ATTILA DANS LES GAULES EN 451

M. TOURNEUX - ANCIEN ÉLÈVE DE L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE - 1833

 

 

CHAPITRE PREMIER — HISTOIRE DE L’INVASION

CHAPITRE SECOND — RÉSUMÉ DES HISTORIENS

 

AVERTISSEMENT

Les faits connus sur Attila sont peu nombreux ; j’ai cherché à remplir les lacunes qui les séparent. Je donne comme vrai ce qui n’est que vraisemblable ; mes conjectures sont devenues pour moi des réalités : je n’ai cependant pas vu l’intention de faire un roman historique.

 

INTRODUCTION

Deux catastrophes séparées par titi intervalle de quatorze siècles, ont rendu à jamais célèbres les plaines de la Champagne ; ATTILA y a trouvé le terme de ses ravages, NAPOLÉON le terme de sa gloire. Un intérêt puissant, un intérêt immense, s’attache donc à cette partie du sol de la France.

C’est là, en effet, qu’un tyran destructeur, un brigand sanguinaire, celui qui osait, dans le délire de ses rêves insensés, se proclamer lui-même le fléau envoyé de Dieu pour châtier les crimes de la terre, a vu sonner l’heure fatale à ses aveugles et impitoyables fureurs ; là que le torrent de la barbarie est venu se briser pour la première fois contre les flots naissants de la moderne civilisation : là aussi un génie tutélaire, un guerrier magnanime, celui que la providence destinait à montrer dans sa personne toutes les extrémités des choses humaines, seul contre l’Europe conjurée, frappe ses derniers coups, épuise ses dernières ressources, et après avoir, par l’ascendant de son génie, par la terreur de son nom, balancé longtemps, dans une lutte inégale, les arrêts du destin, subit enfin le sort que lui réservaient, dès ses premiers pas dans la carrière de la gloire, des rivalités haineuses et d’arrogantes médiocrités. L’un combat pour détruire, l’autre pour édifier ; celui-là s’enivre de carnage, couvre la terre d’un voile de sang et laisse partout des ténèbres sur des ruines ; celui-ci gémit sur ses plus glorieux trophées, fait sans cesse un appel aux sentiments nobles, aux passions généreuses, et poursuit, sans relâche, de toutes les facultés de son âme, le triomphe de la raison, de la vérité, de la justice. ATTILA, toujours prêt à laver dans le sang les larmes qu’il fait répandre, se fait un trophée des malédictions du monde, et après d’horribles triomphes exhale une vie souillée de crimes dans les convulsions de la débauche ; NAPOLÉON, après avoir parcouru à pas de géant toutes les routes de la gloire, trahi par le sort, en proie à l’ingratitude la plus noire, poursuivi par la haine farouche d’une caste impitoyable, termine une vie de prodiges par un glorieux martyre, et meurt proclamé par les sympathies populaires le modèle des rois, le bienfaiteur des peuples, le seul grand homme depuis César.

Qui pourrait sans une émotion profonde, fouler le théâtre de si grands événements ? Qui pourrait ne pas déplorer le silence de l’histoire, si l’histoire devait rester muette sur d’aussi grands souvenirs ? Quel est le guerrier, le Français digne de ce nom, qui n’aime à lui demander compte des moindres détails de ces deux mémorables catastrophes ?

Les témoins, les acteurs de la dernière sont encore vivants pour la plupart au milieu de nous ; nous pouvons entendre leurs récits ; la génération présente transmettra fidèlement à la postérité la plus reculée le souvenir de leurs hauts faits ; les braves qui ont teint de leur sang ces vastes plaines, recevront les hommages de nos derniers neveux ; leur mémoire sera toujours chère à la France, elle ne périra jamais.

Il n’en est pas ainsi du drame sanglant que vit jouer le Ve siècle. Quelles furent les circonstances de l’invasion d’ATTILA, dans les Gaules, quel en fut le théâtre, quelles villes, quels peuples essayèrent d’arrêter la marche victorieuse des Barbares ? quels champs furent témoins de sa défaite ? Sur la plupart de ces questions, l’histoire est muette ou n’offre qu’une réponse douteuse et environnée d’obscurités. Les plus anciens auteurs ne renferment rien de précis sur le fait principal, sur le lieu même où fut livrée la sanglante bataille qui décida du sort de l’invasion. Les écrivains modernes, en s’égarant, comme à l’envi, dans le vaste champ des hypothèses sans preuves, des conjectures sans vraisemblance, n’ont fait qu’épaissir ces ténèbres, et l’on peut répéter encore aujourd’hui ce que disait Sabathier en 1753, dans le sein de l’Académie de Châlons, que ce sujet a été jusqu’ici une source intarissable de disputes parmi les savants et les critiques les plus judicieux, mais qu’il y en a peu qui aient examiné la question à fond et qui se soient mis sur la voie d’une véritable solution.

Témoin de ces incertitudes, convaincu par le vague et l’incohérence même des opinions émises jusqu’à ce jour, que l’événement qui a le plus contribué à faire rejaillir sur les champs catalauniens la juste célébrité dont ils jouissent dans l’histoire, n’avait pas encore été étudié convenablement, j’ai consacré quelques loisirs ‘aux recherches dont je vais exposer les résultats. Ma position m’ayant mis à même de parcourir fréquemment les plaines de la Champagne, j’ai pu faire un examen détaillé et attentif de celle qu’une tradition non interrompue représente comme ayant été le théâtre de la bataille d’ATTILA. J’ai cru que l’ambition de sauver de l’oubli l’un des plus beaux titres de gloire de ces champs fameux, était permise au citoyen adoptif de l’antique cité qui leur a donné son nom ; c’est dans ce but que j’ai rassemblé les matériaux que je soumets aux lumières des habiles explorateurs de nos antiquités nationales et à la patriotique indulgence de nies concitoyens.

Me reportant à l’époque de l’invasion, j’essayerai, dans un premier chapitre, de recomposer, à l’aide du texte des écrivains du moyen âge, de la tradition et des monuments l’histoire de cet événement reculé ; dans un second chapitre, je me livrerai à l’examen critique et à la réfutation de tous les récits de quelque poids qui ont été publiés sur le même sujet.