LOUIS XIII ET RICHELIEU

DEUXIÈME PARTIE

 

LETTRES INÉDITES DE LOUIS XIII À RICHELIEU (1622-1642)

 

 

1629. — Sévérité de Louis XIII pour les princes de Vendôme. — Mort du grand prieur. — Guerre de la succession de Mantoue. — Louis XIII part pour l'Italie. — Traité de Suse. — Évacuation du Montferrat par les Espagnols. — Louis XIII donne au cardinal les abbayes possédées par le grand prieur. — Refus de Richelieu.

 

Les princes de Vendôme, arrêtés en 1626 et enfermés à Vincennes, y étaient encore en 1629, et Louis XIII ne semblait nullement disposé à mettre en liberté ses frères naturels. Dès 1627 il leur avait accordé des lettres d'abolition, mais sous divers prétextes on en retardait l'entérinement. Cependant la santé du grand-prieur, sans doute plus délicate que celle du duc de Vendôme, s'était altérée pendant sa détention. Sa maladie prit un caractère si grave que, sur la demande que fit son frère au roi, celui-ci lui accorda, au commencement de 1628, la permission de se promener dans les jardins de la forteresse. Cela ne devait pas le sauver. Son mal s'aggrava de jour en jour, et, le 8 février 1629, il mourut sans avoir pu fléchir l'inflexible sévérité de Louis XIII. A ce moment, celui-ci, tout fier encore du succès qu'il venait d'obtenir à la Rochelle[1], était en route pour l'Italie, où il allait commencer une nouvelle campagne, à propos de la succession de Mantoue. Le nouveau duc de Mantoue, étant prince français, déplaisait en effet aux Espagnols, qui ne voulaient en aucune façon de l'influence française en Italie, et au duc de Savoie, qui, convoitant le Montferrat, ne voyait pas d'un bon œil que son voisin pût s'appuyer sur l'alliance de la France. Mais, d'autre part, le pape, le duc de Parme et le duc de Modène étaient fatigués de la domination des Espagnols en Italie, et désiraient qu'une intervention de Louis XIII pût les contenir.

Le roi partit de Paris le 15 janvier, et Richelieu le suivit à quelques jours d'intervalle, pour cette campagne qui devait être si rapide et se terminer d'une façon si glorieuse par le traité de Suze, conclu avec le duc de Savoie le 11 mars suivant, et l'évacuation du Montferrat, qu'abandonnèrent les Espagnols, effrayés de la promptitude des opérations de l'armée française. C'est en route que Louis XIII apprit la mort du grand-prieur de France. Il était alors tout près de Grenoble, où il arriva le lendemain, 14 février. Aussitôt qu'il eut reçu la nouvelle de la mort de son frère naturel, il écrivit à Richelieu, qui se trouvait à Chiran, à quelques lieues de là, la lettre suivante :

 

Au cardinal de Richelieu.

La Tour du Pin, le 13 février 1629.

Mon cousin, ayant apris par une lettre de la Reyne, madame ma mère, que le grand prieur étoit mort, je vous ay voulu escrire ce mot pour vous dire que je vous donne les deux meilleures abbayes que possédoit ledict grand prieur. Pour aux deux aultres je les donne mon cousin, le cardinal de Berulle. Celle-cy n'estant a aultre fin, je prieroy le bon Dieu qu'il vous conserve et garde aussy longtemps que je le desire. — Louis. (Bibl. nation. Fonds Dupuy, t. 94, fol. 15, — (Copie.) — Idem, Sorbonne, t. 1135, fol. 234. — (Copie.) — Imprimé. — Recueil d'Aubery, t. I, p. 305.)

 

Le cardinal refusa, dans une lettre écrite le même jour, le présent que lui faisait le roi, sous prétexte qu'ayant été dans les conseils lorsque les intérêts de l'État contraignirent le roi de faire arrêter le grand prieur, il lui semblait qu'il contreviendrait au cœur qu'il a plu à Dieu de lui donner si il profitait de son malheur et prenait part à sa dépouille[2]. Il proposa en même temps, s'il faut en croire ses Mémoires, de donner ces deux abbayes que le roi lui offrait au cardinal de Bérulle. Pourtant nous devons remarquer que sa lettre de remercîment ne fait aucune mention de ce conseil, et que le roi avait spontanément songé à donner les deux autres abbayes à ce cardinal.

 

A mon cousin le cardinal de Richelieu.

Mon cousin, je ne manqueroy de me rendre à Fontainebleau vendredy midy[3], auquel jour et heure, j'espère vous y trouver. Asseurez-vous toujours de mon affection, qui durera jusques au dernier soupir de ma vie[4]. — Louis. A Malesherbe, ce 16 octobre 1629.

Monsegneur[5] c'est mis un chicot dans le piés, j'ay envoyé cherche mon maréchal pour le luy oster. — (Arch. des aff. étrang. — France, t. V, fol. 5) (Original.)

 

 

 



[1] On sait que La Rochelle fut prise le 29 octobre 1628.

[2] Papiers de Richelieu, t. III, p. 231.

[3] Le 16 octobre était un mardi, le rendez-vous donné était donc pour le vendredi 19.

[4] Richelieu était alors à Fontainebleau ; le rendez-vous était sans doute pour la réunion d'un conseil, dans lequel devaient être discutées les questions pendantes. Les secrétaires d'État se réunissaient tantôt où était le roi, tantôt à la résidence du cardinal, surtout lorsque celui-ci était indisposé.

[5] Ce nom désignait, sans doute, un des chevaux favoris du roi. On sait que Louis XIII, grand chasseur, aimait beaucoup ses chiens et ses chevaux et qu'il en prenait grand soin.