LOUIS XIII ET RICHELIEU

DEUXIÈME PARTIE

 

LETTRES INÉDITES DE LOUIS XIII À RICHELIEU (1622-1642)

 

 

1626. — Lutte de Marie de Médicis et du prince de Condé. — Le roi suit les conseils de celui-ci. — Siège de Montpellier. — Départ du prince de Condé. Son retour à la cour, — Désaccord de la famille royale. — Arrestation du maréchal d'Ornano. — Richelieu offre sa démission. — Le roi la refuse. — Arrestation des princes de Vendôme.

 

Au cardinal de Richelieu.

Paris, le 30 mai 1626.

Mon cousin, aiant escript il y a trois ou quatre jours à mon cousin le prince de Condé, sur ce qu'il m'a fait dire avoir un désir très-grand de vous voir, que j'aurois fort agréable vostre entrevue, je vous faicts la présente pour vous disposer à le recevoir et affin que vous aiez plus de liberté de causer avec luy ; je vous commande d'ouïr et entendre tout ce qu'il voudra dire ors et excepté pour ce qui concerne son retour du Gué, s'il vous parle vous lui direz n'avoir aucune liberté de luy respondre sur ce subject, que tous discours en seroient inutiles puisque l'ordre qu'il peut recevoir pour ce regard despend de moy seul et de l'estat de mes affaires. Il sçayt la croïance que j'ay en vous, me servant comme vous faictes. Je la tesmoigne avec satisfaction et prie Dieu, mon cousin, qu'il vous ayt en sa garde et vous donne une parfaicte sancté. (Idem, fol. 20, n° 36.)(Copie.)

 

Henri de Bourbon, prince de Condé, qui se souvenait que Marie de Médicis l'avait fait enfermer à la Bastille, s'efforça, à la mort de Luynes dont il était devenu l'allié politique, d'enlever à la reine-mère la suprématie dans le conseil. Celle-ci, assistée de Richelieu, désirait que la guerre contre les huguenots ne fût pas continuée ; Condé, au contraire, voulait que l'on achevât ce que Luynes avait commencé. Le conseil fut de cet avis et une seconde campagne eut lieu. Le roi, partout vainqueur, vin t enfin mettre le siège devant Montpellier, où, dès qu'il vit les calvinistes réduits à la dernière extrémité, il résolut de signer une paix qu'il pouvait faire en toute sûreté. Condé seul s'y opposa ; il désirait que l'on achevât de ruiner le parti protestant et espérait s'en faire honneur. Il ne voulut pas prendre part au traité et partit en pèlerinage. Dès ce moment il fut compté parmi les mécontents et resta en disgrâce. En 1626, las enfin d'être éloigné de la cour et voyant que le pouvoir de Richelieu s'affermissait chaque jour davantage, il chercha à rentrer en grâce, comme l'indique la lettre que nous donnons ici. Le cardinal essaye dans ses Mémoires de se donner le mérite d'avoir ramené le prince de Condé dans le parti du roi. Entre plusieurs avis que le cardinal donna au roi pour anéantir cette épouvantable faction, dit-il à propos de la conspiration de Chalais, un des principaux fut qu'il fallait diviser ceux qui étaient liés ensemble... en les mettant tous en soupçon les uns dos autres... il conseilla au roi de lui permettre une entrevue avec mondit sieur le Prince, qui la demandait... Sa Majesté l'eut agréable... M. le prince vint à Limours[1].

La vérité ici est un peu travestie. En réalité, Condé, ambitieux et avide de richesses, désirait ménager sa rentrée au conseil, et profitait de l'arrestation du maréchal d'Ornano, gouverneur de Monsieur, mis à la Bastille le 4 mai précédent, et qu'il n'aimait pas, pour négocier son propre retour à la cour. En venant ainsi trouver Richelieu, le prince se mit en quelque sorte à sa dévotion, et celui-ci lui dicta ses actes et même ses paroles, ainsi qu'il résulte d'une pièce publiée par M. Avenel. D'après ce document, Condé s'engage à dire partout qu'il est asseuré de la bonne volonté du roy et de la reyne sa mère... qu'il n'a point parlé de son retour, qu'il le remet à la volonté du roy, lequel sçaura bien l'employer aux occasions selon qu'il luy plaira, cognoissant mieux ce qu'il luy fault que luy mesme... Il dira encore que le cardinal l'a asseuré de son amitié, ayant eu commandement du roy de ce faire, selon qu'il luy a dict ingénuement[2]... Il subit tout cela en silence, et dès ce moment, comprenant que sa fortune était entièrement entre les mains du cardinal, il lui apporta son concours et s'abandonna de plus en plus à lui, à ce point que, s'il faut en croire mademoiselle de Montpensier, Richelieu fut obligé de défendre contre lui-même sa dignité de prince du sang. Elle raconte en effet que, plus tard, lorsqu'il demanda à Richelieu la main de sa nièce, mademoiselle de Brézé, pour le duc d'Enghien, il lui offrit en même temps de marier mademoiselle de Bourbon au jeune marquis de Brézé. A cette demande le cardinal répondit qu'il voulait bien donner des demoiselles à des princes, et non pas des gentilshommes à des princesses[3]. Ce triste prince n'eut d'ailleurs, comme l'a fait remarquer Voltaire, qu'une gloire : celle d'être le père du grand Condé[4].

 

Le roi au cardinal de Richelieu.

Blois, le 9 juin 1626.

Mon cousin, j'ai vu toutes les raisons qui vous font désirer votre repos, que je désire avec votre santé plus que vous, pourvu que vous la trouviez dans le soin et la conduite principale de mes affaires. Tout, grâce à Dieu, y a bien succédé depuis que vous y êtes ; j'ai toute confiance en vous, et il est vrai que je n'ai jamais trouvé personne qui me servit à mon gré comme vous. C'est ce qui' me fait désirer et vous prier de ne point vous retirer, car mes affaires iroient mal. Je veux bien vous soulager en tout ce qui se pourra, et vous décharger de toutes visites, et je vous permets d'aller prendre du relâche de fois à autre, vous aimant autant absent que présent. Je sais bien que vous ne laissez pas de songer à mes affaires. Je vous prie de n'appréhender point les calomnies, l'on ne s'en açauroit garantir à ma cour. Je connois bien les esprits, et je vous ai toujours averti de ceux qui vous portoient envie, et je ne connoitrai jamais qu'aucun ait quelque pensée contre vous que je ne vous le die. Je vois bien que vous méprisez tout pour mon service.

Monsieur et beaucoup de grands vous en veulent à mon occasion ; mais assurez-vous que je vous protégerai contre qui que ce soit, et que je ne vous abandonnerai jamais. La reine ma mère vous en promet autant. Il y a longtemps que je vous ai dit, qu'il falloit fortifier mon conseil ; c'est vous qui avez toujours reculé de peur des changements, mais il n'est plus temps de s'amuser à tout ce qu'on en dira ; c'est assez que c'est moi qui le veut. Au reste si ceux que j'y mettrai n'ont habitude avec vous, ils ne suivront pas vos avis, principalement vous étant quelquefois absent, à cause de vos indispositions.

Ne vous amusez poinct à tout ce qu'on en dira ; je dissiperai toutes les calomnies que l'on sçauroit dire contre vous, faisant connoitre que c'est. moi qui veux que ceux qui sont dans mon conseil ayent habitude avec vous. Asseurez-vous que je ne changerai jamais et que quiconque vous attaquera, vous m'aurez pour second. (Imprimé. — Histoire de Louis XIII par le P. Griffet, t. I, p. 500.)

 

Tous les grands n'étaient pas de la trempe du prince de Condé, tous n'étaient pas décidés à plier sous le joug impérieux de Richelieu sans essayer de lutter contre cette nouvelle puissance. Mais, pour s'élever contre le premier ministre, il leur fallait une occasion et un chef. Ils crurent avoir trouvé l'un et l'autre en 1626, lorsque Louis XIII, se voyant sans enfants, voulut en même temps assurer l'avenir de la monarchie et se conformer au vœu de Henri IV en mariant son frère Gaston, alors duc d'Anjou, qui venait d'atteindre sa dix-septième année, avec mademoiselle de Montpensier, la plus riche héritière du royaume. L'entourage du jeune prince saisit ce prétexte pour l'éloigner du roi et de sa mère, en le dissuadant d'accomplir leur désir et en lui faisant entendre qu'il serait plus puissant s'il épousait mie princesse étrangère. Les mécontents profitèrent de ces désaccords de la famille royale. Ils tentèrent d'agiter plusieurs provinces. Mais Richelieu veillait ; il fit arrêter le maréchal d'Ornano, gouverneur du duc d'Anjou, et envoya en même temps que lui, à la Bastille, ses deux frères et plusieurs de ceux qu'on savait lui être dévoués. Le duc de Vendôme, frère naturel du roi, effrayé de ce premier coup de force, essaya de se fortifier dans son gouvernement de Bretagne ; mais, dès qu'il vit. Louis XIII se mettre en route pour prévenir sa révolte, il résolut d'aller, accompagné de son frère, le grand prieur, au-devant du roi pour faire sa soumission. C'est à cette époque que se rattache la lettre que nous donnons ici ; le cardinal, voyant qu'il fallait s'attaquer aux propres frères du roi, craignit peut-être une défaillance de la part de celui-ci ; ce sentiment ne nous étonnerait pas ; nous verrons Richelieu le ressentir plus d'une fois encore. Cette fois, il écrivit deux lettres au roi pour lui demander la permission de se retirer. Mais la réponse du roi dut le rassurer en partie ; ses actes, comme nous allons le voir, le rassurèrent complètement, et il n'hésita plus dès lors à frapper tous les complices de ce premier complot.

 

Au cardinal de Richelieu.

Blois, le 13 juin 1626.

Mon cousin, aiant trouvé bon de faire arrester mes frères naturels, les duc de Vendosme et grand Prieur, pour bonnes et grandes considérations importantes à mon estat et repos de mes subjects, j'ay bien voulu vous en donner advis et vous prier de vous rendre près de moy le plus tost que votre santé le pourra permettre. Je vous attends en ce lieu et prie Dieu vous avoir toujours, mon cousin, en sa saincte protection. (Bibl. nation., t. 3722, fol. 22, n° 42.)(Copie.)

 

Les ennemis de Richelieu ont affirmé qu'il avait préparé l'arrestation du duc de Vendôme et de son frère. Cette lettre dégage complètement sa responsabilité d'un fait dans lequel on s'était plu à voir de la duplicité. Dans ses Mémoires, il ne nous montre pas d'ailleurs avoir su que les deux princes seraient arrêtés à leur arrivée à Blois. Lui-même était loin du roi, et en ce moment il prenait les eaux à Limours. Louis XIII, dans cette affaire, agit donc seul et sans la participation de son ministre. Si cette lettre ne suffisait pas pour l'établir, nous en trouverions une nouvelle preuve dans une autre adressée au roi par Richelieu, le 13 juin 1626, dans laquelle il lui dit : Vostre Majesté est si prudente et si sage qu'elle ne sauroit faillir en ses conseils. Je suis extrêmement fâché que MM. de Vendôme et le grand prieur luy ayent donné suject de les réduire au poinct qu'ils sont ; mais Vostre Majesté doit tant à son Estat qu'elle ne peut être que louée des résolutions qu'elle prend pour empescher l'effet des mauvaises volontés que l'on auroit au préjudice de son repos. Je me rendray demain à deux lieues de Vostre Majesté pour estre Lundy auprès d'elle, pour obéir à ses commandements[5]... Cette lettre, comme on le voit, est une réponse à celle du roi. Toutes deux démontrent que Louis XIII eut seul l'initiative des arrestations et qu'il voulut donner à son ministre, par un acte personnel, une preuve de la protection dont il le couvrait ; elles indiquent de plus que Richelieu s'est trompé dans ses Mémoires, en affirmant que les princes furent arrêtés le 12 et que le cardinal... arriva le jour même de leur prise[6]. Nous trouvons un second témoignage de l'erreur dans laquelle Richelieu est tombé en rédigeant ses Mémoires, dans le Journal d'Héroard, qui raconte, à la date du 13 juin, que le roi commanda à trois heures du matin à M. du Hallier, capitaine des gardes, et au marquis de Mouy, capitaine des grandes gardes, d'aller de sa part arrêter ses deux frères. Le médecin de Louis XIII ajoute qu'on les mena le même jour par eau à Amboise[7]. L'heure matinale de l'arrestation a pu tromper beaucoup de contemporains sur le jour exact de ce coup de force.

 

 

 



[1] Mémoires de Richelieu, t. VII, p. 383, col. I.

[2] Papiers de Richelieu, t. VII, p. 582.

[3] Mémoires de mademoiselle de Montpensier, collection Michaud, 3e série, t. IV, p. 14, col. I.

[4] Siècle de Louis XIV. Liste des princes de la maison de France.

[5] Papiers de Richelieu, t. II, p. 214.

[6] Mémoires de Richelieu, liv. XVII, t. VII, p. 387, col. 1.

[7] Journal d'Héroard, juin 1626.