Ministère des
Marmousets. — Sages mesures. — Prodigalités du roi. — Fêtes de Saint-Denis. —
Mariage du duc de Berri. — Le frère du roi épouse Valentine de Milan. —
Entrée solennelle d’Isabeau de Bavière à Paris. — Voyage du roi dans le Midi.
— Supplice de Bétizac. — Croisade du duc de Bourbon contre les Sarrasins
d’Afrique. — Charles VI en Touraine. — Boucicaut maréchal de France. — Traité
de Tours entre Jean de Montfort et Olivier de Clisson. — Prolongation de la
trêve avec l’Angleterre. — Maladie du roi. — Assassinat du connétable de
Clisson. — Condamnation de Pierre de Craon. — Le roi donne à son frère le
duché d’Orléans.
La
France accepta avec une joie universelle la révolution subite qui venait de
renverser l’administration rapace des ducs de Berri et de Bourgogne, et de
porter au pouvoir les hommes politiques les plus capables du règne précédent
; ces petites gens, ces Marmousets, car on appelait ainsi les nouveaux
ministres, allégeraient sans doute les maux du royaume. Alors le peuple se
rattacha au jeune monarque de toute la haine qu’il portait à ses oncles, et
se plut à nourrir de flatteuses espérances. Le prestige était encore augmenté
par la mâle beauté du jeune roi, par ses manières courtoises et sans orgueil,
par sa douceur et son affabilité, qu’on ne pouvait voir sans être porté à
l’aimer. Le peuple eut bientôt lieu d’applaudir au choix des conseillers.
Leur premier soin fut de conclure avec l’Angleterre une trêve de trois ans,
dans laquelle se trouvèrent compris les alliés des deux couronnes. Les impôts
furent diminués autant que pouvait le permettre un gouvernement qui chaque
jour devenait plus coûteux ; on supprima beaucoup dépensions et d’offices
inutiles, que les oncles du roi avaient accordés à leurs créatures. Pour
achever de gagner l’amour des Parisiens, on leur rendit une partie de leurs
privilèges, ainsi que leur prévôt des marchands, dont on fit un officier du
roi. Jean Jouvenel, autrement dit Juvénal des Ursins, père de l’historien de
ce nom, homme recommandable par sa sagesse et sa fermeté, également agréable
au roi et au peuple, fut revêtu de cette importante prévôté. L’administration
de la justice, fondement du bonheur des peuples, attira particulièrement
l’attention des ministres ; ils publièrent un règlement pour le parlement,
nommèrent de nouveaux baillis, de nouveaux prévôts, et réformèrent la
juridiction des aides pour faciliter la levée des impôts et abréger les
procès qui en naissaient. Le gouvernement était plus sage ; mais si le roi
était aimé, à cause de sa douceur et de son affabilité, il était d’une
ignorance extrême et d’une prodigalité insensée, qui firent bientôt évanouir
les belles espérances qu’avait conçues le peuple. A ce monarque de vingt ans,
qui avait passé les premières années de son règne dans les joies et les
hasards de la guerre, il fallait des tournois pour remplacer les combats
réels, des fêtes continuelles, de pompeuses cérémonies, de joyeux festins, en
un mot tous les brillants hochets de la royauté. Dans sa fougue indomptable
pour les plaisirs, il propageait autour de lui une licence de mœurs inconnue
à la cour plus sévère de ses prédécesseurs, et ses incroyables profusions, que
s’efforça vainement d’arrêter la chambre des Comptes, devenaient une calamité
publique. Lorsque
Louis II, duc d’Anjou, et Charles son frère, comte du Maine, se disposaient à
passer en Italie pour revendiquer la couronne de Naples, le roi voulut
conférer lui-même la chevalerie à ses jeunes cousins, et solenniser cette
cérémonie à Saint-Denis. Le jour en fut fixé au 2 mai, et non-seulement toute
la noblesse de France, mais encore celle d’Angleterre et d’Allemagne y furent
invitées. Le roi brûlait d’envie de faire briller sa magnificence et son
adresse au milieu de ce vaste concours d’étrangers et de ces pompes
éblouissantes ; car nul ne déployait plus de grâce et de dignité que lui dans
les exercices chevaleresques. Il se rendit à Saint-Denis, la veille delà
cérémonie (1er mai 1389),
suivi du roi d’Arménie, du duc de Bourgogne, qui était revenu en France pour
orner de son faste les fêtes données par son neveu ; des ducs de Touraine, de
Bourbon, de l’infant de Navarre, de tous les seigneurs de la cour et de toute
la jeune noblesse. De nobles dames, venues de toute la chrétienté, formèrent
le brillant cortège d'Isabeau de Bavière et de la reine de Sicile, mère des
deux futurs chevaliers. Un souper magnifique fut servi dans la salle royale,
après lequel les deux jeunes princes d’Anjou furent conduits en habits
d’écuyers devant les saintes reliques des martyrs, dans l’église de
Saint-Denis. Suivant les lois de la chevalerie, ils devaient y passer la nuit
en prières ; mais ils furent dispensés de cette cérémonie fatigante pour des
enfants de dix et onze ans. Le
lendemain, sur les neuf heures, le roi entra dans l’église, revêtu de son
manteau royal ; toute la cour marchait après lui. Il était précédé par deux
écuyers, tenant chacun, par la pointe, une épée nue ; deux paires d’éperons
dorés étaient suspendues à la garde ; venaient ensuite les deux candidats en
habits de chevaliers, c’est-à-dire avec la robe et le manteau de soie rouge,
fourrés de vair. Leur extrême jeunesse attirait sur eux tous les regards ;
ils marchaient entre leurs parrains. Ceux du roi de Sicile, étaient les ducs
de Bourgogne et de Touraine ; les parrains du comte du Maine étaient le duc
de Bourbon et l’infant de Navarre. Après la messe, qui fut célébrée par
l’évêque d’Auxerre, les deux jeunes princes allèrent, les mains jointes, se
mettre à genoux aux pieds du roi, qui leur fit prêter serment, leur ceignit
l’épée, et leur lit chausser les éperons d’or par le sire de Chauvigny. Il
leur donna ensuite l’accolade, en les faisant chevaliers au nom de Dieu, de
saint Michel et de saint Georges. Cette cérémonie terminée, l’évêque leur
donna la bénédiction ; aussitôt sonnèrent les trompettes et les instruments
de guerre, et des hérauts firent retentir l’air des cris mille fois répétés
de Noël ! Noël ! Vivent Louis II, roi de Sicile et de Jérusalem, et
Charles, comte du Maine ! Ces
princes furent ensuite conduits à la salle du banquet royal, construite en
forme d’église, dans la grande cour de l’abbaye. Le reste du jour se passa en
danses et en jeux, au milieu d’un nombre prodigieux de spectateurs, qui
étaient accourus de toutes les provinces de la France et des royaumes
étrangers. Le jour
suivant, eut lieu un tournoi solennel, moins pour illustrer la chevalerie des
deux princes, que pour faire paraître l’adresse et la magnificence du roi, et
des plus nobles chevaliers, l’élite de toutes les cours de l'Europe. Toute la
campagne était couverte aux environs de tentes et de pavillons superbes.
Autour de la lice, qu’on avait préparée dans un champ voisin de l’abbaye,
s’élevaient des échafauds construits en forme de galeries ou de tours,
partagés en loges et en gradins, décorés de riches tapisseries, de légers
pavillons, de bannières aux couleurs variées, de banderoles et d’écussons.
Ils étaient destinés aux deux reines, aux princes et aux princesses, aux
dames de la cour, et aux anciens chevaliers qui devaient juger des coups, et
qui ne voyaient pas sans plaisir leur antique valeur renaître dans cet essaim
de jeunes guerriers, qui se disposaient à disputer le prix de l’adresse et du
courage. Une foule de ménétriers, avec toutes sortes d’instruments d’une
musique guerrière, étaient prêts à célébrer les hauts faits des vainqueurs. Le
bruit des fanfares annonça l’arrivée du roi, qui parut avec son cortège,
formé des princes du sang et des principaux chevaliers du royaume. Dans ce
premier jour du tournoi, Charles VI fut tenant ; il portait pour emblème un
soleil d’or, Vingt-deux chevaliers, qui devaient jouter, s’avancèrent
ensuite, revêtus d’armures vert et or, suivis de leurs écuyers, tous à
cheval. Ils étaient conduits à l’entrée de la lice par vingt-deux des plus
belles dames de la cour, vêtues en amazones, avec des robes de drap vert,
brodées d’or et de perles, et montées sur d’élégants palefrois. À leur tête
brillait la comtesse de Saint-Pol, sœur du roi d’Angleterre. Chacune d’elles
guidait le coursier de chaque chevalier par un ruban d’or ; et lorsqu’on
était dans la lice, elle descendait, exhortait le chevalier à se comporter vaillamment,
puis elle montait sur les échafauds. Les chevaliers fournirent leurs courses
avec une adresse et une grâce merveilleuses. La comtesse de Saint-Pol
distribua le premier prix à un Français, et le second à un étranger, dont
l’historien n’a pas conservé le nom. Le
second jour, les écuyers furent amenés à la lice par des damoiselles, parées
comme les dames de la veille ; et ils joutèrent à leur tour. Leur tenant fut
le fils ainé de Philippe-le-Hardi, Jean de Nevers, qui portait pour emblème
un soleil d’argent. Le
troisième jour, les chevaliers et les écuyers recommencèrent indistinctement
leurs courses ; les festins, les jeux et les bals continuèrent, et une
indigne mascarade, que n’empêchèrent point la présence du roi et la sainteté
du lieu, termina ces jours de fêtes[1]. Toujours
avide d’émotions nouvelles, Charles conçut l’étrange désir de mêler aux
plaisirs la pensée de la mort. Aux exercices chevaleresques, aux fêtes
éblouissantes, il fit succéder une cérémonie d’un caractère plus sévère, mais
non moins fastueuse. Plein d’estime et de vénération pour la mémoire de
Bertrand du Guesclin, dont les exploits avaient charmé son enfance, il voulut
faire rendre les honneurs funèbres à ce grand capitaine, mort depuis neuf
ans, et dont les restes avaient été déposés dans le tombeau des rois. Les
voûtes de l’église de Saint-Denis, changée en chapelle ardente, se revêtirent
alors de leur parure de deuil ; la forme élégante des piliers disparut sous
les noires tentures, et au milieu du chœur s’éleva un riche catafalque.
L’ancien compagnon d’armes du héros, le sire de Clisson, menait le deuil,
vêtu de noir, suivi des maréchaux de Sancerre et de Blainville, du comte de
Longueville, frère de du Guesclin, et de tous ses autres parents. Ferri
Cassinel, évêque d’Auxerre, célébra l’office. A l’offrande, le roi et
l’évêque se rendirent à la porte du chœur. Là, quatre chevaliers, armés de
toutes pièces, s’avancèrent à cheval, et offrirent quatre superbes chevaux,
richement caparaçonnés aux armes de du Guesclin. L’évêque leur mit la main
sur la tête, en signe d’acceptation pour l’église de Saint-Denis. Le
connétable parut ensuite au milieu de huit seigneurs, portant les écus
renversés en signe de deuil. Le duc de Touraine, frère du roi, vint à son
tour, accompagné du comte de Nevers, du prince de Navarre et du prince Henri
de Bar ; ils portaient par la pointe les épées nues du connétable. Enfin,
quatre autres seigneurs, armés de pied en cap, tout vêtus de noir, ainsi que
les quatre écuyers qui les conduisaient, présentèrent : les premiers, des
casques du plus grand prix ; les seconds, des bannières aux armoiries de
messire Bertrand. Toutes ces offrandes furent déposées devant l’autel.
L’évêque prononça ensuite l’oraison funèbre du héros, dont cette triste et
imposante cérémonie rappelait le souvenir. Il prit pour son texte ces paroles
de l’Écriture sainte : « Nominatus est usque ad extrema terrœ ; sa
renommée a volé d’un bout du monde à l’autre, » et prouva par le récit des
grands travaux de guerre de sire Bertrand, de ses merveilleux faits d’armes,
de ses trophées et de ses triomphes, qu’il avait été la véritable fleur de la
chevalerie, et que ceux-là seuls qui s’illustraient également par leur valeur
et leur probité, à l’exemple du connétable, étaient dignes du nom de preux.
Après avoir fait ce jour-là d’abondantes aumônes aux pauvres, le roi revint à
Paris. Le duc
de Berri n’assista point à toutes ces fêtes, il était resté dans ses
apanages, où d’autres soins l’occupaient, et le mois suivant il se rendait en
Auvergne pour épouser Jeanne, fille unique de Jean II, comte d’Auvergne et de
Boulogne, et d'Éléonore de Comminges. Elle n’avait encore que douze ans ;
mais elle était déjà d’une beauté remarquable, d’un esprit vif et plein
d’agréments. Les nouvelles noces du duc se firent avec une extrême
magnificence et un grand concours de nobles chevaliers. Vers le
même temps, le mariage du duc de Touraine avec la charmante Valentine, fille
de Galéas Visconti, premier duc de Milan, et d’Isabelle de France, fut
célébré à Melun avec autant d’appareil et de magnificence que celui du duc de
Berri. Cette princesse apportait en dot à son époux le comté d'Asti avec son
territoire, et 450.000 florins d’or. Le roi alla au-devant de sa belle-sœur
jusqu’à Melun, et la cour parut embellie de Valentine, qui était âgée de
quinze ans seulement, et qui était aussi belle que spirituelle. Comme
les fêtes appellent les fêtes, le roi voulut que la reine sa femme, qui
depuis quatre ans était souvent venue à Paris, fît son entrée solennelle dans
cette ville, et qu’elle y fût couronnée. C’était une belle occasion d’étaler
des pompes majestueuses qui devaient l’emporter sur les fêtes de Saint-Denis.
Il y invita encore tous les princes des États voisins et toute sa noblesse,
et, à cette occasion, il fut accordé aux bannis de rentrer à Paris pour
quatre mois. Les habitants de cette ville, qui commençaient à oublier le
gouvernement tyrannique des oncles du roi, et qui vivaient d’espérances,
firent de grands préparatifs pour recevoir dignement Isabeau de Bavière. Le
roi pria la reine Blanche de Navarre, veuve du roi Philippe VI, de régler la
cérémonie et d’en faire les honneurs. La reine se rendit de Melun à
Saint-Denis, le 20 août. C’est là que les ducs deBerri, de Bourgogne, de
Touraine et de Bourbon, allèrent la joindre à la tête de la plus brillante
noblesse. Le 22,
la reine partit de Saint-Denis en litière découverte, où un archet en forme
de parasol la mettait à l’abri des rayons du soleil. Elle portait une robe de
soie bleu-céleste, parsemée de fleurs de lis d’or. La litière de la reine
Blanche suivait, mais couverte. Après elle, venaient la duchesse de
Bourgogne, la jeune duchesse de Berri, arrivée depuis à la cour, dont elle
était aussi l'un des plus beaux ornements ; la duchesse de Bar, fille du roi
Jean, et la nouvelle duchesse de Touraine, montée sur un superbe palefroi.
Des autres princesses ou dames de la cour, les unes étaient dans des litières
peintes et dorées, les autres sur des palefrois merveilleusement harnachés.
Devant la litière de la reine marchaient à cheval le duc de Touraine et le
duc de Bourbon ; aux deux côtés, le duc de Bourgogne et le duc de Berri ;
derrière, le comte d’Ostrevant et le prince Henri de Navarre. Des chevaliers
escortaient aussi les autres dames. À la chapelle de Saint-Quentin, ce
brillant cortège fut grossi par une foule de seigneurs qui se présentèrent
pour complimenter la reine. Plus loin, à Saint-Lazare, la route était bordée
de douze cents bourgeois de Paris, à cheval, conduits par le prévôt des
marchands, vêtus de robes vertes, et d’une troupe nombreuse d’officiers de la
maison du roi, habillés de soie vermeille. Lorsqu’on approcha de Paris, la
reine mit sur sa tête une couronne enrichie d’or et de pierreries. Elle fut
imitée par la reine Blanche et les autres princesses. Le cortège arriva enfin
à la porte Saint-Denis, au son de mille instruments. Là, on avait arrangé un
ciel tout semé d’étoiles, et dans ce ciel, de petits enfants représentant les
anges. Ils chantaient mélodieusement, et au milieu d’eux était la sainte
Vierge Marie tenant dans ses bras le petit enfant Jésus, qui s’amusait avec
un moulinet fait d'une grosse noix. Dans ce ciel richement orné brillait un
soleil d’or aux armes de France et de Bavière ; ce soleil était l’emblème que
portait le roi dans les tournois. La reine et les dames, continuant lentement
leur marche, passèrent devant une fontaine établie dans lame Saint-Denis.
Elle était couverte et ornée d’un drap de fin azur, parsemé de fleurs de lis
d’or ; aux colonnes qui l’environnaient, étaient suspendues les armoiries des
plus nobles barons de France. De cette fontaine coulaient des ruisseaux
d’hypocras et de vins délicieux ; alentour était rangée une troupe de jeunes
filles d’une beauté remarquable, parées d’étoffes brillantes avec de beaux
chapeaux de drap d’or. La douce harmonie de leurs chants flattait
agréablement les oreilles ; elles puisaient dans des coupes d’or la douce
liqueur coulant de la fontaine, et offraient à boire aux passants. La reine
s’arrêta, et laissa tomber sur elles des regards satisfaits. Un
immense échafaud était dressé devant le couvent de la Trinité, avec une
forteresse ; le long de cet échafaud était représenté le pays de Saladin ;
d’un côté on voyait le sultan à la tête de ses Sarrasins ; de l’autre, le roi
d’Angleterre, Richard Cœur-de-Lion, avec ses braves chevaliers et tous les
seigneurs qui s’étaient le plus signalés dans les croisades, portant leurs
écussons tels qu’ils les avaient eus à la guerre sainte. Là figurait aussi le
roi de France, Philippe-Auguste ; il était assis sur un trône et entouré des
douze pairs de son royaume avec leurs armoiries. Lorsque le cortège fut
arrivé devant l’échafaud, le roi Richard s’approcha du roi de France et lui
demanda la permission d’aller combattre les Sarrasins. Après l’avoir obtenue,
il retourna vers ses compagnons qu’il conduisit à l’ennemi. Alors s’engagea
une grande bataille dans laquelle Richard, de chaque coup de sa terrible
épée, donnait la mort. Encouragés par son exemple et ses vaillants exploits, ses
soldats triomphèrent des efforts des infidèles. Cette bataille dura
longtemps, à la satisfaction de tous les spectateurs. Un agréable spectacle
arrêta encore la reine à la seconde porte Saint-Denis. Il y avait, comme à la
première, un ciel richement étoilé. On y avait représenté en son paradis Dieu
le Père, dans toute sa majesté, avec le Fils et le Saint-Esprit. Dans les
nuages, des enfants de chœur, vêtus en anges, faisaient retentir les airs de
leurs doux accents. Lorsque la reine passa sous la porte du paradis, deux
anges en descendirent par une corde, et lui posèrent sur la tête une couronne
d’or garnie de pierres précieuses, en chantant : Dame
enclose entre fleurs de lys, Reine
êtes-vous du paradis De
France, et de tout le pays ? Nous
retournons en paradis. Devant
la chapelle Saint-Jacques était aussi dressé un échafaud orné de tapisseries
de haute lisse. On y avait construit une espèce de chambre, où d’habiles
musiciens faisaient entendre les sons harmonieux de l’orgue. Toute la rue
Saint-Denis était couverte et tapissée de draps de camelots, de soieries et
d’étoffes brillantes. On aurait pu se croire transporté à Alexandrie ou à
Damas, ajoute l’historien auquel nous avons emprunté ce récit, et qui fut
lui-même un des témoins oculaires de cette fête éblouissante. Il était étonné
de voir de si riches étoffes et en aussi grande quantité ; car toutes les
maisons, des deux côtés de la grande rue Saint-Denis jusqu’au Châtelet, et
même jusqu’au grand pont de Paris, étaient bordées des plus belles tentures,
représentant les personnages des diverses histoires. Près du
grand Châtelet s’élevait un château de bois, flanqué de tours solides, dont
chaque créneau était confié à la garde d’un homme armé de toutes pièces. Sur
la terrasse était le lit de justice du roi, merveilleusement orné, où
siégeait madame Sainte-Anne. Dans ce vaste château, on avait fait un parc
planté d’un bois touffu, où se jouaient des lièvres, des lapins, et une
multitude d’oiseaux. Au moment où le cortège vint à passer, on vit sortir
d’un côté du bois un grand cerf blanc, aux cornes dorées, et qui portait une
couronne d’or à laquelle étaient suspendues les armes de France. Le
merveilleux animal remuait la tête et tournait les yeux. De l’autre côté
s’élancèrent aussitôt un aigle et un lion qui s’approchèrent du cerf pour
l’attaquer. Alors parurent douze jeunes filles ornées de pompeux habits, de
colliers d’or, et l’épée à la main, pour protéger le cerf et le lit de
justice. Ce fut pour voir ce cerf, qui lui rappelait sa devise, que le roi,
qui ne pouvait faire partie du cortège de sa femme, obtint à force de prières
du jeune Savoisy, l’un de ses favoris, de monter en croupe derrière lui.
Comme Savoisy, tout fier d’un si noble compagnon, s’avançait audacieusement
pour lui faire voir de plus près cette machine, les sergents chargés de
maintenir l’ordre frappèrent de leurs verges de bouleau Savoisy, qui s’était
déguisé, ainsi que le roi, pour n’être pas reconnus. Quelques coups
portèrent, dit-on, sur le dos du monarque, qui fut assez sage pour garder le
silence. Il fut raillé le soir chez la reine de cette mésaventure ; mais il
prit le judicieux parti d’en plaisanter lui-même. Avouons cependant que
c’était avilir un peu la dignité du souverain, et se soustraire follement à
la majesté dont il doit s’entourer pour se concilier le respect de son
peuple. On
entra enfin sur le grand pont Notre-Dame, qui surpassait en magnificence tout
ce qu’on avait vu. Il était surmonté d’un ciel étoilé, et le pavé était
couvert de drap bleu fleurdelisé d’or. Une corde d’une longueur prodigieuse
avait été tendue de l’une des tours de la cathédrale jusqu’à la plus haute
maison du Pont-au-Change. Quand la reine passa sur le pont, un Génois, homme
qui depuis quelque temps se faisait admirer de tout Paris pour son adresse,
descendit tout à coup des tours de Notre-Dame en voltigeant sur la corde
tendue. Au grand étonnement de tout le monde, il passa par une fente de la
tenture qui couvrait le pont, plaça une belle couronne sur la tète de la
reine, et disparut par la fente, comme s’il eût regagné le ciel. Le
cortège, qui depuis Saint-Denis avait marché lentement, n’arriva à Notre-Dame
que sur les huit heures du soir. L’évêque de Paris, entouré d’un clergé
nombreux, attendait la reine à la porte de l’église ; les ducs de Bourgogne,
de Berri, de Touraine et de Bourbon l’aidèrent à descendre de litière. Toutes
les autres dames en firent autant. Elles entrèrent dans l’église précédées de
l’évêque et du clergé, qui chantaient des hymnes à la louange de Dieu et de
la Vierge Marie. La reine fut conduite dans le chœur, au pied du grand autel.
Là, elle fit sa prière, et déposa sur l’autel quatre draps d’or et la
couronne que les anges lui avaient mise sur la tête à son entrée dans Paris,
dont elle fit offrande à la trésorerie de Notre-Dame. La reine et les dames
montèrent ensuite dans leurs litières, et se rendirent, à la lueur de plus de
cinq cents flambeaux, au palais, où les attendaient la reine Jeanne, veuve de
Charles-le-Bel, et sa fille Blanche, duchesse d’Orléans. Le
lendemain, la reine fut conduite en grande pompe à la Sainte-Chapelle, où
elle fut couronnée par l'archevêque de Rouen, assisté des évêques de Langres,
de Noyo,,et de l'abbé de Saint-Denis. Après la messe, qui fut célébrée avec
la plus grande solennité, le roi et la reine vinrent s’asseoir au banquet
dressé en la grand'salle du palais, sur la table de marbre, avec une
magnificence vraiment royale. Le roi était revêtu de ses habits royaux, avec
son manteau d’écarlate fourré d’hermine, et la couronne en tête. La reine
était aussi en grand appareil. Ils admirent à leur table les trois prélats,
le roi d’Arménie, de la maison de Lusignan, les duchesses de Berri, de
Bourgogne, de Touraine, la comtesse de Nevers, madame de Couci, madame de la
Trémoille, mademoiselle Bonne de Bar, et mademoiselle Marie d’Harcourt,
cousine germaine du roi. Cinq cents dames mangèrent aux autres tables. La
foule des spectateurs était si grande, que la chaleur fit évanouir la reine
et madame de Couci. Après
les fêtes, l’allégresse de la cour fut entretenue par les riches présents des
Parisiens au roi, à la reine et à la duchesse de Touraine. Par ces présents,
qui pouvaient s’élever à la somme de 60.000 couronnes, les habitants de Paris
espéraient obtenir une large diminution d’impôts ; mais leurs illusions ne
furent pas de longue durée. Quelques jours après, le roi partit pour Melun
avec la reine, et fit publier aussitôt deux édits : l’un qui augmentait la
gabelle ; l’autre qui prohibait, sous peine de la hart, les pièces de douze
et de quatre deniers, et qui en ordonnait une refonte pour faciliter
l’émission de nouvelles pièces d’argent. C’était principalement la monnaie du
petit peuple ; ce fut donc lui qui eut le plus à en souffrir[2]. Le roi
n’était cependant pas insensible aux souffrances de son peuple. En ce moment
même, par le conseil de ses ministres, il se disposait à visiter le
Languedoc, pour faire droit aux plaintes des habitants contre les exactions
et la tyrannie du duc de Berri. On disait que plus de 40.000 Aquitains ou
Languedociens, pour échapper à son odieuse rapacité, s’étaient enfuis en
Aragon ou dans le royaume de Provence. Il voulait d’ailleurs, en passant à
Avignon, s’entendre avec le pape Clément VII sur les moyens de mettre fin au
schisme qui désolait l’Église. Il laissa la reine au château de Beauté, se
rendit à Saint-Denis pour y faire ses dévotions, et partit de Paris vers la
Saint-Michel, suivi de la reine de Sicile, du jeune roi son fils, du prince
de Tarente, des ducs de Touraine et de Bourbon, du seigneur de Couci et de
ses ministres : on pourvut aux frais de ce voyage solennel par un emprunt sur
le clergé. Partout il fut reçu avec des acclamations et des témoignages d’une
joie vive et sincère. Le roi passa par Montargis, la Charité et Nevers, fit
quelque séjour à Clermont, et, rentrant en Bourgogne, alla visiter Dijon, où
son oncle Philippe et Jean de Nevers avaient fait de grands préparatifs pour
le recevoir. Le duc et la duchesse firent de magnifiques présents au roi et à
sa suite. Charles passa huit jours à Dijon, au milieu des festins, des bals,
des courses et des tournois. A Lyon, il fit son entrée sous un dais de drap
d’or, porté par quatre jeunes demoiselles, qui le conduisirent au palais de
l’archevêque. Dans certains endroits de la ville, des enfants, vêtus de robes
magnifiques, étaient rassemblés jusqu’au nombre de mille, et chantaient des
vers en l’honneur de son arrivée. Pendant les quatre jours que le roi s’y
arrêta, le prévôt des marchands s’efforça de surpasser les fêtes de Dijon. A
quelques milles d’Avignon, il fut complimenté par deux cardinaux députés pour
aller au-devant de lui. Il n’était plus qu’à une lieue de cette ville,
lorsque tous les officiers de la cour du pape et toute la noblesse vinrent à
sa rencontre, et l’y conduisirent comme en triomphe (30 octobre
1389). Le pape
reçut avec solennité l’illustre voyageur. Le lendemain il couronna roi de
Sicile Louis II d’Anjou. Peu de jours après le nouveau roi passa par mer en
Aragon, où il épousa l’infante Yolande. Charles était encore dans Avignon
lorsqu’il apprit la mort du pape Urbain VI. Cette circonstance pouvait mettre
fin au schisme et rendre la paix à l'Église ; mais les cardinaux du parti
d’Urbain lui donnèrent presque aussitôt Boniface X pour successeur. Charles
partit grand ami du pape, et au moment d’entrer en Languedoc il congédia ses
deux oncles, les ducs de Bourgogne et de Berri, qui étaient venus le
rejoindre à Lyon, et qui l’avaient suivi dans Avignon. Le duc de Berri
retourna dans son apanage d’Auvergne, et le duc de Bourgogne dans ses États.
Leur présence auprès du prince pouvait gêner ses conseillers, ou intimider
les gens qui avaient à se plaindre du duc de Berri. Charles était bien décidé
à réparer, autant qu’il était en son pouvoir, les maux dont ces malheureuses
provinces avaient été accablées. A Montpellier il entendit déjà des plaintes
des Languedociens contre Bétizac, trésorier du duc, exécuteur de ses
tyrannies, et qui était devenu la terreur de la province. Ce misérable eut
l’audace de venir saluer le roi dans cette ville, croyant par cette démarche
montrer une profonde sécurité et prévenir la cour en sa faveur. A mesure que
Charles avançait dans le pays, il était frappé de la profonde désolation qui
y régnait. Partout des villages déserts, des maisons abandonnées s'offraient
à ses regards ; partout un concert de voix accusatrices s’élevait contre
Bétizac. Les malédictions et les cris de douleur du peuple montèrent vers le
roi plus grands et plus lamentables encore dans l’intérieur de la contrée.
L’arrestation de Bétizac, l’instrument de toutes les iniquités reprochées au
duc de Berri, fut enfin décidée et exécutée à Béziers, dans le lieu même de
sa naissance. De
Béziers le roi se rendit à Narbonne, puis à Carcassonne, et fit une entrée
triomphante à Toulouse, aux acclamations de la multitude ivre de joie. Le
sénéchal et tous les magistrats allèrent au-devant de lui, avec tous les
corps de métiers, distingués par leurs bannières. Toute la noblesse de la
province était venue grossir la cour du roi. Dans toutes les rues, ornées
comme aux plus beaux jours de fête, étaient dressées des tables chargées de
mets et devins délicieux. C’est là que Charles VI agit véritablement en roi,
en laissant à toute heure un libre accès auprès de lui à son peuple, en
écoutant toutes les plaintes avec discernement et avec bonté, et en
s’efforçant de remédier à tous les maux. Tous les officiers qui, dans la
justice ou dans les finances, avaient manqué à leurs devoirs ou les avaient
négligés, furent destitués et remplacés par des sujets d’une probité
reconnue. Le
bruit de l’emprisonnement de Bétizac s’étant répandu dans la province, de
tous côtés on demanda sa tête ; on l’accusait des plus odieux forfaits. Son
procès, qu’on avait suspendu par crainte du duc de Berri, fut donc repris.
Bétizac nia hardiment les exactions et les homicides qu’on lui imputait sans
preuves suffisantes ; et quand on lui reprocha les impôts exorbitants qu’il
avait fait lever dans la province sans aucun ordre du roi, il répondit qu’il
n’avait rien fait que par les ordres du duc de Berri. Ce prince, informé de
ce qui se passait, fut très-irrité, et envoya vers le roi deux chevaliers
chargés de lui remettre des lettres, dans lesquelles il déclarait qu’il
avouait toutes les actions de Bétizac. Élevé dans l’amour et le respect pour
son oncle, le roi hésitait devant une lutte directe avec le duc, et l’accusé,
malgré ses crimes, allait peut-être sauver sa tête, lorsque les ministres
eurent recours à un stratagème peu loyal, il est vrai, mais qui l’empêcha
d’échapper au châtiment qu’il méritait. Bétizac fut prévenu indirectement
qu’il ne pouvait éviter la vengeance du roi et de ses ministres, qu’il serait
condamné à mort ; et on lui suggéra, comme unique chance de salut, de
s’accuser d’hérésie pour se soustraire au bras séculier, et être ainsi renvoyé
devant le tribunal de l’évêque. Bétizac devait d’autant plus redouter le
jugement des magistrats civils, que le roi venait de découvrir à Toulouse de
nouveaux mystères d’iniquité, et qu’il avait rendu une éclatante justice à
Oudard d'Artainville, bailli de cette ville, que l’infâme ministre du duc de
Berri avait opprimé par son crédit, et qu’il avait fait jeter en prison après
une injuste procédure. Pensant donc que l’évêque de Béziers ne manquerait pas
de l’envoyer à Avignon, et qu’il serait délivré par le crédit dont son maître
jouissait auprès du pape, Bétizac suivit le conseil qu’on venait de lui
donner. Le lendemain, il pria le geôlier qui le gardait de faire venir
quelques personnes qu’il lui désigna ; c’étaient des officiers de l’évêque.
Le geôlier les fit prévenir, et ils arrivèrent sur-le-champ ; ils savaient
déjà ce que voulait Bétizac. Quand ils furent en sa présence, ils lui
demandèrent : « Que voulez-vous nous dire ? — Beaux seigneurs, répondit
Bétizac, j’ai examiné mes actions, je suis descendu dans ma conscience. Je
suis sûr d’avoir gravement offensé Dieu, car depuis longtemps j’ai péché
contre la foi ; je ne puis croire en la Trinité, que le Fils de Dieu ait
daigné s’abaisser au point de descendre des cieux et de se faire homme ; je
crois et je soutiens qu’à la mort il n’est rien de l’âme. — Ah ! sainte Marie
! s’écrièrent les inquisiteurs, quelle erreur contre l'Église ! Bétizac, vos
paroles demandent le feu. Songez-y. — Je ne sais, répliqua-t-il, si mes
paroles méritent le feu ou l’eau, mais telle a toujours été mon opinion, et
jusqu’à la fin je n’en changerai point. » Les commissaires de l’évêque n’en
voulurent pas entendre davantage pour le moment. Ils s’en retournèrent pleins
de joie, et recommandèrent au geôlier de ne laisser communiquer le prisonnier
avec quelque personne que ce fût, afin qu’il ne changeât pas d’opinion. Le
roi, ayant appris tout ce qui s’était passé, dit : « Nous voulons qu’il
meure, c’est un mauvais homme, c’est un hérétique et un larron. Nous voulons
qu’il soit pendu et brûlé. » La nouvelle s’en répandit dans la ville de
Béziers, et la joie du peuple fut grande. Les deux chevaliers envoyés par le
duc de Berri furent très-étonnés ; pensant que Bétizac avait été mal
conseillé, ils se rendirent à la prison, prièrent le geôlier de leur
permettre de s’entretenir avec lui. Le geôlier s’excusa : « Messeigneurs,
dit-il, il m’est enjoint et recommandé sur la tête, ainsi qu’à ces quatre
sergents envoyés ici parle roi, délaisser parler quelqu’un avec Bétizac. Nous
n’oserions enfreindre les ordres du roi. » Les chevaliers virent bien que
tous leurs efforts étaient inutiles, montèrent à cheval et s’en retournèrent
vers le duc de Berri, leur maître. Le
lendemain, vers les dix heures du matin, Bétizac fut tiré de sa prison et
conduit au palais de l’évêque. Là, étaient rassemblés tous les juges et tous
les officiers de la cour épiscopale. Le bailli de Béziers se présenta devant
eux, et leur dit : « Voici Bétizac que nous livrons à votre justice, comme
hérétique et comme mécréant. » L’official demanda alors à Bétizac si ce
que disait le bailli était vrai, et qu’il voulût bien le confesser en
présence de l’assemblée. Bétizac, qui croyait échapper à la mort par cet
aveu, répondit : « C’est vrai. » Trois fois la même question lui fut
adressée, et trois fois, devant le peuple, il se reconnut coupable. Alors il
fut condamné et livré par les juges ecclésiastiques entre les mains du bailli
de Béziers, qui l’envoya à Toulouse. Arrivé dans cette ville, il fut conduit
au supplice, sur la grande place. Lorsqu’il aperçut le bûcher, et qu’il se
trouva entre les mains du bourreau, il fut grandement surpris, reconnut son
imprudence, et comprit alors qu’il avait été trompé et trahi. Il demanda à
grands cris à être entendu ; mais on n’en tint pas compte. « Bétizac, lui
dit-on, il est ainsi ordonné, il vous faut mourir. Vos mauvaises œuvres vous
mèneront à mauvaise fin. » Déjà le bûcher était prêt. On avait dressé sur la
place un gibet avec un collier et une grande chaîne de fer. On lui mit le
collier autour du cou, on le tira en haut, et afin que son supplice fût plus
long, on lui passa plusieurs fois la chaîne autour du corps, ce qui devait le
tenir plus roide. Bétizac cependant poussait de grands cris et disait : « Duc
de Berri, on me fait mourir sans raison. » Dès qu’il fut attaché, on mit le
feu au bûcher : bientôt les flammes dévorantes s’élevèrent et enveloppèrent
ce grand coupable. C’est ainsi que périt Bétizac, aux acclamations d’un
peuple immense (22 décembre 1389)[3]. Après
cette satisfaction donnée aux plaintes du Languedoc, le roi passa encore
quelque temps à Toulouse, où il n’entendait que des bénédictions autour de
lui. Il y reçut l’hommage de Gaston Phœbus pour son comté de Foix ; son
affabilité et sa confiance lui gagnèrent tellement le cœur de Gaston, que cet
illustre seigneur devint le plus assidu et le plus respectueux des princes de
la cour. Le roi partit enfin de Toulouse dans le courant de janvier 1390, et
quelques jours après il nomma trois commissaires chargés de la réformation
générale des pays de Languedoc et du duché de Guyenne. Arrivés à Montpellier,
qu’ils visitaient pour la seconde fois, le roi et le duc de Touraine
paraissaient se plaire beaucoup dans cette ville, lorsque tous les deux
furent pris d’un grand désir de revoir Paris et d’éviter toutes les fêtes
qu’on leur préparait. Le roi gagea avec son frère qu’il serait de retour
avant lui à Paris. Le dernier arrivé devait payer 5.000 francs d’or ; deux
gentilshommes seulement devaient les suivre. Ils partirent donc à la même
heure, à franc étrier, chacun prenant le chemin qu’il croyait le plus court.
Ils marchèrent nuit et jour, et, pour se délasser, ils allaient tantôt par
eau, tantôt sur des chariots. Équipage indigne du roi d’un grand peuple, et qui
pouvait l’exposer aux plus graves dangers. « Mais il n’y avait plus de
repos pour lui que dans l'étourdissement. A vingt-deux ans il était fini, il
avait usé deux vies, une de guerre, une de plaisirs. La tête était morte, le
cœur vide, les sens commençaient à défaillir. Quel remède à cet état désolant
? l'agitation, le vertige d’une course furieuse[4]. » Le roi, accablé de
fatigue, fut obligé de s’arrêter à Troyes en Champagne, où il dormit pendant
huit heures environ. Ce sommeil lui coûta 5.000 francs d’or, qu’il paya de
bonne grâce à son frère, arrivé six heures avant lui. De
retour à Paris, le roi rassembla un grand conseil, dans lequel fut prononcée
la destitution du duc de Berri. Son gouvernement du Languedoc fut confié au
sire de Chevreuse, simple gentilhomme de l’Ile-de-France, que sa probité et
ses lumières rendaient digne de ce haut emploi. Le sire de Harpedanne, neveu
de Clisson, fut envoyé par le roi au duc pour lui signifier cette révocation.
Surpris et irrité, le duc vomit des imprécations et des menaces contre le
connétable et les ministres, auxquels il attribuait cet affront, et jura de
les en faire repentir. Ces menaces n’intimidèrent cependant pas les
conseillers du roi, que le duc de Touraine soutenait contre la malveillance
de ses oncles, qui supportaient avec peine de se voir écartés des affaires.
Le peuple n’en était cependant guère plus heureux, excepté dans le Languedoc.
Les efforts des Marmousets pour rétablir l’ordre dans l’administration et les
finances, étaient sans cesse contrariés par les dépenses insensées du roi et
du duc de Touraine, prince spirituel, mais plein de faste et d’orgueil, qui
exerçait le plus grand ascendant sur son frère. Dans
l’été de cette année, la noblesse française, sous les ordres du duc de
Bourbon, prince toujours animé par la gloire et par l’honneur, se laissa
entraîner à une croisade contre les Sarrasins d’Afrique, qui infestaient la
Méditerranée. A l’appel des Génois, qui essuyaient de grandes pertes
commerciales par leurs pirateries, Philippe d’Artois, comte d’Eu, prince du
sang ; Charles, sire d’Albret ; Jean, comte d’Harcourt ; Philippe, prince de
Bar ; l’amiral de Vienne, le Dauphin d’Auvergne, les sires de Couci, de la
Trémoille, de Sancerre, de Sully et d’Amboise, et un grand nombre d’autres
chevaliers de France et d’Angleterre, s’embarquèrent sur 300 vaisseaux avec
près de 1,500 lances, et nettoyèrent la mer des pirates. Ils débarquèrent non
loin des lieux où était autrefois descendu saint Louis. Ils mirent ensuite le
siège devant Tunis, qui était ceinte de bonnes murailles, défendue par de
fortes tours et protégée par une armée nombreuse et formidable, rassemblée à
Tunis et dans le Maroc. Après deux mois de travaux et plusieurs assauts
infructueux, les chevaliers levèrent le siège malgré leurs prodiges de
valeur, mais ils forcèrent les Maures à leur rendre les esclaves chrétiens et
à payer dix mille écus d’or aux Génois pour les frais de l’armement. Ils
revinrent en France, diminués de moitié par les maladies qui, sous ce climat
brûlant, avaient sévi avec fureur contre l’armée. C’est
vers ce temps que les affaires du duc de Bretagne commencèrent à occuper de
nouveau le conseil du roi. La querelle entre Montfort et le connétable
s’était renouvelée depuis deux ans. Le traité de Montereau ne les avait point
réconciliés, et avait été pour eux une source de nouvelles discussions. Comme
Montfort savait qu’il était soutenu par les deux oncles du roi, ennemis
acharnés de Clisson, il avait éludé l’exécution du traité. Alors le
connétable avait excité le comte de Penthièvre, son gendre, à garder le nom
et les armes pleines de Bretagne. De là, des prétentions nouvelles élevées
chaque jour par le duc, le comte de Penthièvre et le connétable, prétentions
qu’il était impossible de concilier. La noblesse de Bretagne s’était
partagée, et les deux princes ennemis en étaient revenus à des hostilités
ouvertes. Ajoutons à cela que Montfort paraissait peu s’inquiéter du mauvais
vouloir du roi et de son conseil ; qu’il continuait à ne point reconnaître
l’autorité du pape d’Avignon, à faire battre de la monnaie d’or et d’argent
sans y mettre le nom du roi, à lever des impôts, à recevoir le serment des
évêques nouvellement élus ; et que ses officiers de justice déclinaient le
parlement de Paris. Irrité de cet esprit de rébellion, et excité par les
plaintes continuelles du connétable, le roi, jaloux de son autorité, résolut
de forcer le duc de Bretagne à la soumission, de lui défendre les voies de
fait ainsi qu’à Olivier de Clisson, et de les citer devant lui à Tours pour
régler leurs différends. Le roi,
son frère et le conseil se rendirent à Tours la veille de la Saint-Martin
d’hiver (1391). Ils étaient accompagnés des
ducs de Berri et de Bourgogne, qui, malgré leur haine contre le connétable et
les Marmousets, faisaient tous leurs efforts pour se maintenir en bons termes
avec le roi. Le duc de Berri quitta la cour en chemin par ordre de Charles
VI, et prit la route de Nantes pour décider Montfort à se rendre auprès de
lui. Pendant
que l’oncle du roi allait trouver le duc de Bretagne, Jean le Meingre de
Boucicaut, seigneur de la Bourdaisière en Touraine et de Château-Neuf au
diocèse de Langres, arriva à Tours sur l’ordre du roi, qui l’avait appelé de
Prusse pour lui donner solennellement le bâton de maréchal de France. Il
était né dans cette ville, où, après sa mort, son corps fut rapporté et
enseveli dans la chapelle de sa famille. Son père, qui avait été élevé à la
dignité de maréchal, avait l’âme d’un héros et les sentiments d’un honnête
homme. Boucicaut n’était alors âgé que de vingt-cinq ans ; mais il avait fait
ses preuves d’une manière éclatante, et, pour ainsi dire, aux yeux de l’univers.
Il avait pris le parti des armes à l’âge de dix ans. Armé chevalier de la
main du roi, la veille de la bataille de Roosebeke, il avait fait des
prodiges de valeur dans cette mémorable journée, en combattant à côté de
Charles VI, dont il était enfant d’honneur. Son esprit et sa sagesse
répondaient à sa valeur. Le roi l’aimait tendrement, et il eût pu devenir son
favori, s’il n’eût pas été ennemi des souplesses et des intrigues de la cour.
Ce fut le jour de Noël, après la messe, que Boucicaut reçut le bâton de
maréchal, que des personnages delà plus haute distinction avaient sollicité
avec instance, et qu’il prêta le serment accoutumé. Pour faire honneur au
choix du roi, le duc de Bourgogne voulut remplir l’office de chancelier à
cette cérémonie, et tous les seigneurs de la cour fêtèrent à l’envi le
nouveau maréchal. Cependant
Jean de Montfort, que le duc de Berri exhortait à donner satisfaction au roi,
semblait craindre de se confier à la discrétion d’une cour où son ennemi
jouissait de la plus grande influence. Mais ayant enfin compris le danger
auquel il s’exposait par sa résistance, il déclara qu’il était prêt à obéir
au roi, et se rendit à Tours avec une suite de quinze cents hommes et une
escorte de galères armées de canons (décembre 1391). Le connétable et Jean de
Blois, comte de Penthièvre, y étaient déjà arrivés avec un cortège non moins
formidable. Il semblait qu’on fût dans un camp, à la veille de livrer
bataille. Il y eut plusieurs fois entre les deux partis des rixes
tumultueuses et sanglantes[5]. Après des négociations qui se
prolongèrent plus d’un mois, le roi fit prononcer par son chancelier un
second jugement, auquel le duc acquiesça, et qui fut suivi d’un pacte de
réconciliation signé à Tours le 26 janvier 1392, en présence de Charles VI. Par
ce traité, le duc promit de remplir désormais ses devoirs de vassalité à
l’égard du roi ; le connétable fut rétabli dans ses biens, et Jean de
Montfort condamné, comme parle traité de Montereau, à lui payer les 100.000
francs d’or qu’il avait injustement exigés ; mais il pouvait imposer cette
somme sur son duché. Quant au comte de Penthièvre, il ratifia purement et
simplement le traité de Guérande, renonça à toutes ses prétentions, rendit
hommage-lige de toutes ses terres au duc, qui abandonna les trois places dont
il s’était emparé sur lui. Pendant les conférences de Tours, le roi termina
les différends touchant la succession de Poix. Il avait mis à profit son
voyage dans le Languedoc pour traiter avec le comte de Poix, qui n’avait
point d’héritier naturel et qui haïssait son neveu le vicomte de Castelbon.
Gaston Phœbus avait engagé son comté au roi pour la somme de 100.000 francs,
avec l’intention de le laissera la couronne. Le comte venait de mourir ; mais
les ducs de Berri et de Bourgogne eurent encore assez de crédit pour
déterminer leur neveu à ne pas réunir sa succession au domaine de la couronne,
et pour lui faire céder ses droits au vicomte de Castelbon, moyennant la
restitution de l’argent prêté à Gaston Phœbus. Le vicomte, qui avait offert
30.000 francs d’or au duc de Berri pour l’engager dans ses intérêts, reçut
également la seigneurie de Béarn, qui ne relevait point delà couronne, et ne
fit hommage au roi que pour le comté de Foix. De
Tours, où il avait reçu des ambassadeurs de Richard II qui lui proposaient
une entrevue dans la ville d’Amiens, afin de travailler à la conclusion de la
paix, Charles VI revint à Paris avec ses oncles. Pendant le court séjour
qu’il y fit, la reine combla ses espérances et celles delà France en mettant
un prince au monde. Les Parisiens en témoignèrent leur allégresse par des
illuminations, des feux de joie, des danses et des festins publics (6 février
1392)[6]. Le dauphin fut baptisé à
Saint-Paul avec une magnificence incroyable. L’archevêque de Sens fit la
cérémonie, assisté de dix évêques. Le duc de Bourgogne et la duchesse
douairière d’Orléans tinrent sur les fonts baptismaux cet enfant, qui fut
appelé Charles, du nom de son père et de son aïeul, dont le souvenir était si
cher aux Français. Il ne
manquait plus au bonheur de Charles que de changer en paix définitive avec
les Anglais la trêve qui expirait cette année-là. Dans l’espérance d’y
réussir, il se dirigea sur Amiens au commencement du carême. Les ducs de
Lancastre et d’York ne manquèrent pas de s’y rendre avec une suite nombreuse.
Les négociations s’ouvrirent aussitôt ; mais, malgré de bonnes dispositions
de part et d’autre, il fut impossible d’arriver à la conclusion d’une paix
durable, et l’on se borna à prolonger la trêve d’un an. Immédiatement
après le départ du duc de Lancastre, le roi, qui durant les négociations ne
s’était occupé que de réjouissances et n’avait pris aucun soin de sa santé,
tomba malade à Amiens d’une fièvre chaude, accompagnée de violents transports
au cerveau. Les médecins conseillèrent de lui faire changer d’air. On le
transporta donc en litière à Beauvais, où il fut logé au palais de l’évêque.
Le duc de Touraine et les ducs de Berri et de Bourbon restèrent près du
malade, qui se rétablit assez promptement. Le roi alla ensuite passer quelque
temps à Gisors, à l’entrée de la Normandie, pour se distraire par le plaisir
de la chasse dans les bois qui couvrent ce pays. Là, il reçut l’hommage de
Bernard d’Armagnac, pour ses comtés d’Armagnac et de Rodez, et vers l’Ascension
il revint à Paris dans son hôtel Saint-Paul, où il trouva la reine et la
duchesse de Touraine[7]. Depuis l’époque de cette
maladie, provoquée sans doute par une profonde altération organique, on
remarqua, disent les historiens, de l’affaiblissement dans les facultés
morales du roi. Il ne put jouir à la cour du repos qui lui était si
nécessaire ; car jamais la cour n’avait été aussi brillante, jamais elle
n’avait été plus avide de fêtes et de réjouissances. Isabeau de Bavière, dans
toute la fleur de la jeunesse et de la beauté, portait le faste et la parure
plus loin qu’aucune des reines qui l’avaient précédée ; à l’exemple de son
royal époux, elle manifestait un grand penchant pour le plaisir, les
amusements et les fêtes. Charles
était depuis peu de jours à Paris, lorsqu’une funeste aventure ébranla
violemment son esprit, dans lequel on remarquait déjà quelque chose d’égaré
et d’étrange. Messire Pierre de Craon, noble baron de l'Anjou et parent du
duc de Bretagne, jouissait de la plus grande faveur auprès du roi et du duc
de Touraine. Autrefois il avait eu toute l’amitié du duc d’Anjou, dont il
avait indignement consommé la perte dans l’expédition de Naples, en
s’appropriant un trésor considérable destiné à payer les soldats. La duchesse
d’Anjou ne perdait pas de vue cet homme, qui cachait une âme si basse sous
des dehors si brillants ; et Clisson, allié de la maison d’Anjou, lui avait
plus d’une fois reproché ses désordres et ses méfaits. Pour ce motif et à
cause de sa parenté avec Jean de Montfort, sa haine contre le connétable
n’avait point de bornes, et il entretenait une secrète et active
correspondance avec le duc de Bretagne, qu’il informait de tout ce qui se
passait à la cour. Mais le sire de Craon, ayant un jour révélé à Valentine de
Milan une infidélité de son mari, vit bientôt se changer en ressentiment la
faveur que lui témoignait le prince. Tout plein de sa douleur et de sa
vengeance, le duc de Touraine, qui vivait dans une étroite amitié avec le
roi, ne put s’empêcher de s’ouvrir à lui. Alors, le même jour, tous les deux
firent signifier à messire Pierre de Craon de quitter la cour, sans lui faire
connaître le motif de cette disgrâce. Honteux et indigné, il se retira à son
château de Sablé, près du Mans. Comme il haïssait mortellement le connétable,
il se persuada que le coup était parti de sa main, et ne tarda pas à
ressentir toute la douleur d’un courtisan ambitieux qui se voit privé de ses
espérances. Il alla ensuite à l’Hermine confier ses chagrins au duc de Bretagne,
« qui vivait en crainte continuelle de Clisson et ne rêvait que du terrible
borgne[8]. » Tous deux
s’entretinrent avec amertume de leur haine contre le connétable, et bientôt
une pensée du démon s’empara du sire de Craon : il se détermina à venger dans
le sang de son ennemi l’injure qu’il prétendait en avoir reçue. Il se prépara
de loin au crime qu’il méditait. Sans
tenir trop secret le sujet de sa disgrâce, il publia qu’il voulait en aller
passer le temps dans la Terre-Sainte. Pour se mettre en état d’entreprendre
ce lointain voyage, il commença par vendre au duc de Bretagne presque tous
les domaines qu’il possédait dans l’Anjou. Il avait à Paris, près du
cimetière Saint-Jean, un très-bel hôtel, à l’exemple de plusieurs grands
seigneurs de France. Messire Pierre de Craon avait envoyé dès le commencement
de l’année plusieurs de ses valets pour faire à Paris d’amples provisions de
vin, de farine, de viande et de sel. Il avait ensuite écrit au concierge de
son hôtel de lui acheter des armures, des cottes de mailles, des gantelets,
des coiffes d’acier, pour armer quarante hommes, et de lui faire savoir quand
tout serait prêt, afin qu'il l’envoyât chercher ; il lui recommanda en même
temps le plus grand secret. Le concierge, sans soupçonner rien de mal, obéit
fidèlement aux ordres de son maître, qui pendant ce temps-là habitait son
magnifique château de Sablé. Celui-ci envoya secrètement loger dans son hôtel
des hommes dévoués, hardis et robustes, qu’il faisait partir par deux, par
trois, ou par quatre, sans leur laisser supposer de quoi il s’agissait. «
Allez à Paris, leur disait-il, usez des provisions de mon hôtel ; tout ce
dont vous aurez besoin, demandez-le au concierge, vous l’aurez sur-le-champ,
et surtout ne vous montrez point ; je vous contenterai un jour, et vous aurez
de bons gages. » Ces gens-là arrivaient à Paris par des chemins différents,
de nuit ou le matin, car, depuis la punition des Maillotins, les chaînes
étaient levées et les portes toujours ouvertes. Lorsqu’il eut quarante compagnons
bien déterminés, messire Pierre de Craon revint secrètement à Paris vers les
fêtes de la Pentecôte, se présenta de nuit à son hôtel, et commanda au
concierge, sur sa tête, de ne laisser entrer ou sortir ni homme ni femme. En
attendant l’occasion favorable, il resta caché dans son hôtel avec ses
hommes, recevant chaque nuit des avis de tout ce qui se passait à la cour, où
l’on ignorait son détestable projet. Malgré toutes les précautions dont
s’entourait Pierre de Craon, un secrétaire du duc de Berri apprit qu’il était
de retour à Paris, et il en informa son maître. Il était facile de
conjecturer que ce seigneur n’y était rentré qu’avec de coupables pensées ;
toutefois le duc ne chercha pas à les pénétrer, et n’y fit même aucune
attention. Enfin, le 13 juin, jour de la Fête-Dieu, le roi donna en son hôtel
Saint-Paul une fête à tous les barons et à tous les seigneurs qui se trouvaient
à Paris ; il y eut des joutes, suivies d’un magnifique souper et d’un bal qui
dura jusqu’à une heure après minuit. La danse finie, chacun se retira sans
crainte et sans escorte. Instruit de toutes ces circonstances, Craon avait
choisi cette nuit-là pour l’exécution de sa vengeance. Lorsqu’il eut été
informé par ses espions que le bal était fini, il monta à cheval suivi de ses
quarante hommes, armés jusqu’aux dents, dont le plus grand nombre ignorait
complètement son dessein. Il se rendit au carrefour de la rue
Culture-Sainte-Catherine, et y demeura tranquille en attendant son ennemi. Messire
Olivier de Clisson, connétable de France, était resté des derniers ; après
avoir pris congé du roi, il se rendit à l’appartement du duc de Touraine : « Monseigneur,
lui dit-il, restez-vous ici, ou retournez-vous chez Poulain ? » Ce Poulain
était trésorier du duc de Touraine, et demeurait à la croix du Trahoir, assez
près du Lion-d’Argent. « Connétable, lui répondit le duc, je ne sais pas
encore si je resterai ici, ou si j’irai coucher chez Poulain. Allez-vous-en,
il est bien temps de partir. Bonne nuit je vous souhaite. » Le connétable
sortit aussitôt à cheval de l’hôtel Saint-Paul, suivi de six cavaliers ; deux
pages portaient des torches devant lui. Il reprenait la route de son hôtel,
qui était situé sur l’emplacement actuel de l’hôtel Soubise. Il s’entretenait
avec un de ses écuyers : « Demain, lui disait-il, je dois avoir à dîner
monseigneur de Touraine, le sire de Couci, messire Jean de Vienne, messire
Charles d’Angers, le baron d’Ivry, et plusieurs autres seigneurs. Faites en
sorte qu’ils soient tous contents, et que rien ne soit épargné. » Mais à
l’instant où il traversait la rue Saint-Antoine pour entrer dans la rue
Culture-Sainte-Catherine, messire de Craon, qui était là embusqué avec ses
bandits, marcha droit à lui, se mêla aux gens du connétable et lit éteindre
les torches. Le
connétable était si loin de penser qu’on en voulût à sa vie, qu’il crut que
c’était une malice du frère du roi : « Monseigneur, dit-il, par ma foi, c’est
mal fait ; mais je vous le pardonne, car vous êtes jeune, et ce sont là des
jeux de votre âge. — A mort ! à mort ! Clisson ! cria le sire de Craon en
tirant son épée ; ici vous faut mourir ! — Qui es-tu, dit le connétable, toi
qui dis ces paroles ? — Je suis Pierre de Craon, votre ennemi, que vous avez
tant de fois offensé. Il vous faut le payer aujourd’hui. En avant ! cria-t-il
à ses gens ; j’ai celui que je demande et que je veux avoir. » A ces mots, il
fondit sur lui, et toutes les épées se tournèrent à la fois contre Clisson.
Les gens de ce dernier, pris au dépourvu et saisis de frayeur, se mirent à
fuir. « Les tuerons-nous tous ? demandèrent les assassins à Pierre de Craon.
— Oui, répondit-il, ceux qui se défendront. » Au milieu de cet
effroyable danger, le connétable conserva tout son jugement, et quoiqu’il
n’eût aucun espoir d’échapper, il voulut du moins mourir en homme de cœur.
Armé d’un petit coutelas de deux pieds de long, il se rangea contre le mur,
et para longtemps les coups mal assurés que lui portaient les gens du sire de
Craon, dont quelques-uns ne venaient d’apprendre qu’à l’instant le nom
redouté de la victime. Étonnés, ils attaquaient avec peur ; car la trahison
n’est jamais hardie. Clisson se défendait toujours vaillamment, et sa
cuirasse ou son corselet résistait à tous les coups de pointe. Enfin un grand
coup sur la tête le renversa de son cheval ; il tomba contre la porte d’un
boulanger. Cet homme chauffait son four à cette heure avancée de la nuit ;
mais, au bruit des chevaux qui piétinaient sur la chaussée et des paroles
qu’il entendait, il avait entr'ouvert sa porte. Par bonheur pour le
connétable, cette porte, contre laquelle il s’était adossé, céda au choc, et
il roula dans la maison. Pour l’achever, il eût fallu entrer ; mais les
quarante assassins n’osèrent pas mettre pied à terre. Pierre de Craon
lui-même le crut mort ou mourant. « Allons-nous-en, dit-il, nous en
avons assez fait. S’il n’est pas encore tué, il mourra du coup qu’il a reçu à
la tête, car c’est un bon bras qui l’a frappé. » A ces mots, il donna le
signal de la fuite, et tous se sauvèrent au galop par la porte Saint-Antoine. Au
bruit qui s’était fait devant sa maison, le boulanger accourut, et reconnut
le connétable. En même temps ses serviteurs, que la crainte avait dispersés,
revinrent, et trouvèrent dans la boutique du boulanger leur maître sans
connaissance, baigné dans son sang, avec une large blessure à la tête. Ils
versèrent des larmes et éclatèrent en sanglots, car ils le croyaient mort. La
nouvelle de cet attentat arriva bientôt à l’hôtel Saint-Paul, et le roi en
fut averti au moment où il se mettait au lit. « Ah ! sire, lui dit-on, nous
n'osons vous cacher le grand malheur qui vient d’arriver à Paris. — Quel est
ce malheur ? répondit le roi. — C’est votre connétable, messire Olivier de
Clisson, qui vient d’être tué. — Tué ! dit le roi, comment et par qui ? — Nous
l’ignorons, sire ; mais ce malheur est arrivé près d’ici, dans la grande rue
Sainte-Catherine. — Vite des flambeaux, dit le roi, je veux l’aller voir. »
Les serviteurs obéirent ; le roi jeta une simple houppelande sur ses épaules
; et sans donner à ceux de ses gens qui étaient couchés le temps de se lever,
il partit accompagné seulement de messire Gautier Martel et de messire Jean
de Lignac. Il entra dans la boutique où gisait Olivier de Clisson, et le
trouva déjà revenu à lui. « Connétable, lui dit-il, comment vous sentez-vous
? — Ah ! cher sire, bien faiblement, répondit-il. — Et qui vous a mis en cet
état ? — Sire, Pierre de Craon et ses complices, traîtreusement et sans nulle
défense. — Connétable, ajouta le roi, jamais chose ne sera si punie et si
chèrement payée que celle-là. Qu’on aille chercher des médecins. » Mais les
chirurgiens et les médecins qu’on avait envoyé quérir, et principalement ceux
de la maison du roi, arrivaient de tous côtés. Quand ils furent venus, le roi
en eut grande joie, et leur dit : « Regardez mon connétable, et dites-moi en
quel état il est, car je suis désespéré de ses blessures. —Volontiers, sire,
» répondirent les médecins. Ils commencèrent par étancher le sang, visitèrent
les plaies et mirent le premier appareil. Pendant ce temps-là, le roi leur
demandait toujours impatiemment s’il y avait danger de mort. « Non, sire,
répliquèrent les médecins d’une voix unanime ; dans quinze jours le blessé
pourra monter à cheval. » Cette réponse fit grand plaisir au roi. « Dieu soit
loué ! s’écria-t-il, vous m’annoncez une heureuse nouvelle. Pensez à vous,
connétable, ajouta-t-il, et ne vous souciez d’autre chose. Les traîtres
seront punis, cette affaire me regarde. — Sire, répondit le connétable d’une
voix défaillante, merci de votre bonne visite ; que Dieu vous le rende. »
Après avoir pris congé du connétable, il retourna à l’hôtel Saint-Paul. Le roi,
regardant l'attentat de Craon comme fait à sa propre personne, ne respirait
que vengeance. Il envoya chercher aussitôt Folleville, prévôt de Paris.
Celui-ci se rendit immédiatement au palais. « Prévôt, lui dit alors le roi,
prenez force gens d’armes et mettez-vous à la poursuite de ce traître de
Craon, qui a si perfidement blessé mon connétable, et qui l’a laissé en
danger de mort. Vous ne pourrez me rendre un service plus agréable que celui
de le trouver, de le prendre, et de me l’amener. — Sire, répondit le prévôt,
je ferai tout mon possible ; mais quel chemin a-t-il suivi ? —
Informez-vous-en, répliqua le roi, et faites bonne diligence. » Pendant ce
temps-là Pierre de Craon fuyait à toute bride vers Chartres et faisait couper
les cordes des bacs où il passait. Ses complices le suivirent d’abord avec la
même diligence ; mais quelques-uns d’entre eux, qui n’étaient pas bien
montés, furent obligés de rester en arrière et de se cacher. Arrivé à huit
heures du matin à Chartres, où il s’était assuré des relais, Pierre de Craon
s’y reposa quelque temps chez un chanoine de cette ville, son ancien
serviteur, et se rendit à son château de Sablé avec la même rapidité. Il
résolut d’y rester jusqu’à ce qu’il eût appris des nouvelles du connétable. Le
lendemain, toute la ville de Paris apprit ce forfait, et montra la plus
grande indignation contre Pierre de Craon. Ala nouvelle qu’il en reçut dès le
matin, le sire de Couci monta à cheval et se rendit à l’hôtel du connétable,
car on l’y avait transporté. Tous les deux s’aimaient depuis longtemps, et
s’appelaient frères et compagnons d’armes. Cette visite causa un grand
plaisir à Clisson. Tous les autres seigneurs s’empressèrent aussi de lui donner
des preuves de leur attachement. Le duc de Touraine allait souvent le voir
avec le roi, qu’il excitait à la vengeance, en lui montrant que cette affaire
était une insulte à son autorité et à sa dignité, et une tentative pour
troubler le royaume. Cependant
le prévôt de Paris, sorti de la ville par la porte Saint-Honoré, s’était mis
à la poursuite de l’assassin et de ses complices avec plus de soixante
cavaliers. Il traversa la Seine, et demanda au batelier si depuis le matin il
n’avait passé personne. Cet homme lui répondit qu’il avait passé douze
cavaliers environ, mais que parmi eux il n’avait vu aucun chevalier, aucun
homme qu’il connût. « Quelle route ont-ils prise ? demanda le prévôt. — Sire,
répondit le batelier, la route de Vanvres. — Ah ! dit le prévôt, ils vont
peut-être à Cherbourg. » Il se remit aussitôt en marche, et laissa la route
de Chartres. A l’heure du dîner, il rencontra un chevalier du pays qui
chassait au lièvre, et qui lui assura avoir vu le matin environ quinze hommes
à cheval, traversant les champs ; il croyait bien qu’ils avaient pris la
route de Chartres. Le prévôt entra donc sur cette route et la suivit jusqu’au
soir. Arrivé à Chartres, il apprit les détails que nous avons donnés plus
haut. Mais jugeant que les poursuites, quelque diligence qu’il y mit,
seraient inutiles, Folleville retourna le lendemain à Paris. Pour avoir de
plus amples renseignements, le roi et le duc de Touraine, qui désiraient
vivement que le coupable fût pris, avaient envoyé encore à sa poursuite Jean
le Barrois, avec le même nombre de chevaux. Sortis par la porte
Saint-Antoine, ils passèrent la Marne et la Seine au pont de Charenton,
battirent tout le pays et vinrent à Étampes. Ils étaient à Chartres à l’heure
de dîner. Là, Jean de Barrois apprit ce qui s'était passé, et quand il sut
que Pierre de Craon avait continué sa route, et qu’il était trop loin pour
qu’on pût l’atteindre, il rentra également à Paris. Mais
des sergents qui faisaient des recherches prirent deux des complices de
Pierre de Craon et un page, qui se tenaient cachés dans un village à sept
lieues de la capitale. Amenés aussitôt devant le Châtelet, le 16 juin ils
furent condamnés. On leur coupa d’abord le poing dans la rue
Sainte-Catherine, comme s’ils eussent été des sacrilèges ; puis on les
conduisit aux Halles, où ils furent décapités, et leurs corps suspendus au
gibet. On vit avec plus de pitié le supplice du malheureux concierge, qui soutint
jusqu’à la fin qu’il avait ignoré le projet de son maître ; mais on lui
imputa surtout à crime de n’avoir point révélé la venue de Pierre de Craon à
Paris. On poursuivit même le chanoine de Chartres, chez qui mes sire Pierre
s’était arrêté, malgré la bonne renommée dont il jouissait. Il fut dépouillé
de son bénéfice, et condamné à passer le reste de ses jours au pain et à
l’eau dans la prison de l’évêque. Enfin, on instruisit le procès de Craon,
qui se donna bien de garde de comparaître devant ses juges. Reconnu coupable
du crime de lèse-majesté au second chef, il fut condamné à mort par
contumace, et ses biens confisqués. L’hôtel qu’il avait à Paris fut rasé
jusqu’aux fondements. Le terrain fut rendu à l’église de Saint-Jean en Grève,
à laquelle il avait autrefois servi de cimetière. La rue qui portait le nom
de Craon fut désormais appelée rue des Mauvais-Garçons. Par l’ordre du roi,
l’amiral alla s’emparer de la Ferté-Bernard, l’un des plus riches manoirs du
coupable, et en chassa impitoyablement et demi-nues la dame de Craon, Jeanne
de Châtillon, et sa fille unique, qui se virent bientôt sans asile. Leur sort
inspira d’autant plus de compassion qu’elles l’avaient moins mérité, car leur
vertu devait les mettre à l’abri de cette vengeance. L’amiral fit sommer
inutilement le château de Sablé ; le commandant refusa d’en ouvrir les
portes, déclarant que la place n’appartenait plus au sire de Craon, mais au
duc de Bretagne, qui y avait mis une garnison. Les autres terres de Pierre de
Craon furent distribuées. Beaucoup de courtisans eurent part à ses dépouilles
; mais personne ne profita plus du crime de son ancien ami que le duc de
Touraine, auquel le roi donna les terres de la Ferté-Bernard et de Porche-Fontaine,
avec les riches ameublements qui ornaient le château de cette dernière. Pierre
de Craon était encore dans son château de Sablé, où il s’était caché en
attendant des nouvelles, lorsqu’il apprit que le connétable n’était pas mort
et qu’il n’avait été que légèrement blessé. Désespéré, et comprenant que les
suites de son crime seraient plus dangereuses que s’il l’eût consommé, il
alla chercher un asile auprès du duc de Bretagne. « Vous êtes un chétif, lui
dit le duc en le voyant, de n’avoir pas su tuer un homme que vous aviez entre
vos mains. — Monseigneur, répondit Pierre, c’est chose diabolique. Je crois
que tous les démons de l’enfer l’ont gardé et délivré de mes mains et de
celles de mes gens, puisqu’il a reçu plus de soixante coups d’épée et de
couteau ; et quand il a été renversé de son cheval, j’ai cru, en bonne
vérité, qu’il était mort. Heureusement pour lui, il est tombé dans la
boutique d’un boulanger ; car, s’il fût tombé dans la rue, nous l’eussions
tué et nous eussions fait fouler son corps par nos chevaux. — Or maintenant,
ajouta le duc, la chose n’en restera pas là. Je suis certain que le roi de
France m’en donnera bientôt des nouvelles, et il m’en voudra autant qu’à
vous. Je sais, si vous restez auprès de moi, que le roi et le connétable me
feront une grande guerre ; mais je vous ai promis ma protection, et je vous tiendrai
parole. » Le roi
sut bientôt que Pierre de Craon avait été recueilli par le duc de Bretagne.
Il envoya aussitôt un message à ce dernier pour lui enjoindre, aux termes de
sa foi et de son hommage, de saisir et de lui envoyer Pierre de Craon, traître
envers la couronne de France. Le coupable, ne comptant pas trop sur la
protection de Montfort, avait pris le parti de se cacher ; le duc répondit
qu’il ne savait rien, et qu’il ne voulait rien savoir de ce qui concernait le
sire de Craon, et qu’il ne pouvait l’envoyer au roi, puisqu’il ne l’avait
point en sa puissance. Charles, qui s’était laissé persuader que l’assassin
était en Bretagne, prit le refus de Montfort pour un aveu ou au moins une
preuve de sa connivence avec le sire de Craon. Il rassembla un grand conseil
composé des créatures du connétable, qui faisait tous ses efforts pour
déterminer le roi à ne pas accueillir les excuses du duc de Bretagne. Le
conseil décida que le temps était venu de punir Montfort de toutes ses
infidélités, et surtout de la protection qu’il accordait à un ennemi de
l’État, et que le roi en personne marcherait contre lui avec toutes ses
forces. Depuis
ce jour, le roi, dont le caractère paraissait changé, ne respirait que la
guerre de Bretagne, et toutes les fois qu’il voyait le duc de Berri, qui
était alors à Paris, il lui parlait de la nécessité d’aller en Bretagne et de
mettre à la raison un arrogant et présomptueux vassal, qui cherchait tous les
moyens de lui déplaire. Le duc de Berri, qui savait que le roi s’était
impérieusement prononcé et qu’il n’était pas facile à contredire, feignit
d’entrer dans ses vues, attendant l’arrivée du duc de Bourgogne pour
s’efforcer de montrer à son neveu l’injustice de la guerre qu’il allait
entreprendre. Philippe-le-Hardi
arriva bientôt à la cour, et témoigna une grande indignation de n’avoir pas
été consulté dans une affaire de cette importance. Il soutenait avec le duc
de Berri, que sa présence semblait rendre plus ferme, que les excuses du duc
de Bretagne étaient satisfaisantes ; qu’on engageait l’État dans une guerre
qui amènerait peut-être les Anglais en France, et cela pour un orgueilleux
ministre qui voulait dominer son maître. Ennemis secrets d’Olivier de
Clisson, ils auraient été satisfaits de le voir échouer dans ses projets de
vengeance. Pour ralentir l’ardeur martiale de leur neveu, tantôt ils
cherchaient à lui faire envisager les nombreuses difficultés de cette guerre,
tantôt ils faisaient intervenir les médecins ; ceux-ci, alarmés de l’abattement
et de la tristesse qui parfois faisaient subitement contraste avec son
excessive activité, recommandaient la plus grande circonspection. Plus
impérieux que son frère, le duc de Bourgogne s’élevait avec force contre
l’orgueil et le despotisme du connétable, contre son luxe et son avidité qui
lui avait fait amasser en si peu de temps la somme énorme de 1.700.000
livres. « Le roi de France n’en a pas autant, disait-il, on peut bien croire
que tout cela ne vient pas de bonne source[9]. » Le roi avait tellement à cœur l’expédition de Bretagne, que tous les moyens employés pour l’en détourner furent inutiles. Il se prononça d’une manière si absolue, que ses oncles furent obligés d’obéir. Pour montrer en ce moment de quel côté penchaient ses affections, il donna à son frère Louis, en échange de la Touraine, le duché d’Orléans à titre d’apanage héréditaire. Il n’écouta point les justes réclamations des habitants d’Orléans, à qui le sage roi Charles V, après la mort de Philippe de France, avait expressément promis qu’ils seraient désormais inséparables du domaine royal. Quelque temps auparavant, le duc Louis avait acheté du dernier comte de la maison de Châtillon, pour la somme de 200.000 francs d’or, les comtés de Blois, de Dunois et de Romorantin. Tous ses domaines lui formaient un apanage capable de rivaliser avec ceux de ses oncles, et rendaient ce jeune prince plus puissant que ne l’avait été aucun fils de France. |