APPENDICE PREMIER. — PLAN D'UNE COLLECTION GÉNÉRALE DES MONUMENTS INÉDITS DE L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT[1]. La pensée d'éclaircir les origines et l'histoire du tiers état par la publication d'un grand recueil de documents inédits appartient à M. Guizot, ministre de l'instruction publique. C'est lui qui, en 1856, m'a confié l'exécution de ce travail, entrepris avec zèle, mais que des difficultés imprévues et le triste état de ma santé ont rendu, malgré moi, beaucoup trop lent. Il s'agissait de faire, pour le troisième des anciens ordres de la nation, ce qui s'était fait depuis plus de deux siècles par l'érudition française pour la noblesse et le clergé. Avant tout, je me suis demandé ce que devrait être, dans sa plus grande étendue possible, un recueil des monuments de l'histoire du tiers état ou des classes roturières en France, et quels matériaux de différent genre il faudrait y faire entrer. Ces matériaux, divers selon qu'ils se rapportent à la condition privée ou publique des personnes, à leur existence dans la famille, dans la corporation, dans la commune, dans la province et dans l'État, m'ont paru se ranger naturellement sous quatre chefs donnant lieu à autant de collections distinctes dont voici le sommaire : 1° Collection des documents relatifs à l'état des
personnes roturières, soit de condition serve, soit de condition libre.
Actes indiquant la réduction progressive de l'esclavage antique au servage de
la glèbe et la naissance de la propriété pour les familles serves. —
Affranchissements de familles ou individus, avec ou sans condition. — Privilèges
autres que ceux de noblesse accordés à certaines personnes ou à certaines
familles. Concessions du titre de bourgeois du roi. — Privilèges royaux ou
seigneuriaux, obtenus par des paysans non réunis en communauté municipale. —
Requêtes adressées aux cours souveraines des provinces et au parlement de
Paris pour la jouissance du droit de franchise de corps et de biens. —
Jugements rendus en faveur de ces réclamations ou contre elles. 2° Collection des documents relatifs à l'état de la bourgeoisie considérée dans ses diverses corporations. Statuts constitutifs des anciens corps d'arts et métiers. — Actes et règlements relatifs aux maîtrises et aux jurandes, aux conseils de prud'hommes et aux consulats du commerce. — Ordonnances royales ou municipales concernant la pratique des lois, le barreau, la médecine tala chirurgie, l'exercice de toutes les professions lettrées ou non lettrées, libérales ou industrielles. 3° Collection des documents relatifs d l'ancien état des villes, bourgs et paroisses de France. Actes indiquant la persistance du régime municipal romain et la condition des habitants des villes antérieurement au VIIe siècle. — Charte de communes concédées par les rois ou les seigneurs. — Statuts municipaux des villes. — Délibérations municipales et règlements de police urbaine. — Ordonnances rendues pour accroître, modifier ou abolir, dans telle ou telle localité, les droits et les privilèges communaux. — Concessions de foires et de marchés. — Actes royaux ou seigneuriaux pour le redressement de griefs ou l'octroi d'immunités quelconques en faveur des villes, bourgs ou villages. 4° Collection des documents relatifs au rôle du tiers état dans les assemblées d'états généraux ou provinciaux. Actes indiquant le mode d'élection des députés du tiers état pour les villes et pour les campagnes. — Listes des députés du tiers état aux assemblées, soit nationales, soit provinciales. — Procès-verbaux des délibérations du tiers état. — Ses cahiers préparatoires ou définitifs. — Ses propositions en dehors des cahiers, et discours de ses orateurs. Ces classifications établies et la carrière ainsi mesurée en quelque sorte, j'ai laissé le plan idéal d'un corps complet de tous les documents de l'histoire civile et politique du tiers état pour me rabattre, dans l'exécution, sur un autre plan moins logique, moins régulier, mais plus aisément praticable. J'ai écarté la dernière catégorie, celle des actes concernant les États généraux ou particuliers, à cause de la difficulté d'isoler, sur tous les points, ce qui se rapporte au tiers état de ce qui regarde les deux autres ordres, dans la masse souvent mêlée de ces actes. D'ailleurs, il sera bon que l'histoire des anciennes assemblées, nationales ou provinciales, qui sont chez nous les racines du régime représentatif, ait son recueil spécial, entrepris pour elle-même, en vue du rôle collectif des trois ordres, et non du rôle particulier de l'un d'entre eux. J'ai réuni en une seule collection la seconde et la troisième catégorie, celle des statuts et actes municipaux et celle des statuts et règlements des corporations d'arts et métiers ; à mon avis, cette fusion est nécessitée par les rapports intimes de la vie municipale et de la vie industrielle au moyen âge. Enfin, j'ai ajourné indéfiniment et réservé, comme seconde série du Recueil des monuments de l'histoire du tiers état, la collection des actes relatifs à l'état des familles roturières, collection d'une moindre importance et d'une nature moins déterminée, et qui, outre sa spécialité, devra servir de supplément à la première[2]. Ainsi le présent ouvrage sera un recueil complet des documents relatifs à l'histoire municipale et à celle des corporations d'arts et métiers des villes de France. Le morceau placé comme introduction en tête du premier volume est plus général dans son objet. Je l'ai composé comme si mon plan de publication eût embrassé les quatre séries de documents énumérées plus haut ; c'est, dans un cadre sommaire, une histoire de la formation et des progrès du tiers état. Il me reste à souhaiter trois choses. C'est, d'abord, que les matériaux de la seconde série de ce recueil, série ajournée par moi, deviennent, pour un autre, l'objet de recherches dans les bibliothèques et les archives, et qu'il en résulte une publication capable d'être annexée à celle-ci. En second lieu, c'est que la demande récemment adressée au ministre de l'instruction publique pour une édition complète des documents relatifs aux états généraux soit accueillie[3]. Enfin, c'est que les états particuliers aient leur collection de pièces pour chaque province, et que, dans toutes les parties de la France, un travail si désirable attire le zèle des hommes studieux qu'animent à la fois l'amour de la science historique et l'amour de la contrée natale. Paris, le 20 février 1830. |
[1] Ce morceau est l'avant-propos du premier volume du Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état.
[2] Par exemple, pour l'insertion des règlements généraux de l'industrie et du commerce, qui, faits pour tout le royaume, ne peuvent être classés sous le nom d'aucune ville en particulier.
[3] Cette demande a été faite par M. Auguste Bernard, membre de la Société des antiquaires de France.