LOUIS XIII ET RICHELIEU

ÉTUDE HISTORIQUE

 

PRÉFACE

 

 

Cousin, dans ses belles études sur la société française au dix-septième siècle, et Poirson, dans son excellente histoire d'Henri IV, ont émis le vœu de voir Louis XIII remis au rang qu'il doit y occuper parmi les souverains et affranchi de l'humiliante et lourde tutelle sous laquelle l'a injustement placé l'histoire. Ces deux écrivains ont entrevu que le fils d'Henri IV, le père de Louis XIV, n'avait été indigne ni de son glorieux devancier, ni de son immortel successeur, et que, loin de subir, en l'exécrant, le joug de Richelieu, il a participé aux grands actes de son ministre dont il aimait la personne autant qu'il admirait le génie.

 

C'est cette entreprise, qu'ils se sont contentés d'indiquer sans vouloir l'exécuter, peut-être faute de preuves matérielles, c'est cette entreprise, impérieusement réclamée par la vérité jusqu'à ce jour méconnue, qui est l'objet de ce livre. Déjà la logique nous interdisait jusqu'à un certain point de voir en Louis XIII l'esclave couronné de Richelieu. Le prestige royal était alors trop éclatant, l'autorité de la couronne était alors trop incontestée, pour qu'un roi de France fût réduit à conserver durant dix-huit années, et à protéger, contre l'animadversion de tous, un ministre qu'il aurait détesté. D'autre part, une étude approfondie du caractère de Louis XIII, et de sa vie tout entière, depuis le berceau jusqu'à la mort, permettait d'éclairer d'un jour nouveau les actes de ce prince, et autorisait à lui restituer le rôle vraiment considérable qu'il a joué. Enfin plus de deux cents lettres inédites trouvées par nous aux archives des affaires étrangères, toutes écrites à Richelieu de la main même du roi, et révélant le plus souvent une participation directe et intelligente aux choses de l'État, toujours une profonde et sincère affection pour le cardinal, nous ont fourni le moyen de réfuter sans hésitation Terreur commune et d'entreprendre la réhabilitation de ce prince.

 

Sans jamais amoindrir Richelieu dont la gloire resplendit plus brillante encore dans ces tristes époques où semble s'éclipser le génie national, sans diminuer en rien l'incomparable minière que Ton admire plus profondément encore dans ces temps désastreux où la France expie si cruellement l'absence de tels hommes, nous avons pu, grâce aux documents inédits mis à notre disposition, nous avons dû, par égard pour la vérité outragée, anéantir la légende du roi fainéant, de l'automate que dirigeait à sa guise le cardinal, et lui substituer une image à la fois plus vraisemblable et plus vraie. Richelieu ne perd rien de ce que gagne Louis XIII. A l'un nous laissons les hautes conceptions, les grandes vues d'ensemble, les ressources inépuisables d'un génie supérieur. Nous voyons dans l'autre un collaborateur incessant, actif, intelligent, autant qu'un ami sincère de son ministre. Esprits inégaux, mais également dévoués à la chose publique, ils ont uni leurs efforts pour atteindre le même but, et, loin d'être un obstacle au cardinal, Louis XIII a été son plus utile auxiliaire.

 

Il n'est que deux façons de mettre en œuvre les documents. Ou bien on les reproduit textuellement, en les accompagnant de commentaires ; on enchâsse alors chacune des pièces dans des exposés historiques qui les éclairent, et permettent au lecteur de tout comprendre, et de ne rien ignorer de ce qu'il a intérêt à connaître. Ou bien on se borne à en faire le fond du récit dont ils sont la base autant que la preuve.

 

Nous avons, dans ce livre, adopté tour à tour ces deux méthodes. Les lettres inédites, données dans la seconde partie de cet ouvrage, sont encadrées dans des résumés historiques, qui, pour la plupart, conduisent le lecteur d'une lettre à une autre, et dans lesquels sont passés, en revue les principaux événements du règne. Par là l'intérêt des documents est accru, et, mis à leur place véritable, ils acquièrent leur signification réelle et toute leur valeur.

 

Au contraire, dans la première partie du livre, destinée à l'étude du caractère de Louis XIII , et dans la troisième, consacrée aux derniers mois du roi et du ministre, un récit continu nous a paru préférable. Tout entier construit à l'aide de documents authentiques, ce récit n'est pas moins exact que les commentaires historiques qui remplissent la seconde partie, mais la vie peut y circuler plus librement. L'histoire ne comporte pas seulement une exactitude toute sèche. Un récit peut être à la fois véridique et animé. Quand l'historien a prolongée assez consciencieusement ses recherches pour tout connaître de ce qui a été, il a le droit de le compléter par ce qui a dû être, à la condition toutefois de puiser seulement dans les sources autorisées les éléments dont l'imagination de l'écrivain fera jaillir la vie. Il va sans dire que nous parlons ici non pas de l'imagination qui crée, mais de l'imagination qui évoque, voit et reproduit une scène dans toute sa réalité. Connaître les événements est bien ; mais s'efforcer de les faire revivre de la vie que le cerveau de l'écrivain leur restitue, est mieux. De ce que l'imagination, livrée à elle-même, conduirait à de funestes écarts, il ne s'ensuit pas qu'on doive la proscrire. L'histoire est un drame où l'art met en œuvre et anime les matériaux judicieusement choisis, patiemment accumulés par la science.

 

En terminant cet avant-propos, c'est pour nous un devoir, autant qu'un plaisir, de remercier les archivistes de nos divers dépôts. Partout d'une obligeance affable et empressée, ils savent mettre leurs trésors à la disposition de tous, et, s'ils en jouissent avec les mêmes délices que l'avare, ils font volontiers participer autrui à leurs jouissances. Nous adressons aussi nos remercîments à notre collaborateur, M. Pierre Bertrand, qui a mis le dévouement le plus intelligent à la recherche des documents nombreux et variés sur lesquels est établie chacune de nos affirmations.

 

Marius TOPIN.

Paris, ce 24 décembre 1873.