HISTOIRE DE NAPOLÉON

TOME PREMIER

 

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.

 

 

SOMMAIRE : Rupture de l'Autriche. — Ses troupes entrent en Bavière. — Bataille de Thaon et d'Abensberg. — Combat de Landshut. — Bataille d'Eckmühl. — Prise de Ratisbonne. — Napoléon est blessé. — Occupation de Vienne. — Passage du Danube. — Bataille d'Esling. — Lannes est tué. — Contretemps funeste. — Insurrections sur divers points. — Poniatowski. — Campagne d'Italie. — Bataille de Wagram. —Lasalle y périt. — Tentative d'assassinat contre Napoléon. — Armistice de Znaïm. — Expédition des Anglais à Walchren. — François II accepte la paix. — Retour de Napoléon à Fontainebleau.

1809.

 

Le 6 avril, pendant que l'échange des notes diplomatiques entre les cabinets de Paris et de Vienne était des plus actifs, l'archiduc Charles fit une proclamation pour appeler l'Allemagne aux armes, au nom du salut de la patrie, contre l'insatiable ambition d'un conquérant étranger.

L'Autriche, avec une armée de cinq cent mille hommes, se disposa à attaquer le maréchal Davoust, qui avait à peine à lui en opposer vingt-six mille. La campagne devait s'ouvrir par l'invasion de la Bavière : l'archiduc écrivit au maréchal Davoust :

D'après une déclaration de S. M. l'empereur d'Autriche à l'empereur Napoléon, je préviens M. le général en chef de l'armée française que j'ai l'ordre de me porter en avant avec les troupes sous mon commandement, et de traiter en ennemies toutes celles qui me feront résistance.

CHARLES.

 

Aussitôt commença le mouvement d'agression de l'armée autrichienne. Informé de cette brusque reprise des hostilités par une dépêche télégraphique parvenue à Paris le 12 avril au soir, l'empereur partit la nuit même des Tuileries, sans gardes, sans équipages ; le 6, il était déjà à Dillingen, sur le Danube. Il promit au roi de Bavière, son allié, de le venger, de le ramener avant quinze jours dans sa capitale, et de le faire plus grand que ne fut jamais aucun de ses ancêtres.

Le lendemain, de Donaverth, où il porta son quartier-général, il expédia ses ordres sur tous les points, et l'armée fut instruite de son arrivée par cette proclamation :

SOLDATS !

Le territoire de la confédération du Rhin a été violé ; le général autrichien veut que nous fuyions à l'aspect de ses armes, et que nous lui abandonnions nos alliés ; j'arrive avec la rapidité de l'éclair. Soldats ! j'étais entouré de vous lorsque le souverain de l'Autriche vint à mon bivouac de la Moravie ; vous l'avez entendu implorer ma clémence, et me jurer une amitié éternelle. Vainqueurs dans trois guerres, l'Autriche a dû tout à notre générosité : trois fois elle a été parjure ! Nos succès passés nous sont un sûr garant de la victoire qui nous attend. Marchons donc, et qu'à notre aspect l'ennemi reconnaisse son vainqueur.

 

Napoléon s'occupa sur-le-champ de prendre l'offensive. Le 19, les Autrichiens furent repoussés, près de Thann, par le corps du maréchal Davoust ; à Urnhoffen, par le maréchal Lefèvre, commandant le contingent bavarois ; à Pfaffenhoffen, par les grenadiers d'Oudinot, et à la suite de ces combats, Davoust et Lefebvre opérèrent leur jonction. La perte de l'ennemi, à Thann, fut de deux mille morts et de sept cents prisonniers.

L'armée du prince Charles, si formidable par le nombre, venait, par un premier échec, d'être divisée en deux parties presque isolées. L'empereur jugea qu'il lui serait facile d'en traverser le centre ; de pousser les deux ailes dans des directions contraires, et de les accabler ensuite l'une après l'autre. Ce mouvement fut presque aussi rapidement exécuté que conçu. Le 20, dès le point du jour, Napoléon, dont le quartier-général était, depuis la veille, à Abensberg, s'avança à la tête de cinquante mille combattants. L'armée autrichienne fut battue sur tous les points, et un dernier engagement à Rottemburg eut pour effet de rompre la communication entre l'archiduc Charles et l'archiduc Louis, qui, attaqué lui-même à Siegemburg par les Bavarois, avait été forcé d'abandonner sa position. Nos colonnes ne s'arrêtèrent que sur les bords de la Laber, et la nuit seule mit fin à cette suite d'actions partielles qui furent comprises, dans les relations du temps, sous le nom commun de bataille d'Abensberg. Sept mille Autrichiens y furent tués, blessés ou pris ; huit drapeaux et douze pièces de canons tombèrent au pouvoir des Français.

Le 21, à cinq heures du matin, notre avant-garde, impatiente de poursuivre les avantages du jour précédent, se jeta sur les troupes ennemies les plus à sa portée, et les chassa devant elle. A onze heures, Napoléon et toute son armée étaient sous Landshut en présence du général Miller. Le maréchal Bessières commença l'attaque par une charge des plus brillantes. La cavalerie hongroise, sabrée et culbutée, s'enfuit en jetant l'épouvante dans les rangs autrichiens. Bientôt ce désordre s'accrut par l'encombrement des bagages, sur un chemin étroit, et de toutes parts bordé de profonds marais. Hommes, chevaux, artillerie, équipages de pont, tout était pêle-mêle, entassé, confondu. Les Autrichiens, regelés derrière l'Yser, se retirèrent en toute hâte sur l'Inn, laissant entre nos mains cinq mille prisonniers, trente-huit pièces de canon, trois équipages de pont, des magasins considérables, et plus de six cents voitures attelées. Le général Hiller et son corps, ne se souciant plus de rentrer en ligne, manœuvrèrent pour gagner les états héréditaires, et achevèrent ainsi de découvrir le centre de l'armée, dont ils avaient jusqu'alors formé l'aile gauche.

Sur ces entrefaites, le maréchal Davoust, qui, depuis deux jours, avec vingt-six mille hommes, contenait cent mille Autrichiens commandés par le prince Charles en personne, attaquait, sur la Laber, plusieurs corps ennemis, que les divisions Friant et Saint-Hilaire débusquèrent des villages de Leuerndorf et de Sierling.

L'archiduc, soupçonnant enfin que les forces qui l'avaient tenu en échec n'étaient pas aussi considérables qu'il l'avait pensé d'abord, fit ses dispositions pour une attaque générale. Sa ligne s'étendait d'Eckmühl à Ratisbonne, entre la Laber et le Danube. Le 22, toute son armée s'ébranla. Le maréchal Davoust, renforcé, depuis la veille, par le corps du maréchal Lefebvre, et bien préparé à défendre sa position, dont il connaissait toute l'importance, manœuvra avec tant d'habileté et de précision, que l'ennemi ne put faire un seul pas en avant. L'action était engagée depuis plus d'une heure, quand une forte canonnade dans le lointain annonça l'approche de Napoléon, qui, après avoir détaché deux divisions à la poursuite du général Hiller, était parti de Landshut dans la matinée, et accourait à la tête de ses troupes. Dès son arrivée, il dirigea ses premiers efforts contre Eckmulh, et ordonna en même temps au maréchal Lannes de passer la Laber, afin de déborder la gauche du prince Charles. Ces mouvements, combinés avec ceux du maréchal Davoust, décidèrent du succès. L'ennemi, dont le centre était vivement pressé, et les ailes compromises, battit précipitamment en retraite par la route de Ratisbonne. Sa déroute fut telle, que l'armée entière aurait été détruite, si le prince Jean de Lichtenstein n'eût arrêté, par une charge audacieuse, l'élan dé nos cuirassiers. Quinze mille prisonniers, douze drapeaux, seize pièces de canons, furent pour les Français les résultats de cette journée. Cinq mille soldats autrichiens restèrent sur le champ de bataille. Au nombre des morts, qui, de notre côté, s'éleva à près de deux mille, était l'un des compagnons de gloire des vétérans de la liberté, le général de division Cervoni, dont le front était ceint des lauriers cueillis dans les beaux jours de la république.

Le maréchal Davoust, dont le sang-froid et les savantes dispositions avaient puissamment contribué à la victoire, fut récompensé de sa belle conduite par le litre nouveau de prince d'Eckmühl, que lui conféra l'empereur.

L'archiduc Charles avait encore plus de quatre-vingt mille hommes sous ses ordres. Toutefois le découragement de ses soldats lui fit juger qu'il serait imprudent d'attendre son adversaire dans une plaine qui n'offrait aucune position favorable, et où il pouvait être acculé au Danube. Il prit donc le parti de se retirer sur la rive gauche du fleuve, qu'il passa le 20, au-dessous de Ratisbonne. Il y eut une mêlée de cavalerie en avant de cette ville, et le maréchal Lannes vint y former ses troupes en bataille, à huit cents pas des remparts. Napoléon fut alors blessé pour la première fois de sa vie : une balle amortie le frappa au pied droit, et lui fit une forte contusion : Ce ne peut être, dit-il, qu'un Tyrolien qui m'ait ajusté de si loin : ces gens sont fort adroits.

Le général qui commandait dans la place avait ordre de tenir jusqu'à la nuit ; mais quelques officiers ayant remarqué une ancienne brèche qui n'avait pas été réparée, le maréchal Lannes, à qui ce passage était offert, s'élança sous le feu de l'ennemi, pénétra dans les remparts, et fit ouvrir la porte de Straubing : aussitôt plusieurs de nos bataillons entrèrent de ce côté, pour fermer la retraite à la garnison qui mit bas les armes, au nombre de sept à huit mille hommes. Les colonnes françaises tentèrent de forcer le pont ; mais le général Kollowrath les arrêta par le feu de plusieurs batteries formidables.

La prise de Ratisbonne amena la délivrance du 65e régiment prisonnier dans cette ville, devant laquelle, cinq jours auparavant, il avait arrêté deux corps d'armée pendant quarante-huit heures.

Le 24 avril, Napoléon passa une grande revue. Suivant sa coutume, il saisit celte occasion pour décerner des récompenses, et jeter, dans tous les cœurs, le feu d'un nouvel enthousiasme ; il fit lire à la tête de l'armée une proclamation, dans laquelle il la félicitait d'avoir justifié son attente :

Soldats ! disait-il, vous avez suppléé au nombre par votre bravoure. Vous avez glorieusement marqué la différence qui existe entre les soldats d'Alexandre et les cohues armées de Xerxès.

En peu de jours nous avons triomphé dans les trois batailles de Thann ; d'Abensberg, d'Eckmühl, et dans les trois combats de Peissing, de Landshut et de Ratisbonne.

L'ennemi, enivré par un cabinet parjure, paraissait ne plus conserver un souvenir de vous. Vous lui avez apparu plus terribles que jamais.

Naguère il a traversé l'Inn et envahi le territoire de nos alliés ; naguère il se promettait de porter la guerre dans le sein de notre patrie ; aujourd'hui, défait, épouvanté, il fuit en désordre. Déjà mon avant-garde a passé l'Inn ; avant un mois nous serons à Vienne.

 

Napoléon ne perdit pas un instant pour réaliser cette prédiction : cinq jours, tous marqués par de beaux triomphes, lui avaient suffi pour déconcerter des projets auxquels se liaient peut-être les vœux d'une grande partie de l'Allemagne ; maintenant il ne s'arrêtera que quand la maison d'Autriche sera à ses genoux : à aucune autre époque il n'avait été ni plus actif, ni plus habile ; c'était encore, c'était toujours le héros de l'Italie, c'était le même génie, le même bonheur, la même promptitude dans le coup-d'œil, la même hardiesse d'exécution, la même aptitude à dominer l'ensemble, à pénétrer les détails, à profiter des moindres circonstances, à se soumettre le temps et l'espace, à calculer les vitesses et les obstacles, enfin à combiner le choc des masses, leurs mouvements et leurs directions, de manière à contre-balancer, par son admirable tactique, l'immense supériorité du nombre. La maison de Lorraine n'avait jamais eu plus de motifs de s'alarmer ; cependant, aveuglée sur sa position, elle conservait encore l'espoir de faire tourner à son avantage l'issue d'une guerre dont les commencements lui avaient été si funestes : de toutes parts elle pressait les levées, et de nouvelles forces étaient appelées au cœur de la monarchie autrichienne, où se méditait un grand et dernier effort.

De semblables dispositions faisaient assez connaître quel devait être le premier but de l'armée française ; Napoléon résolut de se porter au foyer de la défense avant qu'elle ne fût complètement organisée.

Le 26, il partit de Ratisbonne, et toutes ses colonnes, à l'exception du corps du maréchal Davoust, qui avait ordre de rejeter le prince Charles dans la Bohême, et de revenir ensuite pour former l'arrière-garde, s'avancèrent par la rive droite du Danube, dans la direction de l'Inn. Ce grand mouvement obligea le général Hiller à quitter les environs de Neumarkt, où, deux jours auparavant ; il avait attaqué avec quelque succès une division bavaroise. Son rôle se bornait désormais à couvrir, autant que possible, les frontières de l'Autriche.

Trop faible pour essayer de défendre l'Inn, le général Hiller s'était replié sur Ebersberg, village protégé par un château fort sur la Traun. Cette rivière offre très-peu d'endroits guéables, et coule entre deux rives naturellement escarpées ; un pont forme le seul point de communication avec le village ; la position, vue de face, paraissait impénétrable ; Hiller l'occupait avec plus de trente mille hommes et une formidable artillerie ; il espérait pouvoir s'y maintenir assez longtemps pour rétablir ses communications avec l'archiduc Charles, et concourir avec ce prince au salut de Vienne, en défendant le cours du Danube. Du premier choc, les Français culbutent l'avant-garde d'Hiller, qui défend les approches du pont ; l'Intrépide général Cohorn s'élance à la tête de quelques bataillons ; en vain le feu redoublé des batteries ennemies foudroie ces braves ; ils avancent, renversent dans le Traun tout ce qui s'oppose à leur course, et pénètrent dans là ville. Là s'engage un de ces combats de géants auxquels les Français avaient déjà habitué les soldats de l'Autriche. Mais pendant cette lutte, un horrible incendie ayant éclaté dans Ebersberg, et consumé les premiers arches du pont, la division Claparéde, parvenue seule à l'extrémité, se trouva tout-à-coup sans communications. A peine forte de 7.000 combattants, elle était engagée contre une armée de 55.000 hommes. Cette effrayante disproportion ne fit qu'enflammer son courage ; pendant trois heures elle soutint avec la plus grande résolution un lutte si inégale ; trois fois les masses les plus formidables se ruèrent sur elle sans pouvoir l'entamer : l'inexpugnable baïonnette de cette poignée de braves résista à tous les chocs : trois cents d'entre eux étaient tombés sur le champ de bataille ; le nombre de ceux qui avaient été mis hors de combat s'élevait à plus de sept cents : mais ni les dangers, ni la perte n'exerçaient aucun empire sur l'âme de si vaillants soldats : ils avaient fait serment de vaincre. Toutefois l'inévitable résultat de tant de prodiges n'eût été que de succomber glorieusement, si les généraux Legrand et Durosnel, avec quelques régiments d'infanterie et de la cavalerie n'eussent enfin réussi à franchir le fleuve. A la vue de ces nouvelles colonnes, l'ennemi, craignant d'être débordé par sa gauche, prit le parti de la retraite, et le maréchal Bessières, survenu pendant le combat avec la cavalerie, se mit à sa poursuite.

L'empereur accourait par là rive droite de la Traun ; il n'arriva qu'à la nuit tombante ; tout était terminé. La ville offrait un spectacle horrible. Des monceaux de morts obstruaient les rues ; les maisons et le château brûlaient encore, et du milieu de leurs débris embrasés s'élevaient les cris des blessés, qu'il était impossible de secourir. Napoléon, en rédigeant le bulletin de cette sanglante action, qu'il nommait un des plus beaux faits d'armes dont l'histoire puisse conserver le souvenir, ajouta : Le voyageur s'arrêtera et dira : C'est ici, c'est de ces superbes positions qu'une armée de trente-cinq mille Autrichiens a été chassée par deux divisions françaises !

Napoléon ne devait plus être arrêté par aucun obstacle jusqu'à Vienne. Le 10 mai, il parut aux portes de cette capitale, avec le corps du maréchal Lannes. Les faubourgs se rendirent sans résistance aux troupes du général Oudinot : mais l'archiduc Maximilien, renfermé dans l'enceinte de la cité avec seize mille hommes, sembla décidé à soutenir le siège. Sommé deux fois, il ne répondit qu'en faisant tirer à mitraille sur nos soldats. Le général Lagrange, envoyé en parlementaire, faillit être massacré par la populace ; il revint de sa mission tout couvert de blessures : l'exaspération des habitants n'avait jamais été portée à un si haut degré. Ils voulaient, disaient-ils, se défendre jusqu'à la dernière extrémité.

L'empereur, contraint de renoncer à la voie des négociations, fit sur-le-champ ses dispositions pour l'attaque. Son dessein était de bombarder la ville, et de couper en même temps la retraite de l'ennemi. Pour atteindre ce dernier résultat, il fallait se rendre maître du Prater, et il était indispensable de jeter un pont sur le bras du Danube par lequel cette promenade est séparée des faubourgs. L'opération était difficile. A huit heures du soir, on eut rassemblé tous les matériaux pour la commencer. Dans ce moment une batterie de vingt obusiers, élevée à cent toises des remparts, lançait la foudre sur la ville. Plusieurs édifices étaient déjà devenu la proie des flammes. A minuit, plus de dix-huit cents obus avaient éclaté dans les différons quartiers : l'épouvante était à son comble. De toutes parts, on entendait les cris des femmes et des enfants. Au milieu de cet effroi général, un officier autrichien, précédé d'un trompette, vint annoncer que la jeune archiduchesse Marie-Louise, qu'une maladie grave avait empêchée de suivre la cour, se trouvait dans le palais impérial exposée au feu des assiégeants. Napoléon ne fut pas plutôt informé de cette circonstance, qu'ordonnant d'épargner la demeure de la princesse, il fit changer la direction des batteries.

L'archiduc Maximilien, voyant ses communications menacées, tenta, pendant la nuit, d'enlever le poste français établi au Prater ; mais ses colonnes, accueillies par la mitraille de quinze pièces de canon ayant été obligée de se retirer dans le plus grand désordre, il put enfin apprécier tout le danger de sa position ; et dès le lendemain il évacua la place. Le 12, au point du jour, le général Oreilly, à qui le prince avait laissé tous les pouvoirs nécessaires, fit demander une capitulation, et une députation de la ville vint aux avant-postes ; elle fut présentée à l'empereur, à Schœnbrunn. Oubliant l'outrage fait à son parlementaire, il assura les députés de sa protection, et leur promit que la ville serait traitée avec la même clémence qu'en 1805. Les articles de la capitulation furent dressés immédiatement, et ratifiés la nuit suivante. Le 13, à neuf heures du matin, les troupes françaises entrèrent dans la ville. Les armes furent enlevées des mains de la populace ; la garde urbaine conserva les siennes.

Napoléon ne fit point d'entrée à Vienne. Un ordre du jour, daté de Schœnbrunn, apprit à l'armée l'occupation de la capitale. C'était sans doute un grand avantage ; mais quatre jours avaient été consumés inutilement, sous les murs de cette place, incapable d'une défense sérieuse ; l'archiduc, en se retirant, venait, par la rupture des ponts, de lui fermer le Danube. Le regret de ces pertes respire évidemment dans la proclamation qu'il mit à l'ordre du jour de l'armée.

SOLDATS !

Un mois après que l'ennemi passa l'Inn, au même jour, à la même heure, nous sommes entrés dans Vienne.

Ces landwehrs, ces levées en masse, ces remparts élevés par la rage impuissante de la maison de Lorraine, n'ont point soutenu nos regards. Les princes de cette maison ont abandonné la capitale, non comme des soldats d'honneur qui cèdent aux circonstances, mais comme des parjures que poursuivent leurs propres remords. En fuyant de Vienne leurs adieux ont été le meurtre et l'incendie ; comme Médée, ils ont de leurs mains égorgé leurs enfants.

Le peuple de Vienne, selon l'expression de la députation de ses faubourgs, délaissé, abandonné, veuf, sera l'objet de vos égards. J'en prends les bons habitants sous ma spéciale protection : quant aux hommes turbulents et méchants, j'en ferai une justice exemplaire.

Soldats ! soyons bons pour les pauvres paysans, pour ce bon peuple qui a tant de droits à votre estime : ne conservons aucun orgueil de nos succès, voyons-y une preuve de cette justice divine oui punit l'ingrat et le parjure.

 

Napoléon voulut marquer son séjour a Vienne par un acte solennel de puissance. C'est de cette capitale qu'il data, le 17 mai, le décret qui réunissait les états du pape à l'empire français.

Cet événement si extraordinaire ne produisit en Europe aucune sensation ; on y vit un acte dès longtemps préparé ; et l'excommunication que le pape Pie VII lança trois semaines après contre Napoléon, ne fut considérée, à Rome même, que comme une représaille impuissante.

Cependant l'archiduc Charles, après avoir fait un long circuit par la Bohême, s'était rapproché de Vienne, et avait rallié à son armée les troupes du général Hiller. Arrivé, depuis le 16, au pied du mont Bisamberg, il avait appris l'occupation de l'île de Lobau, dans laquelle Napoléon avait fait débarquer la division Mouton, afin d'avoir un point d'appui pour commencer et pratiquer les travaux nécessaires pour le passage du Danube. Mais, loin de vouloir empêcher Napoléon de franchir le Danube, il fit au contraire replier ses avant-gardes, afin de faciliter le déploiement de nos troupes, et de livrer bataille sur un terrain où elles seraient adossées au fleuve.

Le 21, à quatre heures du soir, quatre-vingt-dix mille Autrichiens, soutenus par deux cent vingt-huit pièces de canon, débouchèrent sur cinq colonnes dans la plaine de Markfeld. Le but de cette démonstration était de renfermer Napoléon dans un cercle étroit, et ensuite de l'écraser. On savait qu'à peine trente mille hommes étaient alors réunis autour de lui, et l'on ne pensait pas que, dans cette position, il lai fût possible d'échapper au plus éclatant revers. Ses adversaires ne s'étaient pas encore présentés devant lui avec une telle présomption de la victoire. L'action commença aussitôt par une attaque vigoureuse du général Hiller contre Gross-Aspern, où s'appuyait notre gauche commandée par le maréchal Masséna. Trois fois l'ennemi, avec des forces toujours supérieures, essaya d'emporter ce village, et trois fois il fut repoussé. On se battit dans chaque rue, dans chaque maison, avec un acharnement sans exemple. Les divisions Molitor et Legrand furent inébranlables, et le général Hiller, fatigué d'une résistance aussi opiniâtre, dut enfin renoncer à son entreprise. La division Boudet, qui, défendant Essling, formait la droite sous les ordres du maréchal Lannes, ne montra pas moins de fermeté et de valeur ; mais peut-être aurait-elle été forcée à la retraite, si l'empereur, s'apercevant que l'archiduc dirigeait ses principaux efforts sur nos ailes, n'eût à propos opéré une diversion, en portant contre le centre des Autrichiens toute la cavalerie du maréchal Bessières. Cette manœuvre eut un prompt succès. Le corps du général Hohenzollern fut rompu, et le régiment d'Oreilly taillé en pièces. La nuit, qui survint, mit fin à ce combat meurtrier, dont aucun des deux partis ne retira d'avantage, et qui avait été signalé, du côté des Français, par la perte de plusieurs officiers d'un grand mérite. De ce nombre était le général Espagne, emporté par un boulet au moment où, à la tête de sa division de cuirassiers, il venait d'enfoncer deux carrés, et de décider de la prise de quatorze pièces de canon.

Les deux armées conservèrent chacune les positions où elles se trouvaient quand elles avaient cessé de combattre. La division Saint-Hilaire, le corps de grenadiers du général Oudinot, une partie de la garde impériale, la seconde brigade de la division Nansouty, et deux brigades de cavalerie légère arrivèrent de l'île de Lobau pendant la nuit. Ces renforts portaient à quarante-cinq mille hommes l'effectif des troupes françaises, qui étaient entrées en ligne.

Le 22, à quatre heures du matin, partit de tous les points occupés par les Autrichiens un feu d'artillerie croisé sur notre centre, qui répondit vivement à cette canonnade. Les villages de Goss-Aspern et d'Essling furent ensuite attaqués avec la même fureur que la veille, et défendus avec autant de résolution. Napoléon, placé sur une éminence d'où il découvrait toute la plaine, remarqua que le centre des Autrichiens prenait un développement extraordinaire : il conçut alors le projet de le couper en deux.

Aussitôt les divisions Saint-Hilaire et Boudet, les grenadiers d'Oudinot, toute la cavalerie, formée en masse, et une artillerie nombreuse, dirigée par le général Lariboisière, s'avancèrent aux cris de vive l'empereur. Le maréchal Lannes guidait cette charge terrible. En un instant, les plus épais bataillons de l'ennemi furent renversés et mis en déroute. L'archiduc lui-même, qui, en agitant un drapeau, essayait de rallier ses soldats, fut entraîné dans leur fuite. Il était neuf heures, et la bataille était décidée. Encore quelques efforts, et les Français triomphaient d'une armée double de la leur. Napoléon lui-même encourageait l'armée de son exemple ; il s'exposait avec la témérité d'un soldat. Le général Walter lui criait au fort de l'action : Retirez-vous, Sire, ou je vous fais enlever par mes grenadiers. Dans ce moment, on vient apprendre à l'empereur que les ponts du Danube sont rompus, et qu'il n'existe plus aucune communication avec l'île de Lobau. Tout autre chef eût été consterné d'une si affligeante nouvelle. Napoléon, sans montrer la moindre altération, et avec le calme le plus héroïque, envoya au maréchal Lannes l'ordre de ralentir son mouvement, et de reprendre sa position entre Gross-Aspern et Essling.

L'archiduc, en apercevant cette hésitation de la colonne victorieuse, eut d'autant moins de peine à en deviner la cause, qu'il avait d'avance préparé l'événement par lequel il échappait à une défaite certaine. De toutes parts, on se transmet cet avis : les Français n’ont plus de retraite. Ces mots volent de bouche en bouche, et se répandent au loin avec la rapidité de l'éclair. Tout-à-coup le désordre cesse, la ligne autrichienne revient à la charge, l'artillerie rallume ses foudres, et le combat recommence sur le même terrain, et avec la même balance de succès que la veille. Deux cents bouches d'airain vomissent à la fois les boulets et la mitraille. Notre armée, obligée de ménager ses munitions, qui ne peuvent plus être renouvelées, n'opposera désormais à ces formidables assauts, que ses baïonnettes et un courage au-dessus des revers. Les troupes, l'arme au bras, ne tirent que lorsque les colonnes d'attaque arrivent à la distance de quarante pas. L'intrépide maréchal Lannes parcourt incessamment son front de bataille : personne mieux que lui ne sait enflammer le cœur des soldats : il les anime de sa voix et de son exemple ; il se multiplie, il est partout, et partout sa présence enfante des prodiges. C'est Ajax, c'est Achille. Dans son sein revit l'âme de tous ces vaillants guerriers : il les égale, il les surpasse ; mais, dans ce jour, les destins ne sont pas pour lui. Un boulet le frappe au genou : il tombe, et, au même instant, le général Saint-Hilaire, si longtemps associé à ses travaux comme à sa gloire, reçoit une blessure mortelle. D'autres chefs renommés par leurs exploits, paient aussi le dernier tribut à la guerre. Les braves qui les suivent ne s'en laissent point abattre : inaccessibles à tout sentiment de terreur, ils serrent leurs rangs, et affrontent de plus en plus la mort qui les menace.

Napoléon voyait la victoire s'éloigner de ses aigles ; mais, supérieur à sa fortune, semblable à ces colosses de la Haute-Egypte qui restent encore debout] au milieu des ruines que le temps a nivelées, il paraissait étranger à tant de désastres. Jamais, même dans ses plus beaux triomphes, il n'avait montré plus de sang froid. Ses dispositions étaient admirables, son œil était partout ; mais Gross-Aspern et Essling attiraient plus particulièrement son attention. Le premier de ces villages fut pris et repris quatre fois, et le second treize : à la fin, la valeur des fusiliers et des tirailleurs de la garde, conduits par les généraux Mouton et Curial, conserva ces deux importantes clefs de la résistance. Le général Gros fit passer au fil de l'épée sept cents Hongrois qui s'étaient logés dans un cimetière. La vieille garde, commandée par le général Dorsenne, était placée en troisième ligne : elle attendait avec impatience qu'un danger plus pressant nécessitât sa coopération ; mais les colonnes ennemies craignirent de se briser contre ce bloc de granit. Cette lutte, pendant laquelle les Autrichiens avaient tiré plus de quarante mille coups de canon, finit à neuf heures du soir ; On continua de tirailler aux avant-postes jusqu'à minuit. Chacune des deux armées garda la position qu'elle occupait avant la bataille. L'ennemi eut quinze à vingt mille hommes tués ou mis hors de combat. Parmi ces derniers, se trouvaient quatre feld-maréchaux, huit généraux et six cent soixante-trois officiers. Notre perte fut presque égale ; mais des trophées attestèrent que, sans le plus terrible des contretemps, la victoire se fût déclarée pour nous. Quatre drapeaux et quinze cents prisonniers, au nombre desquels le feld-maréchal-lieutenant Weber, demeurèrent en notre pouvoir.

Depuis dix heures du matin, les officiers du génie et de l'artillerie, restés dans l'île de Lobau, n'avaient pas perdu un instant pour réparer les ponts, et surtout celui qui communiquait à la rive gauche. Mais contrariés sans cesse par les Autrichiens, qui lançaient dans le fleuve des arbres, des brûlots, des barques et des radeaux chargés de pierres, ils avaient été vingt fois obligés de recommencer leur travail. Toutes les circonstances semblaient s'être conjurées pour ajouter aux difficultés de l'opération : une fonte de neiges dans les montagnes avait élevé les eaux de plus de huit pieds ; les câbles se rompaient ; les bateaux à peine replacés, étaient ou brisés ou entraînés de nouveau. Pendant la journée, il n'avait été possible, que par intervalle, de faire parvenir de faibles secours et quelques munitions aux corps qui en avaient le besoin le plus urgent : aussitôt que les pontons-avaient offert la moindre apparence de solidité, des hommes s'y étaient hasardés, et, quoique peu considérables, ces renforts étaient arrivés si à propos, qu'ils avaient mis les Français à même de se maintenir jusqu'à la nuit.

Tandis que l'on prenait toutes les précautions imaginables pour rétablir les communications, et les mettre à l'abri des atteintes les plus violentes, les blessés s'étaient traînés vers le point de passage. Douze mille hommes, presque mourants, mais soutenus encore par leur courage et par l'espoir d'être vengés bientôt, étaient entassés dans un étroit espace. Les uns par leurs cris et leurs gémissements, les autres par leurs vœux et leurs prières, cherchaient à hâter le moment de pénétrer dans l'île. Un grand nombre s'était avancé jusques dans le Danube, où, surpris par le flot qui s'accroissait sous leurs pas, et pressés par la foule qui les empêchait de reculer, ils étaient emportés par le courant, et disparaissaient à jamais. Ceux qui venaient après eux ne tardaient pas à subir le même sort. Des milliers de cavaliers se noyèrent ainsi avec leurs chevaux.

Napoléon, qui, depuis quelques instants, était dans l'île, pouvait de là apprécier combien d'obstacles il restait à surmonter. Convaincu qu'il n'y avait plus rien à attendre que du temps, il donna ses ordres pour le dégagement des malheureux mutilés. L'accomplissement de ce triste soin occupait toute sa sollicitude, quand il vit s'approcher à pas lents un groupe de grenadiers, tout couverts de sang et de poussière, et dont les visages, noircis par la poudre, portaient l'empreinte d'une profonde douleur. Leurs fusils croisés sont cachés par le chêne funèbre, et sur ce brancard repose évanoui le chef illustre dont leurs récits ont tant de fois célébré la prouesse. Napoléon a distingué les traits du héros : c'est le plus fidèle de ses compagnons d'armes : il vole au devant de lui, se précipite sur son sein, et d'une voix entrecoupée : Lannes ! s'écrie-t-il, mon ami ! me reconnais-tu ?.... c'est l'empereur... c'est Bonaparte... c'est ton ami ! A ces mots, le maréchal entr'ouvre ses paupières appesanties : il veut parler, le souffle expire sur ses lèvres ; mais il lève ses bras, et les passe au cou de Napoléon, qui le presse quelque temps contre son cœur : leurs sanglots se confondent alors, et les témoins de cette scène déchirante, ces vieux soldats qui naguère frémissaient de rage, quand la victoire se dérobait à leur indomptable valeur, laissent échapper des larmes d'attendrissement. Saisis de respect et tremblants, mornes et silencieux, ils inclinent ces fronts si terribles, et leurs regards farouches et sombres s'égarent pour la première fois. L'empereur, craignant de rompre, dans un embrassement trop prolongé, le fil d'une si fragile existence, se détermina enfin à s'éloigner. Tous les secours furent prodigués pour arracher au trépas une tête si chère ; mais l'heure fatale avait sonné, et le deuil des Français apprit à leurs ennemis que le plus brave des soldats avait cessé de vivre. La mort de ce grand capitaine surnommé le Bayard moderne fit un vide dans l'armée, et parut être d'un sinistre présage.

Napoléon, accompagné du maréchal Berthier et d'un seul officier d'ordonnance, M. Edmond de Périgord se disposa à passer le grand bras du Danube. Les flots rapides et agités par un vent impétueux, les débris qu'ils charriaient sans cesse, l'obscurité d'une nuit profonde, tout concourait à rendre la traversée périlleuse. Napoléon, monté sur un frêle esquif, se confia à sa fortune ; mais, auparavant, il envoya le colonel Lejeune au maréchal Masséna, pour lui ordonner de faire sa retraite sur l'île de Lobau, dans le plus grand silence, après avoir augmenté le feu de ses bivouacs, afin de donner le change à l'ennemi. Ce mouvement fut heureusement exécuté : à quatre heures du matin, il n'y avait plus un seul Français sur la rive gauche, et le pont était déjà replié. L'empereur, parvenu sur le bord opposé, y trouva le corps d'armée du maréchal Davoust, ainsi que la division de carabiniers et de cuirassiers du général Saint-sulpice, qui, attirés dans cette direction par le bruit du canon, étaient dans la plus vive anxiété sur le sort de leurs frères d'armes, dont une barrière insurmontable les avait séparés au moment du combat.

Les troupes, qui étaient enfermées dans l'île de Lobau, y restèrent livrées au cruel tourment de la faim : elles manquaient de tout ; on ne put leur faire passer des vivres qu'au bout de quelques jours, après qu'elles eurent dévoré un grand nombre de chevaux, et que plus de la moitié des blessés eût péri d'inanition et dans un dénuement absolu de tout ce qui aurait allégé leurs souffrances.

L'archiduc Charles ne profita point de l'avantage que lui donnait l'isolement de cette partie de notre armée. Nous ne chercherons pas les motifs de l'inaction dans laquelle demeura ce prince ; seulement nous croyons pouvoir affirmer que, dans une semblable position, son adversaire eût pris une détermination audacieuse dont son génie et la valeur française eussent assuré le succès. Les Autrichiens n'osèrent rien entreprendre. Napoléon, fort de leur hésitation et de la constance de son armée, médita de nouveaux plans et de nouvelles précautions ; et tandis que, dans une attitude inoffensive, on se contentait de l'observer, son activité, toujours féconde en ressources, rassemblait les éléments d'une victoire, et, par des travaux dignes des Romains, préludait à une attaque dont aucune des chances ne devait plus être imprévue. Il brûlait d'effacer jusqu'au souvenir d'un revers qui pouvait ébranler chez les autres la croyance qu'il mettait lui-même en son bonheur ; mais il ne céda pas à cette impatience : trop de précipitation eût tout compromis. Dans toutes ses autres campagnes, on avait vu Napoléon, rapide comme la foudre, ne consulter que l'ardeur de ses soldats. Ici il leur commande de s'arrêter ; il temporise, mais aucun moment n'est perdu pour lui. Tout entier aux immenses préparatifs qu'il a ordonnés, il en surveille les moindres détails, et ne se dérobera à des soins si pénibles, que lorsqu'il n'y aura plus de Danube pour les Français.

Napoléon réussit, avec une prodigieuse célérité, à rétablir la communication entre la rive droite et l'île de Lobau, qui, en quelques jours, se trouva convertie en un camp immense protégé par des batteries formidables qui la mettaient à l'abri de toute surprise ; les autres petites îles furent fortifiées de même, et le premier juillet, l'empereur établit son quartier-général dans l'île de Lobau, qui prit le nom d'île Napoléon.

Les malheurs d'Essling se trouvaient dès lors réparés ; de nouveaux renforts s'avançaient de toutes parts pour venir achever la perte de l'Autriche.

Mais les autres puissances étaient aux aguets, et dans l'attente d'un revers qui accablerait leur vainqueur, elles préludaient à des hostilités par des tentatives encouragées secrètement, et diplomatiquement désapprouvées. Des soulèvements partiels qui se rattachaient à une vaste conjuration contre Jérôme Bonaparte, dont on devait s'emparer, éclatèrent en Westphalie.

Jérôme eut bientôt étouffé cette révolte, dont le chef Doernberg n'eut d'autre ressource que d'aller se joindre en Bohême au corps insurgé du duc de Brunswick. Toutefois la ténacité allemande donna bientôt naissance à une autre entreprise de ce genre. Schill, ancien partisan, major au service de la Prusse, sortit de Berlin, à la tête de cinq cents hussards de son régiment, auxquels se réunirent trois cents fantassins d'un bataillon d'infanterie légère. Il se porta sur Wittemberg, et entra en Westphalie, où il se vit bientôt à la tête d'une petite armée, vivant de pillage, et levant des contributions au nom du roi de Prusse. Les succès de Schill passèrent son espérance ; il fit hardiment sommer le duc de Mecklembourg de lui livrer Stralsund, dont bientôt il s'empara. L'empereur cependant avait donné des ordres pour réprimer tant d'audace : le général Gratien sortit de Hambourg avec une division hollandaise. Après avoir délivré tout le Mecklembourg, il arriva sous les murs de Stralsund le 31 mai. Le même jour, ses troupes attaquèrent la place, et malgré la résistance acharnée des Prussiens, qui se barricadaient dans les rues, dans les maisons, elle fut emportée d'assaut.

Schill était tombé mort dans la mêlée. Avec lui finissait l'insurrection. Ceux de ses soldats qui échappèrent au massacre de Stralsund se dispersèrent, et bientôt la Westphalie fut pacifiée.

A l'époque où le prince Charles avait passé l'Inn pour envahir la Bavière, le jeune archiduc Ferdinand, à la tête d'une armée de trente-huit mille hommes, s'était avancé sur la Pologne. Le but de cette expédition était, en occupant Varsovie et le grand duché jusqu'à Dantzig, de donner la main aux Anglais, maîtres de la Baltique, de faire cesser les hésitations de la Prusse et de la Russie, et d'offrir un appui central aux soulèvements des provinces septentrionales.

Ce fut Poniatowski, dont le nom était célèbre, que Napoléon opposa à l'archiduc. Poniatowski se prépara en toute hâte à une vigoureuse résistance, et, avec douze mille hommes, il alla prendre une forte position à quelques lieues de Varsovie.

L'avant-garde de l'archiduc se montra le 19 avril au matin ; vers le milieu du jour l'action s'engagea. Les Autrichiens étaient trois fois plus nombreux que les troupes polonaises. Celles-ci cependant, qui se présentaient pour la première fois au combat, soutinrent durant huit heures une lutte inégale. Ce ne fut qu'à la nuit que Poniatowski rentra dans Varsovie.

Convaincu cependant de l'impossibilité de défendre la place, il dut céder aux supplications des habitants que l'archiduc s'apprêtait à bombarder ; force lui fut d'abandonner la capitale.

L'armée, à sa sortie de Varsovie, alla prendre position sur le Bug, en s'appuyant sur la forteresse de Modlin. Cette manœuvre habile déconcerta les plans de l'archiduc, qui avait espéré voir les Polonais prendre le chemin de la Saxe. Il lui devint impossible d'entrer en communication avec la flotte anglaise. En vain tenta-t-il de surprendre Praga ; un corps autrichien y fut écrasé ; Gora vit Poniatowski défaire encore un ennemi supérieur en forces ; bientôt enfin, les braves Polonais, poursuivant leur marche, entrèrent en Gallicie. Ils ne tardèrent pas à s'emparer des forteresses de Sandomirz et de Zamosc, ils occupèrent Lemberg et Jaroslau. Ces progrès merveilleux enflammaient partout, sur le passage de Poniatowski, le cœur de ses compatriotes. L'esprit patriotique s'était réveillé, et déjà en espoir la Pologne se voyait délivrée du joug odieux de l'Autriche.

C'est sur ces entrefaites qu'arriva la nouvelle de la bataille d'Essling. En vain Poniatowski pressa les généraux russes, Gallitzin et Souvarow, de l'aider à vaincre l'Autriche. Le cas d'un revers était prévu dans les instructions qu'ils avaient reçu de Saint-Pétersbourg. Quoiqu'ils se comportassent plutôt en ennemis qu'en alliés, les Autrichiens ne furent pas moins battus dans toutes les rencontres ; ils se décidèrent à faire retraite sur Cracovie ; mais l'avant garde polonaise arriva en même temps que l'archiduc sous les murs de la ville, et Sokolinski se disposa aussitôt à attaquer l'ennemi. Ferdinand refusa le combat, et demanda douze heures pour évacuer la place. Poniatowski y rentra en vainqueur ; les braves Polonais y furent reçus par leurs compatriotes avec enthousiasme.

Au début de la campagne, le cabinet de Vienne avait manifesté son intention d'anéantir la domination de la Bavière, et, pour accomplir ce dessein, il avait appelé à l'insurrection les montagnards du Tyrol. Il comptait en même temps révolutionner en sa faveur les peuples de l'Italie que l'archiduc Jean devait envahir avec une armée de quatre-vingt-cinq mille hommes et cent soixante-quinze pièces de canon. Pour déterminer le succès, on avait attaché à la suite des bagages de l'invasion une foule de transfuges, la plupart nobles ou prêtres, qui n'avaient quitté leur pays que pour se soustraire à la loi commune par laquelle de gothiques et absurdes privilèges rentraient dans le néant. Ces hommes sans patrie ne pouvaient être que les coupables instruments d'une cause oppressive : aussi suffit-il de leur seule présence pour déchirer le voile trompeur dont s'enveloppait alors la cour d'Autriche. Les Italiens se gardèrent bien de croire à une liberté que leur promettait le gouvernement le moins libéral de l'Europe. En vain leur fit-on entrevoir l'avenir le plus prospère, s'ils consentaient à arborer l'étendard de la rébellion. La conduite des Espagnols, qui leur fut offerte en exemple, resta sans attrait pour eux. On voulut les émouvoir, en exagérant les malheurs du pape, que Napoléon avait fait conduire à Savonne, en l'accusant d'avoir, à l'instigation des Anglais, fait de Rome un foyer de discordes politiques, de conspirations sourdes, mais très-étendues et très-actives. Le pape, de son côté, se plaignait de la violation de ses droits, et accusait d'ingratitude le prince qu'il avait sacré. Toutes les provinces furent inondées de bulles d'excommunications et de doléances du souverain pontife qui, demandait à grands cris la restitution de son temporel.

Les Italiens résistèrent à toutes les séductions. Sourds à la voix des fauteurs de la vieille aristocratie, sourds à toutes les plaintes, ils demeurèrent calmes, et attendirent avec confiance la prompte libération de leur territoire des armées dont ils avaient tant de fois admiré les triomphes.

L'insurrection tyrolienne fut promptement vaincue par le maréchal Lefebvre ; quant à l'invasion d'Italie, elle offrit au prince vice-roi l'occasion de déployer une grande habileté. Toutes les chances lui étaient défavorables ; pris à l'improviste, et n'ayant à opposer à une armée formidable que trente mille combattants, dont vingt mille Français, après quelques revers, il sut reprendre l'offensive, livra plusieurs batailles, dans lesquelles il fut toujours victorieux et parvint à se mettre en communication avec la grande armée. Une proclamation de l'empereur aux troupes leur annonça aussitôt cet heureux événement. Eugène arrivait après avoir remporté, le 14 juillet, un dernier et éclatant triomphe sur les forces réunies à Raab des archiducs Jean et Rénier.

Forcés de fuir avec les débris de leurs armées, les archiducs se hâtèrent de passer le Danube et de se retirer derrière le Waag. Napoléon envoya aussitôt à Eugène l'ordre de s'emparer de la ville de Raab ; le vice-roi la fit investir par Lauriston. Le commandant ayant refusé de se rendre, le feu commença le 21 ; et, le 24, la place capitula avant l'arrivée des secours envoyés par l'archiduc Charles : on y fit deux mille prisonniers ; de grands magasins de vivres et dix huit canons tombèrent au pouvoir des Français.

Davoust attaquait en même temps Presbourg, où l'archiduc Jean était entré. Napoléon ordonna à ce maréchal de jeter deux mille obus dans la ville, après avoir sommé le commandant de cesser les travaux de la défense : cet ordre fut exécuté le 26. Le refus de Bianchi, commandant de la ville, dont les travaux sur la droite du Danube avaient assuré la défense, fut à peine signifié à Davoust, que l'artillerie commença le bombardement. L'empereur François II venait d'arriver à Presbourg, il en sortit à l'heure même. Une seconde sommation n'ayant pas eu plus de succès, le feu fut continué jusqu'au 28, et l'incendie dévora une partie de la ville.

Cette façon décisive d'attaquer Presbourg déconcerta l'archiduc, il adressa des plaintes à ce sujet à Napoléon : l'empereur lui fit répondre que c'était à lui-même qu'il devait s'en prendre ; que toutefois l'attaque de Presbourg allait cesser puisqu'il le désirait.

Depuis la bataille d'Essling, aucune action n'avait eu lieu sur les bords du Danube. L'armée autrichienne, augmentée par de nombreux renforts, s'était livrée à des travaux immenses pour défendre le passage du fleuve ; et l'archiduc Charles, qui avait accumulé, pour se fortifier, tous les moyens que l'art peut fournir, attendait patiemment une nouvelle attaque. Il supposait que l'armée française déboucherait sur la rive gauche au même point que la première fois ; et Napoléon, établi dans l'île de Lobau, le confirma dans cette pensée par d'adroites démonstrations, dont le but était de rendre inutiles les ouvrages élevés avec tant de soin par les Autrichiens. Le 2 juillet, cinq cents voltigeurs s'établirent dans là petite île du Moulin. L'ennemi, dont l'attention fut éveillée par cette fausse attaque, y dirigea toutes les batteries du village d'Essling. Le lendemain, à dix heures du soir, le général Oudinot fit embarquer, sur le grand bras du Danube, quinze cents voltigeurs, aux ordres du général Conroux, qui, secondés par dix chaloupes canonnières, que commandait le capitaine de vaisseau Baste, descendirent sur la rive gauche, au-dessus de l'île de Lobau. A onze heures, les batteries du front de la ligne française canonnèrent vigoureusement Enzersdorf, où s'appuyait la gauche de l'ennemi. Un orage terrible éclata, la pluie tombait par torrents, et les éclats de la foudre se confondaient sans interruption avec le bruit de l'artillerie ; mais rien ne pouvait s'opposer aux desseins de Napoléon. Le colonel Descorches-Sainte-Croix traversa le petit bras du Danube, à la tête de deux mille cinq cents hommes, et aborda auprès d'Enzersdorf. En même temps le chef de bataillon d'artillerie, Victor Dessale, fit accrocher d'une rive à l'autre un pont d'une seule pièce, qu'il avait construit, et l'infanterie le franchit au pas de charge, sous une voûte d'obus et de boulets, qui sans cesse se croisaient sur sa tête. Deux ponts, parallèles au premier, furent bientôt jetés à peu de distance ; en sorte qu'à trois heures du matin, l'armée avait débouché sur quatre points. A cinq heures, les troupes étaient formées en bataille. Masséna occupait la gauche, Bernadotte et le général Oudinot le centre, le maréchal Davoust la droite. La garde impériale et l'armée d'Italie s'établirent en seconde ligne. Le village d'Enzersdorf, dont les maisons étaient en cendres, fut occupé par le général Sainte-Croix, et le château de Sachsengang par le colonel Oudinot, qui y prit neuf cents hommes et douze pièces de canon.

L'archiduc Charles, trompé dans ses espérances, ordonna de suite les manœuvres que l'état présent des choses rendait nécessaires. Dans le dessein de ressaisir, sur un nouveau champ de bataille, les avantages qu'il venait de perdre, il laissa le gros de son armée dans ses lignes, et détacha quelques colonnes d'infanterie, soutenue d'une artillerie nombreuse et de toute sa cavalerie, pour déborder la droite de Napoléon. Ce mouvement ne réussit pas, et l'armée française, continuant à s'avancer dans la plaine d'Enzersdorf, occupa tous les villages qui se trouvent en avant de Russbach. Dans le même temps, le maréchal Masséna s'emparait des ouvrages d'Essling et de Gross-Aspern. A neuf heures du soir, l'empereur dirigea contre Wagram, centre de l'armée ennemie, trois divisions, commandées par le général Macdonald. En peu d'instants, le village fut enlevé et dépassé. Trois mille prisonniers étaient entre les mains des vainqueurs, lorsque de nombreux renforts, envoyés par l'archiduc, forcèrent le général Macdonald à rétrograder. L'obscurité qui régnait alors rendit ce mouvement funeste aux trois divisions ; car, tandis qu'elles étaient canonnées sur leurs flancs, et menacées sur leurs derrières, un corps saxon qui occupait Raasdorf, les prenant pour ennemies, fit feu sur elles et les força à se débander. A la faveur de cette confusion, les prisonniers se sauvèrent, et un seul des drapeaux qu'on venait de conquérir put être conservé.

La nuit fut employée de part et d'autre à faire les dispositions convenables pour la grande bataille qui devait se livrer le lendemain. Au point du jour, l'armée française prit les armes et la canonnade s'engagea. A cinq heures, la gauche de l'armée autrichienne, sous les ordres du prince de Rosemberg, déboucha de Markgrafen Neusiedel, pour déborder le maréchal Davoust. L'empereur se porta aussitôt sur ce point, qu'il renforça d'une division de cuirassiers et de douze pièces d'artillerie légère. Après un engagement opiniâtre, le maréchal Davoust repoussa son adversaire jusque dans Neusiedel.

L'archiduc, dans l'intention d'enfoncer la gauche des Français et d'isoler l'armée de ses ponts, dirigea de fortes colonnes contre les maréchaux Bernadotte et Masséna, pendant que lui-même conduisait trente-cinq mille hommes de ses meilleures troupes dans l'intervalle qui séparait notre gauche de la position de Gross-Aspern. Cette masse culbuta sans peine les postes qui se trouvaient devant elle, et inquiéta bientôt les flancs' de notre armée. Il était neuf heures, et les Autrichiens poussaient déjà des cris de victoire. Napoléon, après avoir reconnu par lui-même la situation des affaires, donna ordre au maréchal Davoust de tourner Neusiedel, et de marcher ensuite sur Wagram. Ce mouvement fut exécuté avec autant de bonheur que de courage. Napoléon n'eut pas plus tôt aperçu les troupes de l'aile droite sur les hauteurs de Wagram, qu'il fit dire à Masséna de tenir bon dans ses positions, et que la défaite du prince Charles était assurée. Dans ce moment on venait lui annoncer que la division Boudet s'était laissé prendre ses canons. Il ordonna en même temps une attaque décisive contre le centre ennemi. Le général Macdonald, qui devait la diriger, forma ses divisions en colonnes serrées ; elles étaient appuyées par la division bavaroise de Wrède et par trois divisions de cavalerie. Les Autrichiens, sans attendre le choc, se replièrent sur Gerasdorf. Ce village, hérissé d'artillerie, fut abordé avec résolution, et pendant plus d'une heure l'avantage resta indécis, mais une dernière charge triompha de l'opiniâtre résistance des ennemis, dont le centre fut entamé. Déjà leur aile gauche rétrogradait devant les corps du maréchal Davoust et du général Marmont, et leur aile droite, après s'être longtemps maintenue contre le maréchal Masséna, que l'empereur avait fait soutenir par cent pièces de ca,- -v non, avait pris la direction de Strebersdorf.

La bataille était gagnée ; l'armée autrichienne précipita sa marche vers la Moravie, abandonnant dix drapeaux, quarante pièces de canons, près de dix-huit mille prisonniers, quatre mille morts, neuf mille blessés et un grand nombre d'équipages. Les feld-maréchaux Nordman, d'Aspre, Wukassowieh et le général major P. Weczai, étaient restés sur le champ de bataille. L'archiduc Charles, les feld-maréchaux Rouvroy et Nostiz, les généraux majors prince de Hess-Hombourg, Mayer, Vacquant, Matzen, Stutterheim, Honneberg, Merville et Rothkirch avaient reçu des blessures.

Notre perte, bien moins considérable, était de six mille blessés et de deux mille six cents tués. L'armée eut à déplorer la mort du vaillant Lasalle, la fleur des preux et le premier des généraux de notre cavalerie légère. Le colonel Oudet, du 9e de ligne, promu la veille au grade de général, avait péri dans une embuscade avec vingt-deux officiers de son régiment.

Tous les corps avaient rivalisé d'intrépidité et de gloire : dans cette mémorable journée, Napoléon, qui lui-même s'était plusieurs fois exposé au milieu du feu, décerna à ses dignes soldats les récompenses qu'ils avaient méritées. Les généraux Oudinot et Macdonald reçurent le bâton de maréchal sur le champ de bataille. Masséna fut nommé prince d'Essling.

Durant plusieurs jours, il fut impossible d'avoir des informations positives sur les mouvements de l'ennemi. Ce ne fut que le 8 que l'on sut que l'archiduc Charles opérait sa retraite sur la Bohême et la Moravie, et que le prince Jean manœuvrait pour se joindre à lui.

Napoléon résolut de terminer la campagne en détruisant les restes de l'armée de l'archiduc : chargeant donc Eugène de couvrir les derrières et la capitale avec cinquante mille hommes, il marcha droit sur l'ennemi.

Le 9, Davoust emporta Nicolsbourg, où il trouva de grands magasins et fit des prisonniers. L'archiduc était à Gunstersdorf, opposant partout des forces supérieures à l'avant-garde de Masséna. Poursuivi par celui-ci, pressé par la marche oblique de Marmont sur Lau, et menacé d'être pris en flanc par l'empereur, l'archiduc fit preuve d'un grand courage et d'une rare habileté en disputant le terrain, de position en position jusqu'à Znaïm. Là, fortement retranché, maître des routes de Budwitz et de Brüun, il attendit les Français le 11 juillet, et soutint sans désavantage, une partie de la journée, les efforts de Masséna et de Marmont.

Oudinot et Davoust accouraient pour soutenir l'attaque ; l'archiduc, jugeant que la résistance, tout en lui faisant honneur, n'amènerait aucun résultat, se résolut à faire écrire à Marmont qu'il allait envoyer le prince Lichtenstein à Napoléon pour demander un armistice. Ce simple avis, transmis à l'empereur, ne ralentit pas le combat ; au contraire, il importait que la suspension d'armes trouvât les troupes françaises dans une position qui permit à leur chef d'en dicter les conditions avec plus d'avantages. Aussi des ordres furent-ils expédiées, à l'instant même, pour hâter la marche de Davoust et d'Oudinot, tandis que Marmont et Masséna redoublaient d'efforts afin de couronner la journée par un dernier triomphe. Cependant, à sept heures du soir, au moment où Znaïm allait être enlevée, la nouvelle arriva que le prince de Lichtenstein était parvenu jusqu'à l'empereur, et que Napoléon consentait à la paix.

Aussitôt les deux armées s'arrêtèrent, le combat resta suspendu, et Napoléon rassembla dans sa tente un conseil où furent appelés les principaux chefs.

L'armistice fut signé la nuit du 11 juillet. Les principaux articles de ce traité assignaient aux Français de nouvelles et importantes positions. Les Autrichiens évacuaient Gratz, Brünn, Sachsembourg, le Tyrol et le Voralberg ; les armées de Pologne restaient dans la position où les surprendraient la suspension des hostilités.

L'empereur retourna le 14 à Schœnbrunn, où il établit de nouveau son quartier-général.

L'Autriche entière soupirait après le jour heureux qui lui rendrait la paix. L'archiduc Charles et Napoléon la hâtaient aussi de leurs vœux. Les conseillers de François II le décidèrent à continuer la guerre et à ne ratifier l'armistice que comme une trêve indispensable pour se disposer à reprendre bientôt les armes. Les conditions en, furent habilement éludées, et pour mieux attester sa désapprobation, l'empereur d'Autriche disgracia l'archiduc Charles, lui retira le commandement suprême de ses armées, et se mit lui-même à leur tête.

C'est à cette époque que l'Angleterre fit encore contre nous une tentative que lui suggéra sa haine bien plus que sa prudence. Trente-neuf vaisseaux de ligne et trente-six frégates, protégeant une multitude innombrable de transports, sortirent des dunes le malin du 29 juillet ; et, quelques heures après, ces forces furent signalées en vue de Walcheren, menaçant les bouches de l'Escaut. Le soir, les bâtiments vinrent mouiller au nord de cette île. La flotte, commandée par sir Richard Strachan, portait une armée de cinquante-cinq mille hommes d'élite, sous les ordres de lord Chatam.

Le cabinet de Londres avait pensé pouvoir refouler dans l'Escaut la flotte française, mouillée à son embouchure, la poursuivre, s'en emparer ou la détruire ; incendier les chantiers d'Anvers, les arsenaux, les casernes, le bagne, les magasins, faire sauter les cales, les écluses et les fortifications. Le ministère anglais avait résolu d'anéantir un établissement devenu menaçant pour les côtes de la Grande-Bretagne.

De la rapidité de l'exécution dépendait surtout la réussite de ce hardi projet. Si lord Chatam fût entré dans l'Escaut, eût débarqué une partie de son armée sur les bords du fleuve, s'en fût rendu maître, et eût marché directement sur Anvers, tout eût favorisé ce coup de main ; mais lord Chatam laissa le temps aux vaisseaux français de se rassembler,, de remonter le fleuve, afin de choisir une position favorable, à l'abri des batteries de terre, et tandis que les secours arrivaient de tous les côtés avec une activité prodigieuse, le général anglais débarquait lentement son armée dans l'île de Walcheren, et formait le siège de Flessingue. Deux jours après l'apparition de la flotte anglaise sur les côtes de la Belgique, tout était en sûreté, l'expédition était complètement manquée. L'Angleterre encore cette fois venait de faire inutilement une honteuse tentative.

C'est à Schœnbrunn que le télégraphe apporta à Napoléon la nouvelle de l'attaque de l'Angleterre. Les motifs de tergiversations de l'Autriche lui forent alors expliqués ; mais il apprenait que toute là Belgique avait volé au secours du point menacé ; que la France, appelée à se défendre elle-même, avait spontanément envoyé ses gardes nationales au-devant de l'ennemi ; la population entière avait couru aux armes. L'équipée des Anglais révéla à l'empereur et à ses ennemis le secret de ses forces ; aussi François II ne tarda-t-il pas à traiter de la paix.

Ce fut la petite ville d'Altembourg que l'on choisit pour le lieu des conférences : Napoléon y envoya M. de Champagny : le prince de Metternich y vint représenter l'Autriche.

Le 14 octobre, trois mois après la cessation des hostilités, l'empereur d'Autriche ratifia un traité qui rendait encore une fois Napoléon l'arbitre de l'Europe. Le cercle de Gorice, le territoire de Monte-Falcone, le gouvernement et la ville de Trieste, la Carniole, le cercle de Wellach en Carinthie et tous les pays situés à la droite de la Suave, jusqu'à la frontière de la Bosnie, ainsi que la seigneurie de Radziard enclavée dans le pays des Grisons, furent cédées à la France. Les pays de Salzberg et de Berchtlos-Gaden, ainsi que plusieurs autres provinces, furent distraits de la monarchie autrichienne et donnés aux princes de la confédération. Le roi de Saxe reçut pour sa part tous les enclaves dépendant de la Bohême, toute la : nouvelle Gallicie, un arrondissement autour de Cracovie. et le cercle de Zamosc. L'empereur de Russie eut aussi un accroissement de territoire avec une population de quatre cent mille âmes dans l'ancienne Gallicie. Par le même traité l'empereur d'Autriche sanctionnait tous les changements survenus ou qui pourraient survenir en Espagne, en Portugal et en Italie, et adhérait au système continental.

Deux jours avant la ratification de ce traité, par lequel l'Autriche, ravalée au niveau des puissances secondaires, ne devait plus être que l'esclave des volontés du guerrier qui lui dictait la loi, Napoléon courut le danger d'être assassiné, en passant la revue de sa garde, sur la place d'armes du château de Schœnbrunn. Un jeune homme d'une figure intéressante, douce et régulière, s'élançant brusquement sur l'empereur, voulut lui porter un coup de poignard ; le maréchal Berthier détourna le bras, et le général Rapp se saisit aussitôt de l'assassin. Un effroi général s'était emparé des témoins de cet attentat : Napoléon, assez maître de lui-même pour garder un calme inaltérable, continua d'ordonner les évolutions, comme s'il n'eût été distrait que par un incident sans importance.

On conduisit le jeune homme au corps-de-garde des gendarmes, et l'on ne trouva sur lui, en le fouillant, que le poignard, quatre frédérics d'or et un portrait de femme. On l'interrogea, mais il ne répondit que par ces mots : Je voulais parler à l'empereur. Napoléon se le fit alors amener, — D'où êtes-vous, et depuis quand t'es-vous à Vienne, demanda l'empereur ? — Je suis d'Erfurth, et j'habite Vienne depuis deux mois. — Que me vouliez-vous ? — Vous demander la paix, et vous prouver qu'elle est indispensable. — Pensez-vous que j'eusse voulu écouter un homme sans caractère et sans mission ? — En ce cas, je vous aurais poignardé. — Quel mal vous ai-je fait ? — Vous opprimez ma patrie et le monde entier ; si vous ne faites point la paix, votre mort est nécessaire au bonheur de l'humanité ; en vous tuant, j'aurais fait la plus belle action qu'un homme d'honneur puisse accomplir...... Mais j'admire vos talents, je comptais sur votre raison, et avant de vous frapper, je voulais vous convaincre. — Est-ce la religion qui a pu vous déterminer ? — Non ; mon père, ministre luthérien, ignore mon projet ; je ne l'ai communiqué à personne ; je n'ai reçu de conseil de qui que ce soit : seul depuis deux ans je médite votre changement ou votre mort. — Étiez-vous à Erfurth quand j'y suis allé l'année dernière ! — Je vous y ai vu trois fois. — Pourquoi ne m'avez vous pas tué alors ? — Vous laissiez respirer mon pays ; je croyais la paix assurée, et je ne voyais en vous qu'un grand homme. — Connaissez-vous Schneider et Schill ? — Non. — Êtes-vous franc-maçon, illuminé ? — Non. — Vous connaissez l'histoire de Brutus ? — Il y eut deux Romains de ce nom, le dernier est mort pour la liberté. — Avez-vous eu connaissance de la conspiration de Moreau et de Pichegru ! — Les papiers m'en ont instruit. — Que pensez-vous de ces hommes ? — Ils ne travaillaient que pour eux, et craignaient de mourir. — On a trouvé sur vous un portrait, quelle est cette femme ? — Ma meilleure amie, la fille adoptive de mon vertueux père. — Quoi ? votre cœur est ouvert à des sentiments si doux, et, en devenant un assassin, vous n'avez pas craint d'affliger, de perdre les êtres que vous aimez ? — J'ai cédé à une voix plus forte que ma tendresse. — Mais en me frappant au milieu de mon armée, pensiez-vous échapper ?— Je suis en effet étonné d'exister encore. — Si je vous faisais grâce, quel usage feriez-vous de votre liberté ? — Mon projet a échoué, vous êtes sur vos gardes.... Je m'en retournerais paisiblement dans ma famille.

Napoléon fit alors appeler son premier médecin, Corvisart, et lui demanda s'il ne trouvait pas dans ce jeune homme quelques symptômes de démence. Après l'avoir examiné avec soin, le médecin répondit qu'il ne trouvait pas même en lui les signes de la plus légère émotion.

Le malheureux resta quarante-huit heures dans une salle avec deux gendarmes ; il se promenait avec tranquillité, et s'agenouillait quelquefois pour prier Dieu. On lui avait apporté avec son dîner un couteau de table, il le prit et le considéra froidement ; un de ses gardes voulut le lui ôter des mains, il le rendit en disant : Ne craignez rien, je me ferais plus de mal que vous ne m'en ferez. Le lendemain, il entendit le canon, et en demanda la cause : C'est la paix, lui répondit-on. — La paix ! ne me trompez-vous point ? On lui donna l'assurance que rien n'était plus véritable. Il se livra d'abord à des transports de joie ; des larmes s'échappèrent ensuite de ses yeux ; il se jeta à genoux, pria avec ferveur, et se relevant : Je mourrai plus tranquille. On vint le chercher pour être fusillé ; il dit à l'officier qui lui annonça son sort : Monsieur, je ne vous demande qu'une grâce, c'est de n'être point lié. On la lui accorda ; il marcha librement, et mourut avec calme. Napoléon ne pouvait trouver une plus belle occasion d'exercer sa clémence ; il ne sut pas la mettre à profit. Il avait souvent pardonné aux princes et aux rois ; mais, pour gagner l'amour des peuples, n'aurait-il pas dû montrer que le dévouement sublime qu'inspirent la haine de l'oppression, le fanatisme de l'indépendance et de la liberté, n'était pas à ses yeux un crime irrémissible ? Malheureusement il s'était fait une toute autre politique.

Napoléon partit de Schœnbrunn le 14 octobre, et arriva le 26 au palais de Fontainebleau. Trois jours après, la paix avec l'Autriche fut publiée dans Paris ; elle fut accueillie avec enthousiasme. Déjà la nation commençait à se lasser de guerres qui se renouvelaient sans cesse. Elle espérait que la dernière leçon donnée à l'Autriche serait pour les autres puissances un avertissement de ne pas violer les traités, et elle pensait que Napoléon, pouvant désormais disposer de toutes ses forces, réduirait bientôt l'Espagne, et contraindrait enfin l'Angleterre à entrer en négociation. Flatteuses illusions qui ne tardèrent pas à s'évanouir ! L'Espagne aguerrie n'était plus qu'un monde de soldats ; elle ne pouvait plus être subjuguée, et l'Angleterre demeurait plus que jamais implacable.

 

FIN DU PREMIER VOLUME