ESSAI SUR L'HISTOIRE DE LA FORMATION ET DES PROGRÈS DU TIERS ÉTAT

 

CHAPITRE IV. — LES ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1484 ; LE TIERS ÉTAT SOUS LOUIS XII, FRANÇOIS Ier ET HENRI II.

 

 

SOMMAIRE : États généraux de 1484. — Demande de garanties éludée ; progrès sous le régime arbitraire. — Commencement des guerres d'Italie. — Renaissance des lettres et des arts. — Rôle politique du parlement de Paris. — Règne de Louis XII, prospérité publique. — Ordonnance de 1499. — Rédaction et réformation des coutumes. — Règnes de François Ier et de Henri II, continuation du progrès en tout genre. — Luxe des bâtiments, goût du beau chez la noblesse. — Offices tenus par le tiers état, classe des gens de robe. — Ambition des familles bourgeoises, grand nombre d'étudiants. — La classe des capitalistes appelés financiers.

 

Quelque salutaire que soit par intervalles, dans la vie des nations, le despotisme d'un homme supérieur, il est rare que son action prolongée n'amène pas, chez les contemporains, une fatigue extrême qui les fait rentrer avec joie sous le gouvernement des esprits ordinaires ou dans les hasards de la liberté politique. La mort de Louis XI parut une délivrance universelle, et fut suivie de la convocation des états généraux du royaume. Ce fut le 5 janvier 1484 que se réunit cette assemblée, à qui était remis d'un commun accord le pouvoir de juger souverainement l'œuvre du dernier règne, d'en condamner ou d'en absoudre les actes, de faire et de défaire après lui[1]. Jamais à aucune tenue des trois états les conditions d'une véritable représentation nationale n'avaient été aussi complètement remplies ; toutes les provinces du royaume, langue d'Oïl et langue d'Oc, se trouvaient réunies dans une seule convocation ; l'élection, pour les trois ordres, s'était faite au chef-lieu de chaque bailliage, et les paysans eux-mêmes y avaient pris part ; enfin, au sein des états, la délibération eut lieu, non par ordres, mais par têtes, dans six bureaux correspondant à autant de régions territoriales. Jamais aussi, depuis l'assemblée de 1356, la question du pouvoir des états n'avait été si nettement posée et si hardiment débattue. Il y eut des éclairs de volonté et d'éloquence politiques, mais tout se passa en paroles qui ne purent rien, ou presque rien, contre les faits accomplis. On eut beau vouloir en quel lue sorte effacer le règne de Louis XI et reporter les choses au point où Charles VII les avait laissées en mourant ; l'impulsion vers la centralité administrative une et absolue était trop forte, et, de ces discussions, pleines de vie et d'intérêt dans le journal qui nous eu reste, il ne résulta de fait que quelque tempérament, des promesses et des espérances bientôt démenties[2].

Parmi les discours prononcés dans cette assemblée, il en est un qu'on ne peut lire aujourd'hui sans étonnement, car il contient des propositions telles que celles-ci : La royauté est un office, non un héritage. — C'est le peuple souverain qui dans l'origine créa les rois. — L'État est la chose du peuple ; la souveraineté n'appartient pas aux princes, qui n'existent que par le peuple. — Ceux qui tiennent le pouvoir par force ou de toute autre manière sans le consentement du peuple sont usurpateurs du bien d'autrui. — En cas de minorité ou d'incapacité du prince, la chose publique retourne au peuple, qui la reprend comme sienne. — Le peuple, c'est l'universalité des habitants du royaume ; les états généraux sont les dépositaires de la volonté commune. — Un fait ne prend force de loi que par la sanction des états, rien n'est saint ni solide sans leur aveu[3]. Ces maximes, d'où devaient sortir nos révolutions modernes, furent proclamées alors, non par un mandataire des classes plébéiennes, mais par un gentilhomme, le sire de la Roche, député de la noblesse de Bourgogne ; elles n'étaient autres pour lui que ses traditions de caste rendues généreuses par une raison élevée et par quelque notion de l'histoire grecque et romaine. Mais les traditions du tiers état ne lui disaient rien qui pût le conduire à un pareil symbole de fui politique ; il était encore trop près de ses origines, trop attaché à ses errements héréditaires. Il laissa passer les principes qui, trois siècles après, devinrent son arme dans la grande lutte révolutionnaire, et il ne se passionna que pour le redressement de griefs matériels et pour la question des taxes permanentes et arbitraires. C'est sur ce point seulement que fut soutenu par les députés de la roture le droit des états généraux que d'autres posaient comme libres et souverains en toute matière[4].

Le mouvement politique de 1357 n'était plus possible en 1484 ; il avait eu pour principe l'esprit de liberté municipale à son plus haut degré d'énergie. Le rêve d'Étienne Marcel et de ses amis était une confédération de villes souveraines ayant Paris à leur tête, et gouvernant le pays par une diète sous la suzeraineté du roi. Or, ce vieil esprit de la bourgeoisie française avait graduellement disparu pour faire place à un autre moins désireux de droits locaux et d'indépendance personnelle que d'ordre public et de vie nationale. Aux états de 1484, le bureau où votaient les députés de Paris fut le premier à faire des concessions qui obligèrent l'assemblée à élever le taux de la somme d'argent qu'elle avait résolu d'accorder. En tout les représentants de la bourgeoisie, autant qu'on peut distinguer leur part dans des résolutions votées par tête et non par ordre, s'attachèrent aux choses purement pratiques et d'intérêt présent. On ne les vit point, comme l'échevinage et l'Université de Paris en 1415, présenter un système nouveau d'administration ; le règne de Louis XI n'avait rien laissé à concevoir en ce genre d'important ni de possible. Il n'y avait plus qu'à glaner après lui, ou qu'à détendre les ressorts du gouvernement qu'il avait forcés sur tous les points, qu'à demander l'accomplissement de ses projets restés en arrière, et la guérison des maux qu'il avait causés par la fougue et les inadvertances de sa volonté absolue. Les principaux articles du chapitre du tiers état dans le cahier général des trois ordres furent : la diminution des impôts et la réduction des troupes soldées, la suppression de la taille comme taxe arbitraire, la reprise des portions aliénées du domaine royal, la mise en vigueur des actes garantissant les libertés de l'Église gallicane, et la rédaction par écrit des coutumes, qui devait être un premier pas vers l'unité de loi[5].

L'assemblée de 1484 eut soin de ne voter aucun subside qu'à titre de don et d'octroi. Elle demanda la convocation des états généraux sous deux ans, et elle ne se sépara qu'après en avoir reçu la promesse[6]. Mais les quatorze années du règne de Charles VIII s'écoulèrent sans que les états eussent été une seconde fois convoqués, et les taxes furent de nouveau levées par ordonnance et réparties sans contrôle. A en juger par le zèle des trois ordres à faire une loi de leur consentement, et par le tableau que leurs cahiers traçaient de la misère du peuple accablé sous le faix des impôts, ce fut une grande déception ; tout semblait dire que la monarchie absolue menait le pays à sa ruine, et pourtant il n'en fut rien. Le pays resta sous le régime arbitraire ; il eut à supporter encore les abus, souvent énormes, de ce régime ; il souffrit sans doute, mais, loin de décliner, ses forces vitales s'accrurent par un progrès sourd et insensible. Il y a pour les peuples des souffrances fécondes comme il y en a de stériles ; la distinction des unes et des autres échappe aux générations qui les subissent ; c'est le secret de la Providence, qui ne se révèle qu'au jour marqué pour l'accomplissement de ses desseins. Chose singulière, ce fut dans le temps même où la voix publique venait de proclamer avec amertume l'épuisement prochain du royaume, que fut résolue, par un coup de tète follement héroïque de Charles VIII, l'invasion du sud de l'Italie, la plus lointaine expédition que la France eût encore faite. Il fallut dépasser en armements les dépenses du règne de Louis XI ; une longue paix semblait être le seul moyen de salut, et l'ère des grandes guerres s'ouvrit pour la nation, sans crise au dedans et avec honneur au dehors.

Au XIIe siècle, la renaissance des institutions municipales avait été le contre-coup d'une révolution opérée en Italie ; la renaissance du droit romain au XIIIe siècle nous était venue des écoles italiennes ; à la fin du XVe, une autre initiation de l'Italie, la renaissance des lettres eut lieu pour nous, mais à la faveur d'événements déplorables, de cinquante ans de guerre au delà des Alpes. Une fois ouvert par nos armes et par ses discordes à l'occupation étrangère, le pays qui gardait et fécondait pour le monde les traditions du génie romain devint le champ de bataille et la proie des monarchies européennes. Il perdit l'indépendance orageuse qui avait fait sa vie, et dès lors il déclina sans cesse au milieu des progrès de la civilisation moderne.

La France eut le malheur de porter les premiers coups pour cette grande ruine, et, mise en contact, quoique violemment, avec les États libres et les principautés d'Italie, elle puisa dans ces relations soit hostiles, soit amicales, un esprit nouveau, le culte des chefs-d'œuvre antiques et la passion de renouveler, par leur étude, toutes les idées et tous les arts. Par cette révolution intellectuelle, en même temps qu'une voie plus large et plus sûre fut ouverte au génie national, il s'établit en quelque sorte une communion de la pensée pour les hommes d'élite que la séparation des rangs et des classes tenait à distance l'un de l'autre ; quelque chose d'uniforme infusé par l'éducation littéraire atténua de plus en plus les différences traditionnelles d'esprit et de mœurs. Ainsi se prépara par degrés l'avènement d'une opinion publique nourrie dans la nation tout entière de toutes les nouvelles acquisitions du savoir et de l'intelligence. Cette opinion, qui s'est emparée de tout et a tout transformé depuis un siècle, date, pour qui veut marquer ses origines, du temps où commence à se former, au-dessus de la tradition indigène, des préjugés de caste, d'état et de croyance, un fonds commun d'idées purement laïques, d'études sorties d'une source autre que celle des écoles du moyen âge.

En dépit des maximes qui avaient retenti à la tribune de 1484 : Souveraineté du peuple, Volonté du peuple, Droit de possession du peuple sur la chose publique, rien ne changea quant au caractère des états généraux ; ils furent depuis lors ce qu'ils étaient auparavant, un recours suprême dans les temps de crise, non une institution régulière et permanente. On dirait que ce fut la destinée ou l'instinct de la nation française de ne point vouloir sérieusement la liberté politique tant que l'égalité serait impossible. C'est du tiers état brisant le régime des ordres et réunissant tout à lui que devait émaner chez nous le premier essai d'une vraie constitution représentative. Les états généraux, sous Charles VIII, avaient demandé que leur droit d'intervention fût déclaré permanent et leur tenue périodique[7] ; entre ce vœu et l'inauguration du gouvernement par assemblées il s'écoula plus de trois siècles. Dans cet intervalle se place un grand fait particulier à notre histoire, le rôle politique du parlement de Paris. C'est du sein de la corporation de bourgeois légistes, qui, investie de l'autorité judiciaire, avait fondé pour le roi le pouvoir absolu, et pour la nation le droit commun, que sortit au xvi' siècle un contrôle assidu, éclairé, courageux des actes du gouvernement.

De simples formalités sans conséquence apparente, l'usage de promulguer les édits royaux en cour de parlement, et de les faire inscrire sur des registres que la cour avait sous sa garde, ouvrirent à ce corps de judicature la route qui le conduisit à s'immiscer dans les affaires de l'État. Suivant les formes juridiques dont le parlement ne se départait en aucune circonstance, l'enregistrement de chaque loi nouvelle avait lieu par suite d'un arrêt ; or, nul arrêt n'étant rendu sans délibération préalable, de ce fait résulta peu à peu le droit d'examen, de critique, d'amendement, de protestation et même de veto par le refus d'enregistrer. A l'époque où nous sommes parvenus, cette prétention à une part de la puissance législative ne s'était pas montrée au grand jour, mais elle couvait, pour ainsi dire, sous des apparences de soumission absolue à la volonté royale et de ferme propos de ne point s'aventurer hors du cercle des fonctions judiciaires[8]. Le règne de Louis XII vit commencer le double changement qui fit de la haute cour de justice une sorte de pouvoir médiateur entre le trône et la nation, et des vieux ennemis de toute résistance à l'autorité du prince, les avocats de l'opinion publique, des magistrats citoyens usant de leur indépendance personnelle pour la cause de tous, et montrant parfois des vertus et des caractères dignes des beaux temps de l'antiquité[9].

Louis XII fut un prince d'une heureuse nature, venu dans un de ces moments heureux où le gouvernement est facile. Quinze ans passés depuis la fin du règne de Louis XI avaient suffi pour faire le triage du bien et du mal dans les conséquences de ce règne ; la souffrance nationale s'était guérie d'elle-même, et de toutes parts éclataient des signes de progrès et de prospérité. La culture des campagnes s'améliorait et se multipliait, de nouveaux quartiers se formaient dans les villes, et partout l'on bâtissait des maisons plus commodes ou plus somptueuses. L'aisance de la classe moyenne se montrait plus que jamais dans les habits, les meubles et les divertissements coûteux. Le nombre des marchands s'était accru de manière à exciter l'étonnement des contemporains, et le commerce lointain avait grandi en étendue et en succès ; le prix de toutes choses était plus élevé, les terres rapportaient davantage, et la rentrée des impôts avait lieu sans contrainte et à peu de frais[10]. C'est peut-être là qu'il faut placer, dans la série de nos progrès nationaux en richesse et en bien-être, une secousse intermédiaire entre celle qu'avait provoquée, trois siècles auparavant, la révolution municipale, et l'impulsion souveraine qui fut donnée, trois siècles après, par la révolution constitutionnelle du royaume. A ce point répond d'ailleurs le premier degré de fusion des classes diverses dans un ordre public qui les embrasse et les protège toutes, sur un territoire désormais uni et compacte, et sous une administration déjà régulière et qui tend à devenir uniforme.

Il semble que Louis XII ait eu à cœur d'éteindre tous les griefs dénoncés par les états de 4484 ; le plus grand acte législatif de son règne, l'ordonnance de mars 1499 en est la preuve. L'on y voit, à propos du règlement de tout ce qui regarde la justice, l'intention de satisfaire aux plaintes restées sana réponse, et de remplir les promesses imparfaitement exécutées. Le principe de l'élection pour les offices de judicature, principe cher à l'opinion bourgeoise et qu'avaient hautement soutenu les réformateurs de 1413, s'y montre accompagné de garanties contre l'abus de la vénalité des charges[11]. Le gouvernement de Louis XII était surtout économe et affectueux pour le pauvre peuple ; il se proposa généreusement, mais imprudemment peut-être, la tâche de continuer la guerre en diminuant les impôts. Ce roi, d'un esprit chevaleresque, fut l'idole de la bourgeoisie ; il avait pour elle de grands égards sans affecter en rien de lui ressembler. La seule assemblée politique tenue sous son règne fut un conseil de bourgeois où la noblesse et le clergé ne figurèrent que comme ornement du trône ; les députés des villes et du corps judiciaire, seuls convoqués expressément, votèrent seuls, et c'est dans ce congrès du tiers état que fut décerné à Louis XII, par la bouche d'un représentant de Paris, le titre de Père du peuple, que l'histoire lui a conservé[12].

Il y a de la gloire dans un pareil nom, mais une autre gloire de ce règne fut d'établir la prédominance de la législation sur la coutume, et de marquer ainsi dans la sphère du droit civil, la fin du moyen âge et le commencement de l'ère moderne. Le projet de rédiger toutes les coutumes de France et de les publier révisées et sanctionnées par l'autorité royale avait été conçu et annoncé par Charles VII ; Louis XI en fit la base de ses plans d'unité de loi nationale, mais il n'en exécuta rien ; Charles VIII décréta de nouveau ce qu'avait voulu faire son aient, et ce fut à Louis XII qu'échut l'honneur d'avoir, non-seulement commencé, mais encore poussé très-loin l'exécution de cette grande entreprise[13]. De 1505 à 1515, année de la mort du roi, vingt coutumes de pays ou de villes importantes furent recueillies, examinées et publiées avec la sanction définitive[14]. Ce travail de rédaction et en même temps de réformation de l'ancien droit coutumier a pour caractère dominant la prépondérance du tiers état, de son esprit et de ses mœurs dans la législation nouvelle. Un savant juriste en a fait la remarque, et il cite comme preuve les changements qui eurent lieu, pour les mariages entre nobles, dans le régime des biens conjugaux[15]. A ce genre d'altération que les coutumes subirent presque toutes se joignit pour les transformer la pression que le droit romain exerçait de plus en plus sur elles, et qui, à chaque progrès de notre droit national, lui faisait perdre quelque chose de ce qu'il tenait de la tradition germanique.

Au roi qui avait reproduit l'une des faces du caractère de saint Louis par sa soumission à la règle et son attachement au devoir, succéda un prince qui ne connut d'autre loi que ses instincts, sa volonté et l'intérêt de sa puissance. Heureusement. parmi les hasards où François Ie7 abandonnait sa conduite, il lui arriva souvent de rencontrer juste pour sa gloire et pour le bien du royaume. Ses instincts, mal gouvernés, étaient généreux et ne manquaient pas de grandeur ; sa volonté, arbitraire et parfois violente, fut généralement éclairée, et ses vues égoïstes furent d'accord avec l'ambition nationale. Novateur en choses brillantes, il ne ralentit point le progrès des choses utiles. Louis XI s'était rendu odieux à la noblesse, et Louis XII lui avait déplu en continuant la même œuvre sous d'autres formes ; de là le danger d'une réaction capable de jeter le pouvoir royal hors des voies qu'il s'était frayées de concert avec la bourgeoisie. On pouvait s'y attendre à l'avènement d'un roi gentilhomme avant tout, et affectant de l'être dans ses vertus et dans ses vices ; mais il n'en fut rien, grâce à la cause même qui rendait probable un pareil retour. L'amour des nobles pour le nouveau roi, la séduction qu'il exerçait sur eux, endormit leurs passions politiques[16] ; ils virent sans résistance et sans murmure se continuer l'envahissement des offices royaux sur les seigneuries, et le mouvement qui entraînait tout vers l'égalité civile et l'unité d'administration. L'activité qu'ils avaient trop souvent gaspillée en turbulence, ils la dépensèrent en héroïsme dans les batailles que la France livrait pour se faire une place digne d'elle parmi les États européens. Ils se formèrent d'une façon plus sérieuse et plus assidue que jamais à cette grande école des armées régulières, où s'apprennent, avec le patriotisme, l'esprit d'ordre, la discipline et le respect pour d'autres mérites que ceux de la naissance et du rang[17].

La marche ascendante de la civilisation française, depuis les dernières années du XVe siècle, se poursuivit sous François Ier, en dépit des obstacles que lui opposaient, d'une part, le désordre où tomba l'administration, et, de l'autre, une lutte politique où la France eut plusieurs fois contre elle toutes les forces de l'Europe. Au milieu de dilapidations scandaleuses, de grandes fautes et de malheurs inouïs, non seulement aucune des sources de la prospérité publique ne se ferma, mais il s'en ouvrit de nouvelles. L'industrie, le commerce, l'agriculture, la police des eaux et forêts, l'exploitation des mines, la navigation lointaine, les entreprises de tout genre, et la sécurité de toutes les transactions civiles furent l'objet de dispositions législatives dont quelques-unes sont encore en vigueur[18]. Il y eut continuation de progrès dans les arts qui font l'aisance de la vie sociale et que le tiers état pratiquait seul, et il y eut dans la sphère plus haute de la pensée et du savoir un élan spontané de toutes les facultés de l'intelligence nationale. Là, se rencontre à son apogée cette révolution intellectuelle qu'on nomme d'un seul mot, la Renaissance, et qui renouvela tout, sciences, beaux-arts, philosophie, littérature, par l'alliance de l'esprit français avec le génie de l'antiquité. A ce prodigieux mouvement des idées, qui ouvrit pour nous les temps modernes, l'histoire attache le nom de François Ier, et c'est justice. L'ardeur curieuse du roi, son patronage sympathique et ses fondations libérales précipitèrent la nation sur la pente où elle cheminait d'elle-même. L'impulsion une fois donnée suffit, et, sous Henri II, l'éclat nouveau dont brillaient l'art, les sciences et les lettres, s'accrut encore sans que le roi y Mt pour rien[19]. Ces deux règnes forment une seule époque dans l'histoire de notre civilisation, période à jamais admirable, qui embrasse cinquante-neuf ans du XVIe siècle, ci marque d'un signe glorieux le caractère de ce siècle, si grand dans la première moitié de son cours, si plein de misères et de convulsions dans la seconde.

Quand survint l'époque fatale des guerres de religion, la France, rassise sur elle-même après de longues années d'action au dehors, allait prendre un élan contraire et concentrer ses forces dans le travail de sa prospérité intérieure. Tout l'annonçait du moins, et déjà se marquait d'une façon éclatante la direction de ce mouvement. Malgré l'épuisement de ressources, causé par des expéditions lointaines et des conquêtes plusieurs fois perdues, reprises et perdues de nouveau, le pays déployait dans les arts de la renaissance un luxe inconnu jusque-là. Il étonnait les Italiens eux-mêmes par le nombre et la magnificence de ses nouvelles constructions en palais et en châteaux. Ces bâtiments couverts de sculptures dont nous admirons jusqu'aux débris, de jardins ornés de statues, de portiques, de bassins de marbre et d'eaux jaillissantes, remplaçaient, dans beaucoup de campagnes voisines ou éloignées de Paris, les tours et les garennes des manoirs seigneuriaux[20].

La noblesse, à l'exemple des rois, prodiguait l'argent pour ce luxe de la civilisation, et si le mérite de l'œuvre appartenait à des artistes roturiers, il y avait un mérite aussi pour les grands seigneurs dans le goût du beau qui leur faisait faire de pareilles dépenses. Plus tard ce même goût, s'appliquant par la conversation polie au jugement des choses de l'esprit et des productions littéraires, contribua, dans une mesure qu'il est juste de reconnaître, au progrès des lettres sous Louis XIV[21]. C'est par ce genre d'influence, plus que de toute autre manière, que l'ancienne aristocratie a eu dans les temps modernes sa part d'action sur le développement moral et social de la France. Toujours prote lorsqu'il s'agissait de combattre pour la défense ou l'honneur du royaume, mais hors de là peu amie du travail et des occupations sérieuses, la noblesse française a été dans la nation une classe militaire, et non, comme elle aurait pu l'être, une classe politique. Depuis qu'un gouvernement digne de ce nom commença de renaître sous l'influence des principes du droit civil, et que, pour remplir les fonctions judiciaires et administratives, il fallut de longues études, la vie sédentaire et une application de chaque jour, loin d'ambitionner ces offices et le pouvoir qui s'y attachait, elle ne les vit qu'avec dédain. Elle s'en éloigna d'elle-même plutôt qu'elle n'en fut écartée par les défiances de la royauté, et, bornant sa poursuite aux offices d'épée et aux charges de cour, elle laissa tomber tout le reste dans les mains du tiers état[22]. Ce fut une grande faute pour elle, et peut-être un grand mal pour la destinée du pays.

An temps où nous sommes parvenus, le tiers état se trouvait, par une sorte de prescription moins exclusive à l'égard du clergé qu'à celui de la noblesse, tenir la presque totalité des offices de l'administration civile jusqu'aux plus élevés, jusqu'à ceux qu'on a depuis désignés par le nom de ministères. C'était de la classe plébéienne qu'au moyen des grades universitaires et d'épreuves plus ou moins multipliées, sortaient le chancelier garde des sceaux, les secrétaires d'État, les maîtres des requêtes, les avocats et procureurs du roi, tout le corps judiciaire, composé du grand conseil tribunal des conflits et des causes réservées[23], du parlement de Paris avec ses sept chambres[24], de la cour des comptes, de la cour des aides, de huit parlements de province[25] et d'une foule de siéger inférieurs en tête desquels figuraient les présidiaux. Pareillement, dans l'administration des finances, les fonctionnaires de tout rang, trésoriers, surintendants, intendants, contrôleurs, receveurs généraux et particuliers, étaient pris parmi les bourgeois lettrés qu'on appelait hommes de robe longue[26]. Quant à la juridiction qu'exerçaient les sénéchaux, les baillis et les prévôts du roi, si cette classe d'offices continuait d'être tenue par des gentilshommes, ceux-ci devaient toujours avoir des lieutenants ou des assesseurs gradués. Les seuls emplois qui fussent interdits à la bourgeoisie étaient les gouvernements des provinces, des villes et des forteresses, les grades des armées de terre et de mer, les charges de la maison du roi, et les ambassades confiées, suivant l'occasion, à des hommes de haute naissance ou à des membres du haut clergé. Le suprême pouvoir délibérant, le conseil d'État, formé jusqu'au XIVe siècle par moitié de barons et de gens d'Église, comptait à la fin du XVIe des gens de robe en majorité parmi ses membres[27]. Ce fut vainement qu'alors un grand ministre, né gentilhomme, eut la pensée de changer cette majorité, de donner aux grands seigneurs le droit de séance dans le conseil, et d'en faire ainsi pour la noblesse une école d'administration[28].

Les offices supérieurs de judicature et de finance procuraient aux titulaires, outre leurs appointements plus ou moins considérables, des privilèges constituant pour eux une sorte de noblesse non transmissible qui ne les enlevait pas au tiers état. Ils étaient exempts de divers impôts ou péages, et pouvaient acquérir des terres nobles sans payer les droits exigés dans ce cas de tout acheteur roturier[29]. Pour ceux qui occupaient les premiers postes, de grands émoluments accumulés par l'économie, grâce à la simplicité des mœurs bourgeoises, produisaient des fortunes bientôt réalisées en possessions territoriales. L'héritage du gentilhomme ruiné par ses prodigalités passait ainsi entre les mains de l'officier royal enrichi par son emploi[30]. Il y avait deux chemins pour parvenir aux offices : celui de la nomination directe obtenue par le mérite, seul ou aidé de faveur, et celui que frayait aux candidats la vénalité des charges, abus passé en coutume par la connivence des rois, mais qui, à cause des conditions de grades et d'examen préalable, ne dispensait pas de tout mérite. La riche bourgeoisie profitait de cette voie, pendant que l'autre s'ouvrait, au prix de fortes études, à toutes les classes, jusqu'aux dernières du tiers état[31]. Un envoyé de Venise, observateur sagace, remarque dans les familles de cet ordre, comme un trait caractéristique, le soin des parents à faire que quelqu'un de leurs fils reçoive l'instruction littéraire, en vue des nombreux emplois et des hautes dignités qu'elle procurait[32]. Il attribue à cette ambition le grand nombre des universités que la France possédait alors, et, dans l'Université de Paris, le grand nombre des étudiants, qu'il porte à plus de quinze mille[33]. Un autre ambassadeur vénitien observe que ces étudiants pour la plupart sont très-pauvres et vivent des fondations faites dans les collèges, témoignage certain, pour le XVIe siècle, de cette aspiration des classes inférieures vers les lettres et le savoir qui se marque par tant de signes dans les deux siècles suivants[34].

Tandis que les jeunes gens du tiers état qui se livraient à l'étude avaient devant eux l'espoir d'arriver aux plus hautes fonctions publiques, pour ceux qui s'en tenaient à suivre la profession de leurs pères, les métiers de changeur, d'orfèvre, de mercier, de drapier, de fileur de soie, ou d'autres inférieurs à ceux-là, mais non moins lucratifs, la perspective s'agrandissait. Grâce au progrès des relations commerciales, et au développement ou, pour mieux dire, à la naissance du crédit, il se formait dans la bourgeoisie marchande, pour y prendre le premier rang, une classe nouvelle, cette classe d'hommes qui accumule des capitaux en même temps pour son profit et pour le service des autres, qui, par l'esprit d'économie joint à l'esprit de spéculation, remplit incessamment le vide que font dans la richesse publique, d'une part, les dépenses nécessaires au travail producteur, et de l'autre les consommations improductives. Le système des fermes générales importé d'Italie en France, et les opérations de crédit auxquelles s'essaya d'une façon plus ou moins heureuse la dynastie des Valois, commencèrent à fonder l'importance de plus en plus grande des capitalistes qu'on appelait alors financiers[35]. Chargés de faire, soit comme fermiers, soit comme régisseurs, le recouvrement des impôts, banquiers du trésor et dépositaires des recettes opérées par les comptables, avançant des fonds pour toutes les entreprises de guerre ou de paix, ils eurent, dans les affaires d'État, une part indirecte mais considérable. Suivant leur degré de richesse et d'habileté, ils furent accueillis, recherchés, distingués, même à la cour ; ils firent des alliances de famille avec la haute magistrature, et apportèrent au tiers état, non des vertus comme celle-ci, mais de la puissance, cette puissance que donne l'argent[36]. On peut suivre, depuis le milieu du XVIe siècle jusqu'aux derniers temps du XVIIIe, le progrès de leur influence vainement combattue, leur carrière semée de faveur et de haine, de gains énormes et de cruelles avanies. Toujours maudits et toujours nécessaires, ils étaient en butte à une accusation perpétuelle, et parfois à des représailles plus monstrueuses que ne pouvaient l'être leur avidité et leurs fraudes[37]. Le jugement porté sur eux en général ne fut jamais parfaitement juste, parce qu'il s'y mêlait de cette envie qu'excite l'opulence rapidement acquise, parce qu'en supputant le profit de leurs traités forcément usuraires, on ne tenait pas compte des hasards qu'ils avaient courus, et qu'en regardant l'immense et prompte fortune de quelques-uns d'entre eux, on oubliait la chute non moins rapide et la ruine complète de beaucoup d'autres.

 

 

 



[1] Discours du chancelier Guillaume de Rochefort, Journal des états généraux tenus à Tours en 1484, sous le règne de Charles VIII, rédigé en latin par Jean Masselin, édit. de M. Bernier, p. 54.

[2] Voyez le Journal des états généraux tenus à Tours en 1484, texte et appendices.

[3] Journal des états généraux tenus à Tours en 1484, p. 146, 148 et 150.

[4] Discours du sire de la Roche, Journal des états généraux tenus à Tours en 1484, p. 180. — Ibid., p. 140.

[5] Voyez le Journal des états généraux tenus à Tours en 1484, appendice n° 1.

[6] Pour subvenir aux grans affaires dudit seigneur, tenir son royaume en seureté, payer et soudoyer ses gens d'armes et subvenir à ses outres affaires, les trois estatz lui ottroyent par manière de don et ottroy et non autrement, et sons ce qu'on l'appelle doresenavant tailles, oins don et ottroy, telle et semblable somme que du temps du feu roi Charles VII estoit levée et cueillie en son royaume, et ce pour deux ans prochainement venons, tant seulement et non plus..... Que le bon plaisir dudit seigneur soit de faire tenir et assembler lesdits étaz dedens deux ans prouchainement venons en lieu et temps qu'il luy plaira, et que de ceste heure, lesditz lieu et temps soient nommez, assignez et déclairez ; car, lesditz eslaz n'entendent point que doresenavant on mette sus aucune somme de deniers, sans les appeller, et que ce soit de leur vouloir et consentement. — Le roy est content que les estatz se tiennent dedens deux ans prouchainement venant et les mandera. (Journal des états généraux tenus à Tours en 1484, p. 149, 451 et 712.)

[7] Semble ausditz estatz que, pour le bien et réformacion du royaume, Daulphiné et pays adjacens, et que bon ordre soit tenu, et pour parvenir aux araires du roy œstre dit seigneur... ledit seigneur doit desclairer et appointer que lesditz estaz desditz royaume, Daulphiné et pays adjacens, seront assemblez ou temps et terme de deux ans prouchainement venans, et aussi continuez de deux ans en deux nus... Et supplient lesditz estaz audit seigneur qu'il luy plaise ainsi l'ordonner et desclairer. (Journal des états généraux tenus à Tours en 1484, p. 697.)

[8] Quant à la cour, elle est instituée par le roy pour administrer justice, et n'ont point ceux de la cour l'administration de guerre, de finances, ni du fuit et gouvernement du roy ni des grands princes. Et sont Messieurs de la cour du parlement gens clercs et lettrez pour vacquer et entendre au raidi de la justice ; et quant il plairoit au roy leur commander plus avant, la cour lui obéiroit, car elle a seulement l'œil et regard au roy qui en est le chef et sous lequel elle est. Et par ainsi, venir faire ses remonstrances à la cour et autres exploits sans le bon plaisir et exprès consentement du roy, ne se doit faire. (Réponse du premier président la Vacquerie au duc d'Orléans, 17 janvier 1483 ; registres du parlement cités par Godefroy, Histoire du roi Charles VIII, p. 466.)

[9] Relation de l'état de la France, par Marc-Antoine Barbara, ambassadeur de Venise en 1563 ; Relations des ambassadeurs vénitiens, publiées par M. Tommaseo, t. II, p. 26. — Le second frein est la justice, laquelle sans point de difficulté est plus auctorisée en France qu'en nul notre puis du monde que l'on sçache, mesmement à cause des parlements qui ont été instituez principalement pour ceste cause, et à ceste lin de refrener la puissance absoluë dont voudroient user les roys (La monarchie de France, par Claude de Seyssel, 1re partie, chap. X.)

[10] L'on veoid généralement par tout le royaume Matir grands édifices tant publiques que privez... Et si sont les maisons meublées de toutes choses trop plus somptueusement que jamais ne feurent ; et use l'on de vaisselle d'argent en tous estats plus qu'on ne souloit... Missi sont les habillemens et la manière de vivre plus somptueux que jamais on ne les veid... Et pareillement on veoid les mariages des femmes trop plus grands et le prix des héritages et de toutes autres choses plus hault... Le revenu des bénéfices, des terres et des seigneuries est creu partout généralement de beaucoup... Aussi est l'entrecours de la marchandise, tant par mer que pur terre, fort multiplié... Toutes gens — excepté les nobles, lesquels encore je n'excepte pas tous — se meulent de marchandise. Et pour un marchand que l'on trouvoit du temps dudict roy Louys onziesme, riche et grossier à Paris, à Rouen, à Lyon, et aux autres bonnes villes du royaume et généralement par toute la France, l'on en trouve de ce règne plus de cinquante. Et si en ha par les petites villes plus grand nombre qu'il n'en souloit avoir par les grosses et principales citez ; tellement qu'on ne faict guières maison sur rue qui n'ait boutique pour marchandise ou pour art mécanique... L'on veoid aussi quasi par tout le royaume faire jeux et esbatements à grands frais et cousis... Et si suis informé par ceulx qui ont principale charge des finances du royaume, gens de bien et d'auctorité, que les tailles se recouvrent à présent beaucoup plus aisément, et à moings de contraincte et de frais, sans comparaison, qu'elles ne faisaient du temps des roys passez. (Les louenges du bon roy de France Louis XII, dict père du peuple, et de la félicité de son règne, par Claude de Seyssel, édit. de Théod. Godefroy, p. 111 et suivantes.)

[11] Voyez l'ordonnance de mars 1499, sur la réforme de la justice, art. 30, 31, 52, 40, 47 et 48. Recueil des anciennes lois françaises, par M. Isambert, t. XI, p. 325. — La vénalité des charges, d'abord interdite par les rois, puis tolérée et mise en pratique par eux, reparut sous le règne de François les, et depuis lors, elle se maintint malgré les réclamations des états généraux et les promesses du gouvernement.

[12] Pour laquelle chose — le mariage da madame Claude de France avec François, comte d'Angoulême — traicter, voulut audict lieu de Tours tenir conseil. Dont envoya à tous ses parlements de France et à toutes ses villes, pour faire venir vers luy de chacun lieu gens neiges et hommes consultez. Et gant que en peu de temps furent en ladicte ville de Tours, de chemine cour de parlement, présidents et conseillers, et, de toutes les principales villes de France, hommes saiges, ordonnez et députez par lesdictes villes et paya de France, comme dict est. (Histoire de Louis XII, par Jean d'Anion, édit. de Th. Godefroy, p. 3.) — Voyez sur le caractère a nette assemblée ouverte le 10 mai 1506, l'Histoire des états généraux, par M. Thibaudeau, t. Ier, p. 379 et suivantes.

[13] Voyez l'ordonnance de Charles VII, avant Pâques 1453 ; et celles de Charles VIII, 28 janvier 1493 et 15 mars 1497, Recueil des ordonn. des rois de France, t. XIV, p. 284, et t. XX, p. 433, et Richebourg, Coutumier général, t. IV, p. 639.

[14] Celles de Touraine, Melun, Sens, Montreuil-sur-Mer, Amiens, Beauvoisis, Auxerre, Chartres, Poitou, Maine, Anjou, Meaux, Troyes, Chaumont, Vitry, Orléans, Auvergne, Parla, Angoumois et la Rochelle.

[15] M. Édouard Laboulaye, Recherches sur la condition civile et politique des femmes, depuis les Romains jusqu'à nos jours, p. 378.

[16] Jamais n'ovoit esté veu roy en France de qui la noblesse s'esjouyst autant. (Histoire du chevalier Bayard, édit. de Th. Godefroy, 1650, in-12, p. 561.)

[17] Et davantage il y a la gendarmerie ordinaire plus grande et mieux payée et entretenue qu'en nul autre lieu que l'on sçache, laquelle est introduicte tant pour la défense du royaume, et aussi afin qu'il y ait toujours nombre sufli,ant de gens armez, et montez et exercitez aux armes, qu'aussi pour l'entretenement des gentilz-hommes, et si y sont les charges departies, de sorte qu'un bien grand nombre de nobles hommes et de diverses conditions se peuvent entretenir honnestement, encore qu'il n'y ait aucune guerre au royaume. Car les grands ont charge de gens d'armes plus grande ou moindre, selon leur qualité et vertu. l.es autres sont lieutenants, les autres porteurs d'enseignes, les autres hommes d'armes et les autres archers, et encore les jeunes gentilz-hommes y sont nourris pages. (La Monarchie de France, par Claude de Seyssel, Ire partie, chap. XIV.)

[18] Voyez dans le Recueil des anciennes lois françaises, par M. Isambert, t. XI et XII, les ordonnances de François lac, et entre autres, l'édit de Villers-Cotterêts, en 192 articles ; août 1539.

[19] Voyez l'Histoire de France de M. Henri Martin, t. IX, p. 60 et suivantes, 267 et suivantes, et 627 et suivantes.

[20] Voyage de Jérôme Lippomanu, Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au IVe siècle, publiées par M. Tommaseo, t. II, p. 490.

[21] Voici de ce fait, dont les preuves abondent, un témoignage irrécusable, celui de Boileau dans son épître à Racine :

Et qu'importe à nos vers que Perrin les admire...

Pourra qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois ;

Qu'à Chantilly Condé les souffre quelquefois ;

Qu'Enghien en soit touché ; que Colbert et Virone,

Que la Rochefoucauld, Marsillac et Pompone,

Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer,

A leurs traits délicats se laissent pénétrer ?...

C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits.

[22] Une ordonnance de Charles VI, sur le nombre, les fonctions et les gages des officiers de justice et de finance (7 janvier 1400), porte ce qui suit : Que doresnavant, quant les lieux de présidens et des autres gens de nostre parlement vacqueront, ceulx qui y seront mis soient prisa et mis par ellection... et y soient prinses bonnes personnes, sages, lettrées, expertes et notables, selon les lieux où ils seront mis... Et aussi que entre les autres l'en y mette de nobles personnes qui seront à ce suffisans. (Ordonn. des rois de France, t. VIII, p. 416.) — Voyez ci-après, chap. VII.

[23] Ce tribunal, démembré du conseil d'État et chargé de la partie la plus haute de ses attributions judiciaires, fut établi par deux ordonnances rendues en 1497 et 1499.

[24] C'étaient la grand'chambre, ou chambre du plaidoyer ; la tournelle, ou chambre criminelle ; quatre chambre des enquêtes et une des requêtes du palais.

[25] C'étaient, à la fin du règne de Henri II, les parlements de Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Rouen, Aix, Rennes et Dombes.

[26] Commentaires sur le royaume de France, par Michel Suriano, ambassadeur de Venise en 1561 ; Relations des ambassadeurs vénitiens, t. I, p. 486.

[27] Le nombre des assistants nobles y était réduit, sauf les cas extraordinaires, au connétable, aux maréchaux de France et aux amiraux.

[28] Sully écrivant à Henri IV lui disait : Sire, je ne sais pas au vray qui vous peut avoir fait des plaintes qu'il entre plusieurs personnes dans vostre conseil d'estat et des finances, lesquelles n'y devroient nullement estre admises... Afin de parler selon ma franchise accoustumée, je ne nieray point que je n'aye souvent exhorté les princes, ducs, pairs, officiers de la couronne et autres seigneurs d'illustre extraction, et que j'ay reconnus avoir bon esprit, de quitter les cajoleries, fainéantises et baguenauderies de court, de s'appliquer aux choses vertueuses, et, par des occupations sérieuses et intelligence des affaires, se rendre dignes de leurs naissances, et capables d'estre par vous honorablement employez ; et que, pour faciliter ce dessein, je n'aye convié ceux de ces qualitez qui ont des brevets, de se rendre plus assidus ès conseils que nous tenons pour restai et les finances, les asseurant qu'ils y seroient les mieux venus, moyennant qu'ils en usassent avec discrétion, et ne s'y trouvassent point plus de quatre ou cinq à la fois, afin de tenir place de pareil nombre de soutanes qui ne faisoient que nous importuner sans cesse, chose qui m'a semblé bien plus selon la dignité de nostre Majesté et de son estat, que de voir eu ce lieu là un tas de martres des requestes et autres bonnets cornus, qui font une cohüe de vostre conseil, et voudroient volontiers réduire toutes les affaires d'estat et de finance en chiquanerie. (Mémoires de Sully, année 1607, collection Michaud et Poujoulat, t. II, p. 185.)

[29] Relations des ambassadeurs vénitiens, t. I, p. 484. — Le royaume est composé de plusieurs pièces divisées en ecclésiastiques, noblesse et peuple... Le peuple est divisé en officiers royaux, aucuns qui ont des seigneuries, en artisans et villageois. (Mémoires de Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes, collection Michaud et Poujoulat, p. 233.)

[30] L'on void tous les jours les officiers et les ministres de la justice acquérir les héritages et seigneuries des barons et nobles hommes, et yceulx nobles venir à telle pauvreté et nécessité, qu'ils ne peuvent entretenir l'estat de noblesse. (La Monarchie de France, par Claude de Seyssel, 1re partie, chap. XX.)

[31] Et si peuh chascun dudict dernier estat parvenir au second par vertu et diligence, sans autre moyen de grâce ne de privilège. (La Monarchie de France, Ire partie, chap. XVII.) L'auteur, mettant à part l'ordre ecclésiastique, compte trois états dans la population, savoir : la noblesse, le peuple moyen et le peuple menu.

[32] Michel Suriano, Relations des ambassadeurs vénitiens, t. I, p. 486. — Jérôme Lippomono, ambassadeur en 1577, répète la même chose dans les termes suivants : Onde li padri di questo ordine hanno questa cura parlicolare di disciplinare li loro figliuoli nelle lettere, per farli uomini di roba lunga e per abilitarli alle dignità sopradette. (Ibid., t. II, p. 500.)

[33] Michel Suriano, Relations des ambassadeurs vénitiens, t. I, p. 486. — La relation de Jérôme Lippomano donne un chiffre beaucoup plus élevé (Ibid., t. II, p. 496.) — En 1560, il y avait en France dix-huit universités. Voyez l'Histoire de l'instruction publique en Europe, par M. Vallet de Viriville, p. 193.

[34] Relation de Marino Cavalli envoyée en 1546, Relations, etc., p. 262. — Vers 1550, il y avait à Paris soixante et douze collèges, la plupart fondés spécialement pour des villes et des provinces de France, dont ils portaient le nom Quelques-uns, comme ceux des Allemands, des Lombards, des Écossais, de Suède et de Cornouailles, étaient des fondations étrangères. Voyez l'ouvrage déjà cité de M. Vallet de Viriville, p. 166.

[35] Voyez les Recherches sur les finances de France, par Forbonnais, t. I, p. 18 et suivantes.

[36] Commentaire sur le royaume de France, par Michel Suriano, Relations des ambassadeurs vénitiens, t. I, p. 485.

[37] Voyez ci-après, chap. VII, et Forbonnais, Recherches sur les finances, t. I, p. 290 et 359, et les tomes suivants passim.