HISTOIRE DE LOUIS XII

 

CHAPITRE V. — MORT DE GEORGES D'AMBOISE. - GUERRE CONTRE JULES II.

 

 

Lit de justice. — Prospérité de la France — Amont' du peuple pour le roi et pour le cardinal d'Amboise. — Voyage du roi en Champagne et en Bourgogne. — Mort de Georges d'Amboise à Lyon. — Ses funérailles. — Georges d'Amboise protecteur des arts. — Ministres de Louis XII. — Réconciliation de Jules II avec les Vénitiens. — Il cherche des ennemis à la France et s'allie avec les Suisses. — Succès de Chaumont d'Amboise et du prince d'Anhalt.— Hostilités de Jules II. — Il rejette les propositions de Louis XII. — Activité de Jules II. — Il tombe malade à Bologne. — Son courage. — Négociations trompeuses avec Chaumont. — Jules II s'empare de la Mirandole. — Combat de la Bastide. — Mort de Chaumont. — Ce général est remplacé par Trivulce. — Congrès de Mantoue. — Affaire de Bologne. — Victoire des Français à Casalecchio. — Le pape convoque en concile à Saint-Jean-de-Latran. — Formation de la Sainte Ligue. — Conciliabule de Pise.

 

« Tandis que l'hiver ralentissait la guerre, à laquelle les Français ne prenaient plus qu'une part secondaire, Louis XII, sans cesser d'avoir l'œil sur l'Italie, continuait les améliorations intérieures, dont le fracas des événements du dehors et l'ivresse de la victoire ne détournaient pas sa pensée[1]. » Vers la fin de l'hiver, il vint à Paris (1510), et s'établit au palais des Tournelles. Instruit que des abus s'étaient glissés dans l'exécution des ordonnances qu'il avait rendues au commencement de son règne, il tint au parlement un lit de justice, où le chancelier fit en son nom de sévères remontrances. Il prescrivit ensuite des mesures qui avaient pour objet de protéger les faibles contre l'injustice des puissants, de diminuer la longueur des procès, et ordonna que les débats auraient lieu en langue vulgaire. Il parcourut ensuite une grande partie du royaume, et fit beaucoup de belles choses touchant l'exercice de la justice.

Jamais la France n'avait été plus florissante, jamais elle n'avait joui d'une aussi grande prospérité. Écoutons ce que nous en dit Seyssel, évêque de Marseille : « Pour commencer, dit-il, par la population, on ne peut douter qu'elle ne soit aujourd'hui beaucoup plus grande qu'elle ne fut jamais, et cela se peut connoître aux villes et aux champs, puisque aucunes et plusieurs grosses villes qui estoient à demi vagues et vides, aujourd'hui sont si pleines, qu'à peine y peut-on trouver lieu pour bâtir maisons neuves... et par tout le royaume se font bâtiments nouveaux, grands et somptueux. Par les champs aussi, on conne bien évidemment la multiplication du peuple, parce que plusieurs lieux et grandes contrées qui restoient incultes, en bois ou en landes, sont actuellement cultivés et couverts de villages et de maisons... Les meubles, les habillements et manières de vivre, dit ailleurs le même écrivain, sont plus somptueux que jamais ; par où l'on voit la richesse du royaume... et ce qui montre encore mieux ce que j'avance, le revenu des bénéfices, des terres et des seigneuries, s'est accru partout généralement de beaucoup ; et plusieurs y en a qui à présent sont (le plus grand revenu par chaque année, qu'ils ne se vendoient, du temps du roy Louis XI, pour une fois ; et pareillement les produits des gabelles, péages, greffes et de tous autres revenus, sont augmentés en plusieurs lieux de plus des deux tiers ; en d'autres, de dix parts les neuf. Aussi est l'entre-cours des marchandises, tant par mer que par terre, fort multiplié ; car toutes gens, excepté les nobles, lesquels encore je n'excepte pas tous, se mêlent de marchandise ; et pour un gros et riche négociant que l'on trouvoit, du temps du roy Louis XI, à Paris, à Rouen et à Lyon, on en trouve aujourd'hui plus de cinquante ; il s'en trouve même par les petites villes un plus grand nombre qu'il n'y en avoit autrefois dans les capitales, etc. »

Ainsi de sensibles améliorations s'étaient introduites dans toutes les classes de la société. Malgré les guerres désastreuses de ce règne, la France ne payait que des impôts légers, et le pauvre peuple, qui n'avait jamais vu gouvernement prendre tant de souci de ses intérêts, bénissait le roi qui lui donnait ce bon temps et dont la maxime était qu'un bon pasteur ne sauroit trop engraisser son troupeau. Dans sa reconnaissance, il ne séparait pas du roi son principal ministre. L'attention continuelle que montrait le cardinal d'Amboise pour tout ce qui pouvait contribuer à la gloire du monarque, au bien du royaume, au bonheur du peuple, ses talents, la bonté et la générosité de son cœur, avaient inspiré de lui une haute idée. Aussi le dicton populaire laissez faire à Georges, exprimait-il la bonne opinion qu'on avait de l'habileté et du zèle de ce ministre pour le bien public.

Louis XII recueillit des témoignages non équivoques de la vive affection des Français dans un voyage qu'il entreprit de Paris à Lyon, par la Champagne et la Bourgogne, au printemps de la même année. La cour marchait à petites journées, écoutait toutes les réclamations, distribuait avec discernement les grâces et les secours, et rappelait aux peuples les anciennes traditions sur les voyages du bon roi Louis IX. « Par tous les lieux où le roi passoit, dit Saint-Gelais, les gens, et hommes et femmes s'assembloient de toutes parts, et couroient après lui trois ou quatre lieues ; et quand ils pouvoient toucher sa mule, ou sa robe, ou quelque chose du sien, ils baisoient leurs mains d'aussi grande dévotion qu'ils eussent tait d'aucun reliquaire. » Les populations couvraient le chemin du monarque de feuillage et de fleurs ; on l'entourait, on le pressait, on versait des larmes de joie en le voyant ; aux cris d'allégresse se mêlait le doux nom de père du peuple. « Un gentilhomme attaché au roi, continue Saint-Gelais, trouva un vieux laboureur qui couroit tant qu'il pouvoit. Le gentilhomme lui demanda où il alloit, lui disant qu'il se gàtoit de s'échauffer si fort ; et le bonhomme lui répondit qu'il s'avauçoit pour voir le roi, lequel il avoit pourtant vu en passant ; mais qu'il voyoit si volontiers pour les biens qui étoient en lui, qu'il ne s'en pouvoit saouler. Il est si saige, ajouta le paysan ; il maintient justice, et nous faiel vivre en paix, et a osté la pillerie des gens d'armes, et gouverne mieux que jamais roi ne lit. Je prie à Dieu qu'il lui doint bonne vie et longue. »

Cet amour, que Louis XII inspirait à ses sujets, n'était point l'effet de la magnificence et des largesses. En effet, le roi donnait peu à ses serviteurs' les plus dévoués, dans la crainte de fouler le peuple ; mais personne ne sut donner. plus à propos. Tous étaient récompensés suivant leur état et leur mérite, et le plus souvent sans qu'ils le demandassent. S'il pardonnait facilement les offenses envers sa personne, il punissait avec sévérité les torts qui concernaient l'État. H ne prêtait l'oreille ni aux délations, ni aux flatteries. Disait—on du mal de quelqu'un, il fallait alors produire aussitôt des preuves contre lui, et soutenir en sa présence ce qu'on avait avancé. Lorsque ce bon prince entendait faire son éloge, il témoignait de l'impatience, et détournait la conversation sur un autre sujet. « J'aime mieux, disait-il, que les louanges soient au cœur des hommes qu'en leur langue. »

Cette fois Georges d'Amboise, l'inséparable compagnon de Louis XII, n'avait pas été du voyage, et n'avait pu recueillir la part qui lui était bien due dans ces témoignages si touchants de l'amour du peuple. Depuis quelque temps la santé du cardinal déclinait rapidement. Affaibli par la goutte et par d'autres infirmités, il n'eut pas la force de résister aux violentes attaques d'une épidémie que les médecins de ce temps qualifient de coqueluche. Louis XII le trouva mourant à Lyon, où le cardinal s'était rendu afin de veiller avec le roi aux affaires d'Italie, qui prenaient une tournure inquiétante. Il alla le voir aux Célestins, et eut la consolation de recevoir les adieux de son digne ami. Le roi et le ministre eurent ensemble une assez longue conférence, qui ne se passa pas sans larmes.

Quand Louis XII le quitta, le cardinal lui dit en présence des nombreux assistants : « Sire, je vous prie, ne venez plus, et ne prenez plus de peine sur moi. — Pourquoi, monsieur le légat ? répondit le roi : avez-vous peur ? — Non, Sire, répliqua Georges, car je suis tout assuré de la mort, et prends sur Dieu et sur mon âme que jamais ne fis chose en ma conscience que j'en aie enfreint votre commandement et volonté ; et si quelquefois j'ai différé, en pensant à votre profit et honneur, je vous prie le moi pardonner... Sire, j'ai eu par votre moyen la légation en votre royaume de France, et puis la pension qu'il vous plaisoit moi donner, ensemble l'archevêché de Rouen ; et ne pensez, Sire, avoir ma conscience chargée et n'avoir pillé votre royaume, quelques biens que j'aie amassés. — Monsieur le légat, lui dit le roi, il n'est question de cela, et ce que en avez fait je l'avoue. — Sire, continua l'auguste malade, pour ma dernière requête, je vous supplie accepter mon neveu archevêque de Rouen, fils de M. de Bussi, mon frère ; et pareillement qu'il vous plaise avoir pour agréable mon testament, des biens que j'ai gagnés à votre service. » A ces mots, le roi prit congé de lui et s'en alla, faisant grandes lamentations, ayant les larmes aux yeux.

Après la visite du roi, le cardinal appela auprès de son lit de douleur tous ses parents et ses amis : « Mes parents et amis, leur dit-il, vous avez vu en ma vie la fortune du monde, c'est à savoir les grandes adversités et prospérités que Dieu m'a données, et la gloire avec laquelle je vais mourir ; je vous supplie et commande à tous que n'entrepreniez de vous mettre jusque-là où je me suis mis ; car, comme je crois, il n'y a celui de vous tous qui en échappât, et qui ne fût cause de amoindrir l'honneur lequel je laisse entre vos mains[2]. » Il leur abandonna ensuite ses biens, qui s'élevaient à la somme de onze millions de livres (environ 45,000,000 de notre monnaie). Dans ses legs, le cardinal n'avait pas oublié les quatre ordres mendiants du royaume, son église de Rouen, les chartreux de cette ville, et surtout les pauvres de Dieu, qu'il regardait comme les véritables héritiers de l'Église.

Georges d'Amboise ne songea plus ensuite qu'à bien mourir. Il reçut les derniers sacrements avec une piété édifiante, au milieu de fréquents actes de foi, d'espérance et d'amour de Dieu. Il conserva jusqu'à la fin une présence d'esprit admirable et une égalité d'âme que rien ne put troubler : privilége qui n'appartient qu'à la véritable vertu. Il expira en prononçant la première parole du symbole, Credo (25 mai 1510). Le cardinal n'avait pas encore cinquante-quatre ans. Ses funérailles furent célébrées avec une pompe extraordinaire ; le roi voulut y assister. Son gendre, le duc de Valois (François Ier), le duc de Lorraine et le chancelier de France conduisirent le deuil. Le cœur et les entrailles du défunt furent déposés à Lyon, au pied du grand autel de l'église des Célestins. Son corps, qui devait reposer dans l'église cathédrale de Rouen, fut mis dans un cercueil de plomb, et transporté à Rouen sur un char couvert d'un magnifique drap de velours orné d'une croix de damas blanc. Le roi voulut que par toutes les villes et places où il passerait, on lui fit tout et tel honneur comme à sa propre personne. Mais, suivant son biographe, le plus grand ornement de la pompe funèbre fut la mémoire de ses vertus et la douleur sincère de tous les ordres du royaume.

Louis XII regretta dans Georges d'Amboise non pas ces talents éminents qui n'appartiennent qu'aux génies supérieurs, mais des vertus qui peuvent y suppléer à des époques orageuses, et qui souvent sont plus utiles dans des temps ordinaires. Plus appliqué et plus infatigable qu'aucun des ministres qui l'avaient précédé, d'Amboise pouvait se tromper dans la combinaison de ses plans ; mais par son travail et sa patience il en corrigeait les défauts et surmontait tous les obstacles. S'il engagea son maître dans des entreprises que ne couronna pas toujours le succès, nous devons reconnaître qu'il le rendit constamment supérieur à ses ennemis par des procédés pleins de cette franchise et de cette loyauté inconnues à l'immorale diplomatie de son époque. L'histoire, il est vrai, lui reproche quelques fautes dans la politique extérieure ; mais elle convient qu'il justifia entièrement la confiance de Louis XII dans tout ce qui regardait l'intérieur du royaume. Rien ne balança les bienfaits de son administration ; qui fut toujours sage, douce et paternelle.

Quelques écrivains lui ont fait un crime de son immense fortune. Mais peut—on avoir le courage d'accuser son amour des richesses, quand l'histoire nous atteste qu'il n'aimait l'or que pour féconder les penchants de son cœur généreux, soulager la misère du pauvre, sauver du naufrage la fortune du riche ? Ajoutons encore que d'admirables monuments élevés par ses soins, que le temps et les révolutions ont épargnés, nous apprennent à quel noble usage l'honnête ministre employait ses richesses. En effet, le cardinal d'Amboise, comme tous les grands princes et ministres ses devanciers ou ses successeurs, se fit le centre du mouvement de l'art, et répandit autour de lui une merveilleuse influence. A son arrivée en Italie, Georges, le protecteur éclairé des artistes français, fut saisi d'une profonde admiration devant les chefs-d'œuvre dont se parait la Lombardie, devant les imposantes constructions du Bramante, qui portait l'architecture de la renaissance à son dernier degré de perfection, et les sublimes créations du génie de Léonard de Vinci. Georges résolut de rendre aux arts ce que leur enlevaient et les fureurs de la guerre et la chute des Sforza. A défaut de Léonard de Vinci, que les brillantes promesses du roi ne purent décider à quitter sa patrie, il ramena en France le dominicain Fra Giocondo, qui s'illustra par sa capacité dans les sciences, dans les arts, dans la connaissance des antiquités et surtout de l'architecture.

Nommé architecte du roi et devenu l'ami du ministre, Fra Giocondo trouva, dès son arrivée en France, l'art monumental déjà florissant. A Rouen, la ville archiépiscopale du cardinal, Roger Ango commençait le palais de justice, majestueux édifice destiné au nouveau parlement de Normandie ; à Blois, séjour favori des Valois., Louis XII faisait bâtir la partie orientale du château, et n'épargnait rien pour l'ornement de sa résidence préférée ; à Paris, le frère aîné du cardinal Georges, Jacques d'Amboise ;abbé général de Cluny, achevait la construction du gracieux hôtel de Cluny ; la sculpture avec ses richesses secondait l'architecture, et déjà l'habile ciseau de Jean Lejuste avait produit à Tours le tombeau des enfants de Charles VIII ; déjà avait paru la vaste légende des saints de Solesmes. Orléans s'enorgueillissait de son François Marchand ; Troyes, de son François Gentil.

Introduit au milieu de ce mouvement national, Fra Giocondo sut le diriger avec intelligence. e Il tenta une entreprise hardie : ce fut de marier à l'ornementisme de notre gothique fleuri du ive siècle un autre système d'ornements, qui, renouvelé de l'antique et fécondé par l'imagination italienne, était consacré en ce moment par une main qui a voué à l'immortalité tout ce qu'elle a touché, par la main de Raphaël. Jean Lejuste s'associa au Giocondo dans ce dessein, et partit aux frais du cardinal d'Amboise pour aller étudier les arabesques à Rome. Le château de Gaillon fut le résultat de cette association et de ce voyage, et le premier exemplaire d'un art nouveau : l'imagination du Nord et celle du Midi unirent, dans un merveilleux ensemble, les dais festonnés, les niches sculptées, les aiguilles et les dentelles de pierre, les frontons brodés à jour, les balcons découpés en trèfles, en cœurs et en flammes, aériennes demeures d'un peuple de saints, de démons et de chimères, avec les cartouches de marbre, les médaillons incrustant dans les parois l'image des héros, les pilastres fleurissants et vivant d'une végétation et d'une vie inconnues, les frises aux guirlandes sans fin où s'élancent d'entre les acanthes corinthiennes, faunes et sirènes, génies et fées, grotesques ou charmantes figures, telles qu'on en voit dans les rêves[3]. »

Après la mort du cardinal, Louis XII, sentant l'impossibilité de retrouver un ami tel que Georges d'Amboise, résolut de n'avoir plus de premier ministre. Son conseil fut donc composé du chancelier Jean de Gannay, qui trois ans auparavant avait succédé à Gui de Rochefort ; d'Étienne Poncher, évêque de Paris ; de Du Bouchage, ancien ministre de Louis XI ; de Raoul de Lannoy et de Robertet. Il abandonna à ces ministres les affaires de détail, et se réserva le soin de diriger seul les grandes opérations politiques et militaires. Cette résolution et sa faible santé l'empêchèrent dans la suite d'aller commander ses armées en Italie. Il avait l'espoir d'être remplacé dignement par l'un de ses fils adoptifs, François, duc de Valois, et Gaston de Foix, duc de Nemours.

Jules II n'avait pas appris le trépassement de Georges d'Amboise avec la même tristesse que les artistes, le peuple et le roi de France. Il recouvrait enfin l'autorité que le cardinal avait exercée en qualité de légat, d'une manière presque absolue, sur l'Église de France et du nord de l'Italie. Cette mort n'apaisa point son mécontentement contre les Français ; des disputes qui ne tardèrent pas à naître produisirent de part et d'autre des récriminations et des manifestes menaçants. Bientôt Jules II, revenu à son grand projet, l'expulsion des barbares de l'Italie, avait entamé ouvertement des négociations avec les Vénitiens, reçu leurs excuses, malgré les représentations des ambassadeurs de Louis XII, et levé l'interdit et l'excommunication qu'il avait naguère fulminés contre eux (24 février 1510). La république s'était soumise, en retour, à ces conditions : elle devait laisser au pape toutes ses conquêtes, ne plus mettre obstacle dans ses domaines à sa juridiction spirituelle, renoncer à ses prétentions sur les terres de l'Église, et permettre la navigation de la mer Adriatique à tous les sujets romains.

Non content d'avoir ainsi rompu ce traité ; Jules II chercha encore à affaiblir la France, qu'il regardait comme la puissance la plus formidable de l'Europe et la plus capable d'asservir l'Italie entière. Il travailla secrètement à détacher de la ligue Ferdinand d'Aragon, qui voyait avec une jalouse inquiétude les progrès de Louis XII. Le roi d'Angleterre, Henri VII, était mort (22 avril 1509), laissant sa couronne et ses immenses richesses au prodigue Henri VIII, son fils. Ce prince avait renouvelé les traités de son père avec la France (23 mars 1510), et paraissait néanmoins disposé 'à se mêler des affaires du continent. Jules II resserra les liens qui l'unissaient à Henri VIII, et l'entraîna dans une alliance défensive avec Ferdinand, dont le roi d'Angleterre avait épousé une fille, Catherine d'Aragon. Il lit aussi les plus grands efforts pour déterminer les Suisses à se déclarer contre Louis XII. Ce monarque, fatigué de leur avidité, venait de refuser l'augmentation des pensions qu'il leur accordait, et n'avait pas même craint de les traiter avec mépris. Il n'avait point voulu se laisser ainsi mettre à la taille par de misérables montagnards, et s'était flatté de pouvoir les remplacer dans ses armées par des lansquenets allemands, des Grisons et des Valaisans.

L'alliance de la France avec les Suisses ne fut pas renouvelée ; Mathias Schinner, évêque de Sion, opiniâtre ennemi des Français, usa de toute son influence sur ses compatriotes pour les engager à recevoir de Jules Il une pension annuelle de mille florins du Rhin par chaque canton. Ils y consentirent, et s'engagèrent pour cinq ans à protéger le saint Père et les Etats de l'Eglise. Inquiet de tous ces mouvements, Louis XII se repentit de n'avoir pas donné des secours plus efficaces à Maximilien, et prit la résolution de terminer la guerre par un coup de vigueur. Il ordonna donc à Chaumont d'Amboise 'd'aller rejoindre le prince d'Anhalt dans Vérone avec quinze cents lances et dix mille fantassins, tandis que Maximilien entrerait dans le Frioul à la tête des troupes qu'il se flattait d'obtenir de la diète d'Augsbourg. Toujours lent et irrésolu, l'empereur ne parut pas ; cependant Chaumont et le prince d'Anhalt, renforcés par le duc de Ferrare, entrèrent en campagne et se rendirent maîtres de Vicence, de Legnano, de Feltre et du- Polésine. La désertion des impériaux, mécontents de ne pas recevoir leur solde, les empêcha de pousser plus loin leurs avantages. D'ailleurs, Chaumont reçut l'ordre de reprendre le chemin du Milanais, où des mouvements commençaient à se manifester.

Assuré de l'appui des Suisses, des secours du roi d'Angleterre et de la neutralité bienveillante de Ferdinand d'Aragon, au prix de l'investiture du royaume de Naples, Jules il prit tontes les mesures pour chasser les Français de l'Italie. Le duc d'Urbin, son neveu, soutenu par les Vénitiens, ravagea les environs de Ferrare, dont le duc Alphonse d'Este, vassal rebelle de l'Eglise, était l'ami particulier de Louis XII. De leur côté, les Suisses se disposèrent à l'invasion du Milanais ; enfin une flotte vénitienne, ayant à bord les bannis de Gènes, s'avança pour exciter Une révolte dans cette ville et l'appeler à la liberté. Chaumont, gouverneur de Milan, partagea ses troupes afin de repousser ces attaques inattendues. Les Suisses s'avancèrent en Lombardie et vinrent camper à Castiglione ; niais, dépourvus de cavalerie et sans cesse harcelés par les gens d'armes et l'infanterie légère de Chaumont, ils se virent bientôt contraints de retourner dans leur pays (septembre 1510). Gènes, que continrent le souvenir de ses désastres et les troupes françaises, ne remua point, et l'entreprise des Vénitiens sur cette ville échoua. Ils finirent cependant par recouvrer Vicence, Bassano, Este et quelques autres places ; le duc d'Urbin, commandant de l'armée pontificale, s'empara de Modène. Mais au siège de Vérone les Allemands et les Français battirent les Vénitiens.

Instruit de ce qui se passait à la cour de France, Jules II renoua des négociations avec Louis XII. Il savait que la reine, qui venait de mettre au monde une seconde fille, Madame Renée, s'effrayait de voir son époux en guerre avec la cour de Rome, que ses plaintes et ses larmes troublaient le prince, et qu'elle était disposée à tout sacrifier pour obtenir la paix. Connaissant l'influence de cette vertueuse princesse, il exigea la liberté de Gênes, et rejeta toutes les propositions du roi, qui se bornait cependant à demander que son allié, le duc de Ferrare, ne fût pas entièrement accablé. Quand Louis XII vit cette tentative échouer, il convoqua, le 14 septembre 1510, à Tours, les évêques, prélats, docteurs et autres gens de bonnes lettres du royaume, y compris ceux de Bretagne, de Flandre et d'Artois. Il leur déroula tous ses griefs contre Jules II, et leur demanda si les principes de la religion lui permettaient de faire la guerre au pape, souverain temporel. L'assemblée décida que le roi pouvait soutenir sa querelle avec Jules II, seigneur temporel, par tous les moyens accordés aux souverains ; que, la religion n'étant pas intéressée dans ce démêlé, le pape ne devait pas en employer les armes, et que Louis XII était autorisé à porter devant un concile œcuménique, assemblé de concert avec l'empereur, ses plaintes contre le belliqueux pontife. Cette assemblée s'ajourna ensuite au 15 mars à Lyon, après avoir fourni des subsides au roi.

Cette décision, loin d'intimider Jules II, qui avait jeté, disait-on, les clefs de saint Pierre dans le Tibre, pour ne se servir que de l'épée de saint Paul, le rendit plus entreprenant. Il n'avait pourtant d'autre appui que lui-même, et, comme il le répétait souvent, que la confiance où il était que Dieu favoriserait des desseins qui avaient pour seul but la liberté de l'Italie. Sans troupes sur le courage desquelles il pût compter, il n'avait pour alliés que les Vénitiens, dont il ne pouvait espérer de grands secours, à cause de leur épuisement et de leurs propres embarras. Ferdinand d'Aragon se contentait de lui donner secrètement des conseils et l'amusait par de vaines promesses. Henri VIII avait reçu ses propositions avec empressement ; mais, séparé de l'Italie par tant de terres et de mers, ce roi ne pouvait y porter facilement ses forces ; il venait d'ailleurs de signer la paix avec la France, et d'envoyer une magnifique ambassade pour recevoir la ratification de Louis XII.

Malgré les difficultés qui l'entouraient, Jules Il condamna le duc de Ferrare à la confiscation de ses biens, et alla s'établir à Bologne. Au milieu de celte activité surprenante dans un vieillard âgé d'environ soixante-dix ans, il tomba gravement malade ; mais rien ne put ralentir son ardeur. Sourd à tous les avis des médecins, il se promettait de sortir aussi heureusement de sa maladie que de ses entreprises ; « car, disait-il, Dieu l'avait choisi pour être le libérateur de l'Italie. n Bientôt il apprit que Chaumont d'Amboise marchait sur Bologne en annonçant l'intention de la faire rentrer sous la puissance des Bentivoglio, anciens alliés de la France. Le pontife avait alors fort peu de soldats autour de lui ; une brusque attaque avait toutes les chances d'un prompt succès. Déjà les Français n'étaient plus qu'à trois milles de Bologne. A cette nouvelle, les cardinaux et les ecclésiastiques, remplis d'effroi, le conjurèrent de traiter avec les ennemis, et de tâcher d'en obtenir des conditions supportables ; enfin ils lui proposèrent d'abandonner Bologne avec toute sa cour, sans tarder davantage.

Dans ce pressant danger, Jules II, miné par la fièvre, certain de la fidélité des Bolonais, assiégé par les plaintes et les prières de ses ministres, demeura inaccessible à la crainte et ne perdit pas un moment sa présence d'esprit. Il fit venir Jérôme Donato, ambassadeur de Venise, et lui adressa de vifs reproches sur la conduite qua tenait la république à son égard. « Lorsque j'attends des secours que vos promesses et la reconnaissance devraient hâter, lui dit-il, vos délais éternels exposent ma fortune et ma vie... Si votre armée n'est pas demain dans cette ville, je traite avec les Français. » Les généraux vénitiens étaient alors à Stellata, sur le Pô. En attendant leur secours, Jules Il résolut d'entamer des négociations, lorsque le soir même un corps de Vénitiens pénétra dans Bologne, et le lendemain arriva un renfort espagnol expédié de Naples par Ferdinand le Catholique.

Encouragé par les secours et le mouvement du peuple de Bologne, qui venait de prendre les armes en sa faveur, Jules II rejeta toutes conditions de paix, à moins que le roi de France ne s'obligeât à abandonner entièrement le duc de Ferrare." Chaumont se retira désespéré d'avoir ainsi compromis les intérêts de son maître, et alla établir ses quartiers d'hiver à Parme. L'infatigable Jules, malgré ses infirmités, fit continuer la guerre pendant la saison la plus rigoureuse. Sans abandonner le projet de se saisir de Ferrare, il résolut de s'emparer d'abord de la Mirandole, où la princesse Françoise Trivulce s'était enfermée avec ses enfants. Il fut un jour sur le point d'être enlevé par Bayard. Les assiégés opposèrent une vigoureuse résistance ; mais, ne voyant point arriver Chaumont, qui leur avait promis du secours, ils- se rendirent ; et Jules II entra dans leur ville par la brèche (21 janvier 1511). Ferrare, à son tour, fut sérieusement menacée ; car le pape envoya de nombreuses troupes devant la Bastide, place qui approvisionnait la capitale du duc Alphonse.

Mais un détachement français sous les ordres de Bayard marcha contre les ennemis, les surprit et tomba sur eux aux cris de France ! France ! duc ! duc ! Après une heure de combat, les troupes de Jules II « perdirent le camp, et ce qui se put sauver se sauva ; mais il n'y en eut pas beaucoup. Le duc et les Français y firent une merveilleuse boucherie ; car il mourut plus de quatre ou cinq mille hommes de pied, plus de soixante hommes d'armes, et plus de trois cents chevaux pris, ensemble tout leur bagage et artillerie : tellement, qu'il n'y avoit celui qui ne fût bien empêché d'emmener son butin[4]. » Le bon chevalier sans peur et sans reproche croissait chaque jour en mérite et en renommée, et les qualités de ce vaillant capitaine rappelaient celles de Bertrand Duguesclin.

Chaumont, qu'on accusait de n'avoir pas fait tout ce qu'il aurait pu afin de secourir la forte place de la Mirandole, ne put résister au regret de s'être laissé tromper, et d'avoir manqué l'occasion de s'emparer de Bologne ; le jeune général mourut de chagrin à Correggio (11 mars). Sur son lit de mort, il témoigna beaucoup de repentir d'avoir fait la guerre au pape, et l'envoya supplier de révoquer l'excommunication qu'il avait lancée contre lui. Jules II lui accorda l'absolution pontificale ; mais Chaumont expira avant d'en être informé. Sa mort laissait l'armée française sans chef, dans les circonstances les plus difficiles. Le roi, qui n'avait pu blâmer une faute qu'il aurait sans doute commise lui-même, confia le commandement au maréchal Jean-Jacques Trivulce, guerrier plein d'expérience. Il voulut que le jeune Gaston de Foix, l'un de ses fils adoptifs, auquel il destinait le gouvernement du Milanais, fit sous lui ses premières armes.

Pendant que Trivulce, à qui Louis XII avait recommandé de grands égards pour le pape, faisait les dis-. positions nécessaires afin de recouvrer les avantages qu'avait perdus son prédécesseur, Ferdinand d'Aragon s'efforçait de détacher l'empereur des intérêts de la France. Il lui proposa d'ouvrir un congrès à Mantoue pour traiter de la paix générale, au lieu de convoquer un concile que les succès récents du pape, qui avaient rallié à sa cause plusieurs de ses ennemis, pourraient empêcher de se réunir. Les vues de Maximilien sur la tiare l'engageaient à ne pas trop pousser la cour de Rome ; il consentit donc à ce moyen pacifique. Le roi, cédant aux prières d'Anne de Bretagne, envoya au congrès Étienne Poncher, l'un de ses ministres ; mais Jules Il traîna l'affaire en longueur, puis trouva le moyen de dissoudre l'assemblée, dont il n'avait souffert la réunion que pour gagner du temps. A cette époque, il crut s'attacher irrévocablement les Suisses en donnant le chapeau de cardinal à Mathias Schinner, évêque de Sion, qui exerçait sur eux une puissante influence, et qu'une haine aveugle excitait contre les Français.

Les hostilités recommencèrent : le maréchal de Trivulce, renforcé par cinq mille Grisons et lansquenets, résolut de les pousser avec vigueur. Il marcha vers Concordia, qu'il assiégea et prit le même jour, puis se dirigea rapidement sur Bologne, où s'était retiré Jules II. Plus heureux que Chaumont, il intimida le pontife, qui alla s'enfermer à Ravenne, après avoir confié la garde de Bologne au cardinal de Pavie, son ministre. Mais à peine fut-il parti, que Bologne s'insurgea ; le cardinal-légat, haï de la noblesse, craignit alors pour sa vie. Il sortit déguisé du palais, par une porte secrète, et passa dans la citadelle avec tant de précipitation, qu'il oublia de prendre son argent et ses pierreries. Il les envoya chercher, et quand on les lui eut apportées, il sortit de Bologne et prit le chemin d'Imola avec cent cavaliers.

A la première nouvelle de la fuite 'du légat, on commença à crier par toute la ville : Vive le peuple Les partisans de l'ancienne domination coururent aux portes les plus rapprochées du camp des Français, les rompirent à coups de haches, s'en rendirent maîtres, et dépêchèrent en diligence vers les Bentivoglio. Aussitôt ceux-ci arrivèrent, suivis d'un détachement de cavalerie française, se présentèrent à la porte Delle-Lame, et furent introduits dans la ville. La déroute de l'armée suivit de près la défection de Bologne ; le duc d'Urbin, arrêté avec ses troupes à Casalecchio, ayant appris la retraite du légat et la révolte du peuple, décampa précipitamment et sans ordre. Il laissa ses tentes tendues, et n'avertit pas même la partie de l'armée qui gardait le camp du côté de la rivière où étaient les quartiers des Français[5]. Ceux-ci, informés de ce désordre par les Bentivoglio, fondirent sur les fuyards avec les bourgeois et les paysans des montagnes, et en tuèrent plus de trois mille : quarante canons, l'étendard romain, plusieurs autres drapeaux, presque tous les bagages, une foule de prisonniers, furent les fruits de cette victoire. Les Français s'emparèrent d'un si grand nombre de bêtes de somme chargées de butin, qu'ils appelèrent ce combat la journée des Aniers.

Furieux de cette déroute honteuse, qu'il imputait à la lâcheté du cardinal de Pavie, le duc d'Urbin le poignarda de sa propre main à Ravenne. Le bruit de cette sanglante catastrophe activa sur-le-champ aux oreilles du pape, qui jeta des cris perçants. Désespéré d'un crime aussi odieux, il quitta Ravenne pour retourner à Rome. Dans ce triste voyage, il apprit à Rimini que les habitants de Bologne avaient brisé la statue de bronze dans laquelle Michel-Ange l'avait représenté en césar, et reçut avis en même temps qu'on avait affiché à Modène, à Bologne et dans plusieurs autres villes la convocation d'un concile général destiné à réformer tant le chef que les membres de l'Église.

Toutes les mesures furent prises entre Maximilien et Louis XII pour la réunion de cette grande assemblée, dont l'ouverture devait avoir lieu le 1er septembre, à Pise. Cette faute, qui pouvait causer un schisme funeste à la chrétienté, devait changer la nature de la lutte. Louis XII, assiégé par les prières de la reine, et se rappelant que presque tous ses ancêtres avaient été les plus fermes soutiens de l'Église romaine, ne perdait cependant pas l'espoir d'un rapprochement. A la nouvelle de la prise de Bologne, il avait défendu toute espèce de réjouissances publiques dans ses États. On lui avait même entendu dire qu'il gémissait de cette victoire, et qu'il était prêt à demander humblement pardon à Sa Sainteté, s'il pouvait à ce prix rendre la paix à l'Église. Il prouva la sincérité de ces démonstrations par l'ordre envoyé à Trivulce de ne point franchir la frontière de la Romagne, et de reporter la guerre exclusivement sur le territoire de Venise. Le roi se contenta, pour le moment, de charger La Palisse, qui commandait un corps d'armée dans le Milanais, de soutenir Maximilien dans ses hostilités contre cette république. Cette guerre se fit mollement ; la faiblesse de l'empereur et le désordre de ses affaires étaient un puissant obstacle à l'exécution de ses vastes entreprises. Il ne put, avec le secours des troupes françaises, s'emparer des villes de Padoue et de Trévise, et se refroidit insensiblement pour une cause qu'il avait embrassée avec tant d'ardeur.

Par la défense qu'il avait faite à Trivulce de s'arrêter sur la frontière de la Romagne, le roi avait sauvé Jules II, qui leva de nouvelles troupes, et reprit activement ses négociations avec Henri VIII, avec les Suisses, avec Ferdinand d'Aragon, avec Marguerite d'Autriche. Décidé à profiter de tous ses avantages, Jules II convoqua un concile œcuménique à Saint—Jean de Latran pour le 1e' mai de l'année suivante (18 juillet). Au milieu de ces mesures, il tomba de nouveau dangereusement malade (17 août), et quatre jours après, pendant quelques heures, on le crut mort. Mais il revint de sa faiblesse, et se sentit un peu soulagé le lendemain. L'énergique vieillard ne parut point effrayé de son état, et demeura inébranlable dans sa résolution.

Cependant l'empereur montrait la plus grande hésitation ; sur la nouvelle que la maladie du pape laissait peu d'espoir de le sauver, ce prince capricieux avait conçu l'étrange pensée de changer le sceptre impérial pour les clefs de saint Pierre, et de faire élire son petit—fils Charles empereur. Mais Jules Il se rétablit, et Maximilien dut ajourner ses prétentions. Pour gagner du temps et achever ses négociations secrètes, il proposa la paix à Louis XII, à condition qu'il rendrait Bologne à l'Église, renoncerait au concile de Pise, et forcerait son allié, le duc de Ferrare, de subir des conditions fort dures. Le roi refusa, et le pape, qui l'avait prévu, prit la résolution de former une ligue dont l'objet principal serait entièrement d'expulser les Français de l'Italie. Jusque-là, il ne s'était servi des troupes de Ferdinand que comme de celles d'un vassal, et il n'avait secouru les Vénitiens que pour remplir les stipulations du traité qu'il avait conclu avec eux. Il détermina ces deux puissances à former avec le Saint-Siège une alliance pour conserver l'unité de l'Église, la garantir du schisme dont elle était menacée par le conciliabule de Pisé, lui faire rendre Bologne et toutes les places qui lui appartenaient médiatement ou immédiatement.

Ce traité fut publié le 5 octobre 1511, en présence du pape et de tous les cardinaux qui étaient à la cour de Rome, dans l'église Sainte-Marie-del-Popolo. Une bulle de Jules II avertit la chrétienté de la forma-. Lion de cette ligue, et annonça l'adhésion prochaine du roi d'Angleterre. Comme le pape en était le chef, et qu'elle avait pour but de protéger l'Église contre le schisme dont la menaçait le roi de France, elle prit le nom de sainte ligue. Les confédérés s'engageaient à prendre les armes contre tous ceux qui s'opposeraient à quelqu'un des trois articles du traité, ou qui tenteraient d'en empêcher l'exécution, ce qui désignait le roi de France, et pour cet effet à mettre sur pied des forces considérables. Le commandement général de l'armée devait être confié à Raymond de Cardonne, Catalan de nation, et alors vice-roi de Naples.

Ferdinand le Catholique, Jules H et la seigneurie de Venise comptaient sur la défection de l'empereur, mécontent des faibles secours que lui avait accordés la France. En effet, il donnait déjà quelques marques de sa conduite inconstante, et témoignait moins d'ardeur pour le concile de Pise depuis la convocation de celui de Latran. Il n'avait envoyé à Pise ni prélats allemands, ni commissaires, quoique Louis XII eût nommé vingt—quatre évêques pour y assister au nom de l'Église gallicane, et ordonné à tous les autres prélats du royaume de s'y rendre ou d'y envoyer leurs procureurs. Il s'était même avisé tout à coup de réclamer la translation du concile à Mantoue, à Vérone ou à Trente, pour la plus grande commodité des évêques d'Allemagne, et parce qu'il voulait, disait-il, s'y trouver en personne. Louis XII s'obstina jusqu'au bout, et quatre cardinaux, fondés de pouvoirs de trois autres, ouvrirent l'assemblée de Pise (1er novembre). Elle ne se composait que de prélats français, malgré leur répugnance à continuer la lutte contre le pape.

Aussitôt Jules Il lança un interdit sur cette ville et sur toute la république de Florence, et excommunia les cardinaux qui avaient le plus contribué à sa réunion. Cette bulle produisit une grande fermentation dans la Toscane, où l'opinion publique était favorable au pape. Les Pisans, prévoyant qu'ils seraient les premiers attaqués par les armées de l'Union, murmurèrent contre les prélats qui avaient préféré leur ville à toute autre pour en faire le centre de l'opposition à l'autorité pontificale. L'attitude menaçante du peuple effraya les prélats ; ils demandèrent une garde composée de troupes françaises ; les Florentins s'y opposèrent, dans la crainte que cette ville ne se déclarât de nouveau indépendante. Lautrec et Châtillon réunirent par zèle quelques soldats, et se chargèrent de garder le concile. Mais plusieurs violences commises par les soldats excitèrent un soulèvement ; Lautrec et Châtillon, qui voulurent rétablir l'ordre, furent légèrement blessés. Alors les prélats crurent devoir quitter Pise, et s'ajourner à Milan au 8 décembre. Le mépris et la haine des peuples les accompagnèrent, et ils trouvèrent à Milan les mêmes désagréments, et de plus grands encore qu'à Pise.

 

 

 



[1] M. Henri Martin, Histoire de France, t. VIII, p. 171.

[2] Voir Le Gendre, Vie du cardinal d'Amboise, t. II.

[3] M. Henri Martin, Histoire de France, t. VIII, p. 477-478.

[4] Voir l'Histoire de Bayard, composée par le Loyal Serviteur, chap. 44.

[5] Guichardin, Histoire d'Italie, liv. IX, chap. 5.