ESSAI SUR L'HISTOIRE DE LA FORMATION ET DES PROGRÈS DU TIERS ÉTAT

 

CHAPITRE VIII. — LE PARLEMENT SOUS LOUIS XIII, LE MINISTÈRE DE RICHELIEU, LA FRONDE.

 

 

SOMMAIRE : Importance nouvelle du parlement. — Sa popularité, son intervention dans les affaires d'État. — Remontrances du 22 mai 1619, soulèvement de la haute noblesse. — Ministère du cardinal de Richelieu, sa politique intérieure. — Assemblée des notables de 1626. — Démolition des châteaux forts. — Ordonnance de janvier 1629. — Politique extérieure de Richelieu. — Impopularité du grand ministre. — Réaction du tiers état contre la dictature ministérielle. — Coalition de la haute magistrature, la Fronde. — Acte politique délibéré par les quatre cours souveraines. — Journée des barricades. — Pouvoir dictatorial du parlement. — Il fait sa paix avec la cour. — La Fronde des princes, son caractère. — Triomphe du principe de la monarchie sans limites. — Développements de l'esprit français. — Progrès des lumières et de la politesse. — Influence de la bourgeoisie lettrée.

 

Ici commence une nouvelle phase de l'histoire du tiers état ; le vide que laisse dans cette histoire la disparition des états généraux se trouve rempli par les tentatives d'intervention directe du parlement de Paris dans les affaires du royaume. Ce corps judiciaire, appelé dans certains cas par la royauté à jouer un rôle politique, se prévalut, dès le XVIe siècle, de cet usage pour soutenir qu'il représentait les états, qu'il avait, en leur absence, le même pouvoir qu'eux[1] ; et, quand l'issue de leur dernière assemblée eut trompé toutes les espérances de réforme, l'attente publique se tourna vers lui pour ne plus s'en détacher qu'au jour où devait finir l'ancien régime. Recruté depuis plus de trois siècles dans l'élite des classes roturières, placé au premier rang des dignitaires du royaume, donnant l'exemple de l'intégrité et de toutes les vertus civiques, honoré pour son patriotisme, son lustre, ses richesses, son orgueil même, le parlement avait tout ce qu'il fallait pour attirer les sympathies et la confiance du tiers état. Sans examiner si ses prétentions au rôle d'arbitre de la législation et de modérateur du pouvoir royal étaient fondées sur de véritables titres[2], on l'aimait pour son esprit de résistance à l'ambition des favoris et des ministres, pour son hostilité perpétuelle contre la noblesse, pour son zèle à maintenir les traditions nationales, à garantir l'État de toute influence étrangère, et à conserver intactes les libertés de l'Église gallicane. On lui donnait les noms de corps auguste, de sénat auguste, de tuteur des rois, de père de l'État, et l'on regardait ses droits et son pouvoir comme aussi sacrés, aussi incontestables que les droits mêmes et le pouvoir de la couronne.

Ce qu'il y avait d'aristocratique dans l'existence faite aux cours de judicature par l'hérédité des charges, loin de diminuer leur crédit auprès des classes moyenne et inférieure de la nation, n'était aux yeux de celles-ci qu'une force de plus pour la défense des droits et des intérêts de tous. Cette puissance effective et permanente, transmise du père au fils, conservée intacte par l'esprit de corps joint à l'esprit de famille, paraissait pour la cause des faibles et des opprimés une protection plus solide que les prérogatives incertaines et temporaires des états généraux. En réalité, l'esprit politique des compagnies judiciaires était moins large et moins désintéressé que celui dont se montraient animés, dans l'exercice de leurs pouvoirs, les représentants élus du tiers état[3]. Si le parlement tenait de ces derniers sous de certains rapports, il en différait sous d'autres ; son opposition la plus courageuse était parfois égoïste, il avait quelques-uns des vices de la noblesse à laquelle il confinait. Mais, malgré ses travers et ses faiblesses, ceux qui souffraient des abus ne se lassaient point de croire à lui et de compter sur lui. Il semble qu'au fond des consciences populaires une voix se fit entendre qui disait : Ce sont nos gens, ils ne sauraient vouloir que le bien du peuple.

Les faits restèrent, dans toute occasion, fort au-dessous des espérances, et il n'en pouvait être autrement. Si les cours souveraines avaient le mérite de parler haut, leur parole manquait de sanction. Instituées par les rois pour administrer la justice, elles n'avaient pas même l'ombre de ce mandat national qui, donné ou présumé, confère, dans telle ou telle mesure, le droit d'agir contre la volonté du monarque. Dès que venait le moment de faire succéder l'action aux remontrances, d'opposer des moyens de contrainte à l'obstination du pouvoir, le parlement se trouvait sans titre et sans force ; il devait s'arrêter ou recourir à des auxiliaires plus puissants que lui, aux princes du sang, aux factieux de la cour, à l'aristocratie mécontente. Quand il avait refusé au nom de l'intérêt public l'enregistrement d'un édit ou la suppression d'un arrêt, et conservé une attitude libre et fière malgré l'exil ou l'emprisonnement de ses membres, son rôle était fini, à moins qu'il n'eût fait alliance avec des ambitions étrangères à la cause du peuple et au bien du royaume. Ainsi les plus solennelles manifestations de patriotisme et d'indépendance n'aboutissaient qu'à des procédures sans issue, ou à la guerre civile pour l'intérêt et les passions des grands. De nobles commencements et des suites mesquines ou détestables, le courage civique réduit, par le sentiment de son impuissance, à se mettre au service des intrigues et des factions nobiliaires, telle est, en somme, l'histoire des tentatives politiques du parlement. La première de toutes, qui fut, sinon la plus éclatante, au moins une des plus hardies, présenta ce caractère qu'on retrouve sur une plus grande échelle et avec de nombreuses complications dans les événements de la Fronde.

Le 28 mars 1615, quatre jours après la dissolution des états généraux, le parlement, toutes les chambres assemblées, rendit un arrêt qui invitait les princes, ducs, pairs et officiers de la couronne, ayant séance et voix délibérative en la cour, à s'y rendre, pour aviser sur les choses qui seraient proposées pour le service du roi, le bien de l'État et le soulagement du peuple. Cette convocation faite sans commandement royal était un acte inouï jusqu'alors ; elle excita dans le public une grande attente, l'espérance de voir s'exécuter par les compagnies souveraines ce qu'on s'était vainement promis de la réunion des états[4]. Le conseil du roi s'en émut comme d'une nouveauté menaçante, et, cassant l'arrêt du parlement par un contre-arrêt, il lui défendit de passer outre, et, aux princes et pairs, de se rendre à son invitation. Le parlement obéit ; mais aussitôt il se mit en devoir de rédiger des remontrances ; un nouvel arrêt du conseil lui ordonna de s'arrêter ; cette fois if n'obéit point et continua la rédaction commencée. Les remontrances prêtes, le parlement demanda audience pour qu'elles fussent lues devant le roi, et sa ténacité, soutenue par l'opinion publique, intimida les ministres ; durant près d'un mois ils négocièrent pour que cette lecture n'eût pas lieu ; mais le parlement fut inébranlable, et sa persévérance l'emporta. Le 22 mai, il eut audience au Louvre, et fit entendre au roi, en conseil, ces remontrances, dont voici quelques passages :

Sire, cette assemblée des grands de votre royaume n'a été proposée en votre cour de parlement que sous le bon plaisir de Votre Majesté, pour lui représenter au vrai, par l'avis de ceux qui en doivent avoir le plus de connoissance, le désordre qui s'augmente et multiplie de jour en jour, étant du devoir des officiers de votre couronne, en telles occasions, vous toucher le mal, afin d'en atteindre le remède par le moyen de votre prudence et autorité royale, ce qui n'est, Sire, ni sans exemple ni sans raison... Ceux qui veulent affoiblir et déprimer l'autorité de cette compagnie s'efforcent de lui ôter la liberté que vos prédécesseurs lui avoient perpétuellement accordée de vous remontrer fidèlement ce qu'elle jugeroit utile pour le bien de votre État. Nous osons dire à Votre Majesté que c'est un mauvais conseil qu'on lui donne de commencer l'année de sa majorité par tant de commandements de puissance absolue, et de l'accoutumer à des actions dont les bons rois comme vous, Sire, n'usent jamais que fort rarement[5].

Après avoir présenté à sa manière tes faits de son histoire, dit qu'il tenait la place du conseil des grands barons de France, et qu'à ce titre il était de tout temps intervenu dans les affaires publiques, le parlement proposait un cahier de réformes à l'instar de ceux des états généraux. Il demandait au roi de reprendre à l'intérieur et à l'extérieur les errements politiques de son père, d'entretenir les mêmes alliances et de pratiquer les mêmes règles de gouvernement, de pourvoir à ce que sa souveraineté fût garantie contre les doctrines ultramontaines, et à ce que l'intérêt étranger ne s'insinuât par aucune voie dans la gestion des affaires d'État. Il passait en revue tous les désordres de l'administration : la ruine des finances, les prodigalités, les dons excessifs et les pensions de faveur, les entraves mises à la justice par la cour et la haute noblesse, la connivence des officiers royaux avec les traitants, et l'avidité insatiable des ministres. Il montrait en perspective le soulèvement du peuple réduit au désespoir, et concluait par ces mots d'une fierté calme :

Sire, nous supplions très-humblement Votre Majesté de nous permettre l'exécution si nécessaire de l'arrêt du mois de mars dernier... Et au cas que ces remontrances, par les mauvais conseils et artifices de ceux qui y sont intéressés, ne puissent avoir lieu et l'arrêt être exécuté, Votre Majesté trouvera bon, s'il lui plaît, que les officiers de son parlement fassent cette protestation solennelle, que, pour la décharge de leurs consciences envers Dieu et les hommes, pour le bien de votre service et la conservation de l'État, ils seront obligés de nommer ci-après en toute liberté les auteurs de tous ces désordres, et faire voir au public leurs déportements[6].

Le lendemain, 25 mai, un arrêt du conseil ordonna de biffer ces remontrances des registres du parlement, et défendit à la compagnie de s'entremettre des affaires d'État sans l'ordre du roi. Le parlement demanda une nouvelle audience, elle lui fut refusée, et des ordres réitérés lui enjoignirent d'exécuter l'arrêt du conseil. Il résista, employant avec art tous les moyens dilatoires que sa procédure lui fournissait ; mais, tandis qu'il soutenait pied à pied la lutte légale, ceux qu'il avait convoqués à ses délibérations quittaient Paris et préparaient tout pour une prise d'armes. Le prince de Condé, le duc de Vendôme, les ducs de Bouillon, de Mayenne, de Longueville et d'autres grands seigneurs soulevèrent les provinces dont ils avaient le gouvernement, publièrent un manifeste contre la cour, et levèrent des soldats au nom du jeune roi, violenté, disaient-ils, par ses ministres. Profitant des inquiétudes causées par les complaisances du gouvernement pour la cour de Rome, et par ses liaisons avec l'Espagne, ils entraînèrent dans leur parti les chefs des calvinistes[7], et la cause de la religion réformée, une fois associée à celle de la rébellion aristocratique, resta compromise par cette alliance. Ainsi commença pour les protestants la série de fautes et de malheurs qui, terminée par la révolte et le siège de la Rochelle, leur fit perdre successivement toutes les garanties politiques et militaires dont les avait dotés l'édit de Nantes[8].

La guerre civile, dont les remontrances du parlement étaient le prétexte, se termina sans autre fait d'armes que des marches de troupes, et de grands pillages commis par les soldats des princes révoltés. Dans le traité de paix conclu à Loudun[9] et publié sous la forme d'un édit, il fut statué que l'arrêt de suppression des remontrances demeurerait sans effet ; que les droits des cours souveraines seraient fixés par un accord entre le conseil du roi et le parlement ; que le roi répondrait sous trois mois aux cahiers des états généraux, et dans le même délai au fameux article du tiers état sur l'indépendance de la couronne[10]. Mais toutes ces stipulations d'intérêt public restèrent en paroles, il n'y eut d'exécuté que les clauses secrètes qui accordaient aux chefs de la révolte des places de sûreté, des honneurs et six millions à partager entre eux. Ainsi satisfaits, les mécontents se réconcilièrent avec leurs ennemis de la cour, et les choses reprirent le même train de désordre et d'anarchie qu'auparavant. Le pouvoir divisé et annulé par les cabales qui se le disputaient ; une sorte de complot pour ramener la France en arrière au delà du règne de Henri IV ; des tentatives qui faisaient dire aux uns avec une joie folle, aux autres avec une profonde affliction, que le temps des rois était passé, et que celui des grands était venu[11], la menace toujours présente d'une dissolution administrative et d'un démembrement du royaume par les intrigues des ambitieux unies à celles de l'étranger : voilà le spectacle qu'offrit, au milieu de ses variations, le gouvernement de Louis XIII, jusqu'au jour où un homme d'État marqué dans les destinées de la France pour reprendre et achever l'œuvre politique de Henri le Grand, après s'être glissé au pouvoir à l'ombre d'un patronage, s'empara de la direction des affaires de haute lutte, par le droit du génie[12].

Le cardinal de Richelieu fut moins un ministre, dans le sens exact de ce mot, qu'un fondé de pouvoir universel de la royauté. Sa prépondérance au conseil suspendit l'exercice de la puissance héréditaire, sans que la monarchie cessât d'exister, et il semble que cela ait eu lieu pour que le progrès social, arrêté violemment depuis le dernier règne, reprit sa marche par l'impulsion d'une sorte de dictateur dont l'esprit fût libre des influences qu'exerce sur les personnes royales l'intérêt de famille et de dynastie. Par un étrange concours de circonstances, il se trouva que le prince faible, dont la destinée devait être de prêter son nom au règne du grand ministre, avait dans son caractère, ses instincts, ses qualités bonnes ou mauvaises, tout ce qui peut répondre aux conditions d'un pareil rôle. Louis XIII, âme sans ressort mais non sans intelligence, ne pouvait se passer d'un maitre ; après en avoir accepté et quitté plusieurs, il prit et garda celui qu'il reconnut capable de mener la France au but que lui-même entrevoyait, et où il aspirait vaguement dans ses rêveries mélancoliques. On dirait qu'obsédé par la pensée des grandes choses qu'avait faites et voulues son père, il se sentit sous le poids d'immenses devoirs qu'il ne pouvait remplir que par le sacrifice de sa liberté d'homme et de roi. Souffrant parfois de ce joug, il était tenté de s'en affranchir, et aussitôt il venait le reprendre, vaincu par la conscience qu'il avait du bien public et par son admiration pour le génie dont les plans magnifiques promettaient l'ordre et la prospérité au dedans, la force et la gloire au dehors[13].

Dans ses tentatives d'innovation, Richelieu, simple ministre, dépassa de beaucoup en hardiesse le grand roi qui l'avait précédé. Il entreprit d'accélérer si fort le mouvement vers l'unité et l'égalité civiles, et de le porter si loin que, désormais, il il impossible de rétrograder. Après le règne de Philippe le Bel, la royauté avait reculé dans sa tâche révolutionnaire et fléchi sous une réaction de l'aristocratie féodale ; après Charles V, il s'était fait de même un retour en arrière ; l'œuvre de Louis XI avait été près de s'abîmer dans les troubles du XVIe siècle, et celle de Henri IV se trouvait compromise par quinze ans de désordre et de faiblesse. Pour qu'elle ne périt pas, il fallait trois choses : que la haute noblesse fût définitivement contrainte à l'obéissance au roi et à la loi ; que le protestantisme cessât d'être un parti armé dans l'État ; que la France pût choisir ses alliés librement dans son intérêt et dans celui de l'indépendance européenne. C'est à ce triple objet que le ministre-roi employa sa puissance d'esprit, son infatigable activité, des passions ardentes et une force d'âme héroïque[14]. Sa vie de tous les jours fut une lutte acharnée contre les grands, la famille royale, les cours souveraines, tout ce qu'il y avait de hautes existences et de corps constitués dans le pays. Pour tout réduire au même niveau de soumission et d'ordre, il éleva la royauté au-dessus des liens de famille et du lien des précédents ; il l'isola dans sa sphère comme une pure idée, l'idée vivante du salut public et de l'intérêt national[15].

Des hauteurs de ce principe, il fit descendre dans l'exercice de l'autorité suprême une logique impassible et des rigueurs impitoyables. Il fut sans merci comme il était sans crainte, et mit sous ses pieds le respect des formes et des traditions judiciaires. Il fit prononcer des sentences de mort par des commissaires de son choix, frappa, jusque sur les marches du trône, les ennemis de la chose publique, ennemis en même temps de sa fortune, et confondit ces haines personnelles avec la vindicte de l'État. Nul ne peut dire s'il y eut ou non du mensonge dans la sécurité de conscience qu'il fit voir à ses derniers moments[16] ; Dieu seul a connu le fond de sa pensée. Nous qui avons recueilli le fruit lointain de ses veilles et de son dévouement patriotique, nous ne pouvons que nous incliner devant cet homme de révolution par qui ont été préparées les voies de la société nouvelle. Mais quelque chose de triste demeure attaché à sa gloire ; il a tout sacrifié au succès de son entreprise ; il a étouffé en lui-même et refoulé dans de nobles âmes les principes éternels de la morale et de l'humanité[17]. A la vue des grandes choses qu'il a faites, on l'admire avec gratitude, on voudrait, on ne saurait l'aimer.

Les novateurs les plus intrépides sentent qu'ils ont besoin de l'opinion ; avant d'exécuter ses plans politiques, Richelieu voulut les soumettre à l'épreuve d'un débat solennel, pour qu'ils lui revinssent confirmés par une sorte d'adhésion nationale. Il ne pouvait songer aux états généraux ; membre de ceux de 1614, il les avait vus à l'œuvre, et, d'ailleurs, son génie ah-soin répugnait à ces grandes réunions ; l'appui moral qu'il désirait, il le chercha dans une assemblée de notables. Il convoqua au mois de novembre 1626 cinquante-cinq personnes de son choix : douze membres du clergé, quatorze de la noblesse, et vingt-sept des cours souveraines, avec un trésorier de France et le prévôt des marchands de Paris. Gaston, frère du roi, fut président, et les maréchaux de la Force et de Bassompierre vice-présidents de l'assemblée ; mais les nobles qui y siégèrent, conseillers d'État pour la plupart, appartenaient à l'administration plutôt qu'à la cour ; il ne s'y trouva ni un duc et pair, ni un gouverneur de province[18].

Devant cette réunion d'élite, dont les hommes du tiers état formaient plus de la moitié, Richelieu développa lui-même tout le plan de sa politique intérieure[19]. L'initiative des propositions partit du gouvernement, non de l'assemblée ; une même pensée pénétra tout, les demandes comme les réponses, et, dans le travail d'où résulta le cahier des votes, on ne saurait distinguer ce qui fut la part du ministre et ce qui fut celle des notables. Des principes d'administration conformes au génie social et à l'avenir de la France furent posés d'un commun accord : l'assiette de l'impôt doit être telle que les classes qui produisent et qui souffrent n'en soient pas grevées ; — c'est dans l'industrie et le commerce qu'est le ressort de la prospérité nationale, on doit faire en sorte que cette carrière soit de plus en plus considérable et tenue à honneur ; — il faut que la puissance de l'État ait pour base une armée permanente où les grades soient accessibles à tous, et qui répande l'esprit militaire dans les classes non nobles de la nation. Quant aux mesures promises ou réclamées, les principales eurent pour objet l'abaissement des dépenses de l'État au niveau des recettes, et la réduction des dépenses improductives au profit des dépenses productives ; l'augmentation des forces maritimes en vue du trafic lointain ; l'établissement de grandes compagnies de commerce et la reprise à l'intérieur des grands projets de canalisation ; la sécurité des gens de travail garantie contre l'indiscipline des gens de guerre par la sévérité de la police et la régularité de la solde ; enfin, la démolition, dans toutes les provinces, des forteresses et châteaux inutiles à la défense du royaume[20].

L'assemblée des notables se sépara le 24 février 1627, et aussitôt une commission fut nommée pour rédiger en un même corps de lois les réformes nouvellement promises et celles qui devaient répondre aux cahiers des états de 1614. En même temps la plus matérielle, et non la moins populaire de ces réformes, la démolition des forteresses, cantonnements de la noblesse factieuse et de la soldatesque des guerres civiles, commença de s'exécuter. A chaque époque décisive du progrès vers l'unité nationale, ce genre de destruction avait eu lieu par l'autorité des rois. Charles V, Louis XI et Henri IV s'attaquèrent aux donjons pour mater l'esprit féodal ; en cela comme en tout, Richelieu lit faire un pas immense à l'œuvre de ses devanciers. Les mesures à prendre pour ce qu'on pourrait nommer l'aplanissement politique du sol français furent confiées par lui à la diligence des provinces et des municipalités, et, d'un bout à l'autre du royaume, les masses plébéiennes se levèrent pour abattre de leurs mains les murs crénelés, repaires de tyrannie ou de brigandage, que, de génération en génération, les enfants apprenaient à maudire. Selon la vive expression d'un historien distingué, les villes coururent aux citadelles, les campagnes aux châteaux, chacun à sa haine[21]. Mais l'ordre qui souvent marque la profondeur des sentiments populaires présida à cette grande exécution que le pays faisait sur lui-tante ; aucune dévastation inutile ne fut commise ; on combla les fossés, on rasa les forts, les bastions, tout ce qui était un moyen de résistance militaire ; on laissa debout ce qui ne pouvait être qu'un monument du passé.

Pendant ce temps, la commission de réforme législative poursuivait son travail sous la présidence du garde des sceaux, Marillac. Il en résulta l'ordonnance de janvier 1629, égale en mérite et supérieure en étendue aux grandes ordonnances du XVIe siècle. Ce nouveau code n'avait pas moins de quatre cent soixante et un articles. Il touche à toutes les parties de la législation : droit civil, droit criminel, police générale, affaires ecclésiastiques, instruction publique, justice, finances, commerce, armée, marine. Inspiré à la fois par le vœu national et par la pensée de Richelieu, il est empreint de cette pensée, quoique le grand ministre ait dédaigné d'y prétendre aucune part, et que l'opposition du parlement, soulevée contre cette œuvre de haute sagesse, y ait, dans un sobriquet burlesque, attaché un autre nom que le sien[22].

L'ordonnance, ou plutôt le code de 1629, eut pour but de répondre à la fois aux demandes des derniers états généraux et à celles de deux assemblées de notables[23]. Parmi les dispositions prises d'après les cahiers de 1615, la plupart furent puisées dans celui du tiers état ; je n'en ferai point l'analyse, j'observerai seulement qu'en beaucoup de cas la réponse donnée reste en arrière ou s'écarte un peu de la demande. On sent que le législateur s'étudie à concilier les intérêts divergents des ordres, et qu'il veut borner la réforme à de certaines limites. Si la suppression des banalités sans titre et des corvées abusives est accordée au tiers état, il n'est point répondu à son vœu pour l'affranchissement des mainmortables[24]. Le temps des campagnes libres n'était pas encore venu, celui des villes libres était passé. Ce n'est qu'en termes évasifs que l'ordonnance répond à la demande d'émancipation du régime municipal, et elle décrète spontanément l'uniformité de ce régime ; elle veut que tous les corps de ville soient réduits, autant que possible, au modèle de celui de Paris[25]. A ces tendances vers l'unité, elle en joint d'autres non moins fécondes pour le développement national. Elle introduit dans l'armée le principe démocratique par la faculté donnée à tous de s'élever à tous les grades ; elle relâche pour la noblesse les liens qui, sous peine de déchéance, l'attachaient exclusivement à la profession des armes ; elle attire la haute bourgeoisie, de l'ambition des offices, vers le commerce ; elle invite la nation tout entière à s'élancer dans les voies de l'activité industrielle. Voici le texte de trois de ses articles :

Le soldat par ses services pourra monter aux charges et offices des compagnies, de degré en degré, jusques à celui de capitaine, et plus avant s'il s'en rend digne[26].

Pour convier nos sujets de quelque qualité et condition qu'ils soient de s'adonner au commerce et trafic par mer, et faire connoitre que notre intention est de relever et faire honorer ceux qui s'y occuperont, nous ordonnons que tous gentilshommes, qui, par eux ou par personnes interposées, entreront en part et société dans les vaisseaux, denrées et marchandises d'iceux, ne dérogeront point à noblesse... Et que ceux qui ne seront nobles, après avoir entretenu cinq ans un vaisseau de deux à trois cents tonneaux, jouiront des privilèges de noblesse, tant et si longuement qu'ils continueront l'entretien dudit vaisseau dans le commerce, pourvu qu'ils l'ayent fait bastir en notre royaume et non autrement : et, en cas qu'ils meurent dans le trafic après l'avoir continué quinze ans durant, nous voulons que les veuves jouissent du même privilège durant leur viduité, comme aussi leurs enfants, pourvu que l'un d'entr'eux continue la négociation dudit commerce et l'entretien d'un vaisseau par l'espace de dix ans. Voulons en outre que les marchands grossiers qui tiennent magasins sans vendre en détail, ou autres marchands qui auront esté eschevins, consuls ou gardes de leurs corps, puissent prendre la qualité de nobles, et tenir rang et séance en toutes les assemblées publiques et particulières immédiatement après nos lieutenants généraux, conseillers des sièges présidiaux, et nos procureurs généraux esdits sièges, et autres juges royaux qui seront sur les lieux[27].

Exhortons nos sujets qui en ont le moyen et l'industrie de se lier et unir ensemble pour former de bonnes et fortes compagnies et sociétez de trafic, navigation et marchandise, en la manière qu'ils verront bon estre. Promettons les protéger et desfendre, les accroître de privilèges et faveurs spéciales, et les maintenir en toutes les manières qu'ils désireront pour la bonne conduite et succès de leur commerce[28]. Tout ce qui était possible en fait d'améliorations sociales au temps de Richelieu fut exécuté par cet homme dont l'intelligence comprenait tout, dont le génie pratique n'omettait rien, qui allait de l'ensemble aux détails, de l'idée à l'action avec une merveilleuse habileté. Maniant une foule d'affaires grandes et petites en même temps et avec la même ardeur, partout présent de sa personne ou de sa pensée, il eut à un degré unique l'universalité et la liberté d'esprit. Prince de l'Église romaine, il voulut que le clergé fût national ; vainqueur des calvinistes, il ne frappa que la rébellion, et respecta les droits de la conscience[29] ; enfant de la noblesse et imbu de son orgueil, il agit comme s'il eût reçu mission de préparer le règne du tiers état. La fin dernière de sa politique intérieure fut ce qui faisait grandir et tendait à déclasser la bourgeoisie, ce fut le progrès du commerce et le progrès des lettres, le travail, soit de l'esprit, soit de la main. Richelieu ne reconnaissait au-dessous du trône qu'une dignité égale à la sienne, celle de l'écrivain et du penseur ; il voulait qu'un homme du nom de Chapelain ou de Gombauld lui parlât couvert. Mais, tandis que par de grandes mesures commerciales et une grande institution littéraire[30], il multipliait pour la roture, en dehors des offices, les places d'honneur dans l'État, il comprimait sous le niveau d'un pouvoir sans bornes les vieilles libertés des villes et des provinces. États particuliers, constitutions municipales, tout ce qu'avaient stipulé comme droits les pays agrégés à la couronne, tout ce qu'avait créé la bourgeoisie dans son âge héroïque, fut refoulé par lui plus bas que jamais. Il y eut là des souffrances plébéiennes, souffrances malheureusement nécessaires, mais que cette nécessité ne rendait pas moins vives, et qui accompagnèrent de crise en crise l'enfantement de la centralisation moderne.

Quant à la politique extérieure du grand ministre, cette partie de son œuvre, non moins admirable que l'autre, a de plus le singulier mérite de n'avoir rien perdu par le cours du temps et les révolutions de l'Europe, d'être pour nous, après deux siècles, aussi vivante, aussi nationale qu'au premier jour. C'est la politique même qui, depuis la chute de l'empire et la résurrection de la France constitutionnelle, n'a cessé de former, pour ainsi dire, une part de la conscience du pays. Le maintien des nationalités indépendantes, l'affranchissement des nationalités opprimées, le respect des liens naturels que forme la communauté de race et de langue, la paix et l'amitié pour les faibles, la guerre contre les oppresseurs de la liberté et de la civilisation générales, tous ces devoirs que s'impose notre libéralisme démocratique furent implicitement compris dans le plan de conduite au dehors dicté à un roi par un homme d'État dont l'idéal au dedans était le pouvoir absolu[31].

Sur la question des droits de la France à un agrandissement qui lui donne ses frontières définitives, question souvent posée depuis trois siècles et aujourd'hui encore pendante, Henri IV disait : Je veux bien que la langue espagnole demeure à l'Espagnol, l'allemande à l'Allemand, mais toute la française doit être à moi[32]. Un contemporain de Richelieu, peut-être l'un de ses confidents, lui fait dire : Le but de mon ministère a été celui-ci : rétablir les limites naturelles de la Gaule, identifier la Gaule avec la France, et partout où fut l'ancienne Gaule constituer la nouvelle[33]. De ces deux principes, combinés ensemble et se modérant l'un l'autre, sortira, quand les temps seront venus, la fixation dernière du sol français, possédé par nous, à titre légitime et perpétuel, au nom du double droit de la nature et de l'histoire.

La conception d'un nouveau système politique de l'Europe fondé sur l'équilibre des forces rivales, et où la France exerçât, non à son profit mais pour le maintien de l'indépendance commune, l'ascendant ravi à l'Espagne, cotte conception de Henri le Grand, évanouie à sa mort comme un rêve, fut exécutée par Richelieu à force de négociations et de victoires. Quand le ministre de Louis XIII mourut épuisé de veilles patriotiques[34], l'ouvrage était presque à sa fin ; une habile persévérance, jointe à d'éclatants faits d'armes[35], amena, en moins de cinq ans, l'acte fondamental de la réorganisation européenne, le glorieux traité de Westphalie[36]. Cette partie de l'œuvre du grand homme d'État, sa politique extérieure, voilà ce qui de son temps fut le mieux compris, ce qui parut aux esprits élevés beau sans mélange[37] ; pour le reste, il y eut doute ou répugnance. Comme après le règne de Louis XI, l'opinion publique réagit contre l'action révolutionnaire du pouvoir. Les classes mêmes à qui devaient profiter le nivellement des existences nobiliaires et l'ordre imposé à tous furent moins frappées de l'avenir préparé pour elles, moins sensibles à l'excellence du but, qu'indignées de la violence des moyens et choquées par l'excès de l'arbitraire.

Cette réaction du tiers état contre la dictature ministérielle, c'est-à-dire contre ce qu'il y avait eu de plus hardiment novateur dans l'action du pouvoir royal, fut le principe et l'aliment des guerres civiles de la Fronde. J'aborde ici l'un des événements les plus curieux et en même temps les mieux connus du XVIIe siècle, un épisode vivement touché dans des mémoires lus de tout le monde, et, de nos jours, étudié à fond par des écrivains distingués[38] ; je n'en ferai point de récit même sommaire, le plan de cet essai consiste à passer vite sur les points où l'histoire parle, et à m'arrêter sur ceux où elle se tait. Dans les quatre années qu'embrasse le mouvement de la Fronde, il y a deux époques distinctes : l'une présente, extérieurement du moins, les caractères qui sont propres aux révolutions constitutionnelles des temps modernes ; l'autre ne fait que reproduire la physionomie des troubles du règne de Louis XIII et quelques traits effacés des troubles de la Ligue. La première seule rentre complètement et doit tenir une place importante dans l'histoire du tiers état ; c'est à elle que je bornerai mes remarques.

On sait dans quelles circonstances, au mois de juin 1648, les quatre cours souveraines, c'est-à-dire le parlement, la chambre des comptes, la cour des aides et le grand conseil se liguèrent pour résister ensemble au pouvoir royal exercé, sous Louis XIV mineur, par sa mère et par le cardinal Mazarin. On sait que cette coalition des compagnies judiciaires, faite, au nom de leur intérêt privé, pour le maintien gratuit du droit annuel[39], se tourna bientôt vers la défense des intérêts publics et la réforme de l'État. Le signal d'opposition donné par la haute magistrature rallia autour d'elle tout ce qui avait souffert ou souffrait encore du régime dictatorial imposé à la France par Richelieu, et conservé après lui sans sa force d'âme et son génie[40]. Non-seulement les intérêts blessés, mais les opinions, les consciences, les passions se soulevèrent ; une foule d'éléments divers, débris du passé ou germes d'avenir, contribuèrent à cette fermentation des esprits. Les justes griefs du peuple accablé d'impôts et les rancunes de la noblesse amoindrie dans ses privilèges ; les traditions de liberté, soit des états généraux, soit des provinces ou des villes, et l'idée d'une liberté supérieure née des études classiques et du progrès de l'intelligence moderne ; un besoin plus ou moins vague de garanties légales et de constitution régulière, enfin le travail des imaginations échauffées par l'exemple que donnait alors l'Angleterre, voilà de quels mobiles réunis vint aux événements de la première Fronde[41] leur caractère de puissance et de nouveauté ; voilà, en un mot, ce qui fit sortir un commencement de révolution du conflit tant de fois élevé entre la cour et les titulaires d'offices de judicature.

Quant à l'acte célèbre que délibérèrent soixante députés des cours souveraines, et qui fut comme une charte de droits imposée à la royauté sous forme d'arrêt du parlement[42], on ne saurait, de quelque façon qu'on le juge, en méconnaître l'importance. Pour la forme, c'était une usurpation du pouvoir législatif tentée à l'aide du privilège traditionnel de remontrance ; pour le fond, cette espèce de loi fondamentale concordait avec nos chartes modernes en donnant des garanties expresses contre l'impôt arbitraire et les détentions arbitraires. Son texte porte : Ne seront faites aucunes impositions et taxes qu'en a vertu d'édits et déclarations bien et dûment vérifiées ès cours souveraines, avec liberté de suffrages... — Aucun des sujets du roi, de quelque qualité et condition qu'il soit, ne pourra être détenu prisonnier passé vingt-quatre heures sans être interrogé suivant les ordonnances, et rendu à son juge naturel[43]. Outre le veto dans les questions de finance, les cours souveraines s'attribuaient le même droit sur les créations de nouveaux offices, et, ainsi armées contre toute loi qui eût modifié leur composition, elles devenaient en fait le premier pouvoir de l'État[44].

Si, chose impossible, la royauté, vaincue alors, se fût résignée à de pareilles conditions, le gouvernement de la France serait devenu une monarchie tempérée par l'action légale des corps judiciaires érigés en pouvoirs politiques. Qu'un tel établissement, plus régulier que la monarchie sans limites, eût vain moins qu'elle pour l'avenir du pays, cela ne peut être aujourd'hui un sujet de doute. Ce qu'il y a de sympathique pour nous dans cette ébauche de révolution, c'est le souffle qui l'inspira un moment, c'est l'instinct de démocratie que révèlent certains pamphlets de l'époque, et qui perce dans les discours des orateurs du parlement. Chez l'un des plus modérés, on trouve les maximes que voici : Les rois sont les égaux des autres hommes selon le principe commun de la nature, l'autorité seule nous distingue. — L'autorité que possèdent les souverains dépend de la soumission de leurs sujets. Les rois sont redevables de leur fortune et de leur puissance aux diverses classes d'hommes qui leur obéissent, et dont les grands sont la moindre partie. — Les fonctions des magistrats, l'industrie des artisans, la patience des soldats, tous ceux qui travaillent contribuent à l'établissement et à la conservation de la royauté. — Sans le peuple, tes États ne subsisteraient point, et la monarchie ne serait qu'une idée[45].

Suivant la marche constante des révolutions, il y eut dans la Fronde un moment de crise où le pouvoir, se relâchant de sa résistance, fit des concessions incomplètes[46], et où une voix formidable, celle du public, répondit : Il est trop tard. C'est alors qu'à la lutte légale succéda l'action violente, et qu'après un coup d'État de la cour[47] vint dans Paris cette journée d'émeute qui, renouvelant l'une des plus fameuses de la Ligue, fut nommée, comme elle, Journée des barricades. Un pareil nom appelle désormais sur la page d'histoire où il figure plus que l'intérêt de curiosité, car des souvenirs d'angoisse et de deuil viennent de s'y attacher pour nous. En lisant les faits du 27 août 1648 rapportés dans les mémoires du temps, on s'arrête pensif quand on rencontre des détails tels que ceux-ci : Tout le monde sans exception prit les armes ; l'on voyoit des enfants de cinq et de six ans avec des poignards à la main, on voyoit les mères qui les leur apportoient elles-mêmes. Il y eut dans Paris plus de douze cents barricades en moins de deux heures, bordées de drapeaux et de toutes les armes que la Ligue avait laissées entières. Dans la rue Neuve-Nostre-Dame, je vis entr'autres une lance traînée plutôt que portée par un petit garçon de huit ou dix ans, qui estoit assurément de l'ancienne guerre des Anglois[48].

Si les vieilles armes des Ligueurs se remontrèrent alors dans les mains du peuple de Paris, ce fut à la voix des passions nouvelles et pour des principes nouveaux ; l'esprit populaire de 1648 tenait moins du passé que de l'avenir. Une force toute plébéienne et purement politique venait de se dresser tout à coup en face du pouvoir royal, non pour le vaincre cette fois, les temps n'étaient pas mûrs, mais pour se rasseoir presque aussitôt sur elle-même, grandir sans cesse par le travail des idées, et reparaître, avec une puissance irrésistible, aux jours de 1789.

La déclaration royale du 24 octobre 1648[49] marqua pour la Fronde un second moment critique, répondant à ce point où parviennent les révolutions quand le pouvoir accepte, mais sans résignation et sans bonne foi, le pacte que la nécessité lui impose. Un temps d'arrêt plein de défiances et de tiraillements conduisit à la période extrême du mouvement révolutionnaire, à l'usurpation de toute l'autorité dans Paris par le parlement ayant pour auxiliaires les magistrats municipaux. Les mesures qui furent prises alors au nom du salut public, la levée d'impôts et de troupes régulières, l'organisation de la défense et de la police de la ville, l'appel d'union fédérative adressé à tous les parlements et à toutes les villes du royaume prouvent que la magistrature coalisée ne manquait ni d'audace ni d'énergie[50]. Sa marche en avant se continua, tant que pour la poursuivre elle n'eut besoin que des sympathies exaltées de la bourgeoisie et du peuple ; son écueil fut l'alliance que la force des choses l'obligea de faire avec les intérêts et les passions de la haute noblesse. Ce secours, plus que dangereux, devait l'entraîner hors de ses voies de probité et de patriotisme ; dès qu'elle le vit, elle recula. Ce fut l'honneur du parlement d'avoir répondu par l'indignation et le dégoût à ceux qui proposaient de donner à la cause populaire l'appui des ennemis de la France. Contraint de choisir entre une opposition inflexible et le devoir de tout bon citoyen, il n'hésita pas ; il fit sa paix avec la cour, au lieu de pactiser avec l'Espagne[51].

Un fait singulièrement remarquable de l'histoire de la Fronde, c'est l'accueil dédaigneux que firent les classes roturières à la convocation des états généraux ordonnée pour le 15 mars 1649[52]. Cet appel du pouvoir royal à l'autorité nationale des trois ordres, qu'il prenait pour arbitres dans sa querelle avec le parlement, fut écouté par la noblesse, mais non par le tiers état ; ni la bourgeoisie, ni le peuple des campagnes, ne se portèrent aux élections, leur foi politique n'était plus là ; détrompés sur la vertu de ces assemblées où les classes privilégiées comptaient deux voix contre une, ils aimèrent mieux poursuivre une expérience nouvelle sous la conduite des magistrats de leur ordre[53]. Les corps municipaux reconnurent l'autorité suprême du parlement[54] ; celui de Paris, avec son prévôt des marchands, ses échevins, ses conseillers, ses syndics de corporations industrielles, ses quarteniers, ses colonels et capitaines de milice, fut le pouvoir exécutif des lois faites par la compagnie souveraine[55]. Il n'est pas sans intérêt de suivre, dans les registres officiels, les actes de ce pouvoir qui s'empara de la Bastille, et qui eut quelque chose des errements de la fameuse commune de Paris[56].

Ce fut sans doute un jour d'orgueil pour la bourgeoisie parisienne que celui où un prince du sang parut devant les magistrats municipaux, et leur dit qu'ayant embrassé leur parti et celui du parlement, il venait habiter auprès d'eux pour s'occuper avec eux des affaires communes[57], où de grands seigneurs prêtèrent serment comme généraux des troupes de la Fronde, et où des femmes brillantes de noblesse et de beauté s'installèrent à l'hôtel de ville comme otages de la foi de leurs maris ; mais ce jour-là l'entreprise plébéienne contre le pouvoir absolu perdit son caractère de dignité et de nouveauté ; elle commença d'être une imitation de ce qui s'était vu sous la régence de Marie de Médicis. Ce que la révolte avait de sincère dans son esprit et de grave dans ses allures disparut quand les courtisans factieux, leurs mœurs et leurs intérêts y entrèrent.

La paix conclue à Saint-Germain, le 30 mars 1649, entre la cour et le parlement[58], termina ce qu'on peut nommer la période logique de la Fronde, c'est-à-dire celle où le mouvement d'opinion et l'action révolutionnaire partirent d'un principe, le besoin de lois fixes, pour marcher vers un but d'intérêt social, l'établissement de garanties contre l'arbitraire. L'acte final de cette paix sanctionna de nouveau la grande concession déjà faite, l'intervention du parlement de Paris dans les affaires générales, surtout dans les questions d'impôt. Ainsi le régime absolu cessa pour faire place à un régime de contrôle judiciaire ; mais, loin que ce changement, qui énervait tout le système administratif, fit naître un meilleur ordre et pacifiât la France, il n'en résulta que l'anarchie. Ce fut la destinée da parlement aux deux derniers siècles d'exciter chez la nation des désirs de liberté légale et d'être incapable de les satisfaire par rien d'efficace ou de sérieux. Dans la première année de la Fronde, son rôle eut une certaine grandeur, mais la suite le montra déchu de sa position dominante, ne dirigeant plus, se gouvernant à peine lui-même, tour à tour violent et timide, complice malgré lui de l'ambition des grands alliée aux passions de la multitude. Trois ans de guerre civile pour de pures questions de personnes, un pêle-mêle de complots aristocratiques et d'émeutes populaires, de frénésie et de frivolité, les scandales d'une galanterie sans pudeur joints à ceux de la révolte par égoïsme et d'un appel fait à l'étranger, des noms glorieux tout d'un coup souillés par le crime de trahison envers la France[59], enfin un massacre comploté contre la haute bourgeoisie par des démagogues à la solde des princes[60] : telles sont les scènes qui, du mois d'avril 1649 au mois de septembre 1652, remplissent et complètent l'histoire de la Fronde. Folles ou rebutantes, elles sont tristes à lire et encore plus à raconter.

Après un ébranlement qui, pour sa durée, avait eu peu de profondeur, la société française se raffermit sur ses nouvelles bases, l'unité et l'indépendance absolue du pouvoir. Le principe de la monarchie sans limites fut proclamé plus rudement que jamais au milieu d'un silence général[61], et l'œuvre de Richelieu, conservée par un ministre moins grand que lui, put, des mains de ce dernier, passer intacte aux mains d'un roi. Le jour où Louis XIV déclara en conseil qu'il voulait gouverner par lui-même[62], on comptait cinquante et un ans depuis la mort de Henri IV, et, dans cet intervalle, grâce à l'ordre puissamment créé ou habilement maintenu par la dictature ministérielle, l'état social et moral de la France avait fait d'immenses progrès. Au sortir des guerres civiles du xvi siècle, la nation, retirée désormais du double courant de passions religieuses qui l'avait entraînée en sens contraire dans le grand débat européen, ramena sa pensée sur elle-même, et se mit à chercher sa place originale dans l'ordre politique et dans l'ordre intellectuel. De là naquirent, pour le XVIIe siècle, deux tendances simultanées qui consistaient : l'une, à rendre libre et personnelle l'action de la France au dehors ; l'autre, à développer l'esprit français dans son individualité propre et son caractère natif.

Au siècle précédent, la renaissance des lettres avait été un mouvement d'idées commun à toute l'Europe civilisée ; elle nous plongea, comme les peuples voisins, dans l'étude et l'imitation de l'antiquité, elle ne nous créa point une littérature nationale ; ce travail devait venir plus tard. Il commença dès que le pays eut marqué son rôle comme puissance européenne ; notre langue se fixa en même temps que se fondait notre politique, et la réforme de Malherbe fut contemporaine des projets de Henri IV. Pendant que ces projets s'accomplissaient par Richelieu et par Mazarin, l'intelligence française trouvait ses véritables voies et y marchait à pas de géant ; elle atteignait à la plus haute des méthodes philosophiques, au sublime en poésie et à la perfection de la prose ; elle livrait à l'admiration des hommes trois noms d'une grandeur impérissable, Descartes, Corneille et Pascal.

A la révolution d'idées qui, en France, mit l'empreinte nationale sur la philosophie, la littérature et l'art[63], se joignit une révolution de mœurs. On vit, dans la chaleur de ce nouveau mouvement de vie intellectuelle, la haute société polie s'organiser sur un pied tout nouveau. L'esprit y compta désormais pour une distinction égale à toutes les autres, les hommes de lettres sans naissance y entrèrent, non plus comme domestiques ou protégés des princes et des grands, mais à titre personnel. La conversation entre les deux sexes, étendue par la mode elle-même aux sujets les plus élevés et les plus graves, fonda ce pouvoir des salons, qui devait s'exercer chez nous de concert avec le pouvoir des livres[64]. En un mot, la bourgeoisie lettrée gagna dans le monde du loisir l'influence dont elle jouissait déjà dans le monde des affaires ; elle fut mêlée à tout, et eut en quelque sorte des postes avancés partout,

C'est d'elle que vinrent à la fois, au XVIIe siècle, l'agitation politique par la Fronde, et l'agitation religieuse par le jansénisme, tentative de réforme intérieure du dogme et de la discipline catholiques, doctrine plus rigide pour la croyance et plus libre envers l'autorité, qui fut l'un des ressorts moraux de la révolte des corps judiciaires contre le pouvoir absolu. Cette doctrine sans portée sociale, mais illustrée par les grands caractères et les grands esprits qui la soutinrent, tient une place considérable, quoique indécise, dans l'histoire du tiers état[65]. Liée aux efforts successifs de l'opposition parlementaire, elle servit d'aliment à l'esprit de discussion jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, jusqu'au temps où cet esprit fut transporté, avec une audace et une puissance inouïes, dans la sphère philosophique, où, au-dessus de toute tradition, il alla chercher, pour les faire descendre dans la loi, les principes éternels de raison, de justice et d'humanité.

 

 

 



[1] Le parlement disait de lui-même qu'il était les états généraux au petit pied.

[2] Dans ses remontrances à Louis XIII (1615), le parlement se vante de tenir la place du conseil des princes et barons, qui de toute ancienneté étaient près de la personne des rois, voire avec l'état, et il ajoute : Pour marque de ce, les princes et taira de France y ont toujours en séance et voix délibérative, et aussi y ont été vérifiés les lois, ordonnances et édits, créations d'offices, traités de paix et autres plus importantes affaires du royaume et dont lettres patentes lui sont envoyées pour, en toute liberté, les mettre en délibération, en examiner le mérite, y apporter modification raisonnable, voire même que ce qui est accordé par nos états généraux doit être vérifié en votre cour, où est le lieu de votre trône royal et le lit de votre justice souveraine. (Des états généraux, etc., t. XVII, IIe partie, p. 142.)

[3] On en vit un exemple en 1615 à propos du droit annuel d'où provenait l'hérédité des charges. La chambre du tiers état en avait demandé l'abolition, quoique la plupart de ses membres fussent officiers de judicature. Le parlement, dés que les cahiers eurent été remis au roi, s'assembla pour protester contre cette réforme, et pour dénoncer en même temps les abus de l'administration, faisant ainsi un mélange bizarre de l'intérêt publie et de son intérêt particulier. Le lundi neuvième jour du dit mois de mars, il y eut un grand contraste dans le parlement pour raison de la paillette et de plusieurs autres affaires d'importance auxquelles ce grand et auguste corps vouloit pourvoir... Ils firent réponse qu'ils venoient prendre leurs places pour aviser eux affaires, non pas pour le seul sujet de la paillette, mais du royaume, qui étoit régi et gouverné à la volonté de deux ou trois ministres d'État qui bouleversoient les règles et loir de la monarchie... Les voici donc aux opinions, qui ne regardent plus particulièrement le bien universel de l'État (comme ce qui s'étoit dit le jour précédent sembloit le promettre) ; les plus zélés alloient au bien public, les autres portoient leurs coups et leurs flèches au seul intérêt particulier des officiers, pour empêcher l'extinction du droit annuel, sous la foi duquel plusieurs s'étoient flattés d'être dedans les charges, comme dans un bien héréditaire et patrimonial. (Relation de Flor. Rapine, IIIe partie, p. 130, 131 et 137.)

[4] Messieurs du parlement se rassemblèrent pour continuer le reste de leur opinion, afin d'arrêter quelque chose sur œ qui émit à faire et mis en délibération entre eux. Toute la France avait les yeux arrêtés sur ce grand aréopage, et étoit aux écoutes pour apprendre avec applaudissement ce que produiroit le conclave du premier sénat de l'Europe, en un temps si désespéré et corrompu auquel on croyoit qu'il suppléeroit au défaut de la foiblesse et pusillanimité des états qui n'avoient parlé que par truchement et par l'ordre et suivant la volonté de ceux qui n'avaient désiré des députés que l'approbation et confirmation de ce qui avait été géré et manié dans l'État depuis la mort du défunt roi... Je prie Dieu qu'il illumine leurs entendements des rayons de son Saint-Esprit, enflamme et renforce leurs courages pour faire produire plus de bien au pauvre peuple que les étais n'ont pas fait. (Relation de Flor. Rapine, IIIe partie, p. 141 et 143.) Ces paroles, écrites à propos d'une assemblée de toutes les chambres antérieure au 28 mars, sont à plus forte raison applicables à la décision de ce four.

[5] Des états généraux, etc., t. XVII, 2e partie, p. 141-144.

[6] Des états généraux, etc., t. XVII, partie, p. 172 et suivantes.

[7] Les ducs de Rohan, de Soubise et de la Trémouille, et même le duc de Sully.

[8] Voulant donner tout le contentement qu'il lui est possible à ses sujets de la religion prétendue réformée, sur les demandes et requêtes qui lui ont été faites de leur part, pour ce qu'ils ont estimé leur être nécessaire, tant pour la liberté de leurs consciences que pour l'assurance de leurs personnes, fortunes et biens... Sadite Majesté, outre ce qui est contenu en l'édit qu'elle a nouvellement résolu... leur a accordé et promis que toutes les places, villes et châteaux qu'ils tenoient jusqu'à la fin du mois d'août dernier esquelles y aura garnisons, par l'état qui en sera dressé et signé par sa Majesté, demeureront en leur garde sous l'autorité et obéissance de Sadite Majesté, par l'espace de huit ans, à compter du jour de la publication dudit édit. Et pour les autres qu'ils tiennent, où il n'y aura point de garnisons, n'y sera point altéré ni innové... Et ce terme desdites huit années expie, combien que Sa Majesté soit quitte de la promesse pour le regard desdites villes, et eux obligés de les lui remettre, toutefois elle leur a encore accordé et promis que si esdites villes elle continue après ledit temps d'y tenir garnisons ou y laisser un gouverneur pour commander, qu'elle n'en dépossédera point celui qui s'en trouvera pourvu pour y en mettre on autre. (Articles annexés à l'édit de Nantes. Dumont, Corps diplomatique, t. V, 1re partie, p. 557 et 558.)

[9] Le 6 mai 1616.

[10] Voyez l'édit donné à Blois, au mois de mai 1616, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 83.

[11] Mémoires de Sully, collect. Michaud, 2e série, t. II, p. 388.

[12] 1624.

[13] Voyez le Testament politique du cardinal de Richelieu.

[14] Lorsque Votre Majesté se résolut de me donner en même temps et l'entrée de ses conseils et grande part en sa confiance pour la direction de ses agraires, je puis dire avec vérité que les huguenots partageaient l'État avec elle ; que les grands se conduisoient comme s'ils n'eussent pas été ses sujets, et les plus puissants gouverneurs des provinces comme s'ils eussent été souverains en leurs charges... Je puis encore dire que les alliances étrangères étaient méprisées ; les intérêts particuliers préférez aux publics : en on mot, la dignité de la majesté royale étoit tellement ravallée et si différente de ce qu'elle devait être, par le défaut de ceux qui avoient lors la principale conduite de nos affaires, qu'il étoit presque impossible de la reconnoître. (Testament politique de Richelieu, 1re partie, p. 5, Amsterdam, 1788.)

[15] Les intérêts publics doivent être l'unique fin de prince et de ses conselliers. (Testament politique de Richelieu, 2e partie, p. 222.) — Croire que, pour élire fils ou frère du roi ou prince du sang, on puisse impunément troubler le royaume, c'est se tromper. Il est plus raisonnable d'assurer le royaume et la royauté que d'avoir égard à leurs qualités... Les fils, frères et autres parents des rois sont sujets aux lois comme les autres, et principalement quand il est question du crime de lèse-majesté. (Mém. du cardinal de Richelieu, collect. Michaud, 2e série, t. VIII, p. 407.)

[16] Le curé lui demandant s'il ne pardonnoit point à ses ennemis, il répondit qu'il n'en avoit point que ceux de l'État. (Mém. de Montglat, collect. Welland, 3e série, t. V, p. 133.) — Voyez aussi Mém. de Monchal, Rotterdam, 1718, p. 268.

[17] Le cardinal de Richelieu a fait des crimes de ce qui faisoit dans le siècle passé les vertus des Miron, des Harlay, des Marillac, des Pibrac et des Faye. Ces martyrs de l'Estat, qui, par leurs bonnes et saintes maximes, ont plus dissipé de factions que l'or d'Espagne et d'Angleterre n'en a faict sistre, ont esté les défenseurs de la doctrine pour la Conservation de laquelle le cardinal de Richelieu confina M. le président Harillou à Amboise et c'est lui qui a commencé à punir les magistrats pour avoir advancé des vérités pour lesquelles leur serment les oblige d'exposer leur propre vie. (Mém. du cardinal de Retz, collect. Michaud et Poujoulat, p. 50.)

[18] La séance d'ouverture eut lieu le 2 décembre, dans la grande salle des Tuileries.

[19] Voyez son discours et celui du garde des sceaux Marillac, dans le procès-verbal de l'assemblée de 1626. Des états généraux, etc., t. XVIII, p. 207 et suivantes.

[20] Voyez dans les Recherches de Forbonnais, t. I, p. 205, les extraits qu'il donne des résolutions de l'assemblée ; voyez aussi la déclaration du roi du 1er mars 1627 ; Des états généraux, etc., t. XVIII, p. 292 et suivantes.

[21] M. Henri Martin, Histoire de France, t. XII, p. 527.

[22] Les gens de robe affectèrent de ridiculiser l'ordonnance de 1629 en l'appelant Code Michau, du prénom de son rédacteur, le garde des sceaux Michel de Marillac. — Voyez, sur l'opposition parlementaire à cette ordonnance, les Mémoires du cardinal de Richelieu, collect. Michaud et Poujoulat, 2e série, t. VII, p. 587 et suivantes.

[23] Celle de 1617 dont je n'ai pas fait mention, et celle de 1626. — Ordonnance sur les plaintes des états assemblés à Paris en 1614, et de l'assemblée des notables réunis à Rouen et à Paris en 1617 et 1626. Recueil des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 223 et suivantes.

[24] Ordonnances de 1629, art. 206 et 207. — Voyez plus haut, chap. VII, l'analyse du cahier de 1615.

[25] ... Ordonnons que les élections des prévôts des marchands, maires, échevins, capitouls, jurais, consuls, procureurs, syndics... et autres charges des villes seront faites ès manières accoutumées, sans brigues et monopoles, des personnes plus propres et capables à exercer telles charges pour le bien de notre service, repos et sûreté desdites villes... Et afin de maintenir nos sujets avec plus d'ordre et de tranquillité, voulons et ordonnons que les corps et maisons de ville et la manière de leurs assemblées et administration, en tout notre royaume, soient, autant que faire se pourra, réduites à la forme et manière de celle de notre bonne ville de Paris... (Ordonnances de 1629, art. 412.)

[26] Ordonnances de 1629, art. 221.

[27] Ordonnances de 1629, art. 452.

[28] Ordonnances de 1629, art. 429.

[29] Aux termes du traité d'Alais, 23 juin 1629, l'édit de Nantes fut confirmé et juré solennellement par le roi.

[30] Voyez les lettres patentes de janvier 1633 pour l'établissement de l'Académie française ; les lettres de création de la charge de surintendant de la marine et de la navigation, octobre 1626 ; les lettres de juillet et novembre 1634, et l'édit de mars 1642, pour la formation et le soutien d'une compagnie des Indes occidentales. Recueil des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 418, 194, 409, 415 et 540.

[31] Il est curieux de voir dans quels termes de dévouement à la cause de l'émancipation européenne lui-même parle de son intervention dans les affaires de l'Italie, de l'Allemagne et des Pays-Bas. À chaque événement militaire ou diplomatique, il s'agit d'affranchir un prince ou un peuple de l'oppression des Espagnols, de la tyrannie de la maison d'Autriche, de la terreur causée par l'avidité insatiable de cette maison ennemie du repos de la chrétienté, d'arrêter ma usurpations, de lui faire rendre ce qu'elle a usurpé en Suisse ou en Italie, de garantir toute l'Italie de son injuste oppression, de veiller au salut de toute l'Italie, de sauver et d'assurer contre l'Autriche les droits des princes de l'Empire. (Testament politique du cardinal de Richelieu, 1re partie, chap. p. 9, 10, 14, 15, 18, 24, 25 et 26.)

[32] Histoire du règne de Henri le Grand, par Mathieu, t. II, p. 441.

[33] Testamentum politicum, ap. Petri Labbe Elogia sacra, etc., ed. 1706, p. 253 et suivantes. — La pièce qui renferme ces mots remarquables, et qui parut moins d'un an après la mort du cardinal, est une amplification incrustée, selon toute apparence, de paroles textuellement recueillies de sa bouche. Richelieu aimait à s'épancher avec ses amis ; il dictait beaucoup à ceux qui l'entouraient, et, comme on l'a vu pour Napoléon, des personnes curieuses prenaient note de ses entretiens.

[34] Le 4 décembre 1642.

[35] Les victoires de Rocroi, de Nordlingen et de Lens.

[36] Signé à Munster, le 24 octobre 1648.

[37] Voiture, dans l'une de ses lettres, se place, pour juger Richelieu encore vivant, au point de vue de la postérité : Lorsque, dans deux cents ans, ceux qui viendront après nous liront en notre histoire que le cardinal de Richelieu... s'ils ont quelque goutte de sang françois dans les Veines et quelque amour pour la gloire de leur pays, pourront-ils lire ces choses sans s'affectionner à lui ; et, à votre avis, l'aimeront-ils ou l'estimeront-ils moins à cause que, de son temps, les rentes sur l'hôtel de ville se seront payées un peu plus tard, ou que l'on aura mis quelques nouveaux officiers dans la chambre des comptes ? Toutes les grandes choses coûtent beaucoup. (Lettre LXXIV, édit. de 1701, p. 179.)

[38] M. de Saint-Aulaire, Histoire de la Fronde ; et M. Bazin, Histoire de France sous le ministère du cardinal Mazarin.

[39] Ce droit, condition de l'hérédité des charges, n'était établi que pour neuf ans. A son expiration, eu 1648, l'édit par lequel il fut renouvelé pour le terme ordinaire imposa aux officiers des compagnies la retenue de quatre années de leurs gages. — Voyez plus haut, chapitre VII.

[40] Depuis la mort du roi Louis XIII, d'heureuse mémoire, quoique les princes, grands seigneurs et officiers, à cause des ressouvenances des énormes injustices et maux intolérables qui leur ont été faits et à tout le royaume, par ceux qui s'étaient emparés de la puissance absolue près du roi sous le nouveau nom de premier ministre d'État, eussent protesté hautement de ne plus souffrir qu'un particulier s'élevât ainsi sur les épaules des rois et à l'oppression du monde, néanmoins, par le trop de bonté qu'ils ont eu, il est avenu qu'un étranger, nommé Jule Mazarin, s'est installé dans ce souverain ministère. (La Requête des trois états présentée à MM. du parlement, en 1648 [pamphlet de temps], Mémoires d'Omer Talon, collect. Michaud, 3e série, t. VI, p. 316.)

[41] Celle de 1648 et 1649.

[42] Délibérations arrêtées en l'assemblée des cours souveraines, tenue et commencée en la chambre de Saint-Louis, le 30 juin 1648. Recueil des anciennes lois françaises. t. XVII, p. 72 et suivantes.

[43] Délibérations des cours souveraines, etc., art. 3 et 6. — L'article 3 prononçait la peine de mort contre toute personne employée à l'assiette ou au recouvrement d'impôts non vérifiés ; on donnait à l'article 6 le nom d'article de la sûreté publique.

[44] Qu'il ne pourra à l'avenir être fait aucune création d'offices, tant de judicature que de finance, que par édits vérifiez ès cours souveraines, avec la liberté entière des suffrages, pour quelque cause, occasion, et sous quelque prétexte que ce soit, et que l'établissement ancien desdites compagnies souveraines ne pourra être changé ni altéré. (Ibid., art. 19.)

[45] Mémoires d'Omer Talon, collect. Michaud, 3e série, t. VI, p. 259. J'ai touché çà et là au texte original, pour le rendre plus clair, en le dégageant de ta forme oratoire ou de locutions quelque peu vieillies.

[46] Voyez les édits rendus dans le courant de juillet 1648, et surtout la déclaration du roi vérifiée au parlement en lit de justice le dernier jour du mois et intitulée : Règlement sur le fait de la justice, police et finances et le soulagement des sujets du roi. Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p 84 et suivantes.

[47] L'arrestation du conseiller Broussel et des présidents Charton et Blancmesnil.

[48] Mémoires du cardinal de Retz, collection Michaud, 5e série, t. I, p. 67. — La face de la ville de Paris étoit méconnaissable ; tous les hommes jeunes et vieux, et petits enfants depuis l'âge de douze ans, avoient les armes à la main... Nous trouvâmes depuis le Palais jusques au Palais-Royal huit barricades faites par les chaînes tendues ès lieux où il y en doit avoir, par des poutres mises en travers, par des tonneaux remplis de pavés, ou de terre, ou de moellons ; outre plus toutes les avenues des rues traversantes étoient aussi barricadées, et à chacune barricade un corps de garde composé de vingt-cinq ou trente hommes armés de toutes sortes d'arnica, tous les bourgeois disant hautement qu'ils étoient au service du parlement... Chose étrange que dans la maison du roi les officiers domestiques nous disoient : Tenez bon, l'on vous rendra vos conseillers, st, dans les gardes françoises, les soldats disoient tout haut qu'ils ne combattroient point contre les bourgeois, et qu'ils mettroient les armes bas, tant était grand le mépris du gouvernement. (Mémoires d'Opter Talon, ibid., t. VI, p. 265-266.)

[49] Déclaration du roi portant règlement sur le fait de la justice, police, finances et soulagement des sujets de Sa Majesté. (Mémoires d'Omer Talon, ibid., t. VI, p. 293.) — Cette ordonnance n'est que la confirmation des articles délibérés dans la chambre de Saint-Louis.

[50] ..... Ensuite la cour délibéra des moyens de la conservation publique, et pour y parvenir arrêtèrent de former un million de livres. (Mémoires d'Omer Talon. coll. Michaud, 2e série, t. VI, p. 321.) — Arrêt du parlement qui déclare le cardinal Mazarin ennemi du roi et de l'État, et ordonne une levée de gens de guerre, 8 janvier 1649. — Idem faisant défense à tous capitaines et soldats d'approcher à vingt lieues de Paris, et enjoignant aux villes, bourgs et communes de leur courir sus, 10 janvier. — Idem qui ordonne l'expropriation nécessaire pour fortifier par des retranchements les faubourgs de Paris, 12 janvier. — Lettre du parlement de Paris aux autres parlements du royaume, 18 janvier. — Lettre aux baillis, sénéchaux, maires, échevins et autres officiers du royaume, mime date. — Arrêt du parlement de Paris qui ordonne que tous les deniers publics du ressort seront versés dans les coffres de l'hôtel de ville, 19 janvier. — Arrêts par lesquels il déclare sa jonction avec les parlements de Provence et de Normandie, 28 janvier et 5 février. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 115, 118, 119, 121, 147 et 155 ; Registres de l'hôtel de ville de Paris pendant la Fronde, publiés par MM. Leroux de Lincy et Douët d'Arcq, t. Ier, p. 129 et 151)

[51] 11 mars 1649.

[52] Voyez la lettre circulaire du roi pour cette convocation, 25 janvier. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 144 ; voyez aussi les lettres du 4 avril 1651, ibid., p. 241 et 242.)

[53] Un arrêt du parlement de Bretagne, touchant la convocation des états généraux et celle des états particuliers de lu province, porte ce qui suit : La cour... a arresté que le roi sera très-humblement supplié d'avoir pour agréable que l'ordre de tout temps observé pour la convocation des états généraux soit inviolablement gardé, el qu'ils ne soient assemblés que par lettres patentes vérifiées en parlement, et de surseoir la tenue des états de la province ; et cependant fait inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de s'y trouver et de s'assembler sous prétexte desdits états. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 160.) — Il n'y eut que des élections incomplètes, et la réunion des états fut ajournée indéfiniment ; après deux ans, et sur les instances de la noblesse, elle fut ordonnée de nouveau avec de nouveaux choix de députés pour le 8 septembre 1651. Mais, cette fois comme l'autre, les élections, surtout celles du tiers état, n'eurent point lieu dans toute la France. Voyez ibid., p. 230 et suivantes.

[54] Parmi les villes dont l'adhésion fut déclarée, on peut compter celles de la Normandie, de la Provence, du Poitou, de la Guyenne, du Languedoc, Amiens, Péronne, Mézières, le Mans, Rennes, Angers, Tours, et beaucoup d'autres.

[55] Les arrêts politiques du parlement se terminent par cette formule : Enjoinct au prévoit des marchands et eschevins de tenir la main à l'exécution ; et les ordonnances de la ville portent en général celle-ci : Conformément à l'arrêt de nosseigneurs de la cour de parlement. Voyez les Registres de l'hôtel de ville de Paris, publiés par MM. Leroux de Lincy et Douët d'Arcq.

[56] Registres de l'hôtel de ville de Paris, t. Ier, p. 102, 130 et passim.

[57] Le prince de Conti, Registres de l'hôtel de ville de Paris, p. 118.

[58] Voyez le traité signé à Ruel le 11 mars, et l'édit pour le rétablissement de la tranquillité publique, enregistré le 1er avril. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 161 et 164.)

[59] Turenne et le grand Condé.

[60] Massacre de l'hôtel de ville, 4 juillet 1652.

[61] Nous avons fait et faisons très-expresses inhibitions et défenses aux gens tenant notre dite cour de parlement de Paris de prendre ci-après connaissance des affaires générales de notre État et de la direction de nos finances, ni de rien ordonner, ni entreprendre, pour raison de ce, coutre ceux à qui nous en avons confié l'administration, à peine de désobéissance ; déclarant dès à présent nul et de nul effet tout ce qui a été ci-devant ou pourrait être ci-après résolu et arrêté sur ce sujet dans ladite compagnie au préjudice de ces présentes, et voulons qu'en ce cas nos autres sujets n'y aient aucun égard. (Déclaration du 21 octobre 1652. Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 300.)

[62] Le 9 mars 1661.

[63] Il faut joindre le nom de Poussin aux trois grands noms déjà cités.

[64] Voyez l'écrit de Rœderer intitulé : Mémoire pour servir à l'histoire de la société polie en France.

[65] Voyez l'ouvrage de M. Sainte-Beuve, intitulé : Port- Royal.