Mariage de Charles VI
avec Isabeau de Bavière. — Mort de Louis d’Anjou en Italie. — Charles de
Durazzo. — Nouvelle expédition de Charles VI en Flandre. — Siège de Dam. —
Pacification de la Flandre. — Vains préparatifs d’une descente en Angleterre.
— Mort de Charles-le-Mauvais. — Expédition du duc de Bourbon en Espagne
contre le duc de Lancastre. — Attentat du duc de Bretagne sur la personne
d’Olivier de Clisson. — Guerre de Clisson contre le duc. — Jean de Montfort à
Paris. — Expédition du roi en Gueldre. — Disgrâce des oncles du roi. — Retour
de Charles VI à Paris.
Le duc
de Bourgogne, dont la puissance et la prospérité venaient de s’accroître par
la mort de son beau-père, s’affermit dans les Pays-Bas par le double mariage
de ses enfants avec ceux de l’illustre maison de Bavière. Jean, comte de
Nevers, son fils aîné, épousa Marguerite, fille du duc Albert de Bavière,
régent de Hainaut, de Hollande, de Frise et de Zélande ; tandis que la sœur
de Jean, Marguerite de Bourgogne, épousait Guillaume, fils du duc Albert, qui
fut investi de la seigneurie du comté d'Ostrevant, et déclaré héritier
présomptif des souverainetés de son père. Les princes rassemblés à Cambrai,
pour les fêtes brillantes de ces deux mariages, qui furent célébrés le même
jour (12 avril 1385), en conclurent un autre plus illustre encore.
Philippe-le-Hardi avait déjà eu l’idée de marier le roi dans cette même
maison de Bavière, qui, de tout temps, avait paru dévouée aux intérêts de la
France. Il en avait même parlé secrètement au duc Frédéric, quand il était
venu se réunir à l’armée royale. Il songeait d'ailleurs à remplir les
dernières volontés de Charles V, qui avait ordonné, au lit de la mort, que
son fils fut marié en Allemagne. Aussi demanda-t-il au duc Frédéric, auquel
on avait fait le plus gracieux accueil, s’il n’avait pas quelque princesse à
marier. « Non, répondit le duc ; mais mon frère aîné, Etienne de Bavière, a
une fille très-belle, d’environ quatorze ans. — C’est tout ce qu’il nous
faut, reprit le duc de Bourgogne ; retournez en Bavière, parlez à votre
frère, et amenez votre nièce en pèlerinage à Saint-Jean d’Amiens ; le roi se
trouvera dans cette ville, et si la princesse lui plaît, elle sera reine de
France. » Lorsque Frédéric fut de retour en Bavière, il en parla au duc
Etienne, qui, après de sérieuses réflexions, lui répondit : « Je crois, beau-frère,
qu’il en est ainsi que vous me le dites ; je crois que ma fille serait bien
heureuse si elle pouvait parvenir à l’insigne honneur d’être reine de France
; mais ce pays est loin d’ici, et il est par trop difficile de devenir reine
et femme de roi. Je serais vivement affligé si l’on menait ma fille en
France, puis qu’on me la renvoyât. Je préfère la marier à mon aise, près de
moi. » Le duc Frédéric, se contentant de cette réponse, l’avait fait
connaître à Phi-lippe-le-Hardi, et il croyait que toutes ces choses avaient
été oubliées, d’autant plus qu’on parlait du mariage du roi, tantôt avec la
fille du duc de Lorraine, princesse d’une rare beauté, de l’âge du roi
environ, et du sang le plus noble ; tantôt avec la fille du duc de Lancastre,
qui depuis fut reine de Portugal. Mais, pendant les fêtes de Cambrai, la
duchesse de Brabant parla de nouveau, en présence des princes, de la fille du
duc Etienne, et dit que ce mariage de Bavière était le plus avantageux et le
plus utile qu’on pût voir, à cause des alliances qui pouvaient en résulter en
Allemagne. Les oncles du roi lui répondirent qu’ils n’en entendaient plus
parler. « Puisqu’il en est ainsi, dit la duchesse, laissez-moi faire, et vous
en aurez des nouvelles cet été même, sans nulle faute. » Ces promesses ne
tardèrent pas à se réaliser ; car la duchesse fit tant, que le duc Frédéric
obtint le consentement de son frère. Il partit donc avec sa nièce, et dans le
voyage ils ne manquaient pas de dire qu’ils se rendaient en pèlerinage à
Saint-Jean d’Amiens. On les croyait, car, à cette époque, les Allemands
avaient assez l’habitude d’aller aux divers pèlerinages. Après avoir passé
trois jours à Bruxelles, le duc Frédéric et sa nièce, madame Isabelle de
Bavière, se rendirent au Quesnoy. Ils y trouvèrent le duc et la duchesse
Albert, avec Guillaume, comte d’Ostrevant, et son épouse. Ils furent reçus
avec la joie la plus vive ; mais on fut étonné de ce qu’ils étaient venus
ainsi, et on leur demanda comment le duc Étienne avait consenti à leur
départ. « Certes, dit le prince Frédéric, j’ai éprouvé la plus grande peine ;
et toutefois j’ai tellement insisté auprès d’Étienne, que j’ai amené sa
fille, comme vous voyez. Mais au moment de prendre congé de lui, il m’appela
: « Frédéric, beau-frère, me dit-il, vous emmenez Isabelle, ma fille, sans
nul sûr état ; car si le roi de France ne la veut pas pour épouse, elle sera
déshonorée. Sachez que si vous me la ramenez, vous n’aurez jamais de plus
grand ennemi que moi. » Vous voyez, ajouté Frédéric, à quel danger je me suis
exposé. — Ne craignez rien, beau neveu, répondit le duc Albert ; car, s’il
plaît à Dieu, elle sera reine de France, et ainsi vous ne perdrez point
l’affection de votre frère. » Ils passèrent trois semaines au Quesnoy,
pendant lesquelles la duchesse de Brabant, qui était moult sage, endoctrina
bien la jeune Isabeau, et lui fit faire de belles robes, car elle était mise
trop simplement pour la cour de France ; enfin elle en prit le soin qu’une
mère prend de sa fille. Puis, quand tout fut bien disposé, madame Isabelle fut
amenée en grande pompe à Amiens, où le roi avait été également conduit par le
duc de Bourgogne. Charles, à qui l’on avait fait part des projets qu’on avait
sur lui, était fort impatient de la voir, et souvent il demandait au sire de
la Rivière, l’un des anciens ministres de son père, quand elle lui serait
présentée. Les dames de la cour augurèrent bien de ces paroles, et le
vendredi, lorsque la princesse eut été parée de ses plus riches vêtements,
les duchesses de Bourgogne, de Brabant et de Bavière, la présentèrent au roi.
Elle s'agenouilla devant lui, tout bas. Il la prit aussitôt par la main pour
la relever, et il ne pouvait détacher son regard de dessus elle. Ce qui fit
dire par le connétable au sire de Coucy : « Par ma foi, cette dame nous
demeurera. » Le
soir, après que les princesses se furent retirées, le sire de la Rivière dit
au roi : « Sire, que vous semble de cette jeune dame ? Nous demeurera-t-elle
? — Par ma foi, oui, dit le roi ; car elle nous plaît. Or, dites au bel oncle
de Bourgogne de terminer tout de suite. » Le duc, averti par le sire de la
Rivière, vint annoncer cette bonne nouvelle aux dames, qui furent bien
joyeuses, et crièrent : « Noël ! Noël ! » Charles VI, ne souffrant aucun
délai, ne voulut point que ses noces fussent célébrées à Arras, selon les
désirs de ses oncles, mais à Amiens même. Quatre jours après la première
entrevue des deux époux, la princesse Isabeau fut conduite à la cathédrale
d’Amiens, dans un char couvert et d’une rare magnificence, et la bénédiction
nuptiale leur fut donnée par l’évêque du lieu (18 juillet 1385). C’est ainsi
qu’Isabeau de Bavière, qui devait être le fléau de la France, entra dans la
maison royale. Après la messe et les cérémonies d’usage, le roi, les
seigneurs et les dames allèrent s’asseoir à un somptueux banquet où, ce
jour-là, servirent des comtes et des barons ; et ce mariage fut célébré par
des fêtes brillantes qui durèrent plusieurs jours[1]. Tandis
que tout prospérait au duc de Bourgogne, le malheur accablait son autre
frère, Louis d’Anjou. Après avoir franchi les Alpes, ce prince était descendu
en Lombardie, où il avait perdu beaucoup d’hommes et d’argent. En s’avançant
dans l’Italie, il trouva le pays dévasté ; point de vivres pour les hommes
d’armes, pas même de nourriture pour les chevaux ; partout la pauvreté et la
misère, partout des populations hostiles, et presque toutes les places fortes
occupées par les garnisons de son adversaire. Durazzo le laissa s’avancer
jusqu’en Calabre, et, se renfermant ensuite dans Naples, il lui refusa la
consolation de voir son ennemi. C’est en vain que Louis d'Anjou défia par dix
fois cet habile et prudent capitaine, qui n’avait oublié ni la mort de
Manfred à Bénévent, ni la défaite de Conradin à Tagliacozzo. A la disette et
aux maux de toute espèce qu’endurait l’armée, vint bientôt se joindre une
cruelle épidémie, qui exerça d'affreux ravages. Au bout de quelques mois, la
brillante armée du duc d’Anjou, et ses trésors, fruit de ses immenses
dilapidations, tout était perdu. Le duc avait vendu toute sa vaisselle, tous
ses bijoux, jusqu’à sa couronne. Tl ne lui restait plus que quelques florins,
lorsqu’il mourut de la fièvre, à Bari, dans l’automne de 1 384. Ceux de ses
superbes chevaliers qui avaient échappé au fer de l’ennemi, ou qui n’avaient
point succombé à la rigueur du climat, réduits maintenant à la dernière
misère, eurent beaucoup de peine à regagner leur patrie. On vit plus d’un
noble baron marcher péniblement à pied, un bâton à la main, en mendiant
quelque morceau de pain, jusqu’aux frontières de la France. La
Provence, à l’exception d’Arles et de Marseille, se souleva à la mort de
Louis d’Anjou, et le conseil de France fut obligé d’y envoyer cinq cents
lances sous les ordres du maréchal de Sancerre, pour soutenir le parti
angevin. Charles de Durazzo, se voyant débarrassé de son redoutable riva],
pensa dès lors à faire valoir ses droits à la couronne de Hongrie, devenue
vacante. En débarquant à Zeng, Charles trouva de nombreux amis prêts à le
soutenir ; mais il avait à combattre un parti puissant, qui avait proclamé sa
cousine, Marie, fille de Louis-le-Grand, roi de Hongrie et de Pologne. La
veuve de Louis, Élisabeth, unit aussitôt sa fille au margrave Sigismond de
Brandebourg, et ce mariage lui donna l’appui décisif des Bohémiens. Charles
parvint cependant à se faire nommer d’abord gouverneur de Hongrie, puis à se
faire proclamer roi. Mais il avait affaire à des adversaires qui ne
reculaient point devant le crime. Invité par Élisabeth à une conférence dans
son château, il fut frappé mortellement d’un coup de masse d’armes par
l’échanson de cette princesse (7 février 1386). À la
mort de Durazzo, Marguerite, son épouse, qui était restée en Italie, fit
proclamer roi de Naples son fils mineur Ladislas, et prit en main les rênes
du gouvernement, en qualité de tutrice. La Provence insurgée, profitant de
cette circonstance, repassa presque tout entière dans le parti angevin, à la
tête duquel se trouvait la veuve de Louis d’Anjou, Marie de Blois, mère de
Louis II. Cette princesse avait conçu la pensée de faire la conquête de
Naples pour cet enfant, alors âgé de sept ans, et qui prit le titre de roi de
Sicile et de Jérusalem. Pendant que ces choses se passaient en Provence, la
guerre avait recommencé en Flandre et en Aquitaine à l’expiration de la
trêve, qui avait été prolongée de quelques mois. Les Anglais avaient essayé
une diversion dans la Guyenne, où ils avaient trouvé le duc de Bourbon ; et
la France avait fait ravager le nord de l’Angleterre par les Écossais et
l’amiral Jean de Vienne qui avait débarqué sur leurs rivages avec quinze
cents hommes d’armes. Mais, si les hostilités languissaient sur ces deux
points, il n’en était pas de même en Flandre. Les Gantois, qui avaient reçu
de Calais un secours de quelques milliers d’archers anglais, avaient redoublé
d’efforts, et s'étaient emparés de Dam, sous la conduite de Frank Ackerman.
Le conseil du roi, ayant résolu de réduire les Gantois, fit tous les
préparatifs nécessaires au milieu des fêtes de son mariage. Il pouvait
tourner contre les ennemis du dehors des forces d’autant plus nombreuses qu’à
l’intérieur il n’avait plus rien à craindre du peuple. En effet, une
tentative de révolte dans l’ouest avait été réprimée, l’année précédente, par
le duc de Berri. Les paysans, les laboureurs et les gens de métiers de
l’Auvergne, du Poitou et du Limousin, exaspérés par la misère, s’étaient
soulevés à l’imitation des Tuchins du Languedoc, et avaient mis à leur tête
un capitaine nommé Pierre de Bruyères. Leurs bandes sauvages, parcourant les
campagnes, attaquaient les châteaux et les livraient aux flammes. Malheur aux
nobles et aux bourgeois qui tombaient entre leurs mains ; ils étaient
impitoyablement massacrés. Un jour ils se saisirent d’un noble écossais,
vaillant homme d’armes ; ils le coiffèrent d’un bassinet brûlant, et le
firent mourir. Une autre fois ils s’emparèrent d’un prêtre, auquel ils
coupèrent les doigts des mains ; ils lui enlevèrent ensuite la peau d’une
partie de la tête, et le jetèrent dans les flammes. Plus tard, un hospitalier
qu’ils rencontrèrent fut pris, pendu à un arbre, et tué à coups de glaives et
de flèches. Il serait impossible de raconter toutes les atrocités dont ils se
rendaient coupables. Le duc de Berri se mit en campagne contre eux avec une
foule de nobles et de gens de guerre. Il connut bientôt les lieux qui
servaient de retraite à ces hommes féroces et tomba sur eux à l’improviste ;
la résistance ne fut pas longue ; beaucoup furent tués, et tous les
prisonniers furent aussitôt pendus. Ceux qui avaient échappé à la mort par la
fuite rentrèrent dans leurs maisons et se livrèrent à leurs premières
occupations ; on leur pardonna[2]. Cette expédition du duc de
Berri avait tellement affermi l’autorité des oncles du roi, qu’ils purent
rétablir le plus odieux des abus, le changement de la monnaie. Toutes les
anciennes monnaies furent déclarées hors de cours, à l’exception de celles de
Charles V. Quelques
jours après son mariage, le roi, auquel l’intérieur ne causait plus
d’inquiétude, entra en Flandre, conduisant l’armée féodale au siège de Dam,
que les habitants de Bruges avaient inutilement essayé de reprendre sur Frank
Ackerman. Le roi arriva le 1 er août sous les murs de cette ville, où les
milices d’Ypres, de Bruges et de toutes les bonnes villes de Flandre,
s’empressèrent de rejoindre l’armée française. Frank Ackerman, renfermé dans
la ville, s’y défendit avec sa valeur accoutumée. Chaque jour les Français
livraient des assauts où grand nombre des leurs trouvaient la mort. Dans un
de ces assauts, Guillaume de Hainaut fut armé chevalier de la main du roi, et
ce jour-là le nouveau chevalier se fit admirer par son bouillant courage.
Mais les Français eurent encore à regretter la perte de braves guerriers ;
car les archers anglais et l’artillerie de la place causaient de grands
désastres aux assaillants. Pendant ce siège meurtrier, quelques bourgeois des
plus notables de l’Écluse, gagnés par ceux de Gand et par les Anglais, se
rendirent coupables d’une infâme trahison. Ils s’étaient engagés à livrer
leur ville aux ennemis du roi, après avoir égorgé dans leurs lits le
capitaine et ses gens. Ils devaient incendier tous les vaisseaux qui étaient
à l’ancre, et ouvrir les digues de la mer pour inonder le camp. Mais un sage
bourgeois sut ce criminel projet ; il alla trouver le capitaine, lui raconta
ce qu’il avait appris, et lui donna les noms d’une grande partie des
conjurés. Le capitaine se fit aussitôt accompagner de cinquante lances,
courut s’emparer des Irai très dans leurs maisons, et les fit conduire sous
bonne garde en prison. Ensuite il alla au plus vite informer le roi et le duc
de Bourgogne de tout ce qui s’était passé. Il lui fut ordonné de retourner à
l’Écluse et de faire décapiter les coupables, afin que leur supplice servît
d’exemple à ceux qui seraient tentés de les imiter : ce qui fut aussitôt
exécuté. Cependant
le roi, qui ne voulait pas retourner à Paris sans s’être rendu maître de Dam,
en poursuivait le siège avec ardeur, malgré les nombreuses difficultés qu’il
rencontrait ; le pays était marécageux et malsain ; les larges fossés qui
entouraient la ville étaient remplis d’eau fangeuse, et s’il eût fait un
temps pluvieux, l’armée eût été forcée de se retirer. Par bonheur, pendant le
mois entier que dura le siège, il ne tomba point d’eau, et les troupes
avaient des vivres en abondance. Mais les chevaux mouraient par milliers, et
leurs corps infectaient le camp. Beaucoup de chevaliers et d’écuyers étaient
malades et mécontents de cette manière de faire la guerre ; plusieurs se
retiraient à Bruges et dans les villes voisines pour éviter le mauvais air ;
le roi lui-même abandonna ses tentes, qui étaient dressées non loin de Dam,
et alla se loger à Mâle. Malgré tous ces inconvénients, la ville ne pouvait
résister longtemps contre la nombreuse armée du roi. Frank Ackerman, après
une belle résistance, ne voyant point arriver les secours que les Gantois
avaient fait demander à l’Angleterre, et craignant d’être livré au roi de
France par les habitants, évacua Dam pendant la nuit et retourna à Gand avec
toute sa troupe. Au point du jour les habitants apprirent qu’ils avaient été
abandonnés par les Gantois et se livrèrent au désespoir. Un grand nombre
d’entre eux, voyant la porte ouverte, se mirent à fuir pour échapper à la
vengeance des Français. Quand la nouvelle s’en fut répandue dans le camp, les
Bretons et les Bourguignons montèrent sur leurs chevaux, et poursuivirent les
fuyards jusqu’à deux lieues de Gand. Beaucoup furent tués, et plus de cinq
cents furent faits prisonniers. Il y avait peu de Gantois parmi eux. Pendant
ce temps-là, les Français entraient dans la ville, qu’ils saccageaient et
réduisaient en cendres, malgré les ordres du roi et du duc de Bourgogne[3]. Les
Français, maîtres de Dam, envahirent tout le pays à l’entour, qui passait
pour favorable aux Gantois. Ce pays, nommé les Quatre-Métiers, était le plus
riche de Flandre ; on y trouvait d’excellents pâturages et des vivres en
abondance. Malgré la résistance des habitants, il fut horriblement dévasté.
Les Français détruisirent les tours, les monastères et les forts ; ils n’y
laissèrent pas une maison debout. Les femmes et les enfants, qui n’eurent pas
le temps de se sauver dans les bois, furent tous massacrés sans pitié.
Vingt-quatre des plus riches habitants furent épargnés, parce qu’on espérait
en tirer de bonnes rançons ; le roi les fit prendre, et voulut les faire
mettre à mort. En ce moment, les princes et les seigneurs qui l’entouraient
le supplièrent de leur pardonner et de se contenter de leur soumission. Mais
l’un d’eux, vieillard d’une haute stature et dont le visage respirait une
mâle fierté, répondit, au nom de tous ses compagnons d’infortune, que le roi
pourrait bien soumettre les corps des plus braves hommes du monde, mais
jamais leurs âmes, et que, quand il ferait mourir tous les Flamands, leurs
ossements desséchés se relèveraient et s’assembleraient encore contre les
Français. Ces hommes intrépides persistèrent à ne pas vouloir se déclarer sujets
du roi, qui ordonna de les décapiter. Alors, sur les vingt-quatre, il y en
eut un assez misérable pour offrir, si on lui faisait grâce, de servir de
bourreau à ses compagnons, parmi lesquels il comptait de proches parents. Son
infâme service fut accepté ; mais hâtons-nous d’ajouter que ce lâche assassin
ne jouit pas du bénéfice de son crime. Le roi, justement indigné, ne lui tint
pas parole, et le fit tuer après les autres. Au lieu
de faire le siège de Gand, le roi congédia l'armée, qui était fatiguée, et
revint à Paris, sans abandonner toutefois le dessein qu’il avait formé de
passer en Angleterre. De son côté, le duc de Bourgogne, sur lequel l'héroïque
résistance du pays des Quatre-Métiers avait produit une vive impression, était
disposé à renoncera sa vengeance contre cette redoutable cité, qui bravait
depuis cinq ans toutes les forces de la France, et qui d’ailleurs paraissait
se fatiguer chaque jour davantage d’une guerre funeste à son commerce et à
celui de toute la Flandre. Le duc négocia donc secrètement avec les chefs des
Gantois, et à force de promesses et de concessions, il parvint à conclure une
paix honorable pour eux. Toutes les offenses furent pardonnées ; des chartes
que le duc jura, confirmèrent les libertés et les privilèges de Gand et des
autres villes. Les prisonniers furent délivrés, les bannis rappelés et remis
en possession de leurs biens. Les Gantois jurèrent ensuite fidélité à
Philippe-le-Hardi, et les peines les plus sévères furent décrétées contre
quiconque, de l’un et de l’autre parti, oserait violer la paix, qui fut
aussitôt publiée (18 décembre 1385). Pierre
du Bois n’osa pas se fier à cette paix, que les habitants de Gand reçurent
avec la plus vive allégresse, et après avoir fait ses adieux à Frank
Ackerman, qu’il avait inutilement sollicité d’abandonner la Flandre, il se
réfugia en Angleterre, où Richard II et ses oncles le comblèrent de richesses
et d’honneurs. Ackerman ne tarda pas à comprendre qu’il avait eu grand tort
de mépriser les sages conseils de son ami. Le bailli de Gand, jaloux du
respect qu’on lui témoignait dans toutes les occasions, lui ordonna de
renoncer au cortège de serviteurs armés qui l’entouraient lorsqu’il se
montrait en public. Quelques mois après, il fut assassiné par un bâtard du
sire de Herzele, qui avait trouvé la mort au combat de Nevèle, abandonné,
disait-on, par Ackerman. Le meurtrier se retira paisiblement et ne fut pas
puni. Après
la pacification de la Flandre, le jeune Charles VI, excité par les discours
du connétable de Clisson et par les succès qu’avait obtenus l’amiral Jean de
Vienne, réuni aux Ecossais, résolut de faire une descente en Angleterre avec
un appareil redoutable, et d’entreprendre la conquête de ce pays. Les
circonstances semblaient favoriser ce projet : le duc de Lancastre, qui
passait pour le plus habile des capitaines anglais, envahissait alors la
Castille, notre fidèle alliée, pour revendiquer une couronne sur laquelle il
prétendait avoir des droits. Les autres oncles de Richard II n’étaient
occupés qu’à disputer l’autorité aux ministres et aux favoris du monarque, et
les dissensions intestines déchiraient ce royaume, qui avait donné souvent
des secours aux rebelles Gantois. Charles, sans expérience, s’abandonnait
d’ailleurs au désir d’aller attaquer l’ennemi dans ses propres foyers, et
d’être le premier des rois qui eût porté en Angleterre ses armes
victorieuses. L’effort fut grand et digne du but. Les revenus ordinaires ne
suffisant pas, de nouveaux impôts, plus forts qu’on n’en avait exigé depuis
cent ans, furent mis sur toutes sortes de personnes, sur les cités, sur les
bonnes villes et sur toute la campagne. Beaucoup étaient taxés au tiers ou au
quart de leur avoir ; plusieurs payaient même plus qu’ils n’avaient vaillant.
On emprunta en outre de fortes sommes aux prélats et aux églises. Cette
nouvelle taille fut cause qu’un grand nombre de familles abandonnèrent leurs
maisons et leur patrie, et allèrent jouir des douceurs de la paix et de la
liberté dans des régions plus heureuses. Les
comtes de Savoie et d’Armagnac, le dauphin d’Auvergne, les seigneurs les plus
éloignés et tous les princes de l’Allemagne, alliés de la France, furent
convoqués pour cette grande expédition. On rassembla tout ce qu’on put
acheter et louer de vaisseaux sur toute la côte de la mer, depuis Cadix
jusqu’à la Prusse. Jamais, dit Froissart, depuis la création du monde, autant
de vaisseaux ne s’étaient vus réunis. Au mois de septembre, on en comptait
déjà douze cent quatre-vingt-sept au havre de l’Écluse et sur la mer, entre
l’Écluse et Blakenberghe. Tous les mâts semblaient former une vaste forêt au
milieu des eaux. Parmi ces vaisseaux, il y en avait neuf cents à deux voiles,
et de plus grands encore pour embarquer 50.000 chevaux, les munitions et
l’artillerie. Le connétable, envoyé par le roi en Bretagne, assemblait une
autre flotte à Tréguier. Mais la merveille de l’expédition, c’était une ville
de bois qu’il faisait construire au même endroit, par les plus habiles
charpentiers et architectes. Cette ville, de trois mille pas de diamètre, munie
de tours et de retranchements, était capable de contenir la nombreuse armée
qui devait suivre le roi, soit au dedans de ses murs, soit dans ses dehors,
où l’on pouvait dresser un camp protégé par l’artillerie de la place. Les
pièces qui la composaient, chargées sur soixante-douze vaisseaux, se
démontaient et remontaient à volonté, et devaient être rassemblées à la
descente. Quel que fut l’événement des batailles, cette machine monstrueuse,
qui n’avait à craindre que le feu, assurait aux Français le plus sûr résultat
du débarquement ; elle mettait l’armée à l’abri des attaques imprévues, et en
lui fournissant une retraite assurée, elle lui laissait choisir l’occasion
favorable pour combattre ou pour conquérir. Les seigneurs rivalisaient de
zèle dans l’ornement de leurs vaisseaux. Quelques-uns d'entre eux firent
venir des peintres qui obtenaient sans nulle difficulté le prix élevé qu’ils
demandaient ; malgré cela, on n’en pouvait trouver assez. On ne voyait donc
que sculptures et peintures ; les proues et les mâts étaient enrichis d’or et
d'argent ; tout était blasonné et couvert d’armoiries ; de magnifiques
bannières et de riches banderoles flottaient au gré des vents, et se mêlaient
aux voiles distinguées par les couleurs différentes de chaque chevalier. Le
sire de la Trémoille avait, disait-on, dépensé deux mille francs d’or, pour
décorer le vaisseau qui lui était destiné. Le peuple ne voyait pas sans
regrets cette magnificence qui lui coûtait si cher, cette espèce de défi jeté
à sa misère ; mais quelquefois il était consolé par l’espoir que ces barons
et ces chevaliers rendraient bientôt aux Anglais les maux qu’ils avaient si
souvent accumulés sur la France. Cependant, depuis trois mois, des gens
d’armes arrivaient de toutes parts et remplissaient les villes de Flandre,
d’Artois et de Picardie. On y compta bientôt 20.000 chevaliers, 20.000
arbalétriers génois et autres, 20.000 fantassins, et une multitude de valets
d’armée et d’aventuriers ; jamais l’Europe féodale n’avait vu d’armement
aussi formidable. Partout on faisait d’amples provisions de vin, de biscuit,
de farine, de blé, d’orge, de graisse et de viandes salées ; on n’épargnait
pas plus l’argent que s’il fut tombé des nues, ou qu’on l’eût puisé dans la
mer, pour se procurer les munitions de guerre et de bouche. Il semblait qu’on
voulait aller former quelque grande colonie au loin[4]. Au
bruit de cet armement formidable, la terreur devint universelle en
Angleterre. Beaucoup de bourgeois de Londres se retirèrent dans le nord.
Partout on implora le Ciel, afin qu’il détournât cette tempête dont le pays
était menacé ; des processions solennelles eurent lieu trois fois par
semaines dans les bonnes villes et les cités ; le chevalier de Burg proposa
de faire transporter à Londres le corps de saint Thomas de Cantorbéry, auquel
on croyait attaché le destin du royaume. Parmi les Anglais, il s’en trouvait
cependant qui désiraient vivement l’arrivée des ennemis, et qui cherchaient à
rassurer leurs timides compagnons. « Laissez venir ces Français, leur
disaient-ils ; par Dieu, il n'en retournera pas un en France. » Ceux qui
avaient des dettes et qui ne voulaient pas les payer, ou qui se trouvaient
dans l’impossibilité de le faire, ne dissimulaient point leur joie. Ils
répondaient à ceux qui leur demandaient de l’argent : « Taisez-vous, on
fabrique en France les florins qui doivent vous payer. » Dans cette idée, ils
vivaient au milieu de l’abondance et dépensaient largement ; on ne leur
refusait point de crédit. Quand on leur reprochait leur manière de vivre : «
Que nous demandez-vous ? disaient-ils, il vaut encore mieux que nous
dépensions les biens du pays, que de les voir tomber entre les mains des
Français. » Mais la première terreur s’évanouit bientôt. Sur l’ordre du
roi et de son parlement, le peuple se leva en armes dans tous les comtés ; on
occupa toutes les positions les plus favorables ; on réunit des vaisseaux de
toutes parts avec une diligence incroyable, et Richard comte d’Arundel reçut
le commandement de la flotte, avec des instructions pour éviter un engagement
général et pour détruire les navires ennemis, dès que le débarquement serait
effectué. Cent mille hommes aguerris se trouvèrent bientôt sous les armes, et
des gardes placés de distance en distance sur les lieux élevés et les côtes
qui regardaient la Flandre et la France, furent chargés de prévenir par de
grands feux de l’approche de la flotte française, pour faire soulever tout le
pays. En même temps cinq cents hommes d’armes allèrent renforcer la garnison
de Calais. Pendant
qu’en Angleterre ces dispositions étaient prises contre les ennemis, Charles
VI quittait Paris, après avoir fait célébrer le mariage ou plutôt les
fiançailles de son unique sœur, alors âgée de dix ans, avec le comte de
Montpensier, seul fils du duc de Berri. Il avait nommé régent du royaume,
pendant son absence, le duc de Touraine, son frère, qui, à cause de son
extrême jeunesse, ne devait rien ordonner que de concert avec le conseil. Il avait
entendu une messe à Notre-Dame pour le succès de ses armes, puis s’était
rendu à Saint-Denis, pour y déposer ses offrandes et demander l’oriflamme (5 août 1386). Le duc de Berri, en se
séparant de son neveu, lui avait promis de le suivre de près ; il était
ensuite allé dans son apanage pour se mettre à la tête des troupes qui
devaient grossir la grande armée. Le roi s’arrêta dans les principales villes
de la Picardie, et partout il fut reçu avec la joie la plus vive. Il se
réunit au duc de Bourgogne à Arras, où il lit la revue de ses troupes. À
l’Écluse il laissa éclater sa joie à la vue de tant de superbes préparatifs,
qui flattaient son ambition et son courage. La
satisfaction des barons et des chevaliers n’était pas moins vive. Ils
montraient autant d’impatience que s’ils avaient dû marcher à une conquête
assurée. « Nous allons, disaient-ils, contre ces maudits Anglais, qui ont
fait tant de maux et de persécutions en France. A ce coup, nous aurons
vengeance de nos pères, de nos frères et de nos amis, qu’ils ont mis à mort.
» Cette ardeur guerrière animait tous les hommes d’armes, qui arrivaient de
toutes les parties de la France. Ils étaient en si grand nombre, que, dans
les lieux où ils passaient, la contrée était mangée et perdue. Les
Anglais, s’ils étaient entrés en France, n’auraient pas commis de plus cruels
ravages, n’auraient point laissé derrière eux une plus affreuse solitude ;
car, aux laboureurs, qui avaient recueilli et serré leurs grains, ils ne
laissaient que la paille, et si les infortunés faisaient entendre des
plaintes, ils étaient battus ou tués ; les viviers étaient pêchés, et les
maisons abattues pour faire du feu. « Nous n’avons point d’argent maintenant,
disaient ils, mais nous en aurons au retour et nous vous paierons. » Les
pauvres gens, qui se voyaient tout dérober, n’osaient parler ; ils se
contentaient de les maudire entre leurs dents et disaient tout bas : « Or,
allez en Angleterre, et puisse-t-il n’en pas revenir un ! » Parmi
les barons et les chevaliers qui avaient devancé le roi à l’Écluse, un grand
nombre s’étaient logés à Bruges ou dans les environs, en attendant le moment
du départ. Tous les jours, quelques-uns d’entre eux venaient à l’Écluse
trouver le roi, pour savoir quand on s’embarquerait : « Dans trois ou quatre
jours, leur disait-on, ou quand monseigneur de Berri sera arrivé, ou quand
nous aurons un vent favorable. » Ou trouvait toujours quelque prétexte pour
retarder, et toujours la saison avançait. Le temps, qui avait été beau et
calme tout l’été, devenait froid et mauvais aux approches de l’automne ; les
nuits étaient plus longues. Cependant le duc de Berri, attendu avec tant
d’impatience, n'arrivait pas ; ce prince, de retour à Paris, s’y occupait de
mille choses inutiles ; lettres, messages du roi et des princes, rien ne
pouvait lui faire hâter son départ. Ces délais paraissaient si peu fondés,
que les uns l’accusaient de vouloir s’opposer à l’expédition, parce qu’il ne
l’avait pas conseillée, et parce que le duc de Bourgogne seul devait en tirer
quelque avantage ; les autres disaient qu’il était vendu à l'Angleterre. Mais
les gens sensés croyaient qu’il agissait ainsi parce qu’il avait pénétré tous
les dangers que présentait l’expédition ; qu’il voulait empêcher qu’en
transportant le roi et toutes les forces du royaume sur une terre étrangère,
on ne plongeât la France dans un abîme de malheurs. Pendant
le temps que le roi demeura dans l’inaction à l’Écluse, le désordre
s’introduisit dans cette nombreuse armée. Les vivres coûtaient cher ; les
chevaliers payaient quatre francs ce qui n’en valait qu’un, et bientôt
l’argent leur manqua. Ils ne touchaient pas un denier de leur solde, tandis
que les grands seigneurs se faisaient payer exactement de leurs gages par les
trésoriers des guerres. Lorsqu’ils parvenaient à toucher une faible partie de
ce qui leur était dû, ils abandonnaient l’armée et s’en retournaient chez
eux. Tout le monde murmurait contre le duc de Berri, et le soldat, livré à la
licence, dévastait les provinces de Picardie et de Flandre, qui essuyaient
ainsi les horreurs de la guerre préparée contre les Anglais. Cette conduite
indignait surtout les Flamands, qui n’avaient point encore oublié la funeste
bataille de Roosebeke et les cruautés des Français. Dans tous leurs discours
ils laissaient voir la haine qui les animait. « Pourquoi, disaient les
bourgeois et principalement les gens de métiers, pourquoi ce roi ne se
hâte-t-il pas de partir pour l’Angleterre ? Pourquoi foule-t-il si longtemps
notre pays ? Ne sommes-nous pas assez pauvres, pour que les Français viennent
encore nous appauvrir ? Vous ne les verrez passer en Angleterre de cette
année. Ils pensent qu’ils se rendront promptement maîtres de ce pays, mais
ils se trompent. L’Angleterre n’est pas contrée si facile à conquérir. Les
Anglais, ajoutaient-ils encore, sont d’autre condition que les Français. Que
feront-ils en Angleterre ? Quand les Anglais ont envahi leur pays, les
Français se renfermaient dans leurs châteaux forts et dans leurs bonnes
villes ; ils fuyaient devant l’ennemi, comme l’alouette fuit devant
l’épervier. « C’était surtout à Bruges, qui avait plus à souffrir que les
autres villes, qu’éclataient ces violents murmures, et une révolte générale
était à craindre. Déjà les gens de métiers prenaient les armes et se
rendaient sur la place du Grand-Marché, où ils devaient se réunir ; et il ne
serait pas rentré un baron, un chevalier, ni un écuyer en France. Par bonheur
pour les Français, le sire de Ghistelles se trouvait alors à Bruges. Quand il
sut que le peuple s’armait, il comprit que c’était pour tout perdre, et sans
remède. Il monta à cheval, avec cinq ou six de ses hommes, se mit à parcourir
les rues, et s’adressant à tous ceux qu’il rencontrait armés ou se dirigeant
vers le Grand-Marché : « Bonnes gens, leur disait-il, où allez-vous ? Vous
voulez vous perdre. N’avez-vous pas assez guerroyé ? Et n'êtes-vous pas
encore tous les jours empêchés de gagner votre pain ? Retournez dans vos
maisons, car vous pourriez exposer Bruges à une entière destruction. Ne
savez-vous pas que le roi et toutes les forces de la France occupent ce pays
? » Le sire de Ghistelles parvint à les calmer par ses douces paroles et par
ses sages conseils : ils lui obéirent, et rentrèrent dans leurs maisons[5]. Au
milieu de ces difficultés, on apprit que le duc de Berri avait quitté Paris,
et qu’il s’avançait à petites journées. De son côté, le connétable s’était
mis en mer avec une flotte de soixante-douze vaisseaux, après avoir chargé la
ville de bois sur les plus grands bâtiments. Mais alors on éprouva combien il
est important, dans une guerre, de choisir les occasions favorables. Le
temps, qui avait été beau et calme pendant trois mois, changea tout à coup.
Il s’éleva une tempête affreuse, qui dispersa sa flotte pendant son voyage de
Tréguier à Sluys. Sept de ses vaisseaux, qui portaient des munitions de toute
espèce, furent jetés sur les côtes de la Zélande, et trois autres, chargés
des débris de l’énorme forteresse, furent transportés par l’ouragan jusque dans
la Tamise, et tombèrent avec les charpentiers au pouvoir des Anglais. Le
connétable parut quelques jours après en face de l’Écluse, avec les débris de
sa flotte, qu’il était parvenu à rallier. Le duc
de Berri ne rejoignit l’armée que le 14 octobre. « Ah ! ah ! bel oncle, dit
le jeune roi en le voyant, je vous ai si ardemment désiré, et vous avez mis
tant de lenteur à venir. Pourquoi avez-vous tant tardé ? Nous devrions être
déjà en Angleterre et avoir combattu nos ennemis. « Le duc, peu soucieux des
reproches du jeune roi, ne fit qu’en rire, excusa son retard par de frivoles
raisons, et ne dit pas tout ce qu’il pensait. Il examina cependant tous les
préparatifs, ce qui fit croire à l'embarquement ; et chaque jour on disait :
« Nous partirons demain. » Mais le duc voyait avec plaisir que tout
concourait à rompre une entreprise qu’il avait désapprouvée. En effet, le
vent, devenu contraire, et soufflant quelquefois avec fureur dans le port
même, rompant les câbles, dispersa et engloutit quelques navires. A la
tempête, succédèrent des pluies continuelles, des orages terribles qui
déracinaient les arbres, renversaient les tentes et les maisons. Alors, sans
écouter l’impatience des chevaliers et de quelques jeunes princes du sang
royal, qui s’étaient placés en tête de la flotte pour aborder des premiers en
Angleterre, il représenta, au bout d’une semaine, que la saison était trop
avancée, et que ce serait une folie de tenter la mer au milieu des tempêtes,
d’exposer le roi et toutes les forces de la France à une ruine presque
certaine. Il fut décidé, par le conseil, que les hommes d’armes seraient
renvoyés dans leurs foyers, que le roi retournerait à Paris, et que
l’entreprise serait remise au mois d’avril ou de mai de l’année suivante.
Ainsi fut rompu le projet de descente en Angleterre, qui coûta au royaume de
France trente fois 100.000 francs d’or[6]. « L’Océan garda encore
cette fois son ile, comme il l’a fait contre Philippe II, contre Bonaparte[7]. » Il
serait difficile d’exprimer le mécontentement des chevaliers et des grands
seigneurs, à la nouvelle de la résolution du conseil. Un grand nombre d’entre
eux, et particulièrement ceux des parties les plus éloignées de la France, le
comte de Savoie, le comte d’Armagnac, avaient éprouvé les fatigues d’une
longue route et avaient dépensé d’énormes sommes, et ils se voyaient obligés
départir sans avoir vu l’Angleterre, ce pays dont les riches dépouilles
devaient largement les indemniser. Ils laissèrent leurs officiers pour vendre
les provisions qu’ils avaient amassées à grands frais ; mais la vente en fut
difficile, car les objets qui avaient coûté cent francs se donnaient pour
dix, et quelquefois à plus vil prix encore. Le Dauphin d’Auvergne, qui avait
dépensé 10.000 francs en provisions, n’en retira pas mille. Les soldats, qui
n’avaient pas reçu leur solde, s’en retournèrent, selon la coutume, en
laissant partout des traces de leurs dévastations. Lorsqu’ils apprirent
l’issue d’une expédition qui leur avait inspiré tant d’alarmes, les Anglais
se livrèrent dans Londres à une joie immodérée, et célébrèrent leur
délivrance par des fêtes de plusieurs jours. Enfin, dès qu’il fut possible de
tenir la mer, l’amiral, comte d'Arundel, à la tête de son escadre, vint
assaillir le reste de la flotte qui se trouvait encore dans le port de
l’Écluse, brûla un grand nombre de ces navires si richement décorés, et prit
quelques vaisseaux de charge, où il trouva 2.000 tonneaux de vin. La belle
ville de bois, qui n’était plus entière, fut laissée par le roi au duc de
Bourgogne, qui voulait la faire dresser auprès de l’Ecluse, pour en être
comme la citadelle : autre projet non moins frivole, et qui ne reçut point
non plus d’exécution. Tandis
que la France était si cruellement pressurée, Charles-le-Mauvais, roi de
Navarre, prince du sang, gendre de Jean-le-Bon et aïeul du roi, descendait
dans la tombe. La mort de ce prince, que ses ténébreuses infamies et les maux
qu’il avait causés en France, avaient rendu généralement odieux dans ce pays,
a été diversement racontée. Une lettre que l’évêque d’Acs écrivit à la reine
douairière sa sœur, nous dit qu’il était tombé malade dès le 17 septembre, et
qu’après avoir détesté ses fautes et s’être préparé à la mort en prince
chrétien, il avait cessé de vivre le 1er janvier (1387). D’autres ont prétendu, et
c’est l’opinion la plus suivie, que, pour ranimer ses forces épuisées par la
débauche et par la vieillesse, il avait coutume, d’après le conseil de ses
médecins, de s’envelopper de draps imprégnés d’esprit-devin et cousus sur
tout son corps ; qu’une nuit, l’officier chargé de ce soin, au lieu de rompre
le fil quand il eut fini, approcha imprudemment un flambeau pour le brûler ;
que le feu se communiqua du fil au drap qui fut bientôt enflammé, et que le
roi Charles, dévoré par les flammes, sans qu’on pût lui porter remède, expira
au bout de trois jours, dans les plus cruelles souffrances et en poussant
d’horribles cris. Cette mort épouvantable fut regardée comme une punition
divine. En
licenciant la grande armée de l’Écluse, le roi et les princes n’avaient pas
résolu pour cela de cesser la guerre contre les Anglais ; il fut donc arrêté
qu’un corps considérable de troupes françaises passerait les Pyrénées, sous
les ordres du duc de Bourbon et des sires de Lignac et de Passac, pour aller
au secours du roi de Castille contre le duc de Lancastre. Ce prince, qu’une
flotte magnifiquement équipée avait débarqué avec 20.000 hommes sur les côtes
de la Corogne, avait fait la conquête de la Galice et était entré en
triomphateur dans le royaume de Portugal. Accueilli avec transport par le
souverain de cette contrée, le duc lui avait accordé la main de Philippa, sa
fille aînée. Au printemps il pénétra dans le royaume de Léon avec le roi de
Portugal ; mais les succès des armes anglaises ne devaient durer qu’une
saison ; le climat brûlant et aride détruisit ses troupes, et le roi de
Castille, à la tête d’une puissante armée, laissa le temps et la disette
consumer insensiblement son ennemi, et reprit toutes les villes conquises.
Bourbon, quoique sage et habile, perdit beaucoup de temps à faire ses
préparatifs ; il s’arrêta un mois dans Avignon, afin de concerter avec le
pape les moyens de reconquérir le royaume de Naples pour la reine de Sicile.
Après avoir reconnu l’impossibilité de ce projet, il passa les Pyrénées,
descendit en Espagne, et fut reçu avec joie et reconnaissance par le roi de
Castille. Mais déjà les hostilités languissaient par suite des pertes des
Anglais et de la maladie dangereuse qui retenait le duc de Lancastre à
Saint-Jacques-de-Compostelle. D’ailleurs les deux partis désiraient la paix ;
aussi Bourbon prit bientôt congé de son allié. De l’argent nécessaire à la
solde des troupes et de tous les présents magnifiques que lui envoya le roi,
il n’accepta que quelques chevaux, quelques mulets et des chiens de chasse.
Cette expédition ne fut cependant pas sans résultats : elle étendit
l’influence française dans l’Aragon et la Navarre, dont les rois reconnurent
avec la France pour souverain pontife le pape d’Avignon. Le duc de Lancastre,
revenu de ses ambitieuses espérances et forcé de faire la paix, se rembarqua
avec les débris de ses troupes et rentra en Guyenne. Comme
le temps de la campagne approchait, le roi et les princes tinrent un grand
conseil sur ses opérations. On abandonna le projet de conquête de
l’Angleterre ; mais pour faire expier aux orgueilleux insulaires les malheurs
qu’ils avaient tant de fois causés à la France, on résolut de jeter dans leur
île 6.000 hommes d’armes, 2.000 arbalétriers et 6.000 soldats armés à la
légère. Deux flottes s’assemblèrent donc : l’une à Harfleur, sous les ordres
de l’amiral Jean de Vienne, du comte de Saint-Pol et du sire de Couci ;
l’autre, sous le connétable de Clisson. Les discordes qui déchiraient alors
l’Angleterre semblaient offrir une occasion favorable à cette nouvelle
expédition ; aussi le connétable pressait-il les deux armements avec toute
l’activité dont il était capable. Mais un événement inattendu fit encore
manquer l’entreprise projetée, et protégea une seconde fois les Anglais
contre les coups de leurs ennemis. Le duc de Bretagne, Jean de Montfort,
nourrissait contre Olivier de Clisson une vieille haine que de nouveaux
motifs rendaient chaque jour plus implacable. Faible au point d’être
importuné de la réputation du grand capitaine, il le voyait avec peine chargé
de la nouvelle commission qu’il exerçait à Tréguier, et supportait
impatiemment la nécessité de lui obéir. Les alliances que le connétable avait
dans la Bretagne par sa femme, par sa fille et par ses sœurs, le rendaient si
puissant dans ce pays, que le duc voyait moins en lui un vassal qu’un rival
capable de balancer son autorité, surtout depuis qu’il était revêtu de la
première dignité de la couronne. Afin qu’il ne manquât rien au ressentiment
du duc, Olivier de Clisson avait racheté des mains des Anglais, pour la somme
de 120.000 livres, qui équivalaient à plus d’un million de notre monnaie
d'aujourd'hui, le fils aîné de Charles de Blois, retenu captif depuis
trente-trois ans dans la tour de Londres. Le prince, reconnaissant de ce
service signalé, avait épousé la fille de son libérateur. Le duc n’avait
laissé échapper aucune de ces circonstances. Il crut voir déjà le comte Jean
de Penthièvre, soutenu du connétable son beau-père, s’efforçant de réveiller
la guerre civile en Bretagne, de lui arracher la couronne ducale, et de le
réduire encore une fois à fuir avec sa famille de contrée en contrée, exposé
à tous les malheurs qu’il avait surmontés avec tant de peine. Bientôt la
fureur succéda à ces réflexions inquiètes, et il jura de perdre, à quelque
prix que ce fût, le connétable, dans lequel il ne voyait plus qu’un ennemi
déclaré. Déjà
les préparatifs confiés à l’activité d’Olivier de Clisson étaient achevés, et
les troupes à la veille de s’embarquer, lorsque Jean de Montfort convoqua ses
états à Vannes, non loin de laquelle il faisait élever le grand et beau
château de l’Hermine pour en être la citadelle, et pour lui servir à lui-même
de maison de plaisance. Il fit aussi venir un corps de ses meilleures
troupes, dans l’intention de faire arrêter le connétable. En proie aux
passions qui troublaient sa raison et son jugement, peu d’accord avec
lui-même, il ne savait s’il le ferait périr ou s’il livrerait aux Anglais
leur plus mortel ennemi, afin de les rattacher plus étroitement à ses
intérêts, qu’ils semblaient abandonner. Les barons de Bretagne vinrent en
grand nombre au parlement ; sur une invitation affectueuse, Clisson s’y
rendit aussi avec ses amis. On n’y parla que des choses qui concernaient le
duc et le pays, et on garda le silence sur l’entreprise préparée contre les
Anglais. Le parlement dissous, le duc donna un repas magnifique aux seigneurs
qui y avaient assisté. Reçu avec les façons les plus aimables, le connétable,
si grave et si sérieux à la tête des armées, s’abandonna volontiers à la joie
la plus franche. A son tour, il les pria d’accepter une fête le lendemain. La
plus grande partie des barons y assistèrent ; vers la fin du repas, les
convives furent agréablement surpris par l’arrivée imprévue du duc. A son
entrée, tous se levèrent en s’écriant : « Voici Monseigneur ! » et lui
firent l’accueil qui convenait à son rang. Il s’assit au milieu d’eux, et
montra cette gaieté qui sait faire naître la confiance. Il mangea, et voulut
boire dans la même coupe que le connétable. « Beaux seigneurs, mes amis et
mes compagnons, leur dit-il ensuite, que Dieu vous accorde un heureux voyage
et un heureux retour ! Que le succès accompagne vos armes ! — Dieu puisse
vous le rendre, Monseigneur, » répondirent-ils. Et comme ils allaient se
séparer, le duc engagea Clisson à venir voir le château de l’Hermine. Le
connétable monta donc à cheval avec le sire de Laval, son beau-frère,
Beaumanoir et quelques autres chevaliers. Clisson et Laval arrivèrent les
premiers ; Beaumanoir était resté en arrière. Le duc
promena le connétable de chambre en chambre, lui faisant tout voir, et
demandant son avis sur les distributions ; ils burent ensemble dans le
cellier. Parvenus à l’entrée de la grosse tour, le duc feignit d’être las,
s’arrêta à causer avec Laval, et invita le connétable à y monter seul.
Clisson monta l’escalier sans défiance ; mais à peine eut-il franchi le
premier étage, que la porte se ferma brusquement, et que des soldats apostés
se jetèrent sur lui et le chargèrent de fers. Ivonet, l’un d’eux, lui passa
une chaîne autour du cou et lui mit les fers aux pieds. On l’enferma ensuite
dans une des chambres de la tour, et en le quittant, un autre soldat, nommé
Bernard, lui jeta par pitié un manteau sur les épaules. Aussitôt que Laval
vit la porte de la tour fermée, et qu’il entendit le bruit qui accompagnait
les actes de violence commis sur le connétable, il soupçonna quelque
trahison. Il n’en douta plus lorsque tournant les yeux sur le duc il le vit
pâlir et se troubler. « Ah ! Monseigneur, s’écria-t-il, pour Dieu, merci, que
voulez-vous faire ? N’ayez aucun mauvais dessein contre mon beau-frère. —
Sire de Laval, montez à cheval, répondit le duc, et partez d’ici ; vous
pouvez quitter ces lieux, si vous voulez ; je sais ce que j’ai à faire. —
Monseigneur, répliqua le sire de Laval avec fermeté, jamais je ne partirai
sans mon beau-frère le connétable[8]. » Dans ce
moment, le sire de Beaumanoir, que le duc haïssait mortellement, arriva
rempli d’effroi : on venait de fermer toutes les portes de Vannes, et toutes
les troupes avaient pris les armes. Beaumanoir demanda aussi le connétable.
Dans un premier moment de fureur, le duc s’avança sur lui, le poignard à la
main : « Veux-tu être au point où est ton maître ? lui dit Montfort. —
Monseigneur, répond Beaumanoir, je crois que mon maître est bien. — Et
toutefois, reprend le duc, je te demande si tu veux être ainsi ? — Oui,
Monseigneur. — Or ça, s’écrie Montfort levant son poignard, puisque tu veux
être ainsi, il faut te crever un œil, tu seras borgne comme lui. » Cette
menace était d’autant plus odieuse, que le connétable avait perdu un œil en
combattant pour sa cause à la bataille d’Auray. « Monseigneur, lui dit
Beaumanoir en se jetant à ses genoux, il y a tant de bonté et de noblesse en
vous, que, s’il plaît à Dieu, vous nous rendrez justice, car nous sommes à
votre merci ; c’est à votre requête et à votre prière que nous sommes venus
ici en votre compagnie ; ne vous déshonorez pas pour accomplir le seul projet
que vous avez conçu ; il en serait trop grande nouvelle. » Un sentiment
d’honneur, plutôt que ces remontrances et ces prières, retenant le bras de
Montfort : « Va, va, répliqua-t-il, tu n’auras ni pis ni mieux que lui[9]. » Sur son ordre, des soldats
entraînèrent le sire de Beaumanoir, qui fut aussitôt jeté dans la tour,
chargé de fers comme le connétable. Le duc retourna ensuite dans son palais.
Laval le suivit, plein d’étonnement et de douleur, ne voulant pas le quitter
qu’il n’eût obtenu la liberté de l’illustre prisonnier. A la
nouvelle de ce qui s’était passé au château de l'Hermine, les seigneurs
furent émus et saisis d’indignation. Les plus audacieux voulaient tirer de
cruelles représailles de ce duc déloyal, de ce prince tout Anglais qui avait
osé se conduire d’une manière aussi infâme à l’égard du plus illustre des
barons de Bretagne, du plus fidèle serviteur du roi de France. Mais les moins
emportés, pleins de confiance dans la sagesse et l’éloquence du sire de
Laval, qui saurait bien remettre le duc dans la bonne voie, vinrent à bout de
calmer cette exaspération, dont les suites pouvaient être si funestes. Cependant
Olivier de Clisson, chargé de fers, plongé dans un humide cachot, n’avait
point d’espérance d’échapper à la mort. Par trois fois il fut délivré de ses
chaînes, et le duc lui fit mettre la tête sur le billot. Enfin il appela le
commandant du château, le sire de Bavalan, et lui ordonna qu’il fût mis dans
un sac et jeté cette nuit même dans la mer. Bavalan, avec cette respectueuse
liberté que donnent de longs services et un attachement inviolable à la
personne du prince, lui représente toute l’horreur de cette action et les
dangers dans lesquels elle pouvait le précipiter, et le conjure de renoncer à
ce dessein. Les conseils, les supplications, rien ne peut apaiser la fureur
de Montfort. Il réitère fièrement ses ordres, et ajoute que la tête de Bavalan
répondra de leur exécution. Ce dernier se retire en promettant d’obéir. Mais
averti par Bavalan, le sire de Laval vint se jeter aux genoux du duc, lui
rappela toute la vie du connétable ; c’était lui qui avait été des premiers à
le saluer duc de Bretagne, qui avait combattu avec tant de valeur pour
assurer le succès de sa cause ; il avait perdu un œil à son service, et dans
toutes les circonstances il lui avait montré une inviolable fidélité. Voyant
que tous ces souvenirs ne servaient qu'à donner de nouvelles forces à la
haine et aux résolutions du prince, Laval osa lui représenter l’infamie dont
il se couvrirait s’il assassinait le connétable ; qu’il n’y aurait en
Bretagne ni chevalier, ni écuyer, ni cité, ni château, ni bonnes villes, qui
ne le détestât à la mort, et qui ne voulût le chasser de son héritage. Il lui
rappela la dignité de Clisson, les bontés dont le roi l’entourait, et
l’assura que Charles VI tirerait une éclatante vengeance de la mort injuste
d’un si noble chevalier. Irrité de la liberté de ce discours, le duc lui
ordonna de se retirer, pensant que ces importunités cesseraient par la mort
du connétable. A
minuit, au moment où Bavalan devait exécuter ses ordres, Montfort tombe dans
une extrême agitation. Lorsqu’il croit sa vengeance satisfaite, les
prédictions sinistres de Laval et de Bavalan viennent le troubler. Il
envisage la foi violée, les amis et les parents du connétable se levant en
armes pour le venger ; un jeune roi furieux rassemble toutes les forces de
son royaume pour tirer raison d’un affront si sanglant. Il voit la Bretagne
livrée à toutes les horreurs de la guerre, les villes prises et incendiées,
lui-même fugitif et dépouillé ; sa femme et ses enfants, qu’il aimait
tendrement, dans les fers ou errants. Il était dans ce trouble affreux,
lorsque Bavalan entra dès le grand matin dans sa chambre. « Monseigneur, lui
dit-il, vous êtes obéi. — Quoi ! s’écria le duc, Clisson est mort ? — Oui,
Monseigneur, répondit Bavalan. Cette nuit, après l’avoir noyé, j’ai retiré
son corps de la mer pour l’inhumer dans un coin du château. — Ah ! s’écria le
duc, plût à Dieu, messire Jehan, que je vous eusse cru ! Plût à Dieu que vous
ne m’eussiez pas obéi ! Retirez-vous, et que je ne vous voie plus. » Bavalan
se retire aussitôt, et le laisse abandonné à son désespoir. Le duc, enfermé
seul, tourmenté par les remords et la crainte, refusait de prendre aucune
nourriture, ses convulsions étaient horribles. Vers le
soir, le sire de Bavalan revint ; il trouva le duc pâle et défiguré. A la vue
de ce désespoir, Bavalan se jette aux pieds du prince, et lui apprend que,
prévoyant sa douleur et les suites funestes de sa colère, il n’a pas cru
devoir exécuter l’ordre fatal, et que le connétable vit encore. Rappelé à la
vie par ces paroles, Montfort le relève précipitamment, l’embrasse, l’appelle
son ami, son fidèle serviteur, et récompense une si salutaire désobéissance
par un présent de 10.000 florins, pris sur son épargne. Bavalan avait rendu
le calme au duc de Bretagne ; mais il ne lui avait pas ôté la haine qu’il
avait au cœur contre Clisson. Il fit revenir le sire de Laval, et ne chercha
plus qu’à tirer le meilleur parti possible de la prison de son ennemi. Après
avoir exagéré tous les torts dont il accusait le connétable, il lui dit qu’à
sa considération il avait bien voulu faire grâce à Clisson, mais à condition
qu’il rachèterait sa vie et sa liberté par le paiement d’une rançon de
100.000 francs d’or, payables comptant, et par la remise de la ville de Jugon
et des trois châteaux de Blain, de Josselin et de Lamballe. Le sire de Laval
n’hésita point à tout promettre pour obtenir la délivrance de son beau-frère.
Il lui fut ensuite accordé de descendre dans la tour, où il trouva le
connétable garrotté par une triple chaîne. Clisson, qui se croyait perdu sans
ressource, accepta la liberté et la vie au prix fixé par le duc ; et
Beaumanoir, délivré de ses fers au moment où il attendait aussi la mort, fit
ouvrir les châteaux du connétable au duc, et lui apporta la rançon exigée,
qu’il avait recueillie en peu de jours. Le connétable sortit alors de prison,
et tandis qu’il était encore dans le trouble et la joie de sa délivrance,
dit Sismondi, il ratifia le traité de l’Hermine, monument de l’injustice et
de la trahison du duc de Bretagne. Olivier
de Clisson, ne respirant à son tour que la haine et la vengeance, ne resta
pas en Bretagne ; il se mit en route pour Paris, où il arriva avec une
extrême diligence. Il s’arrêta un moment en son hôtel, et se rendit
immédiatement au Louvre pour se présenter au roi et à ses deux oncles, les
ducs de Berri et de Bourgogne. Il était accompagné des gens de sa maison et
d’un nombreux cortège. « Très-redouté sire, dit-il en mettant un genou en
terre devant le jeune roi, votre père, à qui Dieu pardonne ses fautes, me
créa connétable de France. Je ne me suis point rendu indigne de cet office ;
et si quelqu’un, excepté vous et messeigneurs vos oncles, soutenait le
contraire, et voulait dire que j’aie manqué à vous et à la noble couronne de
France, je jetterais ici le gage du combat. » A ces mots il s’arrêta, le roi
et tous les autres gardèrent le silence, et le connétable continua ainsi : «
Très-cher sire et noble roi, il est arrivé, tandis que je remplissais mon
office de connétable, que le duc de Bretagne m’a pris et retenu dans son
château de l’Hermine, et a voulu me mettre à mort, sans autre raison que sa
colère et sa volonté. De fait, il eût accompli son dessein si Dieu et mon
beau-frère Laval ne m’eussent aidé. Je n’ai pu obtenir ma liberté qu’en
abandonnant une de mes villes de Bretagne et trois châteaux forts, et en
payant la somme de 100.000 francs. Très-cher sire et noble roi, le grand
affront et le dommage que m’a fait le duc de Bretagne concernent grandement
Votre Majesté Royale. Par ce moyen, a été arrêtée la guerre que mes
compagnons et moi espérions faire pour vous. Incapable désormais de remplir
honorablement l’office de connétable, je vous supplie de le reprendre et d’en
disposer. — Connétable, dit le roi, nous savons bien qu’on vous a fait injure
et dommage, et que c’est grandement au préjudice de nous et de notre royaume.
Nous mandrons incontinent nos pairs de France, et nous examinerons ce qu’il
conviendra de faire. N'ayez point d’inquiétude, justice vous sera rendue. »
Le roi le prit alors par la main, et le releva en ajoutant : « Connétable,
nous ne voulons pas que vous quittiez votre office ; mais nous voulons que
vous le conserviez tant que ce sera notre volonté[10]. Le roi
avait été fortement ému d’abord de l’outrage fait à son connétable ; mais la
légèreté de sa jeunesse lui faisait promptement abandonner les affaires
sérieuses, et le royaume était gouverné par les ducs de Bourgogne et de Berri.
Ces deux princes avaient peu de bienveillance pour Clisson ; ils redoutaient
l’influence qu’il pouvait exercer sur l’esprit du roi, qui aimait la guerre.
Ils le blâmèrent de son imprudence d’avoir quitté son armée pour assister aux
états de Vannes, et de s’être laissé prendre comme un enfant, et se
montrèrent assez froids pour lui faire rendre la justice qu’il réclamait.
Clisson vit bien qu’ils ne prenaient pas la chose aussi vivement que le roi,
et il s’en retourna tristement à son hôtel. Il y reçut bientôt la visite
empressée de l’amiral de France, du sire de Couci, du sire de Saint-Pol, et
d’une foule d’autres seigneurs ses amis, qui lui conseillaient de se retirer
quelques jours à Montlhéry, que le roi venait de lui donner ; ils lui
promirent prompte et bonne justice. Du reste, l’opinion de la noblesse et des
gens de guerre se prononça avec tant d’énergie, que les oncles du roi
pensèrent qu’ils ne pouvaient s’empêcher de s’occuper de cette affaire et de
rendre justice au connétable. On résolut d’envoyer trois hommes sages, l’évêque
d’Évreux, l’amiral Jean de Vienne et le sire de Bueil, pour sommer le duc
Jean de donner satisfaction sur la prison du connétable, de lui restituer les
villes et châteaux, ainsi que l’argent qu’il lui avait pris, et de venir à Paris
s’excuser devant le conseil du roi. Le duc
accueillit les envoyés avec la plus grande courtoisie, et cependant sa
réponse fut pleine de hauteur ; tant il était aveuglé par la haine qu’il
portait au connétable. Il prétendit qu’il avait usé de son droit en châtiant
son sujet et son vassal, qu’il avait justement puni ses félonies, et qu’il
soutiendrait jusqu’à l’extrémité le traité de l’Hermine. Il regrettait
toujours de ne l’avoir pas fait mourir, et se préparait à la guerre. Il
cherchait les moyens de se faire aimer et craindre des bonnes villes de son
duché ; il renouait ses intelligences avec les Anglais, qui lui promettaient
une Hotte, et écrivait au roi de Navarre, Charles III, son beau-frère, pour
l’engager à une diversion en sa faveur. Mais Clisson, comprenant que personne
ne se chargerait du soin de sa vengeance, avait formé une ligue dans laquelle
les sires de Rohan, de Beaumanoir et plusieurs autres seigneurs de marque
s’étaient empressés d’entrer, et avait commencé la guerre en son propre nom.
Déjà il s’était emparé de Saint-Malo et de Saint-Matthieu, deux ports de
Bretagne, de quelques autres places moins importantes, et de celles que le
traité de l’Hermine lui avait enlevées, lorsque Montfort commença de craindre
l’issue de cette guerre. Comptant peu sur les secours de l’Angleterre, agitée
par des troubles civils, et cédant aux prières de ses conseillers, que sa
résistance alarmait, il consentit à lever la saisie des châteaux du
connétable, et à donner des gages pour les 100.000 francs qu’il avait
touchés, jusqu’à la sentence du conseil du roi, devant lequel il s’engageait
à comparaître (31 décembre 1387). Ce ne fut qu’au mois de juin de l’année suivante que le duc de
Bretagne consentit à se mettre en route pour se présenter au roi, à Paris.
Les ducs de Berri et de Bourgogne allèrent au-devant de lui jusqu’à Blois, et
le 23 il fit son entrée solennelle dans la capitale, entouré d’un brillant
cortège de chevaliers. Le peuple s’était porté en foule sur son passage ;
chacun voulait voir ce prince si fameux par ses disgrâces et par sa fortune,
et qui avait lutté si longtemps contre toutes les forces de la France. Le
lendemain, il se présenta devant le roi, et lui rendit hommage de son duché. Charles
VI, qui avait déjà oublié sa colère, fit un accueil gracieux à Montfort, et
voulut qu’il logeât au Louvre. Il lui pardonna, moyennant la restitution des
100.000 francs que Clisson avait été obligé de lui donner. Le connétable
comprit alors qu’il fallait renoncer à l’espoir de sa vengeance, et en habile
et sage courtisan il ne s’opiniâtra pas à pousser à bout son ennemi. Il
consentit même à ce que le parlement jugeât l’affaire comme un procès civil.
Un mois après, le chancelier prononça la sentence qui condamnait le duc de
Bretagne à la restitution des places enlevées au connétable, avec tous les
joyaux et meubles qui s’y trouvaient, et le traité de l’Hermine fut
solennellement annulé. Le jeune roi fit ensuite manger à sa table le duc et
le connétable, et leur fit jurer la paix. Mais leurs lèvres seules la
jurèrent, et ils se séparèrent moins réconciliés que jamais[11]. Le roi
s’était empressé de sacrifier la querelle du connétable à la sienne propre ;
car en ce moment toutes ses pensées étaient tournées vers la vengeance qu’il
se préparait de tirer d’une extravagante provocation. Guillaume de Juliers,
duc de Gueldre, prince jeune, téméraire, ambitieux, et d’une humeur
chevaleresque, était en guerre avec la duchesse de Brabant, tante du duc de
Bourgogne, pour la possession de quelques places des bords de la Meuse.
Irrité de l’assistance que le roi de France et Phi-lippe-le-Hardi prêtaient à
la duchesse, qui avait reçu du dernier deux cent vingt hommes d’armes,
commandés par le sire de la Trémoille, ce prince se vendit aux Anglais pour
une pension de quatre mille francs d’or, et fit hommage à Richard II.
D’autant plus hardi qu’il n’avait rien à perdre, il osa même, contre les avis
de son père, homme d’une prudence rare, et depuis longtemps allié de la
France, envoyer à Charles VI des lettres de défi, dont la suscription ne
contenait que ces paroles : A Charles de Valois, sans lui donner le titre de
roi. Ce prince ressentit vivement l’insolence du duc de Gueldre ; il jura
d’en tirer une éclatante vengeance, et d’aller châtier en personne l’audace
de ce petit duc allemand. Il eut été sans doute plus sage de le mépriser, ou
de se reposer sur quelqu’un de ses généraux du soin de l'humilier ; mais le
jeune roi, excité d’ailleurs par le duc de Bourgogne, dont l’intérêt, comme
héritier de la duchesse, était de dompter ce voisin turbulent, voulut en
tirer lui-même réparation. « Il fit faire contre cet imperceptible duc de
Gueldre, presque autant d’efforts qu’il en aurait fallu pour conquérir
l’Angleterre[12]. » Il rassembla en
Champagne 15.000 lances et 80.000 hommes d’infanterie, et de nouvelles
tailles furent mises sur le peuple. Pour
arriver en Gueldre, le chemin le plus court et le plus facile était de
traverser la Flandre et le Brabant ; mais sur la proposition du duc de
Bourgogne, qui voulait ménager un pays ami et connu, on conduisit l’armée par
les Ardennes et le Luxembourg, lieux incultes et de difficile transport pour
les vivres. On fut obligé de faire marcher en avant 2.500 hommes armés de
haches, pour aplanir les chemins, combler des marais, et ouvrir un passage à
l’armée dans le pays des Ardennes. Les officiers et les soldats éclatèrent
souvent en murmures et en plaintes dans cette route où ils avaient à
traverser des vallées marécageuses et de vastes forêts, des rochers et des
montagnes à franchir. Après avoir passé la Meuse à Mouzon, l’armée entra dans
le duché de Juliers, où elle exerça quelques ravages, et commença la guerre
en Gueldre. Mais le jeune duc, après avoir résisté à toutes les
sollicitations de ses amis qui l’engageaient à donner satisfaction au
monarque offensé, céda enfin à la menace que lui fit son père de le
déshériter de son duché de Juliers, et promit de venir implorer la clémence
du roi. Charles écouta les prières de l’archevêque de Cologne, de l’évêque de
Liège et du duc de Juliers. Le téméraire qui avait osé l’insulter fut reçu à
s’excuser ; il parla à genoux au roi, désavoua sa lettre de défi, comme ayant
été écrite sur son blanc-seing, à son insu, par les chevaliers chargés de
négocier son alliance avec le roi d’Angleterre, son parent. Le prince
s’engagea ensuite par serment à ne jamais faire la guerre au roi de France
sans le prévenir une année d’avance ; enfin il lui offrit de remettre entre
ses mains la ville de Grave, et toutes celles dont il s’était emparé en
Brabant, le laissant ainsi seul arbitre de ses différends avec la duchesse (13 octobre
1388). Après
avoir terminé cette querelle, qui coûta plus à la France qu’une guerre
sérieuse et importante, le roi précipita son retour ; car la mauvaise saison
s’avançait. Déjà les chemins étaient impraticables ; aussi l’armée
rencontra-t-elle de grandes difficultés et même de grands dangers. Des
chariots destinés à transporter les bagages s’embourbèrent et se perdirent
dans les rivières débordées ; quelques-uns renfermaient de la vaisselle d’or
et d’argent. Des bandes de maraudeurs allemands enlevèrent une partie du
bagage de l’arrière-garde, et emmenèrent prisonniers plusieurs nobles
chevaliers. Le passage de la Meuse, grossie par les pluies d’automne, fut
difficile ; il s’y noya beaucoup de soldats et de bêtes de somme[13]. Enfin, cette armée si
brillante et si bien équipée au départ, regagna les frontières de la
Champagne dans un état déplorable, après une marche qui ressemblait à une
affreuse déroute. Elle murmurait hautement contre le duc de Bourgogne,
l’unique auteur de cette absurde expédition. Le peuple lui-même, si
cruellement opprimé par les déprédations financières des oncles du roi, osa
unir ses plaintes à celles de la noblesse. Ce concert de plaintes et de
murmures trouva d’éloquents interprètes dans les vieux compagnons d’armes de
Bertrand du Guesclin, qui avec de faibles ressources avaient obtenu de
brillants succès, dans les membres du conseil opposés aux ducs de Bourgogne
et de Berri, dans les anciens serviteurs de Charles V, qui s’élevaient contre
leur administration rapace et inepte, et conseillaient au roi de gouverner
par lui-même. Celui qui contribua le plus à lui faire connaître l’opinion de
l’armée, de la noblesse et du peuple, fut son frère, le duc de Touraine, qui,
malgré son jeune âge, était fatigué d’être dans la dépendance de ses oncles,
et sut lui persuader qu’ils agissaient toujours pour leur avantage, et jamais
pour le bien public. L’armée
arriva enfin à Reims, où le roi voulait mettre à exécution un projet que lui
avaient inspiré les fortes impressions qu’il avait reçues. Après y avoir
célébré la Toussaint, et le lendemain la fête des Morts, il assembla dans la
salle de l’archevêché un grand conseil, auquel assistèrent ses oncles, son
frère, ses cousins, et les principaux prélats et barons. Il demanda ensuite
les moyens de rendre un peu de repos au peuple ; et sur l’invitation du
chancelier, Pierre de Montagu, cardinal de Laon, prit la parole, et fit avec
modération l’éloge des mœurs, de la capacité, du courage et de la prudence du
roi. Puis il montra que le roi, qui allait entrer dans sa vingt-unième année,
pouvait gouverner sans le secours d’autrui des peuples qui l’adoraient, et qui
attendaient de sa justice et de sa bonté le prix de leur affection. Les ducs
de Berri et de Bourgogne, étonnés de ce discours du cardinal, n’osèrent le
contredire, et Charles, qui goûtait cet avis, remercia gracieusement ses
oncles des soins donnés à son royaume et à son éducation, et leur déclara que
dorénavant il gouvernerait par lui-même. Les princes, qui ne s’attendaient
pas à ce subit changement, prirent congé du roi, et se retirèrent, le duc de
Berri dans son gouvernement de Languedoc, et le duc de Bourgogne dans ses
États. Quelque temps après, mourut empoisonné le cardinal de Laon, qui avait
donné le premier son avis dans l’assemblée de Reims, et qui avait rendu un
double service au royaume[14]. De retour à Paris, où il fut reçu avec de grandes acclamations, le roi accorda toute sa confiance au duc de Touraine, à son oncle le duc de Bourbon, qui n’avait pris aucune part aux exactions commises par les deux princes disgraciés, et au connétable de Clisson. Devenu plus libre, il se choisit des ministres selon son cœur. La Rivière, Noviant, Montagu, le premier président Arnaud de Corbie, et le Bègue de Vilaines, ancien lieutenant de du Guesclin, partagèrent entre eux l’administration des finances, des affaires étrangères, du commerce, de la justice et de la guerre. A leur tête, le roi mit le connétable, dont le génie vaste et heureux était également propre au conseil et à l’action. |
[1]
Froissart.
[2]
Juvénal des Ursins.
[3]
Froissart.
[4]
Froissart.
[5]
Froissart.
[6]
Froissart. — Juvénal des Ursins.
[7]
Michelet.
[8]
Froissart.
[9]
Froissart.
[10]
Froissart, livre III.
[11]
Froissart. — Juvénal des Ursins.
[12]
Michelet.
[13]
Juvénal des Ursins. — Religieux de Saint-Denis.
[14]
Juvénal des Ursins.