CHARLES VI, LES ARMAGNACS ET LES BOURGUIGNONS

 

CHAPITRE VIII. — LES ARMAGNACS ET LES BOURGUIGNONS. 1410-1413.

 

 

Charles, duc d’Orléans, épouse Bonne d’Armagnac. — Conférences de Gien. — Préparatifs des deux partis. — Mort du vieux duc de Bourbon.— Manifeste des princes confédérés. — Leur marche sur Paris. — Ils sont obligés de traiter. — Paix de Bicêtre. — Le duc d’Orléans fait arrêter le sire de Croy. — Nouveaux préparatifs de guerre des Armagnacs et des Bourguignons. — Conférences de Melun. — Hostilités des Armagnacs. — Désolation de la Picardie et des environs de la capitale. — Le comte de Saint-Pol capitaine de Paris. — Milice des bouchers. — Les trois frères Legoix ; Saint-Yon ; Thibert. — Simon Caboche. — Jean de Troyes. — Excès des bouchers. — Les princes d’Orléans et leurs alliés déclarés criminels de lèse-majesté. — Jean Sans-Peur marche contre eux. — Désastre de Ham. — Les Flamands retournent dans leur pays. — Paris investi par les Armagnacs. — Jean Sans-Peur entre dans Paris avec des troupes anglaises. — Retraite des Armagnacs. — Cruelles vengeances des Bourguignons. — Les Armagnacs appellent les Anglais à leur secours. — Jean Sans-Peur obligé de traiter. — Paix de Bourges. — Assemblée d’Auxerre.

 

Nous voici arrivés à l’époque funeste où va s’ouvrir, dans notre malheureuse patrie, une longue série de scènes sanglantes, où les factions vont se précipiter avec une sorte de frénésie dans la guerre civile. Pendant cette guerre impie, chaque parti appellera tour à tour l’étranger, et s’abandonnera sans scrupule et sans remords à tous les excès du pillage et à toutes les horreurs du massacre. Le pauvre roi, au nom duquel les deux factions prendront les armes, ne pourra que, dans quelques intervalles passagers de raison, légitimer les actes de l’une ou de l’autre. A la guerre civile ne tardera pas à se joindre la guerre étrangère, et la France, affaiblie par les discordes de ses enfants, recevra sur le champ de bataille d’Azincourt une blessure aussi profonde que les blessures de Crécy et de Poitiers.

Lorsque les ducs de Berri et de Bourbon quittèrent Paris, un grand orage se formait hors de cette ville. Le duc Charles d’Orléans atteignait sa dix-neuvième année, et autour de lui se rassemblaient tous ceux qui haïssaient le duc de Bourgogne. Le sang de son père, traîtreusement versé par Jean Sans-Peur, fumait encore à ses yeux. Dévoré d’un désir ardent de le venger, le jeune prince croyait sa religion et son honneur engagés à punir le plus abominable des forfaits. Il ne voulait pas quitter ses vêtements de deuil pour se souvenir toujours de ce funeste événement, pour le rappeler à ses frères et à ses nombreux amis. Ce prince était affable, juste, spirituel, et d’une rare bonté. Sa conversation enjouée, son caractère bienveillant, le rendaient cher à tous ceux qui l’entouraient. Son ambition, déjà développée, était un aiguillon qui rendait encore sa haine plus vive. Neveu du roi et premier prince du sang, il croyait devoir être préféré au duc de Bourgogne, et tenir le rang le plus élevé dans le gouvernement. Charles d’Orléans, qui l’année précédente avait perdu sa femme, madame Isabelle de France, de laquelle il n’avait eu qu’une fille, venait d’épouser Bonne d’Armagnac, fille du comte Bernard d’Armagnac et petite-fille du duc de Berri. Pendant les fêtes de ce mariage, qui fut célébré à Mehun-sur-Yèvre, les princes d’Orléans, les comtes d’Alençon et de Clermont, le connétable d'Albret et le comte d’Armagnac eurent quelques conférences pour aviser aux moyens de se venger du duc de Bourgogne. Ils se séparèrent sans avoir rien résolu ; mais ils se donnèrent un prochain rendez-vous dans la ville de Gien.

Au commencement du printemps de 1410, les princes d’Orléans et les mêmes seigneurs s’y réunirent. Les ducs de Berri et de Bourbon, ainsi que le duc de Bretagne mandé par eux, s’empressèrent de les rejoindre. Après de fréquentes délibérations, ils tombèrent d’accord sur la nécessité de prendre les armes pour arracher le pouvoir des mains du dictateur delà France, et le 15 avril ils signèrent un pacte d’alliance envers et contre tous, le roi excepté. Chacun d’eux s’engagea aussi à fournir un contingent de troupes. Dès ce moment, l’âme et le véritable chef du parti Orléanais fut le beau-père du duc Charles, Bernard VII, comte d’Armagnac, de Fezenzac et de Rhodez, qui remontait par ses aïeux au berceau de la monarchie. Ce seigneur jouissait d’une grande influence dans le midi ; c’était un des plus habiles capitaines de son époque. Par son expérience et sa fermeté, il avait su rétablir la discipline parmi ses troupes, dont il entretenait toujours un corps considérable. Actif, intrépide, doué d’un génie hardi et élevé, mais ambitieux, sans foi et sans pitié, il devenait un rival redoutable pour Jean Sans-Peur, qu’il haïssait pour avoir dès longtemps été forcé de lui céder le Charolais.

Le duc de Bourgogne, instruit des projets qui se formaient contre lui, vit bien qu’il fallait renoncer à ses projets de guerre contre les Anglais. Dans ces circonstances difficiles, il se trouva trop heureux de renouveler pour dix-huit mois la trêve avec Henri de Lancastre. Il n’était pas encore en mesure de faire face à l’orage ; mais il rappela tout son courage afin de renverser les projets de ses nombreux ennemis. Maître de Paris, du reste du royaume et de la personne du roi, il se lia plus étroitement avec le roi de Navarre, l’infant son frère, comte de Mortain, les comtes de la Marche et de Vendôme, tous princes du sang. Il donna au roi de Sicile la main de sa fille Catherine, quoique par le traité de Chartres elle eût été promise au frère du duc d’Orléans, le comte de Vertus. Il appela auprès de lui le comte de Penthièvre, son gendre, le comte de Saint-Pol, le prince d'Orange, les sires de Croy et de Saint-Georges, Jean de Vergy, maréchal de Bourgogne, et une foule d’autres seigneurs dont il avait tant de fois éprouvé la prudence et la valeur. En même temps il pressait les levées en Flandre et en Bourgogne. Par une sage et judicieuse précaution, il redoublait ses attentions pour la reine, qui dissimulait sa haine pour lui, afin de conserver un reste d’autorité toujours chère aux ambitieux. Il terminait aussi les dissensions du duc de Bretagne avec la maison de Penthièvre, pour détacher le duc de la confédération de Gien. Afin de se procurer de l’argent, il faisait lever quelques subsides dans le duché et la comté de Bourgogne, et comme ils étaient loin de lui suffire, il taxait arbitrairement beaucoup de bourgeois de Paris qu’il soupçonnait d’être attachés au parti d’Orléans.

Les princes confédérés s’étaient retirés dans leurs domaines, et appelaient aux armes leurs vassaux et leurs amis. Au milieu de tous ces préparatifs de guerre, le roi recouvra un instant de santé, et le duc de Bourgogne en profita pour lui faire écrire au duc de Berri une lettre dans laquelle il l’engageait à venir le trouver et à congédier ses chevaliers. Le prince lui répondit que ses alliés et lui ne déposeraient point les armes tant que le duc de Bourgogne ne renverrait pas ses troupes. L’ordre fut ensuite donné à tous chevaliers et écuyers de mettre bas les armes sous peine de forfaiture[1] ; mais ces menaces furent aussi inutiles que les invitations. Les princes continuaient toujours à réunir leurs forces. Ils se tinrent d'abord à Angers, où ils s’étaient donné rendez-vous, puis à Poitiers. Le comte d’Armagnac, aidé par le connétable d’Albret et par le comte de Foix, entraîna sous ses bannières la noblesse pauvre et belliqueuse du midi et de nombreuses bandes d’aventuriers gascons. Avec les ducs d’Orléans et de Berri marchèrent les chevaliers du Poitou, de l’Auvergne et des provinces de la Loire. Le duc de Bretagne, retenu par l’obligation récente qu’il avait au duc de Bourgogne, ne servit pas la ligue en personne ; mais il envoya aux coalisés le comte de Richemont, son frère, avec des auxiliaires anglais et des troupes levées dans ses États. Le duc d’Orléans vit arriver aussi à son secours des cavaliers lombards dont on vantait l’habileté dans l’art de manier un cheval. Pendant que les princes ligués s’apprêtaient à diriger leurs forces contre Jean Sans-Peur, le duc de Bourbon, qui s’était mis en marche avec ses troupes pour se rendre à Poitiers, tomba malade à sa sortie de Moulins, et fut obligé de s’arrêter à Montluçon, où il mourut à l’âge de soixante-treize ans (13 août 1410). Ce fut une grande perte pour le parti qu’il s’était décidé à suivre ; car il aurait peut-être réussi à lui communiquer la modération, la justice, la prudence et l’habileté qui le distinguaient. Jean Ier, comte de Clermont, son unique fils légitime, resta fidèle à la cause qu’avait embrassée son père, et conduisit les troupes du Bourbonnais et du Beaujolais.

De leur côté, le duc de Bourgogne et ses alliés armaient les hommes du nord et de l’est pour les opposer à ceux de l’ouest et du midi. Des troupes de Flamands, de Brabançons, de Bas-Allemands, de Lorrains, de Picards, de Bourguignons et de Savoyards, se rendirent à son appel. Elles étaient commandées par les comtes de Saint-Pol, de Hainaut, de Savoie, le duc de Brabant, le maréchal de Bourgogne et le sire de Saint-Georges. Le comte de Penthièvre avait amené un grand nombre de Bretons. Malgré ces forces imposantes, le duc de Bourgogne ne négligea point les ressources de la politique, et entama encore des négociations qui furent aussi infructueuses que les premières. Les confédérés se rendirent à Chartres, après avoir traversé lentement le Poitou, la Touraine et la Beauce. De là ils adressèrent au roi, le 2 septembre, une sorte de manifeste respectueux, dont ils envoyèrent copie à l’Université de Paris et aux bonnes villes du royaume. Sans parler du meurtre du duc Louis d’Orléans, afin qu’on ne pût leur reprocher d’avoir violé la paix de Chartres, ils protestaient de la légitimité de leur entreprise, et déclaraient s’être assemblés pour la défense du roi et du dauphin et pour le rétablissement de l’autorité royale.

Après trois jours de séjour à Chartres, l’armée des princes continua sa route et entra dans Étampes ; elle comptait plus de 100.000 hommes. Les forces du duc de Bourgogne étaient encore plus nombreuses, mais moins redoutables que les Gascons pauvres et mal vêtus du comte d’Armagnac. Ceux-ci se faisaient remarquer par leur férocité et leur ardeur à piller les campagnes ; partout ils promenaient la désolation, l’incendie et le meurtre : c’était une véritable réaction du midi contre le nord. Ces terribles Armagnacs étaient distingués par une bande de toile blanche passée sur l’épaule droite, tandis que le chaperon bleu, avec la croix blanche de Saint-André en sautoir et la fleur de lis au milieu, était la marque du parti des Bourguignons. Malgré l’avantage du nombre, Jean Sans-Peur voulait encore éviter la guerre, et négociait toujours avec d’autant plus d’instance que les peuples paraissaient peu disposés à le seconder dans ses entreprises. Paris et les autres bonnes villes du nord avaient été obligées de subir les tailles et les emprunts forcés qu’elles avaient repoussés d’abord : de là le peu de zèle que montrait la bourgeoisie pour la faction de Bourgogne. Aussi, lorsque le duc assembla les capitaines des quartiers de Paris et leur proposa d’élire le comte de Saint-Pol capitaine de la milice de cette ville, ils refusèrent d’une voix unanime, et lui dirent qu’ils ne pouvaient en accepter un de moindre rang que le duc de Berri, auquel cette charge avait été attribuée depuis plusieurs années. Les possesseurs de fiefs, qui avaient répondu en petit nombre à la convocation du ban et de l’arrière-ban, auxquels le duc avait donne des Essarts pour commandant, ne voulurent pas non plus lui obéir, prétendant que cet homme de naissance obscure ne pouvait occuper une place si honorable.

Malgré ses démonstrations pacifiques, Jean Sans-Peur s’était emparé de Creil-sur-Oise ; ses Brabançons exerçaient partout des ravages ; toute la campagne, jusqu’à vingt lieues autour de cette ville, était dévastée. On craignait encore de plus grands maux ; tout le monde frémissait du destin de la France, prête à recevoir le coup mortel de la main de ses enfants. Dans toutes les églises le clergé implorait le Ciel pour la fin des déplorables discordes des princes, et chantait cette triste et touchante prière : « Seigneur Jésus-Christ, épargnez votre peuple, et ne livrez pas le royaume de France à la perdition ; mais conduisez les princes dans le chemin de la paix[2]. »

La cour, vivement alarmée de l’approche des confédérés, envoya au duc de Berri, à Étampes, l’archevêque de Reims, les comtes de Mortagne et de Saint-Pol, pour lui ordonner de mettre bas les armes. Cette ambassade fut aussi inutile que les précédentes. Alors le duc de Bourgogne rapprocha ses troupes de la capitale ; il y fit entrer 8.000 vieux soldats, qu’il laissa vivre à discrétion chez les bourgeois, et augmenta les milices de la ville. Pour entretenir ces nombreux gens d’armes, comme aussi pour augmenter sa fortune, le prévôt des Essarts fit lever sur les familles, par exécution militaire, une taxe dont la moins élevée était de six écus d’or. Les bourgeois murmurèrent hautement, et ne virent plus dans le duc Jean ce prince chéri qui ne rêvait que le bonheur du peuple. Le Bourguignon envoya ensuite un renfort de 2.000 hommes au détachement qui était posté à Charenton ; et le duc de Brabant, son frère, occupa Saint-Denis avec6.000 hommes de ses troupes. Ces Brabançons indisciplinés livrèrent la ville au pillage, et menacèrent l’abbaye, où les habitants avaient cherché un refuge. Leurs chefs, poussés par leur insatiable avidité, ne voulaient pas même épargner les tombeaux des rois, qui semblaient rendre cet asile inviolable. Les religieux s’adressèrent alors au roi, qui fit changer cette insolente garnison, et qui promit d’indemniser les habitants.

Cependant l’armée des princes, n’ayant trouvé aucun obstacle dans sa marche, était entrée à Montlhéry, à sept lieues de Paris, et tout le pays au midi de la Seine était livré à d’épouvantables ravages. Au milieu de la consternation générale, l’Université, qui s’occupait seule de l’intérêt du royaume et du sort du peuple, envoya une députation solennelle au duc de Berri. Accueillie gracieusement par le prince, elle n’eut toutefois aucun succès. La reine et plusieurs prélats allèrent aussi le trouver, et eurent avec lui de nombreuses conférences, sans rien obtenir. Les princes voyaient en effet que leurs adversaires ne cherchaient qu'à gagner du temps, et à les amuser jusqu’à la mauvaise saison. Ils continuèrent donc leur marche, et arrivèrent devant Paris le 5 octobre. Le duc de Berri s’établit dans son beau château de Bicêtre, autour duquel il posta tous les généraux avec leurs troupes, à peu de distance les uns des autres, afin qu’ils fussent à portée de se joindre et de se secourir réciproquement. Le duc d'Orléans occupa Gentilly, et le comte d’Armagnac alla camper à Vitry.

On vit alors en France un spectacle nouveau, 200.000 hommes de la nation la plus vive et la plus brave de l’Europe, animés presque des mêmes passions que leurs chefs, et ces chefs eux-mêmes dévorés par la jalousie, la haine, l’ambition et la vengeance, rester cinq semaines en présence, sans en venir aux mains. Malgré la supériorité numérique de ses forces, le duc de Bourgogne semblait craindre de combattre ; il était sans doute troublé par les cris de sa conscience. Il y eut cependant quelques légères escarmouches ; de part et d’autre on ravageait les campagnes, on pillait, on incendiait des villages. Les troupes de quelques-uns des princes s’emparèrent du bourg Saint-Marcel ; les Gascons du comte d’Armagnac occupèrent Saint-Cloud et les villages circonvoisins. Les campagnes, dévastées par la soldatesque effrénée, n’offraient plus de ressources ; les villes étaient presque épuisées, l’hiver approchait, et la disette avec lui. Le peuple de Paris demandait la paix à grands cris. L’Université proposa alors au roi d’exclure du gouvernement les chefs des deux factions, les ducs de Berri et de Bourgogne, de les renvoyer dans leurs terres, et de choisir dans les trois Etats du royaume un certain nombre de gens de bien et d’expérience qui administreraient les affaires publiques. Le duc de Bourgogne et le roi de Navarre firent parade d’un grand désintéressement, et accueillirent cette proposition ; le duc de Berri et les Armagnacs ne montrèrent pas autant de bonne volonté. Alors le roi se résolut à prononcer la confiscation des biens des princes et de leurs adhérents. Cet acte de vigueur, la saison contraire et le manque de vivres les forcèrent à accepter le singulier expédient qu’avait proposé l’Université, et le 2 novembre un traité fut signé à Bicêtre.

Ce traité portait que tous les princes des deux partis se retireraient chacun chez eux avec leurs troupes, excepté Pierre de Navarre, comte de Mortain ; que les ducs de Berri et de Bourgogne ne pourraient paraître à la cour que mandés par lettres patentes et scellées du grand sceau, et tous les deux en même temps ; que le roi élirait pour siéger en son conseil des prud’hommes notables et non suspects, qui ne seraient attachés ni par passion, ni par serment à aucun des deux partis ; que les ducs de Berri et de Bourgogne partageraient la surintendance de l’éducation du dauphin, mais en la faisant exercer pendant leur absence par un seigneur de leur choix ; que le prévôt de Paris, des Essarts, serait déposé et exclu de toute administration ; que les seigneurs s’engageraient à ne procéder les uns contre les autres ni par voies de fait ni par paroles. Le grand conseil d’Etat, dont les princes étaient exclus, devait être composé de quatre prélats, de douze chevaliers, et de quatre membres du Parlement, étrangers à l’un et à l’autre des partis. Le roi ratifia la paix de Bicêtre, et cinq jours après une réconciliation solennelle eut lieu entre les ducs de Berri et de Bourgogne.

Ainsi se termina cette première guerre civile, qui causa la ruine d’un grand nombre de familles et coûta des sommes énormes à la France. Tous les gens de guerre du duc de Bourgogne, en retournant dans leurs foyers, ne parlaient qu’avec étonnement de leur chef, qui, avec des forces supérieures, n’avait fait aucun exploit digne de son courage et de sa naissance, mais qui s’était livré honteusement à la peur et à l’irrésolution, et avait cédé sans combat. Les hommes sages et pieux voyaient en cela un trait admirable de la Providence, qui avait puni Jean Sans-Peur du meurtre commis par son ordre, et qui avait ainsi empêché les Français d’inonder de leur propre sang le sol de leur patrie. Six jours après le traité de Bicêtre, les ducs de Berri et de Bourgogne se retirèrent chargés de la malédiction du peuple, le premier à Dourdan, l’autre dans son comté de Flandre. Tous les autres princes les imitèrent avec autant de regret que de honte. De tous les princes du sang, il ne resta auprès du roi que l’infant de Navarre, que sa douceur et sa probité faisaient aimer également des deux partis. Le roi de Navarre se rendit dans son duché de Nemours.

Quoique retiré dans ses États, et diminué de renommée pour avoir si facilement perdu le pouvoir, le duc de Bourgogne conservait cependant la prépondérance dans le gouvernement, grâce aux hommes dévoués à ses intérêts, qui composaient le nouveau conseil. Ainsi on y comptait les seigneurs de Croy, de Helly, Antoine des Essarts, qu’on soupçonnait même d’avoir participé au meurtre du duc d’Orléans. Tous les ministres qui entouraient le dauphin n’étaient guère que de zélés bourguignons. Comme les ressentiments de parti existaient dans toute leur force, et que rien ne pouvait mettre d’accord deux familles séparées par l’ambition, par la vengeance et par le meurtre, la paix ne pouvait longtemps durer.

Deux mois s’étaient à peine écoulés dans un calme apparent, lorsque les princes d’Orléans recommencèrent secrètement leurs préparatifs. Ils voulaient revenir armés à la cour, et détruire la puissance du Bourguignon, qui y dominait par ses créatures. Ils avaient pris toutes les mesures nécessaires pour rassembler leurs troupes, et ils espéraient prévenir Jean Sans-Peur, et arriver sous les murs de Paris avant qu’il eût pu réunir ses forces et se rendre auprès du roi. Le 28 janvier 1411, Charles VI était retombé dans son mal ; son état le rendait presque incapable d’agir, même dans ses meilleurs intervalles, et il ne devait plus avoir d’autre volonté que celle du parti dominant. Malgré le secret que les princes apportaient à leurs préparatifs, le duc de Bourgogne ne tarda pas à les pénétrer. Il écrivit aussitôt à la cour que le comte d’Alençon, le duc de Bourbon et le connétable rassemblaient des hommes d’armes, et que le duc d’Orléans et le comte d’Armagnac avaient formé le projet de s’emparer de Paris, défaire périr tous les bourgeois de cette ville qui leur étaient suspects, et d’enlever le roi, la reine et le dauphin. Les princes, indignés, donnèrent un démenti formel aux assertions du duc de Bourgogne, et crièrent au mensonge et à la calomnie ; ce qui n’empêcha pas le conseil de donner à tous les magistrats du royaume ordre de réprimer et de punir tous les rassemblements d’hommes armés.

Le duc d’Orléans se plaignait de son côté de ce que le conseil était composé d’hommes qui avaient participé au meurtre de son père, et il demandait instamment qu’ils fussent renvoyés. Voyant ses réclamations dédaignées, il résolut de se faire lui-même la justice qu’on lui refusait. Il sut que le sire de Croy, gouverneur de l’Artois, chargé d’une mission secrète auprès du duc de Berri par Jean Sans-Peur, devait passer sur ses terres. Comme ce seigneur était soupçonné d’avoir pris part au meurtre de son père, il le fit arrêter par une troupe de gens de guerre entre Orléans et Bourges. Conduit au château de Blois, où était alors le duc d’Orléans, le sire de Croy fut d’abord jeté dans une obscure prison. Le lendemain, il fut interrogé sur la part qu’il avait prise à la mort du feu duc Louis. Il nia d’y avoir participé ; mais pour lui arracher l’aveu de son crime, on lui lit subir la question avec tant de violence, que les ongles des pieds et des mains lui en tombèrent. Au milieu des tourments, le patient conserva toute sa fermeté, répondit à tous les interrogatoires avec un imperturbable sang-froid, et n’avoua rien. Le duc ordonna cependant qu’on le remît en prison, dans l’espérance de trouver des preuves contre lui[3].

Cette violence exercée envers un homme de qualité, ambassadeur du duc de Bourgogne, jeta dans l’étonnement la cour et le royaume. En vain le dauphin envoya aussitôt au duc d’Orléans l’ordre de mettre en liberté le sire de Croy ; en vain le vieux duc de Berri lui adressa de vifs reproches et l’invita également à relâcher son prisonnier ; ils ne purent rien obtenir du jeune prince. Dès lors, le duc de Berri, indigné, se détacha ouvertement du parti d’Orléans. Quant à Jean Sans-Peur, il fut profondément affligé et irrité du malheur de son ministre. Cette violence lui rappelait ce funeste assassinat qu’il eût voulu ensevelir dans un éternel silence. Il oubliait que les grands crimes, les crimes publics commis par les princes, ont des semences fécondes qui les perpétuent dans la postérité, et qu’ils deviennent, pour ainsi dire, imprescriptibles. Cette arrestation du sire de Croy redoubla la haine et le ressentiment entre les deux maisons d’Orléans et de Bourgogne.

Jean Sans-Peur, voyant que les princes se disposaient à la guerre, ne négligea rien pour la soutenir. Il assembla à Tournai les princes de sa famille et de son alliance, pour leur demander leurs services ; afin d’obtenir l’argent dont il avait besoin, il vendit aux Gantois le droit d’acquérir et de posséder des fiefs, et se fit payer pour restituer aux villes de Flandre les privilèges qu’elles avaient perdus à l’époque de leur révolte. En même temps il levait des troupes. Mais le conseil du roi ordonna aux deux partis de désarmer, et de soumettre leurs différends à la reine et au duc de Berri. Le duc de Bourgogne fit une réponse respectueuse et soumise, et mit les apparences de son côté en affectant une attitude purement défensive. Quant au duc d’Orléans, il adressa au roi une lettre dans laquelle il réclamait encore impérieusement le renvoi et le jugement d’une partie de ses conseillers, pensionnaires et créatures de Jean Sans-Peur, prétendant que c’étaient eux qui l’empêchaient de faire justice de la mort de son père. Loin de désarmer, ce prince continua de rassembler des aventuriers de toute nation.

Sur sa réponse altière, on pouvait croire que la guerre civile ne tarderait pas à éclater. Le dauphin convoqua deux assemblées de barons, de prélats, de docteurs de l’Université, de quelques membres du Parlement et de plusieurs notables bourgeois, pour aviser aux moyens de faire déposer les armes au parti d’Orléans. Des forces supérieures à celles des factieux étaient nécessaires pour les contraindre à l’obéissance. Mais pour cela il fallait de l’argent, et le trésor était presque épuisé. On proposa donc une taxe générale dont personne ne serait exempt, ni l’Église, ni l'Université. L’archevêque de Reims, prélat tout dévoué à la cour, y consentit au nom du clergé. L’Université en délibéra ; et six jours après, le chancelier de Notre-Dame, député par les deux corps, appuya sur la misère et les immunités du clergé, récrimina contre la mauvaise administration des finances, refusa le subside, et montra une hardiesse extraordinaire de langage, qui fut réprimandée parle chancelier de France[4]. Cependant le discours de l’orateur de l’Université fut si vivement applaudi du peuple, qu’on n’osa lever le subside proposé.

Peu de jours après, les trois princes d’Orléans publièrent, en forme de manifeste, une longue lettre au roi, datée de Jargeau le 14 juillet. Ils en adressèrent des copies au dauphin, à l’Université, à la ville de Paris et à toutes les bonnes villes du royaume. Ils y exposaient en termes énergiques et touchants leurs nombreux griefs, et demandaient vengeance de la mort d’un père tué en si noire trahison. La cour ne répondit rien à ce manifeste, et se contenta d’en envoyer une copie au duc de Bourgogne ; démarche impolitique, parce qu’elle semblait marquer une prédilection en sa faveur. Ce prince, affligé, confondu de voir revivre son crime après tous les efforts qu’il avait faits pour en effacer le souvenir, imita la cour et garda le silence. Le 18 juillet, les trois frères envoyèrent à Jean Sans-Peur un cartel, dans lequel ils ne le traitaient que de soi-disant duc de Bourgogne, et le défiaient comme traître et homicide. Jean leur répondit sur un ton aussi violent, en se glorifiant d’avoir puni leur père de ses attentats contre le roi et le royaume, et de ceux qu’il se préparait alors à commettre. C’est ainsi que les deux partis préludaient à l’effusion du sang par d’injurieux et de sanglants défis[5].

Pendant ce temps-là, de tous les points du royaume et de l’Allemagne, des princes, des seigneurs, des chevaliers, de nombreuses troupes d’aventuriers et de brigands accouraient avec joie sous les bannières d’Orléans ou de Bourgogne. Tout annonçait une terrible explosion, et cependant la reine et le duc de Berri avaient ouvert à Melun des conférences pour traiter de la paix. Sur leur demande, le roi y avait envoyé les principaux seigneurs de la cour, les présidents du Parlement et delà chambre des comptes, des députés de l’Université et quelques-uns des bourgeois les plus considérables. Après de nombreuses discussions et de vaines subtilités employées de part et d’autre, les conférences furent rompues au bout d’un mois, le duc de Berri ayant déclaré, dans un conseil de notables, qu’il était juste d’accueillir les demandes des princes d’Orléans.

A ce dernier signal de la guerre civile, les Parisiens s’émurent et crièrent à la trahison. Ils traitèrent de lâches et de perfides les arbitres subalternes qui auraient dû s’opposer à cette funeste décision. Ils s’emportèrent contre le duc de Berri, et dirent qu’il avait voulu introduire les Armagnacs dans la ville et leur en abandonner le pillage. Tous ceux qui avaient assisté aux conférences de Melun, instruits des dispositions du peuple, craignirent de rentrer à Paris et se cachèrent. Le duc de Berri retourna à Bourges, et la reine resta à Melun avec quelques troupes qu’elle avait prises à sa solde pour sa propre sûreté. Le connétable et Hangest, maître des arbalétriers, se déclarèrent ouvertement pour le duc d'Orléans, sous les bannières duquel venait de se rendre le prince de Bar.

Les princes ligués avaient résolu de ne plus attaquer avec des masses, et déjà les Armagnacs avaient recommencé les hostilités. Les ducs d’Orléans et de Bourgogne se portèrent rapidement au nord de la Seine, jetèrent de fortes garnisons dans les places de leurs domaines, s’emparèrent des petites villes de Nesle, de Chauny et d’Athies, et transportèrent le théâtre de la guerre sur les frontières de la Picardie. Cette guerre, répandue en tant de lieux, était la plus exécrable qu’on eût jamais vue. Les Armagnacs tiraient de fortes rançons des riches, sous prétexte qu’ils étaient Bourguignons ; ils faisaient subir toutes sortes d’outrages aux femmes, et massacraient impitoyablement les hommes. Malheur aux paysans que ces féroces soldats découvraient dans les souterrains qui leur servaient de retraite ; ils étaient traqués et enfumés comme des bêtes sauvages. Les bourgeois et les marchands de Paris et des autres villes qu’ils rencontraient sur les chemins, ils les dépouillaient avec d’horribles blasphèmes, et les renvoyaient chez eux en leur disant : « Allez-vous montrer à votre fou de roi ; allez demander vengeance à ce pauvre idiot, à ce misérable captif. » Souvent ils leur arrachaient les yeux, leur coupaient le nez ou les oreilles, et leur disaient : « Allez maintenant montrer votre bonne mine aux traîtres du conseil[6]. »

Les cris de détresse des peuples de la Picardie opprimés par les farouches Armagnacs arrivèrent jusqu’à Paris. Alors le trouble se mit dans le conseil ; il envoya quelques secours à cette province. Les paysans en deçà de l’Oise reçurent la permission de se lever en armes et de faire main basse sur les Armagnacs. Ils s’armèrent d’abord d’arcs en bois, d’épées rouillées et de piques qu’ils fabriquèrent eux-mêmes ; de là leur surnom de piquiers. En cet état, ils marchaient par bandes, se répandaient dans les bois, tombaient à l'improviste sur les traînards et les maraudeurs, et les massacraient tous sans pitié. Les Orléanais n’eurent d’abord que du mépris pour eux ; mais les piquiers, devenus des soldats en peu de temps, contractèrent tous les vices de ce métier, et se rendirent également redoutables aux voyageurs paisibles et aux factieux.

Les environs de Paris furent bientôt exposés à la même désolation que la Picardie ; la réponse de cette ville au défi des Armagnacs fut terrible. Soumis à toutes les impressions que lui communiquaient les agents du duc de Bourgogne, le peuple se prononça avec ardeur pour la cause de ce prince, et força ou parut forcer le conseil à investir du titre de capitaine de Paris Valeran de Luxembourg, comte de Saint-Pol, qu’il refusait pour chef depuis un an. Les chaînes furent tendues dans la ville, et des gardes placés aux portes, avec ordre de fouiller tous ceux qui en sortiraient.

Le duc de Bourgogne, qui se tenait toujours sur la défensive, mettait la justice de son côté, et obtenait l’approbation des gens sages, qui le voyaient avec plaisir rester, comme un sujet fidèle, dans la soumission et dans l’obéissance. S’il eût voulu modérer son emportement, il aurait eu toute la force de la France et aurait mérité l’affection du peuple ; mais il se fatigua bientôt de son rôle inactif, et renvoya dans la capitale le violent et factieux des Essarts, qu’il avait emmené en Flandre, Par ses conseils et ses intrigues, cet homme exerça la plus grande influence sur le nouveau gouverneur de la capitale. Il lui montra dans quelle classe de la population était la force dont il avait besoin pour soutenir son parti. Le comte de Saint-Pol se fit alors expédier des lettres du roi qui lui ordonnaient de lever, pour la défense de Paris, une troupe de cinq cents hommes sous le nom de milice royale. A la grande surprise des gens sensés, il choisit sans scrupule cette milice dans la classe du peuple vouée aux travaux qui font naître et entretiennent des habitudes de cruauté, parmi les bouchers, les écorcheurs et les assommeurs, et en confia le commandement aux principaux bouchers de Paris, les Legoix, les Saint-Yon et les Thibert. Le comte de Saint-Pol, membre de la maison impériale et royale de Luxembourg, ne rougit point de prendre de tels hommes pour ses lieutenants, ses amis et ses compagnons. Dans les séditions ils s’étaient toujours montrés pleins de zèle pour le duc de Bourgogne, et dans la dernière guerre ils s’étaient signalés plus d’une fois par leurs instincts sanguinaires.

Les Legoix, les Saint-Yon et les Thibert étaient les chefs de la boucherie de Paris. Dans l’origine cette profession était la propriété exclusive de vingt familles privilégiées, qui repoussaient tous les étrangers de leur corporation. Elle avait une juridiction particulière composée d’officiers tirés de son sein, et dont les appels étaient portés devant le prévôt de Paris. À l’époque où nous sommes arrivés, ces familles privilégiées, dans lesquelles les femmes ne jouissaient pas du droit héréditaire, étaient réduites à trois, qui formaient dans la bourgeoisie une espèce d’aristocratie très-influente. Les trois frères Legoix étaient maîtres de la boucherie de Sainte-Geneviève ; les Saint-Yon et les Thibert étaient en possession de la grande boucherie près du Châtelet. Ils étaient devenus riches et puissants, ce qui ne les empêchait pas d’exercer souvent leur métier en personne. Autour de ces capitaines d’un nouveau genre et de leur milice d’élite, se rallièrent les dépendances du métier de la boucherie, les pelletiers, les tanneurs, les corroyeurs, les chirurgiens, qui n'étaient alors, pour ainsi dire, que les valets des médecins, et enfin tous les mauvais sujets que renfermait la capitale. Maîtres de toute la populace par leurs richesses, ils s’associèrent Simon Caboche, écorcheur, plus méchant qu’eux encore, et un vieux chirurgien, Jean de Troyes, homme de beau langage, orateur populaire, esprit plein d’originalité et de vigueur. L’Université, qui renfermait dans son sein une foule d’étudiants aigris par la misère et par les vaines disputes des écoles, leur fournit aussi de nombreux tribuns[7].

Les bourgeois de Paris virent bientôt ce dont étaient capables les champions du parti bourguignon. Pour inaugurer son règne, le parti cabochien, ainsi nommé du chef que nous venons de faire connaître, se fit aussitôt attribuer le droit de visiter les maisons des suspects. Les bouchers et les écorcheurs marchaient armés par les rues et se livraient aux plus détestables excès. Ils se ruèrent d’abord sur les partisans les plus connus de la cause orléanaise et les égorgèrent. Bientôt ils ne se bornèrent plus à exercer leur impitoyable fureur contre les ennemis du Bourguignon. Si quelqu’un, noble ou bourgeois, de quelque parti qu’il fût, leur déplaisait, ils criaient : « C’est un Armagnac ! » puis ils l’assommaient et pillaient sa maison. Les personnes riches ne sauvaient leur vie qu’en payant une forte rançon. Souvent ils entraient par bandes au conseil du roi. Alors ils y jetaient la terreur par leurs blasphèmes et leurs menaces, et lui dictaient les résolutions. Personne ne se crut plus en sûreté dans Paris. L’archevêque de Reims, l'évêque de Saintes, que ces infâmes sicaires avaient voulu assassiner, plusieurs autres membres du conseil, plus de trois cents bourgeois des plus riches et le prévôt des marchands, Charles Culdoë, sortirent de la ville et se retirèrent à Melun. Le comte de Saint-Pol ne s’opposait que faiblement à tous les excès de sa sauvage cohorte, parce qu’il voyait insensiblement toute la ville devenir bourguignonne.

Le désordre alla cependant si loin, que l’on craignit pour le roi, qui alors était malade. On résolut donc que lui et le dauphin quitteraient l’hôtel Saint-Paul pour venir habiter le château du Louvre. Ce fut le gouverneur de Paris qui le fit transporter dans cette nouvelle demeure. Huit conseillers d'État, huit députés de l’Université et autant d’officiers du corps de ville escortèrent la litière royale. C’était un bien triste spectacle de voir fuir de sa résidence ordinaire ce monarque accablé d’un mal cruel, et qui était pour tout son royaume un objet de douleur et de pitié. Une députation fut aussi envoyée à la reine pour la prier de revenir dans la capitale avec ses enfants ; mais elle n’eut aucun égard à cette prière. Charles Culdoë fut remplacé par Pierre Gentien, homme de probité et de mérite. Puis on publia, de par le roi, ordre à tous les partisans des ducs de Berri et d’Orléans de quitter Paris sous peine de mort et de confiscation. Enfin, le 28 août, un acte arraché au conseil par les bouchers déclara les princes d’Orléans et leurs alliés criminels de lèse-majesté, et invita le duc de Bourgogne à venir à Paris avec toutes ses forces pour aider les fidèles sujets du roi à chasser les rebelles du royaume.

Alors l’incendie embrasa toute la France. Comme le parti royal, d’après cette résolution du conseil, se joignait au Bourguignon, il n’y avait plus de prétexte pour garder la neutralité. Tout fut Bourguignon ou Armagnac. Dans les villes et dans les campagnes, on arbora le funeste signe de ralliement de l’un ou de l’autre, l’écharpe blanche ou le chaperon bleu, la croix de Bourgogne et la devise de : « Vive le roi ! » A Paris on vit plus de 100.000 hommes prendre en quelques jours les couleurs bourguignonnes ; les femmes mêmes et les enfants les portaient[8]. De nouvelles rigueurs furent exercées contre les Orléanais. On en jeta plusieurs à la rivière, et l’on publia qu’ils avaient pris la fuite. On leur appliqua l’excommunication que le pape Urbain V avait lancée contre les grandes compagnies qui désolaient jadis le royaume. Tous les dimanches on prêchait contre eux dans les églises ; on allait jusqu’à refuser le baptême à leurs enfants. L'Université s’élevait aussi avec force contre eux, et parmi les membres les plus emportés de ce corps se distinguaient surtout le carme Eustache de Pavilly et le ministre des Mathurins[9]. L’oncle unique du roi, le duc de Berri, qui depuis les conférences de Melun était resté dans l’inaction, sans prendre aucun parti, fut également traité en ennemi. On le priva de ses gouvernements de Guyenne et de Languedoc. On rasa les murailles de son hôtel de Nesle, et l’on en mura la porte qui donnait sur la campagne ; le duc de Bourgogne défendit qu’on laissât entrer ce prince dans la ville. En même temps d’énergiques mesures de défense étaient prises. Une troupe de Parisiens s’empara de Corbeil, y laissa une bonne garnison, et coupa tous les ponts qui étaient sur la Seine, depuis Charenton jusqu'à Melun.

Le duc de Bourgogne était à Douai lorsqu’il reçut l’ordre qu’il attendait de marcher contre les Orléanais. Il partit aussitôt de cette ville, avec le duc de Brabant son frère, à la tête d’une armée magnifique. Toute la noblesse de Flandre et des deux Bourgognes s’était rendue avec empressement à son appel ; toutes les bonnes villes de Flandre et du Brabant lui avaient envoyé leurs redoutables milices. Il y en avait 40 à 50.000, tous parfaitement armés et équipés, et abondamment pourvus de bagages, de munitions et de toutes sortes d’équipages de guerre que transportaient environ 12.000 chariots. Baldoen, lieutenant de Calais, était venu aussi joindre le duc avec 300 hommes d’armes anglais. Lorsque cette armée campait, les riches et belles tentes des Flamands étaient rangées avec tant d’ordre et de soin, qu’on les aurait prises pour les bonnes villes elles-mêmes qui auraient été portées là. Pour enflammer davantage leur zèle, le duc leur avait promis de leur abandonner tout ce qu’ils pourraient prendre[10].

Après avoir traversé l’Artois, l’armée du duc de Bourgogne alla faire le siège de Ham-sur-Somme, ville bien fortifiée, et défendue par le plus fameux des capitaines des Armagnacs, Bernard d’Albret, et 500 hommes d’armes gascons. Bernard d’Albret soutint plusieurs assauts avec son intrépidité ordinaire ; mais voyant qu’il n’avait aucun moyen de résister aux terribles machines des Bourguignons qui renversaient les murs, il sortit pendant la nuit avec sa garnison et les bourgeois les plus riches, n’y laissant que les habitants pauvres. Les Picards du parti de Jean Sans-Peur y entrèrent les premiers, et commencèrent le pillage. Les Flamands s’y précipitèrent ensuite pêle-mêle, ravageant tout, massacrant les hommes, les femmes et les enfants. Insatiables de meurtre et de pillage, ils disputaient aux Picards les dépouilles sanglantes de leurs victimes, en s’égorgeant les uns les autres. Bien ne fut épargné ; ils enfoncèrent les portes des églises et en arrachèrent toutes les richesses. Quand tout fut saccagé, ils livrèrent la ville aux flammes. De toute la population de cette malheureuse cité, six religieux furent seuls soustraits au carnage et à l’incendie par la pitié de quelques seigneurs. Frappées de terreur à la nouvelle du désastre de Ham, toutes les petites places des environs s’empressèrent d’ouvrir leurs portes aux Bourguignons. Le duc envoya porter des nouvelles de ses progrès et de sa marche au dauphin par des Essarts, qui était venu le rejoindre. Il fut reçu avec la joie la plus vive par les Parisiens, qui le rétablirent dans sa charge de prévôt de la ville, après en avoir privé Bruneau de Saint-Clair, qui resta maître d’hôtel du roi.

A la nouvelle des succès du Bourguignon, le duc d’Orléans, qui était allé au secours du comte de Tonnerre, devenu depuis peu son vassal et attaqué par le comte de Nevers, marcha en toute hâte au-devant de Jean Sans-Peur. Son armée était au moins égale en nombre à celle de son adversaire et en aussi bel ordre. Elle lui était supérieure, puisqu’elle comptait 8.000 chevaliers et écuyers, car presque toute la noblesse de France s’était déclarée pour les Orléanais, tandis que toutes les villes, à l’exception d’Orléans et d’un petit nombre d'autres, avaient embrassé la cause des Bourguignons.

Sous les bannières d’Orléans marchaient, outre ses vassaux, les Gascons du comte d’Armagnac et de la maison d’Albret, les Bretons du comte de Richemont, les Lorrains du duc de Bar et les Allemands du seigneur de Saarbruck. Comme celle des Bourguignons, cette armée répandait l’effroi et la désolation dans tous les lieux qu’elle traversait.

Les Orléanais se portèrent sur Montdidier, où le duc de Bourgogne avait réuni toutes ses forces. Le comte d’Armagnac commandait l'avant-garde, et son gendre le corps de bataille, où étaient aussi les autres princes. Vers la fin de septembre, les deux armées se trouvèrent en présence. On ne doutait pas qu’un engagement général ne décidât enfin cette fameuse querelle, et que la mort d’un seul homme, comme on l’avait prévu, n’épuisât le sang de tout le royaume. Mais l’hésitation éloigna encore la catastrophe, qui paraissait imminente. Parmi les confédérés, les uns voulaient combattre, les autres voulaient attendre ; et Jean Sans-Peur démentait son surnom : c’était moins la peur toutefois que le remords qui glaçait son cœur et son bras : « Jean de Bourgogne n’avait pas foi dans sa cause[11]. » Il disposait cependant son armée pour en venir aux mains avec ses ennemis, lorsque les Flamands, qui ne devaient à leur seigneur que quarante jours de service et qui avaient fini leur temps, vinrent lui annoncer qu’ils voulaient s’en retourner. Ils le prièrent aussi de les faire reconduire en sûreté dans leur pays, selon la promesse qu’il leur en avait faite.

Confondu et désespéré, le duc, pour les retenir encore quatre jours, eut vainement recours aux flatteries, aux plus séduisantes promesses, à de basses supplications ; les Flamands demeurèrent inexorables. Ils osèrent même le menacer, s’il ne protégeait leur retraite avec sa cavalerie jusqu’au-delà de la Somme, de lui rendre coupé par morceaux le comte de Charolais, son fils, qui était resté en Flandre. Jean Sans-Peur, réduit à leur obéir, pria le duc de Brabant de couvrir leur marche avec sa cavalerie. Les Flamands s’en retournèrent alors chargés des riches dépouilles delà Picardie, qu’ils voulaient mettre en sûreté dans leur pays. Le duc, voyant son armée affaiblie par le départ des Flamands, n’osa pas risquer le sort d’une bataille, ordonna la retraite et passa la Somme en désordre[12]. Il eût été exposé au plus grand danger, si les Armagnacs eussent pris le parti de le poursuivre : mais les chefs qui avaient le plus d’expérience décidèrent le duc d’Orléans à marcher sur Paris, disant qu’il était important de s’emparer de cette ville, dans laquelle on pourrait exterminer le parti opposé, et prendre de justes mesures pour fermer à jamais au duc de Bourgogne l’entrée du royaume. L’armée se mit donc en marche avec une extrême diligence ; bientôt elle passa l'Oise à Verberie. La joie et l’espérance allégeaient ses fatigues ; chefs et soldats, également avides de butin, croyaient déjà se partager les précieuses dépouilles des Bourguignons.

À la nouvelle du retour des ennemis vers Paris, les habitants de cette ville tinrent conseil, et jurèrent de mourir plutôt que de la livrer au pillage des Armagnacs. La faction des bouchers, à la tête desquels se faisaient remarquer Jean de Troyes et Simon Caboche, sentit redoubler sa sauvage énergie ; le prévôt des Essarts montra la plus grande activité dans les préparatifs de défense ; des postes nombreux furent placés aux portes de la ville et aux passages de la rivière. Après la fuite du duc de Bourgogne, la reine, sur les instances du dauphin, était rentrée à Paris ; mais elle était, pour ainsi dire, retenue captive dans le Louvre.

Telle était la situation de Paris lorsque l’armée des princes arriva devant cette grande cité. Tous les villages au nord de la Seine furent aussitôt occupés ; car toutes les garnisons des places se retiraient à son approche. Saint-Denis, dans laquelle était renfermé Jean de Châlons, prince d’Orange, avec 400 lances bourguignonnes, fit seule une résistance de quelques jours. Les Armagnacs investirent avec des forces nombreuses cette ville, dont ils se promettaient le pillage. Un corps d’arbalétriers envoyé de Paris pour s’y jeter fut repoussé avec perte. Le prince d’Orange se défendit avec courage ; mais obligé de capituler le 11 octobre, il obtint d’honorables conditions. L’archevêque de Sens, qui entra aussitôt dans la ville à la tête de 400 hommes d’armes à pied, sut la préserver du pillage. Le lendemain, le brave sire de Gaucourt enleva Saint-Cloud, où le sire Colin de Puisieux se laissa surprendre, soit par trahison, soit par négligence. Les princes jetèrent 1,500 hommes dans cette ville, et fortifièrent la tête du pont du côté de Paris. Maîtres du passage de la Seine, les Orléanais privèrent la capitale de toute communication avec la Bourgogne, la Normandie et la Bretagne. Les habitants craignirent de manquer bientôt de vivres. Répandus sur les deux rives de la Seine, les Armagnacs livraient au pillage et aux flammes tous les environs de Paris ; ils inventaient chaque jour de nouveaux supplices pour forcer les paysans prisonniers à se racheter ou à se faire racheter par leurs parents et leurs amis. Tous les infortunés qui restaient entre leurs mains étaient pendus ou jetés dans la Seine. Aussi les paysans qui s’étaient sauvés dans les bois poursuivaient ces soldats comme des bêtes féroces et les tuaient sans nulle compassion : l’horreur qu’ils inspiraient partout était poussée jusqu’à la rage, et on les traitait non comme des hommes, mais comme des démons[13]. Dans leur aveugle fureur, les Armagnacs se livraient aux plus sacrilèges profanations. Incendier les églises, détruire les monastères, massacrer les religieux, fouler aux pieds les reliques, voler les châsses, jeter les saintes hosties dans la fange, tels étaient les désordres commis par cette farouche soldatesque.

Au milieu des horreurs dont les campagnes environnantes étaient le théâtre, les Parisiens ne restaient pas dans l’inaction. Il se passait peu de jours qu’il n’y eût de leur part des sorties, des attaques, des escarmouches assez vives. Chaque jour aussi le comte de Nevers et les autres chefs du parti bourguignon faisaient espérer l’arrivée de Jean Sans-Peur, qui armait pour rentrer en France et venir à leur secours. Par ce moyen, ils les affermissaient dans leur parti. Souvent ils distribuaient de l’argent à la populace pour exciter encore davantage sa fureur contre les Armagnacs. En même temps le conseil, presque entièrement dévoué au duc de Bourgogne, faisait rendre au roi des ordonnances qui déclaraient les princes coalisés criminels de lèse-majesté et ennemis de l’État, et qui abandonnaient leurs biens et leurs vies à ceux qui pourraient en disposer. D’ailleurs on avait fini par persuader au pauvre roi que le duc d’Orléans voulait détruire sa lignée pour s’emparer du trône.

Renfermés dans leurs murs et resserrés chaque jour davantage, les Parisiens commençaient à subir de pénibles privations. Pour s’arracher à cet état de souffrance, ils demandèrent au comte de Saint Pol qu’on les menât contre les ennemis. Le prévôt des Essarts fut mis à la tête d’un nombreux détachement, qui fut taillé en pièces près d’un moulin voisin de la porte Saint-Denis ; ceux qui échappèrent au fer des ennemis rentrèrent dans Paris en accusant leurs chefs de lâcheté et de trahison. Le peuple partagea leur ressentiment, s’attroupa, et mit en pièces l’étendard du comte arboré à la porte Saint-Denis. Une dangereuse sédition allait éclater, lorsque les comtes de Nevers et de Penthièvre survinrent, et apaisèrent le peuple en joignant à l’autorité les promesses et la douceur. Quelques jours après, les Parisiens tentèrent cependant une nouvelle sortie. Un parti des Armagnacs avait incendié à Bagnolet la maison de campagne du prévôt des Essarts. Le peuple, qui l’aimait plus que jamais, cria qu’il fallait en tirer vengeance. Legoix fit aussitôt prendre les armes à sa cruelle milice, et alla dévaster avec elle le magnifique château de Bicêtre, qu’il livra ensuite aux flammes.

Au milieu de ces troubles et de ce désordre affreux, la nouvelle se répand tout à coup que le duc de Bourgogne est arrivé de Péronne à Pontoise : les Parisiens se crurent sauvés. Jean Sans-Peur n’était plus à la tête de ces milices indisciplinées qui l’avaient si honteusement abandonné à Montdidier, il avait 6.000 vieux soldats. A Pontoise il fut rejoint par 1.200 hommes d’armes et archers anglais que le roi d’Angleterre lui avait envoyés avec autant de secret que de diligence, sous les ordres des comtes d’Arundel et de Kent. Henri IV, qui avait vu son alliance sollicitée par les deux partis à la fois, s’était décidé pour celui de Bourgogne, dont il espérait tirer un plus grand avantage. Le parti d’Orléans publia que le duc s’était engagé à faire hommage de la Flandre à l’Anglais, et à lui rendre la Normandie et la Guyenne. Au bruit de l’arrivée de Jean Sans-Peur, un grand changement s’opéra dans la capitale et dans le camp des princes. La joie et l’espérance passèrent dans le cœur des Parisiens ; la terreur et l’abattement s’emparèrent des Orléanais, naguère si fiers et si audacieux. Le comte d’Armagnac proposa d’aller attaquer le Bourguignon dans Pontoise, avant qu’il eût réuni toutes ses forces ; mais les plus anciens chevaliers furent d’un avis contraire, et l’emportèrent dans le conseil.

Après s'être reposé deux jours à Pontoise, le duc de Bourgogne quitta cette ville, passa la Seine à Meulan, et trompant les ennemis sur la direction de son armée, il entra dans Paris par la porte Saint-Jacques (23 octobre). Il y fut accueilli par les cris de joie du peuple et par les témoignages de reconnaissance du roi et du dauphin. Dès le lendemain de son arrivée, les Parisiens, soutenus par un corps de soldats anglais, sous la conduite de Jean de Luxembourg et d'Enguerrand de Bournonville, allèrent attaquer les postes de Montmartre et de la Chapelle. Le combat fut vif ; mais ces postes furent enlevés, et des Bretons qui les défendaient, les uns furent taillés en pièces, les autres tombèrent entre les mains des Bourguignons, qui rentrèrent en triomphe dans la ville.

Cet échec jeta quelque trouble dans le parti d’Orléans, où l’on accusa de trahison les seigneurs qui n’avaient pas voulu suivre le conseil du comte d’Armagnac. Toutes les troupes qui avaient été dispersées dans les villages furent réunies à Saint-Denis ; le poste important de Saint-Cloud fut seul conservé. La plus affreuse désolation régna bientôt sur la rive droite de la Seine et dans toute la vallée de Montmorency. Comme l’argent manquait, le comte d’Armagnac entra dans l’abbaye de Saint-Denis avec ses gens armés de marteaux, et força les coffres qui contenaient la vaisselle d’or et d’argent que la reine avait confiée à la garde des religieux. Les moines, craignant que les Armagnacs n’enlevassent aussi les richesses de l’abbaye, firent échapper secrètement ceux des leurs qui con -naissaient l’endroit où elles étaient cachées. L’avide et vindicative Isabeau ne cessa, depuis cette époque, de manifester une haine implacable contre le comte d’Armagnac. Le 9 octobre, le duc Jean sortit de Paris avec ses hommes d’armes, 1.600 Parisiens et les Anglais du comte d’Arundel, pour reprendre le poste de Saint-Cloud, que les Armagnacs avaient fortifié avec tant de soin qu’ils le croyaient imprenable ; 1.200 gentilshommes bretons, auvergnats et gascons, et une nombreuse infanterie composaient la garnison. Après un assaut terrible et un combat sanglant et cruel, le poste de Saint-Cloud fut emporté ; 900 gentilshommes, chevaliers ou écuyers, l’élite de l’armée des Armagnacs, restèrent sur le champ de bataille. A la suite du combat, les Bourguignons découvrirent 300 hommes qui s'étaient cachés dans les caves ; ils les égorgèrent tous de sang-froid. Parmi les prisonniers qui furent ramenés à Paris, se trouvait le sire de Puisieux, qui avait essayé, sous un habit de prêtre, d’échapper à la fureur de ses ennemis. Le peuple, qui l’accusait d’avoir livré Saint-Cloud aux Armagnacs, était très-irrité contre lui. Il avoua son crime, et mourut du supplice réservé aux traîtres. On lui trancha la tête ; puis son corps fut écartelé, et ses membres exposés sur les principales portes de Paris.

Ce sanglant échec fit perdre aux princes ligués l’espoir de s’emparer de la capitale. Ils évacuèrent précipitamment Saint-Denis, où ils laissèrent une partie de leurs bagages, et se replièrent pendant la nuit sur Étampes, et de là sur Orléans. Lorsqu’on apprit à Paris la retraite des Armagnacs, on crut qu’il n’était plus temps de les poursuivre. On pensa que le prévôt des Essarts, gagné par eux, et fatigué de toutes les cruautés qu’il avait été forcé d’exercer dans la capitale contre leur faction, avait voulu favoriser leur fuite en tenant les portes de la ville fermées jusqu'au lendemain midi, quoiqu’d fût informé de ce qui se passait à Saint-Denis. Des Essarts conduisit cependant les Parisiens jusqu’à cette ville, dont ils achevèrent le pillage. Plusieurs bourgeois et l’abbé de Saint-Denis lui-même, accusés de s’être montrés favorables au parti d’Orléans, furent conduits dans les prisons de Paris, et obligés de payer une riche rançon pour racheter leur liberté[14].

Le duc de Bourgogne, qui avait été revêtu par le roi de l’autorité absolue, se mit à poursuivre à outrance ses ennemis. Son armée fut divisée en plusieurs corps, dont il confia le commandement aux seigneurs les plus zélés pour sa cause. Les forteresses des comtes de Clermont et de Valois furent réduites par le comte de Saint-Pol. En peu de temps, toutes les places orléanaises du nord ouvrirent leurs portes aux Bourguignons. Le château de Couci, dont les murailles étaient d’une prodigieuse épaisseur, fit seul une assez longue résistance. Jean Sans-Peur entreprit lui-même le siège d’Étampes, où il conduisit le dauphin. La place, quoique vaillamment défendue par un chevalier d’Auvergne, le sire de Bosredon, fut obligée de se rendre ; la garnison prise à discrétion ; une partie passée au fil de l’épée, et l’autre conduite à Paris. Dans le même temps, les places de la Beauce, où le maréchal de Boucicaut avait été envoyé avec le grand maître Jaligny, se rendirent sans beaucoup de résistance.

D’Etampes, le duc de Bourgogne, malgré la rigueur de la saison, alla assiéger Dourdan, qui tenait encore pour les Armagnacs et qui fit sa soumission. Il rentra ensuite à Paris, où tous les jours il apprenait les succès que ses troupes obtenaient sur les Armagnacs. Tous les prisonniers d’importance lui étaient amenés. Mais de leur côté les Orléanais remportèrent un avantage à Janville, dans la Beauce, sur le comte de la Marche, qui tomba entre leurs mains avec un assez grand nombre d'autres seigneurs. Dans cette rencontre de chevaliers, Guyot Legoix, l’un des fameux capitaines des bouchers, fut mortellement blessé en combattant avec courage. Transporté à Paris, ce chef d’égorgeurs y mourut bientôt. Le duc de Bourgogne témoigna du regret de sa mort, et le fit enterrer a Sainte-Geneviève avec toute la pompe réservée aux funérailles d’un prince ; le duc et tous les seigneurs bourguignons suivirent son convoi avec les capitaines des bouchers et des écorcheurs. Le soulèvement du Languedoc, qui passa dans le parti des Bourguignons avec le Limousin et la Guyenne orientale, termina la campagne de 1411. Vers cette époque les troupes anglaises, dont les secours ne paraissaient plus nécessaires, furent congédiées par le duc de Bourgogne, qui combla leurs chefs d’éloges et de présents.

Avant que le succès de la campagne fut décidé, le parti bourguignon avait marqué par des actes de barbarie chacun des avantages qu’il remportait, mais après la victoire il fut implacable dans sa vengeance. Le sort des simples citoyens, que chaque jour on arrêtait en grand nombre, était horrible ; car ils étaient mis à mort ou ruinés. Les prisons de Paris regorgeaient de malheureux Armagnacs. On y laissait périr de froid, de faim, de maladie, tous ceux qu’on n’envoyait pas au supplice. Ils étaient privés des sacrements, et après leur mort on refusait de les ensevelir comme excommuniés ; leurs corps étaient jetés tout nus à la voierie ou aux pourceaux. Telle était devenue la misère des prisonniers du cruel Bourguignon, qu’ils regardaient comme heureux ceux qui mouraient sur l’échafaud. Ce dernier genre de mort était quelquefois réservé à de plus nobles victimes. Ainsi Jean de Brabant, frère de l’amiral Clignet de Brabant, Pierre de Famechon, serviteur fort aimé du duc de Bourbon, sire Mansard du Bois qui avait été pris à Saint-Cloud, et plusieurs autres seigneurs furent décapités par le bourreau. Le grand maître des arbalétriers, Charles d'Hangest, allait probablement subir le même sort, lorsqu’un héraut vint de la part des princes déclarer qu’ils useraient de représailles, sans épargner même le comte de la Marche. Cette menace sauva la vie à messire Charles d’Hangest et à beaucoup d’autres innocents.

Après un long accès de démence, Charles VI revint à la raison vers le milieu de janvier 1412. Il se fit raconter tout ce qui s’était passé pendant sa maladie, le grand armement des princes, les succès variés des deux partis, le blocus de Paris, la misère des peuples. Obsédé par les courtisans du duc de Bourgogne, il entra dans les sentiments de ceux qui l’entouraient, et approuva tout ce qui avait été fait. Il ôta l’épée de connétable à Charles d'Albret, pour la donner au comte de Saint-Pol, qui avait bien mérité du duc de Bourgogne. Le sire de Rambures fut nommé grand maître des arbalétriers, et le maréchal de Rieux, qui dut renoncer à ses fonctions à cause de son grand âge et de ses infirmités, eut pour successeur le sire Louis de Loigny. Ce dernier était un des favoris du roi de Sicile, récemment arrivé d’une expédition brillante, mais peu fructueuse, en Italie, et que des vues intéressées attachaient à la fortune de Jean Sans-Peur. Le roi, satisfait de l’empressement que sa bonne ville de Paris avait montré contre les Armagnacs, lui rendit tous ses privilèges, comme avant les événements de 1382. On fit ensuite de grands préparatifs pour accabler les Armagnacs au printemps de cette année. Mais comme les amendes et les confiscations ne suffisaient pas aux frais de la guerre, il fut résolu de lever un impôt sur toutes les villes du royaume. Paris aima mieux fournir des soldats que de l’argent, et offrit d’entretenir un corps de 1.000 hommes d’armes, 500 pionniers et 500 arbalétriers. Des Essarts fut choisi pour commander les hommes d’armes, et Pierre Roussel, qui avait pris le château d'Étampes, fut mis à la tête des pionniers. Ce choix fit grand plaisir au duc de Bourgogne.

Cependant la guerre et ses ravages continuaient à désoler le royaume ; mais partout les Orléanais essuyaient des défaites, et le duc de Bretagne, qui avait paru faire des vœux pour leur cause, entamait des négociations avec le conseil du roi. Abandonnés de l’ouest et de la meilleure partie du midi, ils n’avaient pour ressource que les provinces du centre, et le Bourguignon, devenu tout-puissant en France, se disposait à les en chasser. Rassemblés à Bourges, près du duc de Berri, qui venait de se déclarer ouvertement pour eux, ils faisaient des préparatifs pour une nouvelle campagne. Mais voyant leur parti affaibli par des pertes multipliées, ils eurent la funeste pensée de recourir à l’alliance de l’Angleterre. Ils envoyèrent dans cette vue des ambassadeurs à Londres, au roi Henri IV, dont l'intérêt était d’entretenir toujours la division en France. Le duc de Bourgogne essaya de traverser la négociation des princes, en renouvelant au monarque anglais la proposition de donner au prince de Galles une de ses filles en mariage. Mais Henri voulait accorder son alliance au parti qui lui offrirait le plus haut prix. Les propositions des princes emportèrent la balance. Après de longs débats sur les conditions, les ducs de Berri, d’Orléans, de Bourbon et le comte d’Alençon déshonorèrent leurs noms en signant un traité avec l’ennemi de la France (18 mai 1412). Par ce pacte honteux, les princes et leurs principaux adhérents, Armagnac, Albret, consentaient à reconnaître Henri IV comme duc légitime d’Aquitaine et à lui faciliter le recouvrement de toutes les dépendances de ce duché. Le duc de Berri et les princes d’Orléans devaient seulement conserver, leur vie durant, le Poitou, l’Angoumois et le Périgord, à la condition de les tenir en fief de la couronne d’Angleterre. Le comte d’Armagnac s’était également soumis à l’hommage ; mais il conservait tous ses fiefs à perpétuité. Pour ces avantages, le roi d’Angleterre s’engageait à secourir les princes dans toutes leurs justes querelles, comme ses fidèles vassaux ; à ne faire aucun traité avec le duc de Bourgogne, ses enfants, ses frères ou cousins, sans leur consentement, et à leur envoyer, à leur solde, pendant trois mois, 1.000 hommes d’armes et 3.000 archers[15].

Les instructions des envoyés Orléanais saisies à Boulogne sur l’un d’eux, le moine augustin Jacques Legrand, que nous avons vu s'élever avec tant d'énergie contre les désordres de la cour, firent connaître ce pacte d’alliance. Le duc de Bourgogne les fit lire à l’hôtel Saint-Paul, dans le conseil du roi, en présence de plusieurs prélats, de l’Université et des notables bourgeois. Le pauvre Charles pleura, et demanda à l’assemblée ce qu’il fallait faire. L’assemblée ne répondit que par des cris de guerre et de vengeance. Pour rendre leurs ennemis plus odieux encore, les Bourguignons firent publier à grand bruit dans la capitale que les Orléanais avaient fait serment de tuerie roi, de détruire Paris et de partager la France. Ils atteignirent leur but en soulevant l’indignation publique. L’Université, les bourgeois, le peuple, les femmes, les enfants même, proféraient mille imprécations contre les princes qui livraient ainsi le monarque et le royaume aux ennemis. Les princes d’Orléans furent de nouveau excommuniés et proscrits. Louis de Bavière, frère de la reine, soupçonné de leur être favorable, fut obligé de quitter Paris, où il n’était plus en sûreté. Il se retira à Valenciennes, chez le comte de Hainaut, son parent.

À la nouvelle de la guerre que l’on préparait, une foule de chevaliers, impatients de se signaler sous les yeux de leur roi qui avait résolu de marcher contre les rebelles, accoururent à Paris. En même temps le duc Jean fit venir toutes les troupes de Picardie, de Bourgogne et de Normandie, et pressa le recouvrement de la dernière taxe. Il n’y avait pas de temps à perdre, si l’on voulait prévenir l’arrivée des secours que le roi d’Angleterre avait promis aux princes coalisés. Le roi fouis de Sicile se rendit aussitôt dans ses seigneuries d’Anjou et du Maine, pour se mettre à la tête de ses troupes, et fit une forte guerre au comte d’Alençon et au duc d’Orléans, ses voisins. Enfin, au grand étonnement de tout le monde, le roi alla solennellement prendre à Saint-Denis l’oriflamme, qu’on n’avait pas déployée dans les guerres civiles, et se mit en marche dans les premiers jours de mai, à la tête de 100.000 combattants. Cette nombreuse armée, avec laquelle on aurait pu délivrer la France des garnisons anglaises, passa la Loire à la Charité, s’empara de Fontenay et de Dun-le-Roi, deux forteresses du Berri. Elle arriva bientôt sous les murs de Bourges, où s’étaient renfermés les ducs de Berri et de Bourbon, le sire d’Albret, le comte d’Auxerre, les archevêques de Sens et de Bourges, l’évêque de Paris, les sires de Gaucourt et de Barbasan, et une foule d’autres seigneurs, avec 1.500 lances et 400 arbalétriers. La ville, dont la bourgeoisie était très-attachée à son prince, passait pour une des plus fortes de France. Elle était abondamment pourvue.de munitions et de vivres[16].

Charles VI, qui éprouvait quelque chagrin de venir combattre son oncle de Berri, commença par le faire sommer de lui rendre la place. Le duc lui répondit qu’il était bon serviteur et parent du roi, prêt à ouvrir les portes à lui et à monseigneur le dauphin ; mais qu’ils avaient en leur compagnie des gens qui n’y devaient pas être, et qu’ainsi il garderait sa ville pour le roi le mieux qu’il pourrait. Alors on forma le siège, et le 11 juin l’attaque commença. Les deux armées étaient fort animées et s’accablaient souvent d’invectives. Les assiégés se défendirent avec le plus grand courage. Comme on avait négligé d’investir complètement la ville, 500 d’entre eux essayèrent audacieusement de pénétrer jusqu’à la tente du roi, sous la conduite du sire de Gaucourt, dans l’intention de l’enlever, ainsi que le dauphin, et de les emmener à Bourges. Leurs efforts échouèrent par le courage des chevaliers du parti bourguignon ; mais les prisonniers qu’ils laissèrent firent connaître trois gentilshommes du camp de Charles avec lesquels les princes entretenaient des intelligences ; les accusés avouèrent, et furent décapités comme complices de cette tentative. Ce siège continua avec ardeur ; mais aux assauts des Bourguignons les assiégés répondaient par de vigoureuses sorties ; chaque jour il y avait beaucoup de sang répandu. Cependant le siège n’avançait pas ; la ville ne parlait point de capitulation, quoique les rangs de ses intrépides défenseurs commençassent à s’éclaircir, et ses ressources à s’épuiser. Le duc de Berri avait vendu son argenterie et ses joyaux afin de payer ses hommes d’armes. Heureusement pour les assiégés, l’armée du roi se trouvait dans une position presque aussi fâcheuse ; elle manquait d’argent, et elle était menacée de la disette ; toute la contrée était ravagée, et tous les convois interceptés par les confédérés. A ces maux vint se joindre une maladie contagieuse qui se répandit également dans le camp et dans la ville ; elle avait été engendrée par les grandes chaleurs, par l’insalubrité des marais de l'Yèvre, et par l'infection des cadavres. Ce redoutable fléau causa de grandes pertes dans l’armée royale. Le sire Gilles de Bretagne, second frère du duc, le comte de Mortagne, frère du roi de Navarre, périrent avec beaucoup de chevaliers et près de 8.000 gens d’armes ; les assiégeants finirent par tomber dans le découragement. Alors des hommes qui avaient toujours travaillé pour la paix, allèrent trouver le dauphin, et lui firent voir que dans cette guerre le duc de Bourgogne sacrifiait l’intérêt public à son ambition. Le jeune prince, paresseux et apathique, et regrettant les plaisirs de Paris, entra dans les vues des médiateurs. Il déclara hautement au duc Jean qu’il voulait terminer une guerre qui se faisait contre les princes de son sang, au préjudice du royaume, du roi son père, et de lui-même. Des négociations furent aussitôt entamées sous les auspices du comte de Savoie et de sire Philibert de Gaillac, grand maître de Rhodes. Les ducs de Berri et de Bourgogne eurent une entrevue pour convenir des articles du traité. Les deux princes se tendirent la main, s’embrassèrent ; mais il n’y eut rien d’arrêté entre eux pour les conditions de la paix. Après quelques jours de débat où les négociateurs des deux partis aplanirent toutes les difficultés, on convint que les princes exécuteraient les articles du traité de Chartres et les jureraient de nouveau ; que le duc de Berri et ses adhérents renonceraient, ainsi que le duc de Bourgogne, à toute alliance avec l’Angleterre ; que ce dernier et les autres princes qui étaient auprès du roi s’emploieraient de bonne foi à faire restituer les terres confisquées ; que les ligues et confédérations seraient dissoutes ; enfin que de part et d’autre on ne conserverait aucune haine ni ressent ment (14 juillet 1412). Le lendemain, le duc de Berri, accompagné de 500 chevaliers, apporta les clefs de Bourges au roi et au dauphin, qui les reçurent avec des témoignages de la plus vive affection. La paix ayant été solennellement publiée, défense fut faite de se servir des dénominations devenues injurieuses d’Armagnacs et de Bourguignons. Il fut décidé que cette paix serait jurée à Auxerre, le 22 août, par le duc d’Orléans et par ceux des princes des deux partis qui n’avaient point assisté au siège.

Au jour fixé pour la cérémonie, tous les princes du sang, les officiers de la couronne, les gens du conseil, les députés de l’Université et des cours souveraines, le prévôt de Paris, le prévôt des marchands et des échevins, enfin les députés des grandes villes se rendirent à Auxerre. La reine ne voulut pas y paraître ; elle craignait toujours de se mettre à la discrétion du duc de Bourgogne, qui se trouverait le maître de l’assemblée. Les princes jurèrent l’observation de la paix sur les Évangiles, sur un morceau de la vraie croix et sur d’autres saintes reliques ; les députés du clergé, de la noblesse, de l’Université de Paris, garantirent le traité par un serment qu’ils prononcèrent de grand cœur. L’assemblée se répandit en acclamations et en cris de joie. On croyait voir la fin de toutes les calamités qui désolaient le royaume ; on se livrait à des imprécations contre ceux qui oseraient violer la paix. Après le Te Deum qui fut chanté dans la cathédrale, les princes assistèrent à un magnifique souper, et passèrent plusieurs jours à Auxerre au milieu des fêtes et des plaisirs. On vit les ducs d’Orléans et de Bourgogne se promener tous deux sur le même cheval en signe de réconciliation sincère. Le comte d’Armagnac sembla protester par son absence contre tout ce qui avait été fait[17].

Le roi, qui était retombé malade quatre jours avant l’assemblée d’Auxerre, fut ramené dans son château de Melun, où la reine était avec sa cour. Les princes y passèrent quelques jours et s’y donnèrent des témoignages réciproques d’affection et de bonne volonté. Une étroite amitié se forma alors entre le duc de Guyenne et son cousin germain le duc d’Orléans. Le dauphin mit deux gentilshommes de sa maison, Jacques de la Rivière et le petit Menil, au nombre des officiers de sa cour. Quelque temps après, il rétablit dans l’office de chambellan, en lui rendant tous ses biens confisqués, le jeune Montagu, fils de ce ministre que le duc de Bourgogne avait immolé à sa haine. Le prévôt de Paris reçut l’ordre d’aller solennellement enlever le corps qui était au gibet de Montfaucon et la tête exposée encore sur une pique, dans le quartier des Halles, pour leur rendre les honneurs funèbres. Les restes de Montagu furent déposés dans l’église des Célestins de Marcoussis, qu’il avait fondée en 1404, et sa mémoire réhabilitée.

Le duc d’Orléans fut bientôt obligé de quitter la cour ; les Anglais destinés à servir la cause des princes venaient de débarquer en Normandie sous le duc de Clarence, second fds d’Henri IV. Après avoir traversé le Cotentin et le Maine, où ils avaient exercé mille ravages, ils s’avançaient vers la Loire pour entrer dans le duché d’Orléans. L’ordre fut donné à toutes les troupes de s’assembler à Melun pour la défense du royaume. Mais le duc d’Orléans se rendit auprès de Clarence, qui, à la nouvelle de la paix de Bourges, consentit à retourner pacifiquement en Guyenne, à condition qu’on lui paierait la somme de 220.000 écus. Le prince lui donna le peu d’argent qu’il put obtenir avec ses confédérés, en mettant en gage les ornements et les reliquaires des églises de leurs seigneuries. Pour le reste du paiement, il fut réduit à livrer en otage son frère, le comte d'Angoulême et quatre généreux chevaliers, Jean de Saveuse, Archambaud de Villiers, Guillaume Boutelier et Jean David. Les Anglais se mirent alors en route pour gagner la Guyenne, publiant partout qu’ils étaient venus cette fois en France comme auxiliaires, mais qu’ils y reviendraient bientôt comme ennemis. A peine arrivé à Bordeaux, le duc de Clarence fit passer ses otages en Angleterre et recommença les hostilités. Henri IV, se croyant enfin suffisamment affermi sur le trône, avait l’intention de reprendre la politique offensive d’Édouard III, qui rendait la mémoire de ce roi toujours chère aux Anglais, et projetait de soutenir énergiquement au printemps suivant les efforts de Clarence pour reconquérir tout le duché d’Aquitaine. La guerre contre la France pouvait offrir d’heureuses chances aux Anglais ; car Bernard d’Armagnac, dont l’ambition avait été trompée, portait déjà la croix rouge sur sa cotte d’armes, et le sire d'Albret, indigné de ce qu’on ne lui rendait pas l’épée de connétable, pouvait se livrer à eux.

Le dauphin rentra le 29 septembre à Paris, accompagné du duc de Bourgogne et du comte de Vertus. Le roi et la reine y revinrent aussi quelques jours après, et furent reçus avec des acclamations unanimes. Le duc de Berri, ayant appris le rétablissement du roi, partit aussi pour Paris, sans autre suite que sa maison. Les princes allèrent au-devant de lui. Il descendit à son bel hôtel de Nesle, que la populace avait saccagé. Le lendemain, il alla saluer le roi, qui le reçut avec la même tendresse qu’à l’entrevue de Bourges, et le pria de ne plus le quitter. Le duc retomba dans sa première indolence ; il ne prit pas autant à cœur que les autres princes le refus que faisait le conseil de restituer à leurs partisans leurs biens confisqués et de les rétablir dans leurs offices. Malgré leurs instantes réclamations, les Armagnacs n’obtinrent que la restitution de leurs biens immobiliers ; encore le duc d’Orléans ne put-il rentrer en possession de Couci et de Pierrefonds. On n’entendait que récriminations dans le conseil, on ne voyait qu’intrigues à la cour. Cependant les bourgeois de Paris avaient confiance dans une paix confirmée par des serments solennels ; mais les bouchers et leur milice la regardaient comme une trahison. En effet, les haines de parti fermentaient toujours au fond des cœurs, et les éléments de la discorde ne paraissaient pas être étouffés ; le pouvoir était toujours entre les mains du duc de Bourgogne, qui l’exerçait avec toute la hauteur de son caractère. Fatigué de son impérieuse tutelle, le dauphin, qui prenait d’autres conseils que ceux de son beau-père, entreprenait de former un parti d’opposition à l’homme qui semblait le vrai roi de la France. Au milieu de toutes ces intrigues et de ce désordre, on se trouvait menacé d’une invasion étrangère, et le trésor était entièrement vide. Il fallait cependant de l’argent pour résister à l’ennemi et pour réparer tous les malheurs du royaume. Le conseil du roi convoqua donc les états généraux pour le 30 janvier 1413.

 

 

 



[1] Monstrelet. — Religieux de Saint-Denis.

[2] Religieux de Saint-Denis.

[3] Monstrelet.

[4] Religieux de Saint-Denis. — Monstrelet.

[5] Religieux de Saint-Denis. — Juvénal des Ursins.

[6] Religieux de Saint-Denis.

[7] Religieux de Saint-Denis. — Juvénal des Ursins. — Monstrelet.

[8] Juvénal des Ursins.

[9] Juvénal des Ursins, in-f°, p. 283.

[10] Monstrelet, Chroniques, t. Ier, ch. LXXVII.

[11] Henri Martin, Histoire de France.

[12] Monstrelet.

[13] Religieux de Saint-Denis. — Monstrelet.

[14] Religieux de Saint-Denis. — Juvénal des Ursins. — Monstrelet.

[15] Lingard, Histoire d’Angleterre, t. IV.

[16] Religieux de Saint-Denis. — Juvénal des Ursins. — Monstrelet.

[17] Religieux de Saint-Denis.