HISTOIRE DE NAPOLÉON

TOME PREMIER

 

CHAPITRE NEUVIÈME.

 

 

SOMMAIRE : Passage du mont Saint-Bernard. — Capitulation de Gênes. — Bataille de Montebello. — Victoire de Marengo. — Suspension des hostilités. — Entrée triomphante a Milan. — Retour de Bonaparte à Paris.

1800.

 

Bonaparte, résolu à porter la guerre sur le Pô, entre Milan, Gênes et Turin, choisit la base de ses opérations sur les revers du Simplon et du Saint-Gothard. Le 13 mai il passe, à Lausanne, la revue de la véritable avant-garde de l'armée de réserve ; c'était le général Lannes qui la commandait. Les autres divisions suivaient en échelons. L'armée se composait de trente-six mille combattants, presque tous hommes d'élite. Dès son arrivée, rival audacieux de César et d'Annibal, il avait décidé le passage de toute l'armée et le transport des quarante bouches à feu formant son parc, par la crête des montagnes, à douze cents toises au-dessus du niveau de la mer. Le général du génie Marescot, qu'il avait chargé de la reconnaissance du Saint-Bernard, arriva à l'issue de la revue. Il avait eu beaucoup de peine à gravir l'escarpement jus qu'à l'hospice ; Bonaparte se contenta de cette question : — Peut-on passer ?Oui, répondit le général. — Eh bien ! partons. Léonidas n'était ni plus résolu ni plus laconique.

Le passage du grand Saint-Bernard semblait préférable à celui du Mont-Cenis, parce que, en descendant du premier, on avait l'avantage de laisser Turin sur la droite, et d'agir dans un pays plus couvert et moins connu. Le prompt transport de l'artillerie paraissait une chose impossible ; mais on avait tout prévu. Les munitions furent portées à dos de mulet ; les canons étaient placés dans des troncs d'arbres creusés ; cent soldats devaient s'atteler à chaque bouche à feu ainsi disposée. Toutes ces dispositions furent faites avec tant d'intelligence par les généraux d'artillerie Gassendy et Marmont, que la marche de l'artillerie ne put causer aucun retard.

A la vue des hauteurs inaccessibles qu'elle allait franchir, l'armée hésita un moment : le général Lannes s'élance le premier ; tout le suit. Borné d'un côté par un torrent rapide et profond, de l'autre par des rochers coupés à pic, l'étroit sentier, le seul par où l'on pût gravir, sur un espace d'environ six milles, était encombré de neige : à peine était-il frayé, que la moindre tourmente', agitant la neige supérieure, en effaçait les traces. Il fallait, sous peine de se précipiter dans le torrent, chercher d'autres points d'indication et former des traces nouvelles. Au sein de ces rochers, au milieu de ces glaces éternelles, les Français montrèrent un invincible courage. Gravissant péniblement, n'osant prendre le temps de respirer, de peur d'arrêter la colonne, affaissés presque sous le poids des armes et des bagages, ils s'excitaient les uns les autres : la musique des régiments se faisait entendre, et la charge que l'on battait par intervalles donnait une nouvelle vigueur aux soldats dans les endroits difficiles.

Le 16 mai, le premier consul alla coucher au couvent de Saint-Maurice, et toute l'armée passa le Saint-Bernard les 17, 18, 19 et 20. Napoléon passa lui-même le 20, et s'arrêta une heure au couvent des Hospitaliers. Ce couvent, bien approvisionné, fournit d'excellentes rations à chaque soldat. La descente fut plus difficile pour les chevaux que ne l'avait été la montée : Napoléon l'opéra à la ramasse sur un glacier presque perpendiculaire.

Bonaparte avait conduit avec tant d'adresse son plan d'opérations, que ni généraux ni soldats n'avaient su, lorsqu'ils se rendaient isolément et par des routes diverses vers Genève, quel but on se proposait d'accomplir. Mélas, plein de sécurité, pressait le blocus de Gênes, et combattait sur le Var contre Suchet, qui, séparé de Masséna, s'immortalisait par une résistance surhumaine. Ses soldats, modèles d'héroïsme et de constance, fermaient à l'Autriche l'entrée de la Provence et les défilés du Piémont. Gênes était en proie à la famine, à la contagion ; mais, défendue par Masséna, elle demeurait imprenable Mélas se trouvait tourné avant d'avoir appris la marche du consul.

L'avant-garde arriva bientôt à Aoste. Celte ville, prise après une vive résistance, fut pour l'armée d'une grande ressource. Le lendemain, Lannes attaqua à Châtillon quatre à cinq mille Croates qui y étaient en position, et que l'on avait crus suffisants pour garder la vallée.

L'armée française croyait avoir franchi tous les obstacles ; elle suivait une vallée assez belle, où l'on trouvait de la verdure et des maisons, lorsque tout-à-coup elle fut arrêtée par le canon du fort de Bard. Ce fort, bâti sur une roche de forme pyramidale, à la rive gauche de la Doire, ferme absolument la vallée et présente un obstacle redoutable. La route passe dans les fortifications de la ville, et l'on reconnut qu'il n'existait point d'autre passage. L'alarme se communiqua rapidement dans toute l'armée, et reflua sur les derrières. Le premier consul, qui était déjà arrivé à Aoste, se porta aussitôt devant Bard, et reconnut qu'on pouvait s'emparer de la ville. Il était de la dernière importance d'enlever cette position avant que Mélas n'eût connaissance de la marche de l'armée ; une demi-brigade, conduite par l'adjudant général Dufour, escalada donc l'enceinte, et se logea dans la ville, malgré une grêle de mitraille que l'ennemi fit pleuvoir toute la nuit ; enfin, le fort cessa de tirer, par considération pour les habitants. L'infanterie et la cavalerie passèrent un à un par un sentier de la montagne de gauche, qu'avait gravi le premier consul, et où jamais n'avait passé aucun cheval. Marescot et Berthier avaient eu l'heureuse idée d'y tailler dans les rochers une sorte d'escalier, qu'à force de travail on avait rendu praticable. Les nuits suivantes, les troupes d'artillerie firent passer leurs pièces par la ville dans le plus grand silence, le chemin avait été couvert de matelas et de fumier, les roues étaient enveloppées avec de la paille ; la garnison du fort ne se douta de rien. L'obstacle du fort de Bard fut plus considérable que celui du grand Saint-Bernard ; et cependant ni l'un ni l'autre ne retardèrent la marche de l'armée. Une batterie que l'on était parvenu à monter sur l'Albando, resta en arrière avec un corps de troupes pour réduire le fort, qui tomba au bout de dix jours.

Après les prodiges qui venaient de s'accomplir, l'armée devait se croire invincible, et elle le fut en effet : Bonaparte marcha à grandes journées sur Milan, qu'il fallait traverser pour aller combattre Mélas. Ce dernier, à la nouvelle de l'approche des Français ; fit refluer des troupes sur Turin, Le 24 mai, le général Lannes s'empara d'Ivrée, après en avoir chassé cinq à six mille Autrichiens, qui s'y étaient retranchés. Le surlendemain, il attaqua la position que l'ennemi avait prise derrière la Chiusella, pour couvrir Turin : cette position fut enlevée, ainsi que la ville de Chivasso, d'où l'avant-garde française intercepta le cours du Pô, et s'empara de toutes les barques chargées de vivres et de blessés provenant de l'évacuation de Turin. Toute l'armée de réserve arriva à Ivrée les 26 et 27 mai.

Le premier consul put alors opérer sur Milan et sur l'Adda pour faire sa jonction avec le corps de Moncey, composé de quinze mille hommes, qui venait de l'armée du Rhin par le Saint-Gothard. La base stratégique de l'opération que médite Bonaparte, soit que Masséna ou Mélas occupe Gênes, est sur le Pô entre l'embouchure du Tésin et le double confluent du Taparo et de la Bormida. Il se porta donc rapidement sur le Tésin, le passa malgré les corps d'observation de Mélas, et entra en libérateur le 2 juin dans Milan, où on venait seulement d'apprendre l'invasion française.

On se peindrait difficilement l'enthousiasme et l'étonnement des Milanais en voyant l'armée. Le premier consul marchait à l'avant-garde ; il fut un des premiers qui s'offrirent aux regards des habitons : on doutait que ce fût lui, parce qu'on avait répandu le bruit qu'il s'était noyé dans la Mer Rouge, et qu'un de ses frères commandait l'armée française. Pendant huit jours, le premier consul reçut des députations de tous les points de la Lombardie ; son premier soin fut de réorganiser le gouvernement de la république cisalpine, qu'il eut promptement rétablie à la grande satisfaction des Italiens, que l'Autriche n'avait pu soumettre qu'imparfaitement à son joug pesant. Le premier consul se porta sur la rive droite du Pô, afin de fermer à Mélas la route de Mantoue, et de l'obliger à recevoir la bataille. Sur ces entrefaites, des divisions françaises arrivèrent à Lodi et à Crémone ; l'alarme fut dans Mantoue, désapprovisionnée et sans garnison.

C'est à ce moment que par contre-coup l'on apprît que Gênes avait capitulé le 4 juin. La capitulation de Masséna, après une résistance sans exemple, ne pouvait être plus honorable ; mais ce général venait de s'embarquer pour se rendre à Antibes. Bonaparte était doublement affligé de cet événement, en ce que d'une part il le privait de la coopération du meilleur général de l'armée d'Italie ; et qu'en outre les troupes sorties de Gênes, réunies à celles de Suchet, qui s'avançait, et formant ensemble une vingtaine de mille hommes, auraient pu manœuvrer contre l'ennemi, et tenir en échec un pareil nombre de soldats autrichiens. Le premier consul vit alors qu'il ne pouvait compter que sur ses propres forces, et qu'il allait avoir à faire à toute l'armée autrichienne, à laquelle ne tarderaient pas à se joindre les troupes qui avaient été employées au blocus de Gênes, et qui accouraient à marches forcées.

Le général Ott avait fait la faute de ne quitter le blocus de Gênes qu'après la capitulation de Masséna ; Bonaparte, profitant de son imprévoyance, vint occuper le point important qu'il eût dû couvrir, et se plaça vers Stradella et le Pô. Les dix-huit mille hommes du général Ott occupaient Montebello. Le 8 juin, le général Lannes, avec huit mille hommes, était en position, et les observait en attendant des renforts ; mais il fut attaqué dès le point du jour. L'action fut meurtrière ; Lannes et ses troupes s'y couvrirent de gloire, et sur le midi, une division française étant arrivée, tout l'avantage resta complètement aux Français : trois mille morts et six mille prisonniers furent les trophées de cette première victoire.

Le premier consul resta en position à Stradella jusqu'au 12, pour réunir son armée. Desaix, qui revenait d'Egypte, était arrivé de la veille au quartier-général ; la nuit entière s'écoula en longues conférences entre Desaix et son ancien général. Desaix brûlait de se signaler, le premier consul lui donna sur-le-champ le commandement de la division Boudet.

Lannes avait battu l'une des armées ennemies, il fallait courir à l'autre et la battre à son tour : Mélas avait alors son quartier-général à Alexandrie ; toute son armée s'y était réunie depuis deux jours ; sa position était critique, parce qu'il avait perdu sa ligne d'opération ; et plus il tardait à prendre un parti, moins il avait d'espoir de se tirer de ce mauvais pas, car Suchet arrivait sur ses derrières.

Surpris de l'inaction de Mélas, Bonaparte conçut des inquiétudes ; il craignit que l'armée autrichienne ne se fût portée sur Gênes, ou bien qu'elle n'eût marché contre Suchet pour l'écraser, et revenir ensuite contre lui. Une grande reconnaissance de l'armée française quitta la position de Stradella pour se porter sur Scrivia. Mais on n'aperçut que quelques coureurs : il n'y avait plus à douter que l'armée autrichienne eût échappé à nos coups. En vain le lendemain le premier consul se porta-t-il au milieu de l'immense plaine de Marengo ; on ne put reconnaître l'ennemi. Il parût alors probable que Mélas marchait sur Gênes, La division Desaix fut dirigée en toute hâte sur l'extrême gauche, afin d'observer la chaussée d'Alexandrie à Novi. Le général Gardanne fut envoyé au village de Marengo, où il trouva trois à quatre mille Autrichiens qu'il mit en déroute. Enfin, le soir du 13 juin ; on n'avait aucune nouvelle de l'armée autrichienne. La nuit se passa dans cette situation, qui faisait concevoir les plus vives inquiétudes, car il était probable que Mélas, abandonnant le débouché de Marengo, si facile à défendre, ne voulait pas se battre, et se portait sur Gênes.

Cependant la plus horrible confusion régnait dans Alexandrie, depuis le combat de Montebello : le conseil autrichien voyait l'armée coupée dans sa ligne d'opération, et ses dépôts placés entre l'armée de Suchet, dont les avant-postes avaient déjà passé les montagnes, et celle du premier consul. Après bien des hésitations, Mélas se décida à faire un gros détachement sur Suchet, et à tenir le reste de son armée couvert par la Bormida et la citadelle d'Alexandrie. Mais dès qu'il apprit le mouvement du premier consul sur la Scrivia, il rappela son détachement, et se détermina à passer sur le ventre de l'armée française, afin de rouvrir ses communications avec Vienne. Toutes les chances pour le succès de la bataille étaient en faveur de l'armée autrichienne, supérieure en nombre à l'armée française, et ayant d'ailleurs trois fois autant de Cavalerie.

Le 13 juin les deux armées se trouvèrent en présence sur la rive droite du Pô et à peu de distancé du village de Marengo.

Le lendemain, à là pointe du jour, l'armée autrichienne déboucha au travers du long défilé de la Bormida et des marais qui le couvrent. Cinq heures après seulement, sur les huit heures, elle put se porter en avant sur trois colonnes. Elle avait quarante mille hommes au commencement dé l'action. L'armée française en ligne ne comptait que vingt mille hommes. Vers midi, le corps de Victor, vigoureusement attaqué, plia ; celui de Lannes entra en ligne à droite, et, après quelques succès, fut entraîné par la retraite de la gauche ; c'était une chose capitale pour Bonaparte de tenir sa droite, et pour Mélas de la forcer. Lé premier consul, qui vit le nœud de l'affaire dans la communication que sa droite assurait avec le reste de l'armée, fit avancer tout-à-coup, au milieu de la plaine, cette garde d'élite, long-temps la terreur de l'Europe, et qui, jeune alors, daté si heureusement sa gloire dé la journée de Marengo. Les assauts les plus terribles de l'ennemi se brisèrent contre son immobilité ; sa résistance héroïque donna le temps à la division Monnier d'arriver.

Celle-ci jeta une brigade dans Castel-Ceriolo, et l'armée française se trouva dans un ordre presque inverse à celui de la matinée, par échelons, l'aide droite en avant, tenant le point essentiel dé la première ligne de bataille, couvrant sa communication la plus importante, et occupant par son aile gauche la route de Tortone.

Malgré les efforts et le courage de Victor, de Lannes, dé Kellermann, quatre divisions françaises avaient été battues et enfoncées : la bataille semblait bien près d'être perdue. L'action cependant se maintenait. Mélas, au contraire, avait affaibli sa gauche pour augmenter sa droite, qu'il étendait inutilement sur Tortone. Ce mouvement n'échappa point au général qui savait le mieux juger son adversaire sur le terrain. Il était cinq heures : la division Lapoype ne se montrait pas ; mais Desaix parut sur le champ de bataille, à la tête de la seule division Boudet. Dans les mains de Bonaparte, ce renfort va devenir l'instrument de la victoire, et l'armée devine la pensée de son chef. Fatiguée d'une longue et sanglante retraite, elle voit, avec l'instinct d'une attente que son héros n'a jamais trompée, la troupe de Desaix couvrir sa gauche ; Desaix avait pris position sur la chaussée de San-Juliano : Bonaparte y court : Soldats, s'écrie-t-il, c'est avoir fait trop de pas en arrière, le moment est arrivé de marcher en avant ; souvenez-vous que mon habitude est de coucher sur le champ de bataille. L'armée répète avec joie le cri de l'attaque générale ordonnée sur toute la ligne.

Mélas, qui croyait la victoire décidée, était rentré dans Alexandrie, accablé de fatigue, laissant à son chef d'état-major, le général Zach, le soin de poursuivre l'armée française. Cependant la division Victor s'était ralliée ; toute la cavalerie de l'armée était placée sur la droite de Desaix, et en arrière de la gauche de Lannes. Six mille grenadiers de Zach ayant gagné la gauche de San-Juliano, le premier consul envoya l'ordre au général. Desaix de se précipiter, avec sa division toute fraîche, sur cette colonne ennemie. Desaix fait ses dispositions, et marche à la tête de deux cents éclaireurs ; mais il est mortellement frappé d'une balle dans la poitrine, et tombe entre les bras du colonel Lebrun, au moment où il venait de commander la charge. Ses dernières paroles furent pour sa patrie ; il exprima le regret de n'avoir pas fait assez pour elle. Cette mort glorieuse, digne de la vie de Desaix, ne dérangea en rien le mouvement. ; le général Boudet continua à se porter sur les grenadiers autrichiens. En même temps Kellermann, avec huit cents hommes de, grosse cavalerie, faisait une charge intrépide sur le flanc gauche de la colonne. En moins d'une demi-heure, ces six mille grenadiers furent enfoncés, culbutés, dispersés ; ils disparurent. Le général Zach et tout sou état-major furent faits prisonniers. Dans cet instant qui vengea Desaix et suspendit le deuil de sa perte, notre ligne se précipita en avant, et en moins d'une heure eut conquis le terrain disputé depuis le point du jour.

Le général Lannes marchait en avant au pas de charge ; Carra-Saint-Cyr se trouvait en potence sur le flanc gauche de l'ennemi, et beaucoup plus près des ponts sur la Bormida que lui-même. En un instant l'armée autrichienne fut dans la plus épouvantable confusion. Huit à dix mille hommes de cavalerie, qui couvraient la plaine, craignant que l'infanterie de Carra-St-Cyr ne se trouvât au pont avant eux, se mirent en retraite au galop, en culbutant tout ce qui était sur leur passage. Chacun ne pensait plus qu'à fuir : l'encombrement devint extrême sur tous les ponts de la Bormida, et, à la nuit, tout ce qui était resté sur la rive gauche tomba au pouvoir des troupes de la République. Il serait difficile de peindre la confusion et le désespoir de l'armée autrichienne. Mélas, voulant sauver d'une perte inévitable ce qui lui restait de troupes, envoya un parlementaire proposer une suspension d'armes, ce qui donna lieu le lendemain, 15 juin, à une convention. On fixa la ligne de neutralité des deux armées entre la Chieza et le Mincio. Mélas accepta les conditions les plus rigoureuses, quoiqu'il eût des forces aussi nombreuses que les nôtres, et que le Piémont lui ouvrit la carrière d'une longue campagne de sièges et de positions. La place de Gênes, toutes les forteresses du Piémont, de la Lombardie et des légations furent remises à l'armée française ; l'armée autrichienne obtint à ce prix la permission de retourner derrière Mantoue, et tonte l'Italie se trouva conquise. La joie des Piémontais, des Génois, des Italiens ne peut s'exprimer : ils se voyaient rendus à la liberté, sans passer par les horreurs d'une longue guerre.

Tels furent les résultats presque incroyables de la bataille de Marengo. En hommes, la perte fut à peu près égale des deux côtés ; les premiers fruits de la victoire furent six mille prisonniers, un général, huit drapeaux, vingt bouches à feu et douze places fortes. En France, cette nouvelle parut d'abord incroyable, mais la joie n'en fut que plus grande quand on apprit officiellement le triomphe remporté par le premier consul, et tout ce que ses suites avaient d'avantageux pour la République.

L'heureux conquérant, pressé de recueillir les fruits de sa victoire, quitta le champ de bataille le 17 juin, et fit le même jour son entrée solennelle à Milan. Les actions de grâces qu'il alla rendre à la cathédrale, la pompe des cérémonies religieuses qui furent rétablies par ses ordres, le trône des Césars qu'il fit préparer dans le sanctuaire, et sur lequel il alla s'asseoir, fixèrent tous les regards, et durent être pour l'Europe un grand avertissement. Bonaparte s'occupa sur-le-champ de mettre la dernière main à l'organisation de la république cisalpine, au sein de laquelle il institua un gouvernement provisoire en attendant que la constitution de cet état fût définitivement promulguée, avec les modifications qu'il avait jugées nécessaires. La république ligurienne fut aussi réorganisée, et recouvra son indépendance. Les Autrichiens, lorsqu'ils étaient maîtres du Piémont, n'avaient pas voulu rétablir le roi dé Sardaigne ; le premier consul créa un gouvernement provisoire en Piémont, et nomma le général Jourdan ministre de la République française près de ce gouvernement. Il donna ensuite au général Masséna le commandement en chef de l'armée d'Italie, et, se préparant à repasser le Mont-Cenis, il quitta Milan le 24 juin. Il s'arrêta quelques jours à Lyon pour ordonner la réparation des ruines et des monuments de cette belle ville ; il y posa la première pierre de la place Bellecour.

Bonaparte arriva à Paris dans la nuit du 22 juillet, et descendit incognito dans sa maison de la rue Chantereine ; mais le lendemain la nouvelle de son retour se répandit : toute la population de la ville et des faubourgs accourut aux Tuileries, toutes les maisons furent spontanément illuminées le soir : le retour du vainqueur de Marengo fut une fête d'enthousiasme. Vingt ans plus tard, sur le rocher de Sainte Hélène, Napoléon disait en se rappelant cet accueil : Ce fut un bien beau jour !...