LOUIS XIII ET RICHELIEU

DEUXIÈME PARTIE

 

LETTRES INÉDITES DE LOUIS XIII À RICHELIEU (1622-1642)

 

 

1627. — Les Anglais débarquent dans l'ile de Ré. — Arrivée de Louis XIII et de Richelieu au camp de la Rochelle. — Situation critique des Français dans File de Ré. — Les Anglais sont repoussés et forcés de se rembarquer. — Participation de Louis XIII à tous ces événements.

 

A mon cousin le cardinal de Richelieu[1].

8 novembre 1627.

Mon cousin, étant arrivé au Plomb[2], des matelots me sont venus dire qu'ils voioient vingt barques au port de Notre-Dame, près Sainte-Marie[3], nous sommes allés au Moulin de là où nous avons veu ce que les matelots nous avoient dict et encore davantage, nous crotons que c'est Monsieur de Schomberg parce qu'il n'y avoit aucune barque hier au soir ; je fais embarquer tout le reste pour passer cette nuict. En finissant cette lettre nous voions une grande fumée à Saint-Martin, nous ne savons si c'est au bourg ou dans le port.

Du bord de la mer du Plomb, ce huict novembre 1627 à midy. LOUIS. (Arch. des aff. étrang. — France, t. V, fol. 4.)(Original.)

 

Le 22 juillet 1627, une armée anglaise, forte de dix mille hommes, débarquait dans l'île de Ré, et l'occupait entièrement, sauf la citadelle de Saint-Martin et le fort de la Prée, dans lesquels Toiras, gouverneur d'Aunis, s'était jeté avec le reste de ses troupes, après avoir essayé, dans un combat malheureux, d'empêcher le débarquement. Rien n'était prêt pour repousser les étrangers ; l'armée royale, assez nombreuse pour s'opposer à une descente sur le continent, n'était pas assez forte, et de plus manquait des vaisseaux nécessaires pour prendre l'offensive. Ses chefs d'ailleurs, les ducs d'Orléans et d'Angoulême, avaient besoin, pour agir, d'être dirigés eux-mêmes. Richelieu était à Paris, le roi était malade. Les Rochelais, qui craignaient de trouver dans les Anglais de nouveaux maîtres, hésitèrent quelque temps à s'unir à eux. Cela permit au cardinal de réunir des troupes, de les organiser, de trouver de l'argent, d'acheter des armes, des vaisseaux, et de les envoyer sur les lieux. Son infatigable énergie suffit à tout, et lorsque le roi et lui quittèrent Paris, le 24 septembre, pour aller se mettre à la tête de l'armée, il avait la certitude que ses efforts seraient couronnés de succès, et que les Anglais seraient obligés d'abandonner les idées de conquête qui les avaient guidés dans leur expédition.

Louis XIII et son ministre, arrivés au camp, de-vaut la Rochelle, le 12 octobre, se préparèrent aux opérations qui devaient amener le départ des envahisseurs. On ne peut qu'admirer le génie que déploya Richelieu à cette époque : il voyait tout, il surveillait tout, il préparait tout. En même temps qu'il réunissait dans les ports de la côte des barques destinées à conduire des troupes en Ré, qu'il envoyait dans plusieurs directions des soldats qui devaient s'embarquer, qu'il s'occupait de tous les détails d'armement et d'équipement, qu'il renseignait même les généraux sur les conditions favorables des vents et des marées qui devaient leur permettre de sortir des ports pour aller attaquer les Anglais, il réunissait une flotte assez puissante pour empêcher de la part de ceux-ci un retour offensif, et préparait déjà les éléments de la digue destinée à fermer le port de la Rochelle, et qui pourtant ne pouvait être établie que lorsque l'on n'aurait plus à compter avec la présence de l'étranger.

Cependant il était urgent d'agir. Toiras avait mandé, le 25 octobre, qu'il n'avait plus de vivres que jusqu'au 13 novembre. Aussi, dans ces derniers jours, le cardinal multiplie les ordres pour réunir les vivres qui devaient être transportés à Saint-Martin, à l'aide d'un coup de main, pour le cas où l'on ne réussirait pas à dégager complètement l'île. Dès le 2 novembre, toutes les troupes étaient embarquées ; mais les vents étaient contraires, et les barques furent contraintes de relâcher pendant trois jours à Marans et à Olonne. Le 6 novembre seulement, la Meilleraye put entrer à Saint-Martin avec trois cents hommes. Ce jour-là, les Anglais attaquèrent la citadelle, mais sans succès : ils perdirent six cents hommes dans ce combat. Le lendemain, Schomberg, qui avait le commandement du corps de débarquement, put enfin aborder dans l'île avec le reste de ses troupes. Le combat n'eut lieu que le 8. Au premier choc, les ennemis lâchèrent pied, et abandonnèrent l'île de Ré pour se retirer dans l'île de l'Oie, avec laquelle ils avaient établi une chaussée de communication. Schomberg les suivit en les chargeant. Ce fut pour eux une véritable déroute, car ils s'embarquèrent à grand'peine, en laissant aux mains des Français trois canons et plusieurs prisonniers de marque. Le sol de l'île était jonché de leurs corps. Seize cent soixante-cinq hommes, dit le Mercure français, furent comptés morts sur la place. Buckingham, qui commandait l'expédition, blessé lui-même, se hâta de rentrer en Angleterre avec les débris d'une armée dont il avait promis tant de merveilles aux Rochelais.

Le roi eut une grande part dans la préparation de cet heureux résultat. Il donnait, dit Richelieu, les journées aux soins de conduire son entreprise jusqu'à la fin, et les nuits, il avait tant d'inquiétudes, que ses serviteurs demeuraient dans la peine que cela n'altérât sa santé. Et plus loin, il ajoute : Le passage des troupes du roi en Ré a été fait par sa résolution, conduit par son jugement, et exécuté par son bonheur. Après ce premier succès, Richelieu put sans crainte commencer la digue qui devait lui permettre de tenter le siège de la Rochelle avec la certitude qu'il réussirait dans cette entreprise[4].

 

 

 



[1] Cette lettre est écrite au verso de la note inédite suivante, envoyée le 7 novembre par Richelieu à Louis XIII :

Cahusac est revenu aujourd'huy du Plomb, qui dit qu'il y a peu de barques prêtes, peu de matelots et peu de vivres. Partant, il est besoing que Sa Majesté envoie, demain matin, s'il luy plaict, un homme du Plomb pour taire toutes les diligences nécessaires, pour faire charger les vivres et les faire passer promptement. J'ai envolé deux fois à Marans et deux fois à Olonne pour faire passer ce secours.

J'ai des nouvelles assurées de Bordeaux que les vaisseaux de Maçonne seront prêts à partir le 15 décembre ; Votre Majesté donnera, s'il luy plaict, l'ordre qu'elle jugera nécessaire pour les faire venir, sur quoy je recevray l'honneur de ses commandements.

Le secrétaire de M. de Schomberg m'a dit que son maitre luy avoit mandé qu'il se mettoit ce matin à la mer pour se laisser porter à la marée en Ré.

[2] Le Plomb est un petit port à six kilomètres au nord de La Rochelle.

[3] Dans l'île de Ré, entre la citadelle de Saint-Martin et le fort de la Prée.

[4] Mémoires de Richelieu, liv. XVIII, t. VII, pp. 471, 172, 473 ; Mercure français, t. XIII, p, 882 et suivantes ; t. XIV, partie ; Papiers de Richelieu, publiés par M. Avenel, t. II, passim.