Projets hostiles de
Maximilien contre Louis XII. — Préparations et sages mesures du roi de
France. — Guerre de l'empereur et des Vénitiens, alliés de Louis XII. —
Usurpations de la république de Venise. — Ligue de Cambrai. — Puissance de
Venise — Son commerce. — Elle rejette les propositions de Jules II. — Ses
vains efforts pour désunir les confédéras. — Venise se dispose à la
résistance. — Préparatifs de Louis XII. — Commencement des hostilités. —
Prise de Treviglio par les Français. — Les Vénitiens reprennent cette place
et la livrent au pillage. — Passage de l'Adda. — Bataille d'Agnadel. — Succès
rapides des Français. — Détresse de Venise. — Maximilien confère à Louis XII
une nouvelle investiture du Milanais. — Retour de Louis XII en France. — Les
Vénitiens reprennent Padoue. — Siège de Padoue par Maximilien. — Retraite
honteuse de l'empereur.
Maximilien,
devenu chaque jour plus hostile au roi de France, avait convoqué à Constance
une diète générale de l'empire, à laquelle assistèrent les électeurs, presque
tous les princes ecclésiastiques et séculiers de l'Allemagne, et les plus
illustres députés des villes impériales. Il lui demanda une assistance
efficace pour se faire couronner empereur à Rome, chasser les Français du
duché de Milan et rétablir la suzeraineté de l'empire sur l'Italie. La diète
montra d'abord une ardeur qui semblait présager de grands événements, et
l'empereur s'efforça d'entretenir cette opinion par ses discours. Il disait
hautement qu'il irait à Rome avec une armée si formidable, que la France et
toute l'Italie réunies ne pourraient lui résister. Il écrivit même au pape et
au collège des cardinaux qu'il avait déclaré le roi de France ennemi du
Saint-Empire, parce qu'il avait passé les monts pour usurper la couronne
impériale, placer le cardinal de Rouen sur la chaire pontificale, et réduire
l'Italie dans une dure servitude ; qu'il se préparait à descendre en Italie
pour se faire couronner, lui rendre sa liberté, et assurer la tranquillité
publique. Mais quand on eut appris en Allemagne que Louis XII avait licencié
ses troupes après la réduction de Gènes, et qu'il était rentré en France sans
pousser plus loin ses entreprises, les esprits de la diète se calmèrent. On
reconnut alors que l'honneur de l'empire était le prétexte, et l'intérêt
particulier de la maison d'Autriche le seul motif des demandes de Maximilien.
Aussi la diète ne lui accorda-t-elle que trente mille combattants soldés pour
six mois (20
août). De son
côté, Louis XII se préparait à la guerre, mais avec moins de jactance et plus
d'activité que l'empereur, dont les projets venaient échouer contre mille
obstacles. Mécontent des auxiliaires suisses, soldats aussi indisciplinables
et cupides qu'ils étaient braves, il s'efforçait de créer une bonne
infanterie parmi ses sujets, et, renouvelant une ancienne ordonnance du roi
Charles VI, il invitait les citoyens de tous états à s'appliquer et faire
appliquer leurs enfants et serviteurs à l'exercice et jeu de l'arc, arbalète
et coulevrine. En même temps il remontait la marine française par des
dons qu'il avait sollicités des bonnes villes qui s'étaient empressées de
répondre généreusement à l'appel du monarque. Toujours
retardé par d'insurmontables difficultés, l'empereur n'entra point en
campagne aussi promptement qu'il l'avait espéré, et laissa plusieurs mois
s'écouler en intrigues avant de rien entreprendre. Sa fille, Marguerite
d'Autriche, qui avait été autrefois fiancée à Charles VIII, puis mariée
successivement à l'infant d'Espagne et à Philibert le Beau, duc de Savoie,
morts tous deux dans leur première jeunesse, était allée s'établir à Malines,
dans les Pays-Bas, afin de se consacrer aux intérêts et à l'éducation des
enfants de l'archiduc Philippe, son frère. Cette princesse s'y concilia
l'affection et l'estime de tous, et ne tarda pas à exercer une grande
influence. Elle parvint à persuader aux États des dix-sept provinces qu'ils
avaient eu tort d'accepter la protection de la France, et les amena à déférer
au roi des Romains la tutelle de son petit-fils, l'archiduc Charles.
Maximilien confia la régence des Pays-Bas à Marguerite, qui les gouverna
durant bien (les années avec l'intelligence du diplomate et de
l'administrateur le plus consommé. Pendant
ce temps l'empereur essayait de rattacher les Vénitiens à ses intérêts, en
leur découvrant les vues de la France sur leurs États de terre ferme. Mais
Louis XII offrit aux Vénitiens, s'ils refusaient le passage à Maximilien, une
garantie perpétuelle de ces mêmes États. Après de longues hésitations, ils se
décidèrent pour l'alliance française, et déclarèrent au roi des Romains
qu'ils ne lui accorderaient point le passage s'il se présentait avec des
troupes allemandes pour escorte ; que s'il voulait aller à Rome sans armée
pour y recevoir la couronne d'or, dans ce cas il ne trouverait aucun obstacle
sur leur territoire. Comme Maximilien avait déjà employé l'argent que lui
avait donné l'empire, et qu'il effrayait les États d'Italie par ses demandes
exagérées, il perdit toute chance de succès. Louis XII reçut de Ferdinand
deux mille cinq cents fantassins espagnols, prit aux Borromées, dont il
soupçonnait la fidélité, le château d'Arona sur le lac Majeur, et envoya dans
le Milanais des renforts considérables de cavalerie et d'infanterie. Pour
opérer une utile diversion, il fournissait des secours continuels à son allié
le duc de Gueldre, qui faisait la guerre au jeune archiduc Charles. Enfin il
ordonna à Jean-Jacques Trivulce de passer à Vérone avec quatre cents lances
françaises et quatre mille fantassins, pour la défense des Vénitiens. Ceux-ci
prirent à leur solde le comte de Pitigliano avec quatre cents hommes d'armes,
et le placèrent aux passages de l'Adige. Barthélemi d'Alviane, depuis
longtemps rentré à leur service, dut garder le Frioul avec des forces
suffisantes. Des
fugitifs génois, soutenus de mille lansquenets allemands, cherchèrent le
moyen de se frayer un passage vers Gènes à travers la Lombardie vénitienne ;
mais dans le Parmesan ils furent repoussés par les Français, et les Vénitiens
facilitèrent leur retraite, comme s'ils n'eussent pas été informés de leur
marche. D'autres réfugiés génois se rassemblèrent à Bologne, que Jules II,
depuis la mort récente de Jean Bentivoglio à Milan, pouvait considérer comme
moins menacée ; quoique les fils de ce seigneur eussent fait une tentative
sur Bologne, le peuple montra tant de zèle pour la domination pontificale,
que non-seulement cette entreprise échoua, mais que tout espoir de succès de
semblables efforts pour l'avenir dut s'évanouir. En effet, Louis XII, afin de
se rendre agréable au pape, donna l'ordre à Chaumont de secourir Bologne avec
tout ce qu'il avait de troupes, lorsqu'elle serait attaquée, et de chasser du
Milanais les Bentivoglio. Cette conduite regagna Jules II à la France. Cependant
Maximilien était arrivé à Trente, où ses troupes achevaient de se rassembler (janvier 1508). Il y ordonna une procession
solennelle, où il marcha précédé des hérauts de l'empire et tenant nue l'épée
impériale, annonça ensuite son expédition de Rome, et partit la nuit suivante
à la tête de quinze cents chevaux et de quatre mille fantassins (4 février).
Jules II, qui l'avait d'abord excité à descendre en Italie, s'efforça de le
détourner' du voyage de Rome en lui conférant par une bulle le titre de césar
et d'empereur, comme s'il eût été couronné avec les cérémonies d'usage dans
la capitale du monde chrétien. Maximilien, toujours pauvre d'argent et ne
recevant aucun nouveau subside de la diète germanique, parut satisfait de
cette concession ; après quelques exploits plus dignes d'un aventurier que
d'un grand prince, il laissa le commandement de l'armée à ses lieutenants, et
retourna en Allemagne. Défaites dans quelques rencontres malheureuses avec
les Vénitiens et les Français, les troupes de l'empereur se dispersèrent
bientôt, faute de vivres et de solde. Les Vénitiens s'emparèrent sans peine
de Goritz, de Trieste et de Fiume, villes autrichiennes qui commandent le
fond de l'Adriatique. Alors l'empereur s'empressa d'entamer des négociations,
et le sénat de la république conclut avec lui une trêve particulière de trois
ans. Malgré le refus de l'empereur de comprendre dans une trêve générale le
duc de Gueldre, allié de Louis XII, les Vénitiens passèrent outre (20 avril 1508) sans même avoir consulté le roi
dont ils avaient reçu de si puissants secours. Ce procédé irrita Louis XII,
et exerça beaucoup d'influence sur les événements qui suivirent. Non
contents d'avoir offensé Louis XII, les Vénitiens ne craignirent pas de
déplaire au pape et à l'empereur avec lequel ils venaient de conclure la
paix. Cette conduite imprudente donna naissance à une ligue redoutable qui
pouvait entraîner la ruine de la république. La balance que, depuis
l'invasion de Charles VIII, les Vénitiens avaient voulu tenir entre toutes
les puissances qui se partageaient l'Italie, leurs entreprises continuelles
sur tous les États voisins, et les importantes acquisitions qu'ils avaient
faites à la faveur du désordre, excitaient depuis longtemps contre eux la
jalousie de l'Europe. Des intérêts lésés et des amours-propres froissés
allaient enfin s'unir pour se venger des torts de l'orgueilleuse aristocratie
de Venise. Si
Louis XII était mécontent de la paix séparée que les Vénitiens avaient
conclue avec l'empereur, celui—ci n'était pas moins irrité d'avoir été
repoussé par eux et de ce qu'ils lui avaient enlevé Trieste. Une espèce de
triomphe décerné à l'Alviane, un de leurs meilleurs généraux, avait encore
augmenté le dépit du césar ; en effet, ce peuple de marchands, imitant mal à
propos les Romains, avait pris plaisir à voir les drapeaux de Maximilien à la
suite du char du général vainqueur. Ferdinand d'Aragon avait souvent réclamé
les quatre places maritimes qu'ils occupaient encore dans le royaume de
Naples, depuis la retraite de Charles VIII. Le pape Jules H voulait recouvrer
toutes les villes qu'ils avaient usurpées à diverses époques sur le domaine
de l'Église. Le pape
s'adressa d'abord au roi de France, et lui parla de la possibilité de former
une ligue où toutes les puissances trouveraient leur avantage, puisqu'elle aurait
pour but de recouvrer des possessions que chacune d'elles avait perdues. Mais
bientôt survinrent entre eux de nouveaux sujets de refroidissement, et les
négociations furent sur le point d'être rompues. Une main plus adroite
entreprit de les renouer : Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas,
offrit à Louis XII, pour lui et tous ses alliés, la trêve dans laquelle
Maximilien avait refusé de comprendre autrefois le duc de Gueldre, et lui
proposa de s'unir avec l'empereur dans une ligue contre Venise. Il y eut à ce
sujet de vifs débats dans le conseil du roi : Étienne Poncher, évêque de Pâris,
homme d'une âme droite et élevée, soutint avec fermeté qu'il n'y avait pour
Louis XII aucune sûreté, aucun avantage à se liguer contre les Vénitiens, ni
avec Ferdinand d'Aragon, qui ne cherchait qu'à tromper son allié, ni avec
l'empereur, de tout temps ennemi du roi et qui ne pouvait cesser de l'être.
Enfin, suivant lui, il n'y avait d'alliance sûre pour la France que celle de
la république de Venise, qui fermait les Alpes aux Allemands, et sa
conservation n'importait à personne autant qu'aux possesseurs du Milanais.
L'évêque fut seul de son avis, parce que Georges d'Amboise ne le partageait
pas. Le ministre, qui n'avait pas oublié tous les torts des Vénitiens envers
la France, détermina facilement Louis XII à entrer dans ce projet. C'était
une grande faute, car le roi allait introduire en Italie celui qu'il aurait
dû en repousser de tous ses efforts. Après
une trêve générale conclue au commencement d'octobre 1508, le cardinal
d'Amboise et Marguerite d'Autriche, fondée de pouvoirs de l'empereur son
père, se réunirent à Cambrai, et au bout de quelques semaines de négociations
ils signèrent deux traités, l'un public, l'autre secret (10 décembre). Le premier était un pacte
d'alliance entre Louis XII et Maximilien ; il concernait les affaires des
Pays-Bas, et assurait au roi de France et à ses héritiers une nouvelle
investiture du Milanais, au prix de cent mille écus d'or. Le second, destiné
à resserrer l'alliance des deux monarques, décidait la formation d'une ligue
entre le pape, l'empereur et les rois de France et d'Aragon, pour « faire
cesser les dom- mages, injures, rapines et maux que les Vénitiens avaient
faits tant au Saint-Siège apostolique qu'au saint empire romain, à la maison
d'Autriche, aux ducs de Milan et aux rois de Naples. » Les rois d'Angleterre
et de Hongrie, ainsi que d'autres princes, étaient invités à se joindre à la
ligue. Les
confédérés s'engageaient à ne point déposer les armes avant que le pape eût
recouvré Ravenne, Cervia, Faenza et Rimini, enlevées à l'État de l'Église,
après la chute de César Borgia ; l'empereur, Vicence, Padoue et Vérone,
usurpées, disait-il, sur l'empire ; le roi très -chrétien, Brescia, Bergame,
Crème, Crémone, la Ghiara d'Adda, détachées du duché de Milan en 1426 et en
1499 ; et Ferdinand d'Aragon, Trani, Brindes, Otrante, Gallipoli, Mole et
Pulignano. Ce partage, on le voit, entraînait la ruine entière des Vénitiens,
qu'il réduisait à leurs lagunes. Il fut convenu que le roi de France
conduirait eu personne une armée contre Venise, attaquerait les frontières de
la république le 1er avril prochain, et que les autres alliés ne
commenceraient les hostilités que quarante jours après les Français. « Je
ne sçay à quelle fin, dit le Loyal Serviteur, iii avoient posé ce terme,
sinon qu'ils vouloient taster le gué ; et peult-entre que si le roy de France
eust eu du pire, en lieu de courir aux Vénitiens, eussent couru sur luy
mesmes ; car je n'ay jamais congneu qu'il y ait eu grosse atnistié entre la
maison de France et la maison d'Autriche, et pareillement ne s'accordoient
pas bien le pape et le roy de France. » Ainsi les mêmes États qui s'étaient
ligués pour contraindre Charles Viii d'abandonner la conquête de Naples,
formaient une coalition pour renverser une république, la seule barrière de
la maison d'Autriche en Italie ; et la France entrait dans cette ligue comme
partie principale. « C'étaient uniquement la jalousie et la cupidité qui
réunissaient tant de puissances ennemies contre un État que les unes avaient
de fortes raisons de soutenir, et que les autres n'avaient aucun lieu de
craindre[1]. » Il est vrai que les
richesses et la prospérité de Venise étaient propres à exciter l'envie de ces
puissances. Seule de tous les États de l'Italie, elle n'avait pas souffert
des horribles calamités qui, depuis vingt ans, désolaient ce pays. Elle avait
su profiter de tous les avantages de ses alliés, sans participer à aucune de
leurs pertes. Elle avait conquis Chypre, Candie et la Morée, et possédait sur
la terre ferme un grand nombre de provinces et de villes. Sa puissance
suffisait à la défense de ses grandes et riches possessions ; elle avait des
arsenaux bien fournis, une marine redoutable, trente mille marins, les plus
habiles constructeurs, des troupes aguerries et bien payées. Pour toutes ces
dépenses réglées avec soin, et inspectées avec vigilance, Venise trouvait des
ressources dans la sage administration de ses deniers publics, et dans le
commerce le plus florissant. Ce
commerce était prodigieux et exclusif ; car les Vénitiens avaient chez eux
des manufactures de soie, de glaces, de bijoux, dont eux seuls possédaient le
secret ; et la nature même de leur gouvernement contribuait à retenir un
secret qui enrichissait l'État. Encore maîtresse du commerce de l'Orient, au
commencement du XVIe siècle, cette république accumulait dans son sein
d'immenses richesses, souvent exagérées par la renommée. A l'époque où l'or
et l'argent étaient rares en Europe, ces métaux affluaient avec profusion à
Venise. Cette ville, dont les plaisirs, le luxe et les arts semblaient avoir
fait leur patrie, l'emportait sur Rome même pour la somptuosité et l'élégance
de ses édifices. Ses sujets de terre ferme aimaient son gouvernement, alors
sage et modéré, et qui avait une politique toujours heureuse, toujours
attentive aux intérêts de la république. Jules
Il avait conçu le projet de cette ligue ; il ne tarda pas à comprendre le
danger d'augmenter en Italie l'influence du roi de France et de l'empereur :
aussi hésita-t-il quelque temps à signer le traité impolitique de Cambrai. Il
offrit aux Vénitiens de ne point ratifier la ligue, et de travailler à la
dissoudre s'ils consentaient à lui céder Faenza et Rimini, dont il donnerait
l'investiture à deux de leurs patriciens, pour les tenir sous la mouvance du Saint-Siège.
Le sénat, qui savait qu'une semblable ligue, projetée quatre ans auparavant,
n'avait eu aucun résultat, rejeta ces propositions, et Jules Il, blessé
profondément, ratifia le traité (22 mars 1509). Ce
traité, dont les Vénitiens ignoraient les stipulations, fut alors publié.
Lorsqu'ils virent presque toute la chrétienté conjurée contre eux, ils mirent
tous leurs soins à désunir les confédérés. Ils offrirent au pape de se
soumettre à ce qu'il leur avait proposé quelque temps auparavant ; mais Jules
Il n'était plus en état de faire des concessions. Leurs démarches furent
infructueuses auprès de Maximilien et de Ferdinand d'Aragon. Ils essayèrent
aussi de détacher Louis XII de ses nouveaux alliés, et de le détourner de ses
projets contre la seigneurie. Leur ambassadeur représenta au roi l'antiquité
respectable de cette république, et lui dit que sa force, sa prudence et sa
sagesse la rendaient invincible. « J'opposerai, répondit gaiement Louis
XII, un si grand nombre de fous à vos sages, que toute la sagesse de ceux -ci
sera incapable de résister : car nos fous sont des gens qui frappent partout
sans regarder où et sans entendre aucune raison. » Dans
ces circonstances Venise ne s'épouvanta pas ; confiante dans ses richesses,
dans les forces imposantes qu'elles lui permettaient de solder, et dans la
discorde qui devait bientôt dissoudre une ligue formée d'éléments si
hétérogènes, elle s'apprêta à la résistance. Elle attira sous ses drapeaux
presque tous les condottieri de l'Italie, réunit trente mille fantassins et
douze mille cavaliers, avec une nombreuse artillerie, sur l'Oglio, pour tenir
tête à son plus redoutable ennemi, le roi de France. Elle arma en outre
beaucoup de vaisseaux et de barques afin de protéger les côtes de la Romagne,
les places de la Pouille, le lac de Garde, le Pô et les autres rivières par
où le duc de Ferrare et le marquis de Mantoue pouvaient l'insulter. Louis
XII, de son côté, poussait ses préparatifs avec ardeur ; il donna pour
prétexte à ses hostilités les travaux de fortification de l'abbaye de
Carretto, sur le territoire de Crème, que les Vénitiens auraient entrepris
contrairement au traité conclu en 1454 entre François Sforza et la
république. A la fin de janvier 1509, il rappela son ambassadeur de Venise,
et congédia celui de la seigneurie, tandis que Ferdinand d'Aragon prétendait
encore n'avoir adhéré à la ligue de Cambrai qu'en vue des Turcs, soutenant
que d'ailleurs il était tout dévoué aux intérêts des Vénitiens. Louis passa
les Alpes au commencement d'avril, avec le duc de Lorraine et toute la
noblesse de France, et, durant tout ce mois, ses troupes ne cessèrent de
défiler vers le Milanais. Il avait pourvu aux frais de la campagne avec cent
mille ducats que lui avait offerts la noblesse milanaise, et une pareille
somme fournie par les Florentins pour obtenir le droit d'assiéger et de
ruiner Pise. Le roi se vit bientôt à la tête de vingt mille fantassins, y
compris six à huit mille Suisses, et de douze mille cavaliers, avec une
formidable artillerie. Par son ordre, des capitaines de haute renommée tels
que le comte de Roussillon, le sire de Molard, le sire de Richemont, le sire
de Vandenesse, frère de La Palisse, le cadet de Duras, et le fameux chevalier
Bayard, avaient quitté leurs compagnies d'ordonnance pour commander
l'infanterie nationale. Les uns avaient la conduite de mille hommes, les
autres de cinq cents. Le roi avait voulu en confier mille à Bayard ; mais le
bon chevalier, toujours modeste, lui avait répondu : « Sire, c'est
beaucoup pour mon sçavoir, vous suppliant estre contant que j'en aye cinq
cents ; et je vous jure ma foi, Sire, que je mettray peine de les choisir,
qu'ilz seront pour vous faire service ; et si me semble que pour ung homme
seul c'est bien grosse charge, quant il en veult faire son debvoir. » Enfin
la campagne fut engagée par Chaumont d'Amboise, qui passa l'Adda et entra sur
le territoire de la seigneurie avec trois mille cavaliers, six mille
fantassins et quelque artillerie (15 avril). Il marcha dans la direction de
Treviglio, où le commandant vénitien des Stradiotes, Justinien Morosini, se
trouvait avec les cavaliers des Vitelli et l'infanterie romagnole. Bientôt
après la première attaque, une terreur panique s'empara des habitants ; les
chefs des troupes vénitiennes ne furent pas moins effrayés, et tombèrent
entre les mains de l'ennemi, ainsi que cent chevau-légers et mille fantassins
; deux cents Stradiotes prirent la fuite. Sur un autre point les Français
avaient aussi attaqué, mais sans tirer parti de leur succès, parce qu'ils
voulurent attendre l'arrivée du roi. Aussitôt
que Jules II apprit le commencement des hostilités, il publia (27 avril) une bulle foudroyante, sous le
titre de monitoire, dans laquelle il énumérait toutes les injures commises
par les Vénitiens envers les souverains pontifes, et les sommait de restituer
dans les vingt—quatre jours toutes leurs usurpations, avec les revenus qu'ils
en avaient tirés ; en cas de désobéissance, il les déclarait criminels de
lèse-majesté divine, mettait sous l'interdit non-seulement la ville de
Venise, mais encore tous les lieux de leur domination, et permettait à tous
les chrétiens de les traiter en ennemis publics, de s'emparer de leurs biens
et de les réduire en servitude[2]. En même
temps, Montjoie, roi d'armes de France, s'était rendu à Venise pour déclarer
la guerre au sénat. Introduit dans l'assemblée, il s'adressa au doge
Loredano, qui, dans cette circonstance difficile, conservait un sang-froid et
un courage dignes des beaux temps de cette république. « Écoutez, dit-il,
vous, doge de Venise, et vous autres habitants de cette terre : Louys, roi de
France., m'a commandé de vous dénoncer la guerre comme à gens de mauvaise
foy, qui, par force, retenez les villes du pape et autres princes, lesquelles
possédez à tort, ayant toujours procuré par « vos menées de mettre entre vos
mains le bien d'autrui. Mais mon maître s'en vient à vous, en armes, pour
vous ôter tout cela. » Chaumont
d'Amboise, après la prise de Treviglio et de quelques places voisines, avait
repassé l'Adda avec toutes ses troupes afin de se réunir à l'armée royale,
qui n'était pas encore entièrement assemblée. La grande armée vénitienne,
sous les ordres du conte de Pitigliano et de Barthélemi l'Alviane, profila de
ce mouvement de concentration des Français pour rentrer dans la Ghiara d'Adda
et reprendre Treviglio, malgré l'opposition de l'Alviane. Elle réduisit
bientôt à se rendre cette mauvaise place, dans laquelle Chaumont n'avait
laissé que treize cents cavaliers et fantassins français, sous Imbault de
Fontrailles et le chevalier Blanc. Les officiers restèrent prisonniers ; les
soldats obtinrent libre retraite sans armes, et la place fut pillée et
dévastée par les Vénitiens (8 mai). Ce
succès devait leur coûter cher : en effet le roi, apprenant la perte de cette
ville, partit aussitôt de Milan, arriva sur l'Adda, et franchit cette rivière
sur trois ponts de bateaux avec toute son armée, sans que les Vénitiens,
acharnés au pillage de Treviglio, fissent le moindre mouvement pour s'y
opposer. Trivulce, voyant passer les troupes sans aucun obstacle, cria au roi
: « Sire, la victoire est à vous ! » Les généraux de la seigneurie
auraient bien voulu profiter de l'avantage qui s'offrait à eux ; mais les
soldats n'écoutèrent ni l'autorité, ni les prières, ni même les menaces...
L'Alviane ordonna enfin de mettre le feu à la ville pour les en chasser. Il
arriva cependant trop tard, et n'eut que le temps de ramener les troupes dans
leur camp, établi sur la hauteur de Treviglio. La position était forte par
son assiette et par les ouvrages qu'on y avait élevés ; le roi et ses
capitaines ne commirent pas l'imprudence de l'attaquer. Après
trois jours de canonnade, le roi, pour les forcer à quitter cette position,
entreprit de leur couper les routes de Crème et de Crémone, villes d'où ils
tiraient des vivres, et il tourna vers Rivolta, qu'il emporta d'assaut. Il y
resta un jour, réduisit la place en cendres, et s'avança ensuite sur Pandino
et Vaila. Inquiétés par cette manœuvre, les Vénitiens décampèrent, afin de
prendre ailleurs un poste avantageux près des Français, et de les tenir
toujours en échec. Les Français marchaient le long des rives sinueuses de
l'Adda ; les Vénitiens, dans l'intention de devancer leurs ennemis à Vaila,
suivirent un chemin plus direct, et gagnèrent en effet quelque avance ; mais
au village d'Agnadel l'avant-garde du roi se trouva tout proche de
l'arrière-garde de la seigneurie, composée de huit cents lances et de l'élite
de l'infanterie, sous les ordres de l'Alviane. Soit
que ce général fût emporté par son impétueux courage, soit qu'il jugeât la
bataille inévitable, il dépêcha sur-le-champ un messager au comte de
Pitigliano, son
collègue, qui marchait devant avec le reste de l'armée, pour le prier de
venir à son secours. Le comte se contenta de lui donner l'avis de continuer
sa route et d'éviter la bataille, comme l'avait prescrit le sénat. L'Alviane
ne voulut point obéir à son timide collègue ; il fit donc volte-face, et
attendit les Français sur une petite chaussée faite pour retenir un torrent
qui séparait les deux armées, et dont le lit était alors desséché. Chaumont
d'Amboise et Jean-Jacques Trivulce, maréchaux de France, accompagnés du jeune
Gaston de Foix -Narbonne, duc de Nemours, frère de la reine d'Espagne et
neveu de Louis XII, de d'Aubigny, de La Palisse et d'intrépides chevaliers,
s'avançaient à la tête de six cents lances et d'une nombreuse infanterie. Ils
s'élancèrent avec impétuosité sur les ennemis ; mais l'Alviane fit bonne
contenance, chargea ensuite les assaillants avec tant de fureur, qu'il les
fit plier, à cause des obstacles que des vignes entourées de fossés
présentaient à la cavalerie française, et les rejeta loin au-delà du ravin. Le
comte de Pitigliano, dont le bruit du canon ne faisait qu'accélérer la
marche, n'envoya aucun renfort à l'Alviane. Louis XII, au contraire, à la
nouvelle de ce qui se passait, fit soutenir ses deux maréchaux par trois
compagnies d'ordonnance, qui accoururent au galop sous la conduite du jeune
duc Charles de Bourbon, fils du comte Gilbert de Montpensier, et du sire de
La Trémouille. Le roi lui-même arriva bientôt avec toute sa maison, et son
attaque fut vive et meurtrière. Excités par sa présence, les Français
déployèrent un invincible courage. Louis s'exposait au feu comme le plus
petit soudoyer, se portait partout où il fallait donner des ordres, et
employait à propos les exhortations et les menaces. Ses généraux le
conjuraient de ne point exposer une vie si précieuse : « Que ceux, leur
dit—il, « qui ont peur, se mettent à couvert derrière moi. » De son côté,
l'infanterie vénitienne, encouragée par son premier succès, faisait
d'incroyables efforts ; l'Alviane remplissait tous les devoirs d'un grand
capitaine et d'un intrépide soldat. A
l'apparition de l'arrière—garde française, qui, commandée par Motard,
d'Alègre, Pierre Bayard et autres chefs d'aventuriers, traversait des fossés
pleins d'eau pour tourner le flanc de l'ennemi, les gens d'armes de l'Alviane
se mirent en déroute ; mais l'infanterie combattit héroïquement et balança
longtemps la victoire. Après trois heures d'une résistance désespérée, ces
valeureux soldats ne voulurent pas tourner le dos, et presque tous périrent
glorieusement. Huit à dix mille restèrent sur le champ de bataille. Les
Français ne perdirent que quatre à cinq cents hommes. L'Alviane, un œil crevé
et le visage meurtri et sanglant, se rendit enfin au seigneur de Vendenesse, ung
droit petit lyoia, frère du gentil seigneur de La Palisse. Il fut conduit
devant le roi. Louis le reçut bien et lui dit qu'il aurait bon traitement et
bonne prison, et qu'il eût bonne patience. « Ainsi l'aurai-je, répliqua le
brave général ; si j'eusse gagné la bataille, j'étais le plus victorieux
homme du monde, et, nonobstant que je l'aie perdue, ai-je encore grand
honneur d'avoir eu en bataille tin roi de France en personne contre moi :
toutefois, j'eusse mieux aimé la victoire, et j'en eusse été assez plus
joyeux[3]. » Telle
fut la bataille de la Ghiara d'Adda ou de Vaila, que les Français appelèrent
la journée d'Agnadel, livrée le 14 mai 1409, et en mémoire de laquelle le roi
ordonna la fondation d'une belle chapelle de Notre-Dame-de-Grâce. Vingt
pièces d'artillerie et le bagage des Vénitiens étaient au pouvoir du
vainqueur. Afin de profiter de l'avantage qu'il venait de remporter, Louis se
remit aussitôt en marche. Dès le lendemain il parut devant Caravaggio, qui
ouvrit ses portes ; le 16, la citadelle se rendit aussi, après avoir essuyé
le feu du canon ; le 17, Bergame n'attendit pas l'approche de l'armée pour
faire sa soumission, et sa citadelle tint seulement quelques jours contre la
nouvelle garnison française. Comme. les troupes du comte de Pitigliano se
retiraient dans la direction de Brescia, les Français les y suivirent ; mais
le vieux parti gibelin, disposé par les conseils du comte Jean-François de
Gambara, se hâta d'arborer l'étendard de la France. Crème passa entre les
mains des vainqueurs ; Crémone et la forteresse de Pizzighittone les reçurent
aussi dans leurs murs. La citadelle de Crémone résista, parce que Louis XII
refusa d'accorder la liberté de se retirer à quelques nobles vénitiens 'qui
s'y étaient enfermés. Après
ces pertes, le comte de Pitigliano recula jusqu'à Vérone avec les restes de
son armée découragée et affaiblie chaque jour par la désertion. Là, il voulut
rallier ses troupes et les préparer à une nouvelle résistance ; mais là aussi
on refusa de le recevoir. Ensuite Louis s'avança contre Peschiera, place bien
fortifiée, qui commande l'extrémité méridionale du lac de Garde et le cours
du Mincio. Aussitôt que le canon eut ouvert une brèche, les Suisses et les
Gascons s'y jetèrent avec impétuosité ; ils égorgèrent la garnison, composée
d'environ quatre cents fantassins. Le gouverneur André de Riva et son fils
offrirent de payer bonne et grosse rançon ; mais le roi, irrité contre les
Vénitiens, ne voulut point écouter les prières de Chaumont d'Amboise et des
autres capitaines, et chacun à un arbre furent tous deux pendus. Louis
XII, en quinze jours, s'était rendu maitre de tout le pays entre l'Adda et le
lac de Garde, sans l'aide de ses alliés : c'était la part que lui avait
assignée le traité de Cambrai. Il eût été facile au roi de pousser plus loin
ses conquêtes. En effet, après la nouvelle de la désastreuse bataille d'Agnadel,
la douleur et l'épouvante avaient été grandes dans Venise. A l'espérance de
l'empire de toute l'Italie, dont elle se flattait quelques mois auparavant,
avait succédé la crainte de la ruine entière de la république et de la
patrie. Le sénat, cédant à l'orage, avait envoyé l'ordre aux gouverneurs de
délier du serment de fidélité tous ses sujets de terre ferme, et de les
autoriser à se soumettre aux Français. Louis XII montra le respect le plus
religieux pour le traité de partage ; il ne voulut occuper aucune des villes
échues à Maximilien, et il renvoya à l'ambassadeur de ce prince les clefs de
Vérone, de Vicence et de Padoue, que lui avaient apportées les magistrats de
ces villes. Au lieu
de paraître en personne à la tête d'une armée, quarante jours après
l'entrée en campagne des Français, ainsi qu'il l'avait promis, Maximilien
s'était contenté d'envoyer une poignée de soldats dans le Frioul, et était
resté à Trente, où il semblait attendre le résultat de la guerre. Pour
témoigner sa reconnaissance à Louis XII, il livra aux flammes le fameux livre
rouge, conservé à Spire, sur lequel il avait écrit de sa main tous ses griefs
contre la France depuis le règne de Louis XI, et lui conféra une nouvelle
investiture du duché de Milan. La première, qui semblait émanée du propre
mouvement du chef de l'empire, ne comprenait que la postérité masculine du
roi. Mais la seconde, que l'empereur remit au cardinal d'Amboise (14 juin
1509), reconnaissait Louis XII comme ayant droit au duché de Milan, par son
aïeule Valentine de Visconti, et portait que ses filles, et à leur défaut le
jeune François, son plus proche parent, devraient en hériter. Cette conduite
ne laissa plus dans l'esprit du roi aucun doute sur la fidélité de son allié
: il fit dans Milan une entrée triomphale, licencia ensuite la plus grande
partie de son armée, laissa le reste sous la conduite de Jacques de
Chabannes, seigneur de La Palisse, et retourna au-delà des monts. En
France, Louis XII fut reçu en triomphe, comme à Milan. Ses brillants succès,
qui ajoutaient à sa réputation de bonté et de justice toute la gloire d'un
conquérant, et la crainte qu'on avait eue de le perdre, augmentaient, s'il
était possible, l'amour que ses sujets avaient pour lui. Il trouva la reine à
Grenoble, revit avec plaisir son fils adoptif, et partit bientôt pour Blois,
où les plaisirs de la paix lui firent oublier les fatigues qu'il avait
éprouvées. La jeune Marguerite de Valois, sœur de l'héritier présomptif de la
couronne, se distinguait déjà par son caractère plein d'enjouement et par les
grâces de son esprit. Louis XII, dont elle était chérie, crut travailler à
son bonheur en lui donnant pour époux le duc d'Alençon, dont la valeur avait
brillé d'un vif éclat sur le champ de bataille d'Agnadel, et qui avait été
jadis fiancé à la fille unique de Mm° de Beaujeu. Ce mariage, célébré le 3
octobre 1509, et accompagné de pompeuses fêtes, ne devait pas être heureux. A la
nouvelle de la glorieuse campagne des Français, tous les ennemis de Venise
avaient poussé des cris de joie et s'étaient mis en mouvement. Jules Il avait
fait attaquer les places de la Romagne ; Ferdinand, que les Vénitiens
voulaient détacher de la ligue, commença le blocus des ports de la Pouille,
qui se rendirent sans combat. Le duc de Ferrare, Alphonse d'Este, reprit sans
résistance le Polésine de Rovigo et les domaines d'Este, berceau de sa maison
; le marquis de Mantoue recouvra l'ancien patrimoine de ses ancêtres ; enfin
le duc de Savoie réclama l'île de Chypre, comme héritier des Lusignan. Dans
sa détresse, la république négocia avec tout le monde, excepté avec le roi de
France, qu'elle n'aimait pas. Satisfait d'avoir pourvu à ses intérêts, Ferdinand
ajourna ses propositions ; le pape les accueillit avec faveur ; Maximilien
les refusa, et ne voulut pas se séparer des Français. Comme à son ordinaire,
ce prince entra en campagne quand tous ses alliés étaient dans l'inaction.
Venise reprit courage en voyant le roi de France, fidèle aux termes du traité
de Cambrai, ne rien entreprendre de plus, et surtout le petit nombre des
troupes impériales qui occupaient ses domaines. L'insolence et les excès de
la noblesse gibeline faisaient déjà regretter au peuple des villes et des
campagnes la domination modérée de la république. Partout se réveillait avec
énergie la haine de l'étranger. Sur ces
entrefaites, Trévise, ne voulant pas d'autre maîtres que les Vénitiens,
chassa les nobles et les officiers de l'empereur. Les Vénitiens y firent
aussitôt entrer sept cents fantassins, et quelques jours après leur armée,
renforcée par de nouvelles troupes. Ils fortifièrent ensuite cette ville en
grande diligence, et envoyèrent leur cavalerie faire des courses dans le pays
circonvoisin, pour ramasser le plus de vivres qu'il leur serait possible.
Enfin une brusque attaque de l'un des provéditeurs, André Gritti, secondée
par les paysans de toute la contrée, rendit à la seigneurie la possession de
la grande cité de Padoue (17 juillet), dont la garnison allemande fut massacrée. Les
vainqueurs se contentèrent de piller les maisons des Juifs, et celles de
quelques Padouans qui s'étaient déclarés en faveur de Maximilien. Le comte de
Pitigliano entra bientôt dans la ville ; il mit grosse diligence pour la
faire remparer et fortifier, bien considérant qu'elle feroit bon besoin à la
seigneurie. Vicence ne fut protégée contre une révolte de la populace que
par l'Epirote Constantin, qui amena tout ce qu'il put rassembler de troupes
allemandes ; mais Legnano accueillit les troupes de la république. Le marquis
de Mantoue se laissa surprendre et enfermer dans une bourgade, où les
Vénitiens le firent prisonnier (9 août) ; l'empereur eût perdu tout le reste,
si les Allemands n'eussent été secourus par sept cents lances françaises que
commandaient La Palisse et Bayard. Irrité
de la perte de Padoue, Maximilien s'efforça de rassembler une puissante
armée, et y réussit. Alors le Vicentin, le Padouan, le Véronais, le Frioul et
l'Istrie, dont les populations étaient généralement favorables à la cause des
Vénitiens, devinrent le théâtre des hostilités. Les contingents de la France,
de l'Espagne, du pape, du duc de Ferrare et de quelques autres princes
italiens vinrent successivement le joindre. L'empereur s'avança jusqu'au pont
de la Brenta, à trois milles de Padoue. Il occupa Limena, s'étendit à douze
milles vers le Polésine de Rovigo, afin de se procurer plus facilement des
vivres, prit d'assaut et saccagea le château d'Este, entra dans Monselice,
dont il emporta au bout de deux jours la citadelle, située sur la pointe d'un
rocher fort élevé. Après la soumission de Montagnana, il retourna vers
Padoue, prit position au pont de Bassanello, et tenta vainement de détourner
le cours de la Brenta. Maximilien reçut alors la grosse artillerie et les
munitions qu'il attendait. Ses troupes, dispersées en différents lieux, se
hâtèrent d'arriver, et il investit la place avec une armée que Guichardin
évalue à cinquante mille combattants, soutenus d'une nombreuse artillerie.
Les préparatifs de siège étaient si formidables, qu'on n'en avait jamais vu
de pareils. Le 'camp impérial renfermait des munitions de toute espèce, et
l'argent n'y manquait pas. Outre celui que l'empereur avait tiré de la
Flandre et de ses États, Georges d'Amboise et le roi d'Aragon lui en avaient
envoyé. Tant d'avantages réunis semblaient promettre le succès de
l'entreprise. De leur
côté, les Vénitiens, persuadés que leur salut dépendait de la conservation de
Padoue, avaient tout disposé pour une vigoureuse défense. Ils avaient entassé
dans cette grande cité phis de trente mille combattants, à l'exception des
troupes nécessaires à la garde de Trévise. La ville était fournie d'une
quantité prodigieuse de canons et de vivres pour plusieurs mois. On y avait
fait entrer aussi un nombre infini de paysans et de pionniers, afin de
réparer et de fortifier les murs, ainsi que les autres défenses de la place.
A la tête des troupes se trouvaient de bons officiers, et trois cents nobles
vénitiens résolus à s'ensevelir sous les ruines de ses remparts. Maximilien
n'ignorait ni le bon état de Padoue, que son indolence avait donné aux
Vénitiens le temps de réparer, ni la force de la garnison. Le comte de Pitigliano,
son gouverneur, en habile homme, le lui avait fait connaître par quelques
déserteurs affidés. L'empereur commença néanmoins l'attaque, se montra
partout et affronta les dangers avec la plus in trépide valeur. Dès le
quatrième jour le canon avait ouvert de larges brèches, et le lendemain
Maximilien voulut faire monter à l'assaut ; mais les Padouans avaient profité
de la nuit pour prendre des mesures défensives, et l'entreprise dut être
remise. Bientôt les murs se trouvèrent si fort ruinés par l'artillerie allemande,
qu'elle semblait désormais inutile. On se prépara donc à livrer l'assaut au
grand bastion de la porte Codalunga. Les fantassins allemands, espagnols et
français, s'avancèrent, à l'envi les uns des autres, à travers un feu
continuel ; mais à peine eurent-ils arboré leurs drapeaux sur le bastion, que
les ennemis les forcèrent de se retirer. Zittolo de Pérouse sortit de la
ville, et chassa les impériaux de tous les retranchements qu'ils avaient
pris. Le zèle de l'empereur se refroidit alors, ainsi qu'il arrivait dans toutes ses tentatives ; les Stradiotes parcouraient la contrée, harcelaient ses troupes et interceptaient le passage des vivres. Comme ses ressources étaient près de s'épuiser, Maximilien leva le siège au bout de seize jours de tranchée ouverte, malgré les clameurs des officiers et des soldats, honteux de cette retraite, et se replia sur Vicence (octobre 1509). Encouragés par la faiblesse du césar, dont l'armée se dispersa promptement, et qui repartit pour l'Allemagne, les Vénitiens reprirent Vicence et quelques autres places. Une garnison française qui s'était jetée dans Vérone, les empêcha de se rendre maîtres de cette ville. La seigneurie était sauvée par l'énergique résistance de Padoue, et désormais elle n'avait plus rien à craindre pour son existence ; elle comprenait que les alliés ne souhaitaient pas le triomphe de Maximilien ; elle eut la hardiesse de lui refuser une trêve qu'il n'avait pas rougi de lui demander. |