SOMMAIRE : Fin de la première période de nos révolutions sociales, commencement de la seconde. — Nouvelle carrière d'efforts et de progrès ouverte au XVIIIe siècle. — Abandon des libertés historiques, recherche du droit purement rationnel. — Rôle du tiers état dans ce grand mouvement des esprits. — Opposition au sein de la cour de Louis XIV, Fénelon et le duc de Bourgogne. — Leur projet de constitution aristocratique et libérale. — Bon sens et fermeté d'Ante du vieux roi, résultats de son gouvernement. — Progrès vers l'égalité civile, patronage des lettres. — La vie de la nation attirée au centre, déclin des institutions locales. — Les emplois municipaux érigés en titre d'offices, conséquences de cet expédient financier. — Ruine des libertés municipales. — Attaque aux privilèges politiques du parlement. — Interdiction de toute remontrance avant l'enregistrement des lois. — Le parlement se relève ; son rôle au XVIIIe siècle. Après avoir, avec une logique intrépide, sacrifié toutes ses vieilles institutions à l'agrandissement d'une seule, après avoir laissé abattre l'indépendance des classes d'hommes et des territoires, les droits des provinces et des villes, le pouvoir des états généraux et le contrôle politique du parlement, la France, parvenue à l'apogée de cette longue révolution, se trouvait en face de l'unité monarchique, mais d'une unité toute personnelle pour ainsi dire, et d'où, eu théorie, l'idée même de nation formant un corps était exclue[1]. Ainsi l'action des siècles écoulés depuis le XIIe, en atteignant son but si régulièrement poursuivi, aboutissait à un régime inacceptable comme définitif pour la raison et le patriotisme, à quelque chose qui, loin de fixer !a marche du progrès en politique, n'était qu'une étape, un second point de départ, le commencement de nouveaux efforts. Ce travail nouveau de l'opinion et de la volonté publique devait être, non de rebâtir des ruines, non de toucher à l'unité absolue de l'État, produit spontané de nos instincts sociaux, mais de lui imprimer en quelque sorte, au lieu du sceau royal, le vrai caractère national, de faire que son idée agrandie renfermât, pour les garantir, tous les droits légitimes du citoyen[2]. Telle fut l'œuvre glorieuse du siècle dont la quinzième année termina le règne de Louis XIV, œuvre dans laquelle l'objet fut moins simple et les rôles plus mêlés que dans la première, et qui fut pleine de tâtonnements jusqu'au jour où toutes les voies s'aplanirent par la fusion des deux premiers ordres au sein du troisième, et par l'avènement d'une assemblée une et souveraine des mandataires de la nation. C'est à ce point de l'histoire de France que doit s'arrêter celle du tiers état ; là disparait son nom et finit son existence à part dont les derniers progrès et les actes les plus mémorables seront pour moi l'objet d'un travail ultérieur. Comme je le montrerai alors, dans cette période suprême d'où sont venus, par un fatal mélange, d'immenses biens et de grands maux, on trouve d'abord peu de mouvement ; les vieilles habitudes politiques subsistent, tandis qu'un esprit nouveau s'empare des intelligences ; puis, le travail achevé dans les idées passe dans les faits ; des essais de réforme plus ou moins larges sont noblement mais inutilement tentés par le pouvoir, et, de leur impuissance éprouvée, nais la tentative populaire qui fit sortir des états généraux assemblés pour la dernière fois la révolution de 1789. Cette inauguration d'une société fondée sur les principes du droit rationnel n'arriva que lorsque la masse nationale eut senti à fond le néant pour elle d'une restauration de droits historiques. La raison pure et l'histoire furent comme les deux sources diverses où puisa dès son berceau l'opinion régénératrice ; mais, soit nécessité, soit imprudence, elle puisa de plus en plus à la première, et de moins eu moins à la seconde. D'un côté, le courant se trouva mince et inerte ; de l'autre, grandissant toujours, poussé par la double impulsion de la logique et de l'espérance, il parvint à maîtriser tout et à tout entraîner. Les droits anciens n'étant autre chose que les anciens privilèges, leur restauration en masse sous le nom de liberté ne pouvait être l'objet de désirs sérieux que pour les deux premiers ordres ; le tiers état, sauf ses vieilles franchises municipales dont la passion ne l'agitait plus, n'avait rien à regretter du passé, tout à attendre de l'avenir. Aussi fut-il, dans la dernière partie de son rôle politique, le grand foyer, l'agent infatigable de l'esprit nouveau, des idées de justice sociale, de liberté égale pour tous et de fraternité civique. Cela ne veut pas dire que cet esprit, supérieur dans sou indépendance aux habitudes et aux intérêts d'ordre et de classe, s'insinuant sous l'habitude pour fuser et sous l'intérêt pour le rendre moins âpre et moins étroit, dût rester étranger aux classes dont les droits exclusifs, tombés déjà en partie, étaient condamnés à périr pour le bien de tous. Si l'ordre non privilégié se trouvait par ses instincts et ses intérêts mêmes naturellement disposé à de semblables inspirations, il ne pouvait être seul à les ressentir. Partout où des âmes élevées et des cœurs généreux se rencontrèrent, il y eut de l'aliment pour ce qu'on peut nommer la pensée libérale moderne ; cette voix de l'opinion, qui renouvela tout en 1789, avait des organes éclatants et sincères parmi la noblesse et le clergé. Et, chose étrange, ce fut à la cour même de Louis XIV, autour de son petit-fils, dans des conciliabules de grands seigneurs, que naquit, d'une vive sympathie pour les souffrances du peuple, le premier essai de réaction politique contre le dogme accablant et les maux nécessaires de la monarchie sans limite. On sait qu'un écrivain de génie, évêque admirable et ardent philanthrope, Fénelon, fut l'âme de ces projets dont il avait semé le germe dans ses leçons données, durant cinq ans, à un prince héritier du trône[3]. Le plan de gouvernement, conçu par lui et embrassé avec passion par le successeur futur de Louis XIV, offrait un singulier mélange d'esprit aristocratique et d'affection pour les intérêts populaires[4]. Ce plan, auquel s'attache une vague célébrité, avait le mérite respectable d'être inspiré par la conscience des abus et des maux présents, avec l'énorme défaut d'appliquer à ces abus des remèdes pires que le mal lui-même. Il détruisait la centralisation administrative et jusqu'à l'administration proprement dite, supprimait les intendants des provinces et remplaçait les ministres par des conseils[5]. Enlevant à la royauté son caractère moderne, il en faisait, non plus l'image vivante, la personnification active de l'État, mais un privilège inerte servant de couronnement à une hiérarchie de privilèges, et s'appuyant sur elle en la protégeant[6]. C'était, pour fuir les vices de la monarchie absolue, rétrograder vers la monarchie féodale, et défaire l'ouvrage des siècles au lieu de le perfectionner. A côté des états généraux devenus une institution régulière, d'états particuliers établis au nombre de vingt au moins par une nouvelle division des provinces, de diètes cantonales créées pour l'assiette et la répartition de l'impôt, on trouve dans cette prétendue constitution libre la séparation des ordres rendue plus profonde, et de nouvelles distinctions de classes : pour le clergé, une entière indépendance à l'égard du pouvoir civil ; pour la haute noblesse, des prérogatives politiques ; pour le commun des gentilshommes, l'accès par préférence à toutes les charges, le rétablissement des juges d'épée dans les bailliages, et leur introduction dans les parlements ; pour le tiers état enfin, l'amoindrissement ou la suppression des offices qui depuis longtemps lui étaient dévolus[7]. Et, par le plus étrange contraste à des dispositions qui semblent un démenti donné au progrès traditionnel de la société en France, il s'en joint d'autres dont la générosité devance les temps et la raison à venir ; l'impôt, sous toutes ses formes, est étendu à toutes les classes de la nation ; il n'y a plus à cet égard ni privilèges pour les deux premiers ordres, ni vexation pour le peuple par l'exploitation des traitants[8]. En dépit des maximes libérales que le duc de Bourgogne et ses amis professaient, et dont ils croyaient de bonne foi que leur œuvre était l'expression[9], ce triste assemblage d'éléments contradictoires, qui innovait d'une part en philanthropie sociale et de l'autre en distinction de droits et de rangs selon la naissance, qui relevait la noblesse de sa décadence politique et rabaissait tes positions faites par le temps au tiers étal, cette constitution antilogique et antihistorique n'avait pas chance d'être populaire un seul jour, si du monde des rêves elle eût passé dans celui des faits réels. La monarchie en France, quand elle cesserait d'être absolue, devait rester administrative ; la liberté en France devait se fonder, non sur une séparation plus marquée, mais sur la fusion des ordres ; non sur l'abaissement, mais sur l'élévation continue des classes roturières. La mort du dauphin à peine âgé de trente ans emporta ces projets et les espérances qui s'attachaient à son règne[10]. Louis XIV ne connut que d'une manière vague les plans élaborés par son petit-fils dans le secret de l'intimité[11]. Il s'applaudissait de l'esprit sérieux et des hautes qualités du jeune prince, mais le reste était pour lui un objet de défiance ou d'antipathie[12], et cela autant par sa droiture de sens que par ses instincts despotiques. S'il avait en lui-même une foi extravagante, il croyait profondément à la sagesse de ses ancêtres, à l'efficacité civilisatrice de ce pouvoir uni et concentré qu'il avait reçu d'eux, dont il abusait sans doute, mais qu'il développait dans le même sens qu'eux. Au milieu des pompes de sa cour, il était niveleur à sa manière ; pour lui le mérite avait des droits supérieurs à ceux de la naissance ; il ouvrait de plus larges routes à l'ascension des hommes nouveaux ; au lieu de diviser, il unissait. Il travaillait à rendre complète l'unité politique du pays, et, sans le savoir, il préparait de loin l'avènement de la grande communauté une et souveraine de la nation. Ainsi, malgré ses défauts trop manifestes, la politique de Louis XIV était plus intelligente et valait mieux pour l'avenir que les imaginations spécieuses des réformateurs de son temps ; il comprit quelle devait être sa tâche après l'œuvre de ses devanciers, et il la remplit fidèlement, selon la mesure de ses forces. Qu'on lui accorde ou qu'on lui refuse le nom de Grand qui lui fut décerné par une admiration mêlée de flatterie[13], il est impossible de ne pas ressentir l'impression que produit dans l'histoire cette figure de roi, calme et Gère, sérieuse et douce, attentive et réfléchie, à laquelle l'idée de majesté répond si bien. Il est même impossible de ne pas regretter par moments le blâme sévère que la justice oblige d'associer aux éloges qui lui sont dus ; et ces moments ne sont pas ceux où son règne brille de tout ce qui fait la splendeur et la puissance des États, mais ceux où le royaume a perdu sa force et sa prospérité, où le monarque, autrefois comblé de gloire, n'en a plus à espérer que de sa lutte avec le malheur. C'est lorsque, vaincu sur toutes ses frontières par l'Europe coalisée, il prolonge ce combat suprême avec une constance inébranlable, s'oubliant lui-même afin d'épargner au pays les douleurs d'une invasion étrangère, immolant sa fierté et prêt à donner sa vie pour l'indépendance nationale[14]. C'est aussi lorsque au plus fort de ses revers, il voit, sans se laisser abattre, son fils et ses petits-fils mourir autour de lui[15] ; ou enfin, lorsque arrivé au dernier terme, il exprime par des mots touchants une admirable fermeté d'âme, un courage sans ostentation qu'il porte jusqu'à l'aveu de ses fautes[16]. Outre l'éclat que répandit sur ce règne la réunion de tant d'hommes de génie qu'il n'est pas besoin de nommer ; outre sa gloire chèrement payée et ses prospérités passagères, dans toutes les phases de sa longue durée[17], en dépit d'énormes fautes, il eut un incontestable mérite, celui d'offrir le premier une forme d'administration complète, embrassant à la fois, sans effort, d'une manière continue, tous les intérêts matériels et intellectuels du pays. Sous ce rapport, le gouvernement de Louis XIV fit un pas immense en avant de ceux qui l'avaient précédé ; il fixa les bases de ce que j'appellerais la constitution administrative du pouvoir ; il fut, sauf la liberté politique, l'un des plus grands gouvernements que la France ait eus jusqu'à nos jours[18]. C'est de lui proprement que datent chez nous les temps modernes pour l'action régulière de l'État, la sociabilité, les mœurs, la langue et le goût national. A ce point de notre histoire, nous retrouvons une grande partie de ce que nous sommes ; au delà, nous avons peine à nous reconnaître. C'est comme un moule puissant dont l'empreinte est restée sur les principaux éléments de notre civilisation, littérature, beaux-arts, industrie, ordre civil et forces militaires. Dès lors, on voit le pouvoir, libre dans ses mouvements, aller du centre aux extrémités, et remonter de là par des voies sûres et faciles. On voit, près de chaque ministère, fonctionner ces bureaux nombreux où se conservent les traditions et où les documents s'accumulent. On voit enfin la prévoyance de l'État se montrer mûre en quelque sorte ; il sait ce que vaut le soin de l'avenir, et, sur tous les points, il s'y applique ; il institue des compagnies savantes, et s'assure de bons cadres d'officiers ; il fonde des écoles d'arts libéraux et des écoles d'armes spéciales, crée de nouveaux ports, des arsenaux et des collections scientifiques. De singuliers progrès vers la grande fusion nationale ont accompagné, sous Louis XIV, les développements nouveaux de la puissance administrative. Considéré sous le point de vue social, l'esprit de son gouvernement fut de tendre par toute sorte de moyens au rapprochement des classes. Il acheva pacifiquement la ruine de l'indépendance nobiliaire, astreignit, sans contrainte apparente, les grands seigneurs à la vie de cour et au service régulier dans l'armée ; et partout, même à la cour, fit prévaloir, pour les honneurs, la fonction sur la naissance[19]. Les maréchaux, qu'ils fussent nobles ou non, passaient avant les ducs ; les ministres nés dans la bourgeoisie n'avaient au-dessus d'eux que les princes du sang, et leurs femmes étaient admises à la table du roi[20]. Dans l'armée, il n'y avait plus pour les grades, aucune préférence nécessaire de la grande noblesse sur la petite, ni de la noblesse sur la roture ; l'ancienneté de service créait le droit à l'avancement, et, sauf les cas de mérite signalé ou de faveur particulière, on suivait l'ordre du tableau[21]. La vieille aristocratie, écartée généralement des affaires, n'avait plus, comme classe distincte, ni pouvoir, ni influence politique ; la somme de ses privilèges se trouvait réduite à des exemptions d'impôt que le fisc rendait souvent illusoires, au droit exclusif d'admission dans un ordre de chevalerie[22], et à des droits seigneuriaux, devenus moins utiles pour elle qu'onéreux pour les habitants des campagnes[23]. L'un de ses membres, aussi homme d'esprit qu'entêté de l'orgueil de race, appelle le règne de Louis XIV un règne de vile bourgeoisie, paroles dont l'âcreté prouve qu'après Richelieu et la chute de la Fronde, il s'était passé en France, au profit de l'égalité civile, quelque chose qui, pour les contemporains, avait un air de révolution[24]. En même temps que la noblesse, abaissée sans violence, reculait sur les rangs de la classe moyenne, celle-ci s'élevait d'un élan plus prompt que jamais en capacité, en valeur sociale, en importance dans l'État. C'est à elle que profitaient les nouveaux encouragements donnés à l'industrie et à l'élude ; elle développait dans tous les sens ses forces actives et inventives ; ses entreprises plus étendues lui créaient des fortunes rapides, et son ambition d'avancer ne s'arrêtait pas devant les plus hautes carrières. Elle obtenait des succès, un crédit, une puissance dont les exemples frappèrent vivement le grand moraliste du siècle. La Bruyère a décrit, avec sa touche inimitable, cette émulation de travail utile, en contraste avec la somnolence d'esprit et l'oisiveté de la haute noblesse[25]. Sous Louis XIV, presque tous les ministres sortirent de la bourgeoisie[26] ; plusieurs des noms illustres dans les armes[27], et, dans les lettres, tous les grands noms, sauf trois seulement, furent plébéiens[28]. Mais si cette dernière gloire, la plus haute et la plus durable du règne, celle qui le fait compter comme époque dans l'histoire de l'esprit humain, revient pour une telle part au tiers état, une part aussi en est due à l'influence personnelle du roi. Non seulement Louis XIV, conseillé par Colbert, fixa le sort des gens de lettres, en instituant pour eux des pensions régulières ; mais, de lui-même, il fit plus, il les honora dans ses bienfaits. Il leur assigna une place à la cour, et mit leur association libre, l'Académie française, au rang des grands corps de l'État[29]. Par sa familiarité pleine d'égards avec les principaux d'entre eux, il anoblit en quelque sorte la littérature ; et, par sa dignité naturelle, sa justesse de sens et la pureté de son goût, il exerça, sans y prétendre, une véritable action sur elle[30]. Quelque chose est venu de lui dans cette hardiesse réglée, dans cette parfaite mesure de force et de grâce, de raison et d'imagination, qui est le caractère des chefs-d'œuvre de la seconde moitié du XVIIe siècle[31]. Le même règne qui mit le sceau à l'unité politique, et porta presque à son entier développement l'unité administrative, a Posé les fondements de ce qu'on peut nommer l'unité morale de la France. Du rapprochement des classes et des professions diverses, des rencontres multipliées de la noblesse et de la bourgeoisie dans les hautes régions du pouvoir, de la fortune et du monde, il se forma, sous Louis XIV, non plus pour l'intimité de quelques salons, mais pour le commerce de la vie, une société mixte, la véritable société française, modelée sur un même type de politesse et de bon goût. Là vinrent se fondre et se tempérer, sous la règle des convenances, les habitudes héréditaires, les mœurs traditionnelles, les traits caractéristiques, provenant pour chacun de son origine ou de son état. Nobles et roturiers, gens d'épée et gens de robe, lettrés et commerçants, cessèrent d'être distingués au premier abord par le contraste des manières[32]. Une teinte d'urbanité répandue sur toutes les conditions, des secours de tout genre offerts au besoin d'instruction, de vie facile et de plaisirs délicats, firent de Paris un séjour attrayant pour les étrangers, tandis que, parmi nous, la conformité de goûts et d'esprit, s'étendant de plus en plus, ouvrait les voies à une puissance sociale qui bientôt domina toutes les autres, celle de l'opinion publique. Par un mouvement semblable à celui qui avait eu lieu dans l'ordre politique, puis dans l'ordre administratif, la vie morale de la nation fut de plus en plus attirée au centre. Les idées, les manières d'être et de sentir propres à chaque province s'affaiblirent et se modifièrent sous l'empire d'une émulation commune, du penchant à imiter l'esprit et les mœurs de la capitale. Cet entraînement étendit même son action au delà de sa sphère, il eut des effets politiques ; il précipita par tout le royaume la ruine déjà fort avancée des vieilles institutions provinciales. Quoique, sous Louis XIV et depuis son règne, il y ait eu en France des pays d'états conservant par exception leurs assemblées délibérantes, ce reste des libertés du moyen âge ne fut qu'une ombre devant le pouvoir de plus en plus actif et absolu des intendants[33]. Nulle part, si ce n'est en Bretagne, et par des raisons tenant à l'histoire particulière de cette province, la résistance des anciens corps constitués aux empiétements de l'autorité centrale n'amena autre chose qu'une opposition indécise et des conflits sans gravité[34]. Depuis le règne de Henri IV jusqu'à nue époque avancée du règne de Louis XIV, le régime municipal n'avait éprouvé aucune altération importante. Quoique surveillé et contrôlé d'une façon de plus en plus étroite[35], ce régime conservait ses vieux fondements et son principe de liberté par l'élection des magistrats, lorsqu'un coup d'État fiscal plutôt que politique l'abolit en droit, et, en fait, ne lui laissa qu'une existence précaire et conditionnelle. Au plus fort d'une guerre dont la dépense n'était couverte qu'à l'aide d'expédients financiers, parmi lesquels figurait la création d'offices vénaux[36], l'idée vint au gouvernement de s'emparer des magistratures urbaines et de tous les emplois à la nomination des villes, de les ériger eu offices héréditaires, et de les vendre le plus cher possible, soit à des particuliers, soit aux villes elles-mêmes. Un maire perpétuel et des assesseurs candidats-nés pour les fonctions d'échevins, consuls, capitouls, jurats, syndics, furent imposés à toutes les municipalités du royaume[37] qui cessaient d'être électives, à moins qu'elles n'eussent acquis de leurs deniers les nouveaux offices, polir les éteindre, ou, comme on disait, pour les réunir au corps de ville. En mettant à l'enchère ces offices devenus royaux et parés du titre de conseillers du roi[38], on avait spéculé, d'une part, sur la passion des riches familles bourgeoises pour les charges héréditaires, de l'autre, sur l'attachement des villes à leurs franchises immémoriales ; et cette audacieuse confiscation du régime municipal était fondée avant tout sur l'impuissance politique où, malgré la popularité de ses formes, ce régime se trouvait réduit. En effet, aucun soulèvement n'eut lieu pour sa défense ; il n'y eut qu'une plainte universelle plus ou moins vive, plus ou moins amère, mais partout suivie de soumission. Les villes, grandes ou petites, se firent un devoir et un point d'honneur du rachat de leurs privilèges ; au prix de sacrifices onéreux, elles devinrent adjudicataires de la majeure partie des offices nouvellement créés, et, chose à remarquer, cette réunion, qui laissait subsister ou rétablissait l'ancien état, loin d'être mal vue du pouvoir, fut, au contraire, facilitée par lui[39]. Quand finit le règne de Louis XIV, l'administration urbaine présentait les plus étranges disparates ; selon que les villes s'étaient trouvées en état de racheter leurs franchises, il y avait des municipalités électives, d'autres perpétuelles, d'autres composées en partie d'offices dépendant de la communauté des citoyens et d'offices possédés à titre de propriété privée. Ce désordre et les actes d'autorité qui l'avaient produit figurèrent parmi les griefs dont le redressement fut demandé avec le plus d'instance à la législation du nouveau règne. La réponse désirée ne se fit pas attendre, et au mois de juin 1716, le prince qui gouvernait au nom de Louis XV mineur, décréta que toutes les villes du royaume rentreraient dans la plénitude de leurs droits. Cet édit, par lequel étaient supprimés tous les offices, réunis ou non, remboursés ou non par les villes, proclamait la restauration de l'ancien ordre municipal, et semblait en garantir sérieusement le respect et le maintien[40]. Mais l'illusion fut courte à cet égard : une grande expérience fiscale avait été faite : on savait que les villes, mises à rançon pour des droits qui leur étaient chers, payaient et ne se soulevaient pas ; six ans après, dans une crise formidable pour le trésor, tous les offices municipaux, créés et mis en vente par Louis XIV, le furent de nouveau par le régent[41]. Cette seconde confiscation des libertés communales, plus franche que la première, présentée sans détour comme un expédient financier[42], marqua pour l'avenir leur destinée. Elles furent comptées depuis lors parmi les moyens de battre monnaie dans les embarras extrêmes. Ce fut un jeu pour le gouvernement de vendre, de retirer et de vendre encore ses titres de maires, lieutenants de maires, assesseurs, échevins, consuls, capitouls, jurats, syndics perpétuels, et de pressurer les villes par la menace renouvelée d'une intrusion d'officiers héréditaires[43]. De 1722 à 1789, il n'y eut pas pour le régime municipal seize ans de liberté sans rançon. Dans cet espace de temps, sauf deux intervalles, l'un de 1724 à 1733, l'autre de 1764 à 1771, aucune élection de magistrats dans les communes ne put se faire qu'en vertu de brevets d'offices acquis par elles[44]. Ainsi le droit originel n'existait plus au fond, là même où, en apparence, il continuait de s'exercer, et tel fut l'état des choses jusqu'à l'époque de la révolution. J'ai devancé l'ordre des temps, mais c'est pour mentionner une fois pour toutes ces tristes et monotones vicissitudes qu'une histoire moins sommaire exposera. Au point où me voilà parvenu, si l'ancien régime municipal est encore pour beaucoup de villes un objet d'orgueil et d'attachement par les souvenirs, il a complètement cessé d'être une force pour les classes progressives de la nation. Je n'en parlerai plus, mais ce n'est pas sans un regret de sympathie que je dis adieu à ces communautés libres qui furent le berceau du tiers état, la première et vigoureuse expression de ses instincts politiques. Pour l'historien qui voudra les suivre dans leur extrême décadence à travers le XVIIIe siècle, il y aura encore des faits dignes de remarque et des traits moraux à relever. Ce sera, par exemple, cette constance des villes à s'épuiser d'argent pour le rachat d'un dernier reste de liberté qui ne rapportait plus aucun avantage de bien-être ou d'ordre public, et, dans les plaintes adressées en leur nom au pouvoir qui les rançonnait, un sentiment de la sainteté des droits civiques hautement et fièrement exprimé[45]. Si les institutions municipales ne purent se relever d'une atteinte indirecte que Louis XIV leur avait portée, il n'en fut pas de même de la grande institution judiciaire où s'était empreint avec tant de force l'esprit naissant du tiers état[46]. Frappé directement par le roi dans ses prérogatives politiques, le parlement plia sous lui, mais pour un temps, et, dès qu'il fut mort, se redressa plus puissant que jamais. Cette puissance de la compagnie souveraine provenait de deux sources opposées, l'une populaire et l'autre aristocratique : celle-ci était l'esprit de corps augmenté de l'esprit de famille par l'hérédité des charges, celle-là était l'affection des classes roturières née de la sympathie d'origine et nourrie par de longs services rendus à la cause du droit commun, de l'égalité civile et de l'indépendance nationale[47]. Comme on l'a vu dans ce qui précède, l'histoire du parlement depuis le XIIIe siècle est une suite de progrès lents, mais toujours sûrs ; il grandit aux yeux de la nation en même temps que la royauté, dont il se montre à la fois l'auxiliaire et le surveillant, dont il éclaire la voie et qu'il aspire à diriger. Au XVIe siècle, son contrôle législatif, son droit de remontrance avant l'enregistrement des édits, était ou accepté par les rois ou réclamé par l'opinion[48] ; et, comme non seulement les édits royaux, mais encore les bulles du pape revêtues de l'autorisation royale et les traités conclus avec les puissances étrangères devaient être enregistrés, le parlement intervenait dans toutes les grandes affaires intérieures ou extérieures de l'État[49]. Il se regardait avec orgueil comme un pouvoir investi de la tutelle publique, médiateur entre le peuple et le roi, modérateur entre la couronne et l'Église, conservateur des lois et régulateur de toutes les juridictions du royaume[50]. Ses prétentions, comprimées au XVIIe siècle sous le ministère de Richelieu[51], reparurent durant la Fonde plus grandes et plus hautaines. Il en vint alors jusqu'à se croire supérieur aux états généraux et à mettre en avant par la bouche de ses chefs cet étrange et hardi paradoxe[52]. L'impression que Louis XIV reçut des troubles de son enfance lui rendit de bonne heure odieuse la moindre opposition du parlement. En 1655, lorsqu'il n'avait que dix-sept ans et ne gouvernait pas encore, ayant appris à Vincennes que la cour, toutes les chambres réunies[53], délibérait sur un édit, il vint à franc étrier, et fit, dans la salle du palais, cette entrée cavalière suivie d'ordres impérieux qui est l'un des traits de sa vie les plus cités, et qui révéla tout à coup la hauteur de son caractère[54]. Quand il eut pris en main le gouvernement, il porta des coups moins brusques, mais d'un effet plus durable, aux prérogatives parlementaires. D'abord, il supprima le nom de cours souveraines et le remplaça officiellement par celui de cours supérieures ; puis il abolit pour toutes les cours du royaume la faculté de faire des remontrances avant d'enregistrer les lois. C'était dépouiller le parlement de son rôle politique et le renfermer pour l'avenir dans le cercle de ses fonctions judiciaires. Tel fut l'objet de la déclaration du 24 février 1673[55], contre laquelle s'éleva du sein de la compagnie blessée dans ses droits les plus chers une protestation que d'Aguesseau admirait, et qu'il nomme le dernier cri de la liberté mourante[56]. Depuis lors jusqu'à la fin du règne, c'est-à-dire pendant quarante-deux ans, il n'y eut pas l'ombre d'une remontrance de la cour, tous les nouveaux édits furent insérés dans ses registres et ainsi rendus exécutoires sans discussion et sans délai[57]. Mais ce silence n'éteignit pas la vie politique du parlement, qui ressaisit, d'une manière éclatante, sa liberté et son pouvoir le lendemain de la mort du grand roi. Il cassa le testament de Louis XIV, comme soixante et onze ans auparavant il avait cassé celui de Louis XIII[58]. Il reprit, et conserva depuis lors, ce nom vénéré de cour souveraine qui semblait lui donner droit à une part de la souveraineté[59]. Son intervention dans les affaires d'État fut plus que jamais fréquente et obstinée. Il devint agressif et usurpateur contre la royauté affaiblie, et l'opinion publique le suivit dans cette carrière aventureuse, s'attachant à lui par l'excès même de ses prétentions et de son orgueil. Demeuré, de toutes les institutions anciennes, la seule que le XVIIIe siècle n'eût pas dépouillée de force et de popularité, il fut la Mutile légale qui, à travers les états généraux dont il provoqua la dernière convocation, conduisit au nouvel ordre de choses dans lequel il disparut lui-même. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] La France est un État monarchique dans toute l'étendue de l'expression. Le roi y représente la nation entière, et chaque particulier ne représente qu'un seul individu envers le roi. Par conséquent, toute puissance, toute autorité, résident dans les malus du roi, et il ne peut y en avoir d'autres dans le royaume que celles qu'il établit... La nation ne fait pas corps en France, elle réside bout entière dans la personne du roi. (Manuscrit d'un cours de droit public de la France, composé pour l'instruction du due de Bourgogne ; citation faite par Lemontey, Œuvres complètes, t. V, p. 15.)
[2] Le premier signe d'une réaction des esprits se manifesta, dans l'année 1690, par la publication de quinze mémoires sur le gouvernement de Louis XIV, imprimés à l'étranger sous ce titre : Les soupirs de la France esclave qui aspire après sa liberté. L'auteur anonyme dénonce en termes véhéments ce qu'il nomme l'oppression de l'Église, de la magistrature, de lu noblesse et des villes ; il s'élève contre les doctrines de la monarchie absolue, et réclame, au nom des droits du peuple, la convocation des états généraux.
[3] Fénelon remplit de 1689 à 1694 les fonctions de précepteur du duc de Bourgogne, qui, en 1711, à la mort du dauphin son père, devint l'héritier présomptif.
[4] Voyez dans les Œuvres de Fénelon, t. XXII, l'écrit intitulé : Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse, pour être proposés au duc de Bourgogne ; novembre 1711. Le due de Bourgogne, devenu dauphin, venait d'élire associé par Louis XIV aux travaux du conseil ; il avait pour principaux confidents tic ses vues politiques, sous l'initiative de l'archevêque de Cambrai, le duc de Beauvilliers, son ancien gouverneur, et les ducs de Chevreuse et de Suint-Simon. Voyez les Mémoires de ce dernier, t. X, p. 4, 201, 209 ; et t. XII, p. 260.
[5] Les intendants de justice, police et finances, étaient une création de Richelieu. Tous les ministères, sauf l'office de chancelier, devaient être abolis, et leurs attributions réparties entre six conseils agissant sous le contrôle du conseil d'État présidé par le roi. Les six conseils se nommaient : Conseil des affaires étrangères, des affaires ecclésiastiques, de la guerre, de la marine, des finances et des dépêches on tin dedans du royaume. Ce mode d'administration fut essayé avec de tristes succès sous la régence du duc d'Orléans. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, t. X, p. 6, 7, 8 ; et t. XII, p. 267, 269 et 270.
[6] L'administration tout entière devait s'exercer dans chaque province par des états particuliers, sous le contrôle souverain des étals généraux du royaume. Le conseil de l'intérieur, celui des finances et le conseil d'État lui-terne n'avaient, à ce qu'il semble, d'autre autorité administrative que le droit d'inspection par commissaires. Voici ce que portent à cet égard les Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse : Établissement d'états particuliers dans toutes les provinces, avec pouvoir de policer, corriger, destiner les fonds, etc. — Suffisance des sommes que les émis particuliers lèveroient pour payer leur part de la somme totale des charges de l'État. — Supériorité des états généraux sur ceux des provinces ; correct ions des choses faites par les états des provinces sur plaintes et preuves. Révision générale des comptes des états particuliers pour fonds et charges ordinaires. — Point d'intendants ; missi dominici seulement de temps en temps. (Œuvres de Fénelon, t. XXII, p. 579, 580 et 581.)
[7] Soutien de la noblesse : Toute maison aura un bien substitué, majorasgo d'Espagne. Pour lu maisons de houle noblesse, substitutions non petites ; moindres pour médiocre noblesse. — Mésalliances défendues aux deux sexes. — Anoblissements défendus, excepté les cas de services signalés rendus à l'État. — Nul duc non pair. On attendrait une place vacante pour en obtenir ; un ne ternit admis que dons les états généraux. Lettres pour marquis, comtes, vicomtes, barons, connue pour ducs. — Justice : Le chancelier, chef du tiers état, devrait avoir un moindre rang, comme autrefois. Préférence des nobles aux roturiers, A mérite égal, pour les places de président et de conseillers. Magistrats d'épée, et avec l'épée un lieu de robe, quand on pourra. — Point de présidiaux t leurs droits attribués aux bailliages. Rétablir le droit du bailli d'épée pour y exercer sa fonction. Lieutenant général et lieutenant criminel, nobles s'il se peut. (Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse, ibid., p. 590, 591, 592.) — Voyez plus haut, ch. VII, les demandes de la noblesse aux états généraux de 1614.
[8] Établissement d'assiettes qui est une petite assemblée de chaque diocèse, comme en Languedoc, où est l'évêque avec les seigneurs du pays et le tiers état, qui règle la levée des impôts suivant le cadastre. — Mesurer les impôts sur la richesse naturelle du paya et du commerce qui y fleurit. — Cessation de gabelle, grosses fermes, capitations et dîme royale. Impôts par les états du pays sur les sels, sans gabelle. Plus de financiers. — Les ecclésiastiques doivent contribuer aux charges de l'État par leurs revenus. (Plans de gouvernement, etc., ibid., p. 579, 580 et 586.) — Le principe de l'égalité proportionnelle en matière d'impôt, l'une des bases de ce système financier, avait été posé par Vauban, dans son célèbre mémoire intitulé Dîme royale.
[9] Je n'ose achever un grand mot, un mot d'un prince pénétré : qu'un roi est fait pour les sujets, et non les sujets pour lui, comme il ne se contraignit pas de le dire en public et jusque dans le salon de Marly. (Mémoires de Saint-Simon, t. X, p. 212.) — Fénelon répète sans cesse, dans ses écrits politiques et dans sa correspondance : que tout despotisme est un mauvais gouvernement ; que sans libertés nationales, il n'y a ni ordre ni justice dans l'État, ni véritable grandeur pour le prince ; que le corps de la nation doit avoir part aux affaires publiques.
[10] Il était né le 6 août 1682, et mourut le 18 février 1712.
[11] Après la mort du duc de Bourgogne, le roi se fit apporter une cassette remplie de ses papiers secrets, qui furent brûlés. Il donna cet ordre, non, comme on l'a cru, par dépit et après un complet examen, niais par suite d'une ruse du duc de Beauvilliers, qui l'ennuya en lui lisant de longs mémoires sans intérêt, pour lui ôter l'envie d'entendre la lecture du reste. Une autre cassette contenant des pièces relatives aux choses convenues entre le prince et ses amis fut sauvée par ces derniers. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, t. XII, p. 267.
[12] On connaît le mot du roi après une conversation qu'il voulut avoir avec Fénelon sur ses principes de gouvernement : J'ai entretenu le plus bel esprit et le plus chimérique de mon royaume. Voyez Voltaire, Siècle de Louis XIV, t. II, ch. XXXVIII, p. 452, édit. Bouchot.
[13] Ce titre, inscrit d'abord sur quelques médailles frappées en l'honneur du roi, lui fut, en 1680, déféré solennellement par l'hôtel de ville de Paris.
[14] Voyez les événements du règne de 1708 à 1713, année de la poix d'Utrecht. — Cette constance, cette fermeté d'Ante, cette égalité extérieure, ce soin toujours le nem de tenir tant qu'il pouvoit le timon, celte espérance contre toute espérance, pur courage et par sagesse, non par aveuglement, ces dehors du même roi en toutes choses, c'est ce dont peu d'hommes auroient été capables, c'est ce qui auroit pu lui mériter le nom de Grand, qui lui avoit été si prématuré. (Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 165.) — Je me suis toujours soumis à la volonté divine, et les maux dont il lui plaît d'affliger mon royaume ne me permettent plus de douter du sacrifice qu'elle demande que je lui fasse de tout ce qui me pourroit être le plus sensible. J'oublie donc ma gloire. (Lettre de Louis XIV à son ministre en Hollande [29 avril 1709], citée par M. Miguel, Négociations, etc., t. Ier, Introduction, p. XCII.) — Landrecies ne pouvait pas tenir longtemps (juin 1712). Il fut agité dans Versailles si le roi se retirerait à Chambord sur la Loire. Il dit au maréchal d'Harcourt, qu'au cas d'un nouveau malheur, il convoquerait toute la noblesse de son royaume, qu'il la conduirait à l'ennemi, malgré son âge de soixante et quatorze ans, et qu'il périrait à la tête. (Voltaire, Siècle de Louis XIV, ch. XII, t. II, p. 100 de l'édit. Beuchot.)
[15] Louis, dauphin, mort en 1711 ; Louis, duc de Bourgogne, et son fils Louis, duc de Bretagne, morts en 1712.
[16] Voyez les Mémoires de Saint-Simon, t. XII, p. 495, 495 et 491. — Louis XIV mourut le 1er septembre 1715, trois jours avant qu'il eût soixante et dix-sept ans accomplis. Sun règne avait été de soixante et douze ans depuis la mort de Louis XIII, et de cinquante-quatre ans depuis celle de Mazarin.
[17] Je me parle ici que du règne personnel de Louis XIV, qui dura, comme on l'a vu, de 1661 à 1715.
[18] Voyez l'Histoire générale de la civilisation en Europe, par M. Guizot, 14e leçon.
[19] Peu à peu il réduisit tout le monde à servir et à grossir sa cour, ceux-là même dont il faisait le moins de cas. Qui étoit d'âge à servir, n'osoit différer d'entrer dans le service. Ce fut encore une autre adresse pour ruiner les seigneurs, et les accoutumer à l'égalité et à rouler pêle-mêle avec tout le monde... Sous prétexte que tout service militaire est honorable, et qu'il est raisonnable d'apprendre à obéir avant que de commander, il assujettit tout, sans autre exception que des seuls princes du sang, à débuter par être cadets dans ses gardes du corps, et à faire tout le même service des simples gardes du corps, dans les salles des gardes, et dehors, hiver et été, et à l'armée. (Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 56.)
[20] De là les secrétaires d'État et les ministres successivement à quitter le manteau, puis le rabat, après l'habit noir, ensuite l'uni, le simple, le modeste, enfin à s'habiller comme les gens de qualité ; de la à en prendre les manières, puis les avantages, et par échelons admis à manger avec le roi : et leurs femmes, d'abord sous des prétextes personnels, comme madame Colbert longtemps avant madame de Louvois ; enfin, des années après elle, toutes, à litre du droit des places de leur mari, manger et entrer dans les carrosses, et n'être en rien différentes des femmes de la première qualité. (Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 17.)
[21] Grands et petits, connus et obscurs, furent donc forcés d'entrer et de persévérer dans le service, d'y être un vil peuple en toute égalité, et dans la plus soumise dépendance du ministre de la guerre et même de ses commis, (Ibid., p. 58.) — Il fut établi que, quel qu'on pût être, tout ce qui servoit demeuroit, quant au service et sua grades, dans une égalité entière. Cela rendit l'avancement ou le retardement d'avoir un régiment bien plus sensible, parce que de là dépendoit tout le reste des autres avancements, qui ne se firent plus que par promotions suivant l'ancienneté, ce qu'on appelle l'ordre du tableau. (Ibid., p. 57.)
[22] L'ordre du Saint-Esprit.
[23] Les privilèges des nobles ne sont plus que des ombres et des toiles d'araignées qui ne les mettent à l'abri de rien. Leurs fermiers et leurs terres payent au roi des impôts si excessifs, que tout le revenu du fonds est consumé. Sous prétexte de remédier à quelques désordres qui méritaient sans doute qu'on y eût égard, on a envoyé des intendants dans les provinces qui exercent sur la noblesse un empire insupportable et qui la réduisent en esclavage. Aujourd'hui il faut qu'un gentilhomme ait droit et demi pour gagner son procès contre un paysan. (Les Soupirs de la France esclave, etc. ; Amsterdam, 1689, p. 15.)
[24] Mémoires de Saint-Simon, t. III, p. 516. — De là l'élévation de la plume et de la robe et l'anéantissement de lu noblesse par les degrés qu'on pourra soir ailleurs, jusqu'au prodige qu'on voit et qu'on sent aujourd'hui, ce que ces gens de plume et de robe ont bien su soutenir, en aggravant chaque jour leur joug : en sorte que les choses sont arrivées au point que le plus grand seigneur ne peut être bon à personne, et qu'en mille façons différentes il dépend du plus vil roturier. (Ibid., t. XII, p. 265.)
[25] Pendant que les grands négligent de rien connoitre, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires ; qu'ils ignorent l'économie et la science d'un père de famille, et qu'ils se louent eux-mêmes de celle ignorance ; qu'ils se laissent appauvrir et maitriser par des intendants ; qu'ils se contentent d'être gourmets ou coteaux, d'aller chez Thaïs ou chez Phryné, de parler de la meute ou de la vieille meute, de dire combien il y a de postes de Paris à Besançon ou à Philisbourg, des citoyens s'instruisent du dedans et du dehors d'un royaume, étudient le gouvernement, deviennent lins et politiques, savent le fort et le faible de tout tin État, songent à se placer, se placent, s'élèvent, deviennent puissants, soulagent le prince d'une partie des soins publics. Les grands, qui les dédaignoient, les révèrent : heureux s'ils deviennent leurs gendres. (Les Caractères de la Bruyère, chap. IX, Des grands.)
[26] Sur la liste des secrétaires d'État, avant et depuis la mort de Mazarin, on relève à lu première vue les noms suivants : Bouthillier, Bailleul, Servien, Guénégaud, Fouquet, Michel le Tellier, le Tellier de Louvois, le Tellier de Barbezieux, Jean-Baptiste Colbert, Colbert de Seignelay, Colbert de Croissi, Colbert de Tord, Arnaud de Pomponne, Phélipeaux de la Vrillière, Phélipeaux de Châteauneuf, le Péletier, Desmarets, Chamillard. Les chanceliers, comme choisis anciennement parmi la magistrature, ne figurent pas sur ce catalogue, à moins qu'ils n'eussent débuté au ministère par un autre département que celui de la justice.
[27] Fabert et Catinat, Duquesne et Duguay-Trouin.
[28] Corneille, Pascal, Molière, Racine, la Fontaine, Boileau, Bossuet, Bourdaloue, Fléchier, Massillon, la Bruyère, Arnaud, Nicole, Domat, et, si l'on y joint les artistes, le Poussin, le Sueur, le Lorrain, Philippe de Champagne, Lebrun, Puget. Les noms exceptés sont ceux de Fénelon, la Rochefoucauld et madame de Sévigné.
[29] L'Académie, depuis la mort de Richelieu, était sous le patronage officiel du chancelier ; vers 1672, le roi s'en déclara personnellement le protecteur, et lui donna le droit de venir le haranguer dans les occasions solennelles, comme faisaient le parlement et les autres cours supérieures.
[30] MOLIÈRE, Poème du Val-de-Grâce.
Ce monarque, dont Pante aux grandes qualités
Joint un goût délicat des savantes beautés,
Qui, séparant le bon d'avec son apparence,
Décide sans erreur, et loue avec prudence.
[31] Voyez l'Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard, t. II, chap. VII ; et l'Histoire de France de M. Henri Martin, t. XV, p, 33 et suivantes.
[32] Tous les différents états de la vie étaient auparavant reconnaissables par les défauts qui les caractérisaient. Les militaires et les jeunes gens qui se destinaient à la profession des armes avaient une vivacité emportée, les gens de justice une gravité rebutante, à quoi ne contribuait pas peu l'usage d'aller toujours en robe, même à la cour. Il en était de même des universités et des médecins. Les marchands portaient encore de petites robes lorsqu'ils s'assemblaient et qu'ils allaient chez les ministres ; et les plus grands commerçants étaient alors des hommes grossiers. Mais les maisons, les spectacles, les promenades publiques, où l'on commençait à se rassembler pour goûter une vie plus douce, rendirent peu à peu l'extérieur de tous les citoyens presque semblable. On s'aperçoit aujourd'hui, jusque dans le fond d'une boutique, que la politesse a gagné toutes les conditions. Les provinces se sont ressenties, avec le temps, de tous ces changements. (Voltaire, Siècle de Louis XIV, édit. Beuchot, chap. XXIX, t. II, p. 262.)
[33] Ces magistrats, institués par Richelieu, en 1635, sous le titre d'intendants de justice, police et finances, furent supprimés durant la Fronde et rétablis par Mazarin. C'est alors que les états particuliers des provinces du domaine, sauf le Languedoc, cessèrent de s'assembler. Les territoires auxquels le nom de pays d'états fut dés lors spécialement réservé sont : le Languedoc, la Bretagne, la Bourgogne, la Provence, le Dauphiné, la Flandre, l'Artois, le Hainaut et le Cambrésis, le comté de Pau, le comté de Foix, la Bigorre, le Marsan, le Nébouzan et les Quatre-Vallées.
[34] Voyez l'ouvrage intitulé Une province sous Louis XIV, par M. Alexandre Thomas.
[35] Des édits de Louis XIII, juillet 1622, mai 1633 et mai 1634, créèrent, à titre d'offices royaux, des greffiers héréditaires dans toutes les villes el communautés des provinces méridionales, et un autre édit du même roi, juin 1633, institua, outre ces officiers, des procureurs de ville héréditaires dans les municipalités du ressort du parlement et de la chambre des comptes de Paris. Les motifs de celte double création sont ainsi énoncés par Louis XIV, qui, par édit de juillet 1690, la renouvela en l'étendant à tout le royaume : Le feu roi, notre très-honoré seigneur et père, avait cru que pour remettre le bon ordre dans lesdites communautés, empêcher la dissipation de leurs deniers communs, patrimoniaux et d'octroi, et arrêter le cours des abus qui se commettaient avec trop de licences, il n'y avait pas de moyen plus certain que d'établir quelques officiers perpétuels qui, ayant une entière connaissance des affaires, seroient en état d'instruire les autres magistrats électifs, qui ne sont qu'à temps, et concourant tous ensemble dans un même dessein, ne manqueraient pas de faire sentir au public de salutaires effets d'une bonne administration. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XX, p. 106.)
[36] La guerre d'Allemagne, commencée en 1668 et terminée en 1697 par le traité de Ryswyk.
[37] Paris et Lyon, par dispense exceptionnelle, conservèrent leurs prévôts des marchands ; mais ces deux villes reçurent chacune douze assesseurs en titre d'offices héréditaires. — Voyez l'édit d'août 1692, portant création de maires et assesseurs en chaque ville et communauté dit royaume ; l'arrêt da conseil du 5 décembre 1693, portant règlement général pour les fonctions, rang et séance des maires, assesseurs, etc. ; l'édit de mars 1702, portant création, dans chaque paroisse où il n'y a pas de maire, d'un syndic perpétuel ; l'édit de mars 1702, portant création de lieutenants de prévôt des marchands à Paris et à Lyon ; et l'édit de décembre 1706, portant création d'un maire perpétuel et de lieutenants de maires alternatifs et triennaux dans chaque ville. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XX, p. 158, 203, 408, 410 et 492.)
[38] Le roi ayant, par son édit du mois d'août 1692, créé des offices de conseillers de Sa Majesté, maires perpétuels des villes, lieux et communautés de son royaume, d'assesseurs desdits maires et de commissaires aux revues dans les villes et lieux d'étape, par un autre édit du même mois... (Arrêt du conseil du 5 décembre 1693.)
[39] ..... Nous avons résolu, non-seulement de supprimer ceux desdits offices qui restent à vendre ou à réunir, et d'accorder aux communautés la liberté de faire faire les fonctions par les sujets qu'elles voudront nommer, mais encore, pour rétablir dans les hôtels de ville de notre royaume l'ordre qui y étoit établi avant nosdits édits pour l'élection des maires, lieutenants de maires, secrétaires, greffiers et autres officiers nécessaires à l'administration de leurs affaires communes, de permettre aux communautés de déposséder les acquéreurs et les titulaires de ces offices... en les remboursant toutefois en un seul et même payement de cc qu'ils se trouveront avoir payé. (Édit de septembre 1714 ; Recueil des anciennes lois françaises, t. XX, p. 637.)
[40] Nous désirons de rétablir l'ordre qui s'observait avant 1690 dans l'administration de toutes les villes et communautés de notre royaume, soit qu'elles aient acquis ou réuni lesdits offices, sous quelque litre que ce puisse être, pour avoir la liberté de les faire exercer en tout ou partie, ou pour jouir seulement des gages et droits y attribués, soit que lesdits offices aient été vendus à des particuliers ; nous avons résolu de supprimer tous ces offices sans exception, et de rendre à toutes les villes, communautés et paroisses de notre royaume, la liberté qu'elles avaient d'élire et nommer des maires et échevins, consuls, capitouls, jurats, secrétaires, greffiers, syndics, et autres officiers municipaux pour administrer leurs affaires communes. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XXI, p. 117.) — Voyez la déclaration du 17 juillet 1717, portant que les maires et autres officiers des hôtels de ville seront élus comme ils l'étoient avant l'année 1690, et l'arrêt du conseil du 4 septembre de la même année. (Ibid., p. 148 et 156.)
[41] La nécessité de pourvoir au payement exact des arrérages et au remboursement des capitaux des dettes de l'État nous a obligé à chercher les moyens les plus convenables pour y parvenir, et il ne nous a point paru d'expédient plus sûr et moins onéreux à nos peuples que le rétablissement des différents offices supprimés depuis notre avènement à la couronne. (Édit d'août 1722, Recueil des anciennes lois françaises, t. XXI, p. 209.)
[42] Dans l'édit d'août 1692, les motifs réels avaient été dissimulés et enveloppés de prétextes politiques : Le soin que nous avons toujours pria de choisir les sujets les plus capables, entre ceux qui nous ont été présentés pour remplir la charge de maire dans les principales villes de notre royaume, n'a pas empêché que la cabale et les brigues n'aient eu le plus souvent beaucoup de part à l'élection de ces magistrats, d'où il est presque toujours arrivé que les officiers ainsi élus, pour ménager les particuliers auxquels ils étoffent redevables de leur emploi, et ceux qu'ils prévoyoient leur pouvoir succéder, ont surchargé les autres habitants des villes, et surtout ceux qui leur avoient refusé leurs suffrages... C'est pourquoi nous avons jugé à propos de créer des maires en titre dans toutes les villes et lieux de notre royaume, qui, n'étant point redevables de leurs charges aux suffrages des particuliers et n'ayant plus lieu d'appréhender leurs successeurs, en exerceront les fonctions sans passion, et avec toute la liberté qui leur est nécessaire pour conserver l'égalité dans les charges publiques. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XX, p. 159.)
[43] Les offices rétablis en 1722 furent supprimés par l'édit de juillet 1724 ; ils furent de nouveau rétablis par l'édit de novembre 1733, et supprimés encore par l'édit d'août 1764 ; l'édit de novembre 1771 les rétablit pour la troisième fois, et ce fut définitivement.
[44] L'édit de 1724, qui supprima gratuitement pour le seconde fois les offices imposés aux villes, fut rendu à l'avènement d'un nouveau ministère, celui du duc de Bourbon, et l'administration nouvelle chercha dans cette suppression un moyen de popularité. L'édit de 1764, qui, en supprimant pour la troisième fois les offices municipaux héréditaires, déclara qu'ils ne pourraient être rétablis sous aucun prétexte, fut rendu par l'administration populaire du duc de Choiseul. Il eut pour objet de modeler uniformément dans tout le royaume l'administration urbaine, en lui donnant pour base l'élection par une assemblée de notables. Ce fut le ministère où l'abbé Terray eut le département des finances qui fit rentrer les municipalités sous le régime des offices, maintenu cette fois jusqu'à la révolution. Voyez le Recueil des anciennes lois françaises, t. XXII, p. 405 et 539.
[45] Le payement de la finance exigé pour la réunion des offices municipaux avait lieu, soit individuellement par ville, soit collectivement par province. Des recherches sur les sommes votées à cet effet, de l'une ou de l'autre manière, depuis 1692 jusqu'à 1789, ne seraient pas sans intérêt. Avant l'édit de 1771, les états de Provence avaient déjà dépensé, pour le maintien du droit d'élection dans les villes et bourgs du pays, 12.500.000 livres ; après la promulgation de cet édit, les états de Languedoc rachetèrent pour 2.500.000 livres les offices qu'il rétablissait ; et la ville de Perpignan, au nom de toutes les municipalités du Roussillon, paya 250.000 livres. — Pour quoi ces efforts si souvent multipliés, pourquoi cet épuisement de nos forces, si nous n'avions cru être vertueux, en arrachant du naufrage de notre patrimoine ce droit d'élection inaliénable et imprescriptible, droit que nous avons conservé aux dépens de nos fortunes ? (Remontrances du parlement de Provence, 1774, Raynouard, Histoire du droit municipal en France, t. II, p. 362.)
[46] Voyez plus haut, chap. II.
[47] Voyez plus haut, chap. IV, VI et VIII. — Par suite de la révolution qui, au XIVe siècle, remplit de légistes le parlement et les autres cours souveraines, tout l'ordre judiciaire, sauf les baillis et les sénéchaux, était rangé dans le tiers état. Telle fut sa place aux états généraux de 1614, et si, dans le cours du XVIIe siècle, il s'était tenu d'autres états, on y aurait vu la même chose. Au milieu du siècle suivant, c'était encore un point controversé entre la noblesse d'épée et la robe de savoir si tous les magistrats, quelle que fût leur extraction, n'appartenaient pas au troisième ordre. Voyez la liste des députés du tiers aux états généraux de 1614, ci-après, Appendice II.
[48] C'est ainsi que Charles IX, malgré toute la dureté avec laquelle il traita cette compagnie sur ce qui s'était passé au sujet de l'enregistrement de l'édit de déclaration de sa majorité, ne laissa pas d'approuver en même temps l'usage des remontrances et de conserver le parlement à cet égard dans son ancienne liberté. (D'Aguesseau, Œuvres complètes, t. X, p. 8, édition Pardessus.) — D'un vient qu'il faut que tous édits soient vérifiez et comme controolez ès cours de parlement, lesquelles, combien qu'elles ne soient qu'une forme des trois estats raccourcie au petit pied, ont pouvoir de suspendre, modifier et refuser lesdits édits. (Mémoires de Nevers, édit. de 1663, t. I, p. 449.) — Les édits ordinaires n'ayant point de force et n'estima approuvez des autres magistrats, s'ils ne sont recels et vérifiez esdits parlemens, qui est une reigle d'estat, par le moyen de laquelle le roy ne pourrait, quand il voudroit, faire des lois injustes, que bientost après elles ne fussent rejetées. (Mém. de Michel de Castelnau, liv. I, chap. IV, p. 6.)
[49] François Ier soumit en 1327 à une assemblée, composée de membres du parlement de Paris et des autres parlements de France, le traité de Madrid qu'Il avait signe l'année précédente, et déclara que le défaut d'enregistrement frappait cet acte de nullité. C'est l'enregistrement nécessaire des bulles qui, donnant au parlement l'occasion de faire des remontrances sur les affaires ecclésiastiques, lui permit de s'ériger en gardien des maximes et des règles de l'Église gallicane.
[50] Le plus grand nombre des compagnies et des personnes dont elles sont composées vivent en cette créance qu'ils sont les tuteurs des roys, les protecteurs des peuples, les médiateurs entre le peuple et les roys, et que les roys ne peuvent faire aucune loy dans leur royaume qu'elle n'ait passé par leur jugement et examen, et autres discours et pensées de cette nature. (Mémoire adressé au cardinal de Richelieu, par le garde des sceaux Marillac, Ms. de la Bibl. nationale, suppl. franç. 987, fol. 91 r°.)
[51] Les chanceliers et gardes des sceaux de Louis XIII usaient de ces propos et d'autres semblables envers les membres du parlement : Que s'ils oublioient ce qu'ils étoffent, le roy n'oublieroit pas qu'il étoit leur maitre ; — que ce n'étoit pas à eux à se mêler des suaires d'État, et que le roy leur défendoit d'entreprendre d'être ses tuteurs. Voyez les Mémoires d'Omer Talon, passim, et l'édit de février 1641, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 529.
[52] Après la convocation des états généraux en mars 1619, le parlement de Rouen écrivit à celui de Paris pour lui demander s'il devait ou non envoyer quelques-uns de ses membres à l'assemblée des états. Voici quelle fut, selon le récit d'un contemporain, l'opinion du président de Mesmes : M. de Mesmes dict que les parlements n'y avoient jamais député, estant composés des trois estats : qu'ils tenoient rang au-dessus des estats généraux, estant juges de ce qui y estait arresté par la vérification : que les estats généraux n'agissoient que par prières et ne parloient qu'a genoux, comme les peuples et subjects ; mais que les parlements tenoient un rang au-dessus d'eux, estant comme médiateurs entre le peuple et le roy. (Journal d'Olivier d'Ormesson, cité par M. Chéruel dans l'opuscule intitulé : De l'administration de Louis XIV, p. 44.) — La cour des comptes décida, comme le parlement de Paris, qu'elle ne prendrait aucune part à celte assemblée. Aux états généraux de 1614 on avait vu, comme députés pour le tiers état : pour la ville de Paris, Robert Miron, président des requêtes ; pour la sénéchaussée de Lyon, Pierre Austrein, président au parlement de Dombes, et pour le bailliage de Touraine, Jacques Gauthier, conseiller au parlement de Bretagne.
[53] Le parlement de Paris au XVIIe siècle se composait de onze chambres savoir : la grand'chambre, où siégeaient les plus anciens conseillers et les présidents à mortier, une chambre criminelle vulgairement nommée la Tournelle, une chambre civile, une chambre des vacations, deux chambres des requêtes, et cinq chambres des enquêtes, formées des conseillers les plus jeunes.
[54] Le parlement arrêta de faire des remontrances sur un édit concernant les monnaies, et le ministre prétendait qu'une cour des monnaies étant établie, ce n'était pas au parlement à se mêler de cet objet. Le roi partit de Vincennes, vint en bottes au parlement, le fouet à la main. Il adressa la parole as premier président, et lui dit : On sait les malheurs qu'ont produits vos assemblées ; j'ordonne qu'on cesse celles qui sont commencées sur mes édits. Monsieur le premier président, je vous défends de les souffrir ; et vous (en se tournant vers les conseillers des enquêtes) je vous défends de les demander. (Voltaire, Histoire du parlement de Paris, édition Bachot, p. 275.)
[55] Voulons que nos cours ayent à enregistrer purement et simplement nos lettres patentes sans aucune modification, restriction, ni autres clauses qui puissent surseoir ou empêcher la pleine et entière exécution ; et néanmoins, où nos cours, en délibérant sur lesdites lettres, jugeroient nécessaire de nous faire leurs remontrances sur le contenu, le registre en sera chargé et l'arrêt rédigé, après toutefois que l'arrêt d'enregistrement pur et simple aura été donné, et séparément rédigé... Les remontrances nous seront faites ou présentées dans la huitaine par nos cours de notre bonne ville de Paris, ou autres qui se trouveront dans le lieu de notre séjour, et dans six semaines par nos autres cours des provinces. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XIX, p. 70.)
[56] Œuvres complètes du chancelier d'Aguesseau, t. X, p. 15, édit. Pardessus. — Ces remontrances, célèbres de son temps, n'ont jamais, à ce qu'il semble, été publiées, et je les ai cherchées en vain. Elles manquent dans les registres du parlement qui se trouvent aux Archives nationales.
[57] Voyez d'Aguesseau, Œuvres complètes, loc. cit. — L'enregistrement d'une loi était censé partait lorsque l'original, scellé du grand sceau, avait été lu devant toutes les chambres réunies et copié en minute par le greffier du parlement. Cette copie sur feuilles de papier timbré était l'acte authentique déposé parmi ce qu'on nommait les minutes de la cour ; la transcription ultérieure sur les registres en parchemin pouvait être différée à volonté.
[58] Voyez l'Histoire de France de M. Henri Martin, t. XIII, p. 360, et t. XVII, p. 143.
[59] Il fallait par mille raisons... diminuer l'autorité excessive des principales compagnies qui, sous prétexte que leurs jugements étoient sans appel, et, comme ou parle, souverains et en dernier ressort, ayant pris peu à peu le nom de cours souveraines, se regardoient comme autant de souverainetés séparées et indépendantes. Je fis connoitre que je ne souffrirais plus leurs entreprises. (Œuvres de Louis XIV, t. I, p. 46.)