NOUVELLES RECHERCHES SUR AGNÈS SOREL

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

 

J'ai publié, dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes[1], un premier travail sur Agnès Sorel, composé de documents historiques, inédits pour la plupart. Depuis ce temps, j'ai mis au jour, par l'organe de la Revue de Paris[2], un autre morceau. Là, je me suis proposé de montrer, sous la forme de récit ou de discours, le rôle qui me semble appartenir, dans l'histoire, à cette femme célèbre. Ce dernier opuscule devait être placé sous les yeux d'un public purement littéraire. Il ne pouvait donc comporter un appareil de preuves et de développements, qui sont du domaine de l'érudition. J'ai le dessein aujourd'hui de revenir sur quelques points controversés de ma notice et de rendre sensible, autant qu'il dépendra de moi, par une mise en œuvre attentive des monuments, ce qui me parait être la vérité.

La carrière historique d'Agnès Sorel se partage en deux phases distinctes : l'une antérieure, l'autre postérieure à 1444. Pur cette dernière période, les documents et la lumière sont assez abondants. Mais de grandes obscurités planent encore et planeront peut-être toujours sur la première. Toutefois en réunissant avec soin les diverses lueurs et les rares documents qui nous sont restés, en les interrogeant avec une critique rationnelle, je pense qu'il n'est point impossible d'éclaircir les points essentiels de cette biographie, mémo dans le premier des deux intervalles chronologiques ci-dessus indiqués. Telle est la tâche que je vais essayer de remplir.

Agnès Sorel naquit, de 1409 à 1410[3], dans le lieu-dit Fromenteau[4], en Touraine. C'est du moins ce qui résulte de plus vraisemblable à nos yeux des diverses raisons ou autorités que nous déduirons successivement dans le cours de ces recherches. On sait combien les témoignages directs, authentiques, touchant la naissance des personnes, sont rares, à ces époques où la loi civile n'avait encore rien disposé sur cette matière. Pour ce personnage comme pour tant d'autres, la notion de son âge nous est parvenue par une double voie : 1° la notoriété ou la tradition écrite et transmise d'auteur en auteur ; 2° les synchronismes démontrés. Nous consulterons successivement ces deux modes d'information.

Dreux du Radier, écrivain instruit et généralement judicieux ainsi qu'exact, a le premier consacré à la belle Agnès un article biographique de quelque importance. Son ouvrage, Anecdotes des Reines et Régentes de France, parut en 1763 : Agnès, dit-il, naquit à Fromenteau, paroisse de Villiers, vers 1409. Cette assertion a été depuis répétée sans contestation par les auteurs de tous nos dictionnaires biographiques. En 1778, un amateur d'histoire, voulant s'enquérir de ce qui touchait au souvenir d'Agnès, s'adressa dans ce dessein au prieur de l'abbaye de Jumièges. Ce prieur, nommé Marye, répondit à sa demande par une notice qui nous est restée. Voici le commencement de cette notice :

Extrait de l'Histoire de l'abbaye de Jumièges, p. 257 et suiv.

Il y avait près de six semaines que le roi Charles VII était à Jumièges, lorsque Agnès Sorel fut attaquée d'une dysenterie mortelle, dont elle mourut à la ferme du Mesnil, dépendante de l'abbaye, le jeudi, neuvième jour de février de cette année 1450, sur les six heures du soir, âgée seulement de quarante ans[5].

Ce témoignage assurément, sous la date récente de 1778, ne saurait être pour nous l'équivalent d'une preuve directe, originale et authentique. Mais la critique doit peser aussi les circonstances et les considérations qui donnent à ce renseignement une véritable gravité. Avant l'introduction dans les paroisses, des registres de l'état civil, la preuve judiciaire des décès et de l'âge ou des naissances, se faisait notamment par les épitaphes des églises où avaient eu lieu les inhumations. Car ces épitaphes contenaient souvent, avec la date du décès, l'âge des décédés. Or, Agnès Sorel mourut et fut inhumée à Jumièges. Elle mourut presque inopinément, léguant aux religieux des libéralités qui devaient rendre son souvenir sympathique et durable, et dont les monuments ont traversé des siècles. L'âge d'Agnès, il est vrai, n'était point relaté dans son épitaphe. Mais la mort de cette femme, enlevée dans une telle position aux pompes et aux jouissances de la vie, ne dut-elle pas causer une vive impression sur les moines de Jumièges, qui en furent les témoins ? La notion de son âge ne dut-elle pas, à raison de ces circonstances, laisser dans les traditions[6], et même dans les écrits du monastère, une trace certaine, authentique et durable ? L'histoire de Jumièges ici alléguée sous la haute et légitime autorité du nom bénédictin, peut être mise au rang des plus dignes de considération, parmi les documents ou ouvrages de son espèce. Des prescriptions réglementaires, aussi anciennes que la réforme de saint Maur (établie vers 1602), ordonnaient, dans chaque monastère de la congrégation, la tenue d'un registre contenant l'histoire de cette maison religieuse. Ces prescriptions furent renouvelées spécialement lors du chapitre général de 1766[7]. Divers ouvrages qui nous sont restés[8], et l'extrait même dont il est actuellement question, prouvent qu'à Jumièges ces prescriptions furent exécutées. L'histoire de l'abbaye de Jumièges était ce cerne registre, ouvrage en quelque sorte perpétuel et anonyme. Un religieux, portant le titre d'antiquaire ou d'historiographe, après avoir reçu de son prédécesseur ce registre, le perfectionnait à son tour et l'enrichissait de ses recherches. Puis il le transmettait à son successeur, augmenté du récit des événements de son temps. En ce qui touche les âges reculés, cette histoire avait pour bases les archives mêmes de l'abbaye, les monuments originaux ; en un mot, elle était puisée, sous la garantie de la méthode bénédictine, et sauf la faillibilité humaine du rédacteur, aux sources les plus pures et les plus dignes de foi. Cette définition s'applique exactement, dans l'espèce, à la page tout entière ou extrait que nous avons eu l'occasion d'alléguer.

On vient d'entendre la voix de la tradition écrite. Consultons maintenant la suite chronologique des événements. Agnès, selon le père Anselme, était fille de Jean Soreau, écuyer, seigneur de Coudun, conseiller et serviteur du comte de Clermont en 1425 ; Jean mourut en 1446[9]. Au XVe siècle, la châtellenie de Coudun, située près de Clermont en Beauvoisis, fut disputée par plusieurs seigneurs. Elle appartenait d'abord de père en fils à la maison de Saint-Simon. Gaucher de Rouvroy, seigneur de Coudun, suivit le parti de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et le quitta en 1424[10]. A partir de cette date, Coudun sortit de la main des Rouvrey et fut disputé[11], si ce n'est possédé par les Sorel. En mai 1430, au rapport de Monstrelet, le duc de Bourgoigne s'en ale logier en la forteresse de Coudin, à une lieue de Compiengne[12].

Agnès, par sa mère Catherine de Maignelay, appartenait également à une famille picarde. Cette famille d'ancienne chevalerie, vassale de la maison de Bourbon, versait, depuis Philippe-Auguste, le sang illustre des Tristan de Maignelay pour la cause des Capétiens ou des Valois. Dès l'âge de l'adolescence, Agnès fut aimée et élevée, suivant l'usage du temps, par Isabelle de Lorraine. Cette princesse, née en 1410[13], épousa René d'Anjou et devint successivement duchesse de Bar, de Lorraine, d'Anjou, reine de Naples, de Sicile et de Jérusalem. Et l'avoit nourrie, dit Bourdigné, la royne de Sicille dès sa jeunesse et si fort l'aymoit qu'elle lui avoit donné plusieurs biens en meubles et héritages, etc.[14]. Agnès Sorel passa, de son service auprès d'Isabelle, et de sa résidence en Lorraine, passa, dis-je, à la cour de France. La date de cette transition, point capital dans cette biographie, est attestée implicitement par deux auteurs contemporains.

Le premier est Jacques du Clercq qui s'exprime ainsi : ….. Le roy Charles, ains qu'il euist paix avec le dict duc (Philippe de Bourgoigne), menoit moult saincte vie et disoit ses heures canoniaulx. Mais depuis la paix faicte au dict duc, jasoit ce qu'il continuast au service de Dieu, il s'accointa d'une josne femme, venue de petit lieu d'envers Thour, nommée Agnès, laquelle fut despuis appelée la belle Agnès[15]. Il s'agit de fixer avec précision le sens de ce passage. Ainsi Jacques du Clercq divise la vie du roi en deux phases morales ou périodes de temps. L'une est antérieure à la paix d'Arras ; jusque-là, dit-il, Charles vécut chastement. L'autre postérieure à la paix d'Arras, est celle où il s'accointa d'Agnès. La liaison d'Agnès inaugura cette seconde période, puisque cette liaison est le fait qui caractérise le changement. Or la paix d'Arras fut signée dans cette ville le 22 septembre 1435. Donc, suivant Jacques du Clercq, la liaison d'Agnès avec Charles VII eut lieu immédiatement[16] après la paix d'Arras.

Le second auteur n'est autre que le pape Pie II. Enée Silvio Piccolomini, né dans le Siennois en 1405, ceignit la tiare en 1458, et mourut en 1464. Dans ces temps, le trône pontifical était aussi le premier poste politique de l'Europe. Pie II, avant d'être promu à ce faite suprême par les suffrages des princes de l'Église, avait successivement franchi tous les degrés de la carrière et de la hiérarchie.

En 1435, il assistait au congrès d'Arras. Enée était alors secrétaire du cardinal de Sainte-Croix, l'un des principaux auteurs de cette grande réconciliation ; et lorsque la paix fut signée, le jeune diplomate adressa une épître en vers à Philippe le Bon, duc de Bourgogne, pour le féliciter de cette heureuse issue des négociations[17]. Les mémoires de sa vie, rédigés par lui et mis en ordre sous ses yeux, du temps de son pontificat, ont été publiés plus tard par sa famille. Là, il nous a laissé sur toutes les affaires du temps, et notamment sur les affaires de France, les renseignements les plus instructifs. Pie II avait recueilli, pendant le cours de ses ambassades, diverses notions très-curieuses sur Agnès Sorel, et les a consignées dans deux passages fort intéressants de ses mémoires. Le premier[18] traite de la Praguerie, qui eut lieu en 1440. La cause de cette ligue, d'après Pie II, fut la jalousie des ducs de Bourbon et d'Alençon contre Charles d'Anjou. Celui-ci faisait servir, disaient-ils, à sa prédominance dans le conseil de Charles VII, l'ascendant qu'Agnès Sorel exerçait sur le monarque. Dans un second passage, le narrateur revient, à quelques pages de là, sur le même sujet[19]. Ici il fixe en ces termes la date des relations de Charles VII avec Agnès Sorel : ….. Agnes ad curiam regis venit, Isabellam Rhenati conjugem ex provincia secuta ; abeunte domina inter ancillas Mariœ reginœ remansit.... Ce départ, antérieur à 1440, auquel notre historien fait allusion, ne saurait être l'objet d'une attribution douteuse ou incertaine. Jeanne II, reine de Sicile, était morte le 2 février 1435 (nouveau style), léguant à René la couronne de Naples. Au mois d'août, René, prisonnier du duc de Bourgogne, se constitua captif à Dijon. Ces dates et les faits allégués sont tirés d'une sorte de calepin authentique et à l'usage personnel du roi René, écrit sous sa dictée. On en trouvera le texte, dans son livre d'heures, au calendrier[20]. La duchesse-reine, munie des pleins pouvoirs de son époux, se rendit à la cour de France, d'après ce que nous apprend Pie Il : naturellement pour réclamer l'aide, les instructions et le congé du roi. Le premier jour d'octobre 1435, se partit de Marseille la royne Isabellepour aller à Naples et en son royaume[21]. Enfin cette princesse ne revint en France que postérieurement à la Praguerie, en 1440 ou 1441[22].

Ainsi donc, d'après Pie II aussi bien que selon Jacques du Clercq, Agnès vint se fixer auprès du roi de France à l'époque de la paix d'Arras, c'est-à-dire vers la fin du mois de septembre 1435. Ces deux témoignages sont puisés à la même source, ou partent d'un même point, qui est Arras. Mais ils se produisent dans des termes si différents, par deux personnages tellement étrangers l'un à l'autre, que le premier ne saurait être l'écho ou la copie du second. Chacun d'eux conserve sa valeur propre et tous deux se communiquent une force mutuelle. Les développements de Pie 1l l'emportent encore en intérêt sur l'affirmation même du fait. Car ils le commentent et l'expliquent. Nous reviendrons plus tard sur ce commentaire important. Poursuivons la série des renseignements que nous avons à rechercher.

Ces deux chroniqueurs que nous venons d'alléguer sont étrangers. Les historiens, d'ailleurs si insuffisants, du parti français ou de Charles VII, gardent, sur les commencements de la liaison du monarque avec Agnès, un silence qui s'explique par la nature même du fait omis. Mais à défaut d'une révélation expresse et directe sur ce point délicat, nous possédons quelques renseignements qu'il est bon d'examiner. Ces notions se rapportent à la naissance des enfants d'Agnès Sorel. Charles VII eut d'elle quatre filles. Le père Anselme qui, dans son histoire généalogique de la maison de France, procède toujours autant que possible par ordre de primogéniture, les énumère ainsi 1° Charlotte ; 2° Marie (nommée aussi Marguerite) ; 3° Jeanne[23]. Cherchons maintenant à déterminer l'âge des trois premières. M. J. Delort a laissé sur Agnès Sorel un opuscule[24] fort intéressant quoique très imparfait, et dans lequel il y a deux parties bien distinctes. Ce sont, d'une part, les documents qui lui ont été fournis par autrui, et de l'autre, le récit, la rédaction qui est son œuvre propre. Les documents sont généralement d'eux-mêmes excellents[25], quoique défigurés par des fautes nombreuses. Quant à l'autre partie, le faux s'y mêle au vrai dans un continuel amalgame, et l'irrégularité des citations rend d'autant plus difficile le départ ou la séparation de l'un et de l'autre. Ces observations s'appliquent spécialement au point qui nous occupe. Non content de reproduire l'ordre d'ainesse qu'observe le père Anselme, M. Delort donne une date à chacune de ces naissances. Charlotte, dit-il implicitement, naquit de 1433 à 1434[26]. Marie, suivant le même auteur, vint au monde peu de jours après le mariage du Dauphin, qui eut lieu à Tours le 24 Juin 1436[27]. Enfin, d'après M. Delort, en 1445, Agnès, sur le point d'être mère, vint faire ses couches à Beauté-sur-Marne, près Paris, et là elle donna la vie à Jeanne, sa troisième fille[28]. Malheureusement M. Delort ne justifie par aucune preuve cette triple assertion. Essayons toutefois de fournir à ces allégations l'appui qui leur manque.

Charlotte, la première fille, fut mariée vers le mois d'avril 1462 à Jacques de Brézé[29]. Née en 1434, elle aurait eu alors 28 ans. Nous reviendrons plus loin sur ce mariage tardif. Jacques était âgé d'une trentaine d'années[30].

Marie, la deuxième, épousa au mois de novembre 1458[31], âgée conséquemment de vingt-deux ans et quelque mois, Olivier de Coëtivy qui comptait environ une quarantaine d'années[32].

Jeanne, née en 1445 et par conséquent mineure de vingt et un ans en 1461, épousa Antoine de Bueil, également mineur, comme l'atteste leur contrat de mariage passé à Tours le 23 décembre 1461, qui nous a été conservé[33].

Le contrat de mariage de Marie, visé par le père Anselme[34], ne nous est point parvenu ; mais j'ai publié, dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes[35], un acte qui reproduit des termes cités par Anselme d'après ce contrat et qui peut en tenir lieu. Dans cet acte, le roi s'exprime ainsi : Charles, par la grâce de Dieu, etc... ... Feu Prégent de Coëtivy, en son vivant admirai de France, cy devant, par nostre ordonnance et commandement, prit ladite Marie nostre fille estant enfant et la mena au chastel de Taillebourg, auquel, tant durant la vie du dit Pré-gent, que depuis, elle e été nourrie et allimentée jusqu'à présent, qu'elle est en aage de marier. Prégent de Coëtivy était l'un des familiers et des confidents les plus intimes de Charles VII. Il prit faveur et crédit à la suite de Charles d'Anjou et dans les mêmes circonstances que ce prince. Prégent mourut en 1450. En 1442, le roi lui donne le château de Taillebourg[36], et si j'interprète bien l'acte de 1458, lui remet en même temps sa fille enfant. Marie, effectivement, née en 1436. touchait à l’âge où les jeunes filles nobles passaient de la nourrice à la gouvernante. Tous ces points concordent parfaitement entre eux et fournissent à l'assertion de M. Delort une solidité considérable. Or, si l'on admet que Marie naquit en 1436 et que l'on accepte la priorité ou primogéniture, donnée par Anselme et Delort à Charlotte, la date de 1434 assignée à sa naissance devient à son tour très-plausible. Car, à une année près et suivant les lois mêmes de la nature, cet intervalle de deux ans entre les deux naissances, su trouve en quelque sorte mathématiquement imposé. Quant à la date de la naissance de Jeanne, elle ne présente aucune répugnance possible à la critique et n'a jamais été en elle-même contestée.

Je reviens maintenant aux commentaires de Pie D'après cet historien publiciste, l'influence d'Agnès, en 4439, se confondait avec la prépondérance, alors nouvelle de Charles d'Anjou. Nous pénétrons ici par un épisode secret et obscur, à la liane, à la raison des faits généraux, les plus graves, les plus inexpliqués de ce règne. L'influence d'Agnès naquit des mêmes circonstances, et probablement à la même date que celle de Charles d'Anjou. Pour le démontrer, il convient de rapprocher le jugement émis par Pie II des faits auxquels ce jugement s'applique. Yolande d'Aragon, mère de Marie, de René et de Charles d'Anjou, belle-mère de Charles Vif, exerça dès le principe sur son gendre un ascendant suprême. Car il était écrit que ce prince, depuis son enfance jusqu'à son dernier jour, serait gouverné, inspiré et guidé par des femmes. Seulement pendant une période de sa vie, période de désordre et de folie juvénile excessivement prolongée, cet ascendant ne s'exerça que par intermittences. Cette première période eut son terme lorsque Georges de la Trimouille, une nuit, fut enlevé de son lit, au château de Chinon, et dépouillé par ce moyen de sa puissance. Jusque-là, le jeune prince avait laissé flotter sa confiance entre ses favoris. Ces derniers se succédaient comme se remplacent, dans les mains d'un enfant, des jouets aussitôt délaissés que chéris, et virent ainsi, tour à tour, se briser leur fortune éphémère. Les chroniques du temps, qui toutes retentissent de cet enlèvement, ne s'accordent point sur la date précise du fait. Mais ces variantes chronologiques ne s'étendent que du mois d'octobre 1432 au mois de juin environ de l'année suivante[37]. Un point sur lequel elles sont unanimes, c'est que cet heureux coup de main fut l'œuvre et qu'il s'accomplit au profit de la maison d'Anjou. Yolande d'Aragon, Marie d'Anjou, Charles d'Anjou, dirigèrent l'événement et persuadèrent au roi de l'accepter : ce qu'il fit. Pierre de Brézé, Prégent de Coëtivy, Jean de Bueil, s'employèrent à l'exécution. Charles d'Anjou, à leur tête, entra dès lors de plain-pied dans les conseils du monarque, et ces noms désormais contresigneront invariablement, jusqu'au dernier jour de Charles VII, la politique de ce grand règne. Charles VII grandit en effet à la date même de cette révolution. La métamorphose qui depuis cette époque s'opère non-seulement autour de lui, dans sa fortune ou sa destinée, mais en lui, est un spectacle éclatant de l'histoire. Ce spectacle e frappé, on peut le dire, jusqu'à l'éblouissement, tous les écrivains qui ont étudié avec attention cette partie de nos annales. Ce changement merveilleux, en ce qui touche la biographie de Charles VII, embrasse une phase chronologique qui s'étend de 1434 environ à 1450. La période suivante est relativement, je l'ai montré ailleurs[38], une période de décadence.

A partir de 1435, les faits essentiels qui concernent la vie d'Agnès Sorel me paraissent donc offrir à la critique une sérieuse consistance. Mais il n'en est pas de mérite pour les faits antérieurs. Là-dessus, nous sommes réduits à des conjectures nécessaires, à des hypothèses plus on moins probables et qui seront diversement goûtées. Quant à la naissance de Charlotte, de deux choses l'une : ou l'ordre de primogéniture a été dicté aux rédacteurs de l'Histoire généalogique par des autorités et des preuves (c'est ce que j'incline à croire vrai, ) ou cet ordre n'est pas fondé. Dans ce dernier cas, la naissance de Charlotte pourra être placée arbitrairement de 1437 à 1444, entre les naissances de Marie et de Jeanne. Si l'on devait s'en tenir strictement aux récits de Jacques du Clercq et de Pie Ii, il faudrait opter pour cette dernière solution. Car, suivant ces auteurs, c'est après 1435 que commença de naître (amure occœpit)[39] la passion dont Pie II raconte l'origine et le développement.

Maintenant à ceux qui, dans ce débat, se préoccupent des conséquences morales à tirer de l'induction des faits, j'adresserai cette observation : peu importe la date en ce moment agitée de la naissance de Charlotte ; il suffit que l'influence d'Agnès soit acquise à l'histoire comme un fait remontant à 1455. On peut donc, libre de cette préoccupation, recourir en quelque sorte indifféremment, au second terme de l'alternative : à la priorité de Charlotte. Cette priorité ne s'appuie, il est vrai, d'aucune attestation directe et précise. Il convient donc, jusqu'à nouvelle lumière, de se renfermer à cet égard dans le doute. Je crois cependant qu'une critique judicieuse permettra d'accepter à titre de présomptions pour l'affirmative, les témoignages combinés d'Anselme et de M. Niort. Je pense même que la raison commande de chercher à contrôler et à vérifier cette solution. Sur ce point, purement négatif, le récit de Jacques du Clercq et celui de Pie II ne me paraissent pas constituer un obstacle absolument insurmontable. L'arrivée d'Agnès Sorel à la cour en 1435, le départ de la reine Isabelle pour la conquête de Naples, le crédit croissant d'Agnès auprès du roi de France, furent en leur temps des événements politiques. Le bruit de ces nouvelles trouva naturellement un écho dans toutes les chancelleries et pénétra jusqu'au domicile des chroniqueurs. Mais ce chapitre, déjà romanesque, des amours de Charles et d'Agnès, ne peut-il pas avoir eu, sous le voile de relations mystérieuses et privées, une préface demeurée inconnue pour le narrateur bourguignon ? je dirai plus : pour le secrétaire du cardinal romain, pour l'auteur même du roman d'Euryale et Lucrèce[40] ? Jean Soreau, père d'Agnès Sorel, était, en 1425, gentilhomme et conseiller du comte de Clermont. Né vers 1401, Charles de Bourbon fut comte de Clermont, puis duc de Bourbon après son père, et mourut en 1456. Dès 1419, immédiatement après la catastrophe de Montereau, il s'unit au parti de Charles VII. La même année, il accompagna Charles, régent, lors de son voyage en Languedoc. Depuis cette époque, il partagea complètement la fortune du roi de France. Il vécut avec ce prince nomade et solitaire, si ce n'est en compagnon assidu (aucun homme ne le fut jamais), du moins à l'état de relations familières, intimes et multipliées. Pour ceux qui connaissent les mœurs de ces deux princes et de leur époque, je n'ai pas besoin du tracer l'esquisse d'un nouveau roman de cour, pour expliquer comment la tille du conseiller de Charles de Bourbon put être connue du roi de France. D'un autre côté, bien avant 1435, Isabelle de Lorraine eut occasion de se rendre auprès de Charles VII, accompagnée de sa belle suivante. Le sacre de Reims, en 1429, eut lieu à mi-chemin des deux cours, et l'on sait positivement que René, l'époux d'Isabelle, se rendit à cette solennité[41]. Peu de temps après, en 1431, à la bataille de Bullegneville, René devint prisonnier d'Antoine de Vaudemont ou du duc de Bourgogne. Isabelle était duchesse de Lorraine (fiel féminin) de son propre chef. Lieutenante générale de son époux captif, elle prit en main le gouvernement, de concert avec sa mère, la duchesse douairière Marguerite. Toutes deux ouvrirent immédiatement, pour racheter la liberté du duc de Lorraine, les négociations les plus actives, les plus pressantes auprès du roi de France. Ces négociations se continuèrent sans se ralentir, jusqu'à la paix d'Arras, qui fut pour les intérêts mêmes de René, un dénouement favorable[42]. La logique supplée en quelque sorte à la stérilité des chroniques contemporaines, pour affirmer quelque entrevue antérieure à 1435, entre la duchesse Isabelle, accompagnée d'Agnès Sorel, et le roi de France.

Qu'il me soit permis, pour plus de clarté, de résumer ici, sous la forme d'un précis chronologique, les notions que j'ai ci-dessus présentées.

 

RÉSUMÉ CHRONOLOGIQUE DES FAITS QUI SE RAPPORTENT À LA BIOGRAPHIE D'AGNÈS SOREL.

1409 à 1410 : Naissance d'Agnès Sorel.

Vers 1425 ? Agnès, âgée d'environ quinze ans, est placée à la cour de Lorraine, auprès d'Isabelle, héritière de Charles Pr, encore duchesse de Bar.

De 1431 à 1433 : date présumée des premières relations entre Charles VII et Agnès, dame d'honneur de la duchesse de Lorraine (Avènement de Charles d'Anjou au conseil).

1434 : Agnès donne naissance à Charlotte, fille de Charles VII.

1435, septembre : Agnès accompagne Isabelle à la cour de France. Après le départ de cette princesse pour Naples. Agnès demeure à la cour, parmi les femmes de Marie d'Anjou.

1436, fin juin : Naissance de Marie de Valois, deuxième fille.

1444 et années suivantes : Agnès obtient un grand État à la cour de France et une position officielle dans la maison de la reine. Elle devient dame de Beauté-sur-Marne, Roquesérière, Issoudun, Vernon, etc., etc.

1445 : Naissance de Jeanne, troisième fille de Charles VII et d'Agnès Sorel.

1450 (nouveau style), février 9 : Agnès meurt à Jumièges, âgée d'environ quarante ans, après avoir donné le jour à une quatrième fille qui vécut six mois.

1458, novembre : Marie, âgée de vingt-deux ans et quelques mois, épouse Olivier de Coëtivy, sénéchal de Guyenne, âgé de plus de quarante ans.

1461, décembre : Jeanne, âgée de seize ans, épouse Antoine de Bueil, mineur.

1462, avril : Charlotte, l'aînée des filles, âgée de vingt-huit ans, est mariée, la dernière, à Jacques de Brézé, sénéchal héréditaire de Normandie, âgé d'une trentaine d'années.

 

Je viens d'exposer aussi clairement que je l'ai pu, ce qui me parait être le plus vrai ou le plus vraisemblable touchant le sujet que j'ai traité. J'ai employé pour cet effet la méthode la plus simple et la plus naturelle, qui consiste à énoncer les faits accompagnés des autorités.

Je n'ignore pas, cependant, que le système historique ou chronologique ci-dessus présenté est susceptible d'objections et de controverse. Sur l'émission sommaire de ce système, des juges éclairés et dont l'autorité est grande à mes yeux en ont contesté la solidité. Aux textes et aux considérations allégués précédemment, ils ont opposé d'autres textes et d'autres raisons pour en tirer des conclusions toutes différentes. Sans parler du talent avec lequel ces observations ont été mises en couvre[43], elles sont naturelles et judicieuses : j'ajouterai qu'elles se sont d'elles-mêmes pour la plupart présentées à mes réflexions. Il me reste en conséquence une nouvelle tâche à remplir. Je vais rassembler dans un seul chapitre et dans un commun faisceau ces difficultés ou ces objections. Puis, après les avoir soumises à un nouvel examen attentif, je proposerai les solutions dont elles me paraissent susceptibles. Pour être plus clair et plus précis, j'énoncerai la contradiction sous la forme directe.

 

OBJECTIONS.

Ni l'ordre de primogéniture, ni la date des naissances d'Agnès et de ses filles, ne s'appuient sur aucun texte direct, sur aucune preuve. Cet ordre et ces dates sont donc nuls. Au contraire, d'autres interprétations tirées des textes allégués, et la teneur même d'autres textes, paraissent incompatibles avec le système qui précède. D'après ces nouvelles inductions, Agnès Sorel ne pouvait pas être déjà née en 1410, et elle ne vint à la cour qu'en 1444. Ainsi, l'aînée des filles peut très-bien être non pas Charlotte, mais Marie, qui trouva la première un époux. Mariée en 1458, celle-ci était née en 1445. Si Charlotte vit le jour dès 1454, comment admettre qu'elle se soit mariée seulement en 1462 ? De plus, on sait qu'elle fut poignardée par son mari en 1476, ayant été surprise en flagrant délit d'adultère. Elle aurait donc été alors âgée de quarante-deux ans. Ces deux circonstances, réunies à d'autres, paraissent offrir le caractère de l'invraisemblance. Thomas Basin, Jean Chartier, Olivier de la Marche, partent de la faveur d'Agnès comme datant positivement de 1444. Avant 1444, on ne trouve aucune trace directe (sauf Pie H et du Clercq), aucune mention de la belle Agnès. Pas la moindre donation en sa faveur ou en faveur des siens ; aucun vestige de son existence. Tandis que, tout d'un coup, à partir de 1444, ces diverses espèces de documents ou de témoignages abondent et se multiplient. Enfin les nombreux écrivains qui parlent de sa mort s'accordent unanimement et avec une sorte d'insistance, à dire, sous toutes les formes possibles d'expression, qu'elle mourut jeune, à la fleur de la jeunesse, etc. Donc Agnès dut naître nécessairement vers 1420 au lieu de 1410 ; donc pour ce qui est du rôle historique qu'on lui prête, elle ne put le remplir qu'à partir de 1444. Or, à cette époque, déjà une trêve mémorable venait d'être signée, et l'Anglais, en proie chez lui à la guerre intestine, ne possédait sur notre territoire que la Normandie et la Guyenne.

 

RÉPONSE AUX OBJECTIONS.

Je vais reprendre maintenant dans le même ordre ces divers arguments.

Commençons par le chapitre qui concerne la naissance et le mariage des enfants. Nous admettons pour un moment quo Marie fut l'aillée des filles et qu'elle naquit en 1445. Au mois de novembre 1458, lorsqu'elle épousa Olivier de Coëtivy, elle aurait donc été âgée de moins de quatorze ans. A l'appui de cette hypothèse, on peut être tenté d'invoquer des exemples exceptionnels, mais cependant assez nombreux, d'unions prématurées, qui se rencontrent à cette époque. Il ne serait peut-être point aisé de déterminer avec une rigoureuse précision, quel était en 1458, au domicile de Taillebourg, l’âge légal du mariage. Nous regardons toutefois comme vraisemblable qu'il était de douze ans accomplis, pour les filles. L'union de Marie n'offre donc point d'impossibilité légale. Cependant des considérations toutes puissantes ont fait abroger par le législateur moderne ces antiques dispositions de nos coutumes[44]. Ces considérations sont tirées de faits qui appartiennent à l'ordre de la nature : à ce titre, elles sont de tous les temps. Aussi l'on peut dire avec assurance qu'au XVe siècle, le mariage d'une fille, âgée de moins de quinze ans, constituait, en dépit de la légalité, un fait anormal, un fait également réprouvé par les mœurs et les convenances, comme il le serait aujourd'hui, le cas échéant, par les nôtres. La question qui nous occupe est donc de savoir si le mariage de la princesse Marie fut accompli sous l'influence de circonstances exceptionnelles, ou selon le cours naturel et habituel des choses. Et d'abord ces unions prématurées auxquelles il a été fait allusion, n'étaient autres généralement que des alliances politiques, contractées entre des princes et princesses. Ces alliances tiraient de leur caractère politique et leur raison d'être et leur justification. Un tel caractère ici n'est nullement applicable. La fille d'Agnès Sorel étant née hors mariage, ne pouvait élever aucun droit sur l'héritage politique de son père. Olivier de Coëtivy, de son côté, n'était qu'un simple gentilhomme. Il s'agissait, en un mot, pour Charles VII, de marier une de ses bâtardes à un sénéchal de province, genre de prétendants qui ne pouvaient manquer. En second lieu, ces unions prématurées se prononçaient entre enfants également impubères ; ainsi le temps venait corriger à la fois pour chacun des deux contractants, une défectuosité purement passagère. C'est ici le cas d'examiner, dans l'espèce, quel était l'âge de l'époux. Olivier de Coëtivy, gouverneur de Dieppe en 1 f. 35[45], fut fait chevalier en 1450[46] et mourut en 1480[47]. Il devait donc avoir au moins de quarante à quarante-cinq ans en 1458 : Ouvrons maintenant les lettres-patentes données par le roi à l'occasion de ce mariage et nous lirons ce qui suit : Charles, etc... Olivier... nous a puis naguères fait remontrer que pour les bonnes mœurs et vertus qui sont en la personne de notre chère et amée fille naturelle, Marie de Valois, il desiroit avoir par mariage la dite Marie suppliant qu'il nous plaise octroyer que le mariage soit fait et accompli... considérant... qu'elle est en aage de marier... Nous sommes libéralement condescenduz à ce mariage ; voulons et octroyons que led. mariage soit fait et accompli, etc.[48] Marie était si bien en âge de marier, dans le sens que pouvait donner à ces mots un père de famille et non un légiste, que son union produisit des fruits immédiats. C'est ce qu'on ne peut révoquer en doute, si l'on étudie les notions qui nous sont restées sur la généalogie de cette famille. Ainsi Marie, morte en 1473, eut de son époux cinq enfants : un fils et quatre filles. Le premier, Charles de Coëtivy, fut fiancé avant 1467 à Jeanne, fille du comte d'Angoulême[49]. Jeanne et Charles donnèrent le jour, eu 1481[50], à Louise de Coëtivy qui continua leur postérité. L'aînée des filles de Marie et d'Olivier fut Adelice de Coëtivy. Catherine de Coëtivy, sœur puinée d'Adelice et troisième enfant de Marie de Valois, était à son tour en tige de marier, lorsque, peu de mois après le 17 novembre 1477, elle fut donnée comme épouse par le roi Louis XI à l'un de ses capitaines[51].

Des circonstances qui viennent d'être groupées, il nous semble résulter avec évidence que Marie, en 1458, ne pouvait pas être âgée de moins de quatorze ans. Chacune de ces circonstances élève en quelque sorte une voix, une invraisemblance, si ce n'est une impossibilité contre cette dernière interprétation. Toutes les particularités, que nous connaissons, au contraire, s'allient parfaitement bien avec la date de 1436, attribuée à la naissance de Marie.

L'article de Jeanne apporte aussi dans le même sens une part de difficultés. Il nous reste en effet à classer deux naissances ; celle de Charlotte et celle de Jeanne. Jeanne épousa, par contrat du 23 décembre 1461, Antoine de Bueil, mineur. Le 18 mars 1479 (1480 nouveau style), Louis XI marie sa nièce Renée de Bueil, fille de Jeanne, comme il avait fait précédemment pour Catherine de Coëtivy ([52]. Ici encore les faits généalogiques s'adaptent à la date de 1445, prise pour la naissance de Jeanne, avec tous les signes de la précision et de la vérité. Ils laissent donc peu de raison au déplacement de cette naissance et à la substitution de Charlotte ou de Marie à Jeanne, sous cette même date de 1445 : Non bis in idem.

Ainsi donc jusqu'ici, lorsque l'on essaie d'appliquer aux faits précis le second système, de quelque côte qu'on se retourne, on ne trouve d'abord que l'arbitraire le plus absolu, sans aucun indice ou commencement de preuves. On rencontre ensuite des embarras multipliés et des obstacles presque invincibles. Que si l'on s'en tient au premier système, tout s'ajuste et s'enchaîne sans aucune difficulté.

Occupons-nous actuellement de ce qui touche Charlotte, née à la rigueur dès 1434, selon te premier système. On a vu précédemment l'objection tirée 1° de son mariage tardif et 2° des circonstances de sa mort. Le mariage de Charlotte eut lieu en 1462, non-seulement par ordre, niais sous la pression de Louis XI. Après la mort du roi Charles VII, dit le père Anselme, le roi Louis XI fit constituer Pierre de Brézé prisonnier au château de Loches. Pour en sortir, Pierre de Brézé promit d'aller en Sicile. servir Jean d'Anjou, et accorda le mariage de son fils, Jacques de Brézé avec la sœur naturelle du roi ; le 21 mars 1461[53] ; (1462 n. s.) Le 26 mars 1461 (1462), ajoute de son côté le généalogiste de la maison de Beauvau, Louis de Beau vau et Jean, seigneur de Rochettes, son frère, donnèrent leur scellé au roi Louis XI, par lequel ils se rendirent pleiges envers Sa Majesté, pour Pierre de Brézé, chevalier, depuis peu délivré de sa prison, qu'il sortiroit hors de France et qu'il iroit en Sicile au service du duc de Calabre ; d'où il ne retourneroit qu'au bon plaisir du roy, auquel il seroit fidèle[54]... Ainsi en 1462, le mariage de Jacques de Brézé avec une fille du sang royal répugnait à cette famille de gentilshommes. Jacques de Brézé, en se prêtant à cette union, sauva la liberté de son père. Quel pouvait être le motif de cette résistance extraordinaire ? C'est ce que la chronique ne nous révèle pas explicitement. Cependant le seul fait de cette répugnance constatée suffirait déjà pour répondre à Fun des deux points de l'objection. Mais si l'on rapproche de cette première révélation le second point de l'objection lui-même, c'est-à-dire les circonstances dans lesquelles Charlotte périt en 1476, on découvrira, si je ne me trompe, la solution tout entière. Pierre de Brézé n'appartenait point par sa naissance aux premiers rangs de la noblesse[55]. Il fut toutefois, comme l'histoire le prouve, un homme de cœur et d'honneur. Premier ministre du roi pendant une période historique (de 1444 à 1461), qui ne fut pas sans gloire, et ministre tout puissant, M. de Brézé avait de ses propres œuvres élevé très-haut sa maison. Bien que momentanément précipité sous la roue par les vicissitudes de la politique ou de la fortune[56], il pût se croire en droit de choisir une épouse sans tache pour l’aîné de sa race. Il voulut sans doute, en elle, même abstraction faite de la barre de bâtardise, une femme, une fille, à qui les Brézé pussent avec assurance confier le dépôt de la foi conjugale, leur lignée et leur nom. Or si l'on en juge par la manière dont Charlotte de Valois termina sa vie, il y a quelque lieu de penser, qu'au début de sa carrière, elle n'offrait point à un degré suffisant ces honorables et précieuses garanties.

De là, si ces inductions ne nous égarent pas, l'éloignement manifesté par le lier baron. Ainsi s'expliqueraient, l'un par l'autre, les deux points de l'objection, le commencement et la fin de Charlotte, son mariage tardif et les circonstances de sa mort.

Sauf quelques rares exceptions, les historiens et les documents contemporains se taisent sur le compte d'Agnès Sorel avant 1444. Depuis 1444, au contraire, ils abondent pour ainsi dire subitement. Je vais essayer de montrer quelles sont les véritables conséquences à tirer de cette double observation. Antérieurement à 1444, le roi Charles VII ne fit vraisemblablement aucune donation considérable à la belle Agnès ; et cela par une raison bien simple : c'est qu'il n'avait alors pour ainsi dire rien à donner. Cette raison explique du même coup pourquoi l'on ne rencontre aucune trace d'actes semblables. Charles VIL vécut de dettes, et de dettes croissantes pendant toute la première moitié de son règne. En 1435, le roi devait encore à Saint-Étienne de Bourges une somme de quatre mille livres parisis, en poisson fourni par le chapitre sous la date de 1492, pour la nourriture personnelle du roi et de la reine[57]. En décembre 1438, le roi déclare dans une ordonnance solennelle : Au temps passé, mesmement depuis l'an 1418 que partismes de nostre ville de Paris, par importunité de requérants ou autrement nous avons allienné, donné, cedé et transporté plusieurs de noz terres et seigneuries, chastellenies, etc., etc., etc.... et vont nos droits seigneuriaux à perdition... D'autre part ne nous pouvons aucunement aider de nostre domaine, pour les dépenses de nous, de... la royne et de noz enfans, etc.[58] En 1443, la gestion d'Etienne Chevalier, maitre de la chambre aux deniers du roi, se solde en un déficit considérable de la recette par rapport à la dépense. Ainsi le prouve un fragment[59] ou sommaire qui nous est fortuitement resté et qui ne comprend que deux années. Dans le compte correspondant en 1444, le comptable commence a rentrer à peu près dans la totalité de ses avances ou découvert. Charles VII fit don, vers 1444, à la belle Agnès du château royal de Beauté-sur-Marne, et de Vernon-sur-Seine en 1449. La veille du jour, pour ainsi dire, où les donations eurent lieu, ces biens patrimoniaux étaient la proie, l'un des écorcheurs et l'autre des Anglais. Issoudun qu'elle eut entre ces deux dates, était engagé précédemment au capitaine Salazar, et semblablement, la Roquesérière à un prince du sang[60].

L'année 1444, effectivement, vit s'ouvrir une phase mémorable pour les affaires du roi Charles VII, spécialement en ce qui concerne ses finances. La paix avec l'Angleterre ou du moins une trêve susceptible d'être renouvelée, fut signée à Tours au mois de mai. Succédant enfin à une guerre séculaire d'extermination, cette paix produisit sur la prospérité comme sur l'esprit public un effet des plus considérables. On ne peut lire, sans ressentir une vive impression, le tableau que les chroniqueurs contemporains nous ont laissé de cette régénération soudaine[61]. La réforme du brigandage et l'institution de l'armée qui suivirent immédiatement, mirent le comble à ces heureuses circonstances. En 1444. Agnès Sorel fut pourvue d'un grand Etat : elle obtint auprès de la reine une position officielle[62]. Dès lors, elle eut dans les châteaux mêmes qu'habitait le roi, à Loches, à Bourges, etc., son quartier de maison, comme le dit Georges Chastelain. Elle rivalisa de pompe avec la reine, Marie d'Anjou, si le luxe que déployait Agnès ne surpassait point le train de cette princesse.

Quant aux simples mentions d'Agnès ou de ses parents antérieurement à 1444[63], leur rareté s'explique en dehors des considérations qu'on vient d'énoncer, par diverses raisons assez sensibles. Dans le principe, te silence des chroniqueurs français, c'est-à-dire gagés par le roi, leur fut nécessairement commandé sur ce sujet et par la nature du sujet lui-même. Mais cet ordre de silence fut rompu le jour où s'évanouit publiquement le mystère de relations qui avaient pu jusque-là demeurer plus ou moins ensevelies sous le voile d'une affection privée. En second lieu, la pénurie des documents qui s'applique en particulier à la belle Agnès, s'applique aussi d'une manière générale à toute cette période. A part le récit écourté des historiens proprement dits, les registres du Trésor des Chartes ne remontent, pour Charles VII, qu'à l'année 1440. La série des comptes, où pourrait spécialement se vider la question, commence tout au plus en 1450.

Il convient maintenant d'examiner quels sont exactement le sens et la portée des divers passages auxquels on a fait allusion et dans lesquels il est parlé d'Agnès, depuis 1444. Thomas Basin dit qu'au temps des trêves, c'est-à-dire à partir de 1444, Charles VII la maintint dans toutes les jouissances du luxe, Admit in delitiis[64] : Le roy l'omit nouvellement élevée, rapporte, sous la même date, Olivier de la Marche[65]. Ce langage, parfaitement conforme à des faits incontestés, n'affirme aucunement qu'Agnès était inconnue de Charles VII avant 1444. Le témoignage de Jean Chartier mérite un examen plus approfondi. Cet historiographe s'exprime ainsi : Ladite Agnès (morte en 1450 n. s.) avait été au service de la reine pendant cinq ans ou environ, ou quel temps elle avoit eugrands et excessifs atours, etc., etc.... Que si aucune chose, ajoute plus loin le chroniqueur, en copulation charnelle elle avoit commise avec le roy, dont on ne se soit peu apercevoir, si avoit-ce esté cautemont et en cachette, elle estant lors au service de la royne de Sicile, sçavoir auparavant qu'elle vint et passét au service et sujétion de la royne de France, avec la quelle elle a esté résidente quelques années.... Bien est vray, dit encore Jean Chartier, que ceste Agnès eut une fille.... qu'elle disoit être et appartenir au roy et luy donnoit comme au mieux et plus apparent. Mais le roy s'en est toujours fort excusé.... Aussi y avoit-il d'autres bien grands seigneurs en mesme temps qu'elle avec cette royne de Sicile, par quoy elle pouvoit bien l'avoir empruntée et gagnée d'ailleurs[66].

Ainsi, d'après Jean Chartier, la position d'Agnès auprès de la reine de France ne remontait qu'à l'an 1444. Auparavant, dit-il, elle était à la reine de Sicile. Mais Chartier lui-même, dans son étrange attestation, donne bien à entendre que le roi connaissait Agnès avant 1444. 11 avoue, en effet, que celle-ci avait eu une fille, assez âgée pour être née du temps qu'Agnès était au service d'Isabelle, et que le roi, à tort ou à raison, passait pour être le père de cette fille_ Le témoignage de Jean Chartier s'unit donc à celui de Bourdigné comme à celui de Pie II, pour constater qu'Agnès avait d'abord été attachée à la reine de Sicile. Il se combine avec le témoignage du même Pie II et de Jacques du Clercq pour faire voir que les relations d'Agnès avec le roi remontaient au-delà de 1444. C'est le point essentiel qu'il nous importait d'éclaircir[67].

Il nous reste à disserter sur le mot jeune ou les expressions analogues répétées par les historiens en parlant d'Agnès. Déjà si je ne m'abuse, après les développements qui précèdent, un pareil argument isolé a singulièrement perdu de sa puissance. Comment une forme littéraire ou de rhétorique pourrait-elle prévaloir contre les démonstrations de la chronologie ? Mais d'abord, il est un premier sens où la difficulté, où l'objection n'est pas possible. Une femme meurt à quarante ans, pleine de beauté, de force et de vie ; elle meurt en couches, subitement et non sans soupçon d'empoisonnement. Mourir à quarante ans et dans de telle ; circonstances, n'est-ce donc pas mourir jeune eu égard au terme naturel de la vie ? Telle est l'idée qu'énonce le chroniqueur Jacques du Clercq : Agnès mourut, dit-on par poison, moult josne. C'est ce qu'exprime, à bien plus forte raison, le poète de cour, Jacques Millet, dans l'épitaphe en vers qu'il composa par ordre du roi pour la sépulture d'Agnès :

O mors sœva nimis guœ jam juvenilibus annis

Abstulit a terris membra serena suis !

Mais le mot jeune dans les textes invoqués, est pris certainement ailleurs avec une nuance d'acception très-distincte. On a de tout temps divisé la vie en âges ou périodes : l'enfance, la jeunesse, l'âge mûr, la vieillesse. Tous les écrivains contemporains qui parlent d'Agnès répètent avec un concert remarquable, que quand elle mourut, elle était encore jeune, dans le dernier sens que nous venons de définir. Il faut comprendre parmi ces auteurs Jacques du Clercq, qui cependant fait remonter sa venue à l'époque de la paix d'Arras. A ces écrivains il faut joindre l'Histoire de Jumièges ou le prieur Marye. Celui-ci énonce l'âge en chiffres : âgée seulement de 10 ans ; et néanmoins, reproduit à son tour[68] le certificat de jeunesse. Agnès, à quarante ans, au lieu d'être classée dans l'âge mûr, est maintenue dans le cadre de la jeunesse. Tel est te procès qui s'instruit contre ces écrivains. Si j'avais à plaider pour les défendeurs, je dirais avec le bon sens : l'âge varie selon les personnes, comme l'heure et les saisons changent de latitude à latitude. Telle femme qui compte quarante ans à peine, appartient à l'âge mûr ; telle autre, née au mémo moment, conserve la jeunesse. C'est précisément là le témoignage que portent unanimement les contemporains en faveur d'Agnès : L'amour que le roy avoit en son endroict, dit Jean Chartier, étoit pour les folies de jeunesse, esbatements, joyeusetez, avec langage honneste et bien poly, qui estoient en elle ; et aussi qu'entre les belles c'etoit la plus jeune[69] et la plus belle du monde, car pour telle étoit telle tenue….. Laquelle, pour vrai, rapporte également la chronique martinienne, avait été la plus belle femme jeune qu'il feust en icellui temps possible de veoir[70]. Facie pulcherrima, sermon blando, facetiis et blandimentis, avait dit Enée Piccolomini[71]. Robert Gaguin, à la génération suivante, reproduit l'écho de cette pensée : Ad modum lepida et faceta[72].

Ut flores veria facies hujus mutieris.

(Epitaphe d'Agnès).

Thomas Basin : Cum in flore juventutis esset vitam finivit[73].

Toutes ces formes de langage signifient donc qu'Agnès mourut avant le terme naturel de la vie et que, soit dans son esprit, soit dans son caractère, soit dans sa personne physique, elle conserva jusqu'au dernier de ses jours (quel que fût le nombre de ces jours) le charme et tous les attributs de la jeunesse[74]. J'ajouterai enfin sur cette particularité une dernière observation. On connaît le célèbre portrait d'Agnès, gui existe au cabinet des estampes et qui a été publié dans ces derniers temps par M. Niel[75]. Ce portrait représente parfaitement une femme âgée d'environ quarante ans.

Ici s'arrêtent les observations que j'avais à présenter sur cette matière et qui composent la première partie de ce mémoire. Je ne me flatte pas, c'est un devoir à mes yeux de le répéter en terminant, je ne me flatte pas d'avoir, de tout point, fait succéder la clarté aux ténèbres, ni une démonstration éclatante et irréfragable à l'incertitude et à l'obscurité du doute. Pour asseoir à l'égard de ces faits une conviction forte, claire et complète, il nous manque des lumières que le temps a éteintes, peut-être sans retour. Mais entre deux conjectures ou deux systèmes, j'ai opté de préférence pour celui qui m'a paru l'emporter sensiblement sur l'autre en vraisemblance. Le public savant jugera si les motifs que j'ai développés et la méthode suivie s'accordent avec les prescriptions d'une sage critique.

 

 

 



[1] 3e série, tome I, p. 297 et suiv. ; 417 et suiv.

[2] 1er et 15 octobre 1855. Tiré à part, Dumoulin, 1855, in-8°, sous ce titre : Agnès Sorel, étude morale et politique sur le XVe siècle.

[3] L'année commençant à Pâques.

[4] Sur le lieu de sa naissance, cf. Mémoires de Jacques du Clercq, édition du Panthéon, p. 175 ; La Thaumassière, Hist. du Berry, p. 91 et 95 ; Raynal, Hist. du Berry, t. I, p. XII ; Esquisses pittoresques de l'Indre, 1841, in-8°, article de Vriliers-Fromenteau ; Anselme, Hist. Généalogique, 1726, in-f°, t I, p. 119.

[5] Documents inédits, in-4°, Mélanges, 1841, p. 419.

[6] Voyez à la fin de ce travail les vers de Baïf, cites parmi les pièces justificatives et développements, p. 87.

[7] Voyez Lettres des Rois et Reines, etc., publiées par M. Champollion-Figeac dans le Recueil des documents inédits, in-4°, t. 1, préface, pages XIV et suivantes.

[8] On ignore si le ms. original qui existait en 1778, et dont l'extrait vient d'être cité, subsiste aujourd'hui. Mais les ouvrages suivants peuvent suffire à justifier mes assertions : 1° Bref recueil des antiquitez et fondations de Jumièges, par D. Adrien Langlois, prieur de Jumièges en 1610, mort en 1626 ; 2° Mémoires et antiquités et choses plus mémorables de l'abbaye de Jumièges ; extrait de l'Histoire ; ms. du XVIIIe siècle ; bibliot. imp. suppl. français n° 1026. 3° Autre, analogue ; Gaignières, n° 5424 ; consultez aussi l'Histoire de Jumièges par Deshayes, 1829, in-8°, passim. (Deshayes parait avoir eu communication du ms. original. Renseignement fourni par M. Ch. de Beaurepaire, archiviste de la Seine-Inférieure.)

[9] Histoire généalogique, t. VIII, p. 701.

[10] Anselme, Ed. de 1712. t. II, page 1525, E, n° 4, et page 1530, n° 4.

[11] Annuaire de l'Oise, 1838, in-8°. Notice sur Ressons, arrondissement de Compiègne.

[12] Voyez Quicherat, Procès de lu Pucelle, t. IV, pages 399, 400, et tome V, page 176.

[13] Villeneuve-Bargemont, Histoire de René d'Anjou, etc., t. I, p. 32.

[14] Edition Quatrebarbes, p. 199.Edition Quatrebarbes, p. 199.

[15] Mémoires, liv. IV, ch. 29. Ed du Panthéon, page 175.

[16] Cette coïncidence ou synchronisme, tiré de la paix d'Arras, était, pour Jacques du Clercq, particulièrement mémorable. Né sujet du duc de Bourgogne, ce chroniqueur, comme il nous l'apprend dans la préface et en divers endroits de ses mémoires, avait son domicile à Arras. Une autre interprétation, qui parait moins rigoureuse, se présente à l'esprit. La liaison du roi, dira-t-on, put avoir lieu à un point quelconque de la deuxième période, soit, par exemple, en 1444. Indépendamment du raisonnement qui précède, un autre motif rend, ce me semble, inadmissible cette dernière interprétation : Laquelle despuis, dit J. du Clercq, fut appelée la belle Agnès. Nous savons par Thomas Basin, Jean Chartier, par du Clercq, etc., qu'Agnès, durant sa grande faveur, c'est-à-dire de 1444 à 1450, elle était habituellement désignée sous cette dénomination de la belle Agnès. Le chroniqueur indique donc ici une nouvelle division chronologique, ou période antérieure 't 1444. D'autres autorités, d'autres témoignages vont nous ramener, par un autre chemin, à cette même date de la paix d'Arras, comme étant celle de la liaison du roi avec Agnès.

[17] Pii II Pontifiais maximi commentarii, etc., etc. Francfort 1614, in-folio, page 4.

[18] Pii II Pontifiais maximi commentarii, etc., etc. Francfort 1614, in-folio, page 160.

[19] Pii II Pontifiais maximi commentarii, etc., etc. Francfort 1614, in-folio, page 163.

[20] Ms. 1156 A. de la bibliothèque impériale.

[21] Ms. 1156 A. de la bibliothèque impériale.

[22] La Praguerie eut lieu au commencement de l'année, janvier-mars 1440, nouveau style. Par lettres données en nostre Château de Naples le 4 août 1440, René s'exprime ainsi : Nous contions pleinement de la foy et loyauté, bon sens et discrétion de nostre très chère et très amée compagne Isabelle... laquelle pour aucune chose qui grandement touche nostre bien et estai, envoyons en nos pays et seigneuries delà les monts, etc. Le 5 avril suivant (1441 nouveau style), Isabelle agissant comme lieutenants de son mari par deçà les monts, donnait en son château de Tarascon, des lettres qui prononcent le transport du comté du Maine fait par René à son frère Charles d'Anjou ; lequel transport fut approuvé par lettres du roi Charles VII, le 23 octobre 1441. Ces trois diplômes sont réunis en un seul acte qui se trouve à la direction générale des archives, Registre domanial 14,926. Mémorial de la chambre des comptes K. f°. LXXI ter. Cf. Villeneuve-Bargemont, Histoire de René d'Anjou, t. I. p. 319, à la note.

[23] Grande édition, tome I, page 119. — La quatrième fille mourut en 1450 peu de mois après sa naissance. Anselme vise divers actes, dans ces articles, plus étendus d'ailleurs que ne le sont d'ordinaire, dans cet ouvrage, les notices d'enfants naturels. Cette circonstance ajoute une nouvelle gravité à l'ordre de primogéniture, qui ne saurait être fortuit. En 1726, date de cette édition, la chambre des comptes était encore riche, sur ces enfants de Charles VII, de documents quo nous ne possédons plus.

[24] Essai sur l'histoire de Charles VII, Agnès Sorel, etc., Paris, 1824, in-8°.

[25] M. Delort, décédé en 1842, était, en 1824, chef de la division des Lettres, Bibliothèques, etc., au ministère de l'intérieur. Il avait pour administré, pour client, pour ami, M. l'abbé Lespine, érudit fort versé dans l'histoire du moyen-âge. Ce dernier mourut, en 1831, professeur à l'Ecole des chartes et premier employé du département des Manuscrits à la bibliothèque royale, spécialement attaché au cabinet des titres. Grâce à ces circonstances, grâce à des facilités que ne permettrait plus aujourd'hui la discipline de l'établissement, M. Delort obtint pour son Essai sur Agnès Sorel des communications d'une libéralité excessive et exceptionnelle. Ces faits ont pour garants ou autorités deux savants, deux contemporains de l'abbé Lespine : MM. Lacabane et Claude, actuellement attachés au département des Manuscrits de la même bibliothèque. M. Lespine trouva des facilités semblables aux Archives du royaume.

[26] Page 35. Dans un autre passage (page 402), M. Delort relate l'ambassade d'Etienne Chevalier à Londres, de juillet à décembre 1445. Il ajoute qu'à cette époque Charlotte entrait dans sa treizième année.

[27] Peu de jours après le mariage du Dauphin, Agnès, qui ne cessait de faire des vœux pour avoir un fils, fut trompée dans ses espérances. Ce fut encore une fille qu'elle donna au roi. J. Delort, Essai sur l'histoire de Charles VII, Agnès Sorel, etc., Paris, 1824, in-8°, p. 57.

[28] J. Delort, Essai sur l'histoire de Charles VII, Agnès Sorel, etc., Paris, 1824, in-8°, p. 96.

[29] Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 3e série, t. I, p. 478. Voir ci-après Pièces justificatives.

[30] Nouvelle biographie générale, publiée par MM. Didot, t. VII, col. 367.

[31] Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 3e série, t. I, p. 480.

[32] Biographie générale, t. XI, col. 45.

[33] M. Delort en a publié le texte, Essai, p. 195, d'après un titre authentique du fonds de Clairambault.

[34] Histoire générale, gr. édition, t. I, p. 119.

[35] Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 3e série, t. I, p. 481.

[36] Anselme, t. VIL p. 844. Les lettres en date du 24 septembre sont imprimées dans Massiou, Histoire de Saintonge, 1838, in-8°, t. II, pages 278 à 282, et l'original au trésor des Chartes.

[37] Cette dernière date est la plus vraisemblable.

[38] Agnès Sorel, étude morale et politique, etc., I455, in-8°.

[39] Pie II, op. cit., page 163.

[40] Enee Silvis, poete, de duobus amantibus Euryalo et Lucresia.

[41] René accompagna le roi au-delà de l'époque du sacre qui fut célébré le 17 juillet. Ainsi nous avons la preuve que le 27 août suivant, René, duc de Bar, et le ceinte de Clermont se trouvèrent réunis A Compiègne dans le conseil et la compagnie de Charles VIL Voyez Dom Plancher, Histoire de Bourgogne, in-f°, 1781, tome IV, preuves, page LXXX ; de pareilles opportunités durent se reproduire nécessairement.

[42] Les faits ci-dessus allégués d'après les historiens du temps, se trouvent réunis et développés dans le tome Ier de l'Histoire de René d'Anjou par Villeneuve-Bargemont.

[43] Voyez Athéneum français, 1855, p. 1020 et 1110.

[44] L'homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage (Code civil, tit. V, promulgué en 1803, art. 144).

[45] Anselme, Histoire généalogique, VII, p. 845 B.

[46] Anselme, Histoire généalogique, VII, p. 845 B.

[47] Anselme, Histoire généalogique, VII, p. 845 B, et Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 4e série, t. I, p. 11.

[48] Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 3e série, t. I. p. 481.

[49] L’âge canonique des fiançailles était de sept ans révolus (Voyez le répertoire de Guyot au mot âge.) Jean, comte d'Angoulême, mort en 1467 eut une fille appelée Jehanne, laquelle il bailla en mariage à Charles de Coëtivy sr de Taillebourg, etc. (Masson, Vie de Jean, comte d'Angoulême, Paris, 1613, in-8°, page 8.)

[50] Anselme, Histoire généalogique, VII, p. 846 C. Voyez aussi la Vie de Jean, comte d'Angoulême, par Jean du Port, édition Castaigne, 1852, in-8°, page 45, et le tableau généalogique.

[51] Pour la preuve de ces divers points et l'indication précise des autorités, voyez dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes le mémoire de M. P. Marchegay, intitulé Louis XI, M. de Taillebourg et M. de Maigné ; 4e série, t. I, p. 1 et suivantes.

[52] Anselme, Histoire généalogique.

[53] Histoire généalogique, t. VIII, page 271 C.

[54] Sainte-Marthe, Généalogie de la maison de Beauvau, 1626, in-f°, p. 10-11.

[55] En 1402, André ou Andrivet de Brézé, (omis par le père Anselme) était secrétaire de Louis II, duc d'Anjou : Je Andrivet de Brézé, de la ville de Saumur, ou diocèse d'Angers, secrétaire du roy de Jhérusalem et de Sécile, et du prince de Tarente son frère, mes très-redoutés seigneurs, escrips cest présent livre de ma main, en la cité d'Aicx en Prouvence et fut achevé le lundy disiesme jour de juillet, l'an mil CCCC et deux et la Xe indiction. Ms. fr. 7068. 3, de la Biblioth. imp. (Voyez P. Paris, Manuscrits français, t. V, p. 6.)

[56] On peut voir dans Châtelain, qui avait beaucoup connu Pierre de Brézé, avec quelle bravoure et quelle générosité chevaleresque Pierre de Brézé, lors de l'avènement inopiné de Louis XI, courut au-devant des rancunes de ce prince et porta sa tête au vindicatif souverain (Edition Bochum, Panthéon littéraire..., pages 183-184).

[57] Vu aux Archives du Cher, registre des délibérations capitulaires de 1426 à 1435, f° 250 v°. Voyez Raynal, Histoire du Berry, 1844, in-8°, t. III, page 6.

[58] Ordonnances des Rois de France, t. XIII, page 293. Cette déclaration est répétée et confirmée dans l'ordonnance du 25 sept. 1443 portant règlement des finances.

[59] Collection Legrand, vol. 6, page 174 Ms. de la bibl. irnp.

[60] Voyez Bibliothèque de l'Ecole des Charles, 3e série, t. I, p. 312 et suivantes.

[61] Voyez Thomas Basin, t. I, liv IV, ch. I ; Godefroy, sub ann. 1444, passim.

[62] Jean Chartier : voir l'extrait de cet auteur, ci-après, pièces justificatives et développements, page 68.

[63] Voyez ci-après Pièces justificatives et développements, page 61.

[64] Lib. V. cap. XXII, t. I, p. 313, 1855, in-8°.

[65] Lib. I, chap. XIII ; ed. du Panthéon, 18'12, in-8°, p. 407.

[66] Voir le telle complet à la fin de ce mémoire dans les Pièces justificatives et développements, pages 68 et suivantes.

[67] Dans le pur latéral de l'histoire et de la vérité, essayons de pousser plus loin cet éclaircissement. Pie II dit positivement que dès la paix d'Arras, Agnès resta parmi les femmes de la reine de France : inter ancillas Maris reginæ remansit. D'un autre côté, Jean Chartier affirme qu'Agnès Sorel ne passa qu'en 1444 au service de Marie d'Anjou, et qu'auparavant elle appartenait à la reine de Sicile. Quelle était donc la position d'Agnès, de 1435 à 1444 ? La réponse nous est fournie par un document contenu dans lo manuscrit, supplément français de la bibliothèque impériale de Paris, N° 2340, folio 697, publié dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 3e série, tome I, p. 304. Ce document prouve que durant le premier semestre de 1444 (n. s.), Agnès Sorel comptait, en effet, conformément au récit de Jean Chartier, parmi les dames et officiers d'isabelle de Lorraine, reine de Sicile. Seulement, d'après le texte même de ce document, Agnès, b cette date, ne remplissait aucun service effectif et personnel parmi les dames en exercice réel auprès de cette princesse. Le chapitre du compte où se trouvent l'article d'Agnès et son traitement, ne sont ni le chapitre ni le traitement des dames ou demoiselles en exercice. Sur cet état, elle figure hors cadre et à un titre particulier, comme celui d'un demi-traitement, haute paie, ou solde de retraite. Ainsi donc, en janvier-juillet 1444, et antérieurement, selon toute vraisemblance, Agnès Sorel, bien que portée nominalement encore sur les états de la reine Isabelle, résidait de sa personne à la cour de Franco. Maintenant, quant à la position qu'elle occupait à cette dernière cour, cette position n'ayant rien d'officiel, Jean Chartier désigne et qualifie Agnès, pendant cette période (1435-1444), comme appartenant toujours et exclusivement à la reine de Sicile.

[68] Loco citato, page 421.

[69] Ou le mot jeune ici doit être pris comme nous l'indiquons, ou il a un sens visiblement absurde.

[70] Edition de Verard, f° CCCII recto.

[71] Loco citato, p. 163.

[72] Chronique de France, liv. X, éd. de 1521, in-8°, f° CCXI verso.

[73] Ubi supra.

[74] Voir les vers de Bad aux Pièces justificatives et développements, p. 67.

[75] Portraits du seizième siècle, in-folio, 1848 et années suivantes.