L'HOMME AU MASQUE DE FER

 

CHAPITRE III.

 

 

Seconde hypothèse. — Premiers sentiments d'Anne d'Autriche au sujet de Louis XIII. — Joie qu'elle éprouve en arrivant en France. — Premières impressions de Louis XIII. — Sa répulsion pour l'Espagne. — Son éloignement pour le mariage. — Austérité de ses mœurs. — Persistance de sa froideur. — Par quels moyens on le détermine à consommer son mariage. — Diverses grossesses d'Anne d'Autriche. — Sa situation politique. — Louis XIII et Richelieu. — Surveillance exercée sur la reine par le ministre. — Maladie du roi à Lyon. — Nouvelle grossesse d'Anne d'Autriche. — Impossibilité de l'expliquer par un adultère. — Motifs qui ont porté la reine à cacher un troisième avortement.

 

On a raconté l'histoire politique du mariage de Louis XIII et d'Anne d'Autriche. Les motifs qui ont déterminé cette union, les négociations qui l'ont préparée, les grands intérêts qui étaient en présence et les mobiles puissants mis en jeu ont été exposés et appréciés d'une manière définitive[1]. Si, négligeant ce grave examen qui est entièrement étranger à cette étude, on ne se préoccupe que du caractère et des secrètes pensées des personnages ainsi engagés l'un à l'autre, et dont la vie intime a été pénétrée pour donner une solution au problème de l'Homme au masque de fer, on voit que, du côté d'Anne d'Autriche, un goût très-vif pour la France et pour son roi était d'accord avec les nécessités de la politique. Au contraire de ce qui se présente fréquemment dans les mariages royaux, les obligations imposées par son rang à l'infante ne contrarièrent pas les sentiments de la femme, et, quand elle franchit pour la première fois la frontière française, elle réalisa une espérance depuis longtemps conçue et chèrement entretenue dans son cœur. Nés à huit jours d'intervalle et dès lors fiancés l'un à l'autre dans l'opinion générale, l'infante et le dauphin avaient été l'objet des recherches et des prédictions de tous les astrologues du temps[2], qui proclamèrent que, venus au monde sous un même signe, ils étaient destinés à s'aimer quand bien même on ne les unirait point. L'infante avait donné raison à cet augure. De bonne heure, elle aimait à entendre parler du jeune roi, elle en recherchait les portraits, elle préférait les vêtements de coupe française ; elle portait volontiers des pendants d'oreilles ayant la forme de fleurs de lis, et, les vicissitudes de la négociation ayant un instant fixé le choix des deux gouvernements sur sa sœur doña Maria[3], Anne, alors âgée de neuf ans, déclara que si ainsi estoit, elle estoit résolue de passer sa vie dans un monastère, sans estre jamais mariée[4]. Lorsque, trois ans après, le duc de Mayenne quitta Madrid, où il était venu signer le contrat de mariage d'Anne et de Louis XIII, il demanda à celle-ci ce qu'elle voulait qu'il dit de sa part au roi de France : Que j'ai une extrême impatience de le voir, répliqua-t-elle. Cette réponse ayant choqué l'austère comtesse d'Altamira, sa gouvernante, qui s'écria : Eh quoi ! madame, que pensera le roi de France, quand M. de Mayenne lui rapportera que vous avez tenu un tel discours ?Madame, reprit l'infante, vous m'avez appris qu'il fallait toujours être sincère ; vous ne devez donc pas vous étonner si je dis la vérité[5]. Les deux années qui s'écoulèrent avant son départ ne changèrent pas ces sentiments. Le 9 novembre 1615, elle se sépara, à Fontarabie, de Philippe III son père avec moins de douleur que celui-ci n'en montrait en la laissant enfin s'éloigner, et c'est avec fierté et contentement que la nouvelle reine, éclatante de jeunesse et de beauté[6], traversa la Bidassoa pour se diriger vers Bordeaux, où l'attendait la cour de France. Quel époux allait-elle y rencontrer ?

Bien différentes de celles de la princesse Anne étaient les impressions de Louis XIII sur le mariage et sur la famille à laquelle il devait s'unir. Fréquemment et de fort bonne heure, on l'avait entretenu de ce projet. Les premières réponses du dauphin, questionné dès sa plus tendre enfance[7], ne sauraient avoir aucune signification. Mais, à mesure qu'il avance en âge, sa répulsion pour tout ce qui tient à l'Espagne se manifeste avec une énergie caractéristique. Deux fois il répond négativement à Henri IV, qui lui parle de l'infante comme de sa future femme[8]. lin jour, à M. de Ventelet lui demandant s'il aime les Espagnols : Non, dit-il. — Et pourquoi, monsieur ?Parce qu'ils sont ennemis de papa. — Monsieur, ajoute Ventelet, aimez-vous bien l'infante ?Non. — Monsieur, pourquoi ?Pour l'amour qu'elle est Espagnole, je n'en veux point[9]. Plus tard, son aumônier lui faisant réciter les commandements de Dieu, à ces mots : Tu ne tueras point, le Dauphin s'écrie : Ni les Espagnols ? Oh ! si ; je tuerai les Espagnols, qui sont ennemis de papa ! Je les époussetterai bien ! Et, comme son aumônier lui fait observer qu'ils sont chrétiens : Ne pourrai-je donc tuer que les Turcs ? dit le dauphin[10].

A cette répulsion[11], d'autant plus significative qu'elle était contraire à un projet généralement accepté autour de lui[12], vint s'ajouter bientôt un certain éloignement pour le mariage. Né avec le tempérament ardent et lascif de son père, excité à suivre son exemple par des conversations souvent grossières, parfois obscènes, Louis XIII parvint à modifier ces premières dispositions par une force de volonté et de réflexion vraiment rare. Il était naturellement observateur : il parlait peu, riait moins encore. Il restait volontiers sérieux et grave là où ses pages trouvaient la cause d'une grande joie. Tout ce qu'il remarquait se gravait en traits profonds dans son esprit, et devenait, à plusieurs années d'intervalle, un moyen de répondre avec un à-propos merveilleux à des questions quelquefois embarrassantes. Sa jeune imagination fut frappée de bonne heure par les effets singuliers que produisait à la cour la conduite du roi. Dès le berceau, il ne recevait pas seulement les fréquentes visites de sa mère, mais aussi de la femme répudiée d'Henri IV[13] et de ses nombreuses maîtresses. Elles se trouvaient quelquefois réunies auprès de lui, celles-ci fières de l'affection du maitre, Marie de Médicis irritée, jalouse, et le témoignant. Les binards issus de ces liaisons très-avouées furent les compagnons du dauphin ; mais instinctivement il les abhorrait. Il les frappait sans motif, ne les supportait point à sa table, refusait absolument de les nommer ses frères, et quand Henri IV, après l'avoir battu sans vaincre cette insurmontable répugnance, lui en demandait la cause : Ils ne sont pas fils de maman, répondait il[14]. Cette haine pour tout ce qui tenait à la bâtardise fut certainement la première cause de la chaste réserve qui devait si particulièrement caractériser le successeur d'Henri IV, père de Louis XIV. De ses frères illégitimes, cette aversion s'étendit sur leurs mères, qu'il qualifiait en termes très-méprisants, et sur les liaisons dans lesquelles elles étaient engagées. Serez-vous aussi ribaud que le roi ? lui dit un jour sa nourrice. — Non, répond-il après un moment de réflexion : Et, comme elle lui demande s'il est amoureux : Non, réplique-t-il, je fuis l'amour[15].

C'est surtout après la mort d'Henri IV que se révèlent les tendances du jeune roi. Il aimait tendrement son illustre père, bien plus que Marie de Médicis, qui, du reste, ne témoigna jamais beaucoup d'affection à son fils aîné. Il pleura dignement sa mort violente[16], et, longtemps après, entendant au Louvre une chanson du feu roi, il se mit à l'écart pour sangloter[17]. Mais si, encore enfant, il avait apprécié la gloire d'Henri IV, s'il en partageait les ressentiments patriotiques, s'il était fier de ses victoires, il blâmait silencieusement la licence de mœurs qui, par les actes et plus encore par le langage, rendait alors la cour de France une des plus grossières de l'Europe. Roi, il ne toléra pas ces excès. Il se montra plus ouvertement austère dans ses paroles, pudique dans ses actions, proscrivit autour de lui les chansons obscènes, les conversations scandaleuses[18], et, pour en éviter jusqu'au prétexte, il répondait brusquement à M. de Souvré, son gouverneur, quand celui-ci voulait l'entretenir du mariage : Ne parlons pas de cela, monsieur, ne parlons pas de cela.

Il fallut cependant en parler et se mettre en route pour Bordeaux. Louis XIII, alors dans sa quinzième année, avait encore et devait conserver longtemps les goûts de prédilection de son enfance. Il s'y livra pour, se distraire des longs apprêts du mariage. Il élevait des oiseaux, armait ses gentilshommes, les disposait en troupe vigilante et disciplinée ; puis il assistait au conseil, répondait avec à-propos aux députations qui se présentaient à lui, et, il mêlait ainsi les amusements naïfs de l'enfant au grave accomplissement de son métier de roi[19]. Beaucoup moins désireux de remplir ses devoirs d'époux, il affecta néanmoins à l'égard de l'infante, soit par amour-propre, soit par convenance pour les étrangers qui la lui amenaient, un empressement qui surprit et charma la cour. Il se rendit au devant du cortège qui l'accompagnait, se montra curieux et heureux de la voir, et il fut timide, mais attentif et gracieux, dans les premières entrevues qu'il eut avec elle[20]. Ce fut tout, et, s'il eut un instant les allures d'un chevalier galant et empressé, il ne prit nullement les façons d'un amoureux. Dans la soirée qui suivit la célébration des cérémonies, il demeura insensible aux encouragements de M. de Grammont[21], et Marie de Médicis usa de son autorité pour le conduire auprès d'Anne d'Autriche. Quatre ans après, la reine n'était pas encore épouse, et la consommation de ce mariage, ardemment désirée par la cour de France désolée de la froideur du roi, par la cour d'Espagne qui voyait dans ce dédain une insulte, par le nonce du pape et la cour de Toscane, qui avaient tant contribué à cette union, devint en quelque sorte une question d'État. Celte abstention de Louis XIII, dont la cause lointaine remonte aux premières impressions reçues par le dauphin, et dont la cause plus rapprochée et plus immédiate a été pénétrée par le nonce Bentivoglio[22], il fallut bien des efforts, bien des tentatives pour en triompher. Tantôt on s'adresse à l'orgueil du roi, et l'habile nonce, se servant adroitement du mariage de la princesse Christine avec le duc de Savoie, demande à Louis XIII s'il veut recevoir cette honte, que sa sœur ait un fils avant que lui n'ait un dauphin[23]. Tantôt on a recours à des influences encore plus directes[24]. Enfin, le 25 janvier 1619, à onze heures du soir, Albert de Luynes vient le supplier de céder aux vœux de tous ses sujets. Louis XIII s'y refuse, fond en larmes, mais, malgré la plus vive résistance, de Luynes l'emporte plus qu'il ne le conduit dans la chambre de la reine[25]. Le lendemain, tous les ambassadeurs annonçaient à leur cour cet événement.

Depuis lors, moins effarouché, mais presque aussi timide[26], conservant toutes ses répugnances mais les surmontant quelquefois par devoir, Louis XIII se montra époux assez empressé, jamais très-tendre, et, dès le mois de décembre 1619, on conçut l'espoir d'une grossesse[27]. Cette espérance, bientôt évanouie, se renouvela au commencement de 1622, mais de nouveau fut anéantie par une chute que fit Anne d'Autriche en jouant avec la duchesse de Chevreuse, et par la blessure qu'elle en reçut[28]. Le rapide passage en France de Buckingham, s'il laissa un profond souvenir dans le cœur de la reine, n'exerça aucune influence sur la conduite du roi. Rien ne fut modifié dans les relations des deux époux, qui ne furent ni plus fréquentes, ni jamais complètement interrompues[29]. Après comme avant ce voyage, Louis XIII voyait le plus souvent dans la reine l'Espagnole de sang et d'affection, et, dès le mois de mai 1621, allant lui annoncer la mort de son père : Madame, lui dit-il, je viens de recevoir présentement des lettres d'Espagne, où l'on m'écrit que pour certain le roi votre père est mort. Puis, montant à cheval, il partit pour la chasse[30]. Il est incontestable d'ailleurs qu'Anne d'Autriche, qui devait, à son éternelle gloire, devenir Française en s'emparant de la régence, et, entrevoyant les véritables intérêts de son jeune fils, les servir avec patriotisme, intelligence et fermeté, même contre ses anciens amis, fut, du vivant de Louis XIII, le centre naturel d'une opposition sourde, mais constante et implacable, contre le système que soutenait Richelieu. Bonne, mais fière, elle avait été froissée de l'indifférence de son mari, humiliée des tracasseries et des défiances de Richelieu, irritée de ne posséder aucun crédit, et, au milieu de la guerre qui divisait l'Espagne et la France, elle n'avait point voulu dissimuler l'attachement qu'elle conservait pour sa première famille et pour son pays. Mal conseillée par la légère et remuante duchesse de Chevreuse, elle s'était engagée dans diverses entreprises où, sans trahir la France, elle avait fourni à ses ennemis des armes assez puissantes pour la faire maintenir dans la disgrâce de Louis XIII.

Ce prince, qui pendant toute sa vie aspira au moment où il sortirait de tutelle[31], et qui, de la dépendance de son gouverneur, devait passer sous celle de sa mère, puis d'Albert de Luynes, et enfin de Richelieu, joignait à une fierté un peu farouche un sens juste et droit, une connaissance exacte de son infériorité. Il détestait le joug, mais il le sentait nécessaire. Destiné, par l'insuffisance de ses facultés, à toujours accomplir les desseins d'autrui, il s'y soumit, bien que constamment enclin à la révolte. Mais il n'aimait ni sa mère qu'il renvoya, ni de Luynes, dont il ne regretta point la mort. Seul Richelieu ; non-seulement par la hauteur supérieure de son génie, mais surtout par les soumissions de son langage, par d'incessantes précautions, par des ruses d'humilité toujours nouvelles, réussit à séduire cet esprit inquiet, méfiant, et sur lequel la flatterie n'avait aucune prise[32]. Il finit même par se l'attacher, quoi qu'on en ait dit, et par lui inspirer une affection qui s'adressait autant à l'homme qu'au ministre indispensable, Louis XIII avait pour Richelieu la sollicitude la plus grande, les soins les plus délicats, et l'on peut affirmer, après avoir lu ses lettres jusqu'ici inédites[33], que ces témoignages d'une vive amitié n'étaient pas uniquement le résultat d'un intérêt égoïste. Du reste, même quand il a possédé une autorité entière, Richelieu, toujours en éveil, s'est montré jusqu'au dernier moment aussi attentif à la conserver qu'il avait été ingénieux et souple pour l'acquérir. Ses constants efforts tendirent à neutraliser l'influence d'une reine espagnole sur un roi qu'il voulait maintenir dans la glorieuse politique d'Henri IV. Mais il ne se contenta pas, ce qui était d'ailleurs facile, d'enlever tout crédit à la femme légitime de son roi. Bien qu'incapable de désirs criminels, puisqu'il pouvait se passer même des plaisirs permis, Louis XIII, maladif, morose, ne recueillant de l'amour que la jalousie et les peines, dévoré d'inquiétudes et de soucis, avait besoin d'épancher ses plaintes, d'exposer ses tristesses, de s'ouvrir à un cœur ami, loin du faste et du bruit qu'il fuyait. Richelieu dirigea toujours ce penchant, et, s'il subjuguait l'esprit du roi par la force de son génie, s'il le fascinait par les séductions de ses paroles, il en surveillait tous les actes par les espions dont il l'entourait, et il gouvernait même son âme par ses confesseurs[34]. Quand les amours du prince purement spirituelles et aux jouissances toujours vierges, dit un contemporain, s'adressaient à des instruments indociles à la direction du ministre dominateur, celui-ci savait faire naître chez le roi, même pour ces liaisons chastes, des scrupules qui triomphaient de ses inclinations. A madame de Hautefort succédait, dans l'affection royale, mademoiselle de la Fayette, à celle-ci Cinq-Mars[35], et ces trois personnages, restés toujours honnêtes dans leurs relations avec le roi, mais rebelles à la volonté impérieuse de Richelieu, expièrent leur résistance l'un dans l'exil, l'autre dans un couvent et le troisième sur l'échafaud.

S'il était vrai qu'Anne d'Autriche eût, en 1630, recouru à l'adultère pour donner un héritier à son époux moribond, comment admettre qu'un ministre aussi soupçonneux et aussi vigilant ne Petit pas su, et le sachant, qu'il n'eût pas déterminé, en confiant ce crime au roi convalescent, la perte d'une reine qui le détestait, et qui unie à Marie de Médicis, complotait alors sa chute ? En vain objecterait-on un sentiment de convenance qui aurait retenu le cardinal[36] ; il en était incapable. Inflexible envers ses ennemis, quels qu'ils fussent, parce qu'il les considérait avec raison comme les ennemis de l'État, il mettait à les démasquer et à les perdre un acharnement et une persistance que rien ne faisait céder. Quand il faudra persuader Louis XIII des intelligences qu'entretient la reine avec l'Espagne, l'implacable ministre emploiera les perquisitions les plus minutieuses, les interrogatoires les plus humiliants ; il fera arrêter ses plus chers serviteurs. ; il la confrontera avec des espions, il la traitera comme une obscure coupable, et seul l'admirable dévouement de madame de Hautefort[37] permettra à la reine de sortir de ce grave péril, très-soupçonnée mais non entièrement convaincue. Et l'on veut qu'un crime bien plus grand, qui touchait plus directement l'honneur royal, Richelieu l'ait laissé ignorer à Louis XIII ! Au surplus, où, quand, comment, dans quel intérêt ce crime aurait-il été commis ? Aux conjectures, aux insinuations vagues opposons des faits précis qui prouvent que Richelieu n'a pas instruit Louis XIII, parce qu'Anne d'Autriche n'a point cessé d'être innocente.

Le roi tombe malade à Lyon, non dans les premiers jours d'août ; comme on l'a dit, mais le 22 septembre[38], et ici surtout les dates ont une grande importance. Il est atteint d'une fièvre qui le dévore. Le septième jour, le 29, elle se complique d'une dysenterie qui l'épuise. L'invasion de ce dernier mal, produite par une de ces médecines dont on était alors très-prodigue, est si violente, et ses conséquences si rapides, qu'à minuit les médecins désespèrent de le sauver. Marie de Médicis s'est retirée. Anne d'Autriche qui ne quitte pas le royal malade, se résout à le faire avertir par son confesseur du danger qu'il court. Mais, aux premiers mots dits avec ménagement, Louis XIII conjure le P. Suffren et ceux qui l'entourent de ne pas lui cacher la vérité. Il l'apprend avec calme et courage, se confesse, communie, demande pardon à tous du mal qu'il a pu leur faire ; puis, appelant la reine, il l'embrasse tendrement et lui adresse de touchants adieux. Comme elle se met à l'écart pour sangloter librement, le roi prie le P. Suffren d'aller la trouver de sa part pour la supplier de nouveau de lui pardonner toutes les fâcheries qu'il pouvait lui avoir données tout le temps de leur mariage. Il s'entretient ensuite avec Richelieu et donne le spectacle de la plus édifiante résignation. Vers le milieu du jour, l'archevêque de Lyon se disposait à apporter l'extrême-onction, quand les médecins, qui coup sur coup avaient saigné six fois déjà ce corps épuisé, ordonnent une septième saignée[39]. Mais alors la vraie cause du mal, ignorée d'eux, se manifeste : un abcès crève, se vide ; le ventre, gonflé outre mesure, s'affaisse tout à coup. La nature a sauvé le malade[40] au moment où l'intervention de ses médecins allait être tout à fait meurtrière.

Louis XIII, bientôt rétabli, quitte Lyon avec la reine, qui n'a cessé de l'entourer des soins les plus tendres, et dont la douleur sincère l'a touché. Dans cette crise, les deux' époux ont oublié le passé[41]. La répulsion, la froideur de l'un, la fierté blessée de l'autre ont disparu, et ils ont été naturellement amenés à mieux apprécier ce que leur nature offre de bon[42] et d'aimable. Forte de l'empire inaccoutumé qu'elle exerce, mais s'en exagérant l'étendue, Anne d'Autriche ne se contente pas de s'emparer dans le cœur du roi de la place qui doit lui appartenir. Aidée de l'ambitieuse et vindicative Marie de Médicis, après s'être occupée des griefs de l'épouse, elle veut porter le blâme jusque sur les affaires de l'État, et attaquer en Richelieu non-seulement celui qui a entretenu les défiances, qui a fait naître les soupçons, qui a divisé le roi et la reine, la mère et le fils, mais encore le grand politique, le continuateur opiniâtre d'Henri IV, qui poursuit à l'extérieur la prééminence de la France sur l'Espagne et l'abaissement de la maison d'Autriche. On sait comment Louis XIII, qui était incapable de vastes projets, mais qui, en connaissait le prix, fut ramené par la raison d'État à Richelieu, et, en une journée fameuse, confirma son autorité[43] à l'instant même où elle semblait anéantie.

A quelle époque peut-on placer, en supposant qu'elle ait été le résultat d'un crime, le commencement de la grossesse qui s'est manifestée chez Anne d'Autriche en janvier 1631 ? Est-ce, comme on l'a dit, au moment et à cause du danger qu'a couru la vie de Louis XIII ? Mais, la reine ayant été délivrée dans les cinq premiers jours d'avril[44], l'enfant, conçu le 30 septembre, ne serait pas venu à terme et ne pourrait donc pas être l'Homme au masque de fer. Serait-ce à l'arrivée de Louis XIII à Lyon, au commencement du mois d'août 1630 ? Mais Anne d'Autriche n'avait pas alors à être mère l'intérêt que, d'après ses accusateurs, elle aurait eu à l'être le 30 septembre, quand le roi se mourait. Ou l'enfant n'est pas né viable, ou bien sa conception remonte à une époque où Louis XIII en a été le père, parce qu'Anne d'Autriche, l'aurait-elle voulu, n'avait aucun motif de recourir à un crime pour être enceinte. On incrimine l'origine de cette grossesse parce que Richelieu, dans un journal qui lui est attribué et dont on a dit, qu'il prêtait à la supposition de Voltaire une base d'argumentation assez sérieuse[45], se plaît à marquer les progrès de cette grossesse, envoie souvent prendre des nouvelles de la reine, lui fait enlever son apothicaire, puis le lui rend, interdit à l'ambassadeur d'Espagne des visites trop fréquentes au Louvre exerce, en un mot, sur Anne d'Autriche une surveillance soupçonneuse et incessante. Mais admettrait-on l'authenticité de ce journal qui, vraisemblable en certains détails, l'est beaucoup moins dans son ensemble, tous les faits qu'il relate, les espionnages qu'il signale, les soupçons qu'il suppose concernent l'Espagnole, irritée du triomphe inattendu de Richelieu et pouvant songer à le renverser, nullement l'épouse coupable dont on veut constater la faute. Dans cette dernière hypothèse, pourquoi avoir rendu à la reine l'homme de l'art qui peut l'aider dans un avortement ? Pourquoi ne l'aurait-on pas entièrement séparée de toutes ses confidentes ? pourquoi n'aurait-on pas proscrit tout à fait les visites de l'ambassadeur d'Espagne ? Richelieu, il est vrai, fit renvoyer la comtesse de Fargis. Mais c'est uniquement parce qu'elle lui avait donné le conseil d'épouser, si elle devenait veuve, Gaston d'Orléans, son beau-frère, parce qu'elle excitait les ressentiments d'Anne d'Autriche, parce qu'elle était l'âme de l'opposition, des intrigues politiques, des sourdes menées Contre le cardinal. Si, dans sa longue correspondance saisie par celui-ci, et qui existe dans les archives[46], tout le justifie d'avoir exilé la dangereuse comtesse, si on y trouve la trace des espérances des deux reines, des affections qui les lient à l'Espagne, des succès qu'elles désirent, des chutes qu'elles souhaitent, rien ne peut être relevé qui entache l'honneur d'Anne d'Autriche. La comtesse de Fargis y apparaît active instigatrice des cabales, nullement complice complaisante et confidente d'un crime.

Le vrai est qu'enceinte pour la troisième fois et redoutant un troisième accident, Anne d'Autriche ne voulut pas qu'en répandant la nouvelle de sa grossesse on fit naître dans le peuple un espoir que le souvenir du passé rendait très-incertain. L'origine de cette grossesse est dans la réconciliation que produisit la maladie du roi. Richelieu lui-même l'atteste, non plus l'écrivain contesté d'un journal qui ne renferme d'ailleurs aucune ligne nettement accusatrice, mais l'incontestable auteur de ces innombrables lettres, papiers, documents authentiques, qui, des mains de la duchesse d'Aiguillon, sa nièce, ont passé plus tard dans les archives de l'État[47]. On soupçonne, non sans grande raison, que la reine est grosse, écrit-il. Si ce bonheur arrive à la France, elle le devra recueillir comme un fruit de la bénédiction de Dieu et de la bonne intelligence qui est entre le roy et la royne, sa femme, depuis certain temps[48]. Le soin que prit Anne d'Autriche de dissimuler un troisième avortement, elle l'avait déjà eu pour le second le 16 mars 1622, et déjà, à cette époque, on avait caché au roi le plus longtemps qu'on avait pu l'anéantissement de ses espérances[49]. Mais, depuis le jour où il fut au pouvoir, rien n'échappa au regard pénétrant du ministre attentif. Il épiait, il voyait, il savait tout. Chacun des membres de la famille royale était entouré de quelques-uns de ses agents. Si, de cette incessante surveillance et des témoignages écrits par lesquels elle se révèle, ressort la preuve que la reine a été coquette avec Buckingham, accessible aux conseils de la duchesse de Chevreuse, fidèle aux recommandations dernières de Philippe III son père, et toujours prête à soutenir auprès du roi l'intérêt espagnol, si, en un mot, Richelieu la représente comme une reine peu française, il ne donne jamais à entendre qu'elle a été épouse coupable, et l'histoire ne peut guère espérer d'être mieux informée, et ne doit pas se montrer plus rigoureuse que le clairvoyant' et impitoyable ministre.

 

 

 



[1] Les Mariages espagnols sous le règne d'Henri IV et la régence de Marie de Médicis, par M. Perrens, professeur au lycée Bonaparte.

[2] Manuscrits de la Bibliothèque impériale, fonds Harlay, 228, n° 14-15 ; cour d'Espagne, ambassade de M. de Vaucellas, déjà cités par M. Armand Baschet dans son livre piquant et fort riche en documents précieux : le Roi chez la reine.

[3] L'infante Maria, née le 18 août 1606, mariée en 1650 à Ferdinand III, roi de Hongrie, puis empereur.

[4] Dépêche de M. de Vaucellas du 20 novembre 1610. Manuscrits cités plus haut.

[5] Mercure français, t. II, p. 549.

[6] Manuscrits de la Bibliothèque impériale, fonds Dupuy, 76, p. 145, et archives du château de Mouchy-Noailles, 1706. Mariages des rois et reines, relatés par M. Baschet dans son livre déjà cité.

[7] Journal de Jean Héroard sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII. Manuscrits de la Bibliothèque impériale. Il vient d'être publié chez Didot par MM. Eud. Soulié et Ed. de Barthélemy, avec une intelligence, un soin et une érudition dont on ne saurait trop les féliciter. Ce journal, surtout dans ses dix premières années, permet de pénétrer profondément le caractère de Louis XIII, et, si les observations quotidiennes de son médecin sont parfois puériles, elles caractérisent le plus souvent les mœurs de l'époque, les habitudes de la cour, les tendances déjà significatives du prince, dont on expose les moindres actions depuis sa naissance jusqu'à l'âge de vingt-sept ans (1601-1628). Il convient toutefois de tenir compte d'un fait important que les éditeurs ont négligé de signaler dans leur savante introduction. Le dauphin connaissait l'existence de ce journal. D'où venez-vous ? dit-il à Héroard le 23 janvier 1606. — Monsieur, je viens de mon étude. — Quoi faire ?Monsieur, je viens d'écrire en mon registre. — Quoi ? — Monsieur, j'estois prêt à escrire que vous avez été opiniâtre. Il me dit à demi pleurant : Ne l'écrivez pas. A plusieurs reprises, ensuite, on voit le dauphin faisant allusion à ce journal en disant à Héroard : Vous écrirez cela, ou : Vous n'écrirez pas cela. Le médecin, il est vrai, ne tient aucun compte de ces recommandations et reproduit scrupuleusement les moindres gestes et même les bégayements du prince. Mais il est probable que celui-ci, étant dans la confidence du journal, s'observe davantage dans les occasions importantes et que si, pour le courant de la nous trouvons dans Héroard le vrai Louis XIII, quelquefois nous l'y rencontrerons moins naturel, moins spontané et se souvenant trop qu'il a à ses pieds un historiographe.

[8] Journal d'Héroard, journées des 5 novembre 1604 et 2 mars 1605.

[9] Journal d'Héroard, journée du 4 avril 1605.

[10] Journal d'Héroard, journée du 29 janvier 1607.

[11] Monsieur, lui demande, le 15 mai 1607, la princesse d'Orange, qui aimez-vous mieux qui soit votre beau-frère, ou le prince d'Espagne ou le prince de Galles ? — Le prince de Galles, répond le dauphin. Épouserez-vous l'infante ? — Je n'en veux point. — Mais elle vous fera roi d'Espagne. — Non, non, réplique l'enfant, je ne veux pas être Espagnol ! (Journal d'Héroard, journée du 15 mai 1607.)

[12] Non-seulement Henri IV, niais tous les seigneurs de la cour s'entretenaient dès 1602 de ce mariage espagnol ; et c'est un point curieux à noter, car ce mariage a été vivement reproché plus tard à Marie de Médicis.

[13] Marguerite de Navarre.

[14] Journal d'Héroard, passim.

[15] Journal d'Héroard, journées des 9 juin 1604 et 21 octobre 1608.

[16] Ha ! dit-il quand on lui raconta l'acte de Ravaillac, si j'y eusse esté avec mon épée, je l'eusse tué ! (Journal d'Héroard, journée du mai 1610.)

[17] Un autre jour, le 11 novembre 1611, il se rend à Saint-Germain. Il y va visiter monsieur son frère qui était malade d'un endormissement avec quelques légères convulsions. Il s'éveille. Louis XIII lui dit : Bonsoir, mon frère. Celui-ci lui répond : Bonsoir, mon petit papa. Louis XIII à ces mots se met à pleurer, s'en va, et, de tout le jour, on ne le vit plus. (Journal d'Héroard, journée du 14 novembre 1611.)

[18] Journées des 24 août et 5 septembre 1610 et 28 mars 1611 du Journal d'Héroard : Le 25 décembre 1619, il va après tinter à sa petite chambre où entrent M. le prince de Condé, les sieurs de Tavannes d'Andresy, de Flochet, et se parlaient de mots qui dépassaient la gaillardise ; le roi dit : Je ne veux point que l'on dise des saletés et des vilainies.

[19] Mémoires du maréchal de Bassompierre. — Journal d'Héroard.

[20] Dépêche de l'ambassadeur du grand-duc de Toscane, Matteo Bartolini, du 4 décembre 1615, citée par M. A. Baschet. Journal d'Héroard, journée du 21 novembre 1615.

[21] Journal d'Héroard, journée du 25 novembre 1615.

[22] Dépêche du nonce Bentivoglio du 30 janvier 1619. Le retard pros venait de la pudeur du roi. Il craignait aussi de rencontrer dans cet acte des difficultés au-dessus de ses forces, frappé surtout comme il était du souvenir de son primo congresso à Bordeaux, qui non-seulement était demeuré sans effet, mais même ne lui avait laissé qu'une impression désagréable. (Citée par M. Baschet. L'exactitude de ce fait est confirmée par le Journal d'Héroard, journée du 25 novembre 1615.)

[23] Dépêche du nonce Bentivoglio, en date du 16 janvier 1619.

[24] Dépêche de Contarini, ambassadeur de Venise, du 27 janvier 1619 : Il mercoledi avanti, il Duca d'Albuf dormi con la sua sposa madamosella di Vandomo ; et il Ré, buona parte di quelle notte, ha voluto star presente su'l proprio letto di questi doi stosi, per vedere à consumare il rnatrimonio ; il clic più d'une volta  fil reiterato, con grand'applauso e gusto particolare del Ré : onde si crede, che questo esempio habbio bando gran forza ad eccilar la Maesià Sua à far lo stesso ; à che anco la sorella sua naturale, madamosella di Vandomo, viene detto, l'invitasse con parole, et li dicesse : Sire, fate voi anco cosi con la regina, die farete bene. (Dépêche confirmée par Héroard, journée du 20 février 1619.)

[25] Dépêches du nonce Bentivoglio, t. I, p. 157, 240, 300, et t. II, p. 10, 31, 39, 40, 41, 80, 82 et 81 : Il Re si risolse, venerdi notte di 25 venendo verso il sabbato, di congiungersi con la regina... Luines anche egli s' é portato benissimo, perche la notte stessa che il ré ando à dormire, con la regina, stando anche tutavia quasi in forze ed in gran contrasto frà se medisimo. Luines lo prese a traverso e lo condusse quasi per forza al letto della regina. (Dépêche de Bentivoglio, du 30 janvier 1619. Voyez aussi dépêches de l'ambassadeur vénitien des 27 janvier et 5 février 1619 ; le Journal d'Héroard, journée du 25 janvier 1619 ; la lettre du P. Joseph au ministre d'Espagne du 14 février 1619 ; enfin, les Mémoires de Bassompierre, t. II, p. 147.)

[26] Aux causes de la réserve de Louis XIII, que nous venons d'exposer, une Relation de don Fernando Giron (Archives de Simancas) en ajoute une autre que le devoir de ne rien omettre nous fait indiquer, mais qui est fort peu admissible. D'après cette relation, Louis XIII se tenait éloigné d'Anne d'Autriche parce qu'on lui aurait persuadé que s'il avait un fils, étant encore si jeune, ce serait par la suite une cause de guerre civile pour le royaume. Rien ne confirme et ne rend vraisemblable cette supposition.

[27] Di parte molto sicura ho inteso che si stà con ferma speranza che la regina sia gravida, il che piaccia a Dio segua per beneficio di questo regno. (Dépêche du nonce Bentivoglio du 4 décembre 1619.)

[28] La reine devint grosse, et l'était de six semaines, quand un soir, madame la princesse tenant le lit, la reine y alla passer la soirée jusques après minuit, avec les autres princesses et les dames du Louvre. M. de Guise, les deux frères de Luynes, M. Le Grand, Blainville et moi nous y trouvâmes ; et la compagnie fut fort gaie. Quand la reine s'en retournant coucher et passant par la grande salle du Louvre, madame la duchesse de Chevreuse et mademoiselle de Verneuil la tenant sous les bras et la faisant courir, elle broncha et tomba en ce petit relais de haut dais, dont elle se blessa et perdit son fruit. On cela l'affaire au roi le plus que l'on put. (Mémoires de Bassompierre, confirmés par le Journal d'Héroard, journée du 26 mars 1622.)

[29] Journal d'Héroard, passim, et notamment journées des 8 juin et 21 août 1626.

[30] Journal d'Héroard, journée du 10 mai 1621.

[31] Il se joue avec de petites balottes qu'il fait rouler le long du canal de son bougeoir, disant que ce sont des soldats. M. de Souvré le reprend et lui dit qu'il s'amusera toujours à jeux d'enfant. Mais, monsieur de Souvré, ce sont des soldats : c'est pas jeu d'enfant !Monsieur, vous serez toujours en enfance. — C'est vous qui m'y tenez ! (Journal d'Héroard, journée du 21 février 1610.) — Madame de Montglat (l'ancienne gouvernante du Dauphin) se trouve à son coucher. Dévêtu, mis au lit, il s'amuse à de petits engins. Cependant madame de Montglat et M. de Souvré devisaient ensemble. Madame de Montglat : Je puis dire que monseigneur le dauphin est à moi : le roi me l'a donné à sa naissance, me disant : ‘ Madame de Montglat, voilà mon fils que je vous donne ; prenez-le. ’ M. de Souvré lui répond : Il a été à vous pour un temps, maintenant il est à moi. Le dauphin dit froidement, sans hausser la voix et sans se détourner de sa besogne : Et j'espère qu'un jour je serai à moi. Il écoutait tout ce qui se disait sans en faire semblant, à quelque chose qu'il fût occupé. (Journal d'Héroard, journée du 8 mars 1610.)

[32] Plusieurs faits cités par Héroard prouvent que Louis XIII n'était nullement sensible à la flatterie. (Voyez notamment journées des 8 octobre et 5 décembre 1610.)

[33] Archives des affaires étrangères. Manuscrits. Lettres originales de Louis XIII, France, 5. En voici quelques-unes, choisies au milieu d'un plus grand nombre et qui toutes fournissent la preuve des sentiments de réelle affection qu'éprouvait Louis XIII à l'endroit de Richelieu. Louis XIII à Richelieu, du 15 juillet 1633 : Mon cousin, je trouve très-bon que vous alies à Paris aujourd'huy. Je vous conjure dans ce lieu-là de prendre bien garde à vous. Louis. — Du 3 octobre 1633 : Mon cousin, je ne saurois être en repos si je nay souvent de vos nouvelles. C'est pourquoy jenvoye ce porteur pour men reporter que je prie le bon Dieu de tout mon cœur estre telles que je les désire. Louis. Châlons. — Du 6 octobre 1633 : Monsieur Boutilier, les nouvelles que je resoy à toutes heures de mon cousin le cardinal de Richelieu me consolent extrêmement. C'est pourquoi ne manques de continuer à m'en faire savoir le plus souvent que vous poures. Louis. Château-Tiery, ce 6 à 6 heures du matin. — 26 octobre 1633 : Mon cousin, ne pouvant estre en repos si je nay souvent de vos nouvelles, j'envoy Montorgueil pour m'en aporter. Je prie le bon Dieu de tout mon cœur quelles soient telles que les desire la persane du monde qui vous aime le plus et gui n'aura point de joye qui ne vous revoye en parfaite santé. Louis. — 28 janvier 1634 : Mon cousin, come Lejeune est arrivé jalois vous escrire pour vous tesmoigner encore la joye que je resus ier en vous voyant et le contentement qui men est demeuré, lequel ma redoné la sante parfaite, je vous puis affirmer que le feu de Versailles est plus enflamé que celui de Ruel et qui durera à jamais. Louis. A Versaile, ce 28 janvier 1634. — Du 4 décembre 1635 : Nogent vous porte un marcasin que mes chiens prirent ici non pas ceux qui ont la rage, je ne vous l'envoyerois pas. Si ma santé me lent peu permettre jeuse esté à Ruel, mais estant dans les remedes je ne lay osay faire de peur daccident par les chemins où il n'y a pas de couvert. Louis. — Du 15 décembre 1635 : J'envoye ce gentillome pour savoir de vos nouvelles ne vous ayant pas trouvé ici en bonne santé. Je oubliay de dire à Nogent quand il vous porta le jambon de inarcasin que je vous priois d'en faire faire laisé à quelqu'un devant que dan manger, corne aussi de tout ce que je vous envoye par les uns et les autres. Je me porte fort bien Dieu mercy. Je vas mener mon frère voler le merle à la forest. Louis. — De Saint-Germain, ce 18 février 1641 : Ayant peur que le mauvais temps que vous eustes ici à la chasse ne vous ait fait mal, jenvoye ce gentilhomme pour savoir de vos nouvelles. Je ne me sens plus de la goule et croy que votre vue ma guéri ne vous ayant jamais veu que je ne m'en sois bien trouvé. Louis. — Saint-Germain, ce 23 mai 1641 : Je vous envoye 3 lettres que M. de Rivaux me dons ier au soir de ma lueur de Vandosme et de ses 2 an fans en remerciement de ce qui s'est passé. Je ne les ay voulu ouvrir venant de la main de personnes qui ne vous aiment point. Je vous recommande d'avoir toujours soin de vous plus que jamais. Louis. — Du 26 septembre 1641 : J'envoye Despres pour savoir de vos nouvelles et vous porter des musquats de Chateautierry que je crains qui ne soient pas encore bien murs Je vous prie d'en bien faire faire l'aissé et les bien faire laver avant que den manger. Je vous donne le bonjour. Louis. Je m'en vas prendre médecine.

[34] Archives des affaires étrangères, manuscrits France, vol. LXXXVIII, f° 99, et LXXXIX, f° 3, 23, 67, 78 et 103.

[35] Montglat dit que Richelieu, pour diminuer et détruire la passion de Louis XIII pour madame de Hautefort, mit auprès de lui Cinq-Mars. (Mémoires, t. I, p. 258.) Je viens d'apprendre que le roy avait, hier au soir, dict nettement à madame de Hautefort qu'elle ne devait plus prétendre à son affection, qu'il l'avait toute donnée à M. de Cinq-Mars. (Correspondance de l'évêque Arnauld. Bibliothèque impériale, armoire V, paquet 4, n° 2, f° 49.) — Les Archives des affaires étrangères (France, 5, Louis XIII) renferment l'original d'un procès-verbal des démêlés de Louis XIII avec Cinq-Mars et de leur manière de vivre sous le contrôle de Richelieu. La Bibliothèque impériale (armoire V. paquet 4, n° 2) a une copie de ce procès-verbal. L'affection de Louis XIII pour Cinq-Mars était un amusement de cœur, une diversion, qui l'absorbait et l'éloignait de madame de Hautefort. Du reste, comme pour celle ci et pour mademoiselle de la Fayette, cette affection très-honnête ne s'est manifestée un peu vivement que par une jalousie excessive. Voici deux lettres inédites qui prouvent jusqu'à l'évidence l'influence qu'avait Richelieu sur le roi. De Varenne, ce 28 may 1640. Je puis vous assurer que M. le Grand * et moy sommes en très-parfaite intelligence. LOUIS. — De Saint-Germain, ce 1er décembre 1640. Je vous prie de ne point adjouter de foy à tout ce que M. le Grand pourra dire de moy ou pourra faire dire jusques à tant que vous m'ayiez entendu. LOUIS. (Archives des affaires étrangères. Manuscrits de France, 5.)

* Le grand-écuyer Cinq-Mars.

[36] Michelet indique un autre motif, mais qu'il suffit de citer pour en montrer l'invraisemblance. Richelieu, dit-il, espéra dans la mollesse de la nature de la reine, et ainsi qu'un jour ou l'autre, dans quelque embarras où l'étourdie se jetterait encore, il l'aurait à discrétion.

[37] Mémoires de P. la Porte, p. 370.

[38] Lettre de Richelieu au maréchal de Schonberg du 25 septembre 1630. — Lettre du P. Suffren, confesseur de Louis XIII, au P. Jacquinot, supérieur à la maison professe de Paris, du 1er octobre 1630.

[39] Lettre du P. Suffren, déjà citée. En un an, Bouvart, médecin de Louis XIII, le fit saigner quarante-sept fois, lui fit prendre deux cent douze médecines et deux cent quinze lavements. (Archives curieuses de l'histoire de France, de Cimber et Danjou, 2e série, t. V, p. 63.)

[40] Lettre de Richelieu à Schonberg du 30 septembre 1630. — Lettre de Richelieu à d'Effiat du 1er octobre 1630. — Mémoires de Richelieu, liv. XI, t. VI, p. 206. — Lettre du P. Suffren, déjà citée. Cette lettre se termine, ainsi : Voilà, mon révérend père, ce qui s'est passé. Toute autre nouvelle qu'on vous dira ne sera pas vraie. Ego testis oculatus et auritus. Cette lettre se trouve tout entière dans la Revue rétrospective, t. II, p. 417 et suivantes.

[41] Un retour analogue et aussi complet de vive affection et de réciproque tendresse se produira de nouveau au moment de la maladie de février 1643 à laquelle succombera Louis XIII. Voyez le Mémoire fidèle des choses qui se sont passées à la mort de Louis XIII, fait par Dubois, son valet de chambre. La naïveté, la précision des détails qu'il renferme ne permettent pas de mettre en doute l'exactitude et l'authenticité de ce récit. Voyez aussi, Ministère des affaires étrangères, Mémoires manuscrits de Lamothe-Goulas, secrétaire da commandements du duc d'Orléans, t. II, p. 368.

[42] Archives des affaires étrangères, Mémoires de Lamothe-Goulas, secrétaire des commandements du duc d'Orléans, manuscrits, t. p. 367.

[43] Les deux lettres inédites qui suivent montrent que l'affection de Louis XIII pour Richelieu remonte à au moins une année avant la Journée des dupes. A Malesherbes, 16 octobre 1629 : Mon cousin, je ne manqueray de me rendre à Fontainebleau vendredy à midy auquel jour et heure j'espère vous y trouver. Assures-vous toujours de mon affect ion qui durera jusques au dernier soupir de vie. Louis. Monseigneur cest mis un chicot dans le pied. Jay envoyé cherche mon marechal pour luy ôter. — A Lion, ce 19 aoust 1630. Mon cousin, vous ayant mandé par ma dernière que vous partissiez les plustost que vous pourries pour me venir trouver, ne pouvant soufrir que vous fussies plus longtemps dans le danger de la peste, je vous adjouteray ce mot pour vous dire que vous ne vous aresties en aucun lieu ayant grande impatience de vous voir près de moy, ce quatendant je prieray le bon Dieu qu'il vous tienne en sa sainte garde. Louis. (Archives du ministère des affairas étrangères. Lettres originales de Louis XIII, France, 5.)

[44] Cette date est indiquée dans le journal de Richelieu, dont nous allons parler.

[45] M. Jules Loiseleur, Revue contemporaine du 31 juillet 1887, p. 223. Ce journal a été publié dans les Archives curieuses de l'histoire de France, de Cimber et Danjon, IIe série, t. V.

[46] Bibliothèque impériale. Manuscrits, ancien fonds français 9,241.

[47] Lettres et papiers de Richelieu, publiés dans la collection des Documents inédits de l'histoire de France, par M. Avenel, conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, avec une connaissance approfondie de l'époque dont il s'occupe, avec une exactitude, une intelligence et des soins dont on ne saurait trop le louer.

[48] Lettres et papiers de Richelieu, t. IV, p. 145.

[49] Mémoires de Bassompierre.