LOUIS XVI, MARIE-ANTOINETTE...

 

CHAPITRE VII. — PROCÈS DU COLLIER.

 

 

D'Ormesson, contrôleur général des finances. - Ministère de Calonne. - Ses premières mesures. - Agiotage effréné. - Remontrances du Parlement. - Représentation du Mariage de Figaro. - Affaire du collier. - La comtesse de La Motte-Valois. - Le comte de Cagliostro. - Scène du bosquet. - Arrestation du cardinal de Rohan. - Son jugement déféré au Parlement. - Réclamations du clergé de France. - Arrestation de Cagliostro. - Le Père Loth ; ses révélations. - Intrigues de la famille de Rohan. - Arrêt du Parlement. - Joie du public. - Désespoir de la reine. - Exil du cardinal. - Libelles contre Marie-Antoinette. - Supplice et fuite de la comtesse de La Motte.

 

Sorti des embarras d'une lutte difficile, mais qui avait rétabli la considération politique de la France, le gouvernement donna tous ses soins à l'intérieur où les idées de réforme dont la guerre avait distrait les esprits, reprenaient leur cours. Après avoir augmenté les impôts et les taxes, établi de nouveaux vingtièmes, emprunté à des intérêts très-élevés et grevé encore la dette de 300 millions, Joly de Fleury avait été obligé d'abandonner le ministère (mars 1783). Il n'avait été que le commis ignorant de Vergennes qui ne fit aucun effort pour le soutenir. Louis XVI l'avait remplacé par d'Ormesson, conseiller d'État, chargé de l'administration de Saint-Cyr, pour lequel il avait conçu une haute estime et que protégeait Miromesnil. Ce nouveau contrôleur général jouissait de cent mille livres de rente. Il voulut refuser les émoluments de sa place, et ne consentit à les accepter que sur l'observation réitérée que son désintéressement- pourrait paraître de l'orgueil, et nuire aux intérêts de ses successeurs. Homme d'une rare intégrité, mais « qui avait la tête étroite et voyait les affaires sous les plus petits rapports[1], » d'Ormesson était complétement incapable de remplir les fonctions difficiles qu'on lui imposait. Il n'entra au ministère qu'avec une extrême répugnance. « Sire, je suis bien jeune, » dit-il ait roi, afin de motive' : son refus. « Je suis plus jeune que vous, » répliqua Louis, « et j'occupe une plus grande place que celle que je vous donne. » On lui doit des éloges pour avoir lutté contre l'avidité des courtisans et contre les frères du roi qui élevaient la prétention d'acquitter leurs dettes avec les deniers de l'État. Malgré cette conduite honorable de son ministre des finances, le roi ne lui témoigna pas une entière confiance, et acheta Rambouillet quatorze millions au duc de Penthièvre, sans lui parler de celte acquisition onéreuse. D'Ormesson mécontent voulut envoyer sa démission. Il en fut empêché par les pleurs de sa femme. Mais il n'avait aucune idée de la manutention des finances ; son administration de sept mois, pendant laquelle il essaya quelques économies, présente une nombreuse série de fautes qui, avec celles de son prédécesseur, en augmentèrent l'anarchie et la confusion. La caisse d'escompte, qu'il obligea secrètement à verser six millions au trésor, se trouva bientôt épuisée, et le ministre commit l'imprudence de l'autoriser à suspendre pour trois mois le paiement en argent des billets au-dessus de trois cents livres[2]. Il cassa ensuite le bail des fermes afin de les mettre en régie, et, par cette nouvelle mesure que.ne pouvait justifier aucun prétexte, révolta contre lui l'opinion publique. D'Ormesson était devenu impossible ; M. de Vergennes se chargea de lui apprendre son renvoi[3].

Dans ces circonstances difficiles, Louis XVI aurait dû offrir le ministère des finances à un homme habile, d'un esprit fécond en ressources. M. de Castries fit d'inutiles efforts auprès du roi pour l'engager à rappeler Necker. Des intrigues de cour décidèrent la nomination du contrôleur général. L'abbé de Vermond, tout puissant auprès de la reine, s'efforçait de faire arriver au ministère son ancien protecteur, l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne. Marie-Antoinette le proposa au roi ; mais celui-ci refusa, n’oubliant pas le conseil que lui avait donné Maurepas de ne jamais prendre un ecclésiastique pour ministre. Une intrigue de cour conduite par Vergennes mit en avant le protégé de la duchesse de Polignac, dame d'honneur et surintendante de l'éducation du dauphin, et du comte d'Artois qui n'accordait que trop souvent des faveurs à des nobles fastueux, ignorants, débauchés et ennemis de toute réforme. Ce protégé était Charles-Alexandre de Calonne, que ses talents, les agréments et la vivacité de son esprit avaient successivement porté aux places de procureur général du parlement de Douai, de maître des requêtes et d'intendant de Lille. Calonne était hardi, brillant, disert, d'un travail facile, niais frivole, libertin, dissipateur et d'une renommée presque flétrie. Il avait joué un rôle odieux dans le procès célèbre de La Chalotais dont il avait reçu des confidences et dont il s'était cependant rendu le dénonciateur. Quoique sorti de la magistrature, il était suspect au parlement comme au ; public, et ses antécédents devaient l'éloigner à jamais du ministère. Louis XVI ne voulait pas de lui. Mais Calonne avait su se concilier l'amitié des courtisans et des princes dont il flattait habilement les passions et qui depuis longtemps travaillaient, à le faire ministre. « Il disait hautement que lui seul connaissait la manière de diriger les finances d'une grande monarchie ; qu'il 'avait des moyens infaillibles pour ramener l'abondance au trésor, sans descendre à ces projets d'économie mesquine dont on avait sottement attristé la cour. Des voix amies annonçaient qu'on le verrait tout concilier, qu'il s'occuperait des fortunes particulières aussi bien que de la fortune publique ; il assurera, disaient-elles, la prospérité du royaume, et fera naître l’âge d'or de la cour. Ces paroles séduisantes charmaient la société intime de la reine, surtout le comte n'Artois et madame de Polignac, alors dans tout l'éclat de sa faveur[4]. »

En dépit de quelques concurrents fortement appuyés comme lui, Calonne l'emporta, grâce aux impétueuses recommandations du comte d'Artois auxquelles se joignirent les instances de Vergennes[5]. Le 3 octobre 1783, il fut nommé contrôleur général, au grand déplaisir de Marie-Antoinette, puis bientôt après ministre[6]. Quelques mesures sages qu'il prit d’abord firent croire au public qu'il était à la hauteur de sa mission ; aussitôt le crédit se ranima et les fonds montèrent. Des constructions furent ordonnées, des barrières élevées avec un grand luxe, et Paris fut entouré d'un mur d'enceinte. L'état dans lequel Calonne accepta les finances ne serait pas facile à déterminer. Il avoua lui-même à Machault qu'il était déplorable et qu'il ne s'en serait pas chargé sans la mauvaise situation de ses affaires personnelles. Dans son premier entretien avec le roi, il lui dit qu'il devait cieux cent vingt mille livres exigibles, et lui observa qu'un contrôleur général avait bien le moyen d'acquitter une telle dette, mais qu'il préférait une voie plus franche. Frappé d'étonnement à un tel langage, Louis XVI, sans lui répondre, alla prendre dans son secrétaire des actions de la compagnie des eaux et lui en donna pour cieux cent trente mille livres. Calonne garda les actions et trouva les moyens de s'acquitter[7].

Bientôt le ministre ne s'occupa plus que de la cour. Il accorda aux frères du roi tout ce qu'ils voulurent, il paya leurs dettes avec l'argent de la France, et fournit plus largement à la dépense de leurs maisons. La reine désirait la magnifique résidence Saint-Cloud ; on décida Louis XVI à l'acheter du duc d’Orléans pour quinze millions[8]. Les courtisans n'avaient point travaillé à l'élévation de Calonne pour qu'il répétât à leurs yeux le rôle déjà usé de réformateur ; ils en obtinrent donc ce qu'ils demandèrent : diminution, remise des droits même à acquitter, et remboursement de ceux qui étaient payés. Bientôt le contrôleur général transforma en pensions perpétuelles des pensions viagères et donna plus de vingt-et-un millions de dons et gratifications, par ordonnances au porteur. « Un homme, qui veut emprunter, disait-il, a besoin de paraître riche, et, pour paraître riche, il faut éblouir par ses dépenses. Agissons ainsi dans l'administration publique. L'économie est doublement funeste : elle avertit les capitalistes de ne pas prêter au trésor obéré ;  elle fait languir les arts, que la prodigalité vivifie. »

Pour se conformer à ses principes financiers, il déploya un luxe incroyable et donna des fêtes brillantes dont il augmentait le charme par les séductions de sa personne, par les grâces de sa conversation et surtout par la facilité de ses promesses. A Versailles, à Paris, il avait des hôtels tenus avec une rare magnificence ; à la cour, il semblait marcher l'égal des hommes les plus qualifiés, il tutoyait le duc de Polignac : Les femmes, les courtisans étaient enchantés de cet aimable ministre qui répudiait en tout la rigidité traditionnelle de sa fonction et prévenait une demande de la reine en lui disant : « Si c'est possible, Madame, c'est fait ; si cela n'est pas possible, cet se fera. » Tous les agioteurs de la finance chantaient les louanges de leur général et l'appelaient le ministre modèle. Le roi lui-même, dans sa sécurité, éprouvait de la satisfaction en s'entretenant avec ce nouveau Colbert, qui se jouait des embarras du jour, et montrait d'un air triomphant les ressources de l'avenir.

Le magicien qui dirigeait les finances couvrait tant de profusions et de folies par quelques ressources d'esprit et quelque dextérité d'action, par une grande vivacité pour concevoir, et une extrême hardiesse pour entreprendre. Autrement on ne s'expliquerait pas qu'un tel état de choses se fût prolongé pendant quatre années. Ses premières mesures, ainsi que nous l'avons dit, avaient jeté l'illusion dans le public et séduit les capitalistes. Les brillants artifices de ce ministre, qui se changeait en pluie d'or, plaisaient au plus grand nombre des spéculateurs et à certaines gens qui regardaient le moindre réveil du crédit comme le salut de la monarchie. Après avoir fait reprendre à la caisse d'escompte ses opérations, Calonne se hâta dé solder l'arriéré des rentes. Il ouvrit des emprunts, établit une caisse d'amortissement pour éteindre la dette nationale, mais qui ne pouvait fonctionner sérieusement avec un système tout d'expédients, et entreprit la refonte des monnaies d'or. Le rapport de l'or à l'argent ayant changé, cette résolution était sage. Mais le plus net du bénéfice passa en profits clandestins[9].

Cependant le déficit augmentait toujours et l'audacieux dissipateur ne marcha bientôt plus qu'à l'aide d'impôts, d'emprunts et d'anticipations. Toutes les opérations financières qui remplirent son administra ration scandaleuse enfantèrent un esprit d'agiotage aussi nuisible à l'intérêt du commerce et aux spéculations honnêtes, qu'au maintien de l'ordre public. Cet agiotage alla jusqu'à s'exercer sur des bons qui portaient la promesse de faire obtenir des places de finances, ainsi que sur les actions de la Compagnie des eaux de Paris, de la Caisse d'escompte et de la Banque espagnole de Saint-Charles. On vit alors se renouveler quelques-unes des singularités de l'époque de Law, et renaître, au milieu de la plus abjecte fermentation, tous les rêves de l'avarice, de la cupidité et de la fourberie. Le parlement qui haïssait le contrôleur-général, ne l'attaqua vivement que lorsqu'il le vit dans un embarras extrême. Un emprunt de quatre-vingt millions, présenté en 1785, et hypothéqué sur un troisième vingtième qui devait cesser la même année donna lieu à une longue discussion, à d'énergiques remontrances de la part des magistrats. Louis XVI manda le parlement à Versailles pour voir biffer la protestation formelle qu'il avait écrite au bas d'un enregistrement forcé. La compagnie se soumit avec une docilité à laquelle la cour ne semblait pas s'attendre.

Le triomphe que Calonne venait de remporter sur le parlement le remplit de confiance ; sa présomption lui inspira l'idée de fonder son empire et son crédit sur une mesure dont il crut pouvoir maîtriser à son gré toutes les conséquences. Il se flatta de rétablir l'ordre dans les finances par le moyen des réformes politiques. Il résolut de soumettre les privilégiés à l'impôt, de créer des assemblées provinciales, de diminuer la charge des impositions, d'abolir les corvées et de rendre libre le commerce des grains. C'était revenir au système de Turgot. Pour l'accomplissement de ces réformes, il ne pouvait compter sur le concours du parlement ; il songea donc à convoquer une assemblée de notables. Dès ce moment il s'occupa de captiver l'esprit du monarque en lui présentant des projets étendus, mais vagues, et en réveillant le souvenir des vœux qu'il avait souvent exprimés : « Plus de nouveaux emprunts, plus de nouveaux impôts, et surtout plus d'opposition des parlements. »

Tandis que Calonne, en face de l'abîme, cherchait tous les moyens d'en sortir et de réaliser un projet qui, contrairement à son espoir, devait être le terme d'un système fondé sur la prodigalité, l'agiotage continuait d'entraîner les esprits les plus ardents. L'entreprise des eaux de Paris trouvait un zélé défenseur dans Beaumarchais et un fougueux adversaire dans Mirabeau, que payait le contrôleur général. Au milieu de ses spéculations financières, le premier, déjà connu par ses Mémoires, où l'on trouve du Rabelais et du Montaigne, et par le Barbier de Séville, dans lequel on admire le talent de faire ressortir d'une intrigue des situations fortes et plaisantes, donna le Mariage de Figaro. Cette comédie, vraiment encyclopédique, selon le mot heureux d'un historien[10], exposait à la risée publique la noblesse et la magistrature, passait en revue morale, législation, politique, métaphysique même, en un mot, tout ce qui jusque-là avait été entouré des respects du peuple. « C'est détestable, cela ne sera jamais joué, » dit Louis XVI, après la lecture du manuscrit ; « il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse[11]. » Mais dans cette société corrompue, qui marchait en folâtrant à sa ruine, les personnages de la Cour sur lesquels tombaient d'aplomb les sarcasmes de Beaumarchais, la plupart des hommes en place et en dignité prêtèrent les mains à leur propre dégradation. Les rôles, malgré la défense du roi, furent distribués aux acteurs du Théâtre-Français et la pièce allait être représentée dans la salle de spectacle des Menus-Plaisirs, lorsqu'un ordre arrivé de Versailles défendit qu'on levât la toile. Alors de toutes parts retentirent les mots d'oppression et de tyrannie. La défense du roi, suivant les protecteurs de l'ouvrage, portait atteinte à la liberté publique. « Eh bien ! s'écria Beaumarchais, il ne veut pas qu'on la représente ici, et je jure, moi, qu'elle sera jouée, peut-être, dans le chœur même de Notre-Dame ! » Il disait presque vrai. Fort de la clameur de Paris et de l'appui des grands, l'écrivain à qui Voltaire eût pu envier sa puissance, triompha de l'opposition du garde des-sceaux et de celle du roi même. Le Mariage de Figaro parut sur le Théâtre-Français (avril 1784), et l'on vit les plus illustres seigneurs, les hommes du pouvoir ; applaudir avec une inconcevable frénésie aux traits insolents, aux sanglantes allusions qui imprimaient sur leurs fronts les stigmates du déshonneur. Les insensés f ils auraient été inconsolables, si cette œuvre d'une terrible hardiesse n'avait égayé à leurs dépens l'affluence des spectateurs pendant plus de cent représentations[12].

Figaro jetait, l'insulte à la face des Almaviva de l'époque, et portait en riant un coup funeste à l'aristocratie, lorsqu'un drame autrement profond, le procès du collier, qui devait causer à la royauté un tort irréparable, excita au plus haut point l'attention de l'Europe. Dans ce procès figuraient le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg et grand aumônier de la couronne, une comtesse de La Motte-Valois, descendante illégitime, par les barons de Saint-Rémy, du roi Henri II, méprisable intrigante, et Marie-Antoinette. Nous garderions le silence sur ce compl6t infâme, sur cette œuvre de basse rouerie et d'ignoble crédulité, si la honte n'en avait pas rejailli sur la majesté royale.

Ambassadeur de Louis XV à la cour de Vienne, trois ans après le mariage du Dauphin, le cardinal de Rohan, alors le scandale de l'Église, avait débuté en Autriche par quelques démêlés avec l'administration des douanes. Il y avait ensuite compromis son double caractère de prêtre et de représentant de la France par la légèreté de sa conduite et par les dépenses incroyables qu'il prodiguait dans les fêtes et dans les festins, dont sa maison était le théâtre, et auxquels était invitée chaque semaine la société viennoise. Un jour, il avait poussé l'irrévérence jusqu'à traverser la procession de la Fête-Dieu, sur son cheval de chasse, en habit de chasseur, escorté et suivi de ses gens, de ses chiens, de toute sa bande joyeuse. Il prétendait qu'un galant homme ne pouvait vivre avec douze cent mille livres de revenu. Un autre Rohan, son parent, le prince de Guéménée, ayant fait une banqueroute de trente-quatre millions, le cardinal en faisait gloire : « Il n'y a, disait-il, qu'un souverain ou un Rohan qui puisse faire une telle banqueroute. » Ajoutons que l'imprudent cardinal, émissaire secret de la faction ante-autrichienne, avait parlé peu avantageusement à Vienne de la jeune épouse du Dauphin, que, par ses injustes critiques, il s'était attiré la haine de Marie-Thérèse et de Marie-Antoinette. Une autre circonstance acheva d'inspirer un invincible éloignement à la Dauphine pour le prince de Rohan. A l'issue -d'une audience de l'impératrice, l'ambassadeur, dans une lettre particulière, séparée de la dépêche et écrite de sa propre main au duc d'Aiguillon, s'énonçait en ces termes : « J'ai effectivement vu pleurer Marie-Thérèse sur les malheurs de la Pologne opprimée, mais cette princesse exercée dans l'art de ne pas se laisser pénétrer, me paraît avoir des larmes à commandement : d'une main elle a le mouchoir pour essuyer ses pleurs, et de l'autre elle saisit le glaive de la négociation pour être la troisième puissance co-partageante. » Le duc d'Aiguillon, par une indiscrétion impardonnable, confia cette lettre à la comtesse du Barry, qui s'égaya avec peu de retenue sur ce qu'elle appelait la fausseté et l'hypocrisie de Marie-Thérèse.

Instruite de tous ces propos, madame la Dauphine ne put dissimuler sa répugnance pour l'homme qui osait représenter sa mère sous les traits les plus odieux, et qui la livrait aux sarcasmes de la comtesse du Barry. Il fut rappelé en France à la prière de Marie-Thérèse, de plus en plus mécontente de sa conduite et affligée de ses désordres. Marie-Antoinette, qu'il avait aussi calomniée auprès de sa mère, à ce point que l'impératrice avait envoyé le baron de Neni à la cour de France pour s'assurer des faits, ne voulut point le recevoir ; elle persévéra à lui refuser les plus faibles témoignages de sa bienveillance et ne lui adressa jamais la parole Cette disgrâce affligeait d'autant plus le prince de Rohan qu'il voulait être premier ministre, et que le ressentiment de la reine était pour son ambition un obstacle insurmontable[13].

Plus tard, la comtesse de La Motte-Valois, femme d'une physionomie spirituelle et attrayante, douée d'un peu de beauté et de quelques facultés heureuses, gâtées par son éducation, « qui comptait des relations assez élevées, et intéressait de nombreux protecteurs, fit la connaissance du cardinal par l'entremise de madame de Boulainvilliers sa bienfaitrice. Son nom, sa naissance, ses malheurs, ses aventures romanesques qu'elle savait raconter avec esprit, ses dehors séduisants, touchèrent le grand aumônier[14]. » Il lui accorda de légers secours pour l'arracher aux besoins du moment[15]. Cette femme adroite, naturellement éloquente et persuasive, que la reconnaissance et la misère engageaient à renouveler ses visites et ses entretiens, s'insinua peu à peu dans l'esprit dit cardinal. Son Éminence poussa bientôt la confiance jusqu'à lui peindre le profond chagrin que lui causait sa disgrâce. Cette confidence fit éclore tout un plan de séduction dont les annales des sottises humaines offrent bien peu d'exemples. Madame de La Motte entreprit de persuader au cardinal qu'elle était honorée d'une protection auguste, qu'elle avait un accès secret auprès de la reine, et qu'elle jouissait de son intime familiarité, quoiqu'elle n'eût jamais eu l'honneur de parler à cette princesse. « Monseigneur, lui dit-elle un jour, ma joie est à son comble. La reine, enfin, a daigné prêter attention à ma signature Valois. Elle m'a reçue dans ses petits cabinets. Ma personne a paru lui faire plaisir. Elle a trouvé mon esprit cligne de quelque éloge. Notre fortune bornée a obtenu son improbation ; Marie-Antoinette, généreuse et sensible, va s'occuper de notre bonheur.

» Lorsque j'ai vu qu'il y avait tant de bonté dans le cœur de cette souveraine, j'ai pris sur moi de prononcer votre nom.... Oui votre nom, malgré rayer-version qu'elle lui porte. Je lui ai dit que, me trouvant délaissée de tous les princes et ministres, j'avais cru ne pas déshonorer mes ancêtres en m'adressant à M. le grand aumônier. Ce nom l'a frappée. Je lui ai dit aussitôt avec effusion toutes vos bontés pour mon frère et pour moi, tous vos secours multipliés, toutes vos générosités délicates et polies. La reine, de plus en plus attentive, m'a fait répéter ces circonstances, et je suis parvenue à lui faire sentir profondément que si elle a eu des raisons, jusqu'à ce jour, pour ne vous point aimer, elle n'en saurait avoir, désormais, pour -vous refuser son approbation et son estime. »

Aveuglé par le désir de rentrer en sr vice, Rohan livra toute sa confiance à la comtesse et se berça des illusions les plus flatteuses. Après avoir employé tous les stratagèmes de l'intrigue et du mensonge pour nourrir l'effervescence ambitieuse du cardinal, madame de La Motte feignit plusieurs voyages à Versailles et ne manqua jamais d'appuyer ses récits de détails pleins d'intérêt et de circonstances vraisemblables. Elle lui disait un jour : « Je suis autorisée par la reine à vous demander- par écrit la justification des torts qu'on vous impute. » Le cardinal, simple et crédule, écrivait lui-même cette apologie et s'empressait de la remettre à la comtesse. Celle-ci lui apportait, quelques jours plus tard, cette réponse dans laquelle un habile faussaire faisait ainsi parler Marie-Antoinette, dont il avait tâché d'imiter l'écriture : « J'ai lu votre lettre ; je suis charmée de ne plus vous trouver coupable ; je ne puis encore vous accorder l'audience que vous désirez. Quand les circonstances le permettront, je vous en ferai prévenir ; soyez discret[16]. » Ces paroles causèrent au prince de Rohan une satisfaction qu'il serait difficile d'exprimer. Depuis ce jour madame de La Motte fut pour lui un ange tutélaire qui aplanissait les routes du bonheur. Il lui appartenait tout entier et ne pouvait rien lui refuser. Bientôt, encouragée par ce succès, elle demanda au cardinal, pour des infortunés auxquels, disait-elle, la reine s'intéressait, différents secours d'argent qui s'élevèrent jusqu'à la somme de cent vingt mille livres. Cette somme ne put suffire à ses besoins, à ses dettes, à l'entretien du luxe de sa maison.

Un fâcheux hasard contribuait encore à porter l'esprit du cardinal vers le goût des choses extraordinaires. En effet, il cultivait avec un soin particulier l'amitié du fameux comte de Cagliostro, personnage d'une célébrité bizarre qui s'était annoncé tour à tour comme fils d'un grand maître de Malte, prophète venu de la Mecque, comme empirique, rose-croix, ou immortel, tout en affichant une grave indifférence pour tous les cultes religieux. Ce voyageur infatigable avait erré de contrées en contrées, de tréteaux en tréteaux, de bastilles en bastilles, sous les différents noms d'Acharat, de marquis de Pellégrini, de comte Fiant, de comte Phénix, de marquis d'Armas, qui déguisaient son vrai nom de Joseph Balsamo[17]. Mathématicien profond, astronome universel, médecin prodigieux, physicien habile, chimiste instruit, partout il avait exercé un grand ascendant sur les personnes enivrées de ses leçons, et partout il avait fait de nombreuses dupes. Cagliostro, que le bon Lavater regardait comme un homme surprenant, se vantait, à l'exemple de l'astrologue Seni, de lire l'avenir dans le brillant livre des astres, et ses adeptes répandaient le bruit que leur maître avait trouvé la pierre philosophale. « Il prêchait ouvertement la religion naturelle, et disait, sans détours et sans dissimulation, qu'il fallait aux classes polies et supérieures une croyance à part, de même qu'elles avaient d'autres vêtements, une autre manière de penser et de s'énoncer que le vulgaire. Il était fortement soupçonné de faire de l'or ; et., véritablement, il avait presque toujours des lingots parmi ses effets. En divers pays, son valet de chambre affidé vendait çà et là des lingots, qu'admiraient et recherchaient les orfèvres[18]. » Tel était l'homme qui, mystérieux agent d'une faction ennemie du trône, et devenu l'idole ainsi que le guide du prince de Rohan, secondait de tous ses efforts l'adroite aventurière dont nous connaissons l'esprit inventif et le front d'airain.

Vers la même époque, deux joailliers de la cour, Bœhmer et Bassange, proposèrent à Marie-Antoinette un magnifique collier de leurs plus beaux diamants. Elle repoussa leurs instances en ajoutant qu'avec une pareille somme on pouvait donner cieux vaisseaux à la France. Ce fut alors que la comtesse de La Motte, séduite par l'appât de cette parure, plusieurs Ibis refusée, persuada au cardinal que la reine désirait en secret le collier, et qu'elle le chargeait, en gage de réconciliation, de lui en faciliter l'achat, à l'insu de son mari. Elle osa encore contrefaire l'écriture de Marie-Antoinette, et transmit des ordres de remerciements supposés. Si le cardinal avait l'esprit d'un salon, il manquait de ce contrôle du bon sens qui règle les actes de la vie. Il se crut de bonne foi en correspondance avec la reine par l'intermédiaire de madame de La Motte, et se prêta avec une crédulité plus honteuse que criminelle aux contes dont elle le berçait. Cette femme alla même jusqu'à le faire croire à un rendez-vous que lui accordait Marie-Antoinette, et dans lequel une fille Oliva, fort connue pour lui ressembler, consentit., moyennant une somme de quinze mille livres, à jouer le rôle de cette princesse. Un soir du mois d'août, le cardinal de Rohan déguisé se laissa conduire dans les bosquets sinueux de Versailles, à travers le silence et la nuit. Il attendit au milieu des charmilles la reine qu'on lui avait promise, elle parut bientôt, vêtue d'un négligé blanc, de parfaite élégance, une thérèse sur la tête, et s'avança vers lui à la dérobée. A la clarté des étoiles, Rohan la distingua parfaitement. C'était sa taille, son port majestueux, son air, le parfum de ses vêtements. Elle passa près du cardinal, et laissa tomber une rose en prononçant ces paroles à demi-voix : Le passé est oublié. Mais au moment où le présomptueux Rohan se flattait de l'espoir que Marie-Antoinette l'entretiendrait elle-même de son désir, la comtesse accourut : Vite ! vite ! venez ! dit-elle à la fille Oliva, et les héros de l'aventure se séparèrent aussitôt. L'homme s'éloigna d'un côté, la femme de l'autre. On avait distingué comme un bruit de pas, et ce prétendu' contre-temps interrompait ainsi l'entrevue, sans permettre au prince de soupçonner quelque supercherie.

Persuadé que cet accueil bienveillant lui présageait une prochaine faveur, le cardinal s'abandonna à tous les rêves de son ambition et reconnut généreusement les grands services de sa protégée. « A l'époque où les rapports de M. de Rohan avec madame de La Motte étaient devenus intimes, a dit M. Beugnot, une ardente ambition se confondait chez lui avec une affection très-tendre. Chacun de ces deux sentiments s'exaltait l'un par l'autre, et ce malheureux homme était livré à une sorte de délire. J'ai pu lire en courant quelques-unes des- lettres qu'il écrirait alors à madame de La Motte ; elles étaient toutes de feu : le choc, ou plutôt le mouvement des deux passions était, effrayant. » Plein d'un fol espoir, le cardinal résolut de satisfaire le caprice royal dont il se croyait ragent indispensable. I1 alla trouver les joailliers Balmer et Bassange, qui lui montrèrent le grand collier en brillants. l'examina, et leur dit qu'il était chargé d’en savoir le prix. « Un million six cent mille livres, répondirent-ils. » Rohan déclara qu'il leur ferait bientôt connaître les intentions de l'acquéreur qu'il ne pouvait nommer, et que, dans le cas où cela ne lui serait pas permis, il prendrait avec eux des arrangements particuliers.

Deux jours après, le cardinal manda auprès de lui Bœhmer et Bassange, leur recommanda le plus profond secret et leur fit lecture des propositions, qu'ils acceptèrent : le collier lui serait livré, le 1er février, au plus tard, moyennant un million six cent mille livres, payables de six mois en six mois. A l'époque fixée, les joailliers se rendirent chez le prince avec le précieux ornement. Il leur confia, dans cette entrevue, que la reine en faisait l'acquisition, et leur montra ces mots sur la marge des propositions qu'ils avaient 'acceptées : Approuvé, Marie-Antoinette de France[19]. Le cardinal ajouta que la Reine avait traité directement avec lui, et donna en même-temps à Bœhmer trente mille francs d'acompte qu'elle l'avait chargé de lui remettre.

Le même jour, il part pour Versailles où il arrive dans la soirée, court chez madame de La Motte, à l'heure désignée, et dépose entre ses mains le magnifique collier. « La reine attend, lui dit-elle ; ce collier lui sera remis ce soir. » Au même instant se présente, de la part de Marie-Antoinette, un homme que la comtesse avait initié à ses projets d'iniquité, celui-là même qui avait le pernicieux talent de contrefaire l'écriture de l'auguste princesse. Elle s'avance avec respect, prend la cassette dans laquelle était renfermé l'écrin et la confie au faux messager qui sort aussitôt. Le cardinal, témoin caché et muet., avait pu cependant examiner les traits de cet homme et avait cru y reconnaître ceux de Lesclaux, valet de confiance de la reine[20]. Il se retire convaincu que Marie-Antoinette a reçu le collier. Mais la dame de La Motte l'avait gardé, et son mari, ex-garde du corps, alla vendre les diamants à Londres pour des sommes considérables. Aussi la vit-on passer subitement de l'indigence à un luxe extrême, acheter des équipages du dernier modèle et aux armes des Valois, de superbes chevaux de main, des parures de diamants et de topazes, une argenterie magnifique, un hôtel, et satisfaire, par d'énormes dépenses, les caprices les plus ruineux. Quant au crédule Rohan, il voyait la reine aux cérémonies, et toujours il cherchait à démêler dans ses regards un signe d'intelligence, niais toujours elle l'accablait de son juste dédain.

Quelque temps après, les joailliers remarquèrent que Marie-Antoinette ne portait pas le collier et s'étonnèrent de ne pas recevoir d'argent. Bœhmer lui écrivit une lettre dans laquelle il lui disait « qu'il était heureux de la voir en possession des plus beaux diamants connus en Europe, et qu'il la priait de ne pas l'oublier. » La reine lut cette lettre tout haut, en présence de ses femmes, ne put la comprendre, et n'y trouvant' qu'une énigme du Mercure, » la jeta au feu[21]. Elle recommanda ensuite à madame Campan de demander à &chiner l'explication de cette lettre, quand elle- le rencontrerait. « A-t-il encore assorti quelques parures ? ajouta la reine : J'en serais au désespoir : car je ne compte plus me servir de lui. Si je veux changer la forme de mes diamants, je me servirai de mon valet de chambre joaillier, qui n'aura pas même la prétention de me vendre un karat. » Inquiet de n'avoir reçu aucune réponse, Bœhmer voyait madame Campan à sa maison de campagne, et tout l'odieux mystère s'éclaircissait. Marie-Antoinette alla aussitôt informer le roi de l'inexplicable démarche des joailliers, montra par sa juste indignation qu'elle n'était pas la complice du cardinal et demanda hautement justice. Louis XVI avait jadis proposé à son épouse de lui donner ce collier, mais elle l'avait refusé, « ne voulant pas qu'on pût lui reprocher dans le monde d'avoir désiré un objet d'un prix aussi excessif[22]. » Il ne fut pas moins étonné que la reine de l'abus de son nom, et promit de faire droit à ses plaintes. Il appela le baron de Breteuil, nouveau ministre de sa maison, l'abbé de Vermond, conseiller- intime de Marie–Antoinette, et le garde des sceaux. Dans le désordre de ce conseil on résolut d'arrêter le cardinal de Rohan, mais la reine obtint qu'il fût d'abord interrogé. Le grand aumônier est donc mandé dans le cabinet intérieur du roi, le jour de l'assomption, au moment où, revêtu de ses habits pontificaux, il allait se rendre à la chapelle. II se présente avec confiance dans l'espoir, sans cloute, qu'il en sortirait ministre. « Vous avez acheté des diamants à Bœhmer ? lui dit le roi. — Oui, Sire, répond le cardinal. — Qu'en avez-vous fait ? — Je croyais qu'ils avaient été remis à la reine. — Qui vous avait chargé de cette commission ? — Une dame de condition, nommée la comtesse de La Motte–Valois, qui m'a présenté une lettre de la reine ; et j'ai cru faire une chose agréable à Sa Majesté en me chargeant de cette négociation. » — Alors la reine l'interrompit avec vivacité et lui dit : « Comment, monsieur, avez-vous pu croire, vous à qui je n'ai pas adressé la parole depuis quatre ans, que je vous choisissais pour conduire cette négociation, et par l'entremise d'une pareille femme ? — Je vois bien, répondit le cardinal, que j'ai été cruellement trompé ; je paierai le collier. L'envie que j'avais de plaire à Votre Majesté m'a fasciné les yeux : je n'ai vu nulle supercherie, et j'en suis fâché. » A ces mots il sortit de sa poche un portefeuille, dans lequel était la lettre de la reine à madame de La Motte, pour lui donner cette commission. Le roi la montrant au cardinal, lui dit : « Ce n'est ni l'écriture de la reine, ni sa signature. Comment un prince de la maison de Rohan et un grand aumônier de France a-t-il pu croire que la reine signait Marie-Antoinette de France ? Personne n'ignore que les reines ne signent que leur nom. Mais, Monsieur, continua le roi, en lui présentant une copie de la lettre écrite à Bœhmer, avez-vous écrit une lettre pareille à celle-ci ? » Le cardinal, après l'avoir parcourue des yeux : « Je ne me rappelle pas l'avoir écrite. — Et si l'on vous montrait l'original signé de vous ? — Si la lettre est signée de moi, elle est vraie. » Le cardinal palissait, il était extrêmement troublé : « Remettez-vous, monsieur le cardinal, reprit le roi avec bonté, reprenez vos sens ; et, si ma présence et celle de la reine vous troublent, passez dans le cabinet suivant, vous y serez seul : vous y trouverez du papier, des plumes et de l'encre ; écrivez-y ce que vous avez à me dire. »  Le cardinal obéit, et, au bout d'un quart-d'heure, vint remettre au roi un écrit aussi peu clair que ses réponses verbales[23]. Louis XVI exaspéré ordonna au prélat de sortir. M. de Vergennes, le garde des sceaux et le maréchal de Castries furent d'avis d'étouffer, à tout prix, cette dangereuse affaire, dont les malveillants commentaires de la publicité rendraient- le scandale inévitable. Mais la colère si légitime de Marie-Antoinette, ses, supplications, le ressentiment de l'abbé de Vermond et la haine implacable du baron de Breteuil contre le prince de Rohan, ne permirent point au conseil d'adopter le parti que réclamait la prudence.

Au sortir de l'appartement du roi, le cardinal s'efforça de cacher son trouble et de composer son visage. Il se promenait dans la galerie de Versailles, que remplissaient les personnages de la cour, afin d'accompagner le roi à la chapelle, lorsque le baron de Breteuil parut seul et dit d'une voix haute : « Arrêtez M. le cardinal de Rohan. » Alors un jeune sous-lieutenant des gardes-du-corps s'avança au milieu de la foule étonnée et arrêta le grand aumônier. Cette exécution ne put néanmoins se faire si promptement, que le cardinal ne trouvât le moyen, malgré son extrême embarras, d'écrire quelques mots en allemand sur une carte qu'il fit passer, par un de ses heiduques, à l'abbé Georgel, son grand vicaire et son confident intime, pour lui ordonner de brûler toute la correspondance de madame de La Motte. Cet ordre fut accompli sans délai, et « bientôt, dit l'abbé Georgel lui-même, le petit portefeuille rouge fut à l'abri des recherches[24]. » Peu de temps après, arriva un capitaine, le duc de Villeroy ; des gardes furent placés à la porte de Son Éminence et deux officiers près de sa personne. Le baron de Breteuil et le capitaine mirent ensuite le scellé sur ses papiers. Pendant cette opération le roi écrivit de sa main à madame de Marsan et au prince de Soubise, parents du cardinal, un billet, pour les prévenir de l'acte de rigueur qu'il était forcé d'exercer, en les assurant cependant qu'il ne s'agissait d'aucun crime contre l'État ou sa personne[25]. Le cardinal partit ensuite pour Paris, escorté du comte d'Agoult, qui le conduisit à la Bastille.

Dès l'arrestation du prince Louis, madame de La Motte effrayée fit partir la fille Oliva pour la Hollande, où la police ne tarda pas à la retrouver. Elle brêla ensuite ses papiers et fut aidée dans cette opération par M. Beugnot. « C'est là, rapporte ce dernier, qu'en portant mes regards sur une des mille lettres du Cardinal de Rohan, j'ai vu avec pitié quel ravage avait fait chez ce malheureux homme le délire de l'amour exalté par celui de l'ambition. Ces lettres, de nos jours un homme qui se respecte le moins du monde pourrait commencer de les lire, mais ne les achèverait pas. » Quelques heures après la destruction de ces papiers, la comtesse était arrêtée par la justice, jetée dans une voiture entourée d'exempts, et conduite aussi à la Bastille ; et, le 18 août, son mari gagnait précipitamment l'Angleterre.

Au premier bruit de la détention du grand aumônier, la clameur fut universelle ; le public se persuada que le cardinal de Rohan avait adressé à l'empereur les moyens d'envahir subitement la Lorraine ; mais il fut bientôt détrompé. Interrogé par le lieutenant général de police qui, sur l'ordre du baron de Breteuil, avait apposé aussi le scellé sur les papiers de son palais, le prélat refusa de répondre, disant qu'il ne le regardait pas comme partie compétente pour de semblables fonctions. Le comte de Vergennes, le maréchal de Castries et le baron de Breteuil se transportèrent alors à la Bastille, et signifièrent, de la part du roi, au prisonnier, que, sous un délai de quatre jours, il eût a opter d'être jugé, soit par le parlement, soit par une commission, ou de recourir à la clémence du monarque. Le cardinal, d'après l'avis de l'abbé Georgel, réclama le parlement pour juge, et, le 5 septembre 1785, des lettres patentes du roi traduisirent devant la grand'chambre de cette cour souveraine, le cardinal de Rohan, la comtesse de La Motte-Valois, et leurs complices, pour attentat à la majesté royale[26]. Moment funeste ! où Louis XVI consentit à répandre sur cette scandaleuse intrigue l'éclat d'un débat judiciaire[27].

Quelques jours après, le clergé réuni sous la présidence de l'abbé de Dillon, archevêque de Narbonne, revendiqua le droit de l'accusé, d'être jugé par ses pairs et par son ordre. Rohan qui avait d'abord réclamé lui-même la juridiction du parlement, protesta et demanda d'être renvoyé devant l'autorité ecclésiastique. Pendant l'instruction du procès, le pape pie VI, eu consistoire, suspendit ce prince des prérogatives du cardinalat pour avoir reconnu un tribunal étranger et séculier. Mais lorsqu'il eut été informé qu'il avait fait les protestations d'usage, il le réintégra dans tous les droits et honneurs de la pourpre romaine. Louis XVI n'accueillit point la demande du clergé, et la procédure suivit son cours devant le Parlement, plus irrité de son affront de 1771 que reconnaissant de la réparation. Malgré les ménagements que l'on dut avoir pour le rang du cardinal, c'était un spectacle bien déplorable de voir un prince de l'Église impliqué dans l'affaire la plus honteuse avec un charlatan, des escrocs et une courtisane, et réduit à se donner pour leur dupe imbécile.

Ce procès du collier, où l'honneur de la reine était évidemment engagé, se prolongea neuf mois entiers. Le prince de Rohan parut de bonne foi aux juges-interrogateurs qui ordonnèrent des recherches non interrompues pour découvrir la vérité. Attaquée avec toute l'habileté de l'instruction criminelle et du palais, la comtesse de La Motte présenta comme véritable l'entrevue nocturne dans le parc de Versailles, l'apparition de la reine en personne. Pour servir tout à la fois sa haine et sa vengeance, elle déclara que le comte de Cagliostro était l'auteur de l'escroquerie du collier, et le désigna comme seul complice du cardinal. Sur cette déclaration, appuyée de mille faussetés malheureusement trop vraisemblables, quoique très-absurdes, Cagliostro fut arrêté par ordre du procureur général. On trouva chez lui des creusets, des fourneaux et beaucoup de ces objets qui révèlent un alchimiste. Mais cet étrange personnage soutint qu'il était chimiste seulement, et, qu'en qualité de médecin, de pareilles occupations ne devaient point paraître étonnantes.

La comtesse de La Motte persistait dans son adroit système de diffamation, lorsque la vérité se fit jour à travers les plus épais nuages.

Dans ses moments de besoin et de détresse, elle avait su inspirer de la commisération à un jeune religieux, le Père Loth, procureur des Minimes de la place Royale. Elle en avait souvent reçu des secours, et, touchée de ses bontés, l'avait, par suite, initié aux secrets de sa fortune, qu'elle attribuait à la reine et au Cardinal de Rohan, puis bientôt admis dans la plus intime familiarité. Mais, pressé par sa conscience et méprisant son intérêt personnel, ce religieux vint trouver le procureur général et lui fit des révélations d'une extrême importance. « Monseigneur, lui dit-il, je vais vous parler avec tout l'abandon et toute la sincérité d'une âme qui connaît ses fautes. J'ai demandé pardon à Dieu et à mon supérieur d'une irrégularité de conduite que ma jeunesse elle-même ne saurait excuser. Mais si ma conduite n'a pas été ce qu'elle devait être selon mon état, mon cœur est demeuré fidèle à mes autres devoirs, et je préfère me nuire à moi-même aujourd'hui que de taire plus longtemps ce qui doit justifier la reine devant tout son peuple.

« Les circonstances que vous allez connaître, Monseigneur, m'ont lié avec madame la comtesse de La Motte. Cette dame trompe la justice comme elle a trompé monsieur le cardinal. Madame de La Motté a préparé, exécuté elle-même toute la scène du bosquet : _et, je déclare avoir vu, de mes propres yeux, dans son hôtel, la jeune personne chargée du rôle important que le public ne saurait pénétrer ni comprendre. »

A la demande du procureur général, qui le pria de lui expliquer comment il avait été à même de fréquenter la maison de madame de La Motte, le religieux reprit :

« Ayant désiré très-vivement de prêcher à la cour, afin d'avoir le titre de prédicateur du roi, je soumis un de mes sermons à M. le cardinal, grand-aumônier de France. Les secrétaires du prince trouvèrent cette composition trop faible ; mais un de ces messieurs me conseilla de m'adresser à la comtesse de La Motte, comme ayant un absolu pouvoir sur l'esprit de monsieur le cardinal. Cette clame m'accueillit, m'accorda sa protection, me fit avoir un bon discours, composé par un homme de lettres ; fit accepter cet ouvrage à la grande aumônerie, et m'obtint facilement l'honneur de prêcher devant le roi. »

« L'hôtel de La Motte, situé place Royale, est dans notre voisinage : la comtesse décida que j'y viendrais fréquemment ; et j'étais, puisqu'il faut l'avouer, un de ses convives les plus assidus. Un jour, à dîner, une jeune personne, extrêmement remarquable, fixa l'attention des invités, peu nombreux. On admira les grâces particulières de cette inconnue, et je me ressouviens que sa grande ressemblance avec la reine causa surtout notre étonnement.

« Après le repas, on s'occupa de sa seconde toilette, et je n'ai pas oublié qu'elle apparut au salon avec la manie coiffure de la reine, et un négligé plein d'élégance qui augmentèrent encore l'illusion. J'ai su depuis que l'on était parti aussitôt pour Versailles, et que cette belle personne avait été choisie au Palais-Royal, où le carrosse allait la prendre et la ramener vers le soir[28]. »

Sur l'ordre du procureur général, le religieux comparut devant madame de La Motte ; il y soutint son récit avec l'assurance du discours et tout le courage de la probité.

La principale actrice du parc, la fille Oliva, confrontée au Père Loth et à la comtesse, s'avoua coupable du rôle indécent et hardi que lui avaient imposé les époux La Motte. Elle ajouta, avec larmes, qu'en se prêtant à cette scène nocturne, elle avait cru obéir à la reine ; mais que les contradictions fréquentes de la daine La Motte lui avaient bientôt ouvert les yeux.

Cette confrontation, dans laquelle on avait pu voir sou extrême embarras, n'empêcha point la comtesse de soutenir encore obstinément que le cardinal avait remis, en sa présence, les diamants du collier à un valet de pied de la reine. Mais une lettre du lord-maire de Londres informa le baron de Breteuil que la police anglaise avait découvert dans Londres même le comte de La Motte vendant les diamants aux joailliers de la cité. » Milord donnait les noms des acquéreurs et jusqu'au détail des sommes comptées par chacun d'eux[29]. » Pour combler le malheur de cette intrigante, un certain Rétaux de Villette, l'auteur des fausses lettres de la reine, se laissa prendre à Genève. Cet homme fut conduit à la Bastille 'et confronté aussi à la perfide La Motte, qui resta frappée comme d'un coup de foudre à cet aspect imprévu. Elle comprit qu'elle était perdue malgré son effronterie naturelle.

Cependant les ennemis de Marie-Antoinette s'efforçaient de tirer parti des moindres apparences et de présenter sous le plus faux jour son innocence dans cette funeste intrigue. Ses partisans, de leur côté, conduisirent l'affaire avec une maladresse qui donna encore lieu à des soupçons outrageants. Ils mirent tout en œuvre pour perdre le cardinal, mais leur acharnement tourna l'opinion en sens inverse, rendit intéressant et populaire ce prélat couvert de dettes malgré son immense fortune, et que les scandales de sa vie avaient depuis longtemps condamné au mépris. On croyait que la cour cherchait à rejeter hors du débat la comtesse de La Motte, et cependant le baron de Breteuil eut le tort impardonnable de se mêler dans les démarches pour lui trouver un défenseur[30]. Les Rohan, il faut l'avouer aussi, ne montrèrent pas plus de retenue que ce ministre. Ils entraînèrent avec eux les Condé, devenus leurs alliés par le mariage du prince de Condé avec une princesse de leur famille, portèrent partout leurs plaintes, ne craignirent pas de répandre de l'argent et de recourir aux moyens les plus honteux[31]. Quelques conseillers du parlement, tels que les Morangis, les d'Outremont, les Fréteau, les Robert Saint-Vincent, les Hérault de Séchelles, dévoués à leurs intérêts avec toute l'ardeur de l'esprit de parti, les instruisirent de certaines particularités dont la connaissance leur fut de la plus grande utilité. On vit même ces illustres parents de l'accusé, les princes et les princesses des maisons de Condé et de Rohan, prendre des habits de deuil, et former la haie sur le passage de Messieurs de la Grand'Chambre, pour les saluer lorsqu'ils se rendaient au Palais, les jours de séances, et « des princes du sang se déclarer en sollicitation ostensible contre la reine de France[32]. »

L'arrêt fut enfin rendu le 31 mai 1786, après une séance de dix-heures. Malgré les conclusions sévères[33] du procureur général, Joly de Fleury, le parlement, à la majorité de cinq voix, déchargea Louis-René-Édouard de Rohan des accusations contre lui intentées, mais condamna Jeanne de Saint-Rémy de Valois de La Motte et son mari contumace à être fouettés et marqués par le bourreau, puis à être envoyés, pour le reste de leurs jours, la femme à la Salpêtrière, le mari aux galères. Le faussaire Rétaux de Villette fut banni à perpétuité, la fille Oliva mise hors de cause, et le fameux thaumaturge Cagliostro, acquitté comme le cardinal. Par ce jugement, la magistrature préludait à la résistance qu'elle devait bientôt opposer à l'autorité royale. Tous les parlementaires, ennemis de la cour, entre autres d'Esprémesnil, avaient abusé de leur influence pour soustraire le prince de Rohan aux admonitions juridiques que méritaient au moins le scandale de sa conduite, ses sentiments ambitieux et peut-être même ses espérances coupables[34].

La foule immense qui entourait le palais et inondait les rues avoisinantes, dès cinq heures du matin, accueillit avec une joie délirante et aux cris de vive le parlement ! vive le cardinal ! cet arrêt injurieux pour le trône. Ajoutons que cet arrêt excita dans toute la France une émotion extraordinaire. Quant à la reine, elle en parut profondément affligée. « Venez, dit-elle avec larmes à madame Campan, venez plaindre votre reine outragée et victime des cabales de l'injustice... L'intrigant qui a voulu me perdre, ou se procurer de l'argent en abusant de mon nom et prenant ma signature, vient d'être pleinement acquitté[35]. » Louis XVI partagea sincèrement la douleur de son épouse, et vit avec la même indignation l'honneur et la majesté du trône compromis dans le triomphe du cardinal.

Cette malheureuse affaire du collier, que des historiens appellent la première journée de la révolution, se termina comme elle aurait du commencer, par la disgrâce de Rohan. Douze heures après sa sortie de la Bastille, il reçut du roi l'ordre de lui remettre sa démission de la grande aumônerie, sa décoration du Saint-Esprit et une lettre de cachet, qui l'exilait dans son abbaye de la Chaise-Dieu, au fond de l'Auvergne. Ses partisans et la haute noblesse ne craignirent pas de dire « qu'il pouvait mettre pour légende à ses armes les paroles de François Ier : Tout est perdu fors l'honneur[36]. »

Nul doute que dans cette longue et tortueuse intrigue, inventée pour humilier le trône et la princesse qui s'y trouvai assise, Marie-Antoinette ne fût innocente ; la vente, qui Fa vengée, est aujourd'hui connue de tout le monde. La postérité, nous l'espérons, flétrira un jour ceux des historiens qui ont osé porter contre la vertueuse épouse des accusations pleines d'absurdités et d'immondes calomnies. Mais Louis XVI et quelques-uns de ses ministres manquèrent à toutes les règles de la prudence en laissant dérouler, pendant neuf mois entiers, les détails de ce procès auquel était mêlé le nom de la reine. Cette affaire, sur laquelle des dépositions et des aveux avaient répandu la lumière et l'évidence, quoiqu'en puissent dire encore aujourd'hui les révolutionnaires, révéla cependant les fâcheuses dispositions de l'opinion publique. Jusque-là égarée par des haines et des factions de cour, cette opinion se montra plus cruelle et plus injuste que jamais envers la fille des Césars, d'ailleurs si bonne et si bienveillante, mais folle d'élégants plaisirs et de fêtes qui prétendait vivre à Versailles comme ses pères vivaient à Vienne et rester allemande. A partir de ces scènes de tristesse et d'amertume, une haine invisible et persévérante désola l'existence de Marie-Antoinette. D'infâmes libelles, œuvre d'une implacable inimitié, née, dit-on, aux pieds mêmes du trône, inondèrent les villes et les campagnes, se multiplièrent dans la demeure royale et bravèrent toutes les recherches[37]. Dès cette époque sinistre disparurent les jours fortunés de la reine ; adieu pour jamais aux paisibles et modestes voyages de Trianon, aux fêtes ou elle ne voulait voir que des sourires autour d'elle, « où brillaient à la fois la magnificence, l'esprit et le bon goût de la cour de France ; adieu surtout à cette considération, à ce respect dont les formes accompagnent le trône, mais dont la réalité seule est la base solide[38]. »

Le comte de La Motte, ainsi que nous l'avons vu, avait pris la fuite en Angleterre pour se dérober au châtiment qui l'attendait. De cet asile inviolable, il osa menacer la cour d'un mémoire violent, si on ne lui rendait pas son épouse. La cour, soit qu'elle craignit la publicité de cette pièce, soit qu'elle trouvât trop sévère la punition infligée à cette femme, hésitait à la livrer au bourreau ; elle agita même la question de commuer sa peine, que les magistrats regrettaient de n'avoir pu étendre. Mais le comte de Vergennes et le maréchal de Castries firent comprendre le danger auquel on s'exposerait en fournissant un nouvel aliment à l'irritation de l'opinion publique. Le parlement reçut donc, au bout de quelques jours de délai, la permission de faire exécuter son arrêt à l'égard de la comtesse de La Motte. Ce fut en poussant des imprécations, au milieu d'inexprimables accès de rage et des plus violentes convulsions, que la condamnée subit son affreux supplice. On la transporta furieuse, ensanglantée, demi-nue, de la conciergerie à la Salpêtrière.

Une femme ignorante et fanatique, la supérieure de cet hôpital, se prit d'un attachement et d'une compassion sans bornes pour cette méprisable intrigante. Elle osa représenter sa prisonnière comme une déplorable victime des volontés de la reine, et lui permit de recevoir des visites dans ce lieu destiné aux expiations. Deux ans après, la condamnée parvint à s'évader et passa en Angleterre où le méprisable Calonne lui fit écrire ses Mémoires, qui ne sont qu'un long outrage à l'épouse de Louis XVI. On prétend que le gouvernement facilita sa fuite[39]. « Cette nouvelle faute confirma les Parisiens dans l'idée que cette vile créature, qui n'avait pu pénétrer jusqu'au cabinet des femmes de la reine, avait réellement intéressé cette infortunée princesse[40]. »

 

 

 



[1] Monthyon, Ministres des finances, p. 272.

[2] « Ses administrateurs avaient engagé la meilleure part de son numéraire dans des opérations étrangères à sa vraie destination, ce qui fit que les six millions suffirent à l'épuiser. » (Mirabeau, Mémoires, t. IV, p. 221.)

[3] « Il sortit de la cour comme il y était entré, avec l'estime de son souverain et de ses concitoyens. » (Histoire de la révolution française, par deux amis de la liberté (Kerverseau et Clavelin jusqu'au t. 7), t. I, p. 14. Edit. in-18, Paris, Garnery, libraire, 1792.)

[4] Droz, t. I, p. 308.

[5] Suivant quelques écrivains, Marie-Antoinette aurait proposé au roi M. de Calonne pour contrôleur général. Nous adoptons l'opinion contraire avec Madame de Staël et Madame Campan.

« Sa réputation (celle de M. de Calonne) fondée par les femmes, avec lesquelles il avait passé sa vie, l'appelait au ministère. Le roi résista longtemps à ce choix, parce que son instinct consciencieux le repoussait. La reine partageait la répugnance du roi quoiqu'elle fût entourée de personnes d'un avis différent : on eût dit qu'ils pressentaient l'un et l'autre dans quel malheur un tel caractère allait les jeter. » (Madame de Staël, Considérations sur les principaux événements de la révolution française, 1re partie, chap. IX, p. 58-59, édit. Charpentier, in-12.)

« Après MM. Joly de Fleury et d'Ormesson, faibles contrôleurs généraux, on fut obligé de recourir à un homme d'un talent plus reconnu, et les amis de la reine, réunis en ce moment au comte d'Artois, et, par je ne sais quel motif, à M. de Vergennes, firent nommer M. de Calonne. La reine en eut un déplaisir extrême, et son intimité avec la duchesse de Polignac commença à en souffrir. » (Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. X, p. 261.)

[6] « La reine n'ayant pu empêcher la nomination de M. de Calonne, ne déguisa pas assez le mécontentement qu'elle en avait ; elle dit même un jour chez la duchesse au milieu des partisans et des protecteurs de ce ministre, que les finances de la France passaient alternativement des mains d'un honnête homme sans talent, dans celles d'un habile intrigant. » (Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. XI, p. 268.)

[7] Monthyon, Ministres des finances, p. 279.

[8] « MM. de Breteuil et de Calonne furent chargés de traiter l'affaire de l'acquisition de Saint-Cloud avec M. le duc d'Orléans et l'on crut d'abord qu'elle serait faite par de seuls échanges : la valeur du château de Choisy, de celui de la Muette et d'une forêt, formait la somme demandée par la maison d'Orléans, et, dans cet échange dont la reine se flattait, elle ne vit qu'une économie à obtenir au lieu d'une augmentation de dépense. On supprimait par cet arrangement le gouvernement de Choisy, qu'avait le duc de Coigny, et celui de la Muette, qui était au maréchal de Soubise. On avait de même à supprimer les deux conciergeries et tous les serviteurs employés dans ces deux maisons royales ; mais pendant qu'on traitait cette affaire, MM. de Breteuil et de Calonne cédèrent sur l'article des échanges, et plusieurs millions en numéraire remplacèrent la valeur de Choisy et de la Muette.....

« La reine fut très mécontente de la manière dont cette affaire avait été traitée par M. de Calonne. » (Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. XI, p. 272-275.)

[9] Monthyon, Particularités sur les ministres des finances, p. 296. — Soulavie, Mémoires du règne de Louis XVI, t. VI, p. 115.

[10] Lacretelle, Histoire du dix-huitième siècle, t. VI.

[11] Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. XI, p. 278.

[12] « Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, disait Beaumarchais lui-même, c'est le succès. » A la soixante-deuxième représentation, il y avait autant de monde qu'à la première.

[13] M. Louis Lacour, écrivain peu favorable à Marie-Antoinette, semble n'avoir pas connu les motifs sérieux qu'avait cette princesse de ne pas aimer le cardinal. Voici ce qu'il dit dans son Affaire du collier, placée en tête des Mémoires inédits du comte de La Motte-Valois :

« Marie-Antoinette se montrait hostile au cardinal pour diverses raisons peu connues, et que sans doute, elle ne s'expliquait pas elle-même. Elle s'était, dès son mariage, trouvée en rapport avec Rohan, et, depuis, l'avait pris en grippe, comme une enfant, par instinct. C'était, ce semble, plutôt habitude de l'éviter que haine réfléchie ; étourderie de jeune princesse, caprice de jolie femme. »

[14] Mémoires du comte Beugnot, Revue française, septembre, 1838.

[15] Voir la note 7 à la fin du volume.

[16] L'abbé Georgel, Mémoires.

[17] Mémoire pour le comte de Cagliostro, contre M. le procureur général accusateur, dans la collection des Mémoires relatifs à l'affaire du collier.

[18] Lafont d'Aussonne, chap. XVIII, p. 79.

[19] Mémoire remis à la reine, le 12 août 1785 ; pièces justificatives du compte rendu, p. 21.

[20] L'abbé Georgel. Mémoires.

[21] « La reine a, depuis, beaucoup regretté ce placet énigmatique. » (Madame Campan, Mémoires, t. II, chap. XII, p. 7).

[22] Mémoires de madame Campan, t. II. p. 5.

[23] Mémoires de madame Campan, t. II, p. 13-15, et 282-283.

[24] Mémoires secrets, t. XXIX, p. 199, année 1785. — Voir la note 8 à la fin du volume.

[25] Mémoires secrets, t. XXIX.

[26] Voir la note 9 à la fin du volume.

[27] Voir la note 10 à la fin du volume.

[28] Lafont d'Aussonne, chap. XVII, p. 73-76. - L'abbé Georgel, Mémoires, t. II.

[29] Lafont d'Aussonne, chap. XIX, p. 81.

[30] Mémoires du comte Beugnot, Revue française, p. 259.

[31] Voir la note 11 à la fin du volume.

[32] Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 286. - Voir la note 12 à la fin du volume.

[33] Ces conclusions portent, contre le cardinal : « Qu'il sera tenu de déclarer à la chambre, en présence du procureur général, que témérairement il s'est mêlé de la négociation du collier, sous le nom de la reine ; que, plus témérairement, il a cru à un rendez-vous nocturne à lui donné par la reine : qu'il demande pardon au roi et à la reine en présence de la justice ;

Tenu de donner, sous un temps déterminé, la démission de sa charge de grand-aumônier ;

Tenu de s'abstenir d'approcher, à une certaine distance, des maisons et des lieux où serait la cour ;

Tenu de garder prison jusqu'à l'exécution pleine et entière de l'arrêt. » (Mémoires de la république des lettres, vol. XXXII.)

[34] « C'était par les femmes, et à raison des sommes considérables qu'elles avaient reçues, que les plus vieilles et les plus respectables avaient été séduites. » (Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 291.)

[35] Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 288.

[36] « La haute noblesse jette feu et flammes contre le despotisme exercé envers le cardinal de Rohan. On sait que madame de Marsan s'est jetée aux genoux de la reine, pour qu'il ne fût pas dans le lieu où il est exilé... Sa Majesté a répondu : « Qu'il fallait que le cardinal se soumît aux ordres du roi. »

« On ajoute que Madame de Marsan, très-mécontente, dit à la reine : « Que ce refus lui faisait connaître combien sa personne était désagréable à Sa Majesté, et qu'en conséquence c'était la dernière fois qu'elle avait l'honneur de se présenter devant elle. » (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, t. XXXII, 9 juin 1786.)

[37] « Les pamphlets injurieux à Marie-Antoinette se multiplièrent. La noblesse de province, les gros fermiers, les riches bourgeois les reçurent par la poste, gratuitement et affranchis ; et l'hôtel des Monnaies de Strasbourg mit en émission des louis d'or abominables. » (Lafont d'Aussonne, chap. XIX, p. 83).

[38] Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 291.

[39] Ce n'est pas l'opinion de M. Lafont d'Aussonne. Voici ce qu'il dit à la page 8S des mémoires que nous avons déjà cités : « Une longue échelle, introduite à la Salpêtrière, et appliquée, la nuit, contre les murs de la prison, facilita l'évasion de la comtesse, et le public sut, à n'en pouvoir douter, que cette violation coupable avait eu pour exécuteurs les gens mêmes du cardinal et de la maison de Soubise. »

[40] Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 287.