L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

 

CHAPITRE PREMIER. — LA RÉACTION RELIGIEUSE AUX DÉBUTS DE LA MONARCHIE DE JUILLET - 1830-1841.

 

 

I. L'irréligion maîtresse après 1830. Tentative et échec du journal l'Avenir. Le catholicisme vaincu et compromis. — II. Lacordaire à Notre-Dame, en 1835. Retour des âmes vers la religion, à la suite et sous le coup de la révolution de Juillet. Témoignages et explication de ce retour. — III. Part de la jeunesse dans le mouvement religieux. Les étudiants catholiques et Ozanam. — IV. En quoi la prédication de Lacordaire convenait aux hommes de son temps. Contradictions qu'il rencontre. Sa retraite en 1836. — V. Le mouvement religieux continue. Le P. de Ravignan à Notre-Dame. Lacordaire et le rétablissement des Dominicains en France. — VI. Pendant ce temps, M. de Montalembert arbore le drapeau catholique à la Chambre des pairs. Son isolement et son courage. L'impression qu'il produit et l'attitude qu'il prend.

 

I

Dans la première moitié de la monarchie de Juillet, — soit au début, pendant la lutte dramatique de Casimir Perier et du ministère du 11 octobre contre le parti révolutionnaire, soit plus tard, de 1836 à 1840, lors de cette confusion impuissante à laquelle les compétitions d'ambitions rivales et la mêlée de partis disloqués paraissaient avoir réduit le régime parlementaire, — on eût cherché vainement la question religieuse parmi celles qui occupaient les hommes politiques. Ceux-ci se croyaient, à cette époque, indifférents, ils se fussent dits volontiers supérieurs, aux préoccupations de ce genre. Cette question ne se posa et ne s'imposa qu'en 1841, dans la première année du long ministère de M. Guizot. Elle n'était pas en réalité aussi subite et imprévue qu'elle put le paraître alors au inonde officiel, distrait et absorbé, depuis 1830, d'abord par des périls visibles et pressants, ensuite par des querelles de personnes singulièrement ardentes, quoique stériles. Si, en effet, on y avait regardé de plus près, on aurait observé qu'en dehors du cercle. un peu étroit où se concentrait la vie politique, il s'était opéré un travail intime au fond des Mmes, et une sorte d'évolution dans l'attitude des catholiques français vis-à-vis de la société moderne : prélude, quelquefois imparfaitement aperçu par les contemporains, de la campagne de la liberté d'enseignement, mais dont l'historien doit tout d'abord rappeler les phases successives, s'il veut faire bien connaître et comprendre cette campagne elle-même.

On sait ce que la religion était devenue en France, sous le coup de la révolution de 1830 et de la réaction contre la politique de Charles X : le catholicisme vaincu au même fini ; que la 'Vieille monarchie dont on affectait de le croire solidaire, tandis que le voltairianisme se jugeait appelé à partager la victoire du parti libéral ; les croix détruites par les mêmes mains que les lieurs de lys : l'Archevêché saccagé en même temps que les Tuileries ; partout, dans la presse, dans la caricature, au théâtre, une débauche et comme une représaille d'impiété ; — des évêques chassés par l'émeute ; Mgr de Quélen réduit à se cacher, durant plusieurs mois, dans Paris, ainsi qu'un missionnaire en Corée ; d'autres prélats, comme accablés sous le poids de leur défaite et intimidés par leur impopularité, qui se tenaient cois[1], et ne sortaient guère, ni moralement, ni matériellement, de leurs palais épiscopaux ; des séminaires fermés et le recrutement clérical menacé d'interruption ; l'impossibilité pour les ecclésiastiques insultés, maltraités, de se montrer en soutane dans les rues ; le principal organe de l'Eglise de France conduit à déclarer que le clergé était frappé d'une sorte de mort civile[2] ; les préventions et les haines ne désarmant pas même devant l'épouvante du choléra ; les prêtres avides de dévouement, obligés de se déguiser et de subir, dit l'un d'eux, d'incroyables avanies, pour se glisser dans les hôpitaux auprès des mourants, et le fléau régnant avec je ne sais quoi de plus hideux et de plus désolé sur ce peuple qui paraissait être sans Dieu jusque devant la mort ; — les foules d'en bas devancées et entraînées dans l'irréligion par les classes d'en haut ; des messieurs bien mis se mêlant aux dévastateurs de Saint-Germain-l'Auxerrois ; la présence d'un jeune homme dans une église provoquant, au dire d'un contemporain, presque autant de surprise que la visite d'un voyageur chrétien dans une mosquée d'Orient ; partout, dit un autre, le sentiment que le christianisme est mort ; beaucoup de conservateurs d'accord sur ce point avec les révolutionnaires, et le plus illustre, le plus ferme des défenseurs de l'ordre à cette époque, Casimir Perier, disant à des prêtres, sans intention hostile, comme s'il mentionnait avec indifférence un fait qu'il croyait incontestable : Le moment arrive, où vous n'aurez plus pour vous qu'un petit nombre de dévotes[3] ; — le gouvernement, vis-à-vis de la religion, sans passion agressive, mais, au début du moins, sans intelligence de ses devoirs ni même de ses vrais intérêts ; désireux, ne serait-ce que pour s'épargner un embarras, de contenir ou de limiter les violences impies, seulement y faisant preuve de la défaillance qui était alors la marque de toute sa politique, et moins disposé encore à se compromettre contre la révolution, quand les droits de Dieu étaient en jeu, que quand il s'agissait des siens propres ; laissant passer les désordres de la presse ou de la rue, avec une telle faiblesse, parfois une telle complaisance, qu'on l'accusait, à tort probablement, de voir sans déplaisir détournée vers une église l'insurrection qu'il redoutait pour le Palais-Royal ; docile d'ailleurs à sanctionner en quelque sorte l'œuvre de l'émeute, à supprimer administrativement les croix que celle-ci avait détruites, à fermer les temples qu'elle avait pillés, à lancer des mandats d'amener contre les prélats qu'elle avait pourchassés ; par réaction contre la dévotion impopulaire d'un roi ayant suivi dans les rues les processions du jubilé un cierge à la main, un autre roi hésitant, dans ces premiers temps, à prononcer le mot de Providence et présidant, dans le Panthéon paganisé, aux cérémonies d'un culte officiel, où la Marseillaise et la Parisienne, chantées par les artistes de l'Opéra, remplaçaient les psaumes de David ; une monarchie qui se laissait louer de ne pas faire le signe de la croix, et qui consentait à supprimer l'image du Christ dans les salles des tribunaux criminels ; presque plus aucun signe public d'une société chrétienne, si bien que M. de Montalembert a pu dire : Jamais et nulle part on n'avait vu une nation aussi officiellement antireligieuse, et que M. de Salvandy écrivait alors : Il y a quelques mois on mettait partout le prêtre ; aujourd'hui on ne met Dieu nulle part[4].

Au lendemain et dans la fièvre même de la révolution, une tentative éclatante, hardie, bien extraordinaire pour l'époque, avait été faite par le journal l'Avenir. Tirer le catholicisme de sa situation de vaincu, le dégager des ruines de la Restauration, lui faire prendre, comme d'assaut, sa place dans la société nouvelle, chercher pour lui, dans le droit commun et la liberté, une force qu'il ne pouvait plus trouver dans la faveur du gouvernement et une popularité que cette faveur ne lui avait jamais attirée, tel était le dessein de ce nouveau journal. Dans ses colonnes, en tête desquelles brillait cette belle divise : Dieu et la liberté, que de talent et d'inexpérience, de bonne foi et de passion, d'aperçus prophétiques et de chimériques illusions ! Lacordaire et Montalembert, y apportaient l'élan de leur jeunesse et la fraîcheur de leur premier enthousiasme ; mais Lamennais, aigri et fatigué par le long chemin qu'il avait déjà fait à travers tant d'opinions opposées, y mêlait la note plus triste de son exaltation assombrie, de son dépit amer et de son éloquente irritation. Sous l'influence de cette nature absolue et violente qui poussait tout à l'extrême et à l'absurde, et aussi sous l'action, toujours funeste, de l'esprit révolutionnaire régnant alors, le mouvement fut bientôt exagéré, faussé, dévoyé. On y vit apparaître ce je ne sais quoi de présomptueux et de déréglé, signe certain d'un prompt avortement. Dans son emportement à réagir contre l'union du trône et de l'autel, l'Avenir poursuivait le divorce absolu de l'Eglise et de l'Etat. Parler de liberté ne lui suffisait pas ; il lui fallait proclamer le droit divin de la licence. Il répudiait le vieux gallicanisme monarchique, mais il se jetait dans la chimère d'une théocratie inconnue à Rome. S'il se dégageait du parti royaliste, c'était pour courtiser la démocratie et la république. Son désir de voir le clergé sympathiser avec toutes les causes généreuses l'égarait dans le rêve violent et parfois sanglant d'une sorte de révolution universelle, sur laquelle planerait la croix et à laquelle présiderait la Papauté. Ainsi se trouvaient promptement obscurcies les vives lueurs que l'Avenir avait d'abord paru jeter. Il s'aliénait les évêques et une bonne partie du clergé, qui, naturellement prévenus contre les idées nouvelles, s'en sentaient encore plus éloignés quand ils les voyaient mêlées à tant d'exagérations et d'erreurs. En fin, couronnant toutes leurs témérités, ses rédacteurs finissaient par contraindre eux-mêmes Rome, qui voulait se taire, à parler et à les condamner.

Une âme périt dans cette catastrophe, l'âme de Lamennais. Pendant que s'écroulait cette renommée qui appartenait plutôt à l'époque antérieure, et dont la ruine s'ajoutait à toutes celles du passé, que devenaient ces écrivains plus jeunes, semblant renfermer en eux, non plus la gloire d'une société tombée, mais l'espérance religieuse des nouvelles générations ? Lacordaire, le premier, se refusa à suivre plus longtemps le maître, dans une voie qui conduisait à la révolte : il brisa avec lui ; mais combien meurtri, isolé, désorienté, déraciné, sans foi en lui-même et suspect aux autres ! Je rapportais, a-t-il écrit plus tard, une célébrité où il me semblait que j'avais perdu ma virginité sacerdotale, bien plus que je n'avais acquis de renom, une apparence de trahison à l'égard d'un homme illustre et malheureux, enfin mille incertitudes, mille contradictions dans le cœur, aucun ancien ami et pas un nouveau... Il y a des moments où le doute nous saisit, où ce qui nous a paru fécond nous semble stérile, où ce que nous avons jugé grand n'est plus qu'une ombre sans réalité. J'étais dans cet état ; tout croulait autour de moi, et j'avais besoin de ramasser les restes d'une secrète énergie naturelle pour me sauver du désespoir[5]. Le jeune Montalembert, moins prompt à se dégager, se débattait dans la plus douloureuse des incertitudes : d'une part les fascinations du génie, les illusions généreuses de son amitié, rendue plus tendre et plus dévouée par le malheur de l'autre les inspirations de sa droite conscience et les sollicitations d'amis éclairés. Quand, après deux années d'angoisses, à la vue d'une apostasie qui ne cherchait plus à se dissimuler, il rompit à son tour ce lien si cher à son cœur et si flatteur à son intelligence, ce fut pour tomber dans le même vide, dans la même désespérance que naguère Lacordaire : il se déclarait perdu, vaincu à jamais, proclamait que tout était fini pour lui et que sa vie était à la fois manquée et brisée.

Cette campagne avortée paraissait donc avoir eu pour principal résultat, de compromettre irrémédiablement les idées et les hommes par lesquels la cause religieuse avait chance de se relever. Après cet effort malheureux, le catholicisme, en France, semblait être retombé plus bas, dans un état humainement plus désespéré. Aussi le silence se faisait-il autour de lui, silence plus inquiétant encore que les cris de haine et de colère ; car qui dit oublié les promesses éternelles aurait pu croire que c'était le silence de l'oubli et du tombeau.

 

II

Trois ans ne se sont pas écoulés depuis la condamnation de l'Avenir, et voici qu'en 1835 la vieille basilique de Notre-Dame est remplie d'une foule immense et inaccoutumée. Sous ses voûtes si longtemps désertes et dont la solitude avait été à peine interrompue, depuis un demi-siècle, par les pompes officielles de l'Empire et de la Restauration ou par les profanations de l'impiété révolutionnaire, six mille hommes, jeunes pour la plupart, représentant toute la vie intellectuelle de l'époque et toutes les espérances de l'avenir, se pressent pour entendre la parole d'un prêtre. A les considérer seulement pendant les heures d'attente, causant, lisant des livres profanes, déployant des journaux, tournant le dos à l'autel, on reconnaît bien que cette réunion n'est pas composée de gens habitués à fréquenter les églises. C'est vraiment la société nouvelle du dix-neuvième siècle, telle qu'elle est sortie de la révolution de 1830, en quelque sorte déchristianisée ; c'est elle qui, après avoir assisté indifférente ou même souriante, au sac de Saint-Germain-l'Auxerrois, vient former, quatre ans plus tard, autour d'une chaire chrétienne, un auditoire tel qu'on n'en avait peut-être pas vu depuis saint Bernard ; c'est elle qui rétablit ainsi ses relations interrompues avec la religion, et, par sa seule affluence, donne au catholicisme, naguère proscrit ou, ce qui est pis, oublié, un témoignage tout nouveau d'importance et de popularité : transition subite du mépris à l'honneur, dont les chrétiens, ayant connu les deux époques, avant et après 1835, n'ont pu se rappeler ensuite l'émotion et la surprise, sans sentir leurs yeux se mouiller de larmes involontaires et sans tomber en actions de grâces devant Celui qui est inénarrable dans ses dons[6]. Pour compléter le contraste et faire mieux mesurer le chemin parcouru, le prélat qui préside à ces cérémonies, et sous la bénédiction duquel la foule s'incline respectueuse, est ce même archevêque, hier chassé de son palais saccagé et réduit à se cacher dans sa ville épiscopale. L'orateur, quel est-il ? Quel est celui dont le nom a attiré cette foule, dont la parole la retient et en fait un auditoire si fixe, si indestructible, qu'il devait survivre à tous les changements de choses et d'hommes, et qu'il subsiste encore aujourd'hui ? Quel est celui dont l'éloquence incomparable charme, saisit, émeut, transforme ces curieux, d'abord frivoles ou même hostiles, et les conquiert, si ce n'est tout de suite à la foi complète et active, du moins au respect et au souci des vérités religieuses, à la sympathie pour l'Eglise ? Quel est l'acteur principal de cet événement, l'un des plus extraordinaires et des plus décisifs dans l'histoire religieuse de la France moderne, puisque de là date le mouvement qui devait ramener au christianisme les anciennes classes dirigeantes ? C'est précisément ce jeune prêtre qui s'échappait naguère meurtri, suspect et découragé, des ruines de l'Avenir : l'abbé Lacordaire ! Il vient de passer trois ans dans la monotonie obscure et solitaire d'une vie de travail, de prière et de pacification, à peine interrompue par des conférences prêchées dans la petite dia-pelle d'un collège. Sans impatience de paraître et de se relever humainement de son échec, il attendait l'heure de Dieu[7]. N'est-ce pas vraiment cette heure qui a sonné, quand Mgr de Quélen, suivant une inspiration trop étrangère à la direction habituelle de ses idées pour n'être pas providentielle, a subitement et presque brusquement offert à l'ancien rédacteur de l'A venir la chaire de Notre-Dame ?

D'où venait l'auditoire ? Par quelle évolution cette foule, si hostile en 1830 et 1831, s'est-elle trouvée, en 1835, disposée à rentrer dans une église ? Depuis quelques années et à la suite même de la révolution de Juillet, s'était opéré dans les âmes un travail trop intime pour être remarqué des spectateurs distraits, mais qui n'échappait pas aux observateurs rendus clairvoyants par leur souci même des choses religieuses. Dès le 11 avril 1833. Mme Swetchine écrivait : Depuis dix-sept ans que je connais Paris, je n'y avais encore vu ni une telle affluence dans les églises, ni un tel zèle. Et elle ajoutait, en dépit de ses préférences royalistes : Combien la Restauration, avec ses impulsions religieuses, avec les exemples de ses princes, a été loin d'obtenir de tels résultats ! Elle écrivait encore, l'année suivante :

De tous les centres de l'erreur, nous arrivent de brillantes conquêtes faites par la vérité. Chaque coupable folie engendre quelque généreux défenseur de la foi. Ces saints-simoniens, sur lesquels vous aviez vu jeter tant de blâme et tant de ridicule plus juste encore, sont une pépinière comme une autre d'âmes parmi lesquelles Dieu choisit ses élus... Ce mouvement existait bien avant la révolution de 1830 ; mais c'est elle qui, sans aucun doute, lui a donné plus d'essor. O altitudo ! L'esprit de contradiction, l'amour-propre ou même la délicatesse, affranchis de la crainte du soupçon de quelque avantage politique, ont mis beaucoup de gens à l'aise.

 

Vers la même époque, M. de Tocqueville exposait, dans une lettre fort curieuse, écrite à un de ses amis d'Angleterre qui l'avait interrogé sur ce sujet, l'état religieux de la France[8]. Après avoir indiqué comment toutes les faveurs des Bourbons envers le clergé n'avaient fait que le rendre plus impopulaire et qu'exciter davantage l'irréligion, il ajoutait, en parlant de ce qui avait suivi 1830 :

Du moment où le clergé eut perdu son pouvoir politique, et dès qu'on crut apercevoir qu'il était plutôt menacé de persécution que l'objet de la faveur du gouvernement, les haines qui l'avaient poursuivi pendant toute la Restauration, et qui chi prêtre étaient passées à la religion, ces haines commencèrent à s'attiédir d'une manière visible. Cela n'eut pas lieu tout à coup et en tous lieux. Les instincts irréligieux, que la Restauration avait créés ou fait renaître, se montrèrent souvent sur quelques points du territoire. Mais en prenant l'ensemble du pays, il fut évident que le mouvement de réaction, qui allait entraîner les esprits vers les idées religieuses, était commencé. Je pense qu'à l'époque où nous sommes arrivés ce mouvement n'échappe plus à personne. Les publications irréligieuses sont devenues extrêmement rares — je n'en connais même pas une seule —. La religion et les prêtres ont entièrement disparu des caricatures. Il est très rare dans les lieux publics d'entendre tenir des discours hostiles au clergé où à ses doctrines. Ce n'est pas que tous ceux qui se taisent ainsi aient conçu un grand amour pour la religion ; mais il est évident qu'au moins ils n'ont plus de haines contre elle. C'est déjà un grand pas. La plupart des libéraux, que les passions irréligieuses avaient jadis poussés à la tête de l'opposition, tiennent maintenant un langage tout différent de celui qu'ils tenaient alors. Tous reconnaissent Futilité politique d'une religion, et déplorent la faiblesse de l'esprit religieux dans la population.

 

En 1837, le mouvement catholique a acquis assez d'importance pour que M. Saint-Marc Girardin s'écrie, à la tribune de la Chambre des députés : Messieurs, que vous le vouliez ou non, depuis six ans, le sentiment religieux a repris un ascendant que nous n'attendions pas ; et cherchant comment s'est accompli ce qu'il ne craint pas d'appeler une résurrection, il y montre l'œuvre non du pouvoir, mais de la liberté[9].

Suffit-il, pour expliquer cette résurrection si rapide et si surprenante, de rappeler les méfiances disparues depuis que le clergé était dégagé de toute attache politique et de toute faveur officielle ? Il y avait d'autres mobiles moins extérieurs, plus intimes et peut-être plus efficaces encore. La raison humaine, un moment exaltée de sa pleine victoire, en était devenue singulièrement embarrassée. Elle était effrayée du vide qu'avaient fait ses destructions, humiliée et troublée de son impuissance à rien construire pour remplir ce vide. Que de déceptions douloureuses et salutaires venaient chaque jour, dans tous les ordres de faits et d'idées, punir et éclairer l'orgueil de cette raison révoltée ! En même temps, l'ébranlement de toutes choses, l'agitation universelle, suites de la révolution, rendaient plus désirables et plus nécessaires à chaque âme, la paix et la stabilité intérieures. Où les trouver, si ce n'est dans la religion ? Et cette religion, il ne pouvait être question, après l'avortement ridicule du messie saint-simonien, de la chercher ailleurs que dans le christianisme. M. de Sacy, qui avait été, sous la Restauration, un libéral et un voltairien — lui même en a fait la confession dans ses vieux jours[10], — écrivait, en 1835, cette page, expression éloquente du malaise ressenti par les esprits nobles de ce temps :

Le dix-huitième siècle a en le plaisir de l'incrédulité ; nous en avons la peine ; nous en sentons le vide. Eu philosophie comme en politique, c'est un beau temps que celui où tout le monde est de l'opposition. On se laisse aller an torrent... Il ne s'agit que de savoir le mot d'ordre ; avec cela, on est l'été, caressé, adoré partout ; ou a du talent, de la vertu ; c'est l'opinion qui s'idolâtre dans ses moindres représentants. Oui, mais gare le réveil, c'est le moment où il n'y a plus rien à attaquer, rien à détruire,... le moment où il faut compter avec soi-même et voir un peu où l'on en est avec ses idées, ce que l'on ne croit plus et ce que l'on croit encore, et où l'on s'aperçoit trop souvent, non sans surprise, que l'on a fait le vide en soi-même et autour de soi, et que, dans le temps où l'on croyait acquérir les idées nouvelles, on chassait tout bonnement des idées acquises. Ce jour du réveil, c'est notre époque !... Le sentiment vrai, c'est le sentiment du vide ; c'est un besoin inquiet de croyance ; c'est une sorte d'étonnement et d'effroi, à la vue de l'isolement où la philosophie du dix-huitième siècle a laissé l'homme et la société : l'homme aux prises avec ses passions, sans règle qui les domine, aux prises avec les chances de la vie, sans appui qui le soutienne, sans flambeau qui l'éclaire ; la société aux prises avec les révolutions, sans une foi publique qui les tempère et les ramène du moins à quelques principes immuables. Nous sentons notre cœur errer comme un char vide qui se précipite. Cette incrédulité, avec laquelle le dix-huitième siècle marchait si légèrement, plein de confiance et de folle gaieté, est un poids accablant pour nous ; nous levons les yeux en haut, nous y cherchons une lumière éteinte, nous gémissons de ne plus la voir briller[11].

 

Le travail religieux qui s'opérait alors dans les intelligences a été également décrit et analysé par M. Guizot, dans un article d'une inspiration fort élevée que la Revue française publiait en 1838, sous ce titre : L'état des âmes. L'auteur montra comment ses contemporains avaient appris des événements à quoi s'en tenir sur les illusions orgueilleuses et généreuses du dix-huitième siècle ; ils étaient devenus plus sages et plus modestes ; mais sans comprendre encore la raison de leur sagesse ; ils étaient plus domptés que convaincus ; de là leur abattement et leur sécheresse ; leur tort était de ne pas regarder, au delà de ce monde, ce qu'il y a de divin ; il leur fallait revenir à la religion : là les conduisaient toutes les leçons de l'expérience. M. Guizot constatait que ce retour était commencé, non consommé ; et voulant marquer le point où l'on en était alors, il écrivait : Les âmes sérieuses mêmes sont encore obscures et agitées... Pourtant nous sommes rentrés dans la voie. L'homme ne se précipite plus loin de Dieu ; il s'est retourné vers l'orient ; il y cherche la lumière... Ce n'est pas encore l'adoration, mais la crainte de Dieu, ce commencement de la sagesse. Quelques années plus tard, le comte Molé, mesurant le chemin que venaient de faire les intelligences, depuis 1830, disait : L'esprit humain, après avoir décrit sa parabole, est arrivé promptement à cette extrémité des choses humaines, où se terminent tous les enthousiasmes, et où la profondeur du mécompte amène parfois une salutaire réaction.

D'ailleurs, chez ceux-là mêmes qui avaient été les chefs et les guides de cette jeune génération, naguère si orgueilleusement confiante dans ses forces propres et si dédaigneuse du catholicisme, on pouvait noter le découragement, l'hésitation et parfois les premiers symptômes d'une conversion religieuse. Quel était à cette époque le sentiment intime et dominant de l'homme qui, par son talent, par l'élévation de son esprit et de sa doctrine, par sa sincérité, avait le plus contribué à éloigner de la foi l'élite de ses contemporains, de Théodore Jouffroy ? Quel mal secret marquait alors son front d'une tristesse si inconsolable et donnait à sa parole un accent si poignant ? C'était l'impuissance douloureuse et découragée du rationalisme. Il l'avouait loyalement et mélancoliquement. Et bientôt, à la veille de sa mort[12], le même homme qui, sous la Restauration, avait écrit, dans le Globe, le trop fameux article : Comment les dogmes finissent, tristement désabusé, sinon pleinement guéri de son incrédulité, disait avec une sorte de repentir : Je ne suis pas de ceux qui pensent que les sociétés modernes peuvent se passer du christianisme ; je ne l'écrirais plus aujourd'hui ; et dans le même temps, parlant des inventions de la raison émancipée : Tous ces systèmes ne mènent à rien ; mieux vaut mille et mille fois un bon acte de foi chrétienne[13].

Partout donc, et dans les régions naguère les plus acquises à la libre pensée, on rencontrait l'indice de cet ébranlement des intelligences, de ce désenchantement de l'incrédulité, de ce besoin de religion ; partout on entrevoyait ces regards tournés vers Dieu : conséquences inattendues d'une révolution qui, en facilitant et précipitant la révolte de la raison humaine, avait rendu ses déboires plus prompts et plus sensibles. Un tel état des âmes ne les préparait-il pas à entendre le nouveau saint Paul qui venait prêcher, dans l'Athènes moderne, le Dieu inconnu ? Aussi conçoit-on l'indicible frémissement, le murmure ému qui parcourut l'auditoire si mélangé de Notre-Dame, quand, dès son premier discours, Lacordaire, de sa voix vibrante, lui jeta brusquement ce cri, répondant si directement aux nécessités et aux souffrances de ceux qui l'écoutaient : Assemblée, assemblée, que me demandez-vous, que voulez-vous de moi ? La vérité ? Vous ne l'avez donc pas en vous-mêmes, puisque vous la cherchez ici !

 

III

Dans la lettre où, dès 1835, il décrivait le mouvement catholique, Vil. de Tocqueville a noté un fait, entre tous, significatif et consolant. Le changement le plus grand, disait-il, se remarque dans la jeunesse. Depuis que la religion est placée en dehors de la politique, un sentiment religieux, vague dans son objet, mais très puissant déjà dans ses effets, se découvre parmi les jeunes gens. Le besoin d'une religion est un texte fréquent de leurs discours. Plusieurs croient ; tous voudraient croire. » Et il citait, à l'appui de son assertion, les cinq mille jeunes gens qui, disait-il, se pressaient, cette année même, à Notre-Dame, pour entendre l'abbé Lacordaire. M. Saint-Marc Girardin, bien placé pour observer les étudiants, s'écriait vers la même époque : Je vois la jeunesse cherchant, au milieu des désordres du siècle, où se prendre et se retenir, et demandant aux croyances de ses pères, si elles ont un peu de vie et de salut à lui donner. Ce fait frappait même des observateurs plus frivoles : la femme d'esprit qui, sous le nom du vicomte de Launay, écrivait le Courrier de Paris du journal la Presse, Mme Emile de Girardin, constatait ce retour des générations nouvelles, et, signe du temps, s'en félicitait. C'est plaisir, disait-elle, de voir cette jeunesse française venir d'elle-même, indépendante et généreuse, chercher des enseignements, apporter des croyances, au pied de ces mêmes autels, où jadis on ne voyait que des fonctionnaires publics en extase... Dites, n'aimez-vous pas mieux cette jeune France, instruite et religieuse, que cette jeunesse Touquet[14] que nous avions autrefois et qui a fourni tous nos grands hommes d'aujourd'hui ? Comment ne pas espérer, ajoutait-elle, d'un pays où la jeunesse prie et espère[15] ?

D'ailleurs, dès le lendemain de 1830, dans ce monde des écoles, dont la partie la plus bruyante était alors engagée si avant dans les agitations révolutionnaires, il s'était formé un petit groupe d'étudiants catholiques. Presque tous venaient do la province, où la religion s'était mieux conservée qu'à Paris. Ardents à confesser leur foi et à déployer leur drapeau, prêts à souffrir en martyrs ou à combattre en chevaliers, ils étaient cependant enfants de leur siècle, étrangers aux partis du passé, soucieux de rester en sympathie et, en communion avec les aspirations libérales de leurs contemporains. Y avait-il, dans quelque village de la banlieue, à Nanterre par exemple, une de ces processions publiques devenues si rares à cette époque, ils allaient gaiement, humblement et fièrement s'y joindre, à l'ébahissement des paysans. Se produisait-il en Europe quelque incident où étaient engagés les droits de la conscience et la liberté religieuse, ils signaient des adresses ou des protestations. Ils fondaient des conférences de philosophie et d'histoire, pour traiter les questions intéressant le passé et l'avenir de l'Eglise, et ils y provoquaient leurs camarades non chrétiens à des débats courtois, dans lesquels, grâce à leur zèle et à leur union, ils avaient généralement l'avantage. S'ils entendaient, à la Sorbonne ou au Collège de France, un professeur attaquer la croyance ou l'honneur catholiques, ils lui adressaient une réponse ferme, étudiée, respectueuse ; celle-ci souvent était lue, discutée, parfois elle était applaudie de l'auditoire, ou même amenait les excuses et la rétractation du maître. Messieurs, — disait avec étonnement M. Jouffroy, en 1832, après un incident de ce genre, — il y a cinq ans, je ne recevais que des objections dictées par le matérialisme ; les doctrines spiritualistes éprouvaient la plus vive résistance. Aujourd'hui les esprits ont bien changé, l'opposition est toute catholique[16]. Fait étrange, en effet, si peu de temps après la révolution ! Dans la jeunesse, c'était désormais du côté des croyants qu'on prenait l'offensive ; là étaient l'action, l'entrain, la vie et jusqu'à l'attrait de la nouveauté ; à eux les espoirs généreux qui naguère avaient animé la génération rationaliste du Globe, à eux de rêver le glorieux triomphe de leurs idées et de s'écrier à leur tour : Nous touchons à une grande époque ![17]

Ces étudiants catholiques reconnaissaient pour chef un jeune Lyonnais de vingt ans, à l'âme haute et modeste, ardente et pure, tendre et vaillante, qui faisait déjà aimer et qui devait bientôt illustrer le nom d'Ozanam. En quittant le pieux foyer de sa famille pour entrer seul dans ce Paris de 1831, où le catholicisme était répudié, il lui avait semblé qu'il tombait au milieu d'un abîme vide et muet[18]. Mais s'il sentait vivement les misères de son siècle, il l'aimait et en espérait beaucoup. Dans une lettre enthousiaste, écrite peu d'années après, en 1835, à un de ses amis de province, il se comparait, lui et ses camarades catholiques, aux chrétiens des premiers temps, jetés au milieu d'une civilisation corrompue et d'une société croulante ; puis il ajoutait :

A des maux égaux, il faut un égal remède. La terre s'est refroidie ; c'est à nous, catholiques, de ranimer la chaleur vitale qui s'éteint, c'est à nous de recommencer aussi l'ère des martyrs. Car être martyr, c'est chose possible à tous les chrétiens ; être martyr, c'est donner sa vie en sacrifice, que le sacrifice soit consommé tout d'un coup comme l'holocauste, ou qu'il s'accomplisse lentement, et qu'il fume nuit et jour sur l'autel ; être martyr, c'est donner au ciel tout ce qu'on a reçu : son or, son sang, son aine tout entière.

 

L'humanité d'alors lui apparaissait semblable au voyageur dont parle l'Evangile :

Elle a aussi été assaillie par des ravisseurs, par les larrons de la pensée, par des hommes méchants qui lui ont ravi ce qu'elle possédait : le trésor de la foi et de l'amour, et ils l'ont laissée nue et gémissante, couchée au bord du sentier. Les prêtres et les lévites ont passé, et cette fois, comme ils étaient des prêtres et des lévites véritables, ils se sont approchés de cet être souffrant et ils ont voulu le guérir. Mais dans son délire, il les a méconnus et repoussés. A notre tour, faibles samaritains profanes, osons cependant aborder ce grand malade. Peut-être ne s'effrayera-t-il point de nous. Essayons de sonder ses plaies et d'y verser de nulle ; faisons retentir à son oreille des paroles de consolation et de paix ; et puis, quand ses yeux se seront dessillés, nous le remettrons entre les mains de ceux que Dieu a constitués les gardiens et les médecins des âmes[19]...

 

Qui n'admirerait la hardiesse généreuse et éloquente de ce programme d'étudiant ? A certains accents, il semble qu'on retrouve quelques-unes des bonnes inspirations de l'Avenir. En effet, Ozanam et ses amis avaient été les lecteurs, parfois émus, de ce journal ; s'ils paraissent s'être tenus à l'écart de Lamennais, ils aimaient, en 1832 et dans les années suivantes, à se réunir dans le salon du jeune comte de Montalembert, et allaient, vers la même époque, frapper à la porte de la chambre de couvent où Lacordaire cherchait la solitude et la paix. Et cependant que de différences entre l'apostolat ardent, mais modeste, réglé, de ces adolescents, et l'entreprise que Lamennais avait marquée de sa nature violente, troublée et présomptueuse ! Ozanam voulait-il indiquer comment, le cas échéant, il comprendrait l'opposition à la tyrannie : les Prisons de Silvio Pellico, disait-il, et non les Paroles d'un Croyant. Il n'avait pas la prétention de refaire à lui seul et du premier coup le monde : Nous autres, écrivait-il, nous sommes trop jeunes pour intervenir dans la lutte sociale. Resterons-nous donc inertes, au milieu du monde qui souffre et qui gémit ? Non, il nous est ouvert une voie préparatoire ; avant de faire le bien public, nous pouvons essayer de faire le bien de quelques-uns ; avant de régénérer la France spirituelle, nous pouvons soulager quelques-uns de ses pauvres ; aussi je voudrais que tous les jeunes gens de tête et de cœur s'unissent pour quelque ouvre charitable[20].

Nous voilà loin de Lamennais ; et tandis que ce dernier, après l'échec de sa brillante tentative, s'abîmait, en laissant compromis les nobles esprits et les idées justes qui avaient été mêlés à sou entreprise, Ozanam et ses amis faisaient humblement de bonnes œuvres qui se trouvaient être, à leur insu, de grandes œuvres ; ils fondaient, en 1833, la Société de Saint-Vincent-de-Paul ; ils avaient aussi les premiers, dès cette même année, l'idée des conférences de Notre-Dame, et c'était après leurs démarches réitérées que l'archevêque de Paris se décidait, deux ans plus tard, à commencer cette grande prédication. Des écoliers étaient ainsi les promoteurs de deux événements qui devaient à la fois marquer le rôle transformé du catholicisme dans la société moderne, et exercer l'influence la plus efficace sur le retour religieux des nouvelles générations. Trop modestes pour se croire une mission importante, ils ne songeaient qu'à se sanctifier eux-mêmes par la visite des pauvres, ou à s'édifier en entendant la parole de Dieu. A peine les remarquait-on, mêlés aux auditeurs de Lacordaire, plus enthousiastes que tous autres à célébrer son succès, s'écriant, avec Ozanam, au sortir de Notre-Dame : Voilà qui nous met du baume dans le sang[21] ; bien peu nombreux sans doute, au milieu de la foule des curieux, des indifférents ou des hostiles qui les enveloppaient, mais y représentant le ferment sacré qui devait faire lever toute la pâte.

 

IV

En janvier 183.q, quand Ozanam et ses camarades étaient allés demander, pour la seconde fois, à Mgr de Quélen, l'ouverture des conférences de Notre-Dame, ils avaient insisté pour obtenir un enseignement qui traitât les questions actuelles, et qui sortit du ton ordinaire des sermons. En effet, si, depuis 1830, la société nouvelle s'était peu à peu inclinée vers les choses religieuses, il fallait cependant, pour qu'elle les comprit et consentît seulement à les entendre, qu'on lui en parlât dans une langue et qu'on les lui présentât sous une forme appropriées à ses goûts et à son état d'esprit. L'archevêque avait accueilli les jeunes pétitionnaires avec une bonté paternelle, mais son point de vue était absolument différent. Aussi, dans cette année 1834, au lieu de l'apostolat tout nouveau rêvé par Ozanam, il avait fait prêcher à sa cathédrale une série de sermons, conçus par lui, sur les vieux plans et d'après les modèles anciens. En dépit du talent des orateurs, parmi lesquels était l'abbé Dupanloup, le résultat avait été nul. Cette parole n'avait ni touché le cœur, ni même atteint l'oreille du public.

Tout autre se montra Lacordaire, quand, l'année suivante, l'archevêque, revenant soudainement à l'idée suggérée par les étudiants catholiques, l'appela dans la chaire de Notre-Dame. Ne savait-on pas déjà, avant de l'entendre, qu'il était fils de soli siècle, qu'il en avait partagé les souffrances, les espoirs, les illusions, et même, dans une certaine mesure, les erreurs ; si bien qu'il pouvait dire que toute sa vie antérieure, jusqu'à ses fautes, lui avait préparé quelque accès dans le cœur de son pays et de son temps ? Sans doute, c'était toujours la même éternelle vérité qu'il prêchait, mais il prétendait lui donner une jeunesse de formes et d'idées, nullement incompatible avec son immuable antiquité. Ses mains hardies, parfois presque téméraires, brisaient le moule ancien de la prédication. Et surtout, à l'entendre, on reconnaissait un contemporain, qui, la veille, avait ressenti les troubles auxquels il voulait arracher ses auditeurs, qui partageait encore les plus pures et les plus nobles de leurs aspirations. Loin de vouloir les ramener en arrière, la prédication qu'il leur faisait entendre pouvait être justement appelée une prédication pleine d'espérance. Il n'était pas jusqu'aux locutions familières, aux néologismes tout modernes, qui, en s'échappant de cette chaire étonnée en quelque sorte de les entendre, ne causassent à l'homme du monde le même plaisir que fait au voyageur en pays lointain, l'accent subitement reconnu du pays natal[22]. Aussi Lacordaire a-t-il pu écrire un jour : J'ose dire que j'ai reçu de Dieu la grâce d'entendre ce siècle que j'ai tant aimé, et de donner à la vérité une couleur qui aille à un assez grand nombre d'esprits.

Prétendons-nous que son goût fût toujours absolument pur ? Proposerons-nous sa méthode comme un modèle sûr et permanent à ceux qui s'adresseraient à un autre public et qui surtout n'auraient pas son génie ? Non, mais cette prédication était merveilleusement adaptée aux nécessités du moment, et le meilleur éloge à en faire est de rappeler l'impression saisissante et ineffaçable qu'elle a produite sur les contemporains, le nombre des âmes auxquelles elle a fait faire le premier pas sur la route qui devait les ramener à Dieu. Aussi bien, la vue même de ces résultats extraordinaires n'arrachait-elle pas à M. de Quélen, l'homme le moins ouvert, par nature et par situation, aux idées modernes, un cri public d'admiration et de reconnaissance ? Ne le voyait-on pas, à la fin de la première station, se lever en face de la chaire et remercier solennellement Dieu d'avoir suscité, pour les hommes de son temps, celui qu'il ne craignait pas d'appeler un prophète nouveau ?

L'hommage que Lacordaire recevait ainsi du représentant le plus éminent du vieux clergé, n'empêchait pas qu'il ne rencontrât de ce côté des contradictions très vives et parfois douloureuses[23]. Il fallait s'y attendre. Dans cette entreprise si nouvelle et si hardie, tout — procédés, formules, doctrines, jusqu'à la personne et aux antécédents du jeune prêtre ultramontain et libéral qui y présidait — était fait pour troubler les habitudes, choquer les idées, froisser les affections du vieux clergé royaliste, gallican, accoutumé à chercher le salut de l'Église et de la société dans un retour plus ou moins complet à l'ancien régime ; tout était fait pour inquiéter la sagesse timide, routinière et vieillissante de ceux qui voulaient surtout éviter de donner du mouvement aux esprits. La politique n'était pas étrangère à cette émotion : l'idée seule de voir tenter une grande action religieuse, en dehors et au-dessus du parti royaliste, paraissait à plusieurs une sorte de renversement des traditions, une façon à la fois sacrilège et révolutionnaire de séparer ce qui devait rester étroitement uni. En réalité la question qui se débattait et que le succès même des conférences paraissait trancher, était celle de savoir si un changement considérable allait être apporté dans l'attitude des catholiques, en face de la France du dix-neuvième siècle, en face des partis et des écoles qui la divisaient. Lacordaire le comprenait : Notre clergé, disait-il, est divisé en deux partis : l'un veut l'ancienne Église de France avec ses maximes et ses méthodes, l'autre croit que la France est dans un état irrémédiablement nouveau. Je suis l'homme non encore reconnu, mais enfin l'homme possible de cette dernière fraction ; on le sent, et des haines de détail prises dans des souvenirs s'unissent aux haines profondes des partis[24].

On vit alors une opposition sourde, insaisissable, mais obstinée, s'attacher à toutes les démarches, à toutes les paroles de l'orateur. Les mécontents racontaient qu'il n'osait pas même nommer Jésus-Christ en chaire ; qu'il prêchait des doctrines empreintes de l'esprit d'anarchie ; on le qualifiait de tribun, de républicain forcené, de révolutionnaire relaps. Il se rencontrait même des vicaires généraux pour censurer les doctrines du prédicateur comme hétérodoxes. Je sentais tout autour de moi, écrivait Lacordaire, une fureur concentrée qui cherchait quelque part une issue à son mauvais vouloir. Le Pape me mettrait la main sur la tète pendant toute ma vie, que je ne perdrais pas une injure, une calomnie, pas une mise en suspicion souterraine. M. de Quélen était assailli de dénonciations qui mettaient sa naturelle irrésolution et ses penchants contradictoires à une épreuve embarrassante ; par ses idées, par son origine, il était avec le clergé d'ancien régime ; d'autre part il aimait le prêtre qu'il avait patronné dans ses disgrâces ; il était fier de l'orateur brillant auquel il avait ouvert la carrière ; ce grand succès, dont il avait sa part, consolait son cœur d'évêque si longtemps éprouvé, et il n'était pas insensible à cette popularité qui rejaillissait un peu sur lui. De là des alternatives d'appui et d'abandon qui faisaient dire à Lacordaire : L'archevêque a eu des moments sublimes pour moi ; mais c'est un fardeau sous lequel il ploie sans le vouloir. Malgré ses succès, le jeune prédicateur souffrait d'être si âprement attaqué et si imparfaitement soutenu. La faveur du public ne l'empêchait pas de se sentir isolé au milieu des hostilités qui l'enveloppaient. Il prit alors, en plein triomphe, à la fin de la station de 1836, le parti d'interrompre ses conférences, et d'aller chercher à Borne la paix dans le présent et la force pour l'avenir. Il comprenait d'ailleurs, a-t-il écrit plus tard, qu'il n'était pas assez mûr encore pour fournir la carrière d'un seul trait.

 

V

Ne pouvait-on pas craindre qu'une retraite si brusque ne fit perdre ce qui avait été gagné pendant ces deux années ? que dans le sein du clergé elle ne rendit aux idées et -aux tactiques d'ancien régime le crédit que le succès des conférences leur avait enlevé ? que dans le public elle n'arrêtât et peut-être ne fit reculer le mouvement religieux ? Il n'en fut rien. L'évolution, dont la prédication de Notre-Dame avait donné le signal, continua à s'accomplir dans l'attitude des catholiques ; Lacordaire avait été, sur ce point, plus complètement et plus définitivement vainqueur que lui-même n'avait pu s'en rendre compte, dans la fumée de la bataille. L'élan donné à la vie chrétienne ne se ralentit pas. Chaque année l'affluence était plus grande dans les églises. On relevait dans les campagnes les croix de missions abattues en 1830. Les processions publiques étaient rétablies dans plusieurs des villes où elles avaient été interdites. Des œuvres nouvelles de prières, de charité, de propagande, se fondaient. Sur plusieurs points s'ouvraient des monastères nouveaux de Trappistes et de Chartreux, parfois aux applaudissements des libéraux eux-mêmes, comme pour la Chartreuse de Blosserville, près de Nancy. Un jeune prêtre angevin, ancien disciple de Lamennais, l'abbé Guéranger, qui, dès 1833, s'était installé à Solesmes, avec quelques compagnons, pour renouer en France la grande tradition bénédictine, y prenait l'habit monastique en 1836 ; et l'année suivante, une décision pontificale déclarait le monastère, ainsi ressuscité, chef d'une congrégation nouvelle de l'ordre de Saint-Benoît, la congrégation de France, qui était reconnue héritière des anciennes congrégations de Cluny, de Saint-Maur et de Saint-Vannes. Les statistiques de la librairie constataient le nombre croissant des livres de piété ou de théologie, des ouvrages de tout genre publiés par des écrivains catholiques. Les prédications de MM. Cœur, Dupanloup, Deguerry, sans avoir le retentissement de celles de Lacordaire, s'imposaient assez à l'attention publique pour que les journaux, les plus étrangers d'ordinaire aux choses ecclésiastiques, jugeassent nécessaire de s'en occuper. Enfin les conférences de Notre-Dame, elles-mêmes, n'étaient pas interrompues par le départ de l'orateur qui les avait créées, et le Père de Ravignan montait à son tour dans cette chaire qu'il devait occuper pendant de longues années.

L'impression fut différente, mais elle ne fut ni moins profonde, ni moins efficace, ni moins ineffaçable. Tout contribuait à la produire : le talent du nouvel orateur ; son accent d'une conviction imposante ; l'autorité en quelque sorte visible de sa vertu ; cette physionomie, cette attitude d'une noblesse si sainte qu'on a pu dire : quand le P. de Ravignan paraît en chaire, on ne sait vraiment s'il vient de monter ou de descendre ; et jusqu'à ce fameux signe de croix qu'il traçait lentement et grandement sur sa poitrine, après le silence du début, et qui était à lui seul une prédication. Sans cloute, il eût été impuissant à faire ce que Lacordaire venait d'accomplir ; il n'aurait pas su trouver la note inattendue et saisissante de ce cri d'appel qui avait pénétré au plus intime d'un siècle désaccoutumé des choses religieuses et souffrant, à son insu, d'en être privé ; ce n'est pas lui qui aurait, du premier coup, attiré en foule les générations nouvelles sur le chemin de l'église qu'elles avaient oublié ; mais il arrivait à son heure pour compléter l'œuvre de son prédécesseur. Celui-ci avait eu pour mission, comme il le disait, de préparer les âmes à la foi. Le P. de Ravignan les y faisait entrer davantage. Aussi, — tout en restant, autant que le permettait la nature différente de son esprit, dans le genre créé par Lacordaire, tout en gardant les mêmes ménagements pour les susceptibilités et les préjugés de l'époque, tout en bravant les critiques et les dénonciations de ceux qui ne lui épargnaient guère plus qu'à son devancier le reproche de ne pas oser être assez chrétien, — il faisait peu à peu avancer ses auditeurs sur le chemin qui devait les conduire du porche au sanctuaire du temple. Chaque année, il était consolé par des progrès nouveaux : non seulement des sympathies d'opinion, mais des conversions d'âmes. La foi gagnait dans les régions qui avaient paru lui être le plus inaccessibles. A l'École normale, par exemple, se formait un groupe de catholiques, la plupart récents convertis des conférences de Notre-Dame. On avait commencé par les appeler « la bande des niais » ; mais bientôt ils imposaient à tous respect et sympathie par leur vertu et leur sincérité généreuse : foyer singulièrement ardent de foi, de charité et de propagande chrétienne, dont la chaleur et la lumière gagnaient jusqu'aux professeurs[25]. En 1839, le P. de Ravignan pouvait écrire au Père général de la Compagnie de Jésus :

J'ai reçu bien des lettres consolantes, aucune anonyme ou injurieuse. J'en ai reçu une très bien tournée, au nom des élèves de philosophie du lycée Saint-Louis, à Paris. Les proviseurs et professeurs de l'Université menaient presque tous leurs élèves de philosophie aux conférences. Il paraît qu'une bonne influence en résultait. Vingt élèves de la grande École normale universitaire de Paris sont, depuis un an ou deux ans, chrétiens pratiquants : eux et d'autres suivent avec intérêt les conférences. On en parle dans un bon sens à l'École...[26]

 

Dans cette même année, Ozanam écrivait à Lacordaire, alors à Rome :

Vous le savez, sans avoir besoin de l'entendre répéter encore, le mouvement auquel vous donnâtes, du haut de la chaire de Notre-Dame, une si puissante impulsion, n'a pas cessé de se propager parmi les multitudes intelligentes. J'ai vu de près ces hommes du carbonarisme républicain, devenus d'humbles croyants, ces artistes aux passions ardentes, qui demandent des règlements de confrérie. J'ai reconnu cette désorganisation, ce discrédit de l'école rationaliste, qui l'a réduite à l'impuissance, et qui force ses deux principaux organes, la Revue française et la Revue des Deux Mondes, à solliciter la collaboration des catholiques, ou, comme le dit M. Buloz, des honnêtes gens. En même temps que M. de Montalembert parvient à réunir dans la Chambre des pairs une phalange disposée à combattre pour le bien, M. de Carné assure qu'une cinquantaine de voix s'accorderont bientôt en faveur des questions religieuses, à la Chambre des députés. D'un autre côté, la petite Société de Saint-Vincent-de-Paul voit grossir ses rangs d'une façon surprenante : une conférence nouvelle s'est formée d'élèves des Écoles normale et polytechnique ; quinze jeunes gens, composant environ le tiers du séminaire de l'Université, ont demandé, comme une faveur, de passer deux heures chaque dimanche, leur seul jour de liberté, à s'occuper de Dieu et des pauvres. L'année prochaine, Paris comptera quatorze conférences, nous en aurons un nombre égal en province : elles représenteront un total de plus de mille catholiques impatients de marcher à la croisade intellectuelle que vous prêcherez[27].

 

Après plusieurs années de ces progrès continus, le P. de Ravignan put enfin ajouter aux conférences la retraite de la semaine sainte et cette grande communion de Notre-Dame qui furent vraiment sa création propre[28] : couronnement de cette magnifique campagne et signe le plus éclatant de la rentrée de Dieu dans la société de 1830. L'effet en fut immense ; ce spectacle, si extraordinaire dix ans après la révolution de Juillet, arrachait au plus sceptique des observateurs ce cri d'étonnement et aussi de déplaisir :

Il faut parler de la semaine de Pâques. Décidément toutes les réactions sont complètes et triomphantes. La foule, à Notre-Dame, était prodigieuse. M. de Ravignan prêchait trois fois par jour. On s'y pressait, on s'y foulait, on y pleurait. Je ne sais combien l'on comptera de communions pascales, mais je crois que le chiffre n'aura jamais monté si haut, depuis cinquante ans. Le clergé est organisé, actif et zélé, la société indifférente, mais avide d'émotions et de quelque chose. Personne ne lui offre rien ; la philosophie n'existe pas, ou elle se proclame l'amie de la religion et de l'orthodoxie quand même. Dans cet état, incertitude, curiosité, engouement, on se pousse dans un sens, et, si l'on n'y prend garde, cela devient sérieux : l'entraînement suit. Les vieux peuples, comme les vieilles gens, sont tentés de revenir à leurs patenôtres et de n'en plus sortir. Se pourrait-il que la France finalement fût catholique, comme Bénarès est hindoue, par impuissance d'être autre chose[29] ?

 

Pendant que le P. de Ravignan continuait et développait la première œuvre de Lacordaire, celui-ci était conduit à en entreprendre une autre, non moins importante, dans l'histoire de la restauration religieuse en France. Il rencontrait à Rome, sans l'y avoir cherchée, la vocation monastique. Ce n'était pas seulement, chez lui, le désir de trouver, dans un couvent, la règle et le point d'appui qui lui avaient tant manqué, aux heures d'agitation et d'isolement de sa jeunesse sacerdotale ; son dessein, d'un intérêt plus général et plus français, était de faire rentrer les moines, la tête haute, dans son pays[30]. Tentative singulièrement hardie, en face des préventions de l'époque Mais Lacordaire croyait tout possible sur le terrain si nouveau où il s'était placé, et où, par l'exemple même de son succès, il cherchait et peu à peu parvenait à attirer l'Église. La faculté, pour un citoyen libre, d'observer la règle et de porter le costume de Saint-Dominique, il ne la sollicita pas du gouvernement comme une faveur ; il la réclama de l'opinion publique comme un droit, et adressa, en 1839, à son pays ce fameux Mémoire pour le rétablissement en France des Frères Prêcheurs, d'un accent éloquent et original, fier et caressant, audacieux et habile, où l'homme moderne apparaissait sous le froc antique, où il parlait de liberté et taisait appel à toutes les idées contemporaines, en poursuivant la restauration d'une institution du treizième siècle, liée aux souvenirs impopulaires de l'inquisition. Une fois de plus, Lacordaire vit sa tactique couronnée d'un plein succès. Il ne gagna pas seulement le concours de plusieurs disciples, recrutés précisément dans la partie de la jeunesse qui avait le plus pris goût aux idées nouvelles ; le jour venu, dans les premières semaines de 1841, il put, sous son nouveau costume, traverser la France étonnée, mais généralement sympathique et respectueuse, intéressée par ce que cette hardiesse avait de vaillant, flattée par la confiance témoignée en sa tolérance et en sa justice. Arrivé à Paris, il fit plus encore, pour prendre solennellement possession de la liberté qu'il venait de reconquérir : violentant quelques timidités amies, il parut dans la chaire de Notre-Dame, avec sa robe blanche et sa tête rasée, ayant à ses pieds dix mille hommes, parmi lesquels tous les chefs du gouvernement et de l'opinion ; et alors, sous ce froc du moyen âge, il prononça, par un contraste voulu, le plus moderne de ses discours, celui sur la vocation de la nation française.

Après cela, n'était-il pas fondé à dire, en montrant sa robe blanche : Je suis une liberté ? Il venait, par ce coup d'éclat, d'arracher au pays lui-même ce que les pouvoirs publics n'eussent pas sans doute voulu ni osé accorder du premier coup ; il avait gagné devant l'opinion le procès, non seulement des dominicains, mais de tous les ordres religieux. Les jésuites, qui jusqu'alors ne s'étaient établis en France que d'une façon équivoque et en se prêtant à une sorte de dissimulation convenue, ne furent pas les derniers à en profiter : dès l'année suivante, pour la première fois, en annonçant les conférences de Notre-Dame, on dit le Père de Ravignan et non plus l'abbé de Ravignan. Quel progrès, si l'on se reporte au lendemain de 1830, et même à la Restauration ! Le nouveau moine, lors de sa rentrée en France et de son discours à Notre-Dame, avait été invité chez le ministre des cultes il y avait diné en froc. On raconte que l'un des convives, ancien ministre de Charles X, M. Bourdeau, se penchant vers son voisin : Quel étrange retour des choses de ce monde, dit-il ! Si, quand j'étais garde des sceaux, j'avais invité un dominicain à ma table, le lendemain, la chancellerie eût été brûlée.

Aussi, peu de temps après, un prêtre éminent repassait dans son esprit les changements inespérés, accomplis, depuis 1830, dans l'ordre religieux ; il considérait les âmes ramenées vers Dieu par l'effet même de l'agitation et du trouble qui avaient paru d'abord les en éloigner, le clergé cessant d'être suspect par suite de sa ruine politique, et retrouvant, grâce à une attitude nouvelle, une popularité plus fructueuse que n'avait jamais pu l'être la faveur officielle. Alors conduit, contraint en quelque sorte, à reprendre la pensée, si étrange au premier abord, qui avait été déjà indiquée, en 1834, par Mme Swetchine, il constatait que la révolution de Juillet avait été, sans le vouloir, la première origine de la réaction religieuse[31]. Les adversaires eux-mêmes étaient réduits à confesser ce retour si inattendu. L'un d'eux, M. Dubois, l'ancien fondateur du Globe, disait, vers 1840, à un élève de l'École normale : Mes sentiments sont bien connus, j'ai toujours combattu le catholicisme ; mais, je ne puis me le dissimuler, il se prépare pour lui un siècle aussi beau et plus beau peut-être encore que le treizième[32]. Or, c'était le même homme qui, en 1831, visitant, comme inspecteur général de l'Université, le collège de Rennes, s'était écrié, après avoir rendu au passé de la religion catholique un hommage d'une hautaine bienveillance : Messieurs, nous marchons vers une grande époque, et peut-être assisterons-nous aux funérailles d'un grand culte[33].

 

VI

Pendant que Lacordaire ramenait les générations nouvelles dans les églises, son frère d'armes de l'Avenir, le comte de Montalembert, travaillait à faire reprendre aux catholiques la place qu'ils avaient perdue dans le monde politique. C'est le la mai 1833, au moment même où finissait la première station de Notre-Dame, que le jeune pair prononçait son maiden speech dans la Chambre haute.

Lui aussi, il avait dû sortir de l'arène, pour reprendre haleine, après le faux départ de l'Avenir. Seulement, ces années de retraite que le prêtre avait passées, isolé et comme immobile, dans sa chambrette d'aumônier de la Visitation, le gentilhomme les avait employées à parcourir les grandes routes d'Allemagne et d'Italie, se passionnant partout à la recherche des vestiges, jusqu'alors mal compris et imparfaitement goûtés, des grands siècles catholiques, particulièrement des monuments artistiques du treizième et du quinzième siècle. Le hasard des voyages — où le poussait peut-être l'agitation d'un esprit encore mal remis des excitations et des secousses de la crise récente — lui avait fait rencontrer, dans un coin de la Hesse, les traces, presque complètement effacées par la haine protestante et par l'oubli populaire, du culte dont avait été l'objet « la chère sainte Élisabeth ». Séduit et indigné, touché et conquis, il avait fait de la royale sainte la dame de ses pensées, de son imagination, de ses études ; il s'était armé son chevalier, pour venger cette mémoire méconnue, pour ranimer cette dévotion éteinte, et a‘ ait trouvé dans la présence constante de celte charmante et douce vision la direction de son esprit, la paix de son ;une, la consolation de ses déchirements et de ses déceptions, et comme le bienfait d'une sérénité supérieure venue du passé et descendue du ciel.

Mais cette vie d'érudit ou de dilettante chrétien ne pouvait longtemps suffire à une nature aussi militante. Ce n'était pas seulement dans l'histoire, c'était dans les luttes présentes et quotidiennes de la vie publique qu'il voulait relever le nom catholique. Quand, au lendemain de la révolution de Juillet, il avait vu la croix arrachée du fronton des églises de Paris, traînée dans les rues et précipitée dans la Seine, aux applaudissements d'une foule égarée, il s'était promis de poursuivre la revanche de ces jours d'humiliation et d'outrage. Il le rappelait plus tard à la tribune : Cette croix profanée, s'écriait-il, je la ramassai dans mon cœur, et je jurai de la servir et de la défendre. Ce que je me suis dit alors, je l'ai fait depuis, et, s'il plaît à Dieu, je le ferai toujours[34]. C'était pour tenir ce serment de ses vingt ans, que le jeune pair, qui avait été, après 1830, l'un des derniers à recueillit le bénéfice de l'hérédité bientôt abolie, s'empressait, dès que son âge le lui permettait, de siéger dans la Chambre haute et de prendre part à ses débats[35].

On ne saurait s'imaginer aujourd'hui de quel courage, de quelle audace même, un homme politique devait alors faire preuve, pour se poser en chrétien. M. de Montalembert, rendant hommage, en 1855, à la mémoire de l'un des rares pairs qui s'étaient joints à lui, au comte Beugnot, a rappelé l'impopularité formidable qu'il fallait braver, au sein des classes éclairées et du monde politique, quand on voulait arborer ou défendre les croyances catholiques... Personne, ajoutait-il, ou presque personne, parmi les savants, les écrivains, les orateurs, les hommes publics. ne consentait à se laisser soupçonner de préoccupations ou d'engagements favorables à la religion... L'impopularité qu'il s'agissait d'affronter n'était pas seulement cette grossière impopularité des masses, ces dénonciations quotidiennes des journaux, ces insultes et ces calomnies vulgaires qui sont la condition habituelle des hommes de cœur et de devoir dans la vie publique... Mais il fallait de plus entrer en lutte avec tous ceux qui se qualifiaient d'hommes modérés et pratiques, avec la plupart des conservateurs non moins qu'avec les révolutionnaires, avec l'immense majorité, la presque unanimité des deux Chambres, avec une foule innombrable d'honnêtes gens aveuglés, et, ce qui était bien autrement dur, avec une élite d'hommes considérables qui avaient conquis une réputation enviée, en rendant d'incontestables services à la France, à l'ordre, à la liberté. Enfin il fallait braver, jusque dans les rangs les plus élevés de la société française, un respect humain, dont l'invincible intensité a presque complètement disparu dans les luttes et les périls que nous avons traversés depuis lors[36].

En parlant ainsi de M. Beugnot, M. de Montalembert ne pensait-il pas à ses propres débuts ? Quand, en 1835, il entra à la Chambre haute, avec le dessein d'y défendre la cause catholique, il s'y trouva absolument isolé : il ne pouvait même pas s'appuyer sur les légitimistes, plus favorables aux idées religieuses, mais dont sa coopération à l'Avenir l'avait publiquement séparé. Les hommes, d'ordinaire, hésitent à se compromettre pour une cause, lorsqu'ils savent devoir être seuls à la défendre ; l'inutilité probable de leur effort sert d'excuse à leur défaut de courage. Tout autre était le jeune comte de Montalembert. Il semblait avoir le goût des causes vaincues : plus elles lui paraissaient désespérées, abandonnées de tous, plus il se sentait porté vers elles, plus il trouvait d'attrait et d'honneur à s'y montrer fidèle et dévoué. Sans espoir ni peur, disait une vieille devise de ses ancêtres. Je confesse, déclarera-t-il fièrement vers la fin de sa vie, que je ne suis pas tout à fait étranger à ces instincts rétifs que les sophistes repus reprochent aux ennemis vaincus de César... J'aurais joui du succès tout comme un autre : niais j'ai su m'en passer. Une âme un peu haute, dit Vauvenargues, aime à lutter contre le mauvais destin : le combat plaît sans la victoire... J'ai toujours défendu les faibles contre les forts... et nul ne pourra dire que j'ai conspiré avec la fortune et attendu, pour servir les idées ou les personnes, qu'elles fussent victorieuses et toutes-puissantes[37]. N'est-on même pas autorisé à penser que l'abaissement de la religion, au lendemain de la révolution de Juillet, fut l'un des motifs de la passion généreuse avec laquelle il arbora le drapeau catholique ? N'est-ce pas lui qui, à vingt et un ans, devant le sac de Saint-Germain l'Auxerrois, avait déclaré se sentir au cœur une ardeur nouvelle, une ardeur sanctifiée par la douleur, pour cette foi outragée ? S'il nous eût été donné de vivre au temps où Jésus vint sur la terre et de ne le voir qu'un moment, écrivait-il alors, nous eussions choisi celui où il marchait couronné d'épines et tombait de fatigue vers le calvaire ; de même nous remercions Dieu de ce qu'il a placé le court instant de notre vie mortelle, à une époque où sa sainte religion est tombée dans le malheur et rabaissement, afin que nous puissions lui sacrifier plus complètement notre existence, J'aimer plus tendrement, l'adorer de plus près[38].

Grand fut l'étonnement des vénérables pairs, ces sceptiques d'origine, encore refroidis par l'expérience, ces survivants du dix-huitième siècle, blasés davantage par les révolutions du dix-neuvième, quand ils virent se lever, au milieu d'eux, ce jeune croyant si enthousiaste. L'entrée dans la cour du Luxembourg d'un chevalier portant l'armure du moyen âge et la croix sur la poitrine ne leur eût pas paru plus étrange et moins raisonnable. Avec son nouveau champion, la religion ne se présentait plus dans une attitude humble, voilée et résignée ; elle avait quelque chose de hardi, on eût presque dit de cavalier. Toutefois il se mêlait à cette hardiesse une sorte de bonne grâce fière et modeste qui l'empêchait de paraitre outrecuidante : Je ne descendrai pas de cette tribune — disait le jeune orateur, en terminant un des premiers discours où il revendiquait les droits du clergé — sans vous exprimer le regret que j'éprouverais, si je vous avais paru parler un langage trop rude ou trop étranger aux idées qui y sont ordinairement énoncées. J'ai espéré que vous m'excuseriez d'avoir obéi à la franchise de mon âge, d'avoir eu le courage de mon. opinion. Quoi qu'il en soit, j'aime mille fois mieux qu'il me faille vous demander pardon ici publiquement de vous avoir fatigués ou blessés par mes paroles, que demander pardon, dans le secret de ma conscience, à la vérité et à la justice, de les avoir trahies par mon silence[39]. Ce langage surprenait les nobles pairs, niais ne leur déplaisait pas ; ils ressentaient une sorte de curiosité indulgente pour les audaces imprévues de celui dont la jeunesse leur rappelait une hérédité regrettée ; leur tolérance ratifiait la liberté qu'il avait prise de tout dire, et lui permettait de troubler, par une vivacité inaccoutumée dans cette enceinte, le calme décent, la froide politesse de leurs délibérations : souriant aux saillies et même aux écarts de son éloquence impétueuse, comme un aïeul, à la vivacité généreuse et mutine du dernier enfant de sa race[40].

Du reste, si le jeune pair n'était pas déjà, à vingt-cinq ans, l'orateur éminent et complet des discours sur le Sunderbund ou sur l'expédition de Rome, ce n'en était pas moins un spectacle plein d'intérêt et de charme, de contempler ce talent dans la fraîcheur de sa fleur première et de le suivre ensuite dans son rapide épanouissement ; talent vif, alerte, ardent, où se mêlaient le sarcasme et l'enthousiasme, la fierté provocante et la générosité sympathique. M. de Montalembert travaillait beaucoup ses discours ; il les lisait alors, comme avaient fait plusieurs orateurs de la Restauration, entre autres Royer-Collard et le général Foy ; plus tard seulement, il prit le parti de réciter, ensuite de parler surs impies notes. Mais il lisait avec une aisance et une chaleur qui rendaient sa lecture presque aussi entraînante qu'une improvisation. Il avait peu de geste ; la voix y suppléait, souple, claire, vibrante, admirablement faite pour l'ironie ou le pathétique, avec un de ces accents qu'on n'oubliait plus ; et par-dessus tout, ce je sais quoi d'aisé dans la véhémence, de noble dans la passion, de naturel dans la hauteur, qui révèle la race, et qui donne à l'éloquence aristocratique un caractère à part auquel n'atteignent jamais ni la faconde de l'avocat, ni la solennité du professeur, ni la déclamation du rhéteur.

M. de Montalembert n'appartenait pas à un parti politique ; il ne pouvait être contredit, quand il se défendait d'avoir jamais combattu systématiquement aucun ministère. Cependant alors, dans beaucoup de questions, il paraissait en harmonie avec les hommes de gauche. Son premier discours, en 1835, avait été une attaque contre les lois de septembre sur la presse. Et surtout dans la politique étrangère, avec quelle amertume il reprochait au gouvernement les humiliations de la France ! Ces exagérations d'un libéralisme un peu jeune, ces exaltations d'un patriotisme parfois plus généreux que clairvoyant et sensé, étaient comme un reste de L'Avenir, qui devait s'atténuer avec le temps et avec l'âge. D'ailleurs, il avait là, chez M. de Montalembert, à côté d'entraînements très sincères, de convictions très ardentes, une part de tactique : pour faire sortir les catholiques de leur état d'isolement, d'impopularité et de proscription murale, pour leur refaire nue place digne dans le monde politique, il lui paraissait utile que l'orateur, connu pour être leur champion, se montrât un libéral aussi hardi, un patriote aussi susceptible, un défenseur aussi dévoué des nations opprimées, un ami aussi ardent de toutes les causes généreuses, enfin un citoyen aussi intéressé aux affaires publiques, qu'aurait pu l'être aucun homme engagé dans le mouvement du siècle. Une telle attitude lui était d'autant plus facile que ces sentiments étaient naturellement les siens. De là tous ces discours qui se succèdent sur la liberté de la presse, sur la Pologne, la Belgique, l'Espagne ou la Grèce. sur les réformes philanthropiques en matière d'esclavage, de régime des aliénés ou de travail des enfants dans les manufactures. Rarement, dans ces premières almées, il aborde les questions religieuses proprement dites : à peine, de temps à autre, engage-t-il quelque rapide escarmouche sur l'aliénation des terrains de l'Archevêché, sur un appel comme d'abus, ou sur le régime des petits séminaires. Mais, ne vous trompez pas, c'est le catholicisme qu'il a toujours en vue, même quand il traite d'autres sujets ; ces discours sont en réalité pour lui des préludes, une façon de préparer le monde politique et de se préparer lui-même à sa mission spéciale, à celle qu'il avait proclamée le jour où, à vingt ans, devant la Chambre des pairs, il avait voué sa vie à la cause de la liberté religieuse et particulièrement de la liberté d'enseignement[41].

 

 

 



[1] Expression de M. Louis Veuillot. (Rome et Lorette, t. Ier, p. 40.)

[2] Ami de la Religion du 2 juillet 1831.

[3] Ce propos a été rapporte plus tant par Mgr Devie, évêque de Belley, dans une lettre adressée, en 1843, au ministre des cultes. Il avait été, dit le prélat, tenu publiquement à plusieurs ecclésiastiques de sa connaissance (Vie de Mgr Devie, par M. l'abbé Cognat. t. II, p. 223.)

[4] Seize mois, ou la Révolution et les Révolutionnaires, 1831.

[5] Testament du P. Lacordaire, p. 72. — Lacordaire, du reste, est souvent revenu sur la désolation de cet instant de sa vie ; on sentait quelle impression profonde et douloureuse il en avait conservée. Il a. dit, par exemple, dans sa notice sur Ozanam : Frappé lie la foudre à l'entrée de ma vie publique, sépare d'un homme illustre en qui j'avais cru trouver le génie de la conduite avec celui de la pensée, j'errais au dedans de moi, dans des incertitudes douloureuses et de terribles prévisions. Ailleurs, parlant, de Mme Swetchine, dont l'ingénieuse et tendre sollicitude lui fut alors si secourable : J'abordais, dit-il, au rivage de son ii me, comma une épave brisé, par les flots.

[6] Lacordaire, Notice sur Ozanam.

[7] Il écrivait le 30 juin 1833 : Vivre solitaire et dans l'étude, voilà mon âme tout entière... L'avenir achèvera de me justifier, et encore plus le jugement de Dieu... Un homme a toujours son heure : il suffit qu'il l'attende et qu'il ne fasse rien contre la Providence.

[8] Lettre écrite en mai 1835. Correspondance inédite, t. II, p. 18.

[9] Cette transformation que déterminaient, dans les sentiments religieux de la nation, la situation même faite au clergé par le régime nouveau et la façon dont il y conformait son attitude, a été indiquée, avec précision et autorité, par M. l'abbé Meignan, aujourd'hui évêque de Châlons. Il a écrit, en rappelant les souvenirs de cette époque : Sans doute le clergé n'avait point pour lui la force ; s'il se fût montré un seul instant provocateur, il eût été infailliblement écrasé ; mais il triompha par ce mélange de fermeté et de conciliation, de force et de douceur, par ce désintéressement, cette humilité, cette abnégation que la religion seule inspire. Il n'arracha point les armes à ses ennemis, mais ceux-ci les déposèrent eux-mêmes. On ne saurait dire combien le prêtre grandit promptement dans l'estime des populations calmées, par la déclaration qu'il fit de rester étranger à toute préoccupation politique, par le devoir qu'il s'imposa de pratiquer une franche neutralité, par l'activité, l'intelligence, la discrétion dont il fit preuve, en organisant, partout où il pouvait, des œuvres de charité, en ouvrant des asiles, des ateliers, des écoles, par le zèle qu'il déploya à instruire, à consoler, en un mot par le simple exercice de son pieux ministère. — (D'UN MOUVEMENT ANTI-RELIGIEUX EN FRANCE, Correspondant du 25 février 1860.)

[10] Notice sur M. Doudan.

[11] De la Réaction religieuse. (Variétés, t. II.)

[12] Il est mort en 1842.

[13] Propos rapportés par M. A. de Margerie, Correspondant du 25 juillet 1876.

[14] Allusion au libraire Touquet, ancien officier de l'Empire, éditeur, sous la Restauration, du Voltaire Touquet, des Evangiles Touquet, de la Charte Touquet, et autres publications de propagande libérale et voltairienne.

[15] 15 mars 1837.

[16] Lettre d'Ozanam du 25 mars 1832.

[17] C'est ce qu'écrivait vers cette époque, le jeune Pierre Olivaint, tout récemment converti (Vie du P. Olivaint, par le P. Clair, p. 158). Dans cette même lettre, Pierre Olivaint disait : Je serais infini, si je te racontais ce que font à Paris des jeunes gens du monde ; j'en connais quelques-uns qui, l'année dernière, ont empêché plus de cinquante suicides.

[18] Notice sur Ozanam, par Lacordaire.

[19] Lettre du 23 février 1835.

[20] Lettre du 21 juillet 1834.

[21] Lettres d'Ozanam du 2 mai 1834.

[22] Expression du prince Albert de Broglie dans son discours de réception à l'Académie française.

[23] Sur ce sujet délicat nous ne pouvons que renvoyer à la Vie du P. Lacordaire, par M. Foisset. On ne saurait consulter un témoin plus sage et plus sûr.

[24] Lettre du 3 janvier 1837.

[25] Parmi ces jeunes gens plusieurs se firent prêtres : trois notamment devinrent Pitard, Verdière et Olivaint, le futur martyr de la rue Haxo.

[26] Vie du P. de Ravignan, par le P. de Ponlevoy.

[27] Lettre du 26 août 1839.

[28] La retraite fut inaugurée en 1841, et la communion générale en 1842.

[29] Sainte-Beuve, Chroniques parisiennes, p. 21. Ces chroniques étaient envoyées, en 1843, à la Revue suisse.

[30] Lacordaire avait été sans douté devancé, dans le rétablissement des ordres monastiques en France, par dom Guéranger qui, comme on l'a dit plus haut, s'était étalai à Solesmes dès 1833, et avait revêtu l'habit de Saint-Benoît en 1836. Mais cet évènement n'avait pas eu de retentissement : il avait été en quelque sorte tout local.

[31] L'abbé Dupanloup, De la Pacification religieuse, 1845.

[32] Ce propos est rapporté dans une lettre du jeune Pierre Olivaint. (Vie du P. Olivaint, par le P. Clair, p. 158.)

[33] Ami de la Religion du 4 août 1831.

[34] Discours du 14 avril 1843.

[35] Les pairs admis par droit d'hérédité n'avaient voix délibérative qu'à trente ans ; mais ils pouvaient siéger et parler dès vingt-cinq ans.

[36] Ailleurs, M. de Montalembert a écrit, en faisant allusion à la même époque : On vit ensemble, pendant des années entières, dans un corps politique, dans un tribunal, dans un conseil ou une assemblée quelconque, et l'on est tout étonné, de découvrir un jour, par quelque hasard, qu'on a, pour collègue ou pour voisin, un homme qui croit à la vérité catholique, et qui pratique sa croyance, sans que personne s'en doutât : tant l'organisation sociale laisse chez nous peu de placé à la foi religieuse, tant elle en rend la profession inutile, impopulaire, dangereuse ou ridicule. (Œuvres polémiques, t. I, p. 313.)

[37] Avant-propos des Discours de M. de Montalembert.

[38] Avenir du 19 février 1831.

[39] Discours du 19 mai 1837.

[40] Expression du prince Albert de Broglie, dans son discours de réception l'Académie française.

[41] Discours prononcé le 20 septembre 1831, dans le procès de l'Ecole libre.