LOUIS XVI, MARIE-ANTOINETTE...

 

CHAPITRE VIII. — LA COUR DE FRANCE. - MARIE-ANTOINETTE ET SES CALOMNIATEURS.

 

 

Complications dans lesquelles la reine se trouve engagée. - Reproches mal fondés de ses accusateurs sur son luxe. - Éloignement de Marie-Antoinette pour la représentation. - Ses courses en traineau. - Elle désire voir le lever de l'aurore. - Promenades sur la terrasse du château de Versailles. - Plaisir que prend la reine aux bals de l'Opéra. - Inquiétudes de Louis XVI. - Vie de Marie-Antoinette à Trianon. - Ses lettres à son intendant, M. Bonnefoy du Plan. - Protection accordée par la reine aux lettres et aux arts. - Son goût pour les plaisirs du théâtre. - Ses amitiés trop souvent exclusives. - La princesse de Lamballe. Madame Jules de Polignac. - Mademoiselle Diane de Polignac. - Établissement de la comtesse Jules à la cour. - Société intime des Polignac. - Leur faveur à la cour. - Mariage du comte de Grammont avec la fille de la comtesse Jules. - Madame de Polignac, gouvernante des Enfants de France. - Inconvénients de la vie privée compris par la reine. - Éloignement de Marie-Antoinette pour la société intime de madame de Polignac. - Mécontentement des courtisans. - Leurs calomnies. Attaques contre madame de Polignac et contre la reine. - Noëls abominables. - Accusations contre Marie-Antoinette dénuées de fondement. - L'affection de la reine pour le comte d'Artois calomniée, - Édouard Dillon. - Le comte de Tilly. - Le duc de Lauzun et la plume de héron. - Présomptueuse déclaration du baron de Besenval. - Le comte de Fersen. - Examen du caractère et de la conduite de Louis XVI. - Sa passion pour la chasse et pour les occupations d'artisan. - Le serrurier François Gamain. - Croisade contre la reine par madame Adélaïde, et dans laquelle entrent les autres tantes de Louis XVI. - Le comte de Provence le plus dangereux des ennemis de Marie-Antoinette. - Espérances de ce prince détruites par la naissance de Madame, et surtout par celle du Dauphin. - Ses calomnies. – Louis-Philippe-Joseph d'Orléans, autre ennemi de la reine.

 

Au moment où la calomnie attaque avec tant de violence la reine dans laquelle la révolution naissante redoutait un obstacle, il ne sera pas inutile de tourner les regards sur l'ancienne cour de France, théâtre de nombreuses intrigues, et d'en faire mieux connaître les principaux personnages. A l'époque qui nous occupe, Marie-Antoinette devenue reine de France a donné des héritiers à la couronne[1]. Depuis ce jour, elle exerce une grande influence sur l'esprit de son époux et fixe enfin son cœur. Elle a triomphé des préventions que les précepteurs du dauphin lui avaient suggérées contre une archiduchesse ; elle a su adoucir la rudesse de ses manières et ses brusques accès d'humeur par les tendres affections de la famille. Mais fille de l'Autriche, donnée à la France par Choiseul, comme gage de réconciliation entre les deux maisons de Habsbourg et de Bourbon, longtemps rivales, elle n’a pu acquérir la popularité qui lui est si nécessaire. Par ce que nous avons déjà dit de la société intime de Marie-Antoinette d'Autriche, on a compris qu'elle rencontra beaucoup d'ennemis à la cour. Ces derniers, il est pénible de l'avouer, ne furent pas les moins ardents ; ils lui portèrent les coups les plus terribles. On dénatura les nobles actions et les bons sentiments de Marie-Antoinette, pour l'avilir dans l'esprit du peuple, pour y faire descendre la méfiance, la haine, et lui ravir la considération qui renversait les desseins des conspirateurs. Dès ce moment, elle fut chaque jour injuriée, chaque jour déchirée par les traits de la plus abominable calomnie, et dut subir toutes les tortures morales. Les contes les plus odieux, les discours les plus libres et les vœux les plus terribles, accompagnés de chansons et de vers, furent jetés dans le public[2]. Jamais le déchaînement des pamphlétaires ne fut aussi grand. « Ce qu'ils voulaient flétrir en elle, ce n'était pas seulement la royauté dont elle se montrait l'expression la plus digne et la plus énergique[3]. » Le but de l'odieuse cabale qui s'était formée contre elle, était, sans aucun doute, de la faire renvoyer en Allemagne.

Ces complications dans lesquelles Marie-Antoinette se trouva engagée, doivent nous initier aux motifs de sa prompte impopularité. Tant de forces alliées contre elle, entraînèrent sur tous les points l'opinion publique égarée. Ses brillantes qualités du cœur et de l'esprit devinrent pour ses ennemis des causes de jalousie et de haine, et comme un don funeste à la royauté. A partir de l'affaire du collier, la reine fut publiquement calomniée, d'ignobles pamphlets racontèrent les dépenses de sa maison, son luxe, ses prodigalités, le pillage qu'elle faisait des finances de l'État, et l'attaquèrent principalement dans ses mœurs. Toutes ces imputations étaient l'œuvre infâme du mensonge.

Suivant le prince de Ligne, « les reproches sur son luxe étaient mal fondés ; il n'y a jamais eu de femme de chambre, de maîtresse de roi ou de ministre qui n'en eût davantage. » Les accusateurs de la reine auraient pu se convaincre qu'en aucun temps elle ne s'était rendue coupable de prodigalités et de dissipations. En effet, née avec un grand fonds de discernement et de prudence, elle se fit remarquer, dès son arrivée en France, par la modération de ses désirs et le peu d'exigence de ses fantaisies. Pendant qu'elle fut dauphine, la cour vanta sa douceur, sa modestie et sa bonté. Sa figure charmante se passait aisément d'atours ; un nœud de ruban dans sa chevelure, un simple collier de perles, deux bracelets semés de papillons ou de fleurs, suffisaient pour rehausser l'éclat de sa beauté. Avant la mort de Louis XV, la maison de Marie-Antoinette était tenue et administrée par sa dame d'honneur, la duchesse de Noailles, sur le même pied de représentation et de dépense que l'avait été celle de la dauphine de Saxe. A l'avènement d Louis XVI, la maison de la jeune reine fut en tout semblable à celle de la feue reine, Marie-Leczinska, La même somme fut affectée aux vêtements et aux atours, au service et aux affaires. La cassette particulière, malgré l'énorme changement survenu dans les valeurs, demeura fixée à quatre cent mille livres par année, comme elle l'avait été au règne de Louis XV et de son successeur. Ce ne fut qu'à la naissance du premier dauphin (1781) que le roi augmenta de deux cent mille francs la cassette de son épouse.

La reine ayant reconnu, par l'expérience, l'inutilité de quelques dépenses dans son intérieur, amena insensiblement une administration plus régulière, et les gens intéressés au désordre osèrent la taxer de minutie et de dureté. Équitable et généreuse, elle n'oublia point que la plupart des personnes de sa maison avaient chèrement acheté leurs emplois et leurs offices ; elle les indemnisa par d'honorables gratifications.

Malgré la faiblesse de ses ressources, Marie-Antoinette, la première année de son règne, fonda un hospice à Versailles pour un certain nombre de femmes âgées, de toute province et toute condition. A ces premières relevailles, en 1778, elle fonda un asile semblable pour les pauvres femmes en couche, soit de Versailles, soit des lieux voisins[4]. Ses ennemis n'ont jamais parlé de ces hospices vénérables ; comme elle était aimée du peuple, ils s'efforcèrent de lui aliéner les cœurs par les allégations les plus ridicules et les plus fausses. Ils l'accusèrent de dissiper les deniers de l'État en dépenses de luxe et de toilette, d'engloutir des sommes immenses dans les fêtes qu'elle donnait au petit Trianon, et dont elle était toujours la déesse. Répétées par les funestes badauds de la Révolution et grossissant d'échos en échos, ces insultes arrivèrent avec des proportions colossales au tribunal révolutionnaire. C'est ainsi que « l'épigramme de 1780 est devenue la déclamation furibonde de 1793 ; l'épingle s'est changée en hache[5]. »

Ses ennemis furent tout aussi injustes à son égard lorsqu'ils prétendirent qu'elle envoyait en Autriche, à l’empereur Joseph, son frère, les trésors de la France[6]. Le prince de Ligne réfute encore cette calomnie. « La reine, dit-il, empêcha, comme française et autrichienne à la fois, la guerre qui, sans elle, se serait allumée au sujet de l'Escaut. Les dix millions qu'elle engagea le roi à prêter à la république de Hollande pour payer les frais et apaiser l'empereur son frère, ont donné occasion à la plus bête de toutes les calomnies, qu'elle lui faisait passer des trésors. Nous n'en avions pas besoin ; la maison d'Autriche était mieux dans ses affaires que la maison de Bourbon. » Dans une circonstance des plus solennelles, l'empereur Joseph repoussa lui-même l'insinuation mensongère qui affligeait sa sœur. A son lit de mort, en pensant à cette reine infortunée, il lui rendit ce témoignage : « Je n'ignore point que les ennemis de ma sœur Antoinette ont osé l'accuser de m'avoir fait passer des sommes considérables. Prêt à paraître devant Dieu, je déclare que cette inculpation est une horrible calomnie. »

On ne reprochait pas seulement à Marie-Antoinette de livrer la France -à l'Autriche, mais on transformait aussi en crimes ses étourderies, ses affections, on prétendait qu'elle oubliait ses devoirs d’épouse. Son aversion pour l'étiquette de la cour de France[7], son goût imprudent pour les plaisirs de son âge, et ses amitiés exclusives servirent de prétexte à ces accusations odieuses. Excitée par son ancien précepteur, l'abbé de Vermond, à tourner en dérision les préceptes sur l'étiquette, elle chercha toujours à s'affranchir du cérémonial que la cour de Versailles imposait à la reine. Lorsqu'elle n'était encore que Dauphine, elle aimait à rompre les liens de l'étiquette[8] ; après son avènement au trône, elle prêta une oreille trop docile aux conseils de l'abbé de Vermond qui « s'efforça ouvertement de l'amener à secouer des entraves dont elle respectait encore l'antique origine[9]. » Son goût pour la vie simple et sans apparat qu'elle avait, jadis trouvée à la cour de Vienne, la porta, dès la première année de son règne, à supprimer quelques-uns des usages établis et révérés dans le château de Versailles, mais qui lui parurent insupportables. Ainsi elle abolit le cérémonial par lequel des femmes en charge, ayant prêté serment, et vêtues en grand habit de cour, pouvaient seules rester dans sa chambre, et la servir conjointement avec la dame d’honneur et la dame d’atours. Il fut de même du fastueux de sa table, fait par quatre femmes en grand habit et par la dame d'honneur[10]. Souvent la reine, après avoir tenu sa cour avec une dignité majestueuse, s'empressait d'échapper aux ennuis solennels de la royauté et de déposer l'éclat du rang suprême. Rentrée dans ses cabinets, elle passait une ample robe de mousseline des Indes, descendait chez le roi, s'emparait de son bras, courait avec lui surprendre quelqu'une de ses dames dans la gêne du grand habit et lui disait alors : « Eh bien ! je serai donc toujours la première débarrassée du harnais ? » Il lui arrivait quelquefois d'ajouter, en se jetant sur le siège le plus à sa portée : « Dieu merci, je ne suis plus reine, je suis moi »

Cet éloignement pour la représentation et ce goût de la simplicité sous le diadème, rendirent plus faciles, dans la suite, les réformes qu'exigea dans la maison de la reine une économie plus sévère. Des personnes sensées applaudissaient à ces changements, à ce mépris de la jeune reine pour les tristes plaisirs de l'orgueil. « Notre jeune et charmante reine, écrivait un contemporain, à force d'être sans façon et sans cérémonie, a expulsé de la cour toutes les ridicules entraves de l'antique étiquette. On voit tous les soirs cette aimable princesse parcourir le château, aller faire des visites, tenant le roi sous le bras, avec un seul valet de pied portant deux bougies[11]. » Ses ennemis, au contraire, interprétaient cruellement ces nouveautés, ce dédain de l'étiquette, et c'étaient surtout les douairières titrées qui tenaient à la prérogative, les nobles dames éloignées à cause de l'ennui qu'elles inspiraient à la jeune souveraine, tous ceux enfin dont les charges étaient supprimées[12]. Cette cour licencieuse, encore remplie des anciens flatteurs de madame Du Barry, murmura et fit entendre des paroles de blâme contre Marie-Antoinette. Après avoir encensé les idoles impures de Louis XV, elle ne pouvait croire qu'il y eût des libertés innocentes et des plaisirs sans honte. Elle prétendit que la reine s'affranchissait des entraves de l'étiquette pour satisfaire des goûts et des caprices coupables. Ainsi les premiers coups portés à la réputation de l'épouse du roi sortirent du sein même de la cour. Des calomnies jalouses et intéressées circulèrent d'abord parmi les grandes familles de Versailles, se répandirent ensuite dans Paris et formèrent l'opinion publique qui n'en pénétra point-les causes.

Les plaisirs, les bals et les spectacles occupaient une large part de l'existence de Marie-Antoinette à Versailles. Vive, jeune et belle, cette princesse s'y livrait avec. un abandon que la calomnie devait bientôt flétrir. Quel bonheur pour elle dans les froides matinées d'hiver de s'élancer sur un léger traîneau, de pousser à travers la neige un impétueux alezan, de se voir suivie par mille traîneaux aux formes élégantes et variées Ces courses qui lui rappelaient les plaisirs de Vienne, fournirent aux spectateurs l'occasion d'admirer la présence d'esprit et le courage de la reine dans le danger[13]. Mais elles lui préparèrent encore les outrages de la censure[14]. D'autres fois montée sur un superbe coursier, elle entraînait une foule de jeunes clames de la cour à la suite des chasses du roi ou dans des promenades à travers les bois de Boulogne et de Verrières.

Un jour, que la famille royale était à Marly, la reine, après avoir entendu lire une magnifique description du lever de l'aurore, s'écria transportée d'admiration : « Je comprends aujourd'hui et j'excuse l'idolâtrie des Péruviens. Je veux, comme ces bons Indiens, saluer le lever de l'aurore, et admirer un tel spectacle si nouveau pour moi. » Elle courut aussitôt supplier le roi de permettre qu'elle assistât le lendemain au lever de l'aurore. Louis XVI céda complaisamment à cet innocent désir, et le soir à son jeu, la reine invita la famille royale, les ministres, les grands seigneurs et toutes les clames de la cour à l'accompagner sur les hauteurs de Marly. On convint de ne pas se coucher et d'attendre dans les salons du château l'heure du départ. Pour distraire la brillante assemblée, il y eut spectacle et concert. Vers minuit, le roi descendit sur la terrasse, trouva l'air humide et froid ; peu disposé à partager les plaisirs de cette nuit pastorale, il alla se coucher. Marie-Antoinette resta seule au milieu de ses hôtes illustres, avec mesdames de Lamballe et de Noailles qui ne la quittèrent pas un instant. A trois heures, les gardes du corps saluèrent par des fanfares et par une décharge générale de leurs armes les premières lueurs de l'aurore. La reine partit accompagnée des princes et des princesses de la famille royale, de la cour et de ses femmes qui avaient reçu l'ordre de la suivre. Pendant le court trajet que l'on avait à parcourir, elle était précédée de valets portant des lanternes en verre de couleur et des torches allumées. Marie-Antoinette, à la vue du soleil qui se levait brillant et radieux, s'écria dans les transports de son naïf enthousiasme : Oh ! que c'est beau ! oh ! que c'est beau ! Elle s'en retourna sans s'arrêter au château, communiqua sa joie à son nombreux cortège, et la journée se passa au milieu de divertissements presque publics dans les jardins de Marly.

Dans cette promenade nocturne, la reine n'avait commis aucune imprudence, et cependant, huit jours après, parut le Lever de l'Aurore, odieux libelle qui osait attaquer les mœurs du roi et celles de la reine. L'auteur y peignait sous les plus noires couleurs cette innocente partie de plaisir[15] et prétendait que Marie-Antoinette, heureuse de la retraite de Louis XVI « avait quitté le cercle à son tour, sur un vain prétexte et s'était enfoncée dans les bosquets du parc, où tous les yeux pour longtemps l'avaient perdue de vue. »

Les chaleurs excessives de l'été de 1778 fatiguèrent beaucoup la reine déjà incommodée par sa première grossesse. Enfermée pendant le jour dans ses appartements, elle ne pouvait s'endormir qu'après avoir respiré les brises du soir sur la terrasse du château de Versailles. Elle trouva dans ces promenades une heureuse distraction à ses souffrances, et les prolongea quelquefois une grande partie de la nuit dans la société de madame Élisabeth, de madame la comtesse d'Artois et des personnes les plus distinguées de la cour. On dit que Monsieur, frère du roi, proposa d'ajouter aux charmes de ces délicieuses soirées une musique d'instruments à vent cachés dans la verdure. Les musiciens de la chapelle eurent donc l'ordre d'exécuter des symphonies au milieu du parterre, et Marie-Antoinette s'empressa de faire jouir tous les habitants de Versailles de cette mystérieuse harmonie. Toutes les fenêtres du rez-de-chaussée occupé par Monsieur et Madame restaient ouvertes, et la terrasse que fréquentait la reine était éclairée par les nombreuses bougies de ces deux appartements et par des guirlandes de verres aux couleurs variées. Marie-Antoinette accompagnée de ses belles-sœurs, aimait à se promener à travers la foule, et lorsque la fatigue la forçait de s'asseoir, elle choisissait un des bancs de marbre qui bordent la terrasse. Il arriva qu'un jeune commis du ministre de la guerre, vint un soir prendre place à côté des princesses qu'il feignit de ne pas reconnaître et leur adressa la parole : la beauté de la nuit et l'effet agréable du concert, furent le motif de la conversation ; elle s'engagea d'une manière assez piquante sur quelques-unes des personnes de la cour. Au bout de quelques minutes, la reine et les princesses se retirèrent persuadées qu'elles n'avaient pas été reconnues. Le jour suivant, l'imprudent commis tira quelque vanité de cette rencontre, et ses chefs voulurent le punir de sa présomption par la perte de sa place. Marie-Antoinette, instruite du châtiment qu'on réservait à cet employé, demanda sa grâce et l'obtint, mais sa protection ne s'étendit pas plus loin, et la Révolution le trouva encore dans les obscures fonctions qu'il exerçait à l'époque de son aventure. Un autre soir à la suite du concert, un garde du corps de Monsieur, arrivé nouvellement de province et peu familiarisé avec les usages de la cour, reconnut les princesses, s'approcha d'elles, sans respecter leur incognito, et pria la reine de lui accorder ses bons offices près du ministre de la guerre. Blessée de cette audace, Marie-Antoinette se leva aussitôt, et rentra suivie de ses belles-sœurs dans l'appartement de la comtesse de Provence[16].

Ces cieux évènements insignifiants, que nous venons de reproduire avec la plus scrupuleuse exactitude, furent la base des critiques, des couplets odieux et des contes infâmes qui circulèrent sur les mystères des bosquets de Versailles. Lorsque la saison des promenades du soir et des concerts fut terminée, de nombreux libelles les représentèrent comme « les nocturnales de la terrasse du château. » Ils étaient cependant justifiés par la seule présence des habitants de Versailles. « Rien de plus innocent, dit encore madame Campan, que ces promenades, dont bientôt Paris, la France et même l'Europe, furent occupés de manière la plus offensante pour le caractère de Marie-Antoinette.... J'ignore si quelques femmes inconsidérées osèrent s'éloigner et descendre dans le bas du parc : cela peut être ; mais la reine, Madame et madame la comtesse d'Artois se tenaient par le bras et ne quittaient jamais la terrasse[17]. »

Les plaisirs irréfléchis auxquels se livrait la reine, et que ses ennemis censuraient avec tant d'injustice inspirèrent néanmoins des inquiétudes à Louis XVI pour sa noble compagne. Il ne craignit pas de les manifester en présence de quelques-uns de ses plus intimes serviteurs au vieux Maurepas, et de l'entretenir du danger qu'il voyait pour la reine dans ces distractions imprudentes. Mais il entrait dans la politique du ministre de maintenir l'épouse du roi dans la nullité convenable à une reine de France, et le ministre re répondit « qu'il n'y avait pas de mal à lui laisser prendre un caractère de légèreté[18]. » Ainsi le vieillard donné pour guide à Louis XVI sacrifiait l'honneur de la reine et l'honneur même de son souverain à l'ambitieux désir de conserver sa place.

Marie-Antoinette se plaisait aux bals et dans ces sortes de réunions « elle était très-sensible à la grâce ; la tournure chez les hommes, la figure chez les femmes, ne lui étaient pas indifférentes[19]. » Souvent ces bals étaient masqués, suivant l'usage de cette époque. Ils eurent d'abord lieu à Versailles[20] ; mais plus tard la reine suivit de préférence les bals de l'Opéra : elle s'y rendait accompagnée d'une de ses dames du palais, et elle y trouvait toujours les comtes de Provence et d'Artois. Dès le moment où elle entrait dans la salle, son incognito était trahi, mais on feignait de ne pas la reconnaître et souvent on lui préparait quelques-unes de ces aventures que la présence de nombreux témoins rend toujours innocentes[21]. Louis XVI curieux de se voir sous le masque, accompagna une fois la reine ; mais il s'amusa peu, ne parla qu'à deux ou trois personnes qui le reconnurent à l'instant, et ne voulut plus y retourner[22].

Un soir Marie-Antoinette se rendait à onze heures au bal de l'Opéra avec madame la duchesse de Luynes : son carrosse s'étant brisé à l'entrée de Paris, le valet de pied fit avancer un fiacre. Elle ne put s'empêcher de rire de cet incident, et oubliant son incognito elle dit avec une naïveté charmante, à son entrée dans la salle, aux princesses et aux personnes de sa société : C'est moi en Macre, n'est-ce pas bien plaisant ?

Le lendemain tout Paris était instruit de l'aventure du fiacre, et bientôt elle fut transformée en intrigue mystérieuse et galante. On y faisait jouer le rôle d'amant à un noble personnage, au duc de Coigny, que son expérience de la vie, sa loyale franchise et ses vertus solides rendaient cher au roi et à la reine. Dès lors, il n'y eut plus de bornes à la calomnie déchaînée contre Marie-Antoinette.

Pénétrée de respect pour la mémoire de Louis XIV, la reine aimait son Versailles, dont elle approuvait jusqu'aux imperfections. Mais Versailles était à ses yeux un costume de cérémonie, et son cœur lui demandait sans cesse un hameau, où elle pourrait se dérober au despotisme de la cour, quitter le ton et l'air de reine, et trouver dans le cercle de quelques personnes choisies le commerce aimable dont son âme avait besoin.

Quelle fut donc sa joie lorsqu'un jour de l'année 1774 le roi lui dit : « Vous aimez les fleurs ; eh bien ! j'ai un bouquet à vous donner, c'est le Petit-Trianon[23]. » Aucun présent ne pouvait être plus agréable à Marie-Antoinette. Les jardins en étaient délicieux ; la reine, qui aimait la campagne et les fleurs, s'occupa chaque jour de les embellir. Elle donna l'élan au goût des fleurs. « Les vieilles familles de rosiers et d'œillets refleurirent d'une fraîcheur nouvelle dans les jardins de la reine et se sont transformées sous une diversité innombrable d'aspects et de couleurs, en même temps que les chrysanthèmes des Indes, les pivoines et les amaryllis[24]. » Mais bientôt on l'accusa d'avoir surnommé cette maison de plaisance le petit Vienne, le petit Schönbrunn, de l'avoir fait construire et meubler avec les deniers de l'État. C'était encore un de ces injustes reproches que lançaient contre elle des esprits envieux et prévenus[25]. Les regards en effet ne trouvaient dans ce Trianon, calomnié comme sa maîtresse, que ce qu'ils rencontraient partout ailleurs. Outre le château, espèce de pavillon carré, s'élevant entre des colonnes et des pilastres d'ordre corinthien, d'une beauté qui n'avait rien de remarquable, une chaumière principale, à deux étages, servis par un escalier en plein air, suivant l'habitude de la Suisse ; de jolies petites cabanes, semées au hasard sur les bords d'un lac romantique au-dessus duquel s'avançait une vieille tour en ruine ; au pied de la tour une laiterie de marbre blanc. Plus loin au nord, dans un gracieux vallon, un moulin dont le bruyant tic-tac réveillait les échos d'alentour ; ici des bouquets d'arbustes, quelques ruines attendrissantes, des masses de rochers, un pont rustique, une grotte d'où sortait un ruisseau qui égarait dans la prairie ses ondes murmurantes ; là de grands arbres, comme aux déserts du Nouveau Monde, et couronnant les hauteurs du vallon ; partout des fleurs aux mille parfums, partout des gazons aussi purs que ceux d'Abel. Tels étaient les ornements de ce Trianon merveilleux, pour l'expiation duquel Fouquier-Tinville envoya une reine à l'échafaud.

Tous les jardins des particuliers, voisins de la capitale, Ermenonville, Morfontaine, le Raincy, la Folie-Boutin, avaient occasionné plus de dépenses que le Petit-Trianon de Marie-Antoinette[26].

A Trianon, la reine pouvait déposer la couronne et donner un libre' essor à son éloignement pour l'étiquette inconnue aux mœurs simples et patriarchales de la cour d'Autriche, et goûter le charme de la vie privée au sein de cette agréable retraite. Elle s'y rendait quelquefois seule, suivie d'un valet de pied, niais elle y trouvait son fidèle intendant, Bonnefoy du Plan, et un service prêt à la recevoir. « Là, elle pensait, elle lisait[27], elle écrivait, et pour se distraire elle faisait venir son filleul, l'enfant de Bonnefoy, qu'elle promenait et auquel elle finissait par donner la récréation de son jeu de bagues[28]. » Tout occupée du gouvernement de sa délicieuse retraite, la reine se plaisait à l'embellir chaque jour d'arbustes étrangers, de plantes nouvelles, et en faisait elle - même les honneurs aux savants naturalistes de l'époque. « Mon cher Bonnefoy, écrivait-elle à son intendant, je vous recommande M. de Jussieu qui visitera mes Jardins. Au milieu de toutes ces plantes il est chez lui. Je nie rencontrerai avec plaisir avec lui vers une heure. Je -veux montrer la grande serre moi-même. Dites cela au jardinier. C'est bien dommage que Joseph soit malade.

» Marie-Antoinette[29].

» Le 29..... »

L'intelligent serviteur ayant exécuté, à la grande satisfaction de la reine, les ordres qu'il avait reçus, Marie-Antoinette s'empressait de l'en instruire le lendemain par une autre lettre, remplie comme la première d'une gracieuse familiarité :

« Mon cher Bonnefoy, je suis très-satisfaite de ce que vous avez fait hier. Tout était en bon ordre, et la grande allée aura une meilleure tournure. Vous pouvez laisser entrer le naturaliste.

» M.-A.[30].

» Samedi. »

 

Souvent Marie-Antoinette appelait auprès d'elle un petit nombre d'amies de ses goûts, de personnes d'élite, toutes aimées et estimées du roi, qui préféraient aux agitations et aux exigences de la cour de Versailles, la solitude, les promenades et les plaisirs champêtres de Trianon. Là, tous les invités habitaient les chaumières, meublées à la manière des paysans ; ils renonçaient à l'éclat de la parure, et leurs vêtements, simples comme ceux de la reine, étaient en harmonie avec la simplicité du lieu[31] ; ils oubliaient pendant huit jours toutes les habitudes de Versailles. Dans cette société intime régnait néanmoins un ton naturellement noble, aussi éloigné de la politesse orgueilleuse de l'ancienne cour de Louis XIV, que de la familiarité vulgaire de celle de Louis XV. On s'était couché de bonne heure, on se levait aux premiers rayons du soleil. Quel plaisir de respirer le suave parfum des matinées printanières, d'aller manger des œufs frais à la ferme ou du lait pur à la laiterie dont la direction était spécialement confiée à la reine ! On déjeunait sous l'ombrage des grands arbres, sur des tapis de gazon. Les dames festonnaient et brodaient en cercle ; quelques-unes se plaisaient à épuiser une quenouille villageoise, d'autre` s'exerçaient à la dentelle. Des promenades dans les bosquets suspendaient les travaux. Heureuse du plaisir et du bonheur de ses hôtes, Marie-Antoinette voulait qu'ils la regardassent comme la maîtresse d'un séjour agréable. Quand elle entrait dans le salon, pour lui obéir, les hommes ne quittaient point leur partie de billard, ni les femmes leurs métiers à tapisserie ; « mais lorsqu'elle déposait ainsi les grandeurs, elle ne cessait jamais d'imposer les hommages qu'elle fuyait[32]. » Après le dîner servi parfois dans le moulin, et plus souvent dans la chaumière de la reine, on dansait quelques pas champêtres, au bruit modeste de la mandoline et du tambourin[33].

La reine aimait les lettres et protégeait tous les talents. Elle aida au retour de Voltaire à Paris[34], commença la fortune de l'abbé Delille, accueillit La Harpe avec bonté et combla des marques de sa bienveillance Chamfort, l'auteur de Mustapha et Zéangir[35]. Dans son amour éclairé pour la musique, elle protégea Grétry et appela de Vienne à Paris le chevalier Gluck, dont elle avait jadis reçu des leçons, et qui, sous le patronage dévoué de sa royale élève, devint une des gloires de notre théâtre lyrique. Ce fut encore sur l'invitation de Marie-Antoinette que les habiles compositeurs Piccini et Sacchini, les délices de l'Italie, vinrent successivement se fixer en France. Encouragés par ses éloges et ses récompenses, ils enrichirent aussi de leurs chefs-d'œuvre la scène française. De cette dernière trinité d'artistes, Gluck avait la puissance et le grandiose de l'harmonie, Piccini se distinguait par la suave mélodie[36]. La rivalité de ces deux hommes partagea la capitale et les provinces ; leurs partisans firent secte. Mais ce fut au profit de l'art que tournèrent les démêlés assez vifs qu'elle fit naître. A la tête des Gluckistes étaient la reine, l'abbé Arnaud, leur Grand Pontife, et Suard ; à la tête des Piccinistes, Marmontel, La Harpe et Ginguené[37]. Quant à Sacchini, que ses admirateurs surnommèrent le Racine de la musique, il se distingua par la grâce et la douceur du style, par l'harmonie toujours pure, correcte, et d'une clarté remarquable.

L'idée qu'avait eue Marie-Antoinette de se réduire aux dimensions de sa charmante villa, son goût prononcé pour la musique, lui inspirèrent l'amour du théâtre. Le théâtre avait pour elle le plus grand attrait. Dans son désir de relever la littérature dramatique, elle consentit à écouter la première lecture de quelques pièces destinées à la scène française. Ainsi l'acteur Molé lut en sa présence le Dramomane ou le Dramaturge, comédie de Dorat de Cubières, dans une réunion à laquelle les deux Parny et le chevalier de Bertin avaient été invités. Mais la médiocrité des productions qu'elle avait favorisées, et leur chute devant le public de Paris, qui ne craignit pas d'infirmer les jugements de la cour, l'empêchèrent de protéger les nouveaux ouvrages dramatiques[38]. Les plaisirs du théâtre furent cependant la plus chère distraction de la reine. Ce goût, généralement répandu alors, avait passé des hôtels de la capitale et des châteaux de province à la cour de Versailles[39]. Aussi Marie-Antoinette avait-elle à Trianon un joli petit théâtre[40] où elle jouait souvent des rôles de comédie avec les personnes de sa société intime. Il était convenu, qu'à l'exception du comte d'Artois, aucun jeune homme ne serait admis dans la troupe et qu'on n'aurait pour spectateurs que le roi, Monsieur et les princesses qui ne joueraient pas. Mais afin d'exciter l'émulation des acteurs, on faisait occuper les premières loges par les lectrices, les femmes de la reine, leurs sœurs et leurs filles. Plus tard, le succès fit naître le désir d'obtenir plus de suffrages, et. la reine accorda l'entrée aux officiers des gardes du corps, aux écuyers du roi et de ses frères, et même à quelques gens de la cour[41]. Ce théâtre de la reine avait ses affiches imprimées sur satin[42].

Louis XVI assistait avec plaisir à toutes les répétitions ; on l'attendait souvent pour les commencer. Le chanteur Caillot, retiré depuis longtemps du théâtre, et Dazincourt, tous deux connus par des mœurs estimables, furent choisis pour former et diriger les acteurs, l'un dans le genre de l'opéra-comique, l'autre dans le genre plus difficile de la comédie. La troupe débuta par le Roi et le Fermier, suivi de la Gageure imprévue. « La reine, à laquelle aucune grâce n'est étrangère, dit, Grimm, et qui sait les adopter toutes sans perdre jamais celle qui lui est propre, jouait les rôles de Jenny et de Cotte ; le comte d'Artois, ceux du valet et du garde-chasse. Le rôle de Richard était rempli par M. le comte de Vaudreuil, le meilleur acteur de société qu'il y eût peut-être à Paris, et celui de la petite Betzi par la duchesse de Guiche. La comtesse Diane de Polignac représentait la mère, madame Elisabeth la jeune bergère, et le comte d'Adhémar, dont la voix belle anciennement, était devenue très-chevrotante, rendait, le personnage du roi. Marie-Antoinette préférait les pièces champêtres à toutes les autres et s'acquittait dans la perfection des rôles de villageoise. La même troupe représenta aussi Rose et Colas, le Sorcier, l'Anglais à Bordeaux. On ne s'avise jamais de tout, les Fausses infidèles. Le 19 août 1785, elle donna le Barbier de Séville, où la reine jouait Rosine, le comte d'Artois, Figaro ; M. de Vaudreuil le comte Almaviva, M. de Crussol Basile, et le duc de Guiche Bartholo[43]. Le roi applaudissait et s'amusait beaucoup de ces comédies.

Comme toutes les personnes de la cour ne pouvaient être admises aux spectacles de Trianon, à tous ses plaisirs innocents et réservés, le turbulent orgueil se plaignit des préférences de la reine, l'accusa de détruire le respect dû à la royauté, déclama contre ses innovations dangereuses et flétrit les représentations théâtrales de sa maisonnette royale. « L'envie agita ses vipères, dit un écrivain ; elle les chargea de lancer leurs poisons[44]. » Marie-Antoinette apprit bientôt comment on interprétait toutes ses actions, et reconnut aisément les auteurs des calomnies dont elle était l'objet. Elle pouvait se venger des coupables par les châtiments les plus graves, mais elle se contenta de montrer qu'elle n'ignorait point leur ingratitude, et d'opposer à leur perversité une généreuse indifférence. La reine ne cessa point d'aimer Trianon, mais elle y invita plus rarement sa compagnie d'élite. Afin d'éloigner de sa demeure chérie les tristesses de la solitude, et d'associer la charité à ses innocents plaisirs, elle installa dans les cabanes du hameau douze familles de véritables paysans qui les ont habitées jusqu'à sa mort.

La diffamation qui calomniait les goûts et les plaisirs de la reine devait aussi tourner contre elle ses amitiés trop souvent exclusives. A l'époque des parties de traîneaux, Marie-Antoinette avait remarqué une belle italienne, enveloppée de fourrures, avec l'éclat et la fraîcheur de la jeunesse, et qui, sous la martre et l'hermine, avait toutes les grâces du printemps : c'était Marie-Thérèse-Louise de. Savoie-Carignan, veuve du prince de Lamballe, fils unique du duc de Penthièvre. Modèle de tendresse filiale, cette princesse charmait la retraite de son vertueux beau-père qu'elle s'efforçait de consoler dans ses souvenirs[45]. La sérénité de son âme se trouvait en harmonie avec la constante sérénité de son visage. Elle était toujours égale, toujours prête aux sacrifices, d'une affection dévouée et d'une grande piété, tolérante, simple, aimable. La reine se sentit entraînée vers cette jeune femme de bonne heure éprouvée par le chagrin, et que semblait rapprocher d'elle la conformité des sentiments. Dès que Marie-Antoinette et madame de Lamballe se connurent, elles s'aimèrent et ne se quittèrent plus ; la mort seule devait les séparer. Touchée de l'existence de son amie restée veuve à dix-huit ans et sans enfants, la reine conçut le dessein de rétablir en sa faveur la surintendance qui, sur la demande de Marie Leczinska, avait été supprimée à la mort de mademoiselle de Clermont, princesse du sang. A la surintendance de la maison de la reine étaient attachés des droits fort étendus : la direction du conseil de la reine, la nomination aux emplois, le jugement des possesseurs de charges, la destitution et l'interdiction des serviteurs. Louis XVI, à qui l'amitié de son épouse pour madame de Lamballe était infiniment agréable, résista cependant au désir qu'elle lui avait témoigné. Mais il finit par se rendre à des instances réitérées, et la surintendance rétablie fut donnée à cette princesse. De là, grand mécontentement au château de Versailles : la dame d'atours de la reine, madame de Cossé, quitta sa charge, et la duchesse de Noailles, devenue maréchale de Monck, renonça de même à sa charge de dame d'honneur, que la nomination d'une surintendante privait d'une grande partie de ses avantages. De toutes parts arrivèrent, des protestations, et les murmures de la cour trouvèrent de l'écho à Paris. Bientôt l'opinion publique, facilement égarée par des libellistes, ne craignit pas d'accuser les motifs de la tendre amitié qui existait entre Marie-Antoinette et madame de Lamballe[46].

Aux parties de traîneaux que la capitale regardait comme des plaisirs exclusivement autrichiens, la surintendante fit succéder des bals è caractères. Ces fêtes ramenèrent à Versailles beaucoup de femmes qu'en avait éloignées le règne honteux de madame Du Barry ; et ce fut dans cette circonstance que mademoiselle Diane de Polignac, une des dames de la comtesse d'Artois, introduisit à la cour madame Gabrielle de Polastron, épouse du comte Jules de Polignac. Ce gentilhomme descendait d'une noble et ancienne maison d'Auvergne, sur laquelle le cardinal de ce nom avait jeté quelque gloire par son poème de l'Anti-Lucrèce et le succès de ses négociations sous le règne de Louis XIV. La comtesse Jules fut bientôt remarquée par la reine ; elle lui inspira un véritable intérêt. Comme elle n'était pas riche, elle avait vécu jusqu'alors en province, dans sa terre de Claye. Marie-Antoinette lui témoigna son étonnement de ne l'avoir pas vue plus tôt à la cour. La comtesse lui répondit, sans embarras et sans affectation, que son peu de fortune l'avait privée d'assister aux fêtes des mariages des princes. Cet aveu fut pour elle un titre de plus à l'affection de la reine.

La comtesse Jules était de petite taille, mais bien proportionnée. De magnifiques cheveux bruns, ornement d'un front peut-être un peu trop haut ; des yeux bleus, pleins d'expression et de bienveillance, un nez un peu relevé, une bouche petite, des dents blanches et bien rangées, un sourire enchanteur, je ne sais quelle grâce négligée, qui se cachait dans chacun de ses mouvements, la faisaient remarquer parmi les plus belles. Ses traits d'un calme inaltérable, une humeur toujours égale, un commerce facile, la décence de ses manières, la modestie de son maintien, sa conversation naïve, son esprit naturel, sans prétention[47], tout charmait chez madame de Polignac. A ces brillantes qualités s'alliaient, d'après les témoignages les plus dignes de foi, les sentiments les plus nobles et les mœurs les plus pures. Quelques écrivains lui ont reproché une rare habileté dans le jeu des plus tendres sentiments, un fonds de dissimulation, l'art de savoir stimuler la fortune par les dehors séduisants du désintéressement. Mais nous croyons que la comtesse Jules, inaccessible à la jalousie et dépourvue d'ambition, n'eut aucun des défauts des favoris, tout en reconnaissant que sa famille et ses amis l'ont poussée plus d'une Ibis hors de son caractère, et que son élévation fut pour eux un moyen de fortune. Par le calme de ses désirs, par la complaisance de son caractère et son angélique nature, elle fut le docile instrument de leurs passions ; aussi cherchèrent-ils à fixer d'une manière invariable la faveur de la reine[48].

Telle était cette comtesse Jules qui, pendant plusieurs années, occupa une large place dans les affaires du gouvernement de Louis XVI. La reine, après s'être assurée que madame de Polignac réunissait aux avantages de la physionomie les qualités du cœur, l'invita à ses concerts, l'admit dans ses bals et s'efforça de l'approcher d'elle en toute occasion. « Plus elle la connut, dit Montjoie, plus elle l'estima et l'aima ; elle finit par lui donner toute sa confiance. »

A côté de -l'intéressante amie de la reine, se trouvait dans la même famille, mademoiselle Diane de Polignac, belle-sœur de la comtesse. Diane de Polignac, laide et contrefaite, rachetait la difformité de sa figure par le charme d'un esprit supérieur, fertile en vues et en moyens, et par une grande sensibilité qui la rendaient aimable. « Un rien la troublait, dit un écrivain de l'époque, elle rougissait comme une pensionnaire. » Elle avait cependant un caractère que rien n'intimidait, et celui qui l'aurait crue faible se serait grossièrement trompé. A l'insouciance parfois insolente, elle joignait une insatiable ambition ; nulle femme à la cour n'était plus habile que la comtesse Diane dans l'art de l'intrigue. On lui reproche d'avoir profité du crédit de sa belle-sœur pour travailler avec énergie à l'élévation de, ses proches. La séduction de son esprit créait des amis aux Polignac, lui assurait la domination dans la société intime de la comtesse Jules, et l'autorité chez la reine elle-même. Diane n'était point chanoinesse, bien qu'elle portât la croix honoraire d'un chapitre de Lorraine. Le roi lui avait donné un brevet de dame, ce qui ne s'était point fait encore[49]. Elle quitta bientôt la place qu'elle occupait dans la maison de la comtesse d'Artois, pour devenir clame d'honneur de la sœur de Louis XVI, madame Élisabeth. La princesse qu'elle privait de toute autorité, supportait impatiemment son joug tyrannique, mais le roi l'invitait à la soumission[50].

Les commencements de la faveur de la comtesse Jules n'échappèrent à personne ; mais au grand étonnement de la cour, madame de Polignac, satisfaite d'une position qui imposait le respect à l'envie même, négligeait les intérêts de sa famille, et Marie-Antoinette ne confirmait son amitié par aucun bienfait. Car il faut l'avouer à la louange de la reine, elle n'aurait jamais conçu l'idée d'améliorer la fortune des Polignac, sans un expédient imaginé pour exciter son attachement jusqu'alors stérile. Convaincue que Marie-Antoinette ne consentirait point à l'éloignement de son amie, la comtesse Diane fit répandre le bruit que sa belle-sœur allait quitter Versailles, et que, pour éviter des larmes, elle ferait par écrit ses adieux à la reine. Madame de Polignac écrivit en pleurant, et après la plus vive résistance, la lettre que lui-dicta le marquis de Vaudreuil. On craignait une rétractation la lettre fut aussitôt envoyée. La comtesse Jules y témoignait sa douleur de partir, mais la médiocrité de sa fortune lui en imposait la loi, elle devait à ses deux enfants le sacrifice de son propre bonheur, elle devait craindre encore que l'amitié de la reine, après lui avoir attiré de dangereux ennemis, ne la laissât exposée à leur haine et au regret d'avoir perdu l'auguste bienveillance dont elle était l'objet[51].

Ce stratagème réussit ; Marie-Antoinette se reprocha de ne s'être jamais inquiétée du sort de son amie, et ne s'occupa plus que de la fixer à la cour par ses faveurs et ses bienfaits. Elle se flattait que la comtesse Jules et la princesse de Lamballe seraient ses amies particulières, et qu'elle aurait une société choisie selon son goût. « Je la recevrai dans mes cabinets ou à Trianon, disait-elle ; je jouirai des douceurs de la vie privée, qui n'existent pas pour nous, si nous n'avons le bon esprit de nous les assurer. » Mais douce et vaine illusion ! Ce bonheur que chercha la reine, sera bientôt une source de déceptions et d'amers chagrins. Afin de procurer une existence convenable à son amie, la reine obtint de Louis XVI pour M. de Polignac, déjà pourvu d'un régiment, la survivance de la charge de son premier écuyer, le comte de 'fessé. Les Noailles avaient quelques droits sur cette survivance ; ils furent encore mécontents. Alarmée de l'établissement de la comtesse Jules à la cour, la princesse de Lamballe, sans renoncer à l'a-initié de Marie-Antoinette, ne fit point partie de la société dans laquelle la jeune souveraine concentra sa vie intime. Ce petit cercle de favoris se composa successivement de mesdames Jules et Diane de Polignac, des comtesses d'Andlau et de Châlons ; parmi les hommes figuraient, au premier rang, M. le comte d'Artois ; le comte Jules, homme aimable et resté le même au milieu de sa fortune ; le marquis de Vaudreuil, adorateur des belles lettres et des arts, l'homme de France qui savait le mieux l'usage du monde[52] ; le baron de Besenval, français né en Suisse, courtisan habile, audacieux, conteur le plus agréable du cercle[53] ; M. d'Adhémar, plein de douceur et de complaisance, cachant une ambition immense sous des airs de modestie et d'humilité ; le comte de Palastron, excellent musicien ; puis les ducs de Coigny, de Guines et de Guiche ; le prince de Ligne et le duc de Dorset, ambassadeur d'Angleterre, y furent aussi admis.

Dans les commencements, les Polignac n'étaient pas établis à la cour avec une splendeur qui pût éveiller la jalousie. Sur l'invitation de la reine, ils quittèrent le logement qu'ils habitaient dans un assez pauvre hôtel de la rue des Bons-Enfants, à Versailles, pour occuper un très-bel appartement au haut de l'escalier de marbre. Les émoluments de premier écuyer, ceux du régiment de M. de Polignac, unis à leur modique revenu de 8.000 livres à peine, faisaient alors toute la fortune de la nouvelle amie de Marie-Antoinette[54]. Mais les courtisans virent, dans le cercle favorisé de la comtesse Jules une porte ouverte pour obtenir les grâces, les places, les ambassades. On peut donc s'expliquer facilement la haine des personnages qui n'eurent point l'espoir d'y entrer. Cependant tous les membres de cette société intime, loin de se mêler des affaires sérieuses auxquelles la jeune reine était encore étrangère, ne parurent d'abord occupés que de lui plaire, d'inventer chaque jour pour elle de nouveaux amusements, et de consolider le triomphe si complet de la comtesse. La chanson nouvelle, le bon mot, la plaisanterie de bon goût, l'historiette du jour, l'anecdote, y formaient les seuls sujets d'entretien ; ainsi que l'étiquette, le bel esprit en était banni[55].

Au milieu des plaisirs qui se succédaient sans cesse, l'amitié qui unissait la reine et madame de Polignac devenait chaque jour plus étroite. Chaque jour aussi la comtesse semblait apprécier davantage l'affection de Marie Antoinette. Une fois qu'on voulut l'effrayer sur la constance de l'attachement que lui témoignait son auguste amie, elle répondit avec calme et douceur : « J'estime trop la reine pour la soupçonner de vouloir s'éloigner d'une amie dont elle a fait choix, et dont la tendresse et le dévouement lui sont connus. Je ne crains pas qu'on m'enlève son cœur ; mais, si la reine cessait de m'aimer, je pleurerais la perte de mon amie, et n'emploierais aucun moyen pour con- server les bontés particulières de celle qui ne serait plus que ma souveraine[56]. »

Dès que la fille de la comtesse Jules eut accompli sa onzième année, la reine, avec sa grâce ordinaire, dit à la mère : « Dans peu, sans doute, vous penserez à marier votre fille ; lorsque votre choix sera fait, songez que, le roi et moi, nous nous chargeons du présent de noces. » Deux ans plus tard, le jeune comte de Grammont demanda la main de mademoiselle de Polignac. Il n'y avait pas de plus beau nom à la cour ; aussi fut-il agréé en dépit de la vieille comtesse de Maurepas, qui désirait marier la fille de la favorite avec le comte d'Agenois, fils du duc, afin de s'assurer l'appui de la reine[57]. Louis XVI, pour se rendre agréable à son épouse et donner une preuve de son attachement personnel à M. de Polignac, permit en faveur de ce mariage au comte de Grammont de prendre le titre du duc de Guiche et le nomma capitaine de ses gardes en survivance du duc de Villeroi[58]. Plus tard, il lui donna la place de colonel du régiment d'infanterie de la reine[59].

Le roi, qui s'associait aux sentiments de Marie-Antoinette, ne se borna pas à ce premier bienfait il représenta lui-même à la reine qu'il était juste de prouver au public combien il estimait le comte Jules, et d'assurer en partie le bonheur de ses enfants. 11 lui conféra donc le titre de duc héréditaire (1780) et voulut qu'elle lui annonçât elle-même cette nouvelle faveur[60]. »

Malgré la rigide étiquette de la cour, les deux amies étaient devenues inséparables. La duchesse Jules aimait la reine, comme la reine l'aimait, sans aucune inquiétude des rangs et de tout ce mystère de grandeur dont s'entoure la royauté. Marie-Antoinette courait la visiter à toute heure et passait avec elle des demi-journées. Elle prit la rougeole auprès de la duchesse, sans se plaindre. Lorsqu'à la suite d'une maladie qui l'avait retenue quelques jours à Claye, madame de Polignac mandait à la reine qu'elle aurait l'honneur de lui faire sa cour le lendemain de son arrivée à Paris, son amie lui répondit : « Sans doute la plus empressée de nous embrasser, c'est moi, puisque j'irai dès dimanche dîner avec vous à Paris. » Et le lendemain, Marie-Antoinette, fidèle à sa promesse, causait à la duchesse Jules la plus agréable des surprises[61]. Au temps des couches de madame de Polignac, à Passy, la reine alla s'établir à la Muette, afin de la voir tous les jours et de recevoir plus souvent de ses nouvelles. C'est ainsi que Marie-Antoinette s'efforçait de rapprocher son existence de l'existence de son amie, qu'elle livrait son cœur au cœur qui la comprenait, et que, dans ses épanchements intimes, elle cherchait une consolation à ses cruels tourments. Elle oubliait hélas ! que les douceurs de la vie privée et les amitiés exclusives sont défendues aux souverains ; qu'ils ne peuvent sortir de leur palais sans être obligés de rendre un compte sévère à l'opinion ; que leur cœur même ne leur appartient pas. C'est là une expiation de la royauté, expiation douloureuse à laquelle les reines sont soumises aussi bien que les rois. Une occasion se présenta naturellement de fixer tout à fait la duchesse Jules auprès de sa personne par des fonctions permanentes, et la reine se hâta d'en profiter.

Ruiné par des prodigalités inouïes, par la somptuosité de sa maison et l'éclat de ses fêtes, le prince de Guéménée fit une banqueroute qui ne s'élevait pas à moins de trente-cinq millions de francs. Son épouse, madame de Guéménée, alors gouvernante des enfants de France, rendit volontairement cette grande charge de la couronne[62]. La reine forma aussitôt le projet de donner la place à madame de Polignac. Elle craignait pour la direction de son fils la piété trop austère de la princesse de Chimay, le savoir et l'esprit de madame Duras. Le choix de la duchesse Jules lui procurait le plaisir de surveiller l'éducation de ses enfants sans exposer sa sollicitude maternelle au risque de blesser la vanité de sa gouvernante ; de trouver réunis dans le même lieu tous les objets de ses plus tendres affections, ses enfants et son amie[63]. Mais la reine savait que madame de Polignac indolente par caractère, ennemie des affaires, préférait à tout son indépendance et son repos ; aussi n'osait-elle espérer son acceptation. Elle hésitait encore à lui demander cette grande preuve d'amitié, quand l'astucieux Besenval, poussé par madame de Châlons et le marquis de Vaudreuil, dont les espérances augmentaient avec la fortune des Polignac, vint lui proposer la nomination de la duchesse. « Comment, madame de Polignac ? lui répondit la reine avec étonnement ; je croyais que vous la connaissiez mieux ? elle ne voudrait pas de cette place ; ne m'a-t-elle pas refusé toutes celles que j'ai voulu lui donner auprès de moi[64]. »

La reine avait bien jugé son amie ; la chaîne l'épouvantait. Dès le lendemain de son entrevue avec la reine, Besenval alla voir la duchesse Jules ; il la trouva dans une agitation affreuse. « Je vous hais tous à là mort, vous voulez me sacrifier !... J'ai obtenu de mes parents et de mes amis que d'ici à deux jours on ne nie parlerait de rien et qu'on me laisserait à moi-même. C'est bien assez, baron ; ne me traitez pas plus mal que les autres. » Madame de Polignac tremblait d'accepter la succession de la princesse de Guéménée, mais la reconnaissance -qu'elle devait à la reine et le dévouement qu'elle lui avait juré, triomphèrent de ses craintes ; elle se rendit au désir de son amie et fut pourvue de la charge de gouvernante (1782)[65]. « J'avais confié mes enfants à la vertu, dit alors Marie-Antoinette ; je ne puis mieux faire que de les remettre à l'amitié. » Elle se réserva la direction de sa fille Marie-Thérèse, dont elle voulait cultiver elle-même l'intelligence, et fut secondée par deux sous-gouvernantes. Madame Adélaïde devait suppléer la reine[66].

En appelant madame de Polignac aux fonctions importantes de gouvernante des enfants de France, Louis XVI et Marie-Antoinette voulurent qu'elle tint un état digne de sa haute position, que toute la noblesse de cour et tous les étrangers de distinction fussent admis chez elle. La reine désirait que des jours fussent réservés à une société moins nombreuse et choisie, pour goûter le charme de la vie privée. Elle même venait dîner très-souvent chez la duchesse, après avoir assisté au dîner particulier du roi. C'est dans ces heures données à l'intimité qu'elle aimait à oublier la reine, et qu'elle disait avec une amabilité charmante : Ici, je suis moi. Mais elle n'oubliait pas la mère, et c'était avec 'bonheur qu'elle se rattachait à l'idée de diriger l'éducation de ses enfants, sans que la jalouse susceptibilité d'une gouvernante pût lui opposer des obstacles. « Ne suis-je pas la plus heureuse des mères ? disait-elle à son autre amie, la princesse de Lamballe. Je vais, comme une simple particulière, voir mes enfants à toute heure, sans que personne se croie le droit d'y trouver à redire. ils ne recevront que de moi ces premières impressions qui font la destinée de la vie entière. Ma fille surtout me devra toutes les connaissances, toutes les vertus qu'elle doit posséder un jour. »

Les modiques revenus de M. de Polignac et les appointements de gouvernante ne pouvaient suffire aux dépenses extraordinaires où le duc et la duchesse se trouvaient entraînés par la volonté de leurs souverains. Aussi le roi s-empressa-t-il de leur accorder une pension de quatre-vingt mille livres sur les deux tètes. Peu après le duc fut nommé directeur des postes et des haras.

' !'elle-fut l'amitié, profonde et inaltérable, qui lia pendant toute leur vie Marie-Antoinette et madame de Polignac. Du côté de la reine c'était une affection aussi pure, du côté de la duchesse une affection aussi désintéressée ; mais que des amis imprudents, ambitieux, avides, exploitèrent largement et sur laquelle ils s'efforcèrent de construire leur fortune. -Marie-Antoinette, qui se serait trouvée heureuse de vivre, quoique reine, dans un petit cercle d'intimes, au milieu de caractères assez grands, et d'affections assez nobles pour l'aimer et ne rien demander à la souveraine, crut d’abord avoir rencontré ce qu'elle désirait, dans la société de la duchesse de Polignac. Mais son illusion ne tarda pas à s'évanouir ; les esprits déchirèrent leurs masques ; ils parurent tels qu'ils étaient, toujours disposés à se souvenir de son rang pour profiter de son pouvoir. Elle dut reconnaître qu'elle n'avait trouvé qu'une coterie, dirigée par les passions de la comtesse Diane et de quelques autres intrigants. Les inconvénients de la vie privée la frappèrent sous tous les rapports ; mais elle pensa qu'elle devait supporter des peines dont elle était seule l'auteur ; que l'inconstance dans son amitié pour la duchesse et une rupture totale pouvaient engendrer des inconvénients encore plus graves et de nouveaux torts[67]. Il fallait donc attendre.

Marie-Antoinette aimait la duchesse Jules ; mais elle n'aimait pas son entourage ; un jour elle ne craignit pas de lui en faire l'aveu. Alors madame de Polignac, malgré sa douceur habituelle et la reconnaissance qu'elle devait avoir pour la reine qui l'avait comblée de bienfaits, lui répondit : « Je pense que, parce que Votre Majesté veut bien venir dans mon salon, ce n'est pas une raison pour qu'elle prétende en exclure mes amis. » Cette réponse, dit avec raison un écrivain de notre époque, dut paraître admirable dans le cercle de madame de Polignac : c'était le ton du temps. La Révolution, en effet, a été en haut, comme cela arrive toujours, avant d'être en bas, et, quand madame de Polignac revendiquait le droit de recevoir également dans son salon tous ses amis, sans tenir compte des goûts de la reine, elle faisait, sans le savoir, une réponse révolutionnaire à une reine qui, sans le savoir non plus, avait aussi une idée révolutionnaire en croyant qu'elle pouvait être dans un salon quelconque sur un pied d'égalité[68]. Ce n'était pas sans motif que Marie-Antoinette montrait de l'éloignement pour la société intime de madame de Polignac. En effet, de cette société, jalouse de la préférence qu'elle témoignait à madame d'Ossun, partit une atroce calomnie. « On y parlait avec malignité de ce que la reine aimait à danser des écossaises avec un jeune lord Strathavon, aux petits bals, chez madame d'Ossun. Un habitué du salon Polignac, et qui devait avant tout une profonde reconnaissance et les plus respectueux égards à la reine, fit contre elle un couplet très-méchant, et ce couplet, fondé sur un infâme mensonge, alla circuler dans Paris[69].

Les courtisans avaient d'abord respecté la modeste liaison de la reine et de madame de Polignac, mais le petit cercle favorisé de la duchesse, et la fortune subite des Polignac, fortune qui écartait des prétentions rivales, excitèrent bientôt leur mécontentement. Ils murmurèrent, se plaignirent, et, pour satisfaire leur haine jalouse, ils employèrent la satire et le poison même de la calomnie. Ces murmures, ces plaintes et ces calomnies tombèrent de leurs salons dans la masse du peuple et lui apprirent faussement que sa misère avait pour cause les prodigalités de la souveraine et les riches bienfaits qu'elle ne cessait de répandre sur les Polignac. Les artisans et les bourgeois furent aussitôt d'accord pour crier avec les courtisans contre la société intime de la reine, contre les Polignac et leurs amis. Dans leur imagination pervertie, ils crurent y découvrir la source de tous les mauvais conseils, une influence pernicieuse et la protection de tous les abus existant à cette époque. Prévention que démentent les faits : car cette société, gouvernée par de petits intérêts et par les petites passions d'une coterie imprévoyante, faisait tantôt le mal, tantôt le bien, sans un système général de conduite déterminé. Voulez-vous juger avec quel sérieux on y traite la politique ? Ouvrez le livre de madame Campan, et vous apprendrez que la reine, pour se dérober aux ennuis 'trop fréquents que lui cause le comte d'Adhémar, un des personnages du cercle, le fait nommer à l'ambassade de Londres[70].

Pour assurer le succès de leur infernal système, les ennemis de Marie-Antoinette résolurent d'avilir la duchesse dans l'opinion publique, avant d'attaquer la princesse elle-même. Si madame de Polignac, en effet, méritait le mépris universel, l'opprobre qui la couvrait, rejaillissait sur la reine, son amie. On n'épargna donc. pas les libelles et les pamphlets sur la duchesse Jules. A les croire, elle était une des causes du déficit des finances[71] ; elle faisait un trafic scandaleux des bénéfices, des dignités et des emplois du gouvernement ; c'était une femme intrigante, ambitieuse, de mœurs corrompues, dont les pervers conseils avaient empoisonné le cœur de Marie-Antoinette, que ses belles qualités auraient rendue digne d'être universellement adorée[72] ; enfin, elle avait usé de son crédit au point d'introduire Vaudreuil, son amant, jusque dans l'intime société de la reine[73].

Après avoir flétri madame de Polignac, des noëls abominables, des libelles atroces, en vers et en prose, attaquèrent la reine qui, désignée sous le nom familier d'Antoinette, dut subir les calomnies, les affronts, les humiliations, toutes les tortures morales. Pleins de détails ignominieux, ils circulèrent dans les salons de la haute société, furent accrédités par les rancunes des courtisans qui n'avaient pas été admis au cercle intime. On représenta la reine comme abandonnée de mœurs, on ne chercha pas seulement des fautes dans ses relations avec madame de Lamballe et madame de Polignac ; on les transforma en scènes impures, en vices monstrueux. Des pamphlets dégoutants osèrent la comparer à la comtesse Du Barry[74] et lui donner les cruautés de Frédégonde. Enfin ils en firent une adultère, la flétrirent du nom de Messaline et publièrent la liste de ses nombreux amants : c'était d'abord le propre frère du roi, M. le comte d'Artois ; puis venaient Edouard Dillon et le duc de Coigny, et le baron de Bezenval, et le duc de Lauzun, et le comte de Fersen, et le duc de Dorset, et le duc de Liancourt, et le prince Georges de Hesse-Darmstadt, et l'officier des gardes du corps Lambertye, et M. -de Saint-Paër, et du Roure, et lord Hugues Seymour, et le comte de Romanzof, et le duc de Guines, et lord Strathavon[75].

Chacun des ennemis de la reine ajoutait quelque nom à cette énumération pour l'enrichir et la compléter. Mais arrêtons-nous ; fermons cette liste érotique, pleine de scandale et de calomnie. Plus loin nous rencontrerions la Liste civile, celle « de toutes les personnes avec lesquelles la reine a eu des relations de débauches ![76]... » Jamais le genre ordurier ne s'est présenté dans un livre sous une physionomie plus dégoûtante, et nous rougirions de remuer toute cette fange.

C'est en vain que l'historien impartial cherche dans les écrits contemporains des preuves aux accusations portées contre la noble reine ; il n'en trouve pas. Quel témoignage nous apportez-vous donc, vous sur les lèvres duquel je vois errer le sourire du doute, vous écrivain qui osez représenter Marie-Antoinette comme une femme plus avide des agitations que du repos de l'amour, et livrant aux hasards des parties de nuit la majesté royale, comme le monstrueux assemblage des vices affreux et des crimes exécrables ? Avez-vous entre les mains quelque document inattendu, qui force les plus incrédules à respecter l'évidence ! Avez-vous quelque lettre compromettante de cette princesse si peu habituée aux précautions, de votre aveu même, et qui a tant écrit ?... Non, aux preuves nombreuses de l'innocence de la reine vous ne pouvez opposer que des pamphlets payés par le duc d'Orléans et encouragés par le comte de Provence, des anecdotes, des chansons, des libelles enfantés par la conjuration de la plus odieuse calomnie, enfin le réquisitoire de Fouquier-Tinville. A ces témoignages vous en ajoutez, dites-vous, de plus sérieux : une anecdote des Mémoires du com te de Tilly, les accusations si graves de Soulavie, un passage des Mémoires du duc de Lauzun et quelques lignes de Bezenval. Nais entrons dans les faits et bientôt vous reconnaîtrez la faiblesse de vos armes.

Dans le comte d'Artois, le plus jeune des frères de son époux, Marie-Antoinette avait trouvé un ami dont la gaieté pouvait jeter quelque distraction sur sa vie monotonie, lorsqu'elle n'était encore que dauphine.

Tous deux avaient les mêmes goûts et manifestaient le même éloignement pour l'intrigue. Le comte d'Artois aimait beaucoup la société de sa belle-sœur, partageait ses jeux et cherchait tous les moyens de lui être agréable. De son côté, la dauphine avait une véritable amitié pour le prince. Les ennemis de Marie-Antoinette interprétèrent d'une manière funeste cet attachement réciproque, et des libellistes osèrent, à ce sujet, remplir d'accusations infimes leurs feuilles empoisonnées. Malgré sa répugnance à défendre la reine avec trop de détails sur ce point, madame Campan la justifie complétement « Je ne crois point, dit-elle, que M. le comte d'Artois, dans les premières années de sa jeunesse et de celle de la reine, fût, comme on Fa dit, très-épris de la beauté et de l'amabilité de sa belle-sœur ; mais je puis affirmer que j'ai toujours vu ce prince à une distance très-respectueuse de la reine ; qu'elle parlait de lui, de son amabilité, de sa gaieté avec cet abandon qui n'accompagne jamais que les sentiments les plus purs, et que tout ce qui environnait la reine n'a jamais vu, dans l'affection qu'elle témoignait à Mgr le comte d'Artois, que celle d’une tendre sœur pour le plus jeune de ses frères[77].

S'il faut ajouter foi au récit du comte de Tilly, M. de Dillon, qui n'avait d'autre mérite qu'une beauté remarquable, fut aussi un amant favorisé de Marie-Antoinette. Il rapporte, en effet, que la reine, après avoir beaucoup dansé un soir avec Edouard Dillon et ne se croyant pas écoutée, lui-dit : « Voyez comme mon cœur bat ! » et mérita cette dure apostrophe du roi qui l'avait entendue : « Non, Madame, il vous en croira sur votre parole ! » Plusieurs écrivains auxquels le caractère de Louis XVI et le langage du château de Versailles étaient inconnus, n'ont pas craint de répéter cette assertion. Mais ils ont oublié que les affirmations du comte de Tilly sont dénuées de preuves ; que les Mémoires de cet autre ennemi de la reine ne doivent être consultés qu'avec réserve[78] ; que le caractère de l'auteur, mélange de celui des roués de la cour du régent, des seigneurs tarés des petits soupers de Louis XV, et des corrupteurs systématiques de la haute société de Louis XVI, aurait besoin de caution. Ils ont oublié encore qu'Édouard Dillon ne faisant pas partie de la société de la reine, n'avait le droit de se présenter au château que sur des invitations spéciales, et aux jours où, suivant l'expression des courtisans, tout le monde était engagé[79]. Enfin, le comte de Tilly, lui-même, ne donne pas le fait comme certain, puisqu'il ajoute aussitôt : « Si le fait est vrai, c'est une naïveté. Au reste je ne l'ai pas entendu et j'en doute[80]. » Malgré cela nous lisons, dans un pamphlet que le visage de la reine se « reprintanisait » quand Edouard Dillon entrait au bal[81]. Quelle autorité ! et c'est sur cette expression. que des anecdotiers impudents et cyniques n'ont point hésité à condamner la femme dans la souveraine !

Parmi les imputations dont Marie-Antoinette a été l'objet, il s'en trouve une qui semble d'abord plus grave que toutes les autres, c'est celle de Lauzun, de cet homme « romanesque parce qu'il ne peut être héroïque, » et dont les bonnes fortunes, enregistrées dans ses Mémoires, engendrent un ennuyeux scandale. Mais empreinte d'une passion excessive et dépourvue de preuves, elle ne peut mériter quelque confiance aux yeux de l'histoire. Du reste, laissons parler M. de Lauzun lui-même ; de son langage et de ses présomptueuses insinuations le lecteur conclura que ce Lauzun, qui se vante d'avoir trouvé si peu de cruelles, ne fut point l'amant heureux de Marie-Antoinette.

Dans un bal auquel la dauphine assistait, chez ma-clame de Noailles, le duc de Lauzun avait apporté des nouvelles de M. de Choiseul qu'il était allé visiter à Chanteloup, lieu de son exil. Depuis, il avait eu souvent l'occasion de rencontrer, chez madame de Guéménée, Marie-Antoinette devenue reine ; elle l'accueillait avec bonté et le traitait avec distinction. « En moins de deux mois, dit Lauzun, je devins une espèce de favori[82]. » Obligé de rejoindre son régiment, il part malgré l'affliction que témoigne la reine, puis il revient et sa faveur parait alors monter au plus haut degré. « La reine sortait rarement sans moi, ne me permettait pas de quitter la cour ; me faisait toujours place près d'elle au jeu, me parlait sans cesse, venait tous les soirs chez madame de Guéménée, et marquait de l'humeur lorsqu'il y avait assez de monde pour gêner l'occupation où elle était presque toujours de moi. » La faveur dont jouit le duc de Lauzun lui suscite des ennemis nombreux et acharnés, et il vient supplier la reine d'en diminuer les marques trop frappantes. — Y pensez-vous ? reprend-elle avec colère ; devons-nous céder à d'insolents propos ? Non, M. de Lauzun ; notre cause est inséparable, on ne vous perdra pas sans me perdre. » Cependant ses ennemis et les préférences de la reine inspirent à ce héros d'aventures la pensée de s'éloigner quelque temps de la cour et de passer en Russie. Il se hâte d'annoncer sa résolution à la reine, « qui la combat avec chaleur, avec désespoir. » Prêtons toute notre attention à cette grande scène. « Vous croyez donc, dit-elle, que je ne vous défendrai pas ? — J'ose supplier Votre Majesté, j'ose même exiger, comme seul prix de mon dévouement absolu, qu'elle ne se compromette pas en me soutenant ; je suffis pour me défendre. — Comment ! vous voulez que j'aie la lâcheté... Non, M. de Lauzun. — Oh ! madame, l'intérêt particulier d'un sujet peut–il être comparé aux grands intérêts de la reine ?... — D'un sujet tel que vous, Lauzun ? ne m'abandonnez pas, je vous en conjure ; que deviendrais-je si vous m'abandonniez ? » Ses yeux étaient remplis de larmes ; touché moi-même jusqu'au fond du cœur, je me jetai à ses pieds : « que ma vie ne peut-elle payer tant de bontés, une si généreuse sensibilité ? » Elle me tendit la main ; je la baisai plusieurs fois avec ardeur, sans changer de posture. Elle se pencha vers moi avec beaucoup de tendresse ; elle étain dans mes bras lorsque je nie levai. Je la serrai contre mon cœur, qui était fortement ému. Elle rougit ; niais je ne vis point de colère dans ses yeux.

« Eh bien ! reprit-elle en s'éloignant un peu, n'obtiendrai-je rien ? — Le croyez–vous ? répondis-je avec beaucoup de chaleur. Suis-je à moi ? N'êtes-vous pas tout pour moi ? C'est vous seule que je veux servir ; vous êtes mon unique souveraine. Oui, continuai-je plus tranquillement, vous êtes nia reine, vous êtes la reine de France. » Ses regards semblaient me demander encore un autre titre[83]... Ainsi le duc de Lauzun a refusé les séduisantes faveurs que lui offrait Marie-Antoinette ; s'il n'a pas été heureux, c'est, à l'en croire, qu'il a dédaigné de l'être. Mais Lauzun a lui-même pris la peine de nous détromper ; car de ce récit, où ressort tant d'amour-propre et de fatuité, ressort la preuve de l'innocence de la reine, la vengeance de son honneur indignement outragé. « En vérité, comment, en semblable matière, ajouter foi à l'affirmation d'un homme que la vanité préoccupe au point de lui faire tenir publiquement un pareil langage ? Mais cette vanité même nous est une garantie de la confiance qu'il mérite, quand il dit que la reine sortit pure de cet entretien[84]. » Oui, duc de Lauzun, nous vous croyons. Marie-Antoinette ne succomba point dans cette lutte contre l'homme qui affichait une insolente passion pour elle. Oui, la raison publique a fait justice de la folle présomption d'un fat entreprenant, d'un fanfaron du vice, qui voulut sauver son amour-propre, mémé aux dépens de l'honneur et de la vérité. Le lecteur en sera plus convaincu encore lorsqu'il connaîtra l'anecdote de la plume du héron que la vanité blessée de l'auteur a si étrangement travestie.

Un jour le duc de Lauzun partit chez madame de Guéménée en uniforme, avec un casque étincelant de pierreries, et surmonté de la plus magnifique plume de héron blanc qu'il fut possible de voir. La reine admira cette plume ; le lendemain, à sa grande surprise, madame de Guéménée la lui présenta de la part de M. de Lauzun. Comme il avait porté cette aigrette, Marie-Antoinette n'avait pas imaginé qu'il pût vouloir la lui donner. Fort embarrassée du présent qu'elle s'était, pour ain9i dire, attiré, elle n'osa pas le refuser, mais elle se contenta de porter la plume par condescendance, une seule fois, et de la faire remarquer au duc de Lauzun. Dans ces mémoires secrets, ajoute l'honnête et véridique témoin auquel nous empruntons ces détails, le duc donne une importance au présent de son aigrette, Ce qui le rend bien indigne d'un honneur accordé à son rang[85]. » On y trouve en effet cette anecdote entièrement dénaturée, et de plus toutes les insinuations méprisables d'un présomptueux trompé dans son espoir[86]. Mais Lauzun, tout en laissant entrevoir ses audacieuses espérances, se garde bien de dire quel en fut le prompt châtiment. Qu'il nous soit permis de suppléer à ce silence ; il cache une honte dans la vie de ce don Juan honoré de tant de royales faveurs.

Dans son orgueil, Lauzun s'exagéra le prix de la gracieuse affabilité de la reine. Peu de temps après le présent de son aigrette, il sollicita une audience particulière ; Marie-Antoinette la lui accorda, comme elle l'eût fait pour tout autre courtisan d'un rang aussi élevé. Mais à peine se trouva-t-il seul avec la reine que, tombant à ses pieds, il osa lui exprimer les sentiments passionnés de son cœur. Aussitôt la princesse, ne pouvant contenir son indignation, ouvrit brusquement la porte, et dit d'une. voix haute et courroucée : Sortez, monsieur ! Le duc de Lauzun s'inclina profondément et disparut dans la plus grande confusion. Marie-Antoinette, fort agitée, dit à madame Campan qui était dans la chambre voisine : « Jamais cet homme ne rentrera chez moi[87]. » Voilà ce que Lauzun avait tant d'intérêt 'd nous cacher ; cette dernière scène nous donne l'explication de son ressentiment et de ses calomnies.

Vers la même époque, un des habitués du salon Polignac, le baron de Bezenval lieutenant-colonel des gardes-suisses, habile dans les affaires du inonde et de la cour, admirateur du caractère de la reine, « niais très-immoral[88], » tenta sans plus de succès la même aventure que Lauzun. Marie-Antoinette qui croyait avoir rencontré en lui un homme mûri par l’expérience, lui témoignait une affection mêlée de piété filiale, et recherchait quelquefois ses conseils dans les petites difficultés de la vie ordinaire. A l'occasion du duel de M. le comte d'Artois avec M. le prince de Bourbon, elle voulut voir le baron de Bezenval qui devait être un des témoins, pour lui communiquer les intentions du roi et chargea le secrétaire de son cabinet, M. Campan, de l'introduire secrètement en sa présence. Comme il était important que personne ne soupçonnât cette entrevue avant le combat, la reine le fit conduire par des corridors supérieurs du château, et le reçut dans un appartement qu'il ne connaissait pas. Dans ses mémoires, le baron de Bezenval donne à son entrevue avec Marie-Antoinette un ton de roman aussi blâmable que ridicule. Il assure qu'il se trouva, sans savoir comment il y était parvenu, dans un appartement modeste, mais très-commodément meublé, dont il ignorait jusqu'à l'existence. « Je fus étonné, ajoute-t-il, non pas que la reine dit désiré tant de facilités, niais qu'elle eût osé se les procurer[89]. » Madame Campan dit avec raison que les impurs libelles de la femme de La Motte ne contiennent rien d'aussi nuisible au caractère de la reine que ces lignes d'un homme longtemps honoré de sa bienveillance. Il est vrai que M. de Bezenval condamne Marie-Antoinette sur un motif bien futile. C'est estimer trop peu l'honneur d'une reine. Madame Campan la venge encore, en nous expliquant la destination de cet appartement, depuis tant calomnié sur le témoignage de Bezenval. Il était composé d'une très-petite antichambre, d'une chambre à coucher et d'un cabinet ; et préparé pour la dame d'honneur de Sa Majesté dans le cas de couche ou de maladie[90].

Mais quel, est donc le motif d'indignation de Bezenval ? Le voici : loin de voir dans l'affection particulière de la princesse le triste privilège de ses cinquante ans, le présomptueux baron, un jour qu'il se trouvait seul avec sa souveraine, avait oublié son âge, ses cheveux gris, ses rides ; il s'était précipité à ses genoux, et comme le duc de Lauzun, il avait osé lui faire une tendre déclaration d'amour. « Levez-vous, monsieur, lui dit la reine surprise de cette extravagance, « le roi ignorera un tort qui vous ferait disgracier pour toujours. » Et M. de Bezenval s'était relevé pale et balbutiant quelques excuses,' avec la honte d'une démarche aussi coupable. Depuis ce jour, Marie-Antoinette avait retiré au baron son estime et sa confiance, sans l'effacer de la liste des personnes qu'elle recevait à Trianon.

Il nous reste une dernière calomnie à réfuter, la calomnie sur le comte de Fersen que des libelles exploitant l'injure et le scandale nous représentent connue l'amant privilégié de la reine, comme celui qui pénétra le plus avant dans son intimité[91]. Simple colonel d'un régiment étranger au service de France, M. de Fersen n'occupait aucun rang à la cour de Versailles. C'était un homme sérieux et réservé, d'un esprit médiocre, mais (l'un caractère généreux et chevaleresque, et d'une élégance parfaite de manières. Louis XVI l'accueillit avec bonté, et se conduisit souvent d'après les conseils du noble suédois. Jaloux de la faveur dont le comte jouissait auprès du roi, quelques courtisans prétendirent qu'il se rendait agréable à Louis XVI pour se rapprocher de Marie-Antoinette. Ce ne fut cependant qu'à l'époque de la Révolution que la reine, touchée du dévouement de M. de Fersen, le traita avec distinction, et, comme son époux, elle lui accorda la confiance que méritait un zélé serviteur, dont la fidélité à la famille royale ne s'est jamais démentie. Au reste, lorsque les ennemis de Marie-Antoinette lui reprochent sa prétendue liaison avec le comte de Fersen, ils n'appuient leur imputation sur aucune preuve, et l'historien consciencieux ne peut accorder à cette imputation plus de valeur qu'aux témoignages de Lauzun et de Bezenval[92].

Voila les faits sur le comte d'Artois, sur Édouard Dillon, le duc de Lauzun, le baron de 13ezenval et le comte de Fersen. Il n'en est pas autant sur les autres dont les chansons et les pamphlets de l'époque nous ont donné les noms ; il est inutile de consacrer quelques lignes au duc de Liancourt que le pamphlétaire lui-même regarde comme un homme « sans conséquence, » au prince Georges de Hesse Darmstadt « à qui la reine témoigna de l'intérêt à cause de sa sœur et parce qu'il était allemand.

L'historien ne trouve que vagues déclamations, mauvaise foi et odieux mensonges dans les accusations de plusieurs écrivains contre Marie-Antoinette, et pas un témoignage de quelque valeur. Ces inimitiés diverses conjurées contre elle, si habiles à la calomnie, si opiniâtrement aidées par tous les chefs de partis, n'apportent aucune preuve pour établir la culpabilité de leur victime. L'historien peut donc s'écrier avec raison, comme autrefois M. Chauveau La garde, son défenseur, devant Fouquier-Tinville et le jury choisi par la commune de Paris : « Je ne suis dans cette affaire, embarrassé que d'une seule chose ; ce n'est pas de trouver des réponses, mais une accusation vraisemblable. » Ainsi les promenades nocturnes sur la terrasse de Versailles, les fêtes champêtres de Trianon, les courses aux bals de l'Opéra, les amusements, les spectacles de la reine, ses amitiés, trop souvent exclusives, n'ont point recélé les mystères qu'y ont cherchés les rancunes, la vanité blessée des individus et les injustes passions des partis. Ainsi « les débordements de Marie-Antoinette sont imaginaires[93]. » Ainsi dans la reine la femme est restée pure de tous les vices qu'on lui a prêtés. C'est alors justice de la part de l'historien de réhabiliter l'épouse fidèle et irréprochable de Louis XVI, d'arracher à l'infamie son innocente mémoire, de lui rendre cet honneur qu'ont flétri en elle tant de méprisables détracteurs, enfin de protester contre l'iniquité de leurs jugements et contre l'assassinat moral qu'ils lui ont fait subir avant et après son immolation sur l'autel de la guillotine.

Près de cette femme toute spontanée, si digne de ceindre le bandeau royal, qui apparaissait pleine de grâce et de majesté, au milieu des splendeurs de Versailles, quelle était l'attitude de Louis XVI ? Dépouillé de tout prestige, il restait toujours indolent et faible. Vous auriez vainement cherché en lui l'esprit et les formes de la cour, la grande ostentation, les mouvements nobles et heureux qui séduisent, ces qualités brillantes, héritage de l'ancienne chevalerie, ou ces vertus royales, apanage ordinaire des Bourbons. Il avait contre lui une sévérité par fois taciturne, mais que corrigeait une excessive bonté, les brusqueries de ses façons et de sa nature que, dans les derniers temps, sa tendre affection pour la reine avait beaucoup adoucies[94]. Cependant la royauté n'avait pu changer en lui ce caractère apathique, défiant de lui-même et manquant d'initiative. Loin de montrer cette opiniâtreté du courage qui vient du sentiment de ses' ressources et de sa puissance, il craignait de rencontrer des ministres capables de prendre une décision ferme et de s'y tenir. Dans cette âme qui animait un corps bourgeois, point de volonté, aucune force de résolution et de persévérance, aucune de ces puissantes facultés qui font souvent que, dans un corps chétif, s'allume une énergie assez grande pour remuer les mondes, mais « une répugnance invincible pour le travail de la pensée » et une résignation extraordinaire. « Cette qualité qui fut un défaut tant qu'il régna, devint une vertu sublime dans la prison et sur l'échafaud[95]. » Homme de bien, assis sur le premier des trônes de l'Europe, Louis XVI ne s'y trouvait pas à l'aise, et connue le repos lui était plus cher que la couronne, il avait toujours assez de pouvoir pour ce qu'il en voulait. A l'époque où nous sommes arrivés, par ses tendances réformatrices, par une suite (l'essais incomplets, toujours interrompus, il avait irrité la fièvre publique, sans se mettre en peine de la satisfaire, sans chercher les moyens de la guérir[96]. Louis XVI, dans sa funeste et coupable insouciance, oubliait que, chargé du gouvernement et du salut d'un grand royaume, il devait être l'œil et la pensée de tout ce royaume qui ne pouvait exister que par ses soins.

Un examen attentif de la conduite de ce roi débonnaire prouve qu'il poussait à l'extrême le sentiment de ses devoirs comme époux, comme père de famille, qu'il portait, ainsi que nous l'avons dit, l'esprit d'ordre et de détail jusqu'à la minutie. Il enregistrait ses pertes et ses gains au jeu, à la loterie, et même les dépenses les plus minimes[97]. Au milieu de ces petitesses du pouvoir, il était impossible d'embrasser du regard l'horizon étendu de la société ; les grands faits et les évènements lui échappaient.

Cet élève de l'égoïste et insouciant Maurepas n'était cependant pas ennemi du travail. Il montrait en effet un goût très-prononcé pour tout ce qui concernait les sciences naturelles ; il admirait avec passion les découvertes utiles et de perfectionnement, les sciences physiques et les arts appliqués aux métiers. « Géographe habile, il se plaisait à tracer et à laver des cartes[98]. » Son esprit se pliait facilement à tous les détails d'administration ; aussi lisait-il avec plaisir les ouvrages qui traitaient de cette partie. Mais ce qui lui manquait surtout, c'était l'observation des hommes et des évènements de son époque. Comme il n'étudiait le présent que dans le passé, et des événements sans analogie avec les besoins et les exigences de son règne, il ne pouvait résulter de son application que de stériles abstractions. De graves questions le préoccupaient quelquefois, ainsi que le prouve la lettre suivante, sur l'extinction de la mendicité, adressée à son ministre Amelot. Cette lettre, d'un ton de fermeté bien rare chez Louis XVI, contraste avec ce que nous avons dit de son caractère :

« Versailles, le 8 juin 1777.

« Les dernières fois que je me suis promené à pied, j'ai été vivement affligé, Monsieur, de la grande quantité de mendiants dont les rues de Paris et de Versailles sont remplies, nonobstant les mesures que j'ai ordonnées depuis plusieurs années à l'effet de faire cesser cette plaie. Demandez au lieutenant général de police et à l'intendant de Paris des mémoires tant sur l'établissement des ateliers de charité ouverts pour occuper les pauvres valides que sur les secours à fournir aux paroisses et aux hôpitaux pour les faire travailler, et pour faciliter en même temps l'admission des infirmes. Je veux savoir comment il est pourvu à l'entretien de ces établissements. La création de nouveaux impôts me répugne ; où serait le bienfait pour le peuple s'il y trouvait une charge nouvelle ? Il y aurait des mesures tout à la fois d'humanité et de rigueur à prendre pour, d'un côté, secourir la misère réelle, et détruire de l'autre la mendicité effrontée et paresseuse, source de crimes et de scandales. La base de tout règlement devrait estre que tout mendiant se retirast dans le lieu de sa naissance, à moins qu'il ne prist un état qui pût le faire vivre sans aumosnes, la surveillance serait bien plus efficace et la répression plus sûre. Il ne faut pas non plus souffrir que les mendiants aillent quester et mendier dans l'intérieur des églises, ni aux portes des maisons, cela trouble le service divin, nuit au recueillement des fidèles et amène des vols. Ce point est très-important, n'y aïant rien qui fist plus d'honneur à une administration que l'extirpation de la mendicité. Aux valides le travail, aux invalides les hôpitaux, et les maisons de forcé à tous ceux qui résistent aux bienfaits de la loy. Tenez la main à l'exécution des règlements qui existent et recommendez à Lenoir la sévérité. Si ces règlements sont insuffisants, il faut que mon conseil y pourvoit et compléter ce service par une ordonnance.

« LOUIS[99]. »

Tandis que Marie-Antoinette vivait au milieu des innocents plaisirs de Trianon, des charmes de l'amitié, de ses devoirs de mère, et cherchait à répandre le bonheur autour d'elle, Louis XVI partageait son temps entre la chasse et les travaux manuels. Le roi, malgré ses goûts et ses habitudes tranquilles, aimait passionnément ce noble exercice. On le voyait souvent parcourir, accompagné d'une meute splendide, les forêts de Compiègne et de Fontainebleau qui abondaient en gibier de toute espèce. Il tenait lui-même un journal écrit de sa main dans lequel il enregistrait soigneusement le nombre des animaux qu'il avait tuées à chaque partie de chasse, avec des récapitulations pour chaque mois, chaque saison et chaque année de son règne[100].

Sa passion polir les occupations d'artisan, surtout pour la serrurerie, dans laquelle il avait atteint une grande perfection, s'était fortement développée. « C'était, disait-il, pour éviter la goutte aux mains et aux pieds, et maintenir cette forte santé qu'il devait au sang de Bourbon enté sur celui de Saxe. » Après le conseil, il aimait à gagner, sans être aperçu de la reine, le petit escalier qui le conduisait à la chambre d'un pavillon du château. Ce lieu renfermait sa forge, deux enclumes et de nombreux outils en fer. Là, il trouvait son maître, François Gamain, dont il redoutait la sévérité. Il passait dans ce laboratoire des journées entières à forger avec lui des clefs, des serrures ordinaires, mais fines et parfaites, quelquefois à secret, ou ornées de cuivre doré. Cet infâme Gamain, qui depuis accusa Louis XVI, son bienfaiteur, d'avoir voulu l'empoisonner, et fut payé de sa calomnie par une pension annuelle et viagère de douze cents livres, traitait son royal compagnon de forge comme un maître en use à l'égard d'un apprenti dans son atelier[101]. Le roi avait aussi du goût pour un autre art mécanique, et plus d'une fois on le surprit à l'œuvre devant une montre ou une pendule. Mais cet habile horloger ne savait pas l'heure qu'il était à l'horloge des siècles[102].

Ces habitudes du travail manuel, ces mœurs d'artisan, qui communiquaient à la majesté royale ce qu'elles avaient de vulgaire, abaissaient encore la royauté dans un temps où elle avait besoin d'être relevée aux yeux du peuple[103]. Du moins l'ascendant du caractère et le séduisant prestige de la gloire couvraient le scandale des faiblesses de Louis XIV ; les manières imposantes et tout à la fois gracieuses de Louis XV ne se ressentaient nullement de ses sentiments et de ses goûts[104]. Avec leur successeur qui n'avait rien d'un roi, toutes les apparences elles-mêmes s'étaient évanouies. Les courtisans tournaient en ridicule la marche indécise, les manières lourdes, les viles occupations de ce nouveau Vulcain, sa voix fausse et retentissante[105], sa grosse gaieté[106], son énorme appétit, et le nuage du mépris s'amassait sur sa tête royale[107]. Pauvre roi, en effet, qui, au milieu du mouvement irrésistible que la puissance des idées imprimait à la société française, s'endormait avec la conscience de sa faiblesse. Pauvre roi qui mettait son activité et sa force dans ses mains lorsqu'il fallait s'armer de volonté et retremper son âme par d'énergiques résolutions. Henri IV pouvait se livrer au plaisir de la chasse, et pour les soins du gouvernement se reposer sur un duc de Sully, dont l'esprit était capable de tout embrasser, de tout entreprendre et de tout finir. Il était permis à Louis XIII de retourner chaque jour à ses jeux, à ses oiseaux, aux compagnons de sa vie folâtre, quand un cardinal de Richelieu régnait pour lui, et, de sa main puissante ; brisait toutes les résistances. Mais pendant que Louis XVI courait les bois ou maniait la lime et travaillait le fer suif son enclume, l'État confié à des ministres le plus souvent sans force et sans habileté, penchait vers sa ruine.

Au sein de cette cour, dont le monarque ne savait imprimer à ses indociles sujets ni le respect de lui-même, ni le respect de son épouse, la reine, nous l'avons dit ailleurs, trouvait de bien dangereux ennemis parmi les membres de la famille royale et jusque sur les marches du trône. Les quatre tantes de Louis XVI tenaient rancune à Marie-Antoinette de la protection qu'elle accordait à Choiseul, auteur de l'alliance intime entre la France et l'Autriche[108]. Madame Adélaïde, qui avait soumis mesdames Louise, Victoire et Sophie, ses sœurs, au despotisme de son impérieuse volonté, avait formé contre la fille de Marie-Thérèse une espèce de croisade. Elle ralliait sons sa bannière ses deux autres nièces, les comtesses de Provence et d'Artois, envieuses, comme elle, du rôle brillant, de l'influence et de la beauté de la jeune reine, les Richelieu, les d'Aiguillon, les Rohan, les plus illustres personnages, amis du règne précédent, mesdames de Noailles et de Marsan dont la sénile impuissance s'indignait de la violation des lois de l'étiquette. Dans leurs rangs on comptait aussi de grandes dames, jadis adulatrices de la comtesse Du Barry, aujourd'hui empressées de calomnier les goûts et les affections de Marie-Antoinette pour faire oublier la légèreté de leurs mœurs et le naufrage de leur réputation. L'âme et le chef de ce parti anti-Choiseul, de ce redoutable faisceau d'ennemis, madame Adélaïde, dirigeait les attaques et tentait les coups les plus audacieux. Vrai ministre à portefeuille, et sollicitant sans cesse des grâces pour tous ses amis[109], elle avait fait rappeler Maurepas au ministère, ainsi que nous l'avons vu, contre le sentiment de la reine qui s'était prononcée en faveur de Choiseul. Trop dociles aux conseils de l'ambitieuse et impitoyable tante, les ministres laissèrent impunis les affronts, les outrages prodigués de toutes parts à Marie-Antoinette, et cette première impunité était une amorce pour les calomnies qui avaient pris naissance dans ses réunions.

Certaine de la reconnaissance et de l'appui de Maurepas, son protégé, madame Adélaïde, dure et hautaine, permettait à sa société d'avilir et de traîner sans honte dans la fange le nom de sa nièce. C'est avec un indicible plaisir qu'elle reportait sur la reine les animosités excitées par ses intrigues contre l'ancien exilé de Chanteloup. Ses créatures, MM. de Maurepas, d'Aiguillon et de Vergennes[110], osèrent même agiter, devant Louis XVI, la question d'éloigner son épouse de la connaissance des affaires publiques, de l'écarter du trône et de la renvoyer à Vienne. De cette politique des ministres, encouragée par la tante du souverain et le comte de Provence, les insultes à la reine se produisaient avec l'encouragement des grands seigneurs et la complicité de l'autorité qui feignait de n'y rien trouver de repréhensible. De là, sans aucun doute, ces accusations contre Marie-Antoinette, accumulées dans ces libelles et 'ces noëls ignobles, auxquels leurs altesses royales applaudissaient et que des femmes elles-mêmes se plaisaient à répéter. C'était le château de Choisy qui avait donné l'exemple d'outrager par des chansons la reine de France. Tous ceux des beaux esprits de cour qui se croyaient quelque talent pour la poésie, ne tardèrent pas à suivre cet exemple. On signala, parmi les chansonniers, M. de Champcenetz et le marquis de Louvois. Leurs couplets furent lus avec avidité au Palais-Royal, à Bellevue, au château de Brunoy ; les salons royalistes de Versailles se les disputaient. Afin de satisfaire sa passion pour le persifflage et la plaisanterie, Maurepas fit un recueil[111] de ces couplets diffamatoires, de ces turpitudes, et le cynique vieillard ne rougit pas de les placer sous les yeux de Louis XVI.

Ces infâmes satires, qui révoltent la conscience de l'histoire, et dont nous trouvons l'origine dans les hautes classes de la société, demeurèrent longtemps ignorées du peuple. Elles firent la joie des réunions intimes de la cour et des salons où l'on se donnait le plaisir d'humilier et de flétrir la reine, avant de descendre au milieu des classes inférieures. A madame Adélaïde revient donc une large part des calomnies répandues à cette époque sur Marie-Antoinette. Ce fut elle, en effet, qui excita et encouragea cette guerre de méchancetés si fatale à sa nièce, et qui, pour satisfaire sa haine envers l'Autriche et Choiseul, entraîna la famille royale dans une ligue contre sa reine. Eclairer de ses conseils et de son expérience la jeune princesse de quinze ans, envoyée pour réconcilier la France avec l'Autriche ; lui servir de guide au milieu des écueils d'une cour pleine de défiance et de ténébreuses intrigues ; la protéger contre le parti qui lui faisait un crime impardonnable d'être la fille de Marie-Thérèse ; tel était le devoir sacré de madame Adélaïde : mais nous l'avouons avec douleur, ce devoir, elle le trahit en lui tendant des embûches. Disons plus : elle s'efforça de jeter quelque doute dans l'esprit de-Louis XVI sur l'honnêteté et la pureté de sa femme, afin de lui ravir jusqu’à cette affection

Dans cette œuvre infernale, la fille de Louis XV eut pour auxiliaires mesdames de Noailles et de Marsan. Aveuglément dévouées au parti français et intéressées à trouver la reine en faute, ces deux dames épièrent Marie-Antoinette, incriminèrent ses conversations, ses gestes, ses sourires, ses jeux, ses courses, ses promenades. Dans la démarche légère et balancée de l'archiduchesse, elles voyaient la démarche d'une courtisane ; dans ses yeux, le regard exercé d'une coquette ; dans ses manières aisées, des manières de la plus inconvenante familiarité ; dans ses modes et l'abandon des paniers, des innovations dangereuses ; enfin elles calomniaient, tout, même ses plus simples actions. L'habitude qu'avait prise la reine de répondre à toutes les harangues qui lui étaient adressées, l'exposait aux reproches amers de madame Adélaïde et de sa cour[112]. Admettait-elle de jeunes personnes aux bals où les femmes seules avaient eu jusqu'alors le droit d'être invitées ? Recevait-elle à souper les épouses des ministres ? on l'accusait de froisser tous les anciens usages, de renverser toutes les hiérarchies, de manquer de respect à sa dignité de reine[113].

On ne peut donc nier qu'une vaste conspiration n'ait été formée avant la Révolution contre Marie-Antoinette par le parti anti-Choiseul. Dans cette conspiration, nous sommes forcés de reconnaître les proches parents du roi et ceux qui auraient dû être les serviteurs les plus dévoués et les plus reconnaissants de la reine. Cette ligue de ses ennemis était ourdie avec tant d'habileté que madame Elisabeth elle-même, cet ange de vertu, trop fidèle aux inspirations de madame Adélaïde, fut quelque temps enveloppée dans ses liens. Elle ne s'en dégagea complétement qu'à l'époque des plus rudes épreuves et des tempêtes révolutionnaires. C'est dans la prison du Temple, au milieu des outrages de la captivité, que cette princesse reconnut l'injustice de ses soupçons, des sentiments hostiles, des complots de ses tantes, des mauvaises passions de la cour, et qu'elle sut apprécier les belles qualités, le noble caractère et le grand cœur de Marie-Antoinette. La vérité s'était fait jour dans son esprit : dès ce moment, aux impressions fâcheuses de la haine, succéda la plus vive affection pour la royale calomniée.

Moins coupable que sa sœur aînée, dont elle écoutait les inspirations, madame Louise mérite cependant une part des reproches que l'histoire adresse à madame Adélaïde. Dans la solitude du cloître, la pieuse héroïne du Carmel français tournait souvent ses regards sur le monde et se mêlait trop aux affaires humaines. Elle avait conservé son crédit, sa puissance de cour, recevait les visites des rois, des princes étrangers[114], et les ministres se gardaient bien de négliger les moyens de lui plaire. Plus d'une fois, la sœur Thérèse de Saint-Augustin fit des sorties violentes contre les prétendues légèretés, les imprudences et les innovations dangereuses de la reine qui se montrait cependant pénétrée d'estime et d'affection pour elle. Dans les conciliabules de Saint-Denis, on nouait des intrigues, on murmurait de l'abandon des anciens usages, on imaginait des bruits calomnieux. C'est alors que l'auguste carmélite donnant un libre cours à son indignation, ne trouvait pas assez d'anathèmes pour flétrir les innocentes folies de sa nièce et se permettait de lui écrire des lettres impérieuses[115]. Les choses furent poussées trop loin ; Maurepas comprit qu'il fallait modérer l'ardeur de ses alliés, et Louis XVI, d'après ses conseils, fit entendre à ses tantes un langage sévère. Il paraît même que fut alors agitée la question de leur exil en Lorraine[116].

Enfin arriva un temps où le roi, écoutant sa vive affection pour Marie-Antoinette, dont il sut apprécier la patience, la résignation et toutes les qualités, ouvrit les yeux sur la conduite si blâmable de ses tantes. Bientôt réduites à leur cour de Bellevue[117]. Mesdames y cachèrent leur défaite et n'exercèrent plus d'influence sur les affaires. Mais là elles murmuraient encore de la tendresse, de la reconnaissance et de la constante admiration par lesquelles Louis XVI réparait sa longue injustice envers son épouse, et s'efforçaient de troubler son bonheur. Le roi fut même obligé d'aller à Saint-Denis pour réprimander madame Louise, et lui intimer l'ordre de ne plus se mêler des affaires du ministère[118]. Alors, Mesdames, fidèles à leur système de vengeance, ne laissaient échapper aucune occasion de porter à leur nièce des coups assurés. Parlait-on devant elles des vues de Marie-Antoinette, on démêlait facilement dans leurs réponses tous les caractères de la haine : « Nous la surprenons tous les jours, disaient-elles, avec de nouvelles opinions contraires aux intérêts de la maison de France[119]. » Éloignées de la cour et du roi, qu'elles ne voyaient qu'à de rares intervalles, et ne pouvant lutter en face avec la reine, elles osaient appuyer, comme nous l'avons vu, le mémoire des négociants de Lyon, qui attribuaient la ruine de leur industrie à son goût presque exclusif pour les robes blanches, les linons et les dentelles. Ainsi les vieilles tantes reprochaient aujourd'hui à leur nièce sa trop grande simplicité ; égarées par la haine, elles oubliaient qu'hier elles blâmaient avec amertume et fureur la pompe de ses vêtements et la richesse de ses atours.

Mais ce fut dans le frère puiné du roi que Marie-Antoinette trouva le plus acharné et le plus dangereux de tous ses ennemis. Ce prince, dont nous avons eu déjà l'occasion de parler, n'avait point démenti avec les années le caractère que nous lui connaissons. A l'époque où nous sommes arrivés, vous eussiez vainement cherché en lui ces qualités du cœur que possédaient ses deux frères dans un degré éminent, et les traces des sentiments religieux que lui avaient jadis inspirés ses précepteurs. Mais au milieu de la corruption de la cour, il s'était préservé des excès d'une débauche, alors presque générale. D'une prudence précoce et d'une dissimulation profonde, jaloux du roi son frère, habile à déjouer les machinations ' de ses ennemis avec leurs propres armes, le comte de Provence n'aurait pas hésité à sacrifier les hommes pour sauver les choses. Supérieur à l'aîné de la famille par l'intelligence et la fermeté de caractère, il eût sans doute gouverné avec plus d'autorité que Louis XVI. Mieux que lui il eût su résister au flot grondant des passions populaires et conduire la royauté au milieu des écueils contre lesquels elle fit un si triste naufrage. Peut-être ce prince aurait-il trouvé le moyen de remédier à cette fièvre soudaine, à cette chaleur de réforme qui avait saisi la nation, et qui gagnait jusque dans les classes privilégiées un grand nombre de têtes ardentes et généreuses. Il est permis de croire que, guidée par sa main habile et toujours étrangère aux conventions, aux mots d'ordre des partis, la révolution se serait accomplie sans appeler à son aide la proscription, le crime et l'échafaud.

Aujourd'hui l'histoire impose un pénible devoir à l'écrivain, celui de juger le comte de Provence comme l'un des plus implacables calomniateurs de Marie-Antoinette. Nous ne reculerons pas effrayé devant la gravité de l'accusation. Il nous répugne, il est vrai, d'attaquer la mémoire d'un souverain qui dota la France d'institutions plus libérales, et consacra les conquêtes politiques de la Révolution. Mais la vérité nous contraint d'enregistrer les révélations que nous fournit l'histoire contre ce prince, de les dérouler aux yeux du lecteur, en un mol, de laver la reine des odieuses imputations de ses ennemis. A la tête de ces ennemis se distingue le comte de Provence. C'est lui qui entreprit. de dépouiller Marie-Antoinette de ce manteau de vertu que ses outrages ont, presque réussi à déchirer en lambeaux. Que le lecteur veuille donc nous prêter une attention soutenue. Dans sa justice, il appréciera tolites les révélations que nous avons à lui faire ici, en reprenant d'un peu haut, et celles que nous développerons dans la suite de cette histoire, à mesure qu'elles se présenteront. Éclairé par nos dépositions, le jury de l'opinion publique prononcera après les avoir entendues. Loin de nous les colères et les indignations déclamatoires de parti, mais nous ne devons pas oublier qu’à l'accusateur quel qu'il soit, l'histoire doit la flétrissure d'un jugement rigoureux, quand ses déclarations ont pour base la calomnie.

Jamais homme n'a su mieux que le comte de Provence se couvrir de tous les masques et parler différents langages. Pendant les premières années du mariage de son frère aîné, il parut vivre assez intimement avec la dauphine, puis se montra respectueux et courtois envers la reine jusqu'a devenir son courtisan et son poète[120]. Il aimait à déployer les grâces de son esprit et la variété de ses connaissances au milieu de la société que s'était formée la princesse. Lorsque pour l'animer d'une manière utile et agréable, on y jouait les bonnes comédies du théâtre français, Monsieur ne dédaignait pas d'accepter un rôle[121]. Mais après les premiers moments, il reprit sa politesse hypocrite et son ambition sournoise. Son unique désir était de prendre une part active au gouvernement, et sous le prétexte de partager le fardeau des affaires avec le roi, il offrit son concours d'homme politique sans pouvoir le faire agréer. A ce sujet de mécontentement qui excita son esprit frondeur et sa mauvaise langue contre les ministres et la reine, se joignit un autre déplaisir. Marie-Antoinette avait prié madame la comtesse de Provence de jouer la comédie à Versailles, et la princesse avait répondu « que cela n'était pas digne de son rang. - Je la joue bien, moi, qui suis reine et fille d'impératrice, » répliqua Marie-Antoinette. « Si je ne suis pas reine, reprit la comtesse, je suis du sang dont on les fait. » Cet échange de paroles avait engendré quelque froideur entre les deux princesses. Monsieur se vengea par quelques sarcasmes de la reine qui ne réprimait pas toujours assez ses habitudes un peu railleuses. Cependant la pique ne fut pas de longue durée, et le comte de Provence voulut célébrer la réconciliation de sa belle-sœur avec son épouse par la plus noble et la plus galante des fêtes en l'honneur du roi et de la reine. Il la donna dans son château de Brunoy, qu'avait rendu fameux le fantasque marquis de ce nom, de la famille des Paris-Duvernay, son ancien possesseur, et qui, autrefois, y avait dépensé dix millions[122]. A cette occasion, le prince déploya une rare magnificence, et lui, dont l'économie allait jusqu'à l'avarice, jeta près de quinze cent mille livres dans les splendeurs de cette fête royale. Ne pouvait-elle pas lui ouvrir les conseils de son frère ? Le prince l'espérait, mais ses espérances furent encore trompées.

Tant que la reine n'eut pas d'enfants, Monsieur garda une réserve prudente et conserva toutes les apparences de l'amitié avec sa belle-sœur, dont il se contentait de calomnier la conduite par de sourdes insinuations. Pendant que Marie-Antoinette se livrait aux plaisirs toujours renaissants à la cour, il affichait tous les dehors de la piété, et se dérobait aux fêtes de Versailles pour aller au Calvaire[123]. Sur la proposition de madame Louise, il acceptait le titre de fondateur du Carmel d'Alençon[124], et assignait à ce couvent une pension de trois mille livres et une coupe annuelle de bois de chauffage. Dès que Monsieur vit la reine appuyer le rétablissement des parlements exilés, et mériter ainsi d'être applaudie par le peuple, il prit une attitude différente et adopta le parti de la résistance à l'opinion[125]. Il peignit dans un mémoire très-curieux les dangers de la monarchie, si les anciens parlements anéantis, humiliés et avides de vengeance, étaient réintégrés dans leurs fonctions[126]. Entrait-il dans sa pensée que la reine touchait à la politique, il devenait plus ombrageux, s'armait du crayon et de la plume, reprenait la caricature et la satire. Alors la reine, ses amis, ses ministres, rien n'échappait à ses amères railleries. Défenseur du régime monarchique absolu, il n'avait point cessé de traverser les opérations de Turgot, et, plus tard, celles du premier ministère de Necker[127].

Enfin, la naissance de madame Royale détruisit les espérances que la longue stérilité de la reine avait données au prince sur l'héritage de la royauté en France. A cette époque, malgré sa profonde dissimulation, il ne put s'empêcher de montrer son dépit. Un incident assez caractéristique prouve qu'il ne craignit pas. de jeter des doutes sur la légitimité de cette enfant. Chargé par le roi de tenir la jeune princesse sur les fonts baptismaux, au nom du roi d'Espagne, il se présenta à l'église, environné d'une suite brillante. Lorsque le curé de Notre-Dame lut il haute voix l'acte de baptême, dressé par le grand aumônier, « Monsieur, dit le comte de Provence, avec un ton sardonique, vous oubliez une des formalités d'usage, vous oubliez de demander quels sont les père et mère de l'enfant[128]. » A ces mots, un sourire cruel erra sur les lèvres de quelques-unes des personnes de la nombreuse assistance, mais l'intention ténébreuse que semblait cacher la plaisanterie souleva une secrète indignation dans le cœur des plus honnêtes.

Trois ans après, les vœux de Louis XVI et de Marie-Antoinette furent couronnés par la naissance d'un second enfant, celle du dauphin. Cet événement avertissait Monsieur de renoncer aux rêves de son obscure ambition[129]. Dès lors, il ne vit plus qu'un obstacle en sa belle-sœur qui devenait tous les jours plus chère au roi, et dont la jeunesse semblait promettre encore une nombreuse postérité ; il donna un libre cours à sa haine. Le bruit fut d'abord répandu parmi le peuple que douze pairs, obéissant aux instigations du comte de Provence, avaient signé une protestation dans laquelle ils attaquaient la légitimité du nouveau prince. Ensuite des libelles, retraçant de monstrueuses amours, des accusations anonymes, des réquisitoires contre la reine, se multiplièrent dans Versailles et Paris[130]. Ils inclinèrent à la défiance l'esprit incertain de Louis XVI ; ils flétrirent la vie et le cœur de Marie-Antoinette, en faisant monter vers elle le mépris public. De quelle plume sortaient ces écrits dégoûtants ? Quelle pensée criminelle les avait inspirés ? Les soupçons planèrent sur quelques personnages de la cour, on accusa surtout un prince dont les plaintes et les railleries avaient, déjà attiré l'attention. Louis XVI ordonna de rechercher et d'arrêter l'auteur de ces calomnies, mais il était si haut placé que le roi, pour éviter un grand scandale, ne consentit point à l'épreuve décisive qui eût révélé le coupable. Depuis ce jour, les courtisans demeurés fidèles à leur souverain, n'osaient s'interroger sur ce pouvoir supérieur à l'autorité royale, qui, du sein de sa mystérieuse obscurité, ne craignait pas de proclamer qu'il fallait poser la couronne sur une tête plus cligne de la porter.

Quel sentiment poussait donc le comte de Provence à désirer une part active dans le gouvernement ? Le sentiment excessif de sa capacité. Il voulait entrer au ministère ; il voulait devenir le chef du Conseil[131]. Autour de lui se groupaient une foule d'ambitieux et de flatteurs, qui sans cesse aiguillonnaient sa soif de régner. Par son opposition aux actes et aux hommes que le roi honorait de sa confiance, il entravait la marche des affaires. Enfin, il ne songeait qu'à écarter de son chemin tout ce qui pouvait lui présenter des obstacles, à faire la solitude autour du trône, à conquérir par tous les moyens quelque influence sur le gouvernement. Ne le voyons-nous pas, après la naissance du duc de Normandie, second fils de Louis XVI, feindre de se rapprocher du roi et de la reine ? Privé de l'espoir d'avoir des enfants, il parlait alors de léguer au nouveau prince ses apanages et sa fortune[132]. Il croyait se concilier par cette conduite politique l'esprit de Marie-Antoinette et arriver enfin à la réalisation de ses vœux. Mais vaine illusion ! Ses ambitieuses espérances avaient été devinées ; il n'obtint rien et ses calomnies continuèrent.

C'est du comte de Provence que vint encore plus tard le nom de madame Déficit donné à la reine de France. On accusa de folles dépenses, de prodigalités excessives, Marie-Antoinette naguère entourée des hommages affectueux de la nation. Tous ces bruits, répandus au sein de la cour par des coteries jalouses, avaient surtout pour auteurs Monsieur et ses nombreux affidés. Dans son désir impatient d'opposition contre le roi, son frère, il se faisait de ces bruits autant d'instruments de popularité et d'influence. Une gravure rare et curieuse, sortie de la main du comte de Provence, nous prouve aussi que ce prince dessinait la caricature, et qu'il savait employer ce talent[133]. Ainsi on lui attribuait le dessin d'un prétendu monstre, trouvé à Santa-Fé de Bogota ; des centaines de moutons, veaux et poulets suffisaient à peine pour assouvir cette bête insatiable ; sa figure était celle d'une femme, sa queue celle d'un serpent, ses pattes, armées de griffes, reproduisaient les 'harpies de la fable. Dans l'imagination ingénieuse et bizarre du comte de Provence, ce monstre était le déficit avec la tête d'une femme, et cette femme était la reine. Nous ne pouvons croire que Monsieur, homme d'un esprit fin et délié, ignorât le mal qu'il faisait par l'odieuse pratique de ces accusations mensongères. C'est donc avec raison que l'histoire lui reproche d'avoir jeté le premier sur Marie-Antoinette ces épithètes déplorables, que des écrivains ont répétées à satiété, sans en connaître l'origine. Quand on eut ainsi détruit le culte de la royauté, le prestige dont elle doit être sans cesse entourée, il ne fut, pas difficile aux anarchistes de conduire la multitude à une révolution par l'émeute et la révolte.

Au nombre des ennemis de la reine, nommons un autre personnage éminent, Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. Dès sa tendre jeunesse, ce premier prince du sang brilla d'un éclat extraordinaire ; il montra de l'esprit, de la bonté, de la douceur, mais aussi une grande faiblesse d'âme. Sa physionomie réunissait l'agrément à la noblesse ; plus tard, la débauche déforma ses traits. Une instruction vaste et solide avait perfectionné en lui une éducation que tous ses contemporains s'accordaient à trouver digne de sa naissance. Mais, fils d'un père indulgent et affectueux, il connut trop tôt la plus entière indépendance, partagea assidûment les plaisirs du comte d'Artois, et se livra bientôt à la société d'hommes perclus de réputation et de mœurs. Comme la plupart de ses familiers, il devint immoral et crapuleux et s'oublia dans une dépravation qui aurait fait rougir la régence elle-même ; aussi avec de l'aptitude à tout, ne sut-il s'appliquer à rien. Nommé duc de Chartres en 1769, il épousa la vertueuse et incomparable fille du duc de Penthièvre, prince que sa bienveillance avait rendu populaire. Instruit, spirituel, il maniait habilement l'ironie ; sa gaieté s'exerçait néanmoins sans méchanceté. On a dit de Louis-Philippe-Joseph qu'il était par amour propre trop circonspect, avare dans les petites choses, généreux dans les grandes. Il ne put jamais vaincre son extrême timidité pour parler en public, et dès qu'il sortait des habitudes ordinaires de sa vie, il montrait le plus grand embarras. Dans de fréquents voyages en Angleterre, il s'associait aux scandaleux plaisirs du prince de Galles, son ami. Louis XVI détestait les modes et les usages des Anglais ; le duc d'Orléans le savait et cependant il les avait adoptés avec une sorte de fureur. Il avait aussi importé de Londres le goût de la liberté, les habitudes d'insolence contre la cour et quelques idées politiques pour lesquelles le roi manifestait un profond mépris. Ainsi le prince aimait l'opposition, mais il l'aimait pour les émotions nouvelles qu'elle lui causait et parce que la cour le refoulait dans l'isolement.

S'il fallait ajouter foi au récit de quelques historiens, le duc d'Orléans avait osé élever jusqu'à la femme qu'il aurait dû le plus respecter, des vœux rejetés avec dédain, et il avait fait le serment de se venger. De tous les princes du sang, il avait conservé le plus de rancune des prétentions qu'avait jadis affichées à Versailles l'archiduc Maximilien. Mais son ressentiment était surtout excité par la manière dont sa valeur avait été mise en doute après la bataille d'Ouessant, par l'injurieux refus de la place de grand amiral qu'avait possédée son beau-père, par l'idée que la reine avait repoussé le projet de mariage d'un de ses fils avec Madame première[134]. On assure que Louis XVI, dès le commencement de son règne, avait montré pour le duc un éloignement invincible et que la conduite du roi avait forcé Marie-Antoinette, d'abord favorable au prince du sang, à ne plus l'admettre dans sa familiarité. Entouré d'hommes pervers auxquels il offrait un point de ralliement, et dont les conseils lui devinrent funestes, Louis-Philippe-Joseph se laissa persuader que, dans ses sentiments, le monarque obéissait aux sentiments de son épouse, et que, dans ses injures, le public obéissait encore aux injures de la reine. Depuis ce jour, plus de trêve à sa haine. Le prince saisit avec empressement toutes les occasions de blâmer les démarches de la reine et de jeter le ridicule sur elle et sur les membres de la société Polignac, devenue la société particulière de Marie-Antoinette. A croire le duc et ses amis, c'était la reine qui était coupable de tous ses affronts ; c'était la reine qui' encourageait les pamphlets et les satires des Parisiens contre lui après le combat naval d'Ouessant. Pour satisfaire sa haine, il eut au fond de son Palais-Royal, à l'exemple du comte de Provence, une imprimerie clandestine. De cet atelier d'impostures quotidiennes s'échappèrent et se répandirent dans le royaume des libelles qui envenimèrent les actes, les pensées et les plaisirs de la femme dont il voulait punir les dédains. Le prince, à l'époque de la seconde grossesse de Marie-Antoinette, osa lui dire « qu'il voyait bien qu'elle était aussi mauvaise-épouse que souveraine, » et, dans son insolence, l'odieux calomniateur jura que l'enfant de Coigny ne serait jamais son roi[135]. Ajoutons, pour achever de le faire connaître, que ce prince ne ménageait pas davantage Louis XVI. Aussi les ennemis de Louis-Philippe-Joseph, qui n'avait cependant rien de ce qui subjugue les sentiments d'une nation, prétendaient-ils qu'il voulait mettre son importance politique au service des projets les plus coupables. Ils donnaient sans doute à sa haine contre Marie-Antoinette et à son ambition plus de suite qu'elles n'en avaient. Nous pensons avec le comte de La Marck que c'est dans la faiblesse et. la timidité de ce prince qu'il faut chercher la véritable explication de sa conduite.

L'appréciation impartiale que de persévérantes recherches nous ont permis d'aborder dans ce chapitre, suffit sans doute pour nous convaincre de l'innocence de Marie-Antoinette, de la reine martyre, trop longtemps déshonorée par les outrages de la haine. Nous avons obéi à un devoir de la conscience en nous efforçant de rendre à cette grande et noble figure la pureté et l'éclat que de honteux pamphlétaires n'ont pas craint de souiller ; en arrachant à l'infamie la mémoire de cette reine, d'abord si populaire par son angélique beauté, par les charmes de son esprit. et par ses aimables vertus, en faisant connaître la vraie Marie-Antoinette, non celle que les injures et les calomnies des Brissot de Varville, des Soulavie et de leurs élèves ont défigurée, mais la Marie-Antoinette de l'histoire honnête et impartiale. Ami sincère de la vérité, indiscret par respect et sans avoir l'intention de nous poser en courtisan du malheur des rois, nous avons osé remuer la fange impure du bourbier d'où ces calomnies ont été tirées ; nous y avons trouvé la nombreuse liste des favoris de la reine, et discuté un à un les principaux noms de cette liste, chef-d'œuvre de l'insolente imagination de quelques écrivains orduriers. Le récit des événements qui, dans les volumes suivants, passeront sous les yeux du lecteur, fera encore mieux ressortir l'incapacité de Louis XVI, roi trop débonnaire pour affronter une révolution pleine de tempêtes ; les vertus et l'héroïsme de la digne fille de Marie-Thérèse d'Autriche qui, s'élevant à mesure que les circonstances deviendront plus imposantes et plus critiques, se trouvera toujours en proportion avec elles par son courage et son dévouement au roi[136], et ne faillira à aucun de ses titres de reine, d'épouse et de mère ; enfin, l'ambitieuse hypocrisie et les coupables espérances du comte de Provence, sur lequel il nous reste encore à faire d'affligeantes révélations.

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] Un léger défaut dans l'organisation physique de Louis XVI avait laissé peu d'espérance, pendant les premières années de son mariage, de lui voir un héritier au trône. Les médecins n'y remédièrent qu'au bout de huit ans. « Vers les derniers mois de l'année 1777, dit madame Campan, la reine, un matin, s'avança vers moi et me présenta sa main à baiser en me disant : Je veux recevoir vos compliments, je suis reine de France. A partir de ce moment heureux, si longtemps attendu, l'attachement du roi pour la reine prit tout le caractère de l'amour. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. 185-186.)

« Louis XVI était né bien constitué. Son organisation physique était si parfaite, que peu d'hommes ont eu, sous son règne, la force robuste qu'il se plaisait à laisser voir.

« Une légère imperfection contrariait néanmoins l'état de ce prince venu au mariage. Sa pudeur excessive l'empêcha longtemps de confier une pareille circonstance à ses médecins. Il fallut que son confesseur le lui ordonnât. Il parla ingénument. Alors une rapide et sûre opération consola la nature, et le jeune successeur de Henri IV vit, à son tour, naître ses successeurs. » (M. Lafont d'Aussonne, Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France, chap. IV, p. 15.)

[2] Une feuille encyclopédique de l'époque contient l'article suivant :

« 21 février 1776. — Les exécrables complots sur la reine, quoique détestés par tous les bons Français, se recherchent cependant par les amateurs d'anecdotes et se répandent peu à peu ; on les lit en maudissant l'auteur sacrilège de tant de calomnies. Ils sont au nombre de vingt-quatre, sur l'air Lerela, lere, lenlaire. On y suppose que le marquis de Louvois, héritier de son père, pour la méchanceté, mais non de son talent pour la bonne et piquante épigramme, est auteur de la chanson sur la cour, qui a paru précédemment. Celui dont il est question, se pique de le surpasser et de prendre un vol plus téméraire ; il agite ensuite ires-indiscrètement la question sur la virilité du jeune monarque, sur son aptitude à donner des héritiers au trône, et après avoir détaillé les diverses causes de l'impuissance imaginées par les courtisans, il la décide négativement, mais non sans ressource ; il plaisante sur le goût puce introduit à la cour ; il travestit criminellement l'amitié de la reine pour madame la princesse de Lamballe, et par une supposition plus coupable encore, accrédite d'autres bruits plus affreux ; il va jusqu'à rapporter une lettre prétendue de l'auguste mère de cette princesse, qui lui donnerait à cet égard les conseils dictés par une politique vraiment infernale.

« Quelques jours avant la naissance de Madame, on jeta dans l'Œil-de-Bœuf un volume entier de chansons manuscrites sur elle et sur toutes les femmes remarquables par leur rang ou leurs places... Le roi voulait que l'auteur de ces infâmies feu recherché, découvert et châtié. Quinze jours après, on savait publiquement que les couplets étaient de M. Champcenetz de Riquebourg, qui ne fut pas même inquiété. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VIII, p. 199.)

[3] Le comte Horace de Viel-Castel, Marie-Antoinette et la révolution française, p. 92-93 ; Paris, J. Techener, libraire, 1859.

[4] Lafont d'Aussonne, chap. VIII, p. 26-30.

[5] Saint-Marc Girardin, Souvenirs et réflexions politiques d'un journaliste, IIIe partie, p. 375.

[6] « Je ne connais pas de plus singulier et de plus terrible exemple de la transformation que la bêtise et la malignité populaires font subir aux mots même les plus innocents, aux plaisanteries même les plus insignifiantes, que la déposition de Renée Millot, dans ce lamentable procès de la Reine, où je cherche à dessein la trace des médisances et des conversations de Versailles. « Renée Millot, fille domestique, dépose qu'en 1788, se trouvant de service au grand commun, à Versailles, elle avait pris sur elle de demander au ci-devant comte de Coigny, qu'elle voyait un jour de bonne humeur : Est-ce que l'Empereur continuera toujours à faire la guerre aux Turcs ? Mais, mon Dieu ! cela ruinera la France par le grand nombre de fonds que la Reine fait passer pour cet effet à son frère et qui, en ce moment, doivent au moins se monter à deux cents millions. —Tu ne te trompes pas, lui dit-il, oui, il en coûte déjà plus de deux cents millions, et nous ne sommes pas au bout ! » Qui ne voit d'ici la scène du grand commun en 1788 ? Le comte de Coigny en belle humeur, une petite fille qui se met à lui parler politique et qui sait exactement combien de millions la reine a fait passer en Autriche, ce qui redouble la bonne humeur du comte et ce qui lui fait répondre, avec un ton de persiflage que la pauvre sotte ne comprend pas : « Oui, deux cents millions, et nous ne sommes pas au bout ! » — Voilà la scène de 1788 ; voyez ce qu'elle est devenue en 1793 ! (Saint-Marc Girardin, Souvenirs et réflexions politiques d'un journaliste, IIIe partie, p. 375-376.)

[7] « En parlant ici d'étiquette, je ne veux pas designer, dit madame Campan, cet ordre majestueux établi dans toutes les cours, pour les jours de cérémonies. Je parle de cette règle minutieuse qui poursuivait nos rois dans leur intérieur le plus secret, dans leurs heureux jours de souffrances, dans celles de leurs plaisirs, et jusque dans leurs infirmités humaines les plus rebutantes. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. IV, p. 98.)

[8] « Madame la comtesse de Noailles connaissait parfaitement l'étiquette, mais elle en fatiguait la jeune princesse sans lui en démontrer l'importance. Toutes ces formes étaient gênantes à la vérité, mais elles avaient été calculées sur la nécessité de présenter aux Français tout ce qui peut leur commander le respect, et surtout de garantir une jeune princesse par un entourage imposant, des traits mortels de la calomnie. » (Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. III, p. 50-51.)

[9] Madame Campan, Mémoires, t. Ier.

[10] « Toutes les fautes de Marie-Antoinette sont du genre de celles que je viens de détailler. La volonté de substituer successivement la simplicité des usages de Vienne à ceux de Versailles lui fat plus nuisible qu'elle n'aurait pu l'imaginer. » (Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. IV, p. 102.)

[11] Correspondance secrète de la cour pendant le règne de Louis XVI, p. 99.

[12] « Les règles serviles de l'étiquette étaient érigées en espèce de code ; elles portaient un Richelieu, un La Rochefoucauld, un Duras, à trouver, dans l'exercice de leurs fonctions domestiques, l'occasion de rapprochements utiles à leur fortune ; et, pour ménager leur vanité, ils aimaient des usages qui convertissaient en honorables prérogatives le droit de donner un verre d'eau, de passer une chemise et de retirer un bassin. » Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. IV, p. 99.)

[13] 27 novembre 1774. - « La reine a couru ces jours derniers un grand danger dont le souvenir fait frémir encore. Cette princesse aime beaucoup à se promener en traîneau sur la glace, genre de plaisir usité surtout chez les nations du nord, à raison du climat et même de la nécessité. Sa Majesté, profitant de la circonstance de la situation rigoureuse pour se livrer à cet exercice, auquel elle avait commencé à se former à Vienne, l'écuyer qui la conduisait ayant tombé et les chevaux qui, déjà très-vifs, ne sentaient plus les guides, commençaient à prendre le mors aux dents, lorsque la reine, alerte et légère, a ressaisi les rênes avec beaucoup de dextérité et s'est rendue maîtresse des coursiers, jusqu'à ce qu'elle ait pu avoir du secours. Revenus de leur frayeur, les spectateurs ont admiré la présence d'esprit, le sang-froid et le courage de Sa Majesté. » (Gazette secrète.)

[14] « Personne n'imagina que l'on eût rien à blâmer dans un amusement aussi innocent. Mais on fut tenté d'étendre les courses et de les conduire jusqu'aux Champs-Élysées ; quelques traîneaux traversèrent même les boulevards : le masque couvrant le visage des femmes, on ne manqua pas de dire que la reine avait couru les rues de Paris en traîneau. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VI, p. 131.)

[15] Madame Campan, Mémoires, t. 1, chap. IV, p. 92-93.

[16] Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. VIII. p. I.93-195. — L'abbé Soulavie, auteur des Mémoires historiques et politiques de Louis XVI, dans lesquels il entasse les calomnies contre Marie-Antoinette, dénature le dernier de ces faits de la manière la plus criminelle. « Un beau garde-du-corps, de qui je tiens l'anecdote, écrit-il, osa concevoir des espérances. Il voit la reine, l'accoste, et d'un ton décidé, il lui dit : Madame, pardonnez à mon égarement, mais ou..... ou mourir. La reine, sans se déconcerter lui répond : ni l'un ni l'autre, monsieur. Elle le fit suivre, et lui procura de l'avancement. » (Voir l'ouvrage cité, t. VI, chap. VII, p. 50.) Ce prêtre défroqué, cet infatigable collectionneur de mensonges répandus dans les rues de la capitale par les ennemis de Marie-Antoinette, peut-il offrir, lorsqu'il s'agit de l'honneur de cette princesse, un témoignage de quelque autorité à -l'écrivain qui se respecte ?

[17] Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. VIII, p. 104. — A ce témoignage véridique, nous pouvons ajouter celui du prince de Ligne qui parle ainsi de ces promenades : « C'est de même qu'on nous a gâté nos charmantes et innocentes nuits de la terrasse de Versailles, qui avaient l'air de bals d'Opéra. Nous écoutions des conversations, nous faisions et essuyions des méprises. Je donnais le bras à la reine, et elle était d'une gaîté charmante. Bien des raisons et des méchancetés firent tomber ce passe-temps, car apparemment qu'il est dit qu'on ne peut jamais s'amuser à la cour. » (Prince de Ligne, Mémoires inédits publiés par la Revue nouvelle du 1er février 1847.)

[18] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VIII, p. 200. « Il est donc présumable, lorsque le premier ministre avait osé trouver en présence du roi, quelque avantage à laisser la reine se déconsidérer, que lui et M. de Vergennes se servaient de tous les moyens qui sont au pouvoir des ministres puissants, et profitaient des plus légères fautes de cette malheureuse princesse pour la perdre dans l'opinion publique. » (Id., p. 200).

L'abbé, Soulavie, qu'il est rare de trouver d'accord avec madame Campan, confirme le jugement porté par elle dans cette circonstance sur la conduite si coupable de Maurepas. « On a su, dit cet écrivain, qu'en 1774, 1775 et 1776, M. de Maurepas excitait, entre Louis XVI et son épouse des rixes particulières qui avaient pour prétexte la conduite trop peu mesurée de la reine. M. de Maurepas avait le goût de se mêler des affaires de famille entre maris et femmes. Les intermédiaires dont il se servit portèrent à la reine le plus grand préjudice. »

[19] M. de Bacourt, Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, t. I, p. 31. — « Au bal, elle aimait mieux un danseur élégant et bien tourné qu'un danseur gauche et embarrassé. Quoi de plus naturel ? La reine ne songeait pas à cacher son goût et sa préférence à ce sujet parce que c'est le privilége des âmes honnêtes, hommes ou femmes, d'avoir des goûts qui ne deviennent pas des passions, et de ne pas les cacher. » (Saint-Marc Girardin, Souvenirs et réflexions politiques d'un journaliste, IIIe partie, p. 372.)

[20] « Nous eûmes des bals de la Saint-Martin à la salle de la comédie de Versailles, où il n'y avait que la famille royale et la troupe de mademoiselle Montausier. On trouva que c'était trop bonne et trop mauvaise compagnie, quoiqu'il y eût pourtant avec nous tout ce qui composait la maison du roi et des princes. Un masque adressa des vers à la reine. Ce qui n'était pas une histoire en fit une. Voilà encore ce plaisir réformé. » (Prince de Ligne, Mémoires inédits publiés par la Revue nouvelle, n° du 1er février 1817.)

[21] « La reine, pour n'être pas reconnue, ce qu’elle était toujours pour nous, et même pour les Français qui la voyaient le moins, s'adressait aux étrangers pour les intriguer. De là mille histoires et mille amants anglais, russes, suédois, polonais. » (Prince de Ligne, Mémoires inédits publiés par la Revue nouvelle, n° du 1er février

Un écrit du temps rapporte l'anecdote suivante : « On chuchote une aventure arrivée au bal que le comte de Viry a donné ; la voici : après le banquet, la reine s'était retirée avec sa suite et était rentrée, peu de temps après, masquée dans le bal. Sur les trois heures du matin, elle se promenait avec la duchesse de la Vauguyon ; ces deux masques furent accostés par un jeune seigneur étranger qui était démasqué et qui leur parla longtemps, les prenant pour deux femmes de qualité de sa connaissance. La méprise donna lieu à une conversation singulière qui amusa d'autant plus Sa Majesté, que les propos furent légers, agréables sans être indiscrets. Deux hommes masqués survinrent, se mirent de la partie ; après avoir beaucoup ri on se sépara. Les deux femmes témoignèrent le désir de se retirer ; le baron allemand les conduisit ; un carrosse de remise fort simple se présenta : quand il fut question de monter, madame de La Vauguyon se démasqua. Jugez de la surprise de l'étranger et comme elle augmenta quand, en se retournant, il reconnut également la personne qui venait de se démasquer : le respect et une sorte de confusion succédèrent à la familiarité. L'affabilité de la charmante princesse rassura pourtant l'étranger qui, d'ailleurs, avait eu précédemment l'avantage de faire sa cour à Sa Majesté et d'en être connu. Les plaisanteries qu'il avait à se reprocher sont celles que le masque autorise, surtout en France. La reine le quitta en lui recommandant le secret. Il aura gardé le secret, sans doute, mais bien inutilement, puisque deux ou trois spectateurs, qui se trouvaient là par hasard, n'ont pas eu la même discrétion. Au reste, l'étranger, bien fait, aimable, d'une naissance élevée, méritait bien la faveur qu'il a reçue du sort. Quelques jours après, s'étant trouvé sur le passage de la reine, elle lui demanda s'il avait gardé son secret, d'un ton qui peut faire croire qu'elle n'y attachait point la moindre importance. » (Correspondance de la cour : règne de Louis XVI.)

[22] « Le roi ne trouva d'aimable dans le bal que les pierrots et les arlequins ; ce que la famille royale s'amusait souvent à lui reprocher. » (Madame Campan, Mémoires, chap. VII, p. 164-165.)

[23] L'abbé Baudeau, Chronique secrète de Paris sous Louis XVI, 1774, dans la Revue rétrospective, t. III, p. 66.

[24] F. Feuillet de Conches, Causeries d'un curieux, t. II, p. 266.

[25] « La reine ne permit aucune augmentation dans le bâtiment et aucun changement dans le mobilier devenu très-mesquin, et qui existait encore en 1789, tel qu'il était sous Louis XV. Tout fut conservé sans exception. (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. V, p. 110.)

[26] Lafont d'Aussonne. chap. VIII, p. 33-34. « Trianon est certainement un lieu enchanteur, mais bien des jardins de particuliers ont coûté plus cher, ainsi : la Folie-Boutin, la Folie-Saint-James, la Folie-Beaujon, le parc de Brunoy, que sais-je ? On n'en a pas moins accusé la reine de dépenser les deniers du royaume en inventions insensées. Tout cela parce qu'elle a fait un hameau suisse ! N'est-ce pas une fantaisie exorbitante, en effet pour la reine de France !!! Ah ! l'envie est toujours cruelle ; le secret de bien des colères est là. » (La baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. Ier, chap. XIII, p. 374.)

[27] Voir la note 12 à la fin du volume.

[28] Extrait d'un manuscrit de M. Charles Bonnefoy du Plan, baron de Charmel, employé au service de la reine Marie-Leczinska, depuis intendant de Trianon, et, le 9 avril 1789, secrétaire de Louis XVI. M. Charles de Bonnefoy est décédé, à Paris, le 29 mars 1824, à l'âge de 94 ans. Son manuscrit, que son petits-fils M. de Bonnefoy des Aulnais, conseiller à la cour impériale de Paris, a bien voulu nous communiquer, se compose d'environ huit pages. Un écrivain distingué, M. de Lescure, doit le publier in extenso dans un ouvrage intitulé : La vraie Marie-Antoinette.

[29] Lettre communiquée par M. de Bonnefoy des Aulnais.

[30] Lettre communiquée par M. de Bonnefoy des Aulnais.

[31] « Une robe de percale blanche, un fichu de gaze, un chapeau de paille étaient les seules parures des princesses. » (Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. IX, p. 227.)

[32] Madame Simon Viennot, Marie-Antoinette devant le dix-neuvième siècle, t. Ier, chap. X, p. 486.

[33] Lafont d'Aussonne, chap. VIII, p. 33-35.

[34] « Le marquis de Villette supplia la reine de prendre sous sa protection bienveillante l'auteur de la L’enriade, poème des Bourbons, et il communiqua à cette princesse une manière d'élégie, où l'Ovide français exprimait aussi, en beaux vers, les amertumes de l'exil et le touchant souhait de revoir, avant sa mort la terre natale. Marie-Antoinette promit son intervention, et Paris eut bientôt la joie de contempler enfin celui qui, depuis soixante ans, occupait l'attention de la renommée et du monde. » (Lafont d'Aussonne, chap. XI, p. 45.)

[35] « On sait qu'après le succès de Mustapha, la reine voulut bien faire venir M. de Chamfort dans sa loge, et lui annoncer, la première, que le roi venait de lui accorder une pension de douze cents livres sur les Menus. On sait que Sa Majesté lui dit tout ce qui pouvait augmenter le prix de cette grâce. « Racontez-nous donc, lui demanda un seigneur de la cour, toutes les choses flatteuses que la reine vous a dites. — Je ne pourrai jamais, répondit le poète, je ne pourrai jamais ni les oublier ni les répéter... » (Grimm, cité dans les Mémoires de Weber, t. I, chap. II, p. 491.)

[36] « Piccini était la mélodie et la suavité ; Gluck l'harmonie et la puissance. » (Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. 2, chap. XXXV, p. 347)

[37] Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. II, chap. XXXV, p. 347.

[38] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VII, p. 152-153.

[39] Grimm, Correspondance, t. III.

[40] « Le petit théâtre de Trianon est un bijou ; il y a une décoration de diamants dont l'éclat éblouit les yeux. » (Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t, I, chap. p. 272.)

[41] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. IX, p. 228-231.

[42] « L'opéra des petits appartements de Versailles, où chantait et dansait en 1748, la marquise de Pompadour avec les dames de la reine, avait eu aussi ses affiches imprimées en or. » (F. Feuillet de Conches, Causeries d'un curieux, t. II, p. 171.)

[43] Ces représentations dans lesquelles Marie-Antoinette, payant le tribut à la folie du temps, se plaisait à prendre un rôle, ont été censurées plus d'une fois. Montjoie, lui-même, adresse à la reine, sur ce sujet, des reproches presque sévères, et fait des observations qui nous semblent peu fondées. « Autrefois, dit-il, un simple gentilhomme eût été déshonoré, si l'on eût su qu'il s'était métamorphosé en comédien, même dans l'intérieur d'une maison. La reine ayant détruit par son exemple ce préjugé salutaire, le chef même de la magistrature oubliant la gravité de sa place, apprit par cœur et joua des rôles bouffons. » Il ne faut pas oublier, en effet, que le goût des représentations de société était devenu d'une mode générale en France avant l'avènement de Louis XVI au trône. Grimm, nous l'avons déjà vu, affirme qu'il passa des châteaux de la province à la corn, et madame Campan se trouve aussi d'accord avec lui, ainsi que le prouve un passage de ses Mémoires, t. I, chap. IX, p. 228 : « L'idée de jouer la comédie, comme on le faisait alors dans presque toutes les campagnes, suivit celle qu'avait eue la reine, de vivre à Trianon, dépouillée de toute représentation. » Rappelons-nous encore que Louis XIV, ce roi si rempli du sentiment de sa dignité et de la grandeur de l'État, n'avait pas dédaigné de figurer dans un ballet et de jouer la comédie. En se livrant à cet agréable divertissement, il n'avait point altéré le respect qu'il imposait à ses sujets. Les Mémoires, pour servir à l'histoire de Voltaire (Amsterdam, 1785), nous apprennent qu'en 4781, la Ceinture magique, de J. -B. Rousseau, fut représentée par les princes du sang, devant la comtesse de Bourgogne. Voltaire lui-même, (Siècle de Louis XIV, chap. XXVII), nous donne des détails plus positifs encore sur ces représentations. « On éleva, dit-il, un petit théâtre dans l'appartement de madame de Maintenon. La duchesse de Bourgogne, le duc d'Orléans y jouaient avec les personnes de la cour qui avaient le plus de talent. Le fameux acteur Baron leur donnait des leçons et jouait avec eux ; la plupart des tragédies de Duché furent composées pour ce théâtre, et l'abbé Genest, aumônier de la duchesse d'Orléans, en faisait pour la duchesse du Maine, que cette princesse et sa cour représentaient. » Jeune et belle, amie des arts qu'elle cultivait avec succès, Marie-Antoinette pouvait bien se croire permis un divertissement que tolérait la rigide madame de Maintenon dans la cour des dernières années de Louis XIV.

[44] Lafont d'Aussonne, chap. VIII, p. 35.

[45] « M. le duc de Penthièvre, fils du comte de Toulouse et petit-fils de Louis XIV, est certainement l'homme le plus parfait qu'il y ait sur la terre. Il vit à Sceaux, dans une retraite enchantée, loin de la cour, loin des intrigues. Il ne s'est jamais consolé et ne se consolera jamais de la mort de M. le prince de Lamballe, son fils unique. C'est une douleur que rien ne peut rendre ni effacer. » (Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. I, chap. VIII, p. 256.).

[46] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. XI, p. 132-433. — Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, t. I, liv. IV, p. 141 ; Paris, M DCCXCVII.

[47] Après avoir tracé le caractère de madame de Polignac, la baronne d'Oberkirch ajoute : « J'aime son esprit sans prétention. Beaucoup assurent qu'elle n'en a aucun. Il faut bien lui faire payer sa faveur par des calomnies ou des injures. »

[48] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VI, p. 138-142. — Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. I, chap. XV, p. 301. — Besenval, Mémoires, t. I, p. 333. — Madame de Genlis, Mémoires, t. II, 1825. — La comtesse Diane de Polignac, Mémoires sur la vie et le caractère de madame la duchesse de Polignac, Hambourg, 1796. — Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, t. I, liv. IV, p. 142-144.

[49] Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. I, chap. XII, p. 237.

[50] Madame Élisabeth, ayant pris la fuite à Saint-Cyr, pour se soustraire à la tyrannie de sa darne d'honneur, le roi alla conjurer sa sœur de revenir, de patienter et de souffrir la comtesse Diane. (Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, t. VI, p. 31.)

[51] Madame Campan, Mémoires, t, I, chap. VI, p. 140.

[52] « Le marquis de Vaudreuil régnait dans la société du comte et de la comtesse Jules ; c'était un homme brillant, ami et protecteur des beaux-arts. Parmi les gens de lettres et les artistes célèbres, il avait une nombreuse clientèle. »

[53] « Le baron de Besenval avait conservé la simplicité des Suisses et acquis toute la finesse d'un courtisan français. Cinquante ans révolus, des cheveux blanchis lui faisaient obtenir cette confiance que l'âge mûr inspire aux femmes, quoiqu'il n'eût pas cessé de viser aux aventures galantes ; il parlait de ses montagnes avec enthousiasme ; il eût volontiers chanté le Ranz-des-vaches avec les larmes aux yeux. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VI, p. 145-146.)

[54] « Je n'ai jamais vu la reine lui faire des présents d'une valeur réelle ; je fus frappée même d'entendre un jour Sa Majesté raconter avec plaisir que la comtesse avait gagné dix mille francs à la loterie ; elle en avait, ajoutait la reine, un très-grand besoin. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VI, p. 144.)

[55] « La comtesse Diane, plus occupée de littérature que sa belle-sœur, l'invitait un jour à lire l'Iliade et l'Odyssée. La comtesse répondit en riant qu'elle connaissait parfaitement le poste grec et s'en tenait à ces mots :

Homère était aveugle et jouait du hautbois.

» Cette répartie vive et gaie de madame la duchesse de Polignac, ajoutent les éditeurs des mémoires cités, est une imitation plaisante d'un vers (lu Mercure galant. Un des procureurs dit à son confrère dans la scène de la dispute :

Ton père était aveugle et jouait du hautbois. »

[56] Weber, Mémoires, t. I, chap. III, p. 294. - Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, t. I. livre IV, p. 146.

[57] Correspondance secrète, par Metra, vol. VII.

[58] « La duchesse de Civrac, darne d'honneur de madame Victoire, avait eu la promesse de cette place pour le duc de Lorges, son fils. Le nombre des familles mécontentes s'augmentait à la cour. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. IX, p. 209).

[59] C'est une lettre inédite de Louis XVI, lettre sans date, adressée au ministre de la guerre, qui nous fait connaître cette circonstance. La voici :

« J'ai oublié totalement, au Conseil, que la reine m'avait demandé le comte de Grammont pour colonel de son régiment d'infanterie, à la place de M. de la Ricoière. Vous n'avez qu'à lui en expédier le brevet en conséquence.

» LOUIS. »

[60] Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, etc., t. I, liv. IV, p. 146. — Weber, Mémoires, t. I, chap. III, p. 296. — La comtesse Diane de Polignac, Mémoires, Hambourg, 1796.

[61] Mémoires de la république des lettres, vol. XIV. — Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, t. I, liv. IV, p. 152.

[62] Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. II, chap. XX, p. 2.

[63] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. IX, p. 220.

[64] Le baron de Besenval, Mémoires.

[65] Weber, Mémoires, t. I, chap. III, p, 297. — Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, etc., t. I, liv. IV, p.148. « On ne peut, ajoute Montjoie, se faire une idée de ce que madame de Polignac eut à souffrir dans l'exercice de cette place ; ce n'était pas de ses journées entières dont elle faisait le sacrifice, il ne se passait pas une nuit où elle ne fût réveillée soit par l'inquiétude, soit par les cris douloureux du jeune dauphin, qui eut toujours une santé languissante. »

[66] Madame la baronne d'Oberkirch, t. II, chap. XX, p. 2.

[67] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. X, p. 264. « Ce n'est pas, ajoute l'écrivain, que la reine eût à reprocher à, madame de Polignac un seul défaut qui pût lui faire regretter le choix qu'elle en avait fait comme amie, niais elle n'avait pas prévu l'inconvénient d'avoir à supporter les amis de ses amis, et la société y contraint. »

[68] Saint-Marc Girardin, Souvenirs et réflexions politiques d'un journaliste, IIIe partie, p. 371-372.)

[69] Ad. de Bacourt, Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, etc., etc., t. I, p. 60-61. « H faut le reconnaître, ajoute le comte de la Marck, l'infortunée Marie-Antoinette a trouvé de bien dangereux ennemis parmi ceux qui auraient dû être ses serviteurs les plus dévoués et les plus reconnaissants. Ils ont été d'autant plus dangereux que ce sont eux qui ont livré à la malignité publique d'odieuses calomnies, qui sont retombées si cruellement sur la tête de cette malheureuse princesse dès le début de la révolution française. Et c'est dans les méchancetés et les mensonges répandus de 1785 à 1788 par la cour contre la reine, qu'il faut aller chercher les prétextes des accusations du tribunal révolutionnaire, en 1793, contre la reine. »

[70] C'est là une légèreté que la reine se reprocha plus tard, ainsi que le raconte madame Campan dans le passage suivant : « Sa Majesté, continuant à me parler des inconvénients qu'elle avait rencontrés dans la vie privée, me dit que les ambitieux sans mérite trouvaient là des moyens de tirer parti de leurs importunités, et qu'elle avait à se reprocher d'avoir fait nommer M. d'Adhémar à l'ambassade de Londres, uniquement parce qu'il l'excédât chez la duchesse. Elle ajouta cependant à celte espèce de confession, qu'on était en pleine paix avec les Anglais ; que le ministre connaissait aussi bien qu'elle la nullité de M. d'Adhemar, et qu'il ne pouvait faire ni bien ni mal. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. X, p. 265.)

[71] « Et cependant elle sortit de la cour sans fortune et ne put même rassembler qu'avec peine les moyens de payer les frais de route pour son émigration et celle de sa famille. » (Weber, Mémoires, t. I, chap. III, p. 299.)

[72] Confession et repentir de madame de P***, ou la nouvelle Madeleine convertie, 1789. « On m'a demandé plusieurs fois si j'avais lu ces libelles ; et qui malheureusement ne les a pas lus ? Mais j'ai demandé à mon tour que ceux qui les avaient écrits voulussent les avouer et me communiquer leurs preuves, on ne m'a jamais répondu. J'ai entretenu des personnes sages qui connaissaient très-particulièrement le duc et la duchesse de Polignac, elles m'ont paru convaincues que les auteurs de ces libelles étaient de vils calomniateurs, soudoyés par les ennemis du roi et de la reine. J'ai interrogé des domestiques même de la duchesse dans un temps où ils n'avaient plus rien à espérer de leur maîtresse, et les réponses qui m'ont été faites m'ont prouvé qu'elle était aimée de tous ses gens, et que dans l'intérieur de sa famille elle menait une vie très-décente, très-régulière.

« Enfin, je n'ai encore rencontré personne qui m'ait dit avoir reçu du duc ou de la duchesse de Polignac la plus légère offense. Ayant donc à me décider entre des accusations graves, mais dénuées de toute espèce de preuves, et des faits incontestables, j'ai dû m'arrêter seulement à ceux-ci, ma qualité d'historien ne me permettait pas une autre marche. » (Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, t. I, liv. IV, page 153.)

[73] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, etc., t. IV, chap. IV, p. 30.

[74] « La Dubarry étonna l'univers, les ruelles et les carrefours de Paris, par sa crapuleuse débauche ; la publicité qu’elle y mit n'eut d'autres bornes que celles des choses possibles. Même débauche dans Marie-Antoinette, même effervescence de passions ; hommes, femmes, tout est à son gré, tout lui convient, et sa maladresse, ainsi que son étourderie, donnent involontairement à sa conduite la publicité que la première cherchait par état. Ces deux femmes célèbres se ressemblèrent encore dans l'art d'avilir celui qu'elles devaient faire respecter. Louis XV fut, jusqu'à sa mort, la dupe la plus complète de la Dubarry qui, sans aucuns égards, faisait partager sa couche avec le premier valet comme avec le premier des courtisans. Louis XVI est également trompé et avili par sa femme, sans avoir l'air d'imaginer seulement que cela puisse être. » (Brissot de Varville, Essai historique sur la vie de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre, rédigé sur plusieurs manuscrits de sa main, Versailles, 1789, t. 1, p. 2). Cet abominable pamphlet de Brissot de Varville, en deux volumes, est postérieur à l'époque qui nous occupe, mais l'auteur avoue lui-même que son ouvrage n'est que la reproduction d'une publication antécédente, portant pour titre : Les Passe-temps d'Antoinette.

[75] Le prince de Ligne, Mémoires, p. 68. Bruxelles, 1860, 1 vol. in-12. — Le comte de Tilly, Mémoires, t. II, chap. XVII, p. 115-116, édit. in-8°. Paris, 1830, librairie de Charles Heideloff. — A. de Bacourt, introduction à la Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Mark.

[76] Liste civile, 1792. Trois numéros.

[77] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VII, p. 171.

[78] Amédée Renée, Louis XVI et sa cour, chap. IV, p. 251. — Henri Martin, Histoire de France, t. XIX, chap. III, p. 402.

[79] « Si la reine avait parlé à la chasse ou au jeu à MM. Édouard de Dillon, de Lambertye, ou à d'autres dont les noms ne me sont plus présents, c'étaient autant d'amants favorisés. Paris ignorait que tous ces jeunes gens n'étaient pas admis dans l'intérieur de la reine, et n'avaient pas même le droit de s'y présenter... La reine, tranquillisée par l'innocence de sa conduite, et par la justice qu'elle savait bien que tout ce qui l'entourait devait rendre à sa vie privée, parlait avec dédain de ces faux bruits, et se contentait de supposer que quelque fatuité de la part des jeunes gens cités avait donné lieu à ces méchancetés. Elle cessait alors de leur adresser la parole, et même de les regarder. Leur vanité en était blessée, et le plaisir de la vengeance les portait à dire ou à laisser penser qu'ils avaient eu le malheur de cesser de plaire. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VII, p. 167.)

[80] Le comte de Tilly, Mémoires, t. II, chap. XVII, p. 115.

[81] Portefeuille d'un talon rouge. — Soulavie a dit aussi que « Édouard, surnommé le beau Dillon, et M. de Coigny passèrent pour être les amants de Marie-Antoinette. » Mais d'honorables écrivains ont déjà dévoilé les turpitudes révoltantes dont cet infatigable compilateur, trop indiscret écho des bruits des nielles, a souillé ses ouvrages, de manière à fixer l'opinion sur leur valeur.

[82] M. le duc de Lauzun, Mémoires, Paris, 1822. Nous citons cette édition, dans laquelle nous rétablissons avec la Revue rétrospective les passages qu'une réserve maladroite avait supprimés à l'époque de l'impression. Nous croyons que la censure avait rendu un service déplorable à Marie-Antoinette en retranchant les présomptueuses insinuations de Lauzun.

[83] Revue rétrospective, 1re série, t. I, p. 89-91.

[84] Revue rétrospective, 1re série, t. I, p. 92.

[85] Madame Campan, Mémoires, chap. VII, p. 169.

[86] Lisez, dans la Revue rétrospective, l'anecdote de la plume du héron, 1re série, t. I, p. 94-95.

[87] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VII, p. 169. - L'auteur ajoute : « Peu d'années avant la révolution de 1789, le maréchal de Biron mourut. Le duc de Lauzun, héritier de son nom, prétendait au poste important de colonel du régiment des gardes françaises. La reine en fit pourvoir le duc du Châtelet : voilà comme se forment les implacables haines. Le duc de Biron s'attacha aux intérêts du duc d'Orléans, et devint un des plus ardents ennemis de Marie-Antoinette. »

Madame la baronne d'Oberkirch nous donne quelques détails sur la petite-fille de la maréchale de Luxembourg, madame la duchesse de Lauzun, que « son éducation, son esprit, ses manières et son caractère surtout faisaient aimer et rechercher de tous, et n'oublie pas de parler de la passion de M. de Lauzun pour la reine, « qui, elle, ne pouvait le souffrir. » Il courait, dit la baronne, une anecdote sur lui, et on se la répétait bien bas, autant par convenance que pour ne pas affliger la duchesse, en révélant les fautes de son mari. On assurait, et j'ai peine à le croire, que, pour se faire remarquer de la reine, il avait eu l'audace de se présenter sous sa livrée, de la suivre tout le jour, partout où elle se rendit, et de ne pas quitter la porte de son appartement la nuit comme un chien de garde. Il arriva que Sa Majesté ne jeta pas les yeux de son côté et qu'elle ne le remarqua point. Il allait en être pour ses frais de service, lorsqu'il imagina, au moment où la reine rentrait en carrosse d'une promenade à Trianon, de mettre un genou en terre, afin qu'elle posât le pied sur l'autre, au lieu de se servir du marchepied de velours. Sa Majesté, étonnée, le regarda alors pour la première fois ; mais en femme d'esprit et de sens qu'elle était, elle ne fit pas semblant de le reconnaître, et appela un page.

— Dites, je vous prie, Monsieur, qu'on renvoie ce garçon ; c'est un maladroit, il ne sait pas ouvrir la portière d'un carrosse.

Et elle passa outre. On assure que M. de Lauzun a été blessé jusqu'au cœur de cette leçon, et que depuis lors il se présente à peine aux regards de Sa Majesté. » (Madame la baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. Ier, chap. XII, p. 248-249.) Maintenant, lecteur, M. de Lauzun doit vous être connu ; quelle confiance méritent ses imputations ?

[88] « Je renvoie ceux qui voudront le mieux connaître à ses Mémoires, dans lesquels il s'est dépeint assez véridiquement : ce qu'il y dit de lui suffit, ce me semble, pour faire apprécier l'immoralité et l'intrigue qui formaient la hase de son caractère. » (Ad. de Bacourt, Introduction à la correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, t. I, p. 39.)

[89] Le baron de Bezenval, Mémoires, t. II.

[90] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. VIII, page 189.

[91] Avant de dérouler la longue liste des amants supposés que la calomnie donnait à Marie-Antoinette, le comte de Tilly nous dit : « La reine était la plus vertueuse femme de son règne... mais elle eut deux amants. » Ce furent, suivant l'auteur, le duc de Coigny et le comte de Fersen.

Sur ce point, le servile commensal des maisons de Richelieu et d'Aiguillon, se trouve d'accord avec M. de Tilly : « Au beau Dillon, à Coigny et aux autres amants, succéda M. de Fersen ; mais plus habile que ses rivaux, disgraciés, toujours sujets quoique amants, il sut conserver la reine en la traitant avec dureté, avec jalousie. Elle le craignit et l'aima. » Soulavie, Mémoires historiques et politiques, etc., t. VI, chap. VII, p. 51.)

[92] Écoutons ce que dit au sujet du comte de Fersen, M. Amédée Renée, dans son ouvrage sur Louis XVI et sa cour, chap. IV, p. 243.

« M. Hippolyte Castille dit, dans une de ses publications récentes, « qu'un de ses amis les plus respectables s'est trouvé à portée de voir en Suède, au château du comte de Fersen, un portefeuille qui lui avait été donné par Marie-Antoinette du temps de leurs amours. Dans ce portefeuille, il y avait un compartiment à secret contenant des choses impossibles. »

« Sans contester le fait rapporté, je puis certifier ici que le neveu de M. de Fersen, le comte de Lowelhielm, qui a été longtemps ministre de Suède à Paris, m'a assuré plusieurs fois qu'il n'existait dans sa famille aucune preuve de ces prétendues liaisons de son oncle avec Marie-Antoinette, et que jamais le comte de Fersen n'avait laissé échapper un mot qui fût de nature à accréditer ce bruit.

La curiosité des érudits a fait, dans ces derniers temps, des découvertes quelque peu compromettantes pour la vertu de certaines reines. Mais Marie-Antoinette, cette femme de premier mouvement, si peu habituée aux précautions, n'a laissé aux mains de ses ennemis, qui certes n'auraient pas manqué d'en faire une arme contre elle, aucune lettre de la nature de celles qu'on dit avoir été vues à Stockholm. J'affirme en outre que, parmi un grand nombre de lettres manuscrites de la reine que j'ai été à même de lire, je n'en ai jusqu'ici vu aucune qui fût compromettante pour son honneur. »

[93] Henri Martin, Histoire de France, t. XIX, chap. III, p. 402. Le témoignage de Vasselin, qui écrivait en 1797 les lignes suivantes sur la reine, appuie notre assertion : « Marie-Antoinette savait compatir aux maux d'autrui, même à ceux qu'elle ne connaissait pas ; et jamais l’honorable indigence ne l'avait trouvée sourde à ses cris. Religieuse observatrice de ses devoirs de fille, d'épouse, de sœur et de mère, elle connut les tendres épanchements de l'amitié..,. » (Vasselin, Mémorial révolutionnaire de la Convention.)

Un autre contemporain de la reine, M. Lafont d'Aussonne : d'accord avec Vasselin, reconnaît en elle les mêmes vertus. « Des livres, inspirés par la haine, ou payés par la vengeance et la malignité, ont parlé, dans un temps affreux, de la légèreté, des imprudences de Marie-Antoinette : ces livres n'ont répété, n'ont répandu que les propos des calomniateurs.

« Prisonnier de la Révolution, à un âge très-tendre, j'ai habité les sombres cachots avec les anciens habitants des salons de Versailles, et le malheur voulut me lier avec les grands de cette cour, qui n'était plus. Parmi ces nobles compagnons d'infortune, je trouvais des opinions tout à fait différentes sur la politique générale, sur les ministres, sur les événements, sur les qualités ou les défauts du bon Louis XVI lui-même. Mais à l'égard de la reine son épouse, je le déclare en présence de Dieu et de la postérité, tous ces seigneurs, tous ces prélats, toutes ces femmes de qualité, chargés d'afflictions et d'années, s'accordaient à pleurer, à gémir sur son sort. On citait ses paroles charmantes d'indulgence ou de conciliation ; on citait ses innombrables bienfaits connus, mille fois moins nombreux que ses bienfaits restés dans l'o9bre et le silence.

« On parlait des charmes de sa personne, de l'éblouissante majesté de son maintien, du séduisant effet de son accueil, à quoi rien ne fut jamais comparable ; mais tous ces anciens courtisans s'accordaient à reconnaître en elle une sœur affectueuse et dévouée, une épouse aimante et irréprochable, la mère la plus tendre, la plus attentive, l'amie la plus généreuse, et la reine la plus honorable que le trône ait possédée jamais. » (M. Lafont d'Aussonne, Mémoires secrets et universels, etc., chap. IX, p. 37-38.)

[94] « Sa démarche était lourde et sans noblesse, sa personne, plus que négligée, ses cheveux, quelque fût le talent de son coiffeur, étaient promptement en désordre, par le peu de soin qu'il mettait à sa tenue. Son organe, sans être dur, n'avait rien d'agréable ; s'il s'animait en parlant, il lui arrivait souvent de passer du médium de sa voix, à des sons aigus. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. V, p. 122-123.)

[95] Saint-Marc Girardin, Souvenirs et réflexions politiques d'un journaliste, 3e partie, p. 366.

[96] « Son cœur le portait, à la vérité, vers des idées de réforme ; mais ses principes, ses préjugés, ses craintes, les clameurs des gens pieux et des privilégiés, l'intimidaient et lui faisaient abandonner des plans que son amour pour le peuple lui avait fait adopter, » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. V, p. 125,)

[97] Revue rétrospective, Journal de Louis XVI, t. V, passim. —  Louis XVI n'oubliait pas de faire, chaque année, le total de sa dépense. Ses comptes, écrits entièrement de sa main, existent dans les Archives du royaume.

[98] Louis XVI, ainsi que nous l'avons dit, était excellent géographe. « L'instrument le plus précieux et le plus complet pour l'étude de la géographie, a été commencé par ses ordres et sous sa direction. C'est un immense globe en cuivre qui existe en ce moment à la bibliothèque Mazarine, et qui n'est point achevé. Louis XVI a lui-même inventé et fait exécuter, sous ses yeux, l'ingénieux mécanisme qu'exigeait le jeu de ce globe. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. y, p. 124. Note des éditeurs.)

[99] Nous avons emprunté cette lettre à M. Amédée Renée, qui la doit lui-même à l'obligeance de M. Dentu. Elle est de la main du roi et a été transcrite fidèlement sur l'original.

[100] Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, t. II. — A la fin de décembre 1775, on trouve au total du mois : « Tué, 1.564 pièces de gibier, et pour total de l'année, 8.424. » (Revue rétrospective, t. V, p. 119 et suiv.)

[101] Soulavie, t. II. — Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. V, p. 124. — Weber, Mémoires, t. I, chap. I, p. 59.

Ce fut longtemps après la mort de Louis XVI que François Gamin sollicita des secours de la Convention et que, dans une pétition à cette assemblée, il révéla les circonstances mensongères de ce qu'il appelait son empoisonnement. » Un fougueux démocrate, l'ex-curé Musset, représentant du département de la Vendée, prit la parole pour appuyer la pétition de Gamain. On éprouve un profond dégoût en lisant ses déclamations dont le ridicule tempère seule l'atrocité. » La motion de Musset fut aussitôt adoptée. Dix jours après, le 28 floréal, an II de la République (19 mai 1794), l'ex-garde du corps, Peyssard, député de la Dordogne, ardent partisan des idées de Robespierre, lut son rapport sur la pétition du citoyen François Gamain, serrurier de- Versailles. « C'est encore la même logomachie révolutionnaire qui excite l'indignation et la pitié de tout homme probe et sensé. » Peyssard fit ensuite lecture du projet de décret suivant que les comités des secours et de la liquidation l'avaient chargé de présenter à l'Assemblée :

» Article 1er. — François Gamain, empoisonné par Louis Capet, le 22 mai 1792 (vieux style), jouira d'une pension annuelle et viagère de la somme de 1.000 livres, à compter du jour de l'empoisonnement.

» Article 2. — Le présent décret sera inséré au Bulletin de correspondance.

Ce décret, dit le bibliophile P. L. Jacob, auquel nous empruntons ces détails, fut adopté par acclamation et inséré au Bulletin, mais sans aucune des pièces qui l'avaient motivé.

» Ces pièces ont sans doute été anéanties, car elles ne se trouvent plus aux Archives avec le procès-verbal de la séance du 8 floréal et le rapport de Peyssard. La pétition de Gamain est restée, dit-on, dans les papiers du Comité de liquidation, lesquels seraient passés au Ministère des Finances. Les certificats des médecins et de la commune de Versailles sont perdus, ainsi que l'enquête ordonnée par le Comité des secours publics. » (P. L. Jacob, bibliophile, Curiosités de l'Histoire de France, 2e série, Procès célèbres, Gamain, 1 vol. in-18. Paris, Adolphe Delahays, libraire-éditeur, 1858.)

[102] Arsène Houssaye, Introduction aux Nouvelles et la main sur la comtesse Du Barry, p. 3.

[103] « Ses mains, noircies par le travail, furent plusieurs fois, en ma présence, un sujet de représentation et même de reproches assez vifs de la part de la reine, qui aurait désiré pour le roi d'autres délassements. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. V, p. 124.)

[104] Madame Campan, Mémoires.

[105] Louis XVI chantait souvent à la chapelle pendant l'office, et sa voix fausse excitait le rire des courtisans. Quelques fois il allait avec la reine voir madame Louise à Saint-Denis et arrivait au moment des Vêpres.

Alors, Louis XVI et Marie-Antoinette paraissaient au chœur et se plaçaient dans les stalles des religieuses, au bout des rangs, et le monarque, dont la voix ne reproduisait que des sons discordants, chantait avec elles. (Vie de la révérende mère Thérèse de saint Augustin, madame Louise de France, etc., par une Religieuse, t. II, chap. XXIV, p. 168.)

[106] « Il y avait cependant une espèce de tact au milieu des jeux grossiers du roi. Un jour qu'il nous menaçait de son cordon bleu, qu'il voulait jeter au nez de quelqu'un en y accrochant ceux qui comme moi ont des anneaux aux oreilles, le duc de Laval se relira. Il lui dit : — Ne craignez rien, Monsieur, cela ne vous regarde pas. -- Un autre jour qu'il m'étrangla presque par une grosse gaieté, je me fâchai un peu et je dis : Le roi me touche, Dieu me guérisse ! » (Le prince de Ligne, Mémoires, p. 70-81.)

[107] Créqui, grand frondeur, disait un jour au prince de Ligne en parlant de Louis XVI et de ses frères : « Voulez-vous savoir ce que c'est que ces trois frères ? Un gros serrurier, un bel esprit de café de province, un faraud des boulevards. (Le prince de Ligne, Mémoires, p. 71.)

[108] « On tire à boulets rouges sur la reine ; il n'y a pas d'horreurs qu'on n'en débite, et les plus contradictoires sont admises par certaines gens... C'est la cabale jésuitique du chancelier et des vieilles tantes qui fait courir tous ces bruits-là, pour perdre, s'ils peuvent, cette pauvre princesse, et pour être seuls maitres de la cour...

« Ce sont les vieilles tantes qui s'agitent... C'est de là que partent les satyres détestables qui courent contre la reine. » (L'abbé Baudeau, Chronique secrète ; Revue rétrospective, 1re série, t. III, p. 281-283.)

[109] « J'entends jeter les hauts cris sur les gaspillages de la nouvelle cour, et principalement contre madame Adélaïde, qui a, dit-on, un portefeuille, et qui sollicite, sollicite sans cesse, pour tout ce qui l'approche, des grâces, comme ils appellent tout ce gaspillage dans l'idiôme des valets de cour.., » (L'abbé Baudeau, Chronique secrète ; Revue rétrospective, 1re série, t. III, p. 271.)

[110] M. de Vergennes, autrefois disgracié par Choiseul, était ennemi de la maison d'Autriche et de la reine. « Il s'unit au parti d'Orléans pour persuader à la nation que la reine était toujours de cœur et d'âme autrichienne ; qu'elle dilapidait les finances de l'État, et enrichissait de nos deniers l'empereur son frère. » (Soulavie, Mémoires historiques et politiques, etc., t. II, p. 166.)

[111] 5 Octobre 1777. — « M. le comte de Maurepas a toujours beaucoup aimé les ouvrages d'esprit, mais surtout les polissonneries. La vieillesse ne lui avait point ôté ce gout-là, et les soucis du gouvernement lui rendent un tel plaisir encore plus nécessaire. C'est pour y contribuer que M. Amelot fait ramasser dans Paris toutes les chansons et autres opuscules de ce genre, que fait éclore la licence de nos auteurs : il y a un petit bureau ad hoc, où les auteurs de ces facéties viennent les r lie, et dont on fait un choix, sans qu'ils s'en doutent, pour en amuser le mentor du roi. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, etc. — T. X, p. 229.)

[112] « La reine répondait à toutes les harangues, et avait mis de la persévérance à conserver cette habitude puisée à la cour de Marie-Thérèse. Depuis longtemps les princesses de la maison de Bourbon ne prenaient plus, dans de semblables circonstances, la peine d'articuler la réponse. Madame Adélaïde fit reprocher à la reine de n'avoir pas suivi cet usage, l'assurant qu'il suffisait de marmotter quelques mots en simulacre de réponse, et que les harangueurs, très-occupes de ce qu'ils venaient de dire eux-nièmes, trouvaient toujours qu'on avait répondu d'une manière parfaite. La reine jugea que la paresse seule avait pu dicter un semblable protocole, et que l'usage adopté de marmotter quelques mots constatant la nécessité de répondre, il fallait le faire simplement mais clairement et le mieux possible. » (Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. X, p. 260.)

[113] « La reine a fait, la semaine dernière, à Marly, une dérogation à l'étiquette encore plus grande que celle de manger avec les hommes ; elle a reçu à souper madame la comtesse de Maurepas, madame de Sartine et madame Amelot, trois femmes de ministres qui, en cette qualité, avaient été jusqu'alors exclues de cet honneur. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, etc. T. XI, p. 277.)

[114] L'empereur Joseph II, à l'époque de son voyage en France, « voulut visiter l'auguste Carmélite, afin de s'assurer par lui-même de ce qu'il avait oui dire touchant le bonheur qu'elle goûtait dans sa vie pénitente, auquel il ne pouvait croire. Il fut si frappé du dénuement qu'il remarqua dans sa cellule, en tout conforme à celles des autres religieuses, qu'il s'écria : « En vérité, madame, j'aimerais mieux être pendu que de vivre ici comme vous vivez ! — Monsieur le comte, lui répondit la jeune princesse, en considérant ce que Notre-Seigneur a souffert pour nous, la vie d'une Carmélite paraît bien douce. Il est vrai que notre bonheur est de la classe de ceux qu'il faut goûter pour y croire ; mais comme j'ai la double expérience, je suis en droit de prononcer que la Carmélite, dans sa cellule, est plus heureuse que la princesse dans son palais. » (Vie de la révérende mère Thérèse de Saint-Augustin, madame Louise de France, fille de Louis XV, par une religieuse, t. II, chap. XXIII, p. 128.)

[115] La Carmélite a écrit une lettre fanatique et très-impérieuse à la reine, ainsi qu'à la maison d'Autriche. » (L'abbé Bandeau, Chronique secrète, etc., Revue rétrospective, 1re série. t. III, p. 283.)

[116] « Il y a toute apparence que les vieilles tantes vont perdre leur procès contre la reine. Tant mieux pour l'État, s'il est délivré de ces cabales, et surtout des vieilles tantes Elles jouiraient de leur reste, s'il était vrai qu'on leur prépare le château de Commercy, en Lorraine. Quelqu'un vient de m'assurer qu'un architecte, nommé Pillereau, avait fait le voyage tout exprès pour cet arrangement-là. Madame Adélaïde aura le titre de gouvernante de Lorraine, et ses deux sœurs la suivront. Un beau présent à lui faire serait de lui donner par-dessus le marché la carmélite, afin que nous restions tranquilles. » (L'abbé Baudeau, Chronique secrète, etc., Revue rétrospective, 1re série, t. III, p. 284-285.)

[117] Cette délicieuse maison de plaisance était située sur les hauteurs de Sèvres. Marie-Antoinette avait demandé elle-même pour ses tantes le château de Bellevue. Après l'avoir obtenu du roi, elle l'avait meublé à ses frais, et avait fait augmenter la pension des princesses, afin qu'elles pussent subvenir au surcroît de dépense qu'exigeait cette demeure royale.

[118] Journal manuscrit, de Hardy, vol. V.

[119] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, etc., t. II, p. 189.

[120] Un jour la reine, en recevant un éventail d'une main qui lui était chère, y trouva ce charmant quatrain dont Monsieur était l'auteur :

Au milieu des chaleurs extrêmes,

Heureux d'amuser vos loisirs,

Je saurai près de vous amener les zéphirs :

Les amours y viendront d'eux-mêmes.

(Weber, Mémoires, t. I, chap. III, p. 313. (Note des éditeurs.)

[121] Madame Campan, Mémoires, t. I, chap. III, p. 71.

[122] Madame la baronne d'Oberkirch, t. II, chap. XXIV, p. 82-83. « Le marquis de Brunoy... avait fait des folies dans le parc, dans le château et surtout dans l'église. Il y a dépensé dix millions... M. le comte de Provence ne tenait là qu'une cour de garçon assez peu épurée. Ce prince est cependant raisonnable, ou plutôt raisonneur. Il a de l'esprit, de l'instruction ; il est peu goûté néanmoins. »

[123] « Monsieur et Madame vont chaque jour régulièrement à la messe au couvent du Calvaire... Le public qui s'y rend en foule, y est édifié de la piété exemplaire avec laquelle fis assistent à la célébration des saints mystères. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, etc., 20 septembre 1782, t. XXI, p. 112.

[124] Vie de la révérende mère Thérèse de Saint-Augustin, madame Louise de France, etc., par une religieuse, t. II, chap. XXIV, p. 147.

[125] Soulavie, Mémoires historiques et politiques. etc., t. II, p. 189.

[126] « Les parlements réintégrés, dit Monsieur, prétexteront les intérêts de l'État, du peuple et du seigneur roi ; en désobéissant, ils déclareront ne pas désobéir. La population viendra à leur secours, et l'autorité royale succombera un jour, accablée du poids de leur résistance. » (Biographie universelle, supplément, t. LXXII, p. 114.)

[127] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, etc., t. II, chap. VI, p, 80.

[128] 12 Janvier 1779. — « On a remarqué une observation de Monsieur au baptême de Madame, fille du roi. On sait que ce prince tenait l'enfant sur les fonts pour le roi d'Espagne ; le grand aumônier lui a demandé quel nom il voulait lui donner. » Monsieur a répondu : « Mais ce n'est pas par où l'on commence : la première chose est de savoir quels sont les père et mère, c'est ce que prescrit le rituel. »

[129] 22 Octobre 1781. — « Les courtisans, toujours malins, toujours exacts observateurs des passions des princes, ont cru remarquer sur le visage de Monsieur, à la première inspection du sexe, un mouvement d'humeur et de chagrin. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, etc., t. XVIII, p. 102.

[130] L'ouvrage précédent contient le paragraphe suivant, à la date du 19 avril 1782 : - « Actuellement que la fermentation qu'ont occasionnée les noëls abominables qui ont couru Paris cet hiver est rassise, ils sont moins rares et on se les communique par cet attrait pour la nouveauté, quelque exécrable qu'elle soit. 11 y en a vingt couplets. Ils semblent être faits à l'occasion de la naissance du Dauphin. L'auteur, qui n'épargne pas ce qu'il y a plus sacré, après avoir plaisanté la divinité même, après avoir, dans ses calomnies atroces, enveloppé toute la famille royale, excepté madame la comtesse d'Artois et Mesdames, tombe sur les femmes et les hommes de la cour. Entre ces derniers figurent le duc d'Orléans, le duc de Chartres, M. de Maurepas, M. Amelot, M. de Castries, M. de Miromesnil, M. de Monteynard, M. de Puysségur, le premier médecin Lassonne, et le duc de Coigny, en faveur duquel on renouvelle les soupçons répandus dans des pamphlets détestables venus de chez l'étranger. La princesse de Lamballe, madame la duchesse Jules, madame la comtesse Diane, madame de Fleury, madame d'Ossun, la vieille maréchale de Luxembourg, madame de Fougières, enfin la princesse d'Hénin, qui ferme la marche, sont les femmes nommées et avec les anecdotes les plus diffamantes. »

[131] 7 mars 1785. - « Dans ce moment où la cour est à son plus haut degré de fermentation par plusieurs intrigues qui s'y croisent de toutes parts et s'entrechoquent, il est grandement question d'un mémoire présenté au roi par Monsieur. On veut qu'il y fasse sentir au monarque la nécessité d'avoir dans le conseil un autre lui-même, dont les intérêts ne puissent se séparer des siens, et qui l'aide à démêler les différents pièges qu'on tend de chaque côté à Sa Majesté. Or, cet autre lui-même ne peut être que son frère, le plus près du trône après le Dauphin, trop enfant pour qu'il en soit question. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, etc. — T. XXVIII, p. 163.)

[132] 7 Novembre 1785. — « Depuis plusieurs jours, on parle d'une cession de tous ses biens, faite par Monsieur au duc de Normandie. Elle est d'autant plus extraordinaire, qu'elle semblerait annoncer quelque inimitié secrète entre ce prince et le comte d'Artois, son frère, dont il frustra ainsi cruellement les enfants ; cependant, comme on ne sache rien qui puisse autoriser ce soupçon, on regarde cette conduite simplement comme tin coup de politique, et l'on croit que c'est le fruit des conseils de M. Cromo. En effet, suivant cette combinaison, de cet événement il résulterait une coalition entre la reine et Monsieur, qui, pour condition secrète, entrerait au conseil. De son côté, Sa Majesté tiendrait à une distance convenable ceux qui ont aujourd'hui sa confiance et la donnerait tout entière à Son Altesse Royale. Ils aideraient ainsi le roi à soutenir le poids des affaires et les choses n'en iraient que mieux, avec le secours d'un prince instruit, sage, appliqué, économe, peu livré au plaisir et intéressé personnellement à la conservation et à la prospérité du royaume. Le temps seul dévoilera tous ces mystères. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, etc.)

[133] 21 Février 1785. — « L'invention du monstre fabuleux, annoncé il y a quelques mois, parait rester tout entière à Monsieur. Quant à l'allégorie qu'on y soupçonnait, Son Altesse Royale n'a pas jugé à propos de la révéler. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, etc. — T. XXVIII, p. 136.)

[134] Suivant M. Lafont d'Aussonne, le duc d'Orléans, désirant rapprocher sa branche de la tige royale, par un double hyménée, pria le roi d'accorder Madame première, au duc de Chartres son fils, et le jeune due d'Angoulême à sa fille. » Louis XVI avait déjà fait ses projets d'hymen pour Madame première. Mais il n'osa point contrarier le duc d'Orléans, et il lui répondit, en peu de mots, qu'il verrait ce mariage de sa fille avec plaisir, ayant toujours souhaité de ne la point éloigner de Versailles. » Dans un superbe repas donné à Monceaux, où se trouvèrent presque tous les ambassadeurs, le duc parla du mariage consenti, comme d'une chose assurée et prochaine, et reçut les félicitations de ses illustres convives. Mais peu de jours après, le roi dit à son cousin que, s'entretenant de cette affaire en famille, la reine lui avait remis en mémoire des engagements bien antérieurs, et que ce mariage ne pourrait avoir lieu. » Le prince, très-affecté, supplia vainement le roi de ne pas revenir sur sa parole donnée. « Les choses demeurèrent rompues : Louis XVI n'eut pas la force de changer d'avis...

« Quant à la reine, ajoute l'historien, on l'a punie d'une improbation qui n'était ni dans son caractère, ni dans son âme. Je l'affirme, parce que j'en ai l'assurance : elle désapprouva la mortification donnée à M. le duc d'Orléans... Mais le roi, son époux, involontairement porté aux antipathies, s'était persuadé que la jeunesse, un peu mondaine de son cousin, supposait des mœurs en contradiction avec les croyances religieuses, et son attachement excessif pour sa fille lui fit adopter un autre hyménée, qui la retiendrait, pour toujours, Pt sous ses yeux et dans son palais. » (Lafont d'Aussonne, chap. XXVI, p. 117-120.)

[135] Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, t. VI, chap. VIII, p. 55.

[136] Sénac de Meilhan. Le gouvernement, les mœurs et les conditions eu France avant la Révolution. Portraits et caractères du XVIIIe siècle, p. 250. — Un vol. in-12. Paris, 1862. Edit. Poulet-Malassis.