ESSAI SUR L'HISTOIRE DE LA FORMATION ET DES PROGRÈS DU TIERS ÉTAT

 

RECUEIL DES MONUMENTS INÉDITS DE L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT.

 

 

SECOND FRAGMENT. — MONOGRAPHIE DE LA CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS.

 

PREMIÈRE SECTION.

PROLÉGOMÈNES ; TEMPS ANTÉRIEURS AU XIIe SIÈCLE[1].

La ville d'Amiens, à l'époque où César fit la conquête de la Gaule, portait le nom de Samarobriva, c'est-à-dire, pont sur la Somme[2]. Elle était la capitale des Ambiani, l'une des tribus de la grande famille des peuples gaulois qui, sous le nom de Belges, habitaient le nord du pays, depuis le Rhin jusqu'à la Marne et à la Seine. Quand il fallut repousser l'invasion romaine, les Ambiani s'unirent aux peuples qui avaient avec eux une origine commune, et ils fournirent, en l'année 57 avant notre ère, à l'armée qu'avait levée la confédération des Belges, un contingent de dix mille hommes. Mais César triompha de cette ligue puissante ; il dissémina ses troupes dans les villes et sur le territoire des Belges, et, à plusieurs reprises, des légions furent cantonnées à Samarobriva. Tels sont les premiers souvenirs historiques qui se rapportent à la cité d'Amiens.

On sait comment fut achevée en dix ans la conquête de la Gaule par les Romains. Le pays resta tellement soumis et pacifié, qu'un demi-siècle à peine après la mort de César, l'empereur Auguste put le comprendre dans ses divisions administratives. Ce fut alors que les Ambiani et leur capitale furent rangés dans la province qui porta le nom de seconde Belgique. Dès lors Samarobriva demeura soumise au système d'administration et aux lois qui régissaient d'une manière uniforme les diverses parties de l'Empire. Placée sous la dépendance et la juridiction d'un fonctionnaire impérial, elle avait cependant une assez large part d'action dans les affaires de son propre gouvernement, et, comme toutes les villes où fut importé le régime municipal romain, elle possédait un corps de magistrature et d'administration urbaine, une Curie chargée du soin de la police et des affaires locales, et investie, dans certains cas prévus et déterminés par l'autorité souveraine, du droit de justice et de l'application des lois.

Samarobriva Ambianorum, comme on disait en joignant au nom propre de la ville celui du peuple dont elle était l'ancien chef-lieu, atteignit, sous la domination romaine, un haut degré de prospérité ; elle s'accrut alors et s'embellit de telle sorte, que déjà, vers la fin du ne siècle de notre ère, l'historien Ammien Marcellin l'appelait une ville éminente entre les autres villes[3]. Située sur l'une des grandes voies romaines qui traversaient la Gaule dans toute sa longueur, elle était en outre, comme semble l'indiquer l'Itinéraire d'Antonin, le point de jonction de plusieurs routes d'une importance secondaire qui menaient à Beauvais, à Noyon, à Soissons et à d'autres villes avoisinantes[4]. Elle devait sans doute à cette position favorable au commerce une part de son importance. Depuis le règne d'Auguste jusqu'à la chute de l'empire, elle vit s'élever dans son enceinte de nombreux édifices ; elle avait un palais où résidait le magistrat impérial, un amphithéâtre, des temples et une grande manufacture d'armes[5]. On sait par la statistique officielle qui fut dressée vers l'an 437, que les empereurs avaient établi dans la Gaule huit ateliers où l'on fabriquait des armes de toute espèce, et que l'atelier d'Amiens devait fournir aux soldats romains des épées et des boucliers[6]. Le nom de Samarobriva cessa d'être en usage dans les bas temps de l'empire, et celui d'Ambiani resta seul pour désigner la ville ; plus tard il fut remplacé, à tous les cas, par le barbarisme Ambianus, qui, contracté et adouci dans la langue romaine, a produit le nom moderne d'Amiens[7].

L'établissement du christianisme et d'un siège épiscopal à Amiens date de la fin du IIIe siècle de notre ère. Ce fut entre les années 260 et 303 que Firminus, saint Firmin, originaire de Pampelune, enseigna dans la ville la nouvelle foi religieuse et y souffrit le martyre[8]. Il est inscrit le premier par l'Église sur la liste des évêques d'Amiens. On voit par cette date qu'au temps mérite où saint Firmin fut condamné au dernier supplice, en vertu des lois impériales, le christianisme était sur le point de triompher et de devenir la religion de l'empire.

En l'année 406, où les Mains, les Suèves, les Vandales et les Burgondes, forçant la limite du Rhin, envahirent la Gaule et la parcoururent du nord au sud, la ville d'Amiens eut sa part des misères qui vinrent fondre sur le pays, et ne put échapper aux dévastations des Barbares. Elle est comprise par saint Jérôme au nombre des cités qui eurent à subir les désastres de cette grande invasion[9]. Toutefois, il parait qu'elle répara promptement ses pertes, car, vers 437, comme l'indique la Notice de l'empire, elle tenait encore un rang distingué parmi les villes soumises à la domination romaine.

Amiens allait bientôt ressentir les effets d'une invasion, non point rapide et passagère comme la première, mais durable et qui devait exercer sur son état intérieur une longue influence. Dès l'année es, les Franks, dont quelques tribus s'étaient fixées en deçà du Rhin, sur le territoire de l'empire, avaient fait, sous la conduite de Chlodio, l'un de leurs chefs ou rois, des incursions jusqu'à la Somme, mais ils avaient été repoussés par Aétius. Il ne parait pas que les rois Mérowig et Hilderik, dont le dernier fut maitre de Tournai et de Cambrai, aient renouvelé les tentatives de Chlodio. Ce ne fut qu'à la fin du Ve siècle que la ville d'Amiens fut soumise aux Franks. On peut donner ici, comme date précise, l'année 486 où Chlodowig, roi des Franks Saliens, défit, dans une bataille livrée sous les murs de Soissons, Siagrius, le dernier Romain qui ait gouverné une portion du territoire gaulois. Ce fut après cette victoire que les Franks s'avancèrent jusqu'à la Seine, et un peu plus tard jusqu'à la Loire, et qu'ils prirent, pour ne plus les abandonner, les pays de la Gaule situés au nord de ces deux fleuves.

Amiens participa, comme toutes les cités gauloises, à la grande révolution qui s'opéra dans le régime municipal romain après la chute de l'empire. Le gouvernement des villes sous la domination romaine se composait, comme on le sait, de trois choses bien distinctes. Il y avait :

1° L'administration intérieure et locale de la cité ;

2° La juridiction contentieuse ou des tribunaux civils, et la juridiction criminelle ;

3° La juridiction volontaire, analogue à celle qu'exercent en France, de nos jours, les notaires, et en certains cas les juges de paix[10].

Le pouvoir central avait laissé aux villes l'administration intérieure, la juridiction volontaire et ce que nous appelons aujourd'hui la police correctionnelle ; il s'était réservé la juridiction criminelle et la juridiction contentieuse. Par le seul fait de la dissolution de l'empire, les magistrats municipaux d'Amiens et des autres villes de la Gaule se virent subitement investis d'une autorité qu'ils n'avaient jamais eue jusqu'alors. Les membres de la Curie gardèrent leurs anciennes attributions, mais en même temps ils remplirent certaines fonctions que la retraite des officiers impériaux laissait vacantes, et ils exercèrent dans une étendue plus ou moins grande, selon les cas de nécessité, la juridiction criminelle et la juridiction contentieuse.

Il se fit à la même époque de graves changements dans le personnel de la magistrature urbaine. Les cadres de l'ancienne Curie furent brisés, le corps municipal se forma de tous les citoyens notables, à quelque titre que ce fût, et les membres du clergé y entrèrent comme les laïques. L'évêque intervint directement, légalement, si nous pouvons nous exprimer ainsi, dans le gouvernement et l'administration de la ville. Jusque-là il n'avait eu sur ses concitoyens qu'un ascendant purement moral, qu'il devait tout entier à ses fonctions épiscopales et au caractère sacré dont il était revêtu. La loi romaine lui accordait à ce titre une sorte de justice de paix : le droit d'arranger les différends et de terminer les procès qui lui étaient soumis[11]. Après la dissolution du régime romain, il devint, par sa promotion religieuse fondée sur l'élection populaire, membre et président du corps municipal. Investi à la fois d'une double autorité, spirituelle et temporelle, il se trouva dès lors placé, comme évêque et comme magistrat, au premier rang dans la ville, et il eut dans toutes les affaires la plus large part d'influence. Ici nous ne sommes point réduits à de simples conjectures, nous avons un texte positif, qui, pour la seconde moitié du VIIe siècle, confirme ce que nous venons d'avancer.

Salvius, dit un hagiographe[12], fut porté par le choix du peuple d'Amiens et donné de Dieu sur le siège épiscopal ; il fut appelé par le peuple dans l'ordre des magistrats, et couronné par Dieu dans l'honneur de l'apostolat. De ce passage si bref, on peut tirer une triple conclusion :

1° Au VIIe siècle, le peuple intervenait dans l'élection de l'évêque ;

2° Il nommait les magistrats municipaux ;

3° L'évêque faisait partie du corps de la magistrature urbaine qui administrait et jugeait dans la ville.

Tels furent les changements nécessaires et en quelque sorte spontanés que subit le régime municipal d'Amiens, comme celui des autres villes de la Gaule, après la ruine de l'empire et l'établissement des dominations germaniques ; maintenant, il s'agit d'examiner quelle influence l'organisation politique des conquérants germains, et en particulier des Franks, exerça sur ce régime.

Les rois mérovingiens établirent dans chaque ville importante, sur tout le territoire conquis par eux, des hommes auxquels ils déléguèrent leur autorité, et qui, sous le titre de comtes, exercèrent les hautes fonctions de juges et d'administrateurs civils et militaires. Il est difficile de marquer, d'une manière précise, la limite qui, dans le gouvernement intérieur des villes, séparait l'action et le pouvoir du comte de l'action et du pouvoir attribués par la loi, ou dévolus par la nécessité des circonstances, à la Curie, au Défenseur[13], à l'évêque. Toutefois on peut dire que la présence et l'établissement de ces officiers royaux ne firent nullement disparaître les institutions municipales. Les comtes, ainsi que le témoignent les documents contemporains, avaient pour charge de lever les impôts et de présider les assemblées, où, selon la coutume germanique, les principaux hommes libres du canton siégeaient comme juges au criminel, et exerçaient la juridiction contentieuse et la juridiction volontaire. Dans le canton rural, ces principaux hommes libres, ces fortes cautions, Rekin-burghe comme on disait en langue teutonique[14], étaient des hommes de race franke ; mais dans la cité, séjour des familles gallo-romaines, et où les riches Franks n'habitaient guère, les notables convoqués par le comte pour juger sous sa présidence au civil et au criminel, c'était la Curie elle-même, sauf sa constitution héréditaire et le nombre fixe de ses membres.

Ainsi l'agrandissement de la juridiction municipale qu'avait amené de forte la dissolution du gouvernement romain, se trouvait sanctionné et régularisé sous de nouvelles formes par l'institution germanique du Mâl ou de l'assemblée judiciaire[15]. Une foule d'actes et de formules prouve d'ailleurs que la magistrature urbaine ne cessa point pendant la période mérovingienne, et même plus tard, d'user dans toute leur plénitude des pouvoirs dont elle avait joui dans les temps romains. Elle conservait l'administration intérieure et locale, elle exerçait la juridiction volontaire, et les actes de cette juridiction, affranchissements, adoptions, légitimations, donations, traditions de biens vendus, réceptions de testaments, etc., lorsqu'ils étaient faits et passés en l'absence des officiers royaux, ne perdaient si leur valeur ni leur authenticité. Enfin, lorsque le comte venait en qualité de président prendre place dans les assemblées de justice où l'on avait à prononcer sur un crime ou sur un procès, il n'enlevait rien, par sa présence, aux pouvoirs des notables Rachimburgii, qui siégeaient au tribunal ; ces notables jugeaient sur le fait et sur le droit ; le comte ne faisait que recueillir les opinions et sanctionner le jugement. Et quand le Mâl se tenait dans une ville, malgré ce nom nouveau, qui de la langue des lois barbares passa dans le style des actes rédigés selon le droit romain, c'était le corps municipal qui, toujours subsistant quoique recouvert en quelque sorte par l'institution germanique, exerçait, en présence et sous la sanction du comte, la juridiction criminelle et la juridiction contentieuse[16].

Il arriva maintes fois, on le sait, que les comtes franks entravèrent par des actes d'une brutale violence l'action légale de la justice qu'ils avaient mission de maintenir et de surveiller ; il arriva aussi que les rois franks imposèrent aux villes des évêques nominés par eux, ou intervinrent dans les élections épiscopales en dépit des protestations du clergé et des citoyens. Mais on peut dire qu'en général, dans la ville d'Amiens et dans les autres villes, sous la dynastie mérovingienne, les rois et les comtes laissèrent subsister dans toute leur plénitude les diverses prérogatives de l'ancien droit municipal.

Un fait qui mérite d'être noté ici, c'est que dans les temps mérovingiens et carolingiens, Amiens fut une des villes les plus riches et les plus florissantes de la Gaule. Elle devait an commerce qui se faisait sur la Somme, et dont elle était l'entrepôt, une grande partie de son importance et de sa prospérité. En 779, Charlemagne accorda à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés une exemption de tous les droits qu'on levait à Amiens et dans plusieurs ports et places de commerce sur les marchandises de toute sorte. Les villes et les lieux nommés dans le diplôme sont ceux-là mettes où se faisait à cette époque, où plus tard encore se fit encore presque tout le commerce d'importation dans les contrées nord-ouest de la Gaule. Ce sont Rouen, le port d'Étaples en Boulonnais — l'ancien Portus Icius —, Utrecht, Pont-Sainte-Maxence, Paris, Troyes et Sens[17]. Le diplôme de Charlemagne, rapproché d'autres documents d'une date postérieure, acquiert une grande importance pour l'histoire d'Amiens. Il sert à établir que sous les rois des deux premières races, comme aux époques suivantes du moyen âge, cette ville était au nord de la France un de ces grands centres commerciaux où venaient affluer les marchandises de tous les pays[18].

Du VIIe siècle jusqu'au milieu du Xe, on ne trouve aucun document qui fournisse le moindre détail relatif à l'organisa, lion municipale d'Amiens. Toutefois, parmi les faits généraux qui se sont accomplis pendant cette période, il en est un que nous devons signaler, car il amena une modification importante dans la constitution municipale, non point d'Amiens en particulier, mais de toutes les villes de la Gaule : nous voulons parler de l'institution du Scabinat. Charlemagne, s'appuyant sur les souvenirs et sur les débris de l'ancienne civilisation, avait tenté de faire de ses vastes États un nouvel empire romain. Le principal moyen d'arriver à l'accomplissement d'un pareil projet devait être d'établir, autant que le permettait le désordre des éléments sociaux à cette époque, la régularité et l'unité d'administration ; c'est ce que le premier empereur Frank entreprit avec génie par des réformes originales dans toutes les branches du gouvernement. L'une de ses grandes mesures d'ordre public fut de modeler sur un plan nouveau les institutions judiciaires, et de pourvoir à l'administration régulière de la justice, que la loi et l'usage laissaient à la merci du zèle des hommes libres convoqués par le comte au Mâl ou plaid du canton. Il créa, sous le nom germanique de Skapene ou Skafene, dans les actes latins Scabini, Scabinei, un véritable corps de juges. Ces juges devaient être choisis, soit dans les cités, soit dans les districts du plat pays, par le comte du lieu, les commissaires impériaux ou missi dominici et le peuple[19]. Sous ce dernier nom était comprise dans les cantons ruraux la généralité des hommes libres selon le droit germanique, et dans les villes, la généralité des citoyens selon le droit municipal romain.

Ainsi la révolution judiciaire opérée par Charlemagne donna aux habitants des villes un droit tout nouveau, celui d'instituer des juges conjointement avec le comte, qui jusque-là avait été seul juge reconnu et qualifié tel par les lois de la monarchie franke. Cet ordre de choses qui substituait les Stains ou juges élus par le comte et le peuple aux anciens magistrats de la Curie, produisit par le fait une révolution dans le régime municipal ; mais le changement porta moins sur le fond que sur la forme des constitutions urbaines. Les nouveaux magistrats furent pris parmi ceux qui avaient le droit de siéger comme juges dans les tribunaux de l'époque précédente, parmi les membres du corps qui de temps immémorial gérait toutes les affaires de la cité, et c'est de là que vint dans les temps postérieurs la tradition qui attacha au titre romain d'Eskevins ou Eschevins le double sens d'administrateurs et de juges.

Nous le répétons, les faits qui nous ont été transmis comme arrivés dans la ville d'Amiens pendant la période qui s'étend du VIIe siècle jusqu'au milieu du Xe, appartiennent tous à l'histoire générale. Les chroniqueurs ne racontent avec quelque étendue que les malheurs qui vinrent fondre sur cette ville, à l'époque de la dissolution de l'Empire carolingien ; ce sont, d'une part, les invasions des Nordmans, qui se succèdent à Amiens, d'année en année sans interruption, depuis 859 jusqu'en 926, d'autre part les guerres des seigneurs, qui, affranchis de toute autorité supérieure par la ruine de l'Empire et l'affaiblissement du pouvoir royal, se disputent ses murailles et son territoire. Mais il est un épisode de ces guerres dont il faut tenir compte, car il montre que, pour les citoyens, le droit de prendre part aux élections épiscopales, l'un des privilèges dérivant de leur vieille constitution romaine, subsistait au milieu du Xe siècle, comme trois cents ans plus tôt, au temps de l'évêque Salvius.

En 946, mourut l'évêque Derold ; les habitants d'Amiens lui choisirent un successeur et nommèrent au siège vacant un moine de Saint-Waast, appelé Raimbaud. L'élection avait été régulière ; elle fut annulée par la violence. En 947, Hugues, comte de Paris, se rendit à Amiens, chassa Raimbaud et installa comme évêque à sa place Tetbaud, clerc de l'église de Soissons. Mais l'intrus ne resta pas longtemps paisible possesseur du siège épiscopal ; il fut chassé à son tour et excommunié. En 949, Arnulf, comte de Flandre, marcha sur Amiens, et, avec l'aide des habitants, se rendit maître de la ville ; il y ramena l'évêque élu, Raimbaud, et lui fit rendre la dignité qu'il tenait du choix populaire[20]. Ainsi, au milieu du Xe siècle, les habitants d'Amiens prenaient part avec le clergé à l'élection de leurs évêques. Ce droit ne leur fut jamais contesté ; des documents de nature diverse prouvent qu'ils en usèrent durant tout le cours du XIe siècle, et qu'ils l'exerçaient encore, dans le siècle suivant, à l'époque où leur existence municipale se reconstitua par une révolution, et prit une forme entièrement neuve, sous le célèbre nom de Commune[21].

Le droit d'instituer des Scabins ou juges élus, droit que les lois de l'Empire carolingien avaient attribué conjointement au comte et aux hommes libres dans chaque circonscription administrative, fut, durant le long désordre qui accompagna la dissolution de cet Empire, usurpé tout entier par les comtes, et devint l'une des bases de la souveraineté locale qu'ils s'arrogèrent. Il ne paraît pas que dans les circonscriptions rurales où tout s'était organisé d'après les mœurs et les coutumes germaniques, l'envahissement du droit des bornoies libres ait été l'objet d'une vive résistance ; mais dans les cités il fit naître une longue lutte où furent engagées, d'une part, la puissance seigneuriale, de l'autre, la corporation urbaine, qui, sous différents noms et avec différents degrés de pouvoir administratif et judiciaire, avait succédé à la Curie des temps romains. Cette lutte, où les villes de la Gaule succombèrent toutes, quoique d'une façon très-inégale, occupe dans leur histoire le cours du Xe siècle et celui du XIe. C'est la période de décadence et de ruine pour les institutions municipales ; son caractère dominant consiste dans la dissolution du corps des juges qu'on peut déjà nommer Échevins, dans le remplacement de ces juges par les vassaux du comte, pairs de la cour seigneuriale, dans l'inféodation des offices soit judiciaires, soit administratifs. Avec ces changements coïncidèrent partout, mais à différents degrés, l'oubli des traditions de la vie civile, l'invasion des mœurs et des coutumes barbares, l'abandon de la discipline sociale qu'avaient transmise les mœurs romaines, et qui, bien qu'affaiblie sous la domination franke, s'était maintenue au sein des villes par la durée de leurs gouvernements municipaux.

Au XIe siècle, s'offre le point extrême de ce mouvement de dissolution de tout ordre civil ; on voit régner les guerres privées de famille à famille et d'homme à homme, entre les bourgeois des villes comme entre les châtelains et les vassaux : mais à la même époque, par une soudaine réaction du bon sens humain, de l'équité naturelle et des souvenirs d'un temps meilleur, apparaissent les premiers symptômes d'un nouveau besoin d'ordre, de justice et de paix. Les volontés et les efforts s'unissent sous l'autorité religieuse pour substituer à la vengeance brutale les transactions pacifiques et la soumission à des sentences soit arbitrales, soit judiciaires. On connaît les célèbres institutions de la Trêve et de la Paix de Dieu qui furent promulguées, à plusieurs reprises dans le cours du siècle, par les évêques assemblés en conciles nationaux et provinciaux. Il est certain que des tentatives semblables et toutes spontanées eurent lieu sur une moindre échelle, et que des associations sous le serment pour le maintien de la paix publique se formèrent dans de petits pays ou de simples villes. Vers l'année 1025, les habitants d'Amiens s'unirent avec ceux de Corbie par un pacte de paix réciproque, non-seulement entre les deux villes, mais entre toutes les personnes domiciliées dans leur enceinte et sur leur territoire. Cette confédération, comme toutes celles du même genre, eut pour principe la vieille pratique d'association jurée, qui, sous le nom de Ghilde, avait été apportée en Gaule par les populations germaniques, et qui, après le mélange des races et des mœurs, s'était conservée, surtout dans les provinces du nord[22]. Voici les curieux détails que donne sur l'alliance d'Amiens et de Corbie, sur son caractère et sur son objet, un hagiographe du XIe siècle :

Les habitants des deux villes s'associèrent sous l'invocation des saints dont ils possédaient les reliques. Ils décrétèrent entre eux la paix entière, c'est-à-dire pour tous les jours de la semaine, et ayant fait vœu de se réunir chaque année à Amiens un jour de grande tète, ils joignirent à ce vœu le lien du serment. Tous jurèrent qu'à l'avenir, si la discorde éclatait entre deux hommes, ni l'un ni l'autre n'aurait recours au pillage on à l'incendie, mais qu'ils s'ajourneraient à un terme fixe, et viendraient alors devant l'église, en présence de l'évêque et du comte, plaider leur cause et terminer leurs querelles d'une manière pacifique[23]. Le narrateur contemporain ajoute que ces résolutions donnèrent naissance à une coutume observée longtemps par les habitants des deux villes associées. C'était à l'octave des Rogations qu'avait lieu leur grande assemblée annuelle ; on y portait processionnellement les reliques des saints, on terminait les procès, on pacifiait les haines et les différends, on lisait en public les statuts de l'association, et on les confirmait par un nouveau serment ; des orateurs parlaient au peuple, puis on se séparait. Le caractère religieux de cette institution s'effaça par degrés, et, après un temps plus ou moins long, elle devint purement politique, les reliques des saints furent négligées, et au lieu de processions et de prières, quand vint le jour de la grande assemblée, il y eut des divertissements et des danses. Les moines de Corbie et d'Amiens cessèrent de prendre part à ces fêtes ; mais il est probable que le pacte de paix entre les deux villes fut maintenu par elles, jusqu'à l'époque où une application bien autrement énergique de l'association sous le serment, fit renaître au nord de la France, par l'institution des Communes jurées, tous les droits et toutes les garanties du régime municipal[24].

L'établissement de la féodalité avait en quelque sorte matérialisé toutes les fonctions politiques et civiles. Le partage des pouvoirs sociaux et des attributions administratives avait été transformé par elle en un partage de domaines territoriaux de toute nature et de toute dimension, à chacun desquels un lot plus ou moins grand de souveraineté et de juridiction se trouvait inséparablement lié. Dans la ville d'Amiens, la division du territoire, et par suite celle de la puissance politique et judiciaire, s'étaient opérées d'une manière fort inégale entre les deux anciens chefs de la cité, le comte et l'évêque. La seigneurie du comte s'étendait sur la ville et sa banlieue ; celle de l'évêque, bien qu'il fût seigneur dominant, se trouvait restreinte aux domaines propres de son église, soit dans la ville, soit au dehors. La juridiction du comte était réputée générale ; celle de l'évêque portait un caractère de spécialité, et formait dans l'autre une sorte d'enclave. Les documents du XIe siècle nous montrent l'évêque d'Amiens cantonné féodalement dans ces étroites limites ; mais son autorité conserve encore, à ce qu'il semble, quelque lien avec l'ancienne tradition civile et les intérêts généraux de la cité. De temps en temps on voit paraître dans les chartes épiscopales le titre d'Administrateur de la chose publique d'Amiens, Procurator rei publice Ambianensis, titre qui dérivait des souvenirs de la constitution municipale antérieure au Xe siècle[25].

Les souvenirs du temps oti la royauté était seule souveraine se trouvaient de même attachés à une portion de la ville, mais à la plus petite de toutes, aux bâtiments et dépendances de l'ancienne citadelle, haute et forte leur nommée le Castillon, et construite, à ce que disent les antiquaires, sur l'emplacement d'un palais romain[26]. La cour du Castillon et les terrains qui l'avoisinaient, depuis le mur de la ville jusqu'à la Somme, étaient du domaine du roi et non de celui du comte ; ils étaient tenus héréditairement, sous condition de foi et d'hommage, par un châtelain qui exerçait dans ces limites une certaine juridiction, et que les droits attachés à sa tenure plaçaient après le comte, l'évêque et le vidame ou lieutenant civil de l'évêque, au rang de seigneur, ou, comme parlent d'anciens documents, de prince de la cité[27].

En dehors de ce partage territorial, restait-il au XIe siècle quelque chose qui fût possédé en propre par le corps des citoyens ? retrouvait-on alors quelques débris des biens communaux, en édifices et en terrains, qu'Amiens, comme toutes les cités de la Gaule, avait possédés à l'époque romaine, et dont la propriété s'était maintenue sous la domination franke ? Il est difficile de répondre à cette question d'une manière positive ; mais des actes officiels témoignent que, dans le XIe siècle, il existait encore à Amiens une sorte de conseil municipal, organe des intérêts et des doléances de la cité. On trouve mentionnés, soit comme réclamant contre les vexations des officiers du comte, soit comme validant par leur présence les donations et les contrats, des Principaux de la ville (Primores urbis), des Hommes d'autorité ayant parmi le peuple prépondérance de témoignage (Viri authentici habentes in plebe pondus testimonii)[28].

Une charte de l'an 1091 fournit de précieux renseignements sur l'état de la ville d'Amiens an XIe siècle. Elle constate d'abord que la cour féodale du comte remplaçait, pour l'administration de la justice, dans la ville commue au dehors, le Scabinat carolingien, dont le nom même avait disparu ; en second lieu, que le clergé et le peuple d'Amiens s'unissaient pour réclamer et protester contre les abus de pouvoir, les fraudes et les extorsions des juges seigneuriaux. La juridiction du comte s'exerçait alors par un certain nombre de chevaliers ses vassaux, qui, à titre d'hommage, lui devaient, pour leurs fiefs, le service judiciaire en même temps que le service militaire. Ils tenaient les plaids seigneuriaux tant dans la ville que sur les terres du comté d'Amiens, et la qualification de Vicomtes leur était donnée à tous, soit comme exprimant leurs fonctions déléguées, soit comme titre de quelque fief attaché à ces fonctions.

Deux frères, Gui et Ives, conjointement comtes d'Amiens[29], firent la charte dont il s'agit, sur les plaintes réitérées des églises et des fidèles, et après avoir consulté préalablement avec l'évêque d'Amiens Gervin, avec les archidiacres Ansel et Foulques, et avec les principaux de la ville. L'objet de cette charte fut de remédier aux abus les plus criants de l'instruction judiciaire, et de mettre fin aux prévarications que les vicomtes ou juges commettaient dans leur office. En voici les principales dispositions :

Soit dans la ville, soit hors de la ville, dans tout le comté d'Amiens, nul vicomte n'obligera personne à répondre sur une accusation de vol, à moins qu'il n'ait reçu plainte de quelqu'un. S'il se présente un accusateur, l'accusé recevra du vicomte la permission de consulter ; et, après avoir pris conseil, il répondra sur l'imputation dirigée contre lui.

Si l'accusé est convaincu de vol, il restituera au plaignant l'argent volé, et payera au vicomte trois livres seulement ; il sera dès lors libre de cette affaire, et ne sera point tenu de rendre raison là-dessus aux autres vicomtes.

Si un vicomte prétend qu'une chose a été trouvée par quelqu'un, et qu'il réclame à cet égard, on ne sera point tenu de lui répondre, à moins qu'il n'y ait un témoin qui déclare avoir assisté à la trouvaille ou reçu quelque aveu de l'accusé. S'il y a un témoin, l'accusé, ayant pris conseil, se disculpera légalement ; s'il ne le peut, il rendra au comte la chose trouvée, et au vicomte trois livtes seulement ; dès lors il ne sera plus tenu de répondre sur le fait devant les autres vicomtes.

Si l'un des vicomtes accuse quelqu'un d'avoir fait accord avec un autre vicomte sur un fait de vol ou de trouvaille, on ne sera pas tenu de lui répondre, à moins qu'il n'y ait un témoin qui déclare avoir été présent à la transaction. S'il y a un témoin, l'accusé se disculpera légalement, ou il restituera au vicomte la chose volée ou trouvée, et il lui payera trois livres au plus.

A cet acte de réforme judiciaire se trouve jointe une donation faite par les deux comtes à l'église cathédrale d'Amiens ; il fut promulgué dans cette église par une lecture publique et sous la menace d'anathème[30].

Le dispositif et le préambule de cette curieuse charte sont un témoignage frappant du déplorable état de la société, surtout de la société urbaine, vers la fin du XIe siècle. Rien de plus intolérable pour les villes, de plus contraire à leurs traditions municipales, de plus répugnant à toutes leurs conditions d'existence, qu'un ordre de choses où la justice, à ses différents degrés, constituait une propriété privée et des revenus patrimoniaux. Les abus signalés ici en supposent d'autres encore plus graves dont, malheureusement, aucun acte authentique conservé jusqu'à nous ne nous a transmis le souvenir. L'action de vol intentée sans partie plaignante, et l'accusation sans témoin pour une prétendue trouvaille de choses enfouies ou sans maître, choses qui, selon le droit féodal, appartenaient au seigneur, tels étaient dans la ville et le comté d'Amiens les moyens journaliers d'extorsion mis en usage par les vicomtes. Le prévenu que l'un des vicomtes avait renvoyé absous se voyait accusé par un autre vicomte d'avoir fait un pacte avec son juge, et l'action recommençait contre lui ; le condamné payait autant de fois l'amende qu'il y avait de vicomtes dans la ville ou dans le canton ; enfin, l'objet du vol réel ou prétendu était confisqué par les juges. Voilà ce que prohibe pour l'avenir l'ordonnance des comtes Gui et Ives, obtenue, comme une faveur, par les habitants d'Amiens, après de longues plaintes et des instances réitérées.

Les deux comtes qui font cet octroi semblent avoir le sentiment d'une profonde misère Sociale que leur constitution, comme ils l'appellent, sera impuissante à guérir. Les paroles dont ils se servent sont graves et tristes : Considérant, disent-ils, combien misérablement le peuple de Dieu, dans le comté d'Amiens, était affligé par les vicomtes de souffrances nouvelles et inouïes, comme le peuple d'Israël opprimé en Égypte par les exacteurs de Pharaon, nous avons été émus du zèle de la charité ; le cri des églises et le gémissement des fidèles nous ont touchés douloureusement[31]. Cette pitié mêlée de remords pouvait dire sincère, mais elle ne pouvait porter aucun fruit durable ; la volonté bienveillante d'un seigneur allégeait un moment le poids des tyrannies féodales ; mais ce seigneur passait, et les institutions étaient là pour ramener tout en arrière. Une puissance violente et toute personnelle, née de l'invasion des mœurs barbares, s'était emparée de tous lei débris de la vieille société civile ; l'action du temps l'avait formée, une révolution seule pouvait la briser, et, pour la ville d'Amiens, cette révolution ne se fit pas attendre ; elle arriva moins d'un quart de siècle après la charte des comtes Gui et Ives.

 

SECTION II.

DOUZIÈME SIÈCLE, ÉTABLISSEMENT DE LA COMMUNE D'AMIENS[32].

La grande révolution municipale qui éclata dans les premières années du XIIe siècle était depuis longtemps préparée ; on a pu voir, par ce qui précède, quelles furent les causes de cette révolution, car les griefs de la ville d'Amiens contre le régime seigneurial étaient communs à toutes les villes. Dans les cités comme dans les campagnes, l'organisation féodale avait envahi et transformé les anciens pouvoirs sociaux de toute nature et de toute origine. Elle avait ruiné plus ou moins complètement les vieilles institutions urbaines ; et les villes, morcelées en seigneuries diverses, privées de l'unité politique et de la juridiction civile, se voyaient régies, à titre de domaines, par des feudataires grands ou petits. Rien, dans le cours du XIe siècle, n'avait pu remédier aux désordres et aux souffrances de tout genre qui résultaient d'un pareil état de choses, ni les institutions de paix, ni les plaintes et les protestations des bourgeois unis au clergé, ni la royauté capétienne trop faible encore et trop indécise pour rendre efficaces et fécondes ses tentatives d'intervention.

Quand s'ouvrit le XIIe siècle, un besoin universel de réforme politique agitait, d'une manière diverse et à différents degrés, la population des villes dans toutes les parties de la France actuelle[33]. Le but de ce mouvement, quels qu'en fussent les symptômes, était partout le même, et sa tendance peut se définir ainsi :raviver les souvenirs de l'ancien ordre civil et rallier tous les débris épars de l'existence municipale ; les compléter et les fixer par une nouvelle constitution ; ressaisir, de gré ou de force, le droit de juridiction urbaine, et substituer aux offices féodaux des magistratures électives ; reconquérir les droits utiles de l'ancienne municipalité, ses revenus, ses biens communs, sa banlieue ; enfin, ériger l'universalité des citoyens en corporation libre investie des droits politiques et ayant le pouvoir de déléguer les fonctions administratives et judiciaires. Quant au caractère extérieur de cette révolution, aux causes occasionnelles qui la firent éclater simultanément ou la propagèrent de proche en proche, aux instruments politiques dont elle s'aida, aux événements qui l'accompagnèrent et à ses conséquences sociales, il y eut de grandes différences, suivant la condition des villes, dans telle ou telle portion du pays ; et, à cet égard, on peut distinguer deux grandes zones : celle du midi et celle du nord. Nous ne parlerons ici que de la dernière, dans laquelle se trouve Amiens.

Pour les villes du nord de la France, le moyen de renaissance civile, le ressort révolutionnaire, si l'on peut s'exprimer ainsi, fut l'association jurée, la Ghilde provenant des mœurs germaniques, et employée dans le cours du XIe siècle comme instrument de paix publique, sous l'inspiration religieuse et l'autorité de l'Église. L'application de cette pratique puissante à l'organisation municipale eut cela de nouveau, qu'elle fut toute politique. En outre, son objet fut non-seulement d'établir la paix dans les villes, mais d'y reconstituer la société par sa base, de fonder une assurance mutuelle pour tous les intérêts et tous les droits ; de faire sortir de l'association des citoyens une puissance publique s'exerçant pour eux et par eux.

Tel est, dans les documents du XIIe siècle, le sens des mots Conjuration et Commune[34] ; c'est la garantie réciproque organisée sous la loi du serment, pour un but de réforme sociale et de rénovation constitutionnelle. Les membres de la cité formée en commune prenaient tous collectivement, et l'un à l'égard de l'autre, le nom de Jurés, et parfois ce nom s'appliquait aussi d'une manière spéciale aux magistrats municipaux, à cause du serment particulier qu'ils prêtaient après leur élection. La constitution communale renfermait et garantissait trois espèces de droits : 1° le droit politique, droit tout nouveau pour le fond et peur la forme, sauf d'anciens titres d'offices conservés ou rétablis, tels que ceux d'Échevins et de Maire[35] ; 2° le droit civil, droit ancien fondé sur la coutume locale ; 3° le droit criminel, en partie ancien et résultant de la coutume, en partie renouvelé dans la prévision de délits provenant du nouvel ordre de choses, tel que le crime de lèse-commune.

Il parait que la révolution d'Amiens fut déterminée ou du moins accélérée par une impulsion venue du dehors, par l'exemple de plusieurs villes voisines. De l'année 1100 à l'année 1119, des communes jurées s'établirent successivement, avec des circonstances et des résultats divers, à Noyon, à Beauvais, à Saint-Quentin et à Laon. Dans cette dernière ville, l'évêque était seul seigneur, et l'abolition graduelle des anciens pouvoirs municipaux avait eu lieu à son profit et sous son nom ; ce fut contre ses droits que se fit la commune, ou, en d'autres termes, que les bourgeois de Laon s'associèrent pour la défense mutuelle de leurs personnes et de leurs biens, et pour l'établissement d'une nouvelle constitution et d'une magistrature élective. La révolution, commencée paisiblement, éprouva des résistances qui amenèrent bientôt le déchaînement de toutes les passions populaires ; il y eut guerre civile accompagnée de pillage et d'incendie ; l'évêque fut tué dans une émeute, et les bourgeois révoltés se défendirent contre le roi en personne. Ces événements, quelque tristes et violents qu'ils fussent, et par leur violence même, étaient bien propres à semer, dans le pays voisin de Laon, l'effervescence révolutionnaire. Nous savons par l'expérience contemporaine quel rôle ce genre d'excitation joue dans les mouvements politiques, et comment l'incendie s'allume de proche eu proche, là où il trouve des aliments préparés. Ce fut en l'année 1113, au plus fort de la révolution de Laon, que les bourgeois d'Amiens entreprirent d'ériger leur cité en commune.

Amiens, comme on l'a vu plus haut, n'était point, quant à la seigneurie de la ville, dans la même condition quo Laon ; non-seulement l'évêque n'y possédait pas toute l'autorité temporelle, mais sa puissance dans les affaires civiles était de beaucoup inférieure à celle du comte ; son droit de juridiction ne s'étendait que sur les domaines propres de l'Église, soit dans la ville, soit au dehors, et, dans ces limites même, il était sans cesse envahi. Au contraire, la juridiction du comte d'Amiens embrassait, sauf de simples enclaves, toute l'étendue de la cité et de sa banlieue. C'était par le comte et au profit du comte qu'avait eu lieu la ruine graduelle de la juridiction municipale, l'abolition plus ou moins complète de l'ancienne administration urbaine, la transformation des emplois municipaux électifs et viagers en offices féodaux héréditaires, et la substitution des pairs de fief, appelés Vicomtes, aux juges élus ou Scabins de l'époque carolingienne. La seigneurie du comte ayant ainsi absorbé graduellement tous les pouvoirs politiques, civils et judiciaires, l'association, jurée sous le nom de commune, par les habitants d'Amiens, ne fut autre chose, dans le fait, qu'une conjuration contre cette seigneurie.

En 1113, le comté d'Amiens était possédé, peu légitimement à ce qu'il semble, par Enguerrand de loves, seigneur de Conty ; et Geoffroy, que l'Église compte au nombre des saints, occupait le siège épiscopal. Cet homme, plein de zèle pour le bien général et aussi éclairé que le comportait l'esprit de son siècle, sentit ce qu'avait de légitime le désir d'indépendance et de garanties, pour les personnes et pour les biens, qui portait les bourgeois à s'unir en un corps politique se régissant lui-même, capable de résistance et d'action. Des motifs moins désintéressés contribuèrent à incliner l'évêque Geoffroy vers le parti de la bourgeoisie, car, comme nous l'avons déjà dit, l'entreprise révolutionnaire des habitants d'Amiens tendait à créer dans la ville une nouvelle puissance, ennemie avant tout de celle du comte.

Cette puissance, il est vrai, une fois constituée, pouvait et devait même se tourner contre la seigneurie épiscopale ; mais L'était un danger éloigné que l'évêque ne prévit pas ou jugea moindre que le danger présent. Selon les paroles d'un narrateur contemporain, il prêta faveur à la commune sans que personne l'y contraignit, et quoiqu'il sût bien ce qui venait d'arriver à Laon, l'effroyable meurtre d'un de ses collègues, et tous les désastres de cette ville. Probablement par son entremise, les bourgeois d'Amiens négocièrent avec le pouvoir royal, et obtinrent de Louis le Gros, au prix d'une somme d'argent, l'approbation verbale ou écrite da ce qu'ils venaient d'instituer, c'est-à-dire, de l'association ou commune, et des nouvelles magistratures qui, émanées d'elle, étaient destinées à la maintenir, à lui donner force de loi et forme de gouvernement[36].

Cette adhésion du roi fixa dans la ville d'Amiens l'état des partis, dont la lutte à main armée était inévitable, D'un côté, la commune, l'évêque, les officiers royaux et le vidame de l'église épiscopale ; de l'autre, le comte Enguerrand de loves, d'abord seul, puis assisté du châtelain qui, bien qu'il ne fût pas son homme lige, mais celui du roi, se joignit à sa cause et lui ouvrit la forteresse du Castillon[37]. Tels furent les acteurs et les rôles dans la guerre civile qui résulta de l'érection de la cité d'Amiens en commune, rôles dont la distribution s'accordait assez bien avec les vieux souvenirs de son histoire municipale. Les événements qui signalèrent la révolution d'Amiens ont été racontés avec prévention et avec un certain sentiment de haine par un contemporain, Guibert, abbé de Nogent. Toutefois. ce récit, rapproché d'autres documents originaux et dépouillé par la critique de son excessive partialité, donne sur la position des deux partis, sur leurs prétentions, leurs efforts et les divers incidents de la lutte, de précieux renseignements.

Enguerrand, comte de la ville — dit le narrateur que nous venons de nommer[38] —, voyant que les anciens droits du comté se trouvaient supprimés pour lui par la conjuration des bourgeois, traita ceux-ci en rebelles et les attaqua par les armes avec tout ce qu'il avait de forces. De plus, il rencontra un auxiliaire dans le châtelain Adam, et un poste avantageux dans la tour où celui-ci commandait ; chassé de la ville par les bourgeois, il se renferma dans la tour. Voilà par quelles hostilités s'ouvrit, dans Amiens, une guerre civile qui dura plus de trois ans. Les bourgeois, armés sous la conduite des chefs de leur commune, étaient soutenus par toutes les forces de l'évêque et par l'assistance personnelle de Guennond, seigneur de Picquigny, vidame ou avoué héréditaire de l'évêché. Durant tout le cours de la guerre, ce secours ne leur manqua point, et au commencement ils trouvèrent un auxiliaire inespéré dans le fils même d'Enguerrand de Doves, dans le fameux Thomas de Marle, le plus turbulent et le plus cruel peut-être des barons du XIIe siècle. Il avait pris parti pour la commune de Laon, ce qui l'indiqua sans doute aux Amiénois comme un allié possible pour leur cause ; sans doute aussi de grosses sommes d'argent furent le prix de cette alliance, en vertu de laquelle Thomas, adopté pour seigneur par les bourgeois d'Amiens, prêta le serment d'associé à la Commune, et se mit en campagne contre son père et contre le châtelain Adam[39].

Durant plusieurs mois, le comte et le châtelain, cantonnés dans la tour du Castillon, et serrés de près par les bourgeois et par Thomas de Marie, furent réduits à se tenir sur la défensive ; mais Thomas ayant reçu de son père des propositions d'alliance et des offres d'argent, se réconcilia avec lui et s'engagea par serment à tourner ses forces contre les bourgeois, l'évêque et le vidame. Dès lors la face des affaires changea : les assiégés du Castillon reprirent l'offensive, et Thomas de Marie se mit à harceler la ville et à ravager les domaines de l'église épiscopale, joignant au pillage le massacre et l'incendie[40].

Il parait que dans cette crise une partie des bourgeois, et surtout le clergé de la ville, qui adhérait à leur cause, Eurent saisis d'un grand découragement. Des voix de blâme s'élevèrent contre une révolution dont le triomphe semblait impossible ; on reprochait amèrement à l'évêque d'y avoir pris part et d'avoir excité des troubles qu'il était incapable d'apaiser. Affligé par ces attaques, et doutant peut-être lui même de la cause qu'il avait embrassée, Geoffroy prit la résolution de s'éloigner d'Amiens. Dans l'année 1114, il renvoya à l'archevêque de Reims les insignes de sa dignité épiscopale, et se rendit au monastère de Cluny, puis à la grande chartreuse près de Grenoble. Il revint de cet exil volontaire, sur l'injonction de son archevêque, vers le commencement de l'année 1115[41].

A son retour, il vit à Beauvais le célèbre Ives de Chartres ; auquel il fit part du déplorable état de la ville et de l'église d'Amiens. La ville était sans cesse attaquée par la garnison de la forteresse ; on se battait de rue en rue, et les bourgeois, barricadant leurs maisons pour s'y défendre, transportaient dans les monastères du voisinage ce qu'ils avaient de plus précieux[42]. Toutes les terres de l'évêque et du chapitre avaient été envahies par Thomas de Marle et occupées par ses gens de guerre. Consulté par l'évêque d'Amiens sur ce qu'il y avait à faire dans de si tristes conjonctures, Ives de Chartres lui donna l'avis de s'adresser au roi et de réclamer aide et secours, au nom de la paix publique ; lui-même écrivit à Louis le Gros une lettre qui s'est conservée jusqu'à nous[43].

Le roi, déjà sollicité contre Thomas de Marle, ami et fauteur des bourgeois de Laon, par la plupart des évêques de la province rémoise, marcha sur Laon, punit cette ville des excès qui avaient souillé sa révolution et s'empara de plusieurs châteaux appartenant au fils d'Enguerrand de Reyes ; puis il se dirigea vers Amiens. En intervenant au milieu de la guerre à outrance que se faisaient les bourgeois de cette ville et leur comte, Louis le Gros n'eut point en vue la poursuite de projets politiques, l'exécution d'un plan conçu dans le double intérêt du peuple et de la royauté ; au bruit des violences et des profanations commises par les adversaires de la commune d'Amiens, il leva sa bannière et se présenta dans la lutte comme mainteneur de la paix publique, défenseur des faibles et protecteur des églises[44]. La royauté ne concevait pas alors d'autre rôle pour elle, et c'est la gloire de Louis VI d'avoir en toute occasion rempli ce rôle avec un courage admirable et une infatigable activité.

Sur ces entrefaites, Thomas de Marie reçut, dans une rencontre qu'il eut avec le vidame, des blessures qui le mirent hors d'état de continuer la guerre en personne ; il se retira dans son château de Marie, laissant les plus braves de ses hommes de guerre dans la tour du Castillon, qui passait pour imprenable[45]. Ce fut vers la fête des Rameaux de l'année 1115, que l'armée du roi, peu nombreuse, mais composée de gens exercés aux travaux militaires, arriva aux portes d'Amiens. La venue d'un pareil secours avait rendu à l'évêque Geoffroy toute son énergie politique ; le dimanche des Rameaux, il prêcha devant le roi, l'armée et les citoyens, un sermon où il promettait le royaume du ciel à ceux qui périraient à l'attaque de la forteresse. Guibert de Nogent parle de ce discours avec une colère mêlée de réminiscences classiques, et dit que c'était, non la parole de Dieu, mais la harangue d'un Catilina[46].

Dès le lendemain, les machines de siège furent dressées contre la tour du Castillon, et l'évêque se rendit, nu-pieds, au tombeau de saint Acheta, pour implorer l'assistance divine en faveur des assiégeants[47]. Les troupes royales, réunies aux plus déterminés et aux mieux armés d'entre les bourgeois, et conduites par le roi en personne, livrèrent un assaut général ; mais, malgré l'ardeur des assaillants et la puissance des machines employées à battre les murs du Castillon, cette forteresse, bien défendue, résista. Les machines d'attaque furent démontées par les pierres lancées du haut des murs ; beaucoup de soldats et de bourgeois périrent, et le roi lui-même fut blessé à la poitrine d'une flèche qui traversa son haubert[48]. Jugeant la place trop forte pour être enlevée d'assaut, Louis VI résolut de ne point tenter sur elle un nouveau coup de main, et de tourner le siège en blocus ; il partit d'Amiens, et y laissa des troupes, qui, avec la coopération des bourgeois et de leurs adhérents, devaient cerner le château jusqu'à ce que la famine contraignit ceux qui le défendaient, à se rendre[49].

Le blocus de la citadelle d'Amiens dura près de deux ans ; ce ne fut qu'en 1117 qu'elle se rendit aux officiers royaux, et que sa reddition délivra la commune de toute hostilité à main armée. Par ordre du roi, la tour et tous les ouvrages de défense qui la protégeaient furent démolis[50] ; mais, malgré la forfaiture du châtelain Adam, qui, sans griefs personnels, avait guerroyé contre son seigneur immédiat, Louis le Gros ne lui enleva point son fief ni ses droits seigneuriaux ; seulement, ces droits ne furent plus attachés qu'à un amas de décombres et à une vaste étendue de terrain qui, dans la suite, réunie à la ville et comprise dans son enceinte, retint à travers les siècles et conserve encore aujourd'hui le vieux nom de Castillon[51]. Enguerrand de Boves et sa famille furent dépossédés du comté d'Amiens, et la famille des anciens comtes, celle de Raoul rentra dans ses droits[52].

Cette famille, étrangère à la lutte contre la commune, et devant, au contraire, sa restauration à l'affranchissement municipal, était disposée à reconnaître les faits accomplis, et à terminer la révolution par un accord pacifique, un règlement de droits, et un partage de pouvoir entre la seigneurie et la cité. Quant à l'évêque Geoffroy, il mourut dans l'année 1116[53] ; il ne vit point s'organiser et prospérer, au sein de la paix, cette constitution libre qui était en partie son ouvrage. Sa mémoire, entourée d'hommages religieux, mériterait bien aussi des honneurs civils. Un jour peut-être — et nous voudrions que le présent travail pût hâter ce jour — on verra s'élever, au milieu d'une des places publiques d'Amiens, la statue de saint Geoffroy, tenant à la main le pacte d'association communale, et, sur le rouleau déployé, on lira ces mots expressifs qui formaient le premier article, et qui contenaient tout l'esprit de ce pacte civique : Chacun gardera fidélité à son juré, et lui prêtera secours et conseil en tout ce qui est juste[54].

La loi de la commune, délibérée par les citoyens après leur association sous le serment, fut, Selon toute probabilité, soumise en 1117 à l'acceptation de la famille qui recouvrait ses titres seigneuriaux, et alors sans doute elle devint l'objet d'un contrat formel entre le corps des bourgeois et le nouveau comte. Ce traité, dont aucune mention ne s'est conservée jusqu'à nous, mais dont il est impossible de ne pas conjecturer l'existence, fut la première charte de la commune d'Amiens. La mesure des droits que la ville s'était créés par sa révolution, et la mesure de ceux qu'en vue d'une paix durable elle reconnaissait à ses anciens seigneurs, furent établies dans cette charte constitutionnelle, où la souveraineté urbaine était posée comme principe et comme règle, et le pouvoir seigneurial comme exception. Au moyen âge, l'attribut essentiel de la souveraineté, c'était la haute juridiction. Celle du comte passa tout entière à la commune, sauf réserve de l'assistance d'un prévôt, qui faisait les sommations, instruisait d'office, veillait aux jugements, mais ne jugeait pas[55], et sauf réserve d'une part dans le produit des amendes, saisies et confiscations judiciaires, La juridiction de l'évêque et celle du chapitre fuient maintenues intactes dans leur ancien ressort ; celles du vidame et un châtelain semblent avoir été supprimées dans leur exercice et réservées quant aux droits utiles et aux profits pécuniaires[56], Les droits de cens, de tonlieu, de travers et autres, les moulins et les fours banaux restèrent en la possession du seigneur en titre sur chaque portion du territoire communal, et, plus tard, lorsque la commune voulut réunir ces droits à son domaine propre, il fallut qu'elle les obtint de chaque titulaire par cession ou par achat[57].

La commune d'Amiens était souveraine, car elle avait le droit de se gouverner par ses propres lois, et le droit de vie et de mort sur tous ses membres ; elle avait, suivant le langage de l'ancienne jurisprudence, haute, moyenne et basse justice, Son pouvoir législatif, administratif et judiciaire était délégué par elle à un corps de magistrats électifs renouvelé chaque année, et dont le chef portait le titre de Mayeur (maire), et les membres celui d'Échevin ou les titres réunis d'Échevin et Prévôt[58]. Ainsi le vieux nom des juges élus de la constitution carolingienne, qui avait disparu sous le régime féodal, reparaissait avec une signification bien plus étendue, et le titre de Maire, peut-être ancien dans la ville, prenait une valeur politique dont rien jusque-là n'avait pu donner l'idée. L'élu aux fonctions de Maire ou d'Échevin était contraint d'accepter ces fonctions sous peine de bannissement, loi remarquable en ce qu'elle faisait revivre et sanctionnait par des garanties toutes nouvelles ce principe de la législation romaine, que les offices municipaux sont une charge obligatoire[59].

De même que la curie des temps romains, l'échevinage régissait les propriétés communes et gérait les finances de la cité ; il réglait et administrait la police urbaine ; il donnait l'authenticité aux actes de tout genre, et constituait dans son sein nu tribunal chargé de réprimer les infractions aux ordonnances de police et aux règlements municipaux ; mais, nous l'avons déjà dit, ses attributions ne se bornaient pas là. A la simple police et à la police correctionnelle il joignait la juridiction civile et la juridiction criminelle ; en toute matière, le droit commun pouvait être modifié par ses décrets ou par sa jurisprudence. Enfin, comme exerçant la souveraineté municipale au nom du corps des citoyens, il scellait ses actes du sceau de la Commune, sceau qui, durant plusieurs siècles, eut pour légende à son revers ces mots : SECRETUM MEUM MIHI[60].

Bien que la charte de transaction, qui, pour la Commune d'Amiens, fit succéder au mouvement révolutionnaire le régime constitutionnel, ne subsiste plus dans sa teneur authentique, il nous serait possible d'en présenter, non-seulement le fond, mais la forme probable, d'après un acte postérieur où elle se trouve encadrée pour ainsi dire, et modifiée simplement dans quelques-unes de ses formules. Il s'agit des lettres accordées en 1190 par le roi Philippe-Auguste aux bourgeois d'Amiens, et portant concession, ou, pour parler plus exactement, confirmation de leur Commune[61]. Nous pourrions extraire de la charte royale, comme plus ancien qu'elle, tout ce qui s'y trouve depuis l'article premier, qui énonce les devoirs mutuels des Jurés ou membres de la Commune, jusqu'à l'article quarante-cinq, où on lit : Tous ces droits n'existent que de juré à juré ; il n'y a pas égalité en justice entre le juré et le non juré. Il nous suffirait de supprimer dans ces quarante-cinq articles les mots roi et royal, qui, selon nous, y furent introduits en 1190 par la chancellerie de Philippe-Auguste. Le texte, ainsi dégagé des formules qui nous semblent provenir d'une révision faite après coup, prendrait place, par conjecture, à l'année 1117, comme étant la loi primitive de la Commune d'Amiens, loi délibérée et votée d'abord par les bourgeois, puis débattue sur certains points entre leurs chefs et le nouveau comte, enfin acceptée et ratifiée par ce dernier. Mais quelque légitime qu'à notre avis l'hypothèse eût été dans ce cas, nous n'y aurons point recours ; nous en sommes dispensés par un document irrécusable, par un acte authentique d'une date antérieure à 1190, où figurent, avec quelques variantes, quinze des quarante-cinq premiers articles de la charte de Philippe-Auguste. C'est la charte de la Commune d'Abbeville donnée par Jean, comte de Ponthieu, en l'année 1184. En voici le préambule :

Moi Jean, comte de Ponthieu, je fais savoir à tous présents et à venir que mon aient le comte Guillaume Talevas ayant vendu aux bourgeois d'Abbeville la faculté de faire une Commune, et que ces mêmes bourgeois n'ayant de cette vente aucun écrit authentique, je leur ai octroyé, sur leur requête, d'avoir une commune et de la tenir à perpétuité selon les droits et usages de la commune d'Amiens ou de celle de Corbie ou de celle de Saint-Quentin, sauf le droit de la sainte Église et le mien et celui de mes héritiers et de mes barons[62]. Le dernier article de la même charte est celui-ci ; Enfin, s'il s'élevait entre moi et les bourgeois d'Abbeville une contestation qui ne mit être terminée par cet écrit, elle sera décidée par la commune de Saint-Quentin ou celle de Corbie, ou celle d'Amiens[63].

En conférant le texte de la charte communale d'Abbeville avec les chartes des trois Communes qu'Abbeville prit pour modèle de sa constitution et pour règle de son droit pénal, on n'y reconnaît aucun article spécial des chartes de Saint-Quentin et de Corbie ; mais il n'en est pas de n'élue pour la charte d'Amiens. Quant à cette dernière, l'imitation est frappante non-seulement pour le fond, mais encore pour la forme ; on a maintenu la distribution des matières sans chercher à y mettre plus d'ordre et de méthode ; on a suivi la succession des articles qu'on adoptait, et leur texte a passé d'une charte dans l'autre avec de simples variantes. En un mot, il est évident que les rédacteurs de la charte d'Abbeville, donnée en 1181, ont eu sous les yeux, dans leur travail, au moins quinze des cinquante-deux articles dont se compose la charte communale d'Amiens signée par Philippe-Auguste en 1190.

Ces quinze articles sont les sept premiers, les 9e, 10e et 11e, les 14e, 15e et 16e, le 20e et le 44e. Ils traitent des devoirs des Jurés l'un entiers l'autre ; du vol commis dans les limites de la Commune ; de la sûreté des marchands qui viennent vendre à la ville ; du vol commis par un membre de la Commune au préjudice d'un de ses Jurés ; du vol commis au préjudice d'un Juré par un homme étranger à la Commune ; des coups donnés avec le poing ou la main ; des blessures faites, au moyen d'armes, par un Juré à un autre Juré ; des blessures faites et des coups donnés à un Juré par un non Juré ; des paroles injurieuses entre Jurés ; des propos offensants tenus contre la Commune ; du plaignant qui ne donne pas suite à sa plainte en justice ; de la résistance aux sommations des officiers de la Commune ; du crime de relations amicales avec un ennemi de la Commune ; de l'imputation de faux jugement contre les juges de la Commune ; enfin des conventions passées devant deux ou plusieurs membres de l'échevinage.

 

SECTION III.

ARTICLES PRIMITIFS ET PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA CHARTE COMMUNALE D'AMIENS[64].

1. Unusquisque jurato suo fidem, auxilium consiliumque per munie juste observabit[65].

2. Quicumque furtum faciens infra metas communie comprehen detur vel fecisse cognoscetur, preposito nostro tradetur, et quidquid de en agendum judicio communionis judicabitur, ei fiel ; reclamanti vero id quod furto sublatum est, si potest inveniri, prepositus noster reddet ; relique in usus nostros convertentur[66].

3. Nullus aliquem inter communiam ipsamcommorantem,vel mercatores ad urbem cum mercihus venientes, infra banleticam civitatis disturbare presumat. Quod si quis feceril, facial communia de eo, ut de communie violatore, si eum comprehendere polerit, vel aliquid de suo, justitiam facere[67].

4. Si quis de communione alicui jurato suo res suas abstulerit, a preposito nostro submonitus, justitiam prosequetur ; si vero prepositus de justifia defeecrit, a majore vel scabinis submonitus, in presentis communionis veniet, et quantum scabini iode judicaverint, salve jure nostro, ibi faciet[68].

5. Qui autem de communione minime existens, alicui res suas obstulerit, justitiamque illi infra banleucam se executurum negaverit, postquam hoc hominibus castelli obi manserit notum fecerit communia, si ipsum vel aliquid ad se pertinens, comprehendere poterit, donec ipse justitiam execntus fuerit, prepositus noster retinebit, donec nos nostram et communia similiter suam habeat emendationem[69].

6. Qui pugno eut palma aliquem de communia, preter eonsuetudinarium conturbatoreiin vel lecatorem, percusserit, nisi se defendendo se fecisse duobus vel tribus testibus contra percussum disrationare poterit coram preposito nostro, viginti solidos dabit, qui ndecirn silicet communie et quinque justitie dominorum[70].

7. Qui outem juratum suum armis vulneraverit. nisi similiter se defendendo legitimo testimonio et assertione sacramenti, se contra vulneratum disrationare poterit, pugnum amittet, eut novera libres, sex scilicet firmitati urbis et communie, et tres justifie dominorum, pro redemptione pugni persolvet, sut si persolvere non poterit in misericordia communie, salvo catallo domiuorum, pugnum tradet[71].

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9. Qui vero de communione minime existens, aliquem de communia percusserit vel vulneraverit, nisi judicin communie coram preposito nostro justitiam exequi voluerit, domum illius, si poterie, communia prosternet, et capitalia erunt nostra. Et si eum comprebendere poterit, contra preposito... per majorent et scabines, de eo justitiam capiet, et catelle nostra erunt[72].

10. Qui juratum suum turpibus et inhonestis conviciis lacesserit, et duo vel tres audierint ipsum, per eos statuimus convinci, et quinque solides, duos scilicet conviciato, et tees communie dabit[73].

11. Qui inhonestum aliquid de communia dixerit in audiencia quorumdam, si communie propalotum fuerit, et se quod illud non dixerit, judicum communie judiciodefendere noraerit. domum illius, si poterit, prosternet communia, ipsumque iq communia morari, douce emendaverit, non patietur, et si emendare noluerit, catalla ejus erunt in manu domini... et communie[74].

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14. Qui, clamore facto de achersario sue, per prepositum et majorem et iudiees communie justitiam prosequi non poterit, si postes adversus eum aliquid fecerit, ilium rationabiliter communia couveniet, ejusque audita ratione, quid inde postes agetuittœ sit, judicabit[75],

15. Qui a majoribus et judicibus et decanis, scilicet servientibus communie, submonitus, justitiam et judicium communie subterfugerit, domum illius, si poterunt, prosternent, ipsum vero inter eos morari, donne satisfecerit, non perenittent, et catelle erunt in misericordia prepositi... et majoris[76].

16. Qui hostem communie in domo sua scienter receperit, eique vendendo et emendo et edendo et bibendo vel aliquod solacium impendendo commuhicavetit, eut consilium eut auxilium adversus communiam dederit, reus communie efficietur ; et, nisi juditio communie cito satisfecerit, donium illius ; si poterit, communia prosterne, et catalla... erunt[77].

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20. Qui judices communie de falsitate judicii comprobare voluerit, nisi, ut justum est, comprobare potnerit, in misericordia... est et majoris et seabinorum, de omni eo quod babet[78].

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44. Si conventio aligna facta fuerit ante duos vel plurds scabinos ; de conventione alla amplius non surget campus vel duellum, si scabini qui conventioni interfuerint, hoc testificati fuerint[79].

45. Omnia ista jura et precepta que prediximus majoris et communie, tantum sunt inter juratos ; non est æquum judicium inter juratum et non juratum[80].

Ces seize articles, dont quinze appartiennent d'une manière authentique et un par conjecture à la première loi communale d'Amiens, impliquent l'existence d'une cité dans le sens politique du mot, c'est-à-dire d'une ville qui forme un corps et se régit par elle-même, et qui, malgré les réserves que lui imposent le' temps et les circonstances, agit et prononce souverainement dans ses propres affaires. Comme tout corps politique, la Commune d'Amiens se trouve limitée de deux manières dans son action et dans ses droits, d'un côté, par les bornes de sa circonscription territoriale, et de l'autre, par la distinction légale du citoyen et de l'étranger, ou, selon la langue du nouveau droit constitutionnel, de celui qui est de la Commune et de celui qui n'en est pas, du Juré et du non-Juré. Le terrain où la juridiction de la ville s'exerce, et où l'autorité de sa magistrature se fait sentir à tous, est d'abord, au dedans de ses murs, l'ancienne cité, puis, hors des murs, une banlieue, soit rétablie d'après la tradition des vieux souvenirs municipaux, soit nouvellement déterminée par accord entre la Commune et le comte. Dans ces limites territoriales, et par suite de sa révolution, la cité d'Amiens avait ainsi le plein exercice de trois sortes de droits : le droit de liberté politique, le droit de justice criminelle et le droit de justice civile ; les deux derniers, comme on l'a vu plus haut, étaient, dans une certaine mesure, inhérents à la municipalité romaine et à la municipalité gallo-franke ; mais le premier, élevé jusqu'au point de faire de la ville un État ayant droit de guerre et de paix autour de lui et droit de législation sur lui-même, formait quelque chose qui ne s'était pas encore vu, l'œuvre originale du XIIe siècle. C'est pour la garantie de ce privilège de souveraineté urbaine que furent créés alors, avec un instinct merveilleux, de nouvelles constitutions, de nouvelles magistratures et un appareil tout nouveau de puissance et d'indépendance municipales.

Chose qui peut surprendre au premier coup d'œil, le droit politique, le plus éminent de tous les nouveaux droits obtenus par la ville d'Amiens, est celui qui joue le moindre rôle dans sa charte communale. Sauf la brève énonciation des devoirs réciproques et du privilège exclusif de ceux qui ont juré la Commune, et sauf la mention des crimes de lèse-Commune et d'infraction de Commune[81], tout, en fait de règles et de dispositions constitutionnelles, parait sous-entendu. L'échevinage, ce conseil souverain à qui sont délégués tous les pouvoirs de la Commune, est simplement nommé, comme pour mémoire, à propos des délits dont le jugement doit désormais lui appartenir. On ne voit ni quel est le nombre de ses membres, ni leurs différentes attributions, ni comment ils sont élus, ni au moyen de quelles ressources ils administrent les intérêts de la cité. Cette omission s'explique par la nature de l'acte, qui est surtout un accord fait entre la cité et le comte d'Amiens, et par l'état des idées politiques, fort différent au XIe siècle de ce qu'il est aujourd'hui.

Le litige à main armée entre les bourgeois et leur seigneur ayant fini par la défaite du pouvoir seigneurial, l'association jurée, la Commune était reconnue par le comte avec les institutions qu'elle venait de créer, et peu importait au comte sous quelle forme elle s'organiserait à l'avenir ; aucun nouveau litige ne pouvait résulter de là, il n'y avait donc là-dessus rien à régler dans le pacte de transaction. La constitution particulière de la Commune d'Amiens, le mode d'élection de ses magistrats, le partage des attributions entre les diverses magistratures, les délibérations du corps entier des bourgeois et celles du conseil gouvernant, tout cela regardait la Commune seule ; son libre arbitre à cet égard dérivait du fait de son existence. Le seigneur n'avait aucun intérêt à s'y entremettre, et, de son côté, la Commune elle-même n'était poussée par aucun motif pressant d'utilité à vouloir que la charte fit de ces arrangements d'ordre intérieur une mention expresse et détaillée.

Mais, comme nous l'avons déjà dit, le point fondamental, l'attribut le plus frappant de la souveraineté au XIIe siècle, c'était la juridiction ; là se trouvait pour la Commune d'Amiens le droit facilement litigieux, celui que le seigneur dépossédé pouvait reprendre en détail, diminuer dans son exercice, contester ou entraver par l'entremise journalière de ses officiers, celui enfin qu'il était urgent de garantir à toujours en spécifiant d'une manière authentique les cas divers qui constituaient la plénitude de son application. L'exercice du droit de justice appartenait dorénavant à la Commune, mais les profits attachés à cc droit devaient se partager entre elle et les coseigneurs d'Amiens ; or, il fallait que ce partage fût expressément réglé pour chaque espèce de crime ou de délit. Parmi tous ceux que la charte communale énumère sans ordre, on peut distinguer trois classes : 1° Les crimes et délits contre la Commune envisagée comme corps politique ; 2° les crimes et délits contre les personnes des Jurés ou membres de la Commune ; 3° les crimes et délits contre les biens des Jurés. La première catégorie, celle des délits politiques, est la plus curieuse à observer parce qu'elle forme la partie entièrement neuve du droit municipal d'Amiens, et qu'aucun usage, aucune tradition locale n'en avait fourni les éléments. Cette classe de délits offre cela de particulier que la peine proprement dite n'est décrétée pour aucun d'eux, mais seulement une vengeance préliminaire qui consiste à démolir la maison du coupable et à l'expulser du territoire de la Commune jusqu'à ce qu'il ait donné pleine satisfaction.

Le premier des crimes d'État est le fait de connivence ou d'amitié, ou simplement de relations pacifiques avec un ennemi de la Commune. Celui qui sciemment, dit la charte, aura reçu dans sa maison un ennemi de la commune et aura communiqué avec lui, soit en vendant et achetant, soit en mangeant et buvant, soit en lui rendant service d'une manière quelconque, sera coupable de lèse-commune[82]. Celui qui empêche de passer librement par la banlieue les gens de la Commune ou les marchands qui viennent à la ville est considéré comme infracteur de la Commune et traité comme tel[83]. Celui qui se soustrait à la justice de la Commune est puni de bannissement, et sa maison est abattue[84]. Celui qui tient des propos injurieux contre la Commune encourt la même peine[85]. Voilà pour les dispositions communes aux chartes d'Amiens et d'Abbeville, c'est-à-dire pour celles qui authentiquement sont plus anciennes que l'acte royal de 1190. Si l'on ne s'y arrête pas et qu'on relève dans cet acte d'antres dispositions, probablement primitives aussi, on trouvera les peines du crime politique, l'abatis de maison et le bannissement, appliquées à celui qui viole sciemment les constitutions de la Commune et à celui qui, blessé dans une querelle, refuse la composition en justice et refuse pareillement de donner sécurité à son adversaire.

Une peine moindre, car elle se réduit à ce que la maison du délinquant soit abattue s'il n'aime mieux en payer la valeur, est appliquée à celui qui adresse des injures au Maire dans l'exercice de ses fonctions, et à celui qui frappe un de ses Jurés devant les magistrats, en pleine audience[86]. Ainsi l'abatis de maison, vengeance de la Commune lésée ou offensée, était à la fois un châtiment par lui -même et le signe qui rendait plus terrible aux imaginations la sentence de bannissement conditionnel ou absolu. Il avait lieu dans la plupart des Communes du nord de la France avec un appareil sombre et imposant ; en présence des citoyens convoqués à son de cloche, le Maire frappait un coup de marteau contre la demeure du condamné, et des ouvriers, requis pour service public, procédaient à la démolition qu'ils poursuivaient jusqu'à ce qu'il ne restât plus pierre sur pierre.

Une particularité inexplicable de la charte communale d'Amiens, c'est que le crime d'homicide n'y est point mentionné, que rien à son égard n'est statué ni prévu. Cette omission, dont la cause nous échappe, ne peut induire à croire que la punition du meurtre volontaire ou involontaire ait été laissée en 1117 à la justice du comte ; car une pareille réserve n'aurait pas manqué d'être formellement énoncée, et il est prouvé d'ailleurs que, dans les années qui suivirent, la commune exerça le droit de haute justice, qu'elle eut, comme on disait alors, le jugement du sang[87]. Lorsque en 1190, Philippe-Auguste, devenu comte d'Amiens, se réserva comme cas royaux le cas de rapt et celui de meurtre, c'est-à-dire d'assassinat, il fit de cette réserve le sujet d'un article additionnel à la charte primitive[88], et depuis lors la juridiction de la Commune, bornée sur ce point, continua toujours de s'exercer dans les cas d'homicide commis avec violence ou par simple accident ; une coutume de la ville d'Amiens, rédigée avant 1250, établit comme punition des coups donnés à main armée, vie pour vie, membre pour membre[89].

Une autre particularité de la charte d'Amiens, c'est que toutes les peines qu'elle prononce se résolvent ou semblent devoir se résoudre en peines pécuniaires. Celui qui a blessé l'un de ses Jurés perd le poing on paye neuf livres pour le rachat de son poing ; la maison de celui qui a insulté le Maire doit être abattue, mais le délinquant peut la racheter selon sa valeur, à la merci des juges[90]. Les mots merci de la Commune, misericordia communie, reviennent souvent à propos des amendes qui, pour les cas les plus graves, n'ont point de taux déterminé. En outre, les satisfactions non définies qui sont exigées par ces formules nisi cito satisfecerit, donec satisfecerit, paraissent n'avoir été autre chose que des amendes à discrétion.

Ce système de droit pénal ne fut point, comme le système d'organisation politique, une institution nouvelle, une création de la Commune ; c'était l'ancien droit coutumier de la ville et du comté d'Amiens. L'application des peines pécuniaires à tous les genres de délit s'introduisit comme principe de droit au sein de la Gaule romaine, par l'invasion et l'établissement des populations germaniques. Tant que dura la distinction des lois personnelles, ce principe resta borné dans son action aux seuls jugements prononcés contre les hommes d'origine barbare ; les descendants des Gallo-Romains demeurèrent soumis à la pénalité des lois romaines, et, comme on sait, les villes, même celles du nord, étaient presque entièrement peuplées d'habitants indigènes. Mais, quand les lois personnelles fléchirent et disparurent sous la juridiction territoriale des seigneurs, et que des usages locaux se substituèrent partout aux lois écrites, la coutume, dans les villes comme hors des villes, dut favoriser et développer le système des peines pécuniaires aux dépens de tout autre système.

En effet, le droit de justice étant devenu la propriété du seigneur justicier, le seigneur avait pour principal intérêt de tirer de cette propriété le meilleur revenu possible ; de là vint que, dans le droit coutumier, à sa première époque, les amendes prédominèrent sur les peines corporelles, et que, pour celles-ci, fut admise presque toujours la faculté de rachat. Lorsque, par la révolution municipale du XIe siècle, la juridiction des seigneurs dans les villes fut, en tout ou en partie, transportée aux villes elles-mêmes, celles-ci ne s'avisèrent point de créer un nouveau droit pénal ; là-dessus, comme pour le droit civil, elles s'en tinrent à la coutume, et ne songèrent nullement à innover. D'ailleurs en eussent elles senti le besoin, qu'une nécessité plus impérieuse, celle de pourvoir aux dépenses de l'administration publique, de se ménager des ressources financières pour le présent et pour l'avenir, les aurait décidées à maintenir l'ancienne pénalité, dont le produit devait être longtemps encore la source la plus abondante de leurs revenus municipaux.

Le partage des profits judiciaires entre la Commune d'Amiens et les coseigneurs dont la juridiction s'était absorbée dans la sienne, avait lieu d'une manière diverse pour las amendes proprement dites et pour les confiscations. Quant aux amendes, la règle générale de leur répartition était : deux tiers pour la Commune, et un tiers pour le comte ou pour le seigneur dans le fief duquel le délit avait eu lieu ; par exception cependant, la Commune percevait quelquefois les trois quarts de l'amende, et quelquefois le tout[91]. Quant aux confiscations de biens meubles (capitalia, catalla) qui, dans les cas de crime, étaient une annexe de la peine, l'absence de chiffres qui déterminent leur répartition donne lieu de croire que les parts étaient égales entre la Commune et le seigneur ; toutefois, il y avait des cas où le comte, au lieu de la moitié, prenait le tout[92].

Ce que la Commune d'Amiens percevait pour sa quote-part dans le produit total de son droit de juridiction, fut, durant le lue siècle, la principale branche de ses revenus ordinaires. Il est douteux que le droit de taxation que l'échevinage possédait sur tous les membres de la Commune s'exerçât périodiquement et hors des cas de stricto nécessité. Le reste du revenu annuel consistait dans le cens payé par les locataires ou fermiers des maisons, terrains, cours d'eau, pêcheries et marais qui appartenaient à la ville, soit comme débris des anciens biens municipaux, soit en vertu de concessions faites par le comte pour former la nouvelle banlieue. De plus, on est fondé à croire qu'un droit sur les ventes d'immeubles, droit qui, dans les vieux registres de comptes, est appelé Issue des deniers, fut perçu dès l'origine par la Commune. Enfin, un droit de nouvelle bourgeoisie était payé par chaque étranger qui devenait citoyen d'Amiens, ou, comme on disait alors, entrait dans la commune ; ce droit répondait à la cotisation primitive que, d'après le principe de la ghilde, tous les membres de l'association jurée avaient versée simultanément pour former le premier fonds de la caisse communale. Quant aux ressources extraordinaires, elles se tiraient de collectes en argent ou en nature, et d'emprunts que la Commune contractait, sur fondation de rentes viagères ou perpétuelles, à un taux plus ou moins élevé.

Voilà quels étaient les moyens financiers à l'aide desquels la bourgeoisie d'Amiens devait pourvoir aux dépenses de son gouvernement libre ; car, comme nous l'avons dit plus haut, les impôts indirects perçus dans la ville et dans la banlieue, les droits sur les marchandises apportées ou mises en vente, les péages, les tonlieux, ne lui appartenaient pas. C'est avec de si faibles ressources que le corps des magistrats électifs prit hardiment sur lui le soin de l'ordre intérieur et de la sûreté extérieure, la garde de la ville, l'entretien de ses fortifications, la tutelle de tous les intérêts civils. Vraisemblablement, dès l'origine, chaque membre du corps municipal eut le cercle de ses fonctions publiques tracé à l'avance et ses attributions nettement définies ; il y eut, au sein de l'échevinage, des emplois spéciaux pour chacune des branches de l'administration, pour les affaires politiques, les jugements civils et criminels, les finances, la surveillance des mœurs, la voirie. La délimitation des différents pouvoirs et les attributions respectives des magistrats sont malheureusement impossibles à établir pour le XIIe siècle, à cause de la pauvreté des documents contemporains ; mais il faut se figurer que ces choses existaient alors, sinon telles qu'on les voit dans la suite, au moins selon une règle quelconque. En un mot, si l'on veut comprendre tout le sens et toute la portée d'actes trop peu nombreux et trop disparates pour avoir dans leur ensemble une signification bien frappante, on doit se rappeler que nous sommes désormais en pleine vie municipale.

 

SECTION IV.

DONATION FAITE PAR PHILIPPE D'ALSACE, COMTE D'AMIENS. — CESSION DU COMTÉ D'AMIENS AU ROI PHILIPPE-AUGUSTE, CONFIRMATION DE LA COMMUNE. — ARTICLES ADDITIONNELS DE LA CHARTE COMMUNALE D'AMIENS, SON TEXTE DÉFINITIF[93].

En 1161, Philippe d'Alsace, comte de Flandre et d'Amiens, fit, du consentement de sa femme Isabelle, une donation à l'abbaye de Saint-Jean-lez-Amiens[94]. Dans l'acte qui fut rédigé alors, on lit ces mots : Je mande et ordonne au Maire et à toute la Commune d'Amiens, ainsi qu'à tous autres qui sont mes hommes, de maintenir en paix les biens de cette église, et, si elle vient à être inquiétée ou attaquée, de lui donner, en mon lieu, aide et protection[95]. C'est comme successeur des anciens comtes et comme héritier de leurs droits seigneuriaux que Philippe d'Alsace adresse cette injonction aux citoyens et leur parle en souverain. Toutefois, il ne faudrait point induire de ces expressions impératives qu'en 1161 son pouvoir fût plus grand à Amiens que celui de la Commune. Depuis l'année 1117, le gouvernement politique, dans la cité et la banlieue, appartenait tout entier à la bourgeoisie. Les paroles que nous avons citées renferment donc moins une délégation du pouvoir seigneurial qu'un appel fait à la puissance effective de la Commune. En l'année 1170, une lettre du comte Philippe plaça de même une autre abbaye sous la garde du corps de ville. Cette lettre, comme celle de 1161, prouve, à notre avis, que la Commune seule avait alors assez de force et d'autorité pour protéger d'une manière efficace les propriétés civiles et ecclésiastiques, et pour maintenir, dans toute l'étendue du territoire soumis à sa juridiction, la paix et le bon ordre.

Philippe d'Alsace, ayant perdu en 1182 sa femme Elisabeth, garda après sa mort tous les fiefs qu'elle lui avait apportés en dot. Aliénor de Vermandois réclama l'héritage de sa sœur, et Philippe-Auguste, à qui elle avait cédé secrètement une partie du Vermandois et de l'Amiénois, éleva en son nom des prétentions sur ces domaines. Déjà une guerre suscitée à leur sujet entre le roi et le comte de Flandre, s'était terminée par la mise en séquestre d'Amiens aux mains de l'évêque de cette ville. Philippe Auguste prit de nouveau les armes en 1184 pour la défense des intérêts d'Aliénor, et l'année suivante Philippe d'Alsace, obligé de céder, lui abandonna tous ses droits sur le comté d'Amiens.

Cette cession devait nécessairement réagir sur la constitution de la Commune. Comme roi et comme ceinte, Philippe-Auguste se trouva tout à coup investi, dans la ville d'Amiens, d'une double puissance. Sans abdiquer son titre féodal de comte d'Amiens, il eut soin de ne montrer, dans tous ses actes, que ce pouvoir royal, qui le plaçait au-dessus des seigneurs auxquels il se trouvait substitué, et il établit nettement la différence qui existait entre son autorité et celle des anciens comtes. Ceux-ci, lorsqu'ils prenaient possession du comté d'Amiens, devaient faire hommage à l'évêque ; Philippe-Auguste ne voulut point remplir une formalité qui l'assimilait à un simple baron, et qui mit été contraire à l'idée d'absolue souveraineté attachée au titre de roi. Voici comment il s'exprime dans une charte donnée à l'église d'Amiens en 1185 : Que tous, présents et à venir, sachent que Philippe, comte de Flandre, nous ayant abandonné la ville et le comté d'Amiens, nous avons connu clairement la fidélité et le dévouement envers nous de l'église d'Amiens ; car, non-seulement elle nous a montré en cette affaire beaucoup de dévouement, mais en outre, attendu que la mouvance de la terre et du comté susdits appartient à cette église, et qu'elle doit en recevoir l'hommage, cette église a consenti et accordé bénignement que nous tinssions son fief sans lui prêter hommage, car nous ne devons ni ne pouvons rendre hommage à personne[96]. La réunion du comté d'Amiens à la couronne devait, ainsi que nous l'avons dit, ne pas demeurer sans influence sur les destinées de la Commune. Les relations des bourgeois avec le comte et ses officiers avaient été déterminées dans la charte rédigée en 1117 ; mais le nouvel ordre de choses amenait de force un changement, sinon dans la constitution de la ville et dans la nature de ses rapports avec son seigneur immédiat, du moins dans la manière de régler et surtout d'exprimer ces rapports. Il y avait lieu à cet égard de fixer les principes et de constater les faits par un écrit authentique. D'ailleurs, en passant sous le pouvoir d'un nouveau seigneur, les bourgeois d'Amiens durent éprouver le besoin de faire reconnaître par lui leurs franchises municipales, d'autant plus que ce nouveau seigneur était le roi de France, qu'il réunissait en sa personne le droit tout local du comte et le droit universel du souverain. Tel fut le double objet de la charte donnée, en 1190, par le roi Philippe-Auguste, à la requête des bourgeois d'Amiens, charte qui leur concéda, selon sa teneur officielle, ou, plus exactement, leur garantit l'existence de la Commune jurée en 1115 et constituée en 1117.

Cette charte, loin d'être un acte nouveau, ne fait que reproduire, sauf certaines modifications de forme et sauf le règlement de certaines relations plus directes entre la ville et le pouvoir royal, le texte de la charte émanée du premier successeur d'Enguerrand de Boves. Elle se compose de trois parties distinctes, savoir : 1° quarante-cinq articles, qui, selon nous, formaient la charte primitive délibérée par les bourgeois et consentie par le comte après la révolution communale ; 2° un memorandum concernant le rachat de péage fait par la Commune entre les années 1144 et 1164[97] ; 3° six articles additionnels joints par la chancellerie de Philippe-Auguste à la charte primitive, lorsque cette charte fut examinée et révisée.

L'histoire de cette révision est facile à établir d'après le texte même du document. L'original de l'acte constitutionnel de 1117 existait depuis cette époque dans les archives de la Commune d'Amiens ; vers 1160, on avait inscrit au bas de cet original, après les signatures, le memorandum relatif au rachat de péage ; et c'est dans cet état que la charte fut envoyée à la chancellerie royale, qui en maintint, sauf quelques changements de mots, le dispositif et la forme. Dans les articles on se rencontrait le titre de comte, le titre de roi fut substitué purement et simplement ; le reste du texte n'eut pas à subir la moindre correction ; les formules prœpositus noster et le simple mot prœpositus, qui avaient servi à désigner le prévôt du comte d'Amiens, restèrent pour désigner le prévôt du roi[98], les signatures données en 1117 furent supprimées, et cette suppression fit du mémorandum un article, le quarante-sixième, après lequel les officiers du roi placèrent, sans s'inquiéter du disparate, leurs six articles additionnels.

Ces dispositions d'origine diverse formèrent le code officiel, le corps de droit écrit, d'après lequel se gouverna dès lors la Commune d'Amiens. Nous ne dirons rien du memorandum, auquel le hasard seul a donné place parmi les articles légaux. Quant aux quarante-cinq articles, dont nous avons déjà parlé en relevant ceux que leur conformité avec la charte d'Abbeville signale comme authentiquement primitifs, nous les avons examinés sous deux rapports, celui du droit politique et celui du droit criminel ; nous les analyserons maintenant sous le rapport du droit civil, dont il n'a été fait aucune mention ci-dessus, parce que la Commune d'Abbeville, trouvant dans sa coutume locale des règles de droit civil, n'avait à cet égard rien emprunté au texte de la charte communale d'Amiens.

En effet, les usages civils sanctionnés par cette charte, en 1117, étaient d'une ancienneté immémoriale dans la ville et le comté d'Amiens ; ils avaient existé longtemps avant la Commune, et, à la différence des institutions politiques, ils furent enregistrés, non décrétés, par les bourgeois affranchis. Deux principes de droit semblent avoir été proclamés alors pour la première fois : l'un qui restreignait les abus du duel judiciaire, en statuant que nul champion gagé ne serait admis à combattre contre un membre de la Commune[99] ; l'autre, qui, dérogeant sans doute à l'ancienne coutume, ordonnait que dans toute cause l'accusateur, l'accusé et le témoin, pourraient, s'ils le voulaient, se faire entendre par avocats[100].

Les dispositions traditionnelles, qui, de l'ancienne coutume, passèrent dans la charte communale d'Amiens, doivent se rapporter à trois sources : le droit romain, dont la trace, quelque faible et confuse qu'elle soit, existe au fond de toutes nos coutumes, l'ancien droit des populations germaniques, et ce droit commun du moyen âge qu'on appelle droit féodal.

Aucun article de la charte ne peut être noté en particulier comme dérivant d'un texte formel du droit romain. Les dispositions des articles 21, 23, 22, 35 et 32, se réfèrent plus ou moins complètement aux lois germaniques. Sous le nom de dot, l'article 21 désigne le douaire constitué à la femme par son mari, et le déclare inaliénable sans dire quelle était alors sa nature dans les usages de la cité d'Amiens ; s'il était fixé par la coutume ou simplement conventionnel. L'article 23 montre la veuve qui a des enfants mineurs soumise à une sorte de tutelle et placée sous la direction d'un avoué que d'autres coutumes appellent mainbourg[101]. Les articles 22 et 35 sont relatifs au partage des acquêts, et en assurent, dans certains cas, l'usufruit au conjoint survivant[102]. Enfin, l'article 32 déclare non punissable l'acheteur d'un objet volé, qui allègue son ignorance, et il permet au juge d'exiger dans ce cas le serment des deux parties[103].

Les dispositions dérivant du droit féodal se trouvent dans les articles où le combat judiciaire est admis, sauf certaines restrictions, comme un moyen de terminer les procès civils ; dans l'article 25, qui consacre, tout en le modérant, le principe du retrait lignager, et dans l'article 8, qui établit une peine contre la personne lésée qui refuse de donner apurement, c'est-à-dire sécurité à son adversaire[104].

Nous signalons en outre à l'attention du lecteur les dispositions suivantes : l'article 26 fixe à sept années le temps nécessaire pour que la prescription soit acquise. On sait que sur ce point l'usage a varié suivant les temps et les pays ; et il y a lieu de croire que la charte d'Amiens n'avait fait que sanctionner une règle de droit local, qui ne saurait être rapportée à aucune législation. L'article 42, qui traite des offenses par paroles d'un Juré envers son Juré, place en première ligne, comme l'offense la plus grave, le nom de serf. Les articles 56 et 31 établissent une pénalité différente pour l'injure faite au Maire dans l'exercice de ses fonctions et pour l'injure faite au Prévôt : l'outrage à la personne du Maire est un crime politique puni, comme tel, par l'abatis de maison ; l'outrage à la personne du Prévôt est un délit amendable par accord, après jugement des Échevins et sans punition publique Le maintien de ces dispositions dans la charte révisée en 1190 est digne de remarque ; il prouve que si la prévôté, exercée dans Amiens au nom du roi, avait quelques attributions de plus que l'ancienne prévôté du comte, elle n'était pas plus que celle-ci un pouvoir constitutionnel, et que, pour la dignité, elle demeurait au-dessous des magistratures communales.

Nous arrivons aux six articles qui renferment les nouvelles dispositions ajoutées à la charte primitive par la chancellerie de Philippe-Auguste. Ils portent ce qui suit : Les contestations relatives à des immeubles situés dans la ville seront jugées par le prévôt, en plaid général, trois fois l'an. — Tous les crimes et délits seront jugés par le maire et les échevins en présence du bailli du roi, s'il veut assister au jugement ; s'il ne le veut ou ne le peut, justice sera faite sans lui, excepté dans les cas de meurtre et de rapt, qui sont réservés au roi. — Les biens des homicides, des incendiaires et des traîtres seront dévolus au roi seul sans partage avec autrui, c'est-à-dire avec les coseigneurs. — Nul ne pourra faire de ban[105] dans la ville, si ce n'est de par le roi et l'évêque. — Le roi, le sénéchal ou le prévôt du roi, l'évêque et le maire, pourront, chacun une fois par année, faire rentrer dans la ville un banni, hors le cas de condamnation pour meurtre, homicide, incendie, trahison et rapt. Voilà pour les cinq premiers articles ; quant au sixième et dernier, il est ainsi conçu : Nous voulons et nous octroyons à la commune que jamais il ne soit loisible ni à nous ni à nos successeurs de meure hors de notre main ladite commune ou cité d'Amiens, mais qu'elle reste perpétuellement et invariablement unie à la couronne royale. Dans cette promesse il y avait une garantie pour la constitution et les franchises de la ville, qui se trouvaient assurées dès lors contre les éventualités périlleuses d'un changement de seigneur.

Si l'on récapitule maintenant les modifications introduites dans le droit municipal d'Amiens par la substitution de la seigneurie du roi à celle du comte et par la révision de la charte communale, on verra que ces modifications portaient simplement sur le régime judiciaire, et que, pour le droit politique, rien n'était changé. Le droit seigneurial de ban ou d'ordonnance fut, il est vrai, expressément réservé au roi et à l'évêque ; mais ce fut à l'égard des autres seigneurs d'Amiens, et non à l'égard de la Commune, que cette restriction eut lieu. Car, d'un côté, les articles de la charte primitive, qui mentionnaient les établissements des échevins, statuta scabinorum[106], reçurent une sanction nouvelle par leur maintien dans l'acte donné en 1190 ; et, d'un autre côté, les documents postérieurs au XIIe siècle constatent que l'échevinage resta en possession de faire des ordonnances en toutes matières, législation, administration, justice et police. Voici le texte complet et définitif de la charte communale d'Amiens :

In nomine sancte et individue trinitatis. Amen[107]. Philippus Dei gratis Francorum rex, quoniam amici et fideles nostri cives Ambianenses fideliter sepius suum nobis exhibuere servitium, nos eorurn dilectionem et fidem ergs nos plurimam attendentes, ad petitionem ipsorum, communiam eis concessimus[108], sub observations benzol consuetudinum, quas se observaturos juramento firmaverunt.

1. Unusquisque jurato suo fidem, auxilium consiliumque per om»ia juste observabit.

2. Quicumque furtum faciens intra metas communie comprehendetur, vel fecisse cognoscetur, preposito nostro tradetur, et quicquid de eo agetidum erit, judicio communionis judicabitur et flet ; reclementi vero id quod furto sublatum est, si potest inveniri, prepositus noster reddet ; relique in usus nostros convertentur.

5. Nullus aliquem inter communiam ipsam commorantem, vel mercatores ad urbem cum mercibus venientes, infra banleucam civitatis disturbare presumat. Quod si quis feeerit, facial communia de co, ut de communie violatore, si cum comprehendere poterit, vel  allquid de suo, justitiam facere.

4. Si quis de communione alicui jurato suo res suas abstulerit, a preposito nostro submonitus justitiam prosequetur ; si vero prepositus de justifia defecerit, a majore vel scabinis submonitus, in prescrittia communionis veniet, et quantum scabini Inde judicaverint, salvo jure nostro, ibi faciet.

5. Qui autem de communione minime existens alicui de communia res suas abstulerit, justitiamque illi infra banleucam se executurum negaverit, postquam hoc hominibus casteili ubi manserit notum fecerit, communia, si ipsum, vel aliquid ad se pertinens, comprehendere poterit, donec ipse justitiam executus fuerit, prepositus noster retinebit, donec nos nostram et communia similiter suam habeat emendationem.

6. Qui pugno eut palma aliquem de communia, preter consuetudinariurn perturbatorem vel lecatorem, percusserit, nisi se defendendo se fecisse, duobus vel tribus testibus contra percussum disrationare poterit, coram preposito nostro, viginti solidos dabit, quindecim scilicet communie et quinque justitie dominorum.

7. Qui autem juratum suum armis vulneraverit, nisi similiter se defendendo, legitimo testimonio et assertione sacramenti se contra vulneratum disrationare poterit, pugnum amittet, eut novera libres, sex scilicet lirmitati urbis et communie, et tres justitie dominorum, pro redemptione pugni persolvet ; eut si persolvere non poterit, in misericordia communie, salvo catallo dominorum, pugnum tradet.

8. Si vero ita superbus fuerit vulneratus, quod emendationem non velit accipere ad arbitrium prepositi et majoris et scabinorum, vel securitatem prestare, domus ejus, si domum habuerit, destruetur, et catalla ejus capientur ; si domum non habuerit, corpus ejus capietur, donec vel emendationem acceperit vel securitatem prestiterit.

9. Qui vero de communione minime existeras, aliquem de communia percusserit vel vulneraverit, nisi judicio communie coram preposito nostro justitiam exequi voluerit, domum illius, si poterit, communia prosternet, et capitalia erunt nostra. Et si eum comprehendere pote-rit, coram preposito regio per majorem et scabinos de eo vindicta capietur, et catalla nostra erunt.

10. Qui juratum suum turpibus et inhouestis conviciis lacesserit, et duo vel Ires audierint ipsum, per cos statuimus convinci, et quia-que solidos, duos scilicet conviciato, et tres communie dabit.

11. Qui inhonestum, alicui, de communia dixerit in audiencia quorumdam, si communie propalatum fuerit, et se quod illud non dixerit, judicum communie judicio defendere noluerit, domum illius, si poterit, prosternet communia, ipsumque in communia morari, donec emendaverit, non patietur, ét si emendare uoluerit, catalla ejus erunt in manu domini regis et communie.

12. Si quis de juratione erga juratum suum facta, vel fide mentita, comprobatus fuerit coram preposito et majore, judicio communie punietur.

13. Si quis de communia prœdam scienter emerit vel vendiderit, si Inde comprobatus fuerit, prœdam amittet eamque prœdatis reddet nisi ab ipsis predatis, vel eorum dominis, adversus dominos communie vel ipsam communiam aliquid committatur.

14. Qui clamore facto de adversario suo per prepositum et majorem et judices communie justitiam proscqui non poterit[109], si postea adversus eum aliquid fecerit, ilium rationabiliter communia conveniet, ejusque audits ratione quid inde postes agendum sit judicabit.

15. Qui a majoribus et judicibus et decanis, scilicet servientibus communie submonitus justitiam et judicium communie subterfugerit, domum illius, si poterunt, prosternent, ipsum vero inter eos morari douce satisfecerit, non permittent et catalla erunt in misericordia prepositi regis et majoris.

16. Qui hostem communie in domo sua scienter receperit, eique vendendo et emendo et edendo et bibendo, vel aliquod solacium impendendo, communicaverit, sut consilium aut auxilium adversus communiam dederit, reus communie efficietur, et nisi judicio communie cito satisfecerit, domum illius, si poterit, communia prosternet, et catalla regis erunt.

17. Infra fines communie non recipietur campio conductitius contra hominem de communia.

18. Si quis communie constitutiones scienter abaque clamore violaverit, et inde convictus fuerit, mox domum illius communia, si poterit, prosternet, eumque inter eos morari, douce satisfecerit, minime patictur.

19. Statutum est etiam quod communia de terris sive feodis dominorum non debet se intromittere.

20. Qui judices communie de falsitate judicii comprobare voluerit, nisi, ut justum est, comprobare potuerit, in misericordia regis est et majoris et scahinorum, de omni eo quod habet.

21. Mulier dotem quam tenet nec vendere, nec in vadium mittere poterit, niai propinquiori heredi et nisi de anno in annum. Si autem heres aut non posait, sut nolit emere, oportet mulierem iota vita sua tenere, per annum autem locare poterit.

22. Si quis vir et uxor ejus infantes haheant, et contingat mori infantes, quis eorum supervixerit, sive vir sive mulier, quicquid si-militer possederunt de conquisitis, qui superstes erit, quamdiu vixerit, in pace remanehit et tenebit, nisi in vita premorientis donum vel legatum inde factum fuerit. Quod si antequam convenerint, vel vir vel uxor infantes habuerint, post decessum patris aut matris heredites infantum ad eos redibit, nisi sit feodum.

23. Si mortuo marito uxor supervixerit, et infantes ejus manserint, roulier de omni possessione quam vir ejus in pace tenuerat, quamdiu infantes in custodia craint, donec ipsa advocatum habeat, nisi sit vadimonium, non respoudehit.

24. Si quis ab otique vidua pecuniam requisierit, ipsa contra unum testem, non contra plures, per sacramentum se deffendet et in pace remanebit ; si vero ab ea aliquum ejus possessionem ut vadium requisierit, ipsa se per bellum defendet.

25. Si quis terrain, aut aliquam hereditatem ab aliquo emerit. et illa, antequam empta sit, propinquiori heredi oblate fuerit, et heres eam emere noluerit, nunquam amplius de ea illi heredi in causa respondebit. Si autem propinquiori heredi oblate non fuerit, et qui eam emerit, vidente et sciente herede, per annum eam in pace tenuerit, numquam de ea amplius respondebit.

26. Si quis septem annis aliquam suam possessionem presente adversario in pace tenuerit, numquam de ea amplius respondebit.

27. Si quis alienus mercator aliquid vendiderit, et ipso bora pecuniam habere non potuerit, ad dominum emptoris, vol ad prepositum dornini prius clamorem faciet, et si uns ei justitia defuerit, ad majorem clamorem deferet, et major ei cito pecuniam suant habere faciet, quecunque dies sit.

28. Quicumque de promissione clamorem fecerit nichil recuperabit.

29. Si quis major, aut scabinus, aut aliquis de justitia majoris, premium vel acceperit vel requisierit, et ille qui dederit, vel a quo premium quesitum fuerit, ad majorem clamaverit, vel testem super lute habuerit, accusatus viginti solidos persolvet ; et si premium acceperit, reddet.

30. Quod si accusator testem non habuerit, ille qui accusabitur per sacramentum se defendet.

31. Si quis ad prepositum clamorem deferet, et prepositus ei justitiam facere noluerit, clamator ad majorem clamorem deferet, et major prepositum ad rationem minet ut ei justitiam faciat ; vain si facere recusaverit, major, salvo jure regio, justitiam faciet, secundum statuta scabinorum.

32. Si quis super aliquem aliquid quod suum est interciaverit, et ille qui accusabitur responderit se illud non a latrone scienter emisse, hoc pro quo accusabitur perdes, et ante justitiam per sacramentum se defendet, si prepositus voluerit, et postes in pace abibit ; et hoc idem faciet garanus, si hoc idem dixerit, tam primus quam secundus et tertius ; accusator autem hoc quod clamaverit, sacramento confirmabit, si voluerit ille qui justitiam tenebit.

33. In omni causa et accusator et accusatus et testis per advocatum loquentur, si voluerint.

34. De possessionibus ad urbem pertinentibus, extra urbem nullus causant facere presumat.

35. Si vir et uxor aliquam possessionem in vita sua acquisierint, et eorum quispiam mortuus fuerit, qui superstes fuerit medietatem solus habebit, et infantes aliam. Si vir mortuus fuerit, eut uxor mortua fuerit et infantes vivi remanserint, possessiones, sive in terra sive in redditu, que ex parte mortui venerint, ille qui superstes erit nec vendere, nec ad censum dere, nec in radium mittere poterit, abaque assensu propinquorum parentum mortui, eut donc infantes ejus abaque custodia fucrint.

36. Si quis prepositum redis, in placito vel extra placitum, turpibus et inhonestis verbis izrovocaverit, in misericordia prepositi erit, ad arbitrium majoris et scabinorum.

37. Si quis majorem in placito turpibus et inhonestis verbis provœaverit, domus ejus prosternatur ; sut secundum pretium, domus in misericordia judicum redimatur.

38. Si quis juratum suum percusserit vel vulneraverit, et ille qui percussus fuerit clamorem fecerit quod pro veteri odio percussus sit, percussor rectum faciet, secundum statuts scabinorum, pro ictu, et post hoc pro veteri odio, aut per sacramentum se purgabit, aut rectum faciet communie, et novem libres dabit, scilicet VI libras communie et LX solidos justitie dominorum, et persolvet medietatem recti infra octo dies, eut totum, si scabini voluerint. Nullus enim pro eo qui percusserit, quicumque sit, sut vir sut mulier eut puer, sacrameatum faciet.

39. Si major cum communia et juratis in causa sedeat, et aliquis ibi suum juratum percusserit ; illius, contra quem in causa plures testes exierint, qui primus ictum dederit, domus prosternetur.

40. Qui autem in causa jurato suo conviciatus fuerit, viginti soli-dos communie persolvet, ibi justifia dominorum nichil capiet.

41. Qui juratum suum in aquam aut in paludem jactaverit, si damator unum testera adduxerit, et major immunditiam viderit, ille malefactor LX solidos persolvet et de huis habebit justifia dominorum XX solidos. Si immundus nullum testem habuerit contra sanguinem vel immunditiam, per sacramentum se defendet, et liber abibit.

42. Qui vero juratum suum, servum recredentem, traditorem, wissot[110], id est coup, appellaverit, viginti solidos persolret.

43. Si filius burgensis aliquid forifacti fecerit, pater ejus pro filio justitiam communie exequetur. Si au tem in custodia patris non fuerit, et submonitus, justitiam subterfugerit, uno anno a civitate ipsum extraneum esse oportebit. ;Si autem, anno preterito, redire voluerit, secundum statuta scabinorum preposito et majori rectum faciet.

44. Si conventio aliqua facta fuerit ante duos vel plures scabinos, de conventione illa amplius non surget campus nec duellum, si sesbini, qui conventioui interfuerint, hoc testificati fuerint.

45. Omnia ista jura et precepta que prediximus majoris et communie, tantum sunt inter juratos. Non est equum judicium inter juratum et non juratum.

46. Ambianensium solebat esse consuetudo, quod, in festis apostolorum, de unaquaque quadrige per unam quatuor portarum urbis in villana intrœunte Guarinus Ambianensis archidiaconus obolum aceipiebat. Major vero et scabini, qui tune temporis extiterunt, per consilium Theodorici, tune episcopi Ambianensis, consuetudinem prefatam ab archidiacono, quinque solidis et quatuor caponibus, emerunt et ad ceusum ceperunt ; etcensum ilium ad furnum Firmini de Claustro, extra portam Sancti Firmini, in ville situm, archidiaconus sumit.

47. De omnibus tenementis ville justitia exhibebitur per prepositam nostrum, ter in anno, in placito generali videlicet in Natali domini, in Pesette et in Penthecoste.

48. Omnia autem forifacta, que infra banleucam civitatis fient, major et scabini judicabunt, et de illis justitiam facient, sicut debent, presente ballivo nostro, si ibi voluerit interesse ; si vero interesse voluerit, vel non poterit, pro ejus absentia justitiam facere non desinent, sed debitam justitiam facient, excepto tamen multro et raptu, quod nobis et successoribus nostris in perpetuum retinemus, sine parte alterius.

49. Catelle vero homicidarum, ineendiariorum et proditorum nostra sunt absolute, sine parte alterius. In catallis vero aliorum forefactorum retinemus nobis et successoribus nostris id quod habuimus et habere debemus.

50. Bannum in villa nullus potest facere, niai per regem et episeopum.

51. Si quis bannitus est pro aliquo forifacto, excepto multro, homicidio, incendio, proditione, raptu, rex, vel senescallus, vel prepositus regis, episcopus, major, unusquisque eorum semel in anno, poterit eum conducere in villam.

52. Volumus etiam et communie in perpetuum quittamus et concedimus, quod, nec nobis, nec successoribus nostris, liceat civitatem Ambianensem vel communiam extra manum nostram mittere, sed semper regie inhereat corone.

Que omnia ut in perpetuum rata et lima permaueant presentem paginam sigilli nostri auctoritate et regii nominis karactere interius annotato, salvo jure episcopi et ecclesiarum et procerum patrie et alieno jure, confirmamus. Actum Lorriaci, anno incarnati Verbi millesimo centesimo nonagesimo, regni nostri anno xm. Astautibus in palatio nostro quorum nomina supposita sunt et signa : S. comitis Theobaldi, dapiferi nostri ; S. Guidonis, buticularii ; S. Mathei, camerarii ; S. Radulphi, constabularii. Data vacante cancellaria[111].

 

 

 



[1] Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, de la page 1 à 25.

[2] L'ancien nom du fleuve, Samarus ou Samara, s'est changé, vers le VIe siècle, en celui de Sumina ou Somena, plus tard, par contraction, Sumna ou Somma, d'où vient le nom actuel Somme. Voyez Hadriani Valesii, Notit. Galliar., p. 15 et 539.

[3] Ammiani Marcell., lib. XV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. I, p. 546.

[4] Voyez Itinenarium Antonini Augura, apud Script. rer. gallic. et francic., t. I, p. 106 et 107.

[5] Hadr. Vales., Notit. Galliar., p. 539.

[6] Notitia imperii dignitatum per Gallica, apud Script. rer. gallic. et francic., t. I, p. 126.

[7] Voyez Hadr. Vales., Notit. Galliarum, p. 15.

[8] Gallia chriatiana, t. X, col. 1150.

[9] Hieronymi epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. I, p. 744.

[10] Voyez, dans le Journal des Savants (année 1840, p. 105), le compte-rendu, par M. Pardessus, de l'Histoire du droit romain au moyen âge, de M. de Savigny.

[11] Cod., lib. I, tit. IV, de episcopali audientia, const. Arcad. et Honor. impp. [398].

[12] Vita S. Salvii Ambian. episc. [anno 686], Bolland. acta SS. januarii, t. I, p. 706. — Gall. christ., t. X, coll. 1153 et seq.

[13] Defensor civitatis, plebis, loci. — Voyez pour ce qui regarde les attributions de ce magistrat municipal, dans les temps romains et sous la domination franke, Cod. Theod., lib. I, de defensoribus, § 1, 55. — Novel. Majorian. 5. — Marculfi formul. et var. formul., apud Script. rer. gallic. et francic., t. IV, p. 465 et seq.

[14] Rek, rik, fort, puissant ; burg, borg, caution, répondant. — Ce titre joue un grand rôle dans les actes de la Gaule franke, où l'on trouve les mots rachimburgii, regimburgi, recineburgi. Voyez Script. rer. gallic. et francic., t. IV, passim.

[15] On lit, dans la Vie de saint Valery, le passage suivant : Advenientes vero ad quemdam locum Ambianensem perveniunt Gualiniago, ubi quidam comes nomine Sigobardus, juxta morem seculi, concioni prœsidebat, quod rustici MALLUX vocant. (Vita S. Walarici, apud Script. rer. gallic. et francic., t. III, p. 496.) — Voyez Pactum legis salicæ et legem Ripuariorum, ibid., t. IV, p. 120 et seq.

[16] Curia : Mahal (Rhabani Mauri glossarium apud Eckhart, de Rebus Franciœ oriental., t. II, p. 956). — Il existe un acte de juridiction volontaire, passé vers l'an 850, devant l'assemblée des notables de la ville d'Amiens ; c'est une donation faite par un certain Angilguin à l'église cathédrale de Saint-Firmin ; l'acte se termine par ces mots : Actum Ambianis civitate in mallo publico. (Voyez du Cange, Histoire des comtes d'Amiens, édition de M. Hardouin, p. 28 et suivantes, aux notes.)

[17] Preceptum Caroli magni, apud Script. rer. gallic. et francic., t. V, p. 742. — Voyez Hadr. Vales., Notif. Galliar., p. 249 et 256.

[18] Sous les deux premières races, comme à l'époque de la domination romaine, il y eut à Amiens un atelier de monnayage. Des tiers de sols d'or y furent frappés dans les temps mérovingiens, avec les noms de différents monétaires. Des deniers du temps de Charlemagne portent d'un côté ces mots : Karol. rex, et au revers S. Firmini. Cette dernière légende s'explique par le culte que les habitants d'Amiens rendaient à la mémoire de leur premier évêque. D'autres monnaies de Charlemagne, roi, conservées dans la collection de M. le docteur Rigollot, portent d'un côté Carlus et de l'autre Ambianis. Une pièce frappée sous le règne de Charles le Chauve porte : Ambianis civitas et le monogramme de ce prince. — Voyez du Cange, Histoire des comtes d'Amiens, édit. de M. Hardouin, p. 24, 25 et 361.

[19] Les mots skapene, skafene, alias skepene, skefene, viennent du verbe théolisque skapan ou skafan, qui signifie disposer, ordonner, juger. Voyez Grimm, Antiquités du droit germanique, § 7, p. 778. — Capitular. I, an. 809, art. 22, apud Script. rer. gallic. et francic., t. V, p. 680. — Capitular. Wormatiense, an. 829, art. 11, ibid., t. VI, p. 441.

[20] Chron. Frodoardi, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 205. — Ibid., p. 175, 201.

[21] Epistola Urbani papæ II ad clerum et populum Ambianensem, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIV, p. 700. — Thomassin, Vetus ecclesiæ disciplina, t. II, p. 91. — Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, sub an. 1115, inter opera ejus omnia, p. 516, édition Duchery.

[22] Gilde ou Gelde (prononcez Ghilde, Ghelde) signifient, dans la langue théotisque, banquet à frais communs, association, confrérie. Voyez sur l'étymologie de ce mot les Glossaires d'Ihre, de Schertz et de Wachter. — Voyez, sur l'origine de la Ghilde et sur ses diverses applications au moyen âge, les Considérations sur l'histoire de France, placées en tête des Récits des temps mérovingiens, chap. VII.

[23] Miracula S. Adalhardi abbat. Corbeiensis, auctore S. Gerardo, abbat. monast. Silvæ majoris, apud Script. rer. gallic. et francic., t. X, p. 378.

[24] Script. rer. gallic. et franc., t. X, p. 378.

[25] Charte de consécration et de dotation du monastère de Saint-Marlin-aux-Jumeaux, sous la date de 1073. Archives départementales de la Somme, cartulaire du chapitre de Notre-Dame d'Amiens, n° 1, f° 195 r° et v°. — On trouve dans une charte de l'année 1139 les mots presul et procurator totius rei publice Ambianensis. (Voyez du Cange, Gloss., verbo Procuratores.)

[26] Guiberti abbat. de Novigent., de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 516. — Antiquités de la ville d'Amiens, par de la Morlière, liv. I, p. 66. — Histoire d'Amiens, par M. Dosevel, t. I, p. 16.

[27] Vita S. Godefridi episc. Ambian. sæc. XII, apud Surium, mens. novemb., p. 220. — Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, sub anno 1113, inter ejus opera omnia, p. 516. — Il y avait ainsi quatre coseigueurs dans une charte de l'année 1151, l'héritier des anciens châtelains s'intitule : Ambianis civitatis princeps quartus (Cartul. de Saint-Jean-lez-Amiens, ms. du XIIIe siècle, communiqué par M. le docteur Rigollot, col. 407.)

[28] Voyez la charte donnée par Gui, évêque d'Amiens, entre les années 1058 et 1076, et celle des comtes Gui et Ives, donnée vers l'an 1091, Recueil des monuments inédits de l'histoire de tiers état, t. I, p. 16 et 22.

[29] Ils étaient fils de Raoul Ier, comte d'Amiens, de Mantes et de Pontoise, et tenaient le comté par la retraite de leur frère aîné Simon, qui prit l'babit de religieux au monastère de Saint-Claude en 1076.

[30] Voyez le texte de la pièce, Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 22.

[31] Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 32.

[32] Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 23.

[33] Deux villes, Cambrai et le Mans, devancèrent toutes les autres ; leurs tentatives de révolution datent du XIe siècle. Voyez les Lettres sur l'histoire de France, lettres XIV et suivantes.

[34] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 230. — Hontheim, Hist. Trevir. diplomat., t. I, p. 594. — Charte d'Aliénor, reine d'Angleterre et duchesse d'Aquitaine ; Rec. des ordonn. des rois de France, t. XI, p. 319, note g. — Voyez les Considérations sur l'Histoire de France, placées en tête des Récits des temps mérovingiens, chap. VI.

[35] On a vu plus haut l'origine du titre d'échevins ; quant à celui de maire, l'époque de son introduction dans la nomenclature des offices municipaux est incertaine, et tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il fut emprunté à l'organisation des grands domaines sous la première et la seconde race. Son usage dans plusieurs villes du nord et du centre de la Gaule remonte probablement jusqu'au temps où disparurent le nom et l'office du défenseur, var l'absorption de cet office dans la seigneurie de l'évêque ; ce fut le premier point de décadence de l'ancien régime municipal. Adopté en dépit de cette origine par la révolution communale du lue siècle, le titre de maire reçut alors des prérogatives politiques bien plus hautes que celle des chefs tic la curie romaine ou de la municipalité gallo-franke.

[36] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 515.

[37] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 516.

[38] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 515.

[39] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, p. 515.

[40] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, p. 515.

[41] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 516.

[42] Vita S. Godefridi Ambian. episc., apud Surium, mens. novemb., p. 224. — Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 516.

[43] Ivonis Carnot. epis., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XV, p. 164 et 165.

[44] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 517.

[45] Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 516 et 517.

[46] Guibert. abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 517.

[47] Guibert. abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 517.

[48] Guibert. abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 517.

[49] Guibert. abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omnia, p. 517.

[50] Sugerii abbat. liber de Vita Ludovici Grossi regis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 42.

[51] Une des paroisses d'Amiens se nomme Saint-Firmin en Castillon.

[52] Sugerii abbat. lib. de Vita Ludovici Grossi, ap. Script rer. gallic. et francic., t. XII, p. 42. — Adèle, sœur des comtes Simon, Gui et Ives, et son mari Renaud, comte de Vermandois, prirent possession du comté d'Amiens en 1117 ; ils le transmirent, en 1118, à leur gendre Charles de Danemark.

[53] Enguerrand, qui lui succéda, tint jusqu'à la fin de la guerre le parti de la commune ; il est nommé une fois par Guibert de Nogent, dont le récit s'arrête avant la prise du Castillon. (Guiberti abbat. de Novigento, de Vita sua, lib. III, inter ejus opera omis, p. 517.)

[54] Charte de la commune d'Amiens. — Voyez ci-après le texte de cette charte.

[55] Cela était littéralement vrai pour les causes criminelles. Dans les causes civiles, surtout en matière de créances et d'obligations, le prévôt du comte pouvait juger, si les parties y consentaient ; sinon, l'affaire était portée devant les magistrats municipaux.

[56] Le titre de vidame d'Amiens et les droits seigneuriaux attachés à ce titre se continuèrent dans la famille des sires de Picquigny. Le titre de châtelain et les droits conservés par Adam subsistèrent dans sa famille ; ils échurent par héritage aux sires de Vignacourt, qui, comme coseigneurs avec l'évêque, le comte et le vidame, ajoutèrent à leurs prénoms le nom d'Amiens.

[57] La preuve de ce fait et l'explication des termes qui servaient à désigner les diverses catégories de redevances seigneuriales se trouvent dans une charte de Philippe d'Alsace, comte d'Amiens, donnée entre les années 1161 et 1185. Voyez cette pièce, texte et note, dans le t. I du Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, p. 74.

[58] On trouve le titre de prévôt dans l'échevinage d'Amiens dès le XIIe siècle, c'est-à-dire deux siècles avant l'acquisition faite par cette ville de la prévôté du roi. Voyez Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 96, une charte de 1177.

[59] ... Et convient que chis qui pris est faiche le serment de le mairie, et se il ne veult faire, on abatera se maison et demourra en le merchy du roy, au jugement des esquevins.

De rekief, se li maires qui eslus seroit refusoit le mairie et vausist souffrir le damage, jà pour che ne demoureroit qu'il ne fesist l'office ; et se aucuns refusoit l'esquevinage, on abateroit se maison et l'amenderoit au jugement des esquevins, et pour chou ne demoureroit mie que il ne fesist l'office de l'esquevinage. (Ancienne coutume d'Amiens.) Voyez le texte entier de cette coutume, ibid., p. 157 et suivantes ; voyez aussi Cod. theod., lib. XII, tit. I, de decurionibus, et D., lib. I, tit. IV, de muneribus et honoribus.

[60] L'autre face, le scel proprement dit, portait : Sigillum civium Ambisnensium. Quant à la monnaie d'Amiens, dont un échantillon célèbre est le denier d'argent qui a pour légende : Pax civibus tuis, et qui semble appartenir à la seconde moitié du XIe siècle, rien ne montre qu'à l'établissement de la commune, elle ait passé, de la dépendance du comte ou de l'évêque, sous celle des magistrats municipaux.

[61] Voyez ci-après section IV.

[62] Recueil des ordonnances des rois de France, t. IV, p. 55. — La commune de Corbie s'établit sous le règne de Louis le Gros par concession de ce prince ; celle de Saint-Quentin fut octroyée, au commencement du XIIe siècle, par l'un des prédécesseurs de Raoul Ier, comte de Vermandois.

[63] Recueil des ordonnances des rois de France, t. IV, p. 58. — Le cartulaire municipal d'Abbeville, intitulé Livre rouge, constate, pour la seconde moitié du XIIIe siècle et les siècles suivants jusqu'au XVIe, que l'échevinage d'Abbeville avait recours à ceux d'Amiens et de Saint-Quentin dans des questions de droit souvent très-simples.

[64] Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 39.

[65] Voyez la rédaction de l'article premier de la charte communale d'Abbeville. Recueil des ordonnances des rois de France, t. IV, p. 55.

[66] Charte communale d'Abbeville, art. 2.

[67] Charte d'Abbeville, art. 3.

[68] L'esprit de cet article se retrouve dans l'article 4 de la charte d'Abbeville, mais avec des différences de rédaction qui l'accommodent à l'organisation politique et judiciaire du comté de Ponthieu. — L'article 5 de la charte d'Abbeville statue que dans tout procès relatif à des immeubles, la plainte sera portée devant le seigneur de qui relève l'objet en litige. Cet article parait correspondre à l'article 19 de la charte d'Amiens.

[69] Charte d'Abbeville, art. 6.

[70] Charte d'Abbeville, art. 7.

[71] Cet article se trouve fondu avec d'autres dispositions et des développements nouveaux dans l'article 8 de la charte d'Abbeville. — L'article 8 de la charte d'Amiens complète celui-ci par une disposition relative aux assurements, qui manque dans la charte d'Abbeville.

[72] Cet article où, pour la première fois, on lit les mots prévôt royal, qui appartiennent à la révision de 1190, se trouve abrégé dans l'article 9 de la charte d'Abbeville.

[73] Charte d'Abbeville, art. 10.

[74] Cet article porte après le mot domini, le mot regis, évidemment substitué à comitis, dans la révision de 1190 ; il se trouve abrégé dans l'article 11 de la charte d'Abbeville.

[75] Il faut entendre par les mots : justitiam prosequi non poterit, non pas : ne pourra obtenir justice, mais : sera empêché par une cause quelconque de suivre sa plainte en Justice. Cet article est reproduit dans l'article 14 de la charte d'Abbeville.

[76] Dans la Charte d'Abbeville, cette disposition ne forme point un article à elle seule, elle fait partie de l'article 12, qu'on trouvera dans la note suivante.

[77] Dans cet article, au lieu de catalla regis erunt, on devait lire prirnitivement : catalla comitis erunt ; il se trouve abrégé dans l'article 12 de la charte d'Abbeville.

[78] On devait lire primitivement dans cet article, au lieu des mots in misericordia regis, ceux-ci : in misericordia comitis ; il se retrouve avec des variantes dans l'article 19 de la charte d'Abbeville.

[79] Charte d’Abbeville, art. 26.

[80] Cet article est évidemment primitif ; nous le donnons comme tel, quoiqu'il ne soit reproduit sous aucune forme dans la charte d'Abbeville. Voyez ci-après, section IV, le texte complet de la charte communale d'Amiens.

[81] Charte communale d'Amiens, art. 16. — Ibid., art. 3.

[82] Charte d'Amiens, art. 16 ; charte d'Abbeville, art. 12.

[83] Amiens et Abbeville, art. 3.

[84] Amiens, art. 13 ; Abbeville, art. 12.

[85] Abbeville et Amiens, art. 11.

[86] Voyez ci-après, section IV, les articles 18, 8, 37 et 39 de la charte d'Amiens.

[87] Judicium sanguinis. Voyez, dans le tome premier du Rec. des monum. inéd. de l'hist. du tiers état, p. 99, une lettre d'Étienne, abbé de Sainte-Geneviève.

[88] Charte communale d'Amiens, art. 48.

[89] Derechief, quiconques par ire faite ferra autrui on navrera, par coi il perde vie ou membre, celui pleinement membre perdera, vie par vie ; s'il est tenus que il s'en soit fuis, il sera banis et eskix de la banliue, sor le hart à tous jors. Voyez, dans le Rec. des monum. inéd. de l'hist. du tiers état, t. I, p. 121, le texte entier de cette coutume. — La commune d'Abbeville, dont le droit pénal fut modelé sur celui d'Amiens au IIIe siècle, remplit, par un article spécial de sa charte, le vide qui existait dans la charte de la commune modèle (Charte d'Abbeville, art. 20 ; Rec. de Ordonn. des rois de France, t. IV, p. 55.)

[90] Charte communale d'Amiens, art. 7, 37.

[91] Charte communale d'Amiens, art. 7, 38, 41, 6 et 40.

[92] Charte communale d'Amiens, art. 11, 15, 20, 9 et 16. — On doit se rappeler que le mot regis appartient à la révision faite en 1190.

[93] Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 66, 101, 104 et suivantes.

[94] La date de l'avénement de Philippe d'Alsace au comté d'Amiens est fort incertaine ; du Cange (Histoire des comtes d'Amiens, p. 316) admet que Raoul II de Vermandois donna en dot, à Isabelle sa fille, le comté d'Amiens, et qu'a la mort de Raoul ce domaine passa entre les mains d'Isabelle devenue, dès 1156, l'épouse de Philippe d'Alsace. Si l'on adopte cette conjecture, il faut supposer que Raoul III, fils de Raoul II, ne succéda à ce dernier que dans le comté de Vermandois. D'après une autre opinion qui nous parait beaucoup moins probable, Raoul III aurait possédé le comté d'Amiens jusqu'en 1164, époque de sa mort, et avant cette date, Philippe d'Alsace et Isabelle n'auraient pris le titre de comte et de comtesse d'Amiens que comme administrateurs du comté pendant la minorité ou la maladie de leur frère.

[95] Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 67.

[96] Histoire de la civilisation en France, éd. 1840, t. IV, p. 142. Voyez les considérations générales dont M. Guizot a entouré cette citation.

[97] Voyez le tome Ier du Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, p. 86.

[98] Voyez ci-après les articles 2, 5, 6 et 9, 8, 12, 14, 31 et 43.

[99] Art. 17.

[100] Art. 33.

[101] Voyez Lauriere, Glossaire du droit français, au mot Mambournie.

[102] Voyez la Loi des Ripuaires, titre 39.

[103] Voyez la Loi salique, titres 39 et 49 de la lez emendata.

[104] Beaumanoir, ch. 59, définit l'assurement une des quatre manières de mettre fin aux guerres privées.

[105] Ordonnance, proclamation. Voyez du Cange, Glossar., v° Bannum.

[106] Art. 51, 38 et 43.

[107] Cette charte a été publiée dans le Recueil des ordonnances des rois de France ; mais les éditeurs n'ont pas eu sous les yeux l'original, et le texte qu'ils en ont donné, d'après le cartulaire de Philippe-Auguste, est très-fautif. En le réimprimant ici, nous avons cru pouvoir profiter des variantes qui se trouvent dans une expédition authentique des lettres de confirmation octroyées en 1209 par le roi Philippe-Auguste, et copiées textuellement sur celle de 1190. Voyez le Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, t. I, p. 180.

[108] Il n'est pas besoin de faire observer que dans cette charte, comme dans une foule d'autres du même genre, le mot concessimus est une pure formule de style seigneurial ; la Commune d'Amiens existait depuis soixante et treize ans. Le droit accordé par Philippe-Auguste aux citoyens fut celui, non de former une Commune jurée, mais de conserver leur Commune avec ses institutions.

[109] Nous avons dit ci-dessus, que les mots justifiam prosequi non poterit s'appliquaient non au cas de déni de justice, mais au défaut de poursuites de la part du plaignant,

[110] Alias wisloth.

[111] Recueil des ordonnances des rois de France, t. XI, p. 264 et suivantes. Baluze, Miscellanea, t. VII, p. 318. — Bibl. imp., cartel. de Philippe-Auguste, Fonds des cartulaires, n° 172, fol. 17 r°. Fonds du roi, n° 9852. 1, fol. 43 v°, 9852. 5, fol. 56 r°, et n° 8408.2. 2. a, fol. 79 r°. — Arch. nationales, Trésor des chartes, reg. de Philippe-Auguste, fol. 17 v°.