ROYALISTES & RÉPUBLICAINS

LA QUESTION DE MONARCHIE OU DE RÉPUBLIQUE DU 9 THERMIDOR AU 18 BRUMAIRE (1794-1799)

 

 

 

Ceux qui entreprennent d'étudier la Révolution française, problème fondamental, non-seulement de l'histoire moderne, mais de la politique contemporaine, sont presque toujours attirés vers la Constituante ou vers le début de la Convention. Là se concentrent naturellement toutes les recherches des érudits, toutes les observations des publicistes. Dans les histoires générales, quand on franchit le 9 thermidor pour arriver à ces années qui se succèdent, à la fois ternes et désolées, agitées et stériles, jusqu'au 18 brumaire, l'écrivain semble pris de fatigue et de dégoût. Le lecteur lui-- même éprouve comme l'impression d'un roman qui se traînerait languissamment après la mort des personnages principaux. Il n'y a plus rien de cette émotion d'abord sympathique, ensuite inquiète et attristée, avec laquelle on a suivi le grand mouvement qui débute, plein d'espérance, par les cahiers de 1789, pour aboutir aux avortements de la constitution de 1791. Ce n'est pas non plus cet attrait d'épouvante qui faisait assister, haletant et bouleversé, aux effroyables drames de 1792 et de 1793.

Tout est diminué, les événements et les hommes. C'était déjà descendre beaucoup que de passer de Mirabeau, ou même de Vergniaud, à Robespierre et à Danton. Qu'est-ce à la fin, quand la mort a fait disparaître les principaux auteurs et que la scène est livrée aux comparses, quand on est si bas que des Tallien ou des Barras sont devenus des personnages ? L'historien, pour trouver alors quelque intérêt, est tenté de quitter la place publique et de se réfugier dans les camps. Négligeant la révolution politique qui finit, pour considérer l'empire militaire qui commence, il se laisse trop souvent distraire et éblouir par cette brillante figure du jeune vainqueur d'Arcole et des Pyramides, qui lui apparaît, dans le ciel gris du Directoire, tout illuminé du soleil d'Italie et d'Égypte.

Mais quand on cherche surtout clans l'histoire du passé la leçon du présent, il faut savoir parfois résister à certains attraits et triompher de quelques répugnances. Dans quelle phase de la révolution rencontre-t-on le plus d'analogie avec la crise actuelle, et, par suite, le plus d'enseignements utiles à méditer ? Le mal dont nous souffrons aujourd'hui, est-ce donc, comme au lendemain de 1789, l'excès d'espérance, la confiance présomptueuse en soi-même et dans les événements, l'optimisme orgueilleux rêvant naïvement la réforme du monde entier, l'emportement d'un élan puissant, mais désordonné, qui dépasse immédiatement le but ? Hélas ! ne retrouverait-on pas plutôt quelques traits de notre état présent dans cette France d'après Thermidor, exténuée de lassitude, usée par la Révolution, désenchantée des illusions téméraires, mais aussi des aspirations généreuses, n'ayant guère appris à cette école de la souffrance, d'où l'on peut sortir meilleur ou plus mauvais, que l'égoïsme sceptique et frivole, vivant au jour le jour sans trop oser regarder devant soi, affamée avant tout de repos, de quelque prix qu'il faille le payer, niais n'ayant pas même l'énergie de vouloir se l'assurer elle-même et l'attendant du dehors, proie inerte et passive à la merci de toutes les factions et de tous les aventuriers ?

Ce serait une première raison d'étudier de plus près qu'on ne le fait. ordinairement ces derniers actes du drame révolutionnaire. Il est une autre raison plus précise encore. La nation était, à cette époque, en face d'un problème constitutionnel ayant plus d'un rapport avec celui qui nous est aujourd'hui imposé et que nous paraissons avoir tant de peine à résoudre. Au lendemain de la Terreur, comme au lendemain de la guerre de 1870 et de la Commune, la France, rendue à elle-même, se trouvait en république, plus par l'audace d'une faction que par la volonté nationale. La république était sans doute l'étiquette officielle ; mais ce mot n'avait jusqu'alors couvert qu'une dictature, celle des hommes du 10 aoùt, comme il devait couvrir, — sauf les différences qu'il convient de ne pas méconnaître, — celle des hommes du 4 septembre. Il fallait donc remplacer le régime arbitraire, auquel les événements mettaient fin, par un gouvernement régulier et durable. Quel serait ce gouvernement ? Serait-ce la république constitutionnelle ? Serait-ce la vieille monarchie rajeunie par la liberté ? Triompherait-on, dans un cas, des souvenirs de la Terreur, dans l'autre, de ceux de l'ancien régime ? Fonderait-on, pour nous servir des expressions modernes, la république conservatrice on la monarchie représentative ? On sait ce qu'il advint. Après cinq années de tâtonnements stériles, de dissensions énervantes, de coups d'État et de défaillances, la France était dégoûtée du présent ; elle désespérait de rien fonder dans l'avenir, soit avec la république, soit avec la monarchie, et elle acclamait comme un sauveur le César de fortune qui violait le parlement, musclait la presse et se chargeait à lui seul des destinées du pays. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Par quels malheurs ou par quelles fautes a-t-on été empêché de faire la monarchie ou la république et réduit à se laisser choir dans le césarisme ? La réponse à cette question a paru avoir en ce moment plus qu'un intérêt historique.