de ces prévisions, de ces calculs, à la reine de Sicile, et nous regardons Yolande comme ayant été le véritable auteur de cette combinaison politique. Une telle conjecture a pour garants à nos yeux la perspicacité peu commune et la vive intelligence des affaires, que cette princesse déploya, durant tout le cours de .sa grande carrière. Quoi qu’il en soit, les résultats auxquels nous venons de faire allusion ne tardèrent point à se réaliser. L’histoire de Charles VII tout entière offre le développement de cette influence, mêlée de mal et de bien, mais, en résumé, providentielle, exercée, d’une manière presque constante, par la maison d’Anjou, pendant la durée de cette période. Une fois accordé ou fiancé à Marie d’Anjou, le comte de Ponthieu entra immédiatement dans sa famille nouvelle[11]. Le 21 décembre 1413, Yolande d’Aragon vint de Marcoussis à Paris, où elle partagea la demeure du roi Louis, son époux. Après avoir séjourné quelque temps à Paris, à Marcoussis et à Saint-Marcel près Paris, Yolande s’éloigna de la capitale. Le 5 février 1414, la reine de Sicile partit de Saint-Marcel, ayant à ses côtés le comte de Ponthieu, la princesse Marie, qui fut appelée désormais comtesse de Ponthieu, et ses autres enfants. Yolande se rendit de la sorte à Angers, son séjour ordinaire[12]. Charles passa deux années en Anjou et en Provence, tantôt dans la compagnie de son beau-père, Louis de Sicile, et la plupart du temps sous les yeux de la reine Yolande[13]. Pendant cet intervalle, de grandes vicissitudes s’accomplirent. Au commencement de 1414, le duc de Bourgogne, supplanté par les Armagnacs, eut recours aux armes pour reconquérir la domination qu’il avait perdue. Le 8 février, ses troupes occupaient Saint-Denis. Les lieutenants de Jean sans Peur vinrent escarmoucher à la porte Saint-Honoré : lui-même parut sous les murs de la capitale. A plusieurs reprises le duc, par l’organe de son roi d’armes, demanda d’Être admis à l’audience royale. Mais les ministres de Charles VI s’y opposèrent avec tant de force que Jean sans Peur, aigri et découragé, prit le parti de retourner dans ses pays de Flandres. Le gouvernement de Charles VI résidait alors entre lés mains du comte d’Armagnac. Par ses mesures énergiques, il sut imposer au redoutable Bourguignon, et celui-ci fut contraint, à son tour, de reculer, en se tenant sur la défensive. Le 3 avril, Charles VI, après avoir levé l’oriflamme à Saint-Denis, marcha contre Jean sans Peur, à la tête des troupes. Compiègne, Soissons, Bapaume et enfin Arras furent successivement enlevés d’assaut, en présence du roi de France, contre son vassal révolté. La paix d’Arras (4 septembre 1414) termina cette campagne de Picardie. En 1415, tandis que la sédition fermentait au sein même de la capitale, Henri V, roi d’Angleterre, profita de la division des partis pour envahir la France. Appelé par les princes eux-mêmes, à tour de rôle, l’Anglais se saisit avidement d’une proie facile. Henri d’Angleterre, débarqué le 15 août sur les côtes de Normandie, assiégea, le 16 Honfleur. Cette ville tomba en son pouvoir le 22 septembre. Bientôt une portion notable de la Normandie subit le même sort. La conquête s’opéra presque sans coup férir. Ces provinces, en effet, par suite de la précédente anarchie des pouvoirs publics, n’avaient point été mises en état de défense. Pendant le cours du même mois (septembre 1415), le comte de Ponthieu passa par Orléans. Il revenait de Provence, accompagné de sa jeune femme ou fiancée, de la reine de Sicile et du roi Louis, son beau-père. Le jeune prince et sa famille logèrent au palais du Domaine ou palais ducal, qui fut orné de vitres à cette occasion et qui avait été préparé pour recevoir de pareils hôtes. De là, les voyageurs se dirigèrent vers leur comté du Maine[14]. Cependant la nécessité contraignit le gouvernement français de pourvoir à la situation et d’agir. Le 20 octobre, Charles VI tint, à Rouen, un conseil royal, auquel assistaient le roi Louis et son jeune pupille. Charles, comte de Ponthieu, entra ainsi dans la carrière des affaires. Agé de douze ans, il fut témoin d’une délibération où s’agita le sort de la monarchie en péril. Le 25 octobre 1415 eut lieu la bataille d’Azincourt[15]. Peu de jours après cette lamentable catastrophe, un nouveau conseil fut tenu à Rouen en présence du jeune prince. Bernard, comte d’Armagnac, qui guerroyait dans le Midi, fut rappelé en toute hâte. Le roi et les princes étaient de retour à Paris le 25 novembre. Charles, comte de Ponthieu, fut alors nommé capitaine de Vincennes, poste militaire et politique important, car ce château fort servait tour à tour de résidence au roi et à la reine[16]. Le duc de Bourgogne se présenta de nouveau sous les murs de la capitale. Louis II, duc d’Anjou, redoutait le conflit que n’aurait pu manquer de produire sa rencontre avec son cousin de Bourgogne. D’ailleurs le roi de Sicile souffrait alors d’une cruelle maladie, qui devait, peu de temps après, l’entraîner au tombeau. Il quitta donc Paris sans retard et regagna son château d’Angers, où déjà l’avait précédé son gendre le prince Charles[17]. Louis, duc de Guyenne et dauphin, mourut le 18 décembre 1415, sans postérité. Jean, due de Touraine, lui succéda comme héritier présomptif de la couronne. Un seul degré, désormais, séparait du trône le cinquième fils de Charles VI et d’Isabeau de Bavière[18]. Le nouveau dauphin, Jean, duc de Touraine, âgé de dix-sept ans, résidait à la cour de Hainaut, près du comte Guillaume, qui lui avait donné sa fille en mariage. Une ambassade fut aussitôt envoyée au comte, et le pria de ramener à Paris ce jeune prince inexpérimenté, pour aider à gouverner le royaume[19]. Jean, duc de, Berry, oncle du roi, mourut dans son hôtel de Nesle, à Paris, le 15 juin 1416. Le duc laissait au dauphin Jean, son filleul, toute la portion de ses biens, titres, charges, ou prérogatives, qui ne s’éteignaient point avec lui, ou qui ne faisaient point, de droit, retour à la couronne. Le 16 juin, Charles, comte de Ponthieu, partit d’Angers, se dirigeant vers la ; capitale. Il fat immédiatement nommé capitaine général de cette ville, charge qu’avait occupée jusque-là, son oncle, le feu duc de Berry[20]. Le 15 juillet 1416, Charles, comte de Ponthieu, fut créé, par lettres royales, duc de Touraine. Le jeune prince devait tenir cet apanage à titre de pairie. Il en fit hommage, le même jour, entre les mains du roi[21]. Vers le mois d’août, Charles VI retomba malade. La reine, aux termes des précédents édits, fut investie du gouvernement, pour l’exercer de concert avec les princes du sang et le conseil. Grâce à la décision, à l’énergie soutenues que déployait le comte d’Armagnac, Jean sans Peur continuait de se tenir à distance de la cour. La reine, souffrante elle-même, se trouvait dans un état d’empêchement physique, qui ne lui permettait pas de manier activement les rênes de l’État. Partagée entre la peur et des préoccupations frivoles ou mesquines, l’égoïste et faible Isabeau essayait toujours de louvoyer, au milieu des partis et des écueils[22]. Le 1er août 1416, Henri V, excité par le duc de Bourgogne, avait opéré une nouvelle descente à la Hogue de Saint-Waast. Il ne tarda pas à débloquer le port d’Harfleur, que le connétable tenait assiégé, pour le soustraire à la domination anglaise. Complice de ces désastres, le duc de Bourgogne entretenait des troupes de bandits, ou de partisans armés, qui désolaient le nord, du royaume. L’une de ces bandes vint jusque sous les murs de Paris, tenter nuitamment. un coup de main contre cette capitale[23]. Dans ces difficiles conjonctures, Isabelle de Bavière essayait de se concilier le comte d’Armagnac. De 1414 à 1417, on voit figurer, parmi ses dépenses particulières, de nombreux présents d’argenterie, offerts par la reine au connétable, au prévôt de Paris, le célèbre Tanneguy Duchâtel, et à d’autres fonctionnaires de cet ordre. La plupart des conseillers influents, que les princes d’Anjou avaient placés auprès du prince Charles, étaient, sous main, pensionnés par la reine, ou recevaient de cette princesse des dons manuels[24]. En même temps, elle négociait avec le due de Bourgogne, par l’intermédiaire de son cousin, Guillaume de Bavière, comte de Hainaut et de son gendre, Jean VI, duc de Bretagne. Jean sans Peur tenait sous sa coupe ; à Valenciennes, le nouvel héritier présomptif de la couronne Le comte de Hainaut foncièrement dévoué aux intérêts du duc de Bourgogne, exerçait sur le jeune dauphin, qui avait épousé sa fille, les droits de l’autorité paternelle. Prié de ramener son beau-fils à la cour de France, le comte de. Hainaut mit pour condition à ce retour, le retour du duc de Bourgogne lui-même, son beau-frère. Cette offre ne manqua point d’être opiniâtrement repoussée par les ministres de Charles VI. Jean, dauphin de France, demeura ainsi, pendant une année environ, éloigné de la cour et du gouvernement des affaires[25]. Cependant le roi de Sicile, prince du sang, exerçait nominalement l’autorité publique et jouissait à Paris d’une influence prépondérante. Il présidait les conseils du roi, auxquels prenait part, non loin de lui, le prince Charles, qui tenait le rang de son frère aîné, ou du dauphin absent[26]. Le 25 décembre 1416, Guillaume de Hainaut, pour condescendre aux instances de la reine, amena le dauphin Jean jusqu’à Saint-Quentin. Isabelle, suivant les désirs du comte de Hainaut, devait se rendre en Picardie, pour recevoir son fils. Vers cette même date, Louis II, roi de Sicile, quitta de nouveau Paris et revint en Anjou, emportant avec lui, suivant la remarque du chroniqueur officiel ; de grandes richesses, qui provenaient de l’impôt et qui étaient destinées, dit cet écrivain, aux dépenses de la guerre. Charles, duc de Touraine, demeura près de la reine sa mère[27]. Vers le mois de janvier 1417, le roi éprouva, dans sa santé, quelque amélioration. Le duc de Bretagne fut mandé de nouveau pour négocier avec Jean sans Peur. Guillaume, comte de Hainaut, conduisit le dauphin Jean au château royal de Compiègne. Isabelle quitta Paris, pour aller à la rencontre de son fils, accompagnée des ducs de Bretagne et du grand conseil. La reine établit sa demeure à Senlis, où elle se trouvait le 11 janvier. Le 17 du mois suivant, elle résidait encore dans cette ville. Durant ce laps de temps, les négociations furent reprises entre la reine et lé comte, afin de parvenir à la restitution du dauphin de France. La comtesse de Hainaut amena vers la reine, à Senlis, la dauphine Jacqueline de Hainaut, épouse du prince Jean. Mais la jeune princesse fut ensuite reconduite auprès de son mari à Compiègne, et le dauphin ne quitta point cette ville[28]. Vers l’entrée du carême, la reine partit de Senlis. Le 24 février 1417, jour des Cendres, elle accomplit les dévotions de cette solennité religieuse, en l’abbaye de Saint-Denis. Isabelle ramenait avec elle au sein de la capitale le comte de Hainaut et le due de Touraine. Le 5 mars, après avoir traversé la capitale, elle était venue seule établir sa demeure à Vincennes[29]. Guillaume, comte de Hainaut, poursuivit auprès du gouvernement de Charles VI, le cours des négociations commencées. Il rencontra, de la part des conseillers du roi, une invincible résistance. Le 30 mars 1417, le comté, en pleine audience des princes ou du grand conseil, déclara qu’il mettrait dans Paris et le duc de Bourgogne, et le dauphin, ou bien qu’il remmènerait ce dernier en son pays de Hainaut. Le conseil du roi (c’est-à-dire le connétable d’Armagnac), de son côté, répondit à cette apostrophe en décrétant d’arrestation le comte Guillaume. Mais celui-ci fut informé secrètement et sans retard du danger qui le menaçait. Le lendemain, de bon matin ; Guillaume s’esquiva de Paris, avec deux hommes de suite, sous prétexte de pèlerinage à Saint-Maur des Fossés, genre de démonstration pieuse alors très usitée[30]. Sans perdre un instant, il se rendit vers le dauphin, à Compiègne. Arrivé le jour même, il trouva ce jeune prince atteint subitement d’un mal très grave. Les progrès de cette affection morbide se développèrent avec une telle rapidité, que le prince Jean, très peu de jours après, expira le 5 avril 1417 à Compiègne. Le quatrième fils de Charles VI mourait âgé de moins de vingt ans, sans postérité. Cette fin prématurée donna lieu à des rumeurs sinistres. On dit que le dauphin Jean, à son tour, venait de périr empoisonné. Jean sans Peur, duc de Bourgogne, publia aussitôt un nouveau manifeste. Il n’hésita pas à représenter ce deuil répété, comme étant l’effet d’un double crime, qu’il imputait à ses adversaires, les Armagnacs ou conseillers du roi[31]. Charles, duc de Touraine, dernier rejeton mâle qui survécût de la tige royale, devint ainsi dauphin de Viennois et l’unique héritier de la couronne. |
[1] La reine Yolande s’établit à Marcoussis à la fin d’octobre. K. K. 243, f° 23 et 24.
[2] K. K. 48, f° 79. K. K. 243, f° 24. Lamotte, Histoire de Marcoussis, Ms. de M. J. Pichon, f° 23.
[3] K. K. 48, f° 79. Jean Chartier, in-16, t. III, p. 265.
[4] Prix des six hanaps : 1072 francs d’or. Servir couvert, ou manger couvert était en principe une prérogative de la souveraineté.
[5] Jean Chartier, etc., 269. Sainte Marthe, Histoire de la maison de Beauvau, 1626, in-4°, p. 92.
[6] Religieux de Saint-Denis, édit. Bellaguet, 1839 et ann. suiv., in-4°, t. V, p. 231.
[7] Walter, Manuel du droit canonique, édition française, 1840, in-8°, p. 393, traduit par Roquemont.
[8] Anselme, Histoire généalogique des rois de France. Heures de René d’Anjou, Ms. 1156 A, au calendrier. Baudot de Juilly, Hist. de Charles VII, 1754, in-12, t. I, p. 7. Cf. Pithon-Curt, Noblesse du Comtat, 1750 in-4°, t. IV, P. 304.
[9] K. K. 243, f° 48 et passim.
[10] Monstrelet, éd. de M. Doüet-d’Arcq pour la société de l’Histoire de France, 1857 et ann. suiv., in-8°, t. II, p. 414.
[11] La solennité de son mariage, dit le père Anselme, en parlant de Marie d’Anjou, ne fut célébrée qu’en 1422. Hist. généalogique de la maison de France. Nous y reviendrons.
[12] K. K. 243, f° 24 et 25.
[13] Ibid., f° 25 à 47.
[14] Catalogue Joursanvault, 1838, in-8°, t. II, n° 3297. K. K. 243, f° 46. Le 12 octobre, le prince Charles, Marie d’Anjou, Yolande d’Aragon et Louis II, roi de Sicile, étaient réunis en famille au pians et le 14 à Angers (ibid.).
[15] Monstrelet, t. III, p. 98. P. Cochon, p. 428.
[16] Monstrelet, t. III, p. 126. Anselme, Histoire généalogique, 1726, t. I. p. 115.
[17] Monstrelet, t. III, p. 128. Le 10 décembre, Jean sans Peur était à Lamy-sur-Marne. Gachard, Itinéraire, p. 201. Charles se trouvait à Amers près d’Yolande le 1er décembre. Louis II arriva le 20 dans cette ville. K. K. 243, f° 46, v°.
[18] Monstrelet, ibid., p. 131.
[19] Chronique du héraut Berry dans Godefroy, Histoire de Charles VI, 1653, in-f°, p. 431.
[20] K. K. 243, f° 47. Monstrelet, édition du Panthéon, p. 288. Berry dans Godefroy, p. 431.
[21] Ordonnances, t. X, p. 371, etc. Chalmel, Histoire de Touraine, 1828, in-8°, t. II, p. 173.
[22] Religieux, t. VI, p. 51. Jean Chartier, in-16, t. III, p. 278.
[23] Cousinot, p. 162, 430. Jean Chartier, t. III, p. 159. Religieux, t. VI. P. 34, Monstrelet, t. III, p. 144, 147, 152.
[24] Isabeau de Bavière, 1859, in-8°, p. 24. J. Chartier, t. III, p. 272 et s.
[25] Monstrelet, t. III, p. 161 et suiv. Religieux, t. VI, p. 53, etc. Lettres de Tours.
[26] Félibien, Histoire de Paris, t. III, p. 545. Ordonnances, t. X, p. 382 et 385.
[27] Monstrelet, t. III, p. 167. Religieux, t. VI, p. 51.
[28] Monstrelet, t. III, p.167. Religieux, t. VI, p. 53. K. K, 49, f° 39 et suiv.
[29] K. K. 49, n° 489. Monstrelet, ibid. A la date du 10 mars 1417, la reine, à Vincennes, nourrissait, entre autres animaux, une léoparde, femelle du léopard, que lui avait envoyée de Compiègne son fils Jean, dauphin. (Jean Chartier, t. III, p. 283.)
[30] Monstrelet, t. III, p. 168. Voy. Notes... sur quelques enseignes... religieuses tirées du cabinet de M. Forgeais. (Revue archéologique, 1861.)
[31] Monstrelet, ibid. Religieux, t. VI, p. 60. J. Chartier, t. III, p. 285. Godefroy, Charles VI, p. 681. L’accusation d’empoisonnement se fixa et se multiplia, évidemment par ordre, chez les historiens bourguignons. L’un d’eux prétend que le dauphin Jean mourut pour avoir revêtu un haubert de fer, d’où le venin se répandit dans ses entrailles. (Sulfridi Leodiensis chronicon, dans Chapeauville : Historiens liégeois, Liège, 1616, in-4°, t. III, p. 86). Toutes ces imputations semblent dignes de peu de foi. La maladie à laquelle succomba le jeune prince parait avoir consisté positivement en une fistule à l’oreille. Les archives de Tours contiennent, sous la date du Quesnoy, 27 septembre 1416, une lettre importante du dauphin Jean, adressée aux habitants de Tours. (Lettres historiques tirées des archives communales de Tours, publiées par M. V. Luzarches pour la Société des bibliophiles de Touraine, 1861, in-8°, pages 4 à 7.)