HISTOIRE DE NAPOLÉON

TOME PREMIER

 

CHAPITRE QUATRIÈME.

 

 

SOMMAIRE : Insurrection de Venise et du Véronais. — Manifeste. — Démarches tardives du doge et du conseil des dix. — Expédition et occupation du pays vénitien. — L'oligarchie est renversée. — Convention avec les membres de la municipalité élus parle peuple. — Négociations à Léoben. — Etablissement de la république Cisalpine. — Proclamation à l'occasion de l'anniversaire du 14 juillet. — 18 fructidor. — Adieux de Bonaparte à l'armée d'Italie. — La réception qu'on lui fait à Paris.

1797.

 

Bonaparte, au moment où le théâtre de la guerre allait changer, voulut se mettre en garde contre un retour de fortune en Italie. Il ne comptait pas trop que les peuples qui avaient accueilli nos drapeaux au sein de la victoire ne chercheraient pas à se soulever. Venise et son gouvernement lui donnaient surtout de vives inquiétudes. Il était informé que le doge ainsi que le sénat entretenaient des intelligences avec la cour de Vienne. Afin de déjouer ces "intrigues, Bonaparte organisa une police secrète, qui non-seulement l'avertissait de tout ce qui se tramait ; mais qui encore semblait entrer dans les vues des conspirateurs. Un adjudant-général était à la tête de cette police, presqu'entièrement composée d'italiens qui, dans la supposition où quelque mouvement hostile serait projeté, se flattaient de le dévoiler à temps et de le diriger de manière à le faire échouer. Il s'agissait pour eux de profiter des mauvaises dispositions existantes et de les convertir en actions, afin qu'il devint possible de les réprimer. Bonaparte avait besoin que les amis comme lés ennemis de la France se révélassent promptement ; il lui convenait surtout que les derniers fussent poussés au dénouement de leurs menées, pendant qu'on était en mesure d'avoir raison de leur perfidie. Il fallait donc qu'il réussît à les entretenir dans une sorte de sécurité sur leurs mauvais desseins ; qu'il feignit de craindre pour mieux les enhardir ; qu'il parut croire aux protestations de leur dévouement ; mais en même temps il se préparait à les écraser. Aussi quand Venise, oubliant ses promesses d'attachement à la République française, appela aux armes tous les paysans du Véronais, lorsqu'à l'approche de dix mille hommes de milices tyroliennes, conduites par le général autrichien London, elle fit donner dans les campagnes le signal de nouvelles vêpres siciliennes, put-il prendre vis-à-vis des insurgés le ton d'un maître qui tient le châtiment dans ses mains. Ce fut au doge de Venise qu'il adressa ses remontrances et ses menaces. Junot, l'un de ses aides-de-camp, était porteur de ce message, qui fut lu en plein sénat, et qui était ainsi conçu :

Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, au sérénissime doge de la république de Venise.

Quartier-général de Judembourg, 9 avril 1797.

Dans toute la terre ferme, les sujets vénitiens sont sous les armes. Leur cri de ralliement est : Mort aux Français ! Le nombre de soldats d'Italie qui en ont été, victimes monte déjà à plusieurs centaines. Vous affectez vainement de désavouer les attroupements que vous-même avez préparés. Croyez-vous que quand j'ai pu porter mes armes au cœur de l'Allemagne, je n'aurai pas la force de faire respecter le premier peuple du monde ? Pensez-vous que les légions d'Italie puissent souffrir les massacres que vous excitez ? le sang de nos frères d'armes sera vengé, et il n'est pas un seul bataillon français qui, chargé de cette, mission généreuse, ne se sente trois fois plus de courage et de moyens qu'il ne lui en faut pour vous punir. Le sénat de Venise a répondu par la plus noire perfidie à notre générosité soutenue à son égard. Je prends le parti de vous envoyer mes propositions par un de mes premiers aides-de-camp et chef de brigade : la guerre ou la paix. Si vous ne prenez sur-le-champ toutes les mesures pour dissiper les attroupements, si vous ne faites arrêter et remettre en mes mains les auteurs des meurtres qui se commettent, la guerre est déclarée. Le Turc n'est pas sur vos frontières : aucun ennemi ne vous menace, et cependant vous avez fait arrêter de dessein prémédité des prêtres, pour faire naître un attroupement : je vous donne vingt-quatre heures pour le dissiper. Les temps de Charles VIII sont passés. Si, malgré la bienveillance que vous a montrée le gouvernement français, vous me réduisez à vous faire la guerre, ne pensez pas que le soldat français, comme les brigands que vous avez armés, aille ravager les champs du peuple innocent et malheureux de la terre ferme : non, je le protégerai, et il bénira jusqu'aux forfaits qui auront obligé l'armée française de l'arracher à votre tyrannique gouvernement.

 

L'attitude de Junot, le ton de fermeté de cet ultimatum, si précis et si solennel, apporté au moment où se répandait la nouvelle de la signature des préliminaires à Léoben, confondirent ces oligarques, jusqu'alors si fiers d'une puissance qu'on était habitué à respecter. Ils descendirent aux excuses, et dès le jour même, le doge répondit à Bonaparte : il rejetait les désordres et les assassinats sur une instigation à laquelle il était resté étranger. Mais une enquête rigoureuse vint mettre au grand jour l'infâme conduite du gouvernement vénitien : une correspondance interceptée donna la clé de toutes les basses intrigues auxquelles il s'était livré. Bonaparte, ayant recueilli des preuves accablantes, n'hésita plus à fulminer une déclaration de guerre, dans laquelle la nature des griefs articulés ne permettait plus de concevoir le moindre doute sur le sort qu'il réservait au sénat vénitien. Cette pièce est un beau monument, qui atteste la justice de nos armes et dépose de la longanimité du guerrier, qui, pour frapper un coup terrible, attend que la mesure des attentats soit comblée : aussi l'arrêt qu'il prononce est irrévocable, et les rigueurs qu'appelle une odieuse trahison ne sont que trop bien légitimées par cette récapitulation des actes qui la constituent :

Au quartier-général à Palma-Nova, le 13 floréal an V. (2 mai 1797).

Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie.

MANIFESTE.

Pendant que l'armée française est engagée dans les gorges de la Styrie, et laisse loin derrière elle l'Italie et les principaux établissements de l'armée, où il ne resté qu'un petit nombre de bataillons, voici la conduite que tient te gouvernement de Venise :

1° Il profite de la semaine sainte pour armer quarante mille paysans, y joint dix régiments d'Esclavons, les organise en différents corps d'armée, et les poste aux différents points pour intercepter toute communication entre l'armée et ses derrières.

2° Des commissaires extraordinaires, des fusils, des munitions de toute espèce, une grande quantité de canons, sortent de Venise même pour achever l'organisation de différents corps d'armée.

3° On fait arrêter en terre ferme ceux qui nous ont accueillis ; on comble de bienfaits et de toute la confiance du gouvernement tous ceux en qui on connaît une haine furibonde contre le nom français, et spécialement les quatorze conspirateurs de Vérone, que le provéditeur Prioli avait fait arrêter il y a trois mois, comme ayant médité regorgement des Français.

4° Sur les places, dans les cafés et autres lieux publics de Venise, on insulte et on accable de mauvais traitements tous les Français, les traitant injurieusement de jacobins, de régicides, d'athées : les Français doivent sortir de Venise, et peu après il leur est même défendu d'y rentrer.

5° On ordonne au peuple de Padoue, de Vicence, de Vérone, de courir aux armes, de seconder les différends corps d'armée, et de commencer enfin ces nouvelles vêpres siciliennes. Il appartient au Lion de Saint-Marc, disent les officiers vénitiens, de vérifier le proverbe que l'Italie est le tombeau des Français.

6° Les prêtres, en chaire, prêchent la croisade, et les prêtres, dans l'État de Venise, ne disent jamais que ce que veut le gouvernement. Des pamphlets, des proclamations perfides, des lettres anonymes sont imprimés dans les différentes villes, et commencent à faire fermenter toutes les têtes ; et, dans un état où la liberté de la presse n'est pas permise, dans un gouvernement aussi craint que secrètement abhorré, les imprimeurs n'impriment, les auteurs ne composent, que ce que veut le sénat.

7° Tout sourit d'abord aux projets perfides du gouvernement ; le sang français coule de toutes parts ; sur toutes les routes on intercepte nos convois, nos courriers et tout ce qui tient à l'armée.

8° A Padoue, un chef de bataillon et deux autres Français sont assassinés. A Castiglione de Mori, nos soldats sont désarmés et assassinés. Sur toutes les grandes routes de Mantoue à Legnago, de Cassano à Vérone, nous avons plus de deux cents hommes assassinés.

9° Deux bataillons français, voulant rejoindre l'armée, rencontrent à Chiari une division de l'armée vénitienne, qui veut s'opposera leur passage ; un combat s'engage, et nos braves soldats se font passage en mettant en déroute ces perfides ennemis.

10° A Valeggio il y a eu un autre combat ; à Dezenzano, il faut encore se battre : les Français sont partout peu nombreux ; mais ils savent bien qu'on ne compte pas le nombre des bataillons ennemis, lorsqu'ils ne sont composés que d'assassins.

11° La seconde fête de Pâques, au son de la cloche, tous les Français sont assassinés dans Vérone. On ne respecte ni les malades dans les hôpitaux, ni ceux qui, en convalescence, se promènent dans les rues ; ils sont jetés dans l'Adige, ou meurent percés de mille coups de stylet : plus de quatre cents Français sont assassinés.

12° Pendant huit, jours, l'armée vénitienne assiège les trois châteaux de Vérone : les canons qu'ils mettent en batterie leur sont enlevés à la baïonnette ; le feu est mis dans la ville, et la colonne mobile qui arrive sur ces entrefaites, met ces lâches dans une déroute complète, en faisant trois mille hommes de troupes de ligne prisonniers, parmi lesquels plusieurs généraux vénitiens.

13° La maison du consul français de Zante est brûlée dans la Dalmatie.

14° Un vaisseau de guerre vénitien prend sous sa protection un convoi autrichien, et tire plusieurs boulets contre la corvette la Brune.

15° Le Libérateur de l'Italie, bâtiment de te République, ne portant que trois à quatre petites pièces de canon, et n'ayant que quarante hommes d'équipage, est coulé à fond dans le port même de Venise, et par les ordres du sénat. Le jeune et intéressant Laugier, commandant ce bâtiment, dès qu'il se voit attaqué par le feu du fort et de la galère amirale, n'étant éloigné de l'un et l'autre que d'une portée de pistolet, ordonne à son équipage de se mettre à fond de cale : lui seul il monte sur le tillac au milieu d'une grêle de mitraille, et cherche par ses discours à désarmer la fureur de ses assassins ; mais il tombe roide mort ; son équipage se jette à la nage et est poursuivi par six chaloupes, montées par des troupes soldées par la république de Venise, qui tuent à coups de hache plusieurs de ceux qui cherchaient leur salut dans la haute mer. Un contremaître, blessé de plusieurs coups, affaibli, faisant sang de tous côtés, a le bonheur de prendre terre à un morceau de bois touchant au château du port ; mais le commandant lui-même lui coupe le poignet d'un coup de hache.

Vu les griefs ci-dessus, et autorisé par le titre 12, art. 328 de la constitution de la République, et vu l'urgence des circonstances :

Le général en chef requiert le ministre de France près la république de Venise de sortir de ladite ville ; ordonne aux différends agents de la république de Venise dans la Lombardie de l'évacuer sous vingt-quatre heures.

Ordonne aux différends généraux de division de traiter en ennemi les troupes de la république de Venise, de faire abattre dans toutes les villes de la terre ferme le Lion de Saint-Marc. Chacun recevra à l'ordre du jour de demain une instruction particulière pour les opérations militaires ultérieures.

BONAPARTE.

 

La veille Bonaparte avait écrit au Directoire pour lui annoncer ses intentions, et lui faire connaître les motifs qui le déterminaient à anéantir le gouvernement vénitien. Cette dépêche du général en chef fait pressentir une éclatante vengeance ; elle respire l'indignation ; l'heure des représailles a sonné.

Je reçois dans l'instant, écrit Bonaparte, des nouvelles de Vérone. Je vous envoie les rapports du général de division Balland, du général Kilmaine et du chef de brigade Beaupoil. Dès l'instant que j'eus passé les gorges de la Carinthie, les Vénitiens crurent que j'étais enfourné en Allemagne, et ce lâche gouvernement médita des vêpres siciliennes. Dans la ville de Venise et dans la terre ferme on courut aux armes. Le sénat exhorta les prédicateurs, déjà assez portés par eux-mêmes à prêcher la croisade contre nous. Une nuée d'Esclavons, une grande quantité de canons, et plus de cent cinquante mille fusils furent envoyés, dans la terre ferme, des commissaires extraordinaires, avec de l'argent, furent envoyés de tous côtés pour enrégimenter les paysans Cependant M. Pesaro, l'un des sénateurs, me fut envoyé à Goritzia, afin de chercher à me donner le change sur tout ces armements. J'avais des raisons de me méfier de leur atroce politique, que j'avais assez appris à connaître ; je déclarai approuver cet armement, s'il n'avait pour but que de faire rentrer des villes dans l'ordre, moyennant qu'on me demanderait la médiation de la République : il me promit tout et ne tint rien. Il resta à Goritzia et à Udine assez de temps pour être persuadé par lui-même que j'étais passé en Allemagne, et que les marches rapides que je faisais tous les jours donneraient le temps d'exécuter les projets qu'on avait en vue.

Le 30 germinal, des corps de troupes vénitiennes considérables, augmentés par une grande quantité de paysans, interceptèrent les communications de Vérone à Porto-Legnago. Plusieurs de mes courriers furent sur-ler champ égorgés, et les dépêches portées à Venise. Pins de deux mille hommes furent arrêtés dans différentes villes de la terre ferme, et précipités sous les plombs de Saint-Marc : c'étaient tous ceux que la farouche jalousie des inquisiteurs soupçonnait de nous être favorables. Ils défendirent à Venise que le canal où ils ont coutume de noyer les criminels fût -nettoyé. Eh ! qui peut calculer le nombre des victimes que ces monstres ont sacrifiés ?

Cependant, au premier bruit que j'eus de ce qui se tramait, j'en sentis la conséquence ; je donnai au général Kilmaine le commandement de toute l'Italie. J'ordonnai au général Victor de se porter avec sa division, à marches forcées, dans le pays vénitien.

Les divisions du Tyrol s'étant portées sur l'armée active, cette partie devenait plus découverte ; j'y envoyai sur-le-champ le général Baraguay-d'Hilliers. Cependant le général Kilmaine réunit des colonnes mobiles de Polonais, de Lombards et de Français qu'il avait à ses ordres, et qu'il avait remis sous ceux des généraux Chabran et Lahoz. A Padoue, à Vicence et sur toute la route, les Français étaient impitoyablement assassinés. J'ai plus de cent procès-verbaux qui tous démontrent la scélératesse du gouvernement vénitien.

J'ai envoyé à Venise mon aide-de-camp Junot, et j'ai écrit au sénat la lettre dont je vous ai envoyé copie.

Pendant ce temps, ils étaient parvenus à rassemblera Vérone quarante mille Esclavons, paysans, ou compagnies de citadins qu'ils avaient armés, et au signal de plusieurs coups de la grosse cloche de Vérone et de sifflets, on court sur tous les Français, qu'on assassine : les uns furent jetés dans l'Adige ; les autres, blessés et tout sanglons, se sauvèrent dans les forteresses, que j'avais depuis long-temps eu soin de réparer et de munir d'une nombreuse artillerie.

Je vous envoie le rapport du général Balland ; vous y verrez que les soldats de l'armée d'Italie, toujours dignes d'eux, se sont, dans cette circonstance comme dans toutes les autres, couverts de gloire. Enfin, après six jours de siège, ils furent dégagés par les mesures que prit le général Kilmaine après les combats de Dezenzano, de Valeggio et de Vérone. Nous avons fait trois mille cinq cents prisonniers, et nous avons enlevé tous leurs canons. A Venise, pendant ce temps, on assassinait tous les Français, ou on les obligeait à quitter la ville. Tant d'outrages, tant d'assassinats ne resteront pas impunis ; mais c'est à vous surtout et au corps législatif qu'il appartient de venger le nom français d'une manière éclatante. Après une trahison aussi horrible, je ne vois plus d'autre parti que celui d'effacer le nom vénitien de dessus la surface du globe. Il faut le sang de tous les nobles vénitiens pour apaiser les mânes des Français qu'ils ont fait égorger.

J'ai écrit à des députés que m'a envoyés lé sénat là lettre que je vous fais passer ; j'ai écrit au citoyen Lallement la lettre que je vous envoie également. Dès l'instant où je serai arrivé à Trévise, j'empêcherai qu'aucun Vénitien ne vienne en terre ferme, et je ferai travailler à des radeaux, afin de pouvoir forcer les lagunes et chasser de Venise même ces nobles, nos ennemis irréconciliables, et les plus vils de tous les hommes. Je vous écris à la hâte ; mais dès l'instant que j'aurai recueilli tous les matériaux, je ne manquerai pas de vous faire passer dans le plus grand détail l'histoire de ces conspirations aussi perfides que les vêpres siciliennes.

L'évêque de Vérone a prêché, la semaine sainte et le jour de Pâques, que c'était une œuvre méritoire et agréable à Dieu de tuer les Français. Si je l'attrape, je le punirai exemplairement.

BONAPARTE.

 

Les insurgés, certains que l'Autriche ne pourrait désormais les appuyer, même secrètement, n'attendirent pas qu'on entreprit de les réduire par la force : ils déposèrent les armes, et livrèrent des otages pour répondre de leur soumission. Le sénat vénitien, abandonné à ses propres ressources, se vit contraint de se démettre de son autorité, et de résigner dans les mains de la cité la puissance qui lui venait d'elle. Ce terrible conseil des Dix, dont la tyrannie s'était si long-temps exercée dans les ténèbres, fut remplacé par une municipalité dont tous les actes devaient être produits au grand jour. Le doge s'enfuit avec la plupart des familles patriciennes, pressées comme lui de dérober leurs têtes à la haine et au mépris public. Bergame, Brescia, Bassano, Padoue, Vicence, Udine s'érigèrent en républiques. Bonaparte alors écrivit an Directoire :

Au quartier-général de Palma-Nova, le 12 floréal an V (8 mai 1797).

Je suis parti, le 12 floréal, de Palma-Nova, et je me suis rendu à Mestre. J'ai fait occuper parles divisions des généraux Victor et Baraguay-d'Hilliers toutes les extrémités des lagunes. Je ne suis éloigné actuellement que d'une petite lieue de Venise, et je fais les préparatifs pour pouvoir y entrer de force, si les choses ne s'arrangent pas. J'ai chassé de la terre ferme tous les Vénitiens, et nous en sommes en ce moment exclusivement les maîtres. Le peuple montre une grande joie d'être délivré de l'aristocratie vénitienne : il n'existe plus de Lion de Saint-Marc.

Comme j'étais sur le bord des lagunes, sont arrivés trois députés du grand conseil, qui me croyaient encore en Allemagne et qui venaient avec des pleins pouvoirs du même conseil, pour finir tous les différends. Ils m'ont remis la note que je vous envoie. En conséquence, je leur ai fait répondre par le général Berthier la lettre que je vous fais tenir. Je viens de recevoir une nouvelle députer tion,

Les inquisiteurs sont arrêtés ; le commandant du fort de Lido, qui a tué Laugier est arrêté ; tout le corps du gouvernement a été destitué par le grand conseil, et celui-ci lui-même a déclaré qu'il allait abdiquer sa souveraineté et établir la forme du gouvernement qui me paraîtrait la plus convenable. Je compte d'après cela y faire établir une démocratie, et même faire entrer dans Venise trois ou quatre mille hommes de troupes. Je crois qu'il devient indispensable que vous renvoyiez M. Quirini.

Depuis que j'ai appris le passage du Rhin par Hoche et Moreau, je regrette bien qu'il n'ait pas eu lieu quinze jours plutôt, ou que du moins Moreau n'ait pas dit qu'il était dons le cas de l'effectuer. Notre position militaire est tout aussi bonne aujourd'hui qu'il y a quinze jours ; j'occupe encore Clagenfurth, Goritzia et Trieste. Tons les paysans vénitiens sont désarmés ; dans toutes les villes, ceux qui nous étaient opposés sont arrêtés ; nos amis sont partout en place, et toute la terre ferme est municipalisée. On travaille tous les jours sans relâche aux fortifications de Palma-Nova.

Je vous prie de désigner le Frioul pour le lieu où les Autrichiens doivent nous faire passer les prisonniers français. Nous ne leur en restituerons qu'à mesure qu'ils nous restitueront les nôtres.

Le choix des membres qui composent le Directoire de la Cisalpine est assez mauvais ; il s'est fait pendant mon absence, et a été absolument influencé par les prostrés ; mais comme Modène et Bologne ne doivent faire qu'une seule république avec Milan, je suspends l'activité du gouvernement, et je fais rédiger ici par quatre comités différends toutes les lois militaires, civiles, financières, et administratives qui doivent accompagner la constitution. Je ferai, pour la première fois, tous les choix, et j'espère que d'ici à vingt jours toute la nouvelle république italienne sera parfaitement organisée et pourra marcher toute seule.

Mon premier acte a été de rappeler tous les hommes qui s'étaient éloignés, craignant les suites de la guerre. J'ai engagé l'administration à concilier tous les citoyens et à détruire toute espèce de haine qui pourrait exister. Je refroidis les têtes chaudes, et j'échauffe les froides. J'espère que le bien inestimable de la liberté donnera à ce peuple une énergie nouvelle, et le mettra dans le cas d'aider puissamment la République française dans les guerres futures que nous pourrions avoir.

BONAPARTE.

 

Le 27 floréal an V (16 mai 1797) un traité de paix fut conclu entre Venise et la république française. Bonaparte, dans cet acte, se montra clément comme le général d'une grande nation. Toutes ses sévérités se bornèrent à expulser des états vénitiens les principaux fauteurs de la trahison. Le peuple brûla lui- même les oripeaux de ses anciens maîtres. Le livre d'or et le bonnet ducal furent livrés aux flammes. Le Lion de Saint-Marc, jusqu'alors vénéré comme le palladium de la république, et les chevaux de Corinthe furent envoyés à Paris. Le premier de ces trophées était destiné à décorer l'esplanade des Invalides ; quant aux chevaux, Paris les voyait avec orgueil orner la grille du Carrousel, puis l'arc de triomphe sur lequel l'étranger les retrouva lorsque la trahison l'eut introduit au cœur de la France.

Bonaparte montra qu'il n'était pas moins habile négociateur que grand capitaine. Ce fut lui qui posa les bases du traité entre la France et l'Autriche ; elles étaient le résultat d'une haute pensée politique ; car Bonaparte était persuadé que la République ne devait profiter de ses victoires que pour changer la face du monde : il fallait, selon lui, que Paris fût irrévocablement le haut point de la civilisation moderne, le centre et le foyer des arts et des lumières en Europe : ces vues, que tous les efforts de Bonaparte tendaient à réaliser, n'excédaient pas l'élévation de son- génie, mais elles étaient trop vastes pour le Directoire, gouvernement faible, habitué à vivre au jour le jour, n'ayant aucune conception pour l'avenir et manquant même de la sagacité nécessaire pour comprendre les projets de son général. Le Directoire ne songeait qu'à se délivrer des embarras de sa situation présente, Bonaparte au contraire se proposait de donner à la France la prééminence qui lui appartient, sans se soucier de ce que deviendra le Directoire : il tient de son épée la puissance de dicter la paix et d'en régler les conditions, il ne prend conseil que de lui-même, et tout ce qu'il garde de déférence à l'égard des directeurs se borne à les initier à ses motifs, sans leur demander leur avis :

Nous sommes à l'article de la reconnaissance, leur écrit-il, j'ai dit aux négociateurs que la république française ne voulait pas être reconnue. Elle est en Europe ce qu'est le soleil sur l'horizon : tant pis pour qui ne veut pas la voir et en profiter.

Si l'un des trois projets que je vous fais passer est accepté à Vienne, les préliminaires de la paix se trouveront signés le 20 avril.

Si rien de tout cela n'est accepté, nous nous battrons ; et si l'armée de Sambre-et-Meuse s'est mise en marche le 20, elle pourrait, dans les premiers jours du mois prochain, avoir frappé de grands coups et se trouver sur la Reidnitz. Les meilleurs généraux et les meilleurs troupes sont devant moi. Quand on a bonne volonté d'entrer en campagne, il n'y a rien qui arrête, et jamais, depuis que l'histoire nous retrace des opérations militaires, une rivière n'a pu être un obstacle réel. Si Moreau veut passer le Rhin, il le passera ; et s'il l'avait déjà passé, nous serions dans un état à pouvoir dicter les conditions de la paix d'une manière impérieuse, et sans courir aucune chance ; mais qui craint de perdre sa gloire est sûr de la perdre. J'ai passé les Alpes juliennes et les Alpes noriques sur trois pieds de glace ; j'ai fait passer mon artillerie par des chemins où jamais chariots n'avaient passé, et tout le monde croyait la chose impossible. Si je n'eusse vu que la tranquillité de l'armée et mon intérêt particulier, je me serais arrêté au-delà de l'Isonzo. Je me suis précipité dans l'Allemagne pour dégager les armées du Rhin et empêcher l'ennemi d'y prendre l'offensive. Je suis aux portes de Vienne, et cette cour insolente et orgueilleuse a ses plénipotentiaires à mon quartier-général. Il faut que les armées du Rhin n'aient point de sang dans les veines : si elles me laissent seul, alors je m'en retournerai en Italie. L'Europe entière jugera la différence de conduite des deux armées : elles auront ensuite sur le corps toutes les forces de l'empereur, elles en seront accablées, et ce sera leur faute.

 

Bonaparte avait raison de se plaindre de la longue inaction des deux armées françaises sur le Rhin ; mais le reproche de lenteur devait plutôt être adressé au Directoire qu'à Moreau, qui n'avait eu que le tort d'obéir trop ponctuellement aux instructions qu'il recevait de Paris. Moreau, général servile, incapable de rien prendre sur lui, de rien oser de ce qu'il pouvait concevoir, s'était tenu immobile aussi long-temps qu'il n'avait pas reçu l'ordre de marcher. A la tête des plus belles troupes de la République, il avait réprimé leur impatience de se battre, et les manifestations de leur ardeur belliqueuse avaient été impuissantes pour le décider à les faire sortir de leurs cantonnements. La conduite de Moreau à cette époque est peut-être déjà un indice de sa participation au complot dans lequel était entré l'infâme Pichegru : on se rappelle qu'ayant trouvé dans les fourgons de Kinglin la correspondance de ce traître avec le prince de Condé, il avait gardé pour lui seul le secret de cette importante découvert ; d'après ce fait, il est assez naturel de croire que Moreau n'était pas fâché des hésitations du Directoire. Si l'Autriche en eût tiré un avantage décisif, il aurait pu s'en faire un mérite auprès de la contre-révolution, à laquelle dès lors il s'était sans doute tacitement allié. Le dénouement que son ami Pichegru préparait aurait eu lieu, et on ne l'aurait imputé qu'à l'ineptie du Directoire. Dans cette conjoncture, Moreau semble n'avoir d'autre but que de sauver sa réputation d'habileté, quant à la gloire de la patrie et au succès que pouvait lui valoir une détermination hardie, il ne parait pas y prendre un bien vif intérêt ; aussi attend-il très paisiblement qu'on lui donne l'ordre de se porter en avant. Cet ordre, il le reçut enfin et il l'exécuta : ses mouvements combinés avec ceux de Hoche, dont l'armée le précédait, furent effectués avec une remarquable précision stratégique. Les Autrichiens, battus partout, abandonnèrent du terrain. Moreau les repoussa jusqu'à Lichtenau, et il se disposait à tenter contre eux le sort d'une bataille, lorsqu'il reçut un parlementaire accompagné d'un courrier venant de l'armée d'Italie, qui lui apportait la signature des préliminaires de paix à Léoben. Les hostilités furent aussitôt suspendues sur tous les points, et l'armée française garda les positions qu'elle occupait avant l'arrivée du courrier, entre Ettenheim et Lichtenau. En même temps Bonaparte informait le Directoire de l'heureuse issue des négociations, qu'il représentait comme le résultat du système qu'il avait conçu et dirigé.

Le vrai plan de campagne pour détruire l'empereur, ajoutait-il, était celui que j'ai suivi. Dès l'instant que j'ai prévu que les négociations s'ouvraient sérieusement, j'ai expédié un courrier au général Clarke, qui, chargé plus spécialement de vos instructions dans un Objet aussi essentiel, s'en serait mieux acquitté que moi ; mais lorsque, après dix jours, j'ai vu qu'il n'était pas arrivé, et que le moment commençait à presser, j'ai dû laisser tout scrupule, et j'ai signé. Vous m'avez donné plein pouvoir sur toutes les opérations diplomatiques ; et, dans la position des choses, les préliminaires de la paix, même avec l'empereur, sont devenus une opération militaire. Cela sera un monument de la gloire de la république française, et un présage infaillible qu'elle peut, en deux campagnes, soumettre le continent de l'Europe, si elle organise ses armées avec force, et surtout l'arme de la cavalerie.

Je n'ai pas, en Allemagne, levé une seule contribution ; il n'y a pas eu une seule plainte contre nous. J'agirai de même en évacuant, et, sans être prophète, je sens que le temps viendra où nous tirerons parti de cette sage conduite ; elle germera dans toute la Hongrie, et sera plus fatale au trône de Vienne que les victoires qui ont illustré la guerre de la liberté.

D'ici à trois jours, je vous enverrai la ratification de l'empereur.... Quant à moi, je vous demande du repos. J'ai justifié la confiance dont vous m'avez investi ; je De me suis jamais considéré pour rien dans toutes nos opérations ; je me suis lancé aujourd'hui sur Vienne, ayant acquis plus de gloire qu'il n'en faut pour être heureux, et ayant derrière moi les superbes plaines de l'Italie, comme j'avais fait au commencement da la campagne dernière, en cherchant du pain pour l'armée, que la république ne pouvait plus nourrir.

La calomnie s'efforcera eu vain de me prêter des intentions perfides ; ma carrière civile sera comme ma carrière militaire, une et simple. Cependant vous devez sentir que je dois sortir de l'Italie, et je vous demande avec instance de renvoyer, avec la ratification des préliminaires de paix, des ordres sur la première direction à donner aux affaires d'Italie, et un congé pour me rendre en France.

BONAPARTE.

 

La ratification demandée n'arrivait pas ; Bonaparte, las de l'attendre, fit évacuer immédiatement la Styrie, une partie de la Carniole et la Carinthie.

Le cabinet de Vienne appréciait, mieux peut-être que le Directoire, les talents militaires de Bonaparte et les étonnantes ressources de son génie : l'empereur offrit de lui donnera la paix une souveraineté de cent cinquante mille âmes, pour lui et sa famille. Il pensait ainsi séduire le jeune général, et, en désarmant son bras, enlever à la République son plus ferme appui. Bonaparte refusa.

Pouvait-il attacher quelque prix aux faveurs des princes, lui qui tenait dans ses mains les destinées de leurs états ? Bonaparte s'était placé trop haut pour descendre à accepter une souveraineté de cette maison d'Autriche, à laquelle il venait d'accorder merci. Au reste, alors il obéissait aux grandes inspirations républicaines, et semblait accomplir avec enthousiasme sa mission libératrice. C'est ainsi qu'à Montebello, où il avait transporté son quartier-général, il était tout occupé de donner une organisation libérale aux peuples qui, après la victoire, s'étaient mis sous la protection de nos armes. Là il avait près dé lui des envoyés de l'empereur, du pape, de la Sardaigne, de Gênes, de Parme, des cantons suisses : le château où il avait fixé sa résidence ressemblait à la demeure d'un monarque puissant.

Un corps diplomatique était accrédité près de Bonaparte, que l'on n'appelait plus que le Libérateur. Il s'occupa d'abord de constituer la démocratie vénitienne, pour éteindre tout-à-fait l'esprit de la noblesse, qui s'agitait toujours, et la constitution de la République fut soumise à l'approbation du peuple. Le 9 juillet il fit proclamer la nouvelle République Cisalpine, formée de la Lombardie autrichienne, du Bergamasque, du Mantouan et de la Romagne. La constitution française y fut mise en vigueur le 14, et trente mille gardes nationaux, députés par dix départements cisalpins, se jurèrent fraternité sur l'autel de la patrie. Dans celte circonstance si imposante, Bonaparte, instruit des dangers qui menaçaient la liberté en France, adressa la proclamation suivante à ses soldats, réunis en carré autour d'une pyramide où étaient inscrits les noms des braves morts pour la patrie dans les champs italiques :

SOLDATS !

C'est aujourd'hui l'anniversaire du 14 juillet : vous voyez devant vous le nom de vos compagnons d'armes morts au champ d'honneur pour la liberté de la patrie, Ils vous ont donné l'exemple ; vous vous devez tout entiers à la gloire de ce nom qui a reçu un nouvel éclat par vos victoires.

Soldats, je sais que vous êtes profondément affectés des malheurs qui menacent la patrie ; mais la patrie ne peut courir de dangers réels : les mêmes hommes qui l'ont fait triompher de l'Europe coalisée sont là. Des montagnes nous séparent de la France, vous les franchiriez avec la rapidité de l'aigle, s'il le fallait, pour maintenir la constitution, défendre la liberté, protéger le gouvernement et les républicains.

Soldats, le gouvernement veille sur le dépôt des lois qui lui est confié. Les royalistes, dès l'instant qu'ils se montreront auront vécu. Soyez sans inquiétude, et jurons par les mânes des héros qui sent morts à côté de nous pour la liberté, jurons, sur nos nouveaux drapeaux, guerre implacable aux ennemis de la république et de la constitution de l'an III.

 

Ces paroles excitèrent des transports d'enthousiasme : l'armée, que le général faisait ainsi entrer dans les intérêts politiques de la patrie, vota par acclamation des adresses énergiques que chaque division envoya au Directoire et aux conseils. Les armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse furent animées du même esprit que celle d'Italie. Hoche, plus impatient que Bonaparte, marcha sur Paris, et ne fut arrêté que par les dépêches du conseil des Cinq-Cents. De ce jour la puissance militaire commença à dominer dans l'état. C'était un funeste exemple que Lafayette avait eu le triste honneur de donner le premier, lorsqu'il menaça l'assemblée nationale de revenir avec son armée au secours de l'agonisante royauté du perfide Louis XVI.

Les royalistes, qui n'avaient jamais cessé d'intriguer, sentirent tout leur espoir se ranimer par l'inconcevable mollesse du Directoire. Peu de temps leur avait suffi pour se substituer aux républicains dans tous les emplois et ressaisir une énorme influence. Pichegru, qui devait être le Monck des Bourbons, Pichegru, dont Moreau seul connaissait la trahison, avait été porté à la présidence du conseil des Cinq-Cents : Willot, Lajolais, ses complices, étaient aussi députés : toutes les grandes administrations publiques étaient remplies des stipendiés de l'Angleterre ou des créatures du prétendant ; la contre-révolution menaçait de tout envahir. C'était le cas ou jamais pour le Directoire de chercher le salut de l'état dans cette force qui résulte de l'union. Loin de là, il se divisa en deux partis. Rewbel, Barras et Lareveillère, d'un côté ; de l'autre, Barthélémy et Carnot qui, dans cette occasion, cédant à un ressentiment inexplicable, se sépara des républicains ; le ministère fut changé. Les véritables républicains, bien qu'ils n'eussent aucune confiance dans Barras, homme d'un caractère équivoque et de mœurs très-méprisables, se rallièrent à la majorité du Directoire. Les royalistes, ou les partisans de l'étranger, ce qui est toujours une seule et même chose, soutinrent Barthélémy et Carnot ; Carnot, qui, capricieusement et comme par dépit, faisait cause commune avec eux ; avec Pichegru, Willot, Imbert, Colomès, Rovère, qui formaient un comité royaliste, et étaient seuls dans les secrets de ce parti. Les clubistes de Clichy, continuateurs de la Gironde, première souche de nos doctrinaires, hommes sans entrailles ni patrie, se joignaient à ces conspirateurs. Il y avait dans leurs rangs quelques capacités.

Les clichiens étaient ce qu'on appelait l'élite des modérés ; ennemis des directeurs et des conventionnels, ils se donnaient pour sages, pour bons Français, et n'étaient, à tout prendre, que des ambitieux, prêts à trafiquer de l'indépendance du pays, et à servir toute domination qui les appellerait à la curée des emplois. Ces derniers T parmi lesquels figurait Royer-Collard, agent de la police des princes, avaient à leur disposition la plupart des journaux, au moyen desquels ils battaient en brèche le gouvernement sans que celui-ci se mît même en peine de répondre à leurs attaques, ce qui lui aurait été d'autant plus facile ; qu'à celte époque, non plus qu'à l'époque actuelle, les doctrinaires n'avaient pas pour eux l'esprit public.

Pendant toutes ces trames un parti puissant, qui s'effrayait de leur succès, engageait Bonaparte à renverser le Directoire et à s'emparer des rênes du gouvernement. La chose eût été facile ; le dévouement de l'armée, qui s'était immortalisée sous son commandement, aurait aplani tous les obstacles ; mais alors, comme toujours, l'indépendance, la puissance et le bonheur de la France étaient sa première pensée. Il se décida à soutenir le Directoire, et, à cet effet, il envoya le général Augereau à Paris, tandis que lui-même, dans le cas où les conjurés l'emporteraient, était prêt au premier signal à entrer dans Lyon à la tête de quinze mille hommes pour se diriger de là sur Paris, emmenant avec lui cette multitude de patriotes qui ne manqueraient pas de grossir son armée.

Dès son arrivée, Augereau fut nommé au commande ment de la dix-septième division militaire. Le Directoire fit arrêter l'un de ses membres, Barthélémy ; Carnot, prévenu à temps, se réfugia à Genève. Au même moment, Pichegru, Willot, cinquante députés au conseil des Anciens ou des Cinq-Cents, et cent cinquante autres individus, la plupart journalistes, furent également décrétés d'arrestation. Le Directoire fit connaître la conspiration qui se tramait contre la république, et que Moreau s'était vu forcé de dénoncer, après de coupables retards qui n'attestaient que trop sa complicité. On mit sous les yeux de la nation les papiers trouvés dans le portefeuille du comte d'Entraigues. Le peuple se montra d'abord incrédule ; mais cette proclamation, que Moreau adressa à son armée, dissipa toutes les incertitudes :

SOLDATS !

Je reçois à l'instant la proclamation du Directoire exécutif du 18 de ce mois, qui apprend à la France que Pichegru s'est rendu indigne de la confiance qu'il a longtemps inspirée à la république et surtout aux armées. On m'a également informé que plusieurs militaires, trop confiants dans le patriotisme de ce représentant, d'après les services qu'il a rendus, doutaient de cette assertion. Je dois à mes frères d'armes, à mes concitoyens, de les instruire de la vérité. Il n'est que trop vrai que Pichegru a trahi la confiance de la France entière. J'ai instruit un des membres du Directoire qu'il m'était tombé entre les mains une correspondance avec Condé et d'autres agents du prétendant, qui ne me laisse aucun doute sur cette trahison. Le Directoire vient de m'appeler à Paris, et désire sûrement des renseignemens plus étendus sur cette correspondance. Soldats, soyez calmes et sans inquiétude sur les évènements de l'intérieur ; croyez que le gouverneraient, en comprimant les royalistes, veillera au maintien de la constitution républicaine, que vous avez juré de défendre.

 

La loi du 19 fructidor condamna à la déportation deux directeurs, cinquante députés, et cent cinquante-huit autres individus. Les élections de plusieurs département furent annulées, plusieurs mesures de salut public furent décrétées ; Merlin et François de Neufchâteau remplacèrent Carnot et Barthélémy : les déportés furent embarqués à Rochefort et transportés à la Guiane. Bonaparte désapprouva hautement ce coup d'état. Il blâma les trois directeurs de n'avoir pas su vaincre avec modération ; Le décret qui destituait Carnot, Barthélémy et les cinquante députés, lui semblait de la plus stricte justice, mais il aurait voulu que Pichegru, Willot, Imbert et Colonies fussent seuls mis en accusation. Bonaparte n'ignorait pas qu'il y avait d'autres coupables, mais il pesait les motifs qui pouvaient avoir entraîné chacun d'eux, et il jugeait impolitique de les condamner, sans aucune forme de procès, à périr dans les déserts de Sinamari. Portalis, Tronçon-Ducoudray, Dumolard, Muraire, Barbé-Marbois, Pastoret, Siméon, Benezech, Dumas, Villaret-Joyeuse et cinquante citoyens, dont plusieurs n'étaient guère dignes ni de l'intérêt que Bonaparte prenait à leur sort, ni des bienfaits qu'il leur prodigua plus tard, étaient portés sur cette liste de proscription. Le 18 fructidor fut un grand attentat contre la liberté ; peut-être a-t-il enfanté le 18 brumaire, devant lequel Bonaparte aurait reculé sans cet antécédent. Les trois directeurs, enivrés de leur triomphe, se jetèrent dans un système sans force et sans considération. Il ne suffisait pas de faire revivre les lois révolutionnaires, il fallait un bras vigoureux pour manier ces puissantes armes : quelques gouttes de sang émigré versées sans but et sans sujet vinrent rendre plus odieuse cette réaction, dont Barras était le chef ; et la bravade de rompre les négociations entamées avec l'Angleterre, prouva la présomption des directeurs : au lieu de témoigner de la force du gouvernement, au lieu d'aplanir les difficultés qui se présentaient pour le traité de paix avec l'Autriche, ils en créèrent eux-mêmes de nouvelles. C'est ainsi qu'à cette même époque, ils refusèrent, malgré les instances de Bonaparte, de ratifier le traité conclu avec le roi de Sardaigne, et qu'après avoir éloigné du continent le plénipotentiaire anglais, lord Malmesbury, ils firent insinuer à Bonaparte de recommencer les hostilités.

Lorsque le Directoire s'aperçut que cette marche ne réussissait pas, il envoya son ultimatum, en date du 29 septembre. La France ne voulait plus céder à l'Autriche ni Venise ni la ligne de l'Adige. C'était l'équivalent d'une déclaration de guerre. Bonaparte jugea que cet ultimatum, si différent des bases posées' à Montebello, et antérieurement approuvées par le gouvernement, ne serait point accepté par l'Autriche ; il sentit dès-lors combien sa position était difficile, puisque, en sa qualité de plénipotentiaire, il devait déclarer la guerre, en même temps que, comme général en chef, il se démettait de son commandement, pour ne pas exécuter un plan de campagne contraire à son opinion. Pendant qu'il méditait sur cet état de choses, une dépêche du ministre des affaires étrangères lui apprit qu'en arrêtant son ultimatum, le Directoire avait pensé que le général en chef était en mesure de l'imposer par la force des armes. Cette communication lui prouva que le sort de la France était entre ses mains, et dépendait du parti qu'il choisirait : il se décida pour la paix.

De nouvelles conférences eurent lieu à Udine : le comte de Cobentzel se débattait contre l'ultimatum présenté par Bonaparte, et assurait que l'empereur était irrévocablement résolu à s'exposer à toutes les chances de la guerre, à abandonner même sa capitale, plutôt que de consentir à une paix aussi désavantageuse. En même temps il menaçait de l'intervention des troupes russes ; il finit par dire qu'il partirait dans la nuit, et que tout le sang qui coulerait dans celte nouvelle lutte retomberait sur le négociateur français.

Bonaparte déclara qu'il préférait s'en remettre au sort des armes, et dit en se levant : La trêve est donc rompue et la guerre déclarée ; mais souvenez-vous qu'avant la fin de l'automne, je briserai votre monarchie comme je brise cette porcelaine. En prononçant ces derniers mots, il jeta à terre, avec vivacité, un cabaret de porcelaine que l'impératrice Catherine II avait donné au comte, salua le congrès et sortit. Les plénipotentiaires autrichiens restèrent interdits. Peu après ils apprirent que le général français, en montant à cheval, avait expédié un officier à l'archiduc Charles pour le prévenir que, les négociations étant rompues, les hostilités recommenceraient sous vingt-quatre heures. Le comte de Cobentzel, effrayé, envoya aussitôt le marquis de Gallo près de Bonaparte, avec son adhésion pleine et entière à l'ultimatum de la France. Le lendemain, 17 octobre, la paix définitive entre la France et l'Autriche fut signée à Campo-Formio.

La teneur du premier article de ce traité, qui promettait, selon la formulé d'usage, une paix invariable et perpétuelle entre sa majesté l'empereur des Romains, roi de Hongrie et de Bohème, et la République française, était la reconnaissance la plus formelle que celle-ci pût obtenir de son existence politique. Les autres articles contenaient en substance la renonciation de l'Autriche en faveur de la France, aux provinces de la Belgique ; la reconnaissance de la république Cisalpine, formée rie la ci-devant Lombardie et de plusieurs parties des provinces de terre ferme de la république de Venise, ainsi que des légations de Ferrare, Bologne et la Romagne.

L'Autriche abandonnait encore à la France les îles que possédait la république de Venise dans la mer Adriatique. La France, de son côté, consentait à ce que l'Autriche prît possession de la ville de Venise, de l'Istrie, de la Dalmatie et des bouches du Cattaro. Des articles secrets, non moins importans, garantissaient à la France la limite du Rhin. Il fut stipulé, en outre, que Mayence, ce boulevard important, serait remis aux troupes de la république, d'après une convention militaire qui serait faite à Rastadt, où Bonaparte et le comte de Cobentzel se donnèrent rendez-vous.

Les avantages que ce traité lui procurait étaient une compensation des accroissements de territoire que l'Autriche avait reçus par le partage de la Pologne ; ainsi ils satisfaisaient à la fois la justice et la politique, et terminaient glorieusement la guerre que la France avait soutenue pour établir sa liberté et garantir son indépendance.

C'est dans ce fameux traité que le rédacteur ayant mis pour premier article : L'empereur d'Allemagne reconnaît la République française. — Effacez cela, lui dit Bonaparte : la République française est comme le soleil ; elle aveugle celui qui ne, la voit pas. Le peuple français est maître chez lui ; il a fait une république, peut-être demain il fera une aristocratie, après demain une monarchie c'est son droit.

Bonaparte avait envoyé successivement tons ses généraux à Paris, ce qui mettait le gouvernement à même de les connaître et de se les rattacher par des récompenses il chargea le général Berthier de porter le traité de Campo-Formio, et lui adjoignit, pour ce message, le célèbre Monge, membre de la commission des sciences, et des arts en Italie. Ils remirent, en arrivant, au ministre des relations extérieures, cette lettre, où Bonaparte répond par avance à toutes les objections qui pourraient lui être faites.

Au quartier-général à Passeriano, le 27 vendémiaire an VI (18 octobre 1797).

La paix a été signée hier après minuit. J'ai fait partir à deux heures le général Berthier et le citoyen Monge pour vous porter le traité en original. Je me suis référé à, vous en écrire ce matin, et je vous expédie à cet effet un courrier extraordinaire qui vous arrivera en même temps, et peut-être avant le général Berthier : c'est pourquoi j'y inclus une copie collationnée de ce traité.

1° Je ne doute pas que la critique ne s'attache vivement à, déprécier le traité que je viens de signer. Tous ceux cependant qui connaissent l'Europe et qui ont le tact des affaires seront bien convaincus qu'il était impossible d'arriver à un, meilleur traité sans commencer.par se battre, et sans conquérir encore deux ou trois provinces de la maison d'Autriche. Cela était-il possible ? oui. Préférable ? non.

En effet, l'empereur avait placé toutes ses troupes contre l'armée d'Italie, et nous, nous avons laissé toute la force de nos troupes sur le Rhin. Il aurait fallu trente jours de marche à l'armée d'Allemagne pour pouvoir arriver sur les lisières des états héréditaires de la maison d'Autriche, et pendant ce temps-là j'aurais eu contre moi les trois quarts de ses forces. Je ne devais pas avoir les probabilités de les vaincre, et, les eussé-je vaincues, j'aurais perdu une grande partie des braves soldats qui ont seuls vaincu toute la maison d'Autriche et changé le destin de l'Europe. Vous avez cent cinquante mille hommes sur le Rhin ; j'en ai cinquante mille en Italie.

2° L'empereur, au contraire, a cent cinquante mille hommes contre moi, quarante mille en réserve, et plus de quarante mille au-delà du Rhin.

3° Le refus de ratifier le traité du roi de Sardaigne me privait de dix mille hommes et me donnait des inquiétudes réelles sur mes derrières, qui s'affaiblissaient par les arméniens extraordinaires de Naples.

4° Les cimes des montagnes sont déjà couvertes de neige : je ne pouvais pas, avant un mois, commencer les opérations militaires, puisque, par une lettre que je reçois du général qui commande l'armée d'Allemagne, il m'instruit du mauvais état de son armée, et me fait part que l'armistice de quinze jours qui existait entre les armées n'est pas encore rompu. Il faut dix jours pour qu'un courrier se rende d'Udine à l'armée d'Allemagne annoncer la rupture ; les hostilités ne pouvaient donc en réalité commencer que vingt-cinq jours après la rupture, et alors nous nous trouvions dans les grandes neiges.

5° Il y aurait eu le parti d'attendre au mois d'avril et de passer tout l'hiver à organiser les armées et concerter un plan de campagne, qui était, pour le dire entre nous, on ne peut pas plus mal combiné ; mais ce parti ne convenait pas à la situation intérieure de la république, de nos finances, et de l'armée d'Allemagne.

6° Nous avons la guerre avec l'Angleterre : cet ennemi est assez considérable.

Si l'empereur répare ses pertes dans quelques années de paix, la république cisalpine s'organisera de son côté, et l'occupation de Mayence et la destruction de l'Angleterre nous compenseront de reste et empêcheront bien ce prince de penser à se mesurer avec nous.

7° Jamais, depuis plusieurs siècles, on n'a fait une paix plus brillante que celle que nous faisons. Nous acquérons la partie de la république de Venise la plus précieuse pour nous. Une autre partie du territoire de cette république est acquise à la Cisalpine, et le reste à l'empereur.

8° L'Angleterre allait renouveler une autre coalition. La guerre, qui a été nationale et populaire lorsque l'ennemi était sur nos frontières, semble aujourd'hui étrangère au peuple, et n'est devenue qu'une guerre de gouvernement. Dans l'ordre naturel des choses, nous aurions fini par y succomber.

9° Lorsque la Cisalpine a les frontières les plus militaires de l'Europe, que la France a Mayence et le Rhin, qu'elle a dans le Levant Corfou, place extraordinairement bien fortifiée, et les autres îles, que veut-on davantage ? Diverger nos forces pour que l'Angleterre continue à enlever à nous, à l'Espagne, à la Hollande, leurs colonies ; et éloigner encore pour long-temps le rétablissement de notre commerce.et de notre marine.

10° Les Autrichiens sont lourds et avares : aucun peuple moins intrigant et moins dangereux pour nos affaires militaires qu'eux ; l'Anglais, au contraire, est généreux, intrigant, entreprenant. Il faut que notre gouvernement détruise la monarchie anglicane, ou il dois s'attendre lui-même à être détruit par la corruption et l'intrigue de ces actifs insulaires. Le moment actuel nous offre un beau jeu. Concentrons toute notre activité du côté de la marine, et détruisons l'Angleterre : cela fail, l'Europe est à nos pieds.

BONAPARTE.

 

Malgré les précautions prises par Bonaparte pour convaincre le Directoire qu'il avait constamment usé de ses pouvoirs dans l'intérêt de la République, le traité n'aurait pas été ratifié, si l'opinion publique ne se fût prononcée fortement, et si tous les esprits n'eussent été frappés des avantages que celte paix assurait à la France.

Immédiatement après la signature du traité, Bonaparte retourna à Milan pour mettre la dernière main à l'organisation de la république cisalpine, et compléter les mesures administratives de son armée. Il prit alors congé du peuple italien et de ses soldats, en leur adressant les proclamations suivantes.

Au quartier-général à Milan, le ai brumaire an VI (11 novembre 1797).

Au peuple cisalpin.

CITOYENS !

A compter du 1er frimaire, votre constitution se trou vera en pleine activité.

Votre directoire, votre corps législatif, votre tribunal de cassation, les autres administrations subalternes, se trouveront organisés.

Vous êtes le premier exemple, dans l'histoire, d'un peuple qui devient libre sans factions, sans révolutions et sans déchirements.

Nous vous avons donné la liberté, sachez la conserver. Vous êtes, après la France, la république la plus populeuse, la plus riche. Votre position vous appelle à jouer un grand rôle dans les affaires de l'Europe.

Pour être dignes de votre destinée, ne faites que des lois sages et modérées.

Faites-les exécuter avec force et énergie.

Favorisez la propagation des lumières, et respectez la religion,

Composez vos bataillons, non pas de gens sans aven, mais de citoyens qui se nourrissent des principes de la république, et soient immédiatement attachés à sa prospérité.

Vous avez, en général, besoin de vous pénétrer du sentiment de votre force et de la dignité qui convient à l'homme libre.

Divisés et plies depuis tant d'années à la tyrannie, vous n'eussiez pas conquis votre liberté : mais sous peu d'années, fussiez-vous abandonnés à vous-mêmes, aucune puissance de la terre ne sera assez forte pour vous l'ôter.

Jusqu'alors la grande nation vous protégera contre les attaques de vos voisins. Son système politique sera réuni au vôtre.

Si le peuple romain eût fait le même usage de sa force que le peuple français, les aigles romaines seraient encore sur le Capitole, et dix-huit siècles d'esclavage et de tyrannie n'auraient pas déshonoré l'espèce humaine.

J'ai fait, pour consolider la liberté, et en seule vue de votre bonheur, un travail que l'ambition et l'amour du pouvoir ont seuls fait faire jusqu'ici.

J'ai nommé à un grand nombre de places, je me suis exposé à avoir oublié l'homme probe et avoir donné la préférence à l'intrigant ; mais il y avait des inconvénients majeurs à vous laisser faire ces premières nominations ; vous n'étiez pas encore organisés.

Je vous quitte sous peu de jours. Les ordres de mon gouvernement, et un danger imminent que courrait la république cisalpine, me rappelèrent seuls au milieu de vous.

Mais, dans quelque lieu que le service de ma patrie m'appelle, je prendrai toujours une vive sollicitude au bonheur et à la gloire de la république.

BONAPARTE.

 

Au quartier-général de Milan, le 24 brumaire an VI (14 novembre 1797).

SOLDATS !

Je pars demain pour me rendre à Rastadt.

En me trouvant séparé de l'armée, je ne serai console que par l'espoir de me revoir bientôt avec vous, luttant contre de nouveaux dangers.

Quelque poste que le gouvernement assigne à l'armée, d'Italie, nous serons toujours les dignes soutiens de la liberté et de la gloire du nom français.

Soldats ! en vous entretenant des princes que vous avez vaincus... des peuples qui vous doivent leur liberté... des combats que vous avez livrés en deux campagnes, dites-vous : Dans deux campagnes nous aurons plus fait encore.

BONAPARTE.

 

Le surlendemain, on lut dans tous les corps cet ordre, du jour, qui est, sans contredit, l'une des plus belles pages de notre histoire militaire :

Le général Bonaparte a quitté Milan hier matin, pour présider la légation française au congrès de Rastadt. Avant de partir il a envoyé, au Directoire exécutif, à Paris, le drapeau de l'armée d'Italie, qui sera présenté par le général Joubert. Il y a sur une face de ce drapeau : A l'armée d'Italie la patrie reconnaissante. Sur l'autre côté sont les noms de tous les combats qu'a livrés, de toutes les villes qu'a prises l'armée d'Italie. On remarque entre autres les inscriptions suivantes : Cent cinquante mille prisonniers, dix-sept mille chevaux, cinq cent cinquante pièces de siège, six cents pièces de campagne, cinq équipages de ponts, neuf vaisseaux de cinquante-quatre canons, douze frégates de trente-deux, douze corvettes, dix-huit galères ; armistice avec le roi de Sardaigne ; convention avec Gênes ; armistice avec le duc de Parme, avec le duc de Modène, avec le roi de Naples, avec le pape ; préliminaires de Léoben, convention de Montebello avec la république de Gênes ; traités de paix avec l'empereur à Campo-Formio ; donné la liberté aux peuples de Bologne, Ferrare, Modène, Massa-Carrara ; do la Romagne, de la Lombardie, de Brescia, de Bergame, de Mantoue, de Créma, d'une partie du Véronais, de Chiavenna, Bormio, et de la Valteline ; au peuple de Gênes, aux fiefs impériaux, aux peuples des départements de Corcyre, de la mer Egée et d'Ithaque.

Envoyé à Paris tous les chefs-d'œuvre de Michel-Ange, du Guerchin, du Titien, de Paul Véronèse, Corrège, Albane, des Carrache, Raphaël. Léonard de Vinci, etc.

Ce monument de la gloire de l'armée d'Italie, suspendu aux voûtes de la salle des séances publiques du Directoire exécutif, attestera encore les exploits de nos guerriers, quand la génération présente aura disparu.

 

Lorsque Bonaparte passa à Turin, le roi de Sardaigne désira le voir et lui témoigner publiquement sa reconnaissance ; mais dans des circonstances aussi graves que celles où se trouvait la France, il ne crut pas devoir s'arrêter pour un accueil de cour, quelque brillant qu'il pût être, et il continua sa route vers Rastadt, où il s'empressa de signer la convention pour la remise de Mayence aux troupes françaises, en échange de Venise et de Palma-Nuova, qui devaient être livrées le même jour aux troupes autrichiennes. Tout était conclu le 1er décembre. Bonaparte déclara aux ministres français Treilhard et Bonnier, qu'il regardait sa mission comme remplie, et le 5 décembre il arriva incognito à Paris. Il descendit à Sa petite maison de la rue Chantereine, à laquelle la municipalité, par une délibération spontanée, donna le nom de rue de la Victoire.