Depuis l'invasion de l'Irlande par les Normands établis en Angleterre jusqu'à la mort de Henri II. 1171-1189Il faut que le lecteur quitte la Bretagne et la Gaule, où jusqu'ici l'a retenu cette histoire, et que, pour quelques moments, il se transporte dans l'île occidentale, que ses habitants appelaient Érin, et les Anglais Irlande[1]. Le peuple de cette île, frère des montagnards d'Écosse, formant, avec ceux-ci, le dernier reste d'une grande population qui, dans les temps antiques, avait couvert la Bretagne, la Gaule et une partie de la péninsule espagnole, offrait plusieurs des caractères physiques et moraux qui distinguent les races originaires du Midi. La majeure partie des Irlandais étaient des hommes à cheveux noirs, à passions vives, aimant et haïssant avec véhémence, prompts à s'irriter, et pourtant d'une humeur sociable. Enthousiastes en beaucoup de choses, et surtout en religion, ils mêlaient le christianisme à leur poésie et à leur littérature, la plus cultivée peut-être de toute l'Europe occidentale. Leur île comptait une foule de saints et de savants, vénérés en Angleterre et en Gaule ; car aucun pays n'avait fourni, au moyen âge, plus de missionnaires chrétiens, ni d'hommes empressés de répandre chez les nations étrangères les études de leur patrie[2]. Les Irlandais étaient grands voyageurs, et se faisaient toujours aimer des hommes qu'ils visitaient par l'extrême aisance avec laquelle ils se conformaient à leurs usages et à leur manière de vivre[3]. Cette facilité de mœurs s'alliait en eux à un amour extrême de l'indépendance nationale. Envahis à plusieurs reprises par différentes nations, soit du midi, soit du nord, ils n'avaient jamais admis de prescription pour la conquête, ni fait de paix volontaire avec les fils de l'étranger ; leurs vieilles annales contenaient des récits de vengeances, terribles exercées à l'improviste par les indigènes sur leurs vainqueurs[4]. Les débris des anciennes races conquérantes, ou les petites bandes d'aventuriers qui étaient venues, dans un temps ou dans l'autre, chercher des terres en Irlande, évitèrent les effets de cette intolérance patriotique, en s'incorporant dans les tribus irlandaises, en se soumettant à l'ancien ordre social et en adoptant la langue du pays. C'est ce que firent, après beaucoup d'autres, les pirates danois et norvégiens qui, du neuvième au onzième siècle, fondèrent, sur les côtes de l'est et du sud-est, plusieurs colonies, où, renonçant à leurs anciens brigandages, ils bâtirent des villes et devinrent commerçants[5]. L'invasion des hommes du Nord, sous laquelle succomba l'Angleterre, tandis que l'Irlande ne fut jamais entièrement conquise par eux, fit à ce dernier pays, par la ténacité même et la longue durée de la lutte, des maux irréparables. Après une guerre de plus de deux cents ans, durant laquelle l'ile, attaquée sur toutes ses côtes, fut traversée dans tous les sens, lorsque le flot des envahisseurs s'arrêta et qu'il y eut un moment de repos, on chercha l'ancienne paix du pays et on ne la retrouva plus. La vieille constitution, qui établissait dans File cinq rois confédérés, et, au-dessus d'eux, un roi suprême[6], revint, il est vrai, mais avec un conflit d'ambitions rivales qui mettaient les rois provinciaux en guerre les uns contre les autres et faisaient de la royauté du pays le droit et la conquête du plus fort. On ne vit plus s'assembler régulièrement, comme autrefois, les états généraux de l'Irlande qui élisaient. le roi de File entière et délibéraient sur les affaires communes à tout le pays dans la ville fédérale de Tarah[7]. Il ne restait guère de l'ancien ordre social que ce qu'avait laissé debout l'invasion sans cesse renouvelée, c'est-à-dire l'organisation des tribus irlandaises et l'esprit de clan avec ses mœurs, source primordiale et toujours vivace des mœurs et des coutumes de la nation. Soustraite jadis à la conquête romaine par l'obstacle de deux mers, et visitée assez tard par cet enseignement chrétien qui propageait, avec la foi de l'Évangile, les traditions du monde civilisé[8], l'Irlande avait conservé, plus fortement qu'aucun autre peuple de même race, la vie de tribu et ce que celle-ci a de contraire à la véritable vie civile, soit dans la famille, soit dans l'État Quand le pays, au commencement du onzième siècle, fut rendu à lui-même désorganisé et divisé, il se trouva que le dévouement aux chefs patriarcaux, n'ayant plus son contrepoids dans l'obéissance à des lois communes, après avoir soutenu la résistance contre l'étranger, nourrit l'esprit de faction et l'anarchie. L'ordre public manquait de ressort, et, dans l'ordre domestique, l'adoption, par tout chef de famille, des veuves de ses proches parents, altérait, si elle ne ta détruisait pas, l'unité du mariage, et produisait, au moins en apparence, un scandale qui choquait vivement les hommes formés à la double discipline du droit romain et du christianisme[9]. Par un privilège singulier, l'Église d'Irlande résista mieux que la société laïque aux influences qui tendaient à ramener le pays vers la barbarie. Cette Église, d'une nature contemplative plus qu'active, s'était recueillie en elle-même et avait continué avec énergie sa vie studieuse et presque monastique, au milieu des désastres nationaux et du trouble des guerres civiles. Mais de cette qualité remarquable du clergé irlandais il était résulté un vice. Les prêtres, réunis en congrégations régulières autour des évêques, avaient plus de relations entre eux qu'avec le peuple. Ils célébraient les offices, ils administraient les sacrements à ceux qui les demandaient, mais ils négligeaient la prédication religieuse et l'instruction des enfants[10]. Ils n'entraient pas en lutte ouverte contre les passions des chefs de clan qui attiraient à eux et retenaient dans leurs tribus, par toutes sortes de violences, non-seulement les pouvoirs politiques, mais encore les dignités ecclésiastiques. En un mot, ils aimaient la perfection pour eux-mêmes plus qu'ils ne travaillaient à la répandre autour d'eux, trop amis du repos, ou désespérant trop vite d'une nation que ceux qui l'appelaient barbare reconnaissaient plus mêlée que toute autre de bons et de mauvais instincts, et tour à tour excessive dans le bien comme dans le mal[11]. En effet, à travers l'anarchie et la décadence de civilisation qui accompagnèrent et suivirent le temps des invasions danoises, l'Irlande n'avait jamais cessé de produire des saints adoptés par l'Église, et elle conservait ses écoles de grammaire et de philosophie d'où sortirent, jusqu'au douzième siècle, des hommes reconnus pour maîtres par tout l'Occident[12]. Le peuple, quelque ignorant qu'il fût, sentait le prix des lettres et de la science, et il accordait son estime à quiconque en avait la moindre teinture. On regardait, dans l'île d'Érin, comme la plus haute gloire celle d'un grand littérateur ; son nom était dans toutes les bouches, et la curiosité publique s'attachait aux noms étrangers dont la réputation avait passé la mer et pénétré dans cette île où les poètes étaient vénérés à côté des prêtres, et où la royauté avait pour insignes une couronne et une harpe[13]. Si, comme on l'a vu, la cause anglo-saxonne et le malheur des fils du roi Harold trouvèrent en Irlande de vives sympathies et des auxiliaires contre la conquête[14], plus tard, la promotion de Lanfranc à l'archevêché de Canterbury et l'arrivée en Angleterre de cet homme célèbre comme l'un des plus savants docteurs de l'Église et du siècle, fut pour les Irlandais lettrés une grande nouvelle. Il semble que cet événement ait éveillé parmi eux l'une des passions familières à leurs compatriotes voyageurs, celle de questionner l'étranger en renom sur des matières controversées ou des problèmes de solution difficile. Vers 1073, Donald, évêque de Cashell, dans le royaume de Munster, et plusieurs autres personnes, probablement ecclésiastiques, s'entendirent pour adresser au prélat de Canterbury des lettres où ils le consultaient en commun sur un point de théologie et sur différents points de littérature. La question théologique roulait sur la nécessité de joindre l'eucharistie au sacrement du baptême ; ni le sujet, ni le nombre des autres ne nous sont connus ; mais leur pluralité certaine est ici un trait de caractère, une preuve du vif intérêt attaché par le clergé d'Irlande aux problèmes de science laïque. Il parait que, tout savant qu'il était lui-même, le primat d'Angleterre goûta peu ce mélange ; dans sa réponse, il discuta le point de dogme, mais il refusa dédaigneusement de traiter aucun point de littérature[15]. Vous nous avez envoyé à résoudre, dit-il, des questions de lettres séculières ; mais il ne convient pas qu'un évêque donne ses soins à ce genre d'études. Autrefois, il est vrai, j'y ai employé mes années de jeunesse ; mais quand je suis monté à l'office pastoral, j'ai résolu d'y renoncer[16]. Bientôt l'occasion s'offrit pour des relations de plus grave conséquence entre l'Irlande et le grand homme d'église qui occupait le siège primatial de Canterbury. Les royaumes de Leinster et de Munster, les plus voisins de l'ile de Bretagne, comprenaient les cinq villes maritimes fondées ou agrandies par les Danois, Wexford, Waterford, Cork, Limerick et Dublin. Cette dernière, la plus considérable de toutes, avait dans sa dépendance un petit territoire peuplé comme elle d'hommes du. Nord, et elle était politiquement la capitale des colonies danoises d'Irlande[17]. Lorsque, vers la fin du dixième siècle, ces colonies embrassèrent le christianisme, Dublin, chef-lieu du gouvernement scandinave, qui les régissait, fut naturellement désigné, dans la formation de cette nouvelle Église, comme devant être le siège épiscopal. Pour la consécration de leur évêque, les colons danois ne voulurent pas recourir au ministère de l'Église d'Irlande, qui leur était suspecte, parce qu'ils avaient avec la nation, comme intrus à main armée sur son territoire, une inimitié naturelle ; s'adressant là où nul esprit de malveillance n'existait contre eux, ils eurent recours à l'Église d'Angleterre et au métropolitain de Canterbury. On ne peut dire si de leur part cet appel religieux se fit avant ou après que l'Angleterre elle-même fut devenue possession danoise. Mais le dernier évêque de Dublin, encore vivant à la fin de l'année 1073, avait reçu l'épiscopat en 1038, sous le règne de Hardeknut. Il mourut en 1074, et alors le clergé et le peuple de la ville, ayant choisi, pour lui succéder, un prêtre nommé Patrice, suivirent leur coutume en dépit des changements politiques, et demandèrent la consécration de leur élu à l'archevêque de Canterbury. Lanfranc reçut d'eux une requête appuyée par Godred, roi norvégien de l'ile de Man et des Hébrides, et maitre du territoire de Dublin que lui disputait alors le roi irlandais de Leinster[18]. L'archevêque Lanfranc s'empressa de répondre à cet hommage rendu à la dignité de son siège, hommage qui ouvrait à la domination normande un moyen d'influence capable de contrebalancer les sympathies des Irlandais indigènes pour la cause anglo-saxonne. Avec la clairvoyance et la décision qui lui étaient naturelles, il fit ce qu'on lui demandait et quelque chose de plus. Après avoir reçu de l'évêque de Dublin sacré par lui une profession écrite d'obéissance, il le renvoya chargé de présents magnifiques pour son église[19]. Il annonça au roi Godred que, par courtoisie, il qualifiait roi de l'Irlande, qu'il venait de faire droit à sa demande et à celle du peuple de Dublin, et, profitant des informations qu'on lui avait données sur l'état moral des territoires, soumis à ce roi, il lui désigna, comme devant être interdites par lui, des infractions à la loi chrétienne du mariage, qui, en partie, dérivaient des anciennes mœurs irlandaises, et, en partie, des mœurs teutoniques apportées en Irlande par les colons scandinaves[20]. On assure, lui disait-il, que dans votre royaume il y a des hommes qui prennent des épouses, soit de leur propre parenté, soit de celle de leurs femmes décédées ; que d'autres abandonnent sans motif et à leur fantaisie celles qui leur sont jointes par mariage légitime ; que plusieurs donnent leurs femmes à d'autres et reçoivent celles d'autrui par un échange abominable. Si ces crimes et d'autres existent sur les terres qui sont en votre puissance, au nom de Dieu et pour le salut de votre âme, ordonnez-en la répression[21]. L'évêque Patrice, attaché d'affection et d'obéissance à la primatie anglo-normande, fut pour l'archevêque Lanfranc un informateur assidu de tout ce qui, en Irlande, pouvait concerner l'intérêt de l'Église et celui des conquérants de l'Angleterre. Il vécut jusqu'à la fin de l'année 1084, et, un peu avant cette époque, il fit à la métropole anglaise un voyage au retour duquel il mourut. C'était le temps où commençait la grande alarme qui occupa si fort les Normands dans l'année 1085. Le bruit d'un armement des. Danois plus formidable que tous les autres rendait nécessaire une assurance d'amitié ou de neutralité de la part des nations voisines[22]. Durant le temps que l'évêque de Dublin avait passé à Canterbury, Lanfranc l'avait interrogé sur l'état de l'Irlande, et il avait appris de lui que Terdelvach, ou Turlogh O'Brien[23], devenu roi de toute l'île, sinon sans contestation, du moins avec une prépondérance décisive, serait flatté de voir son titre pleinement reconnu à l'étranger. Lanfranc lui écrivit une lettre de compliment, où la louange excessive était revêtue des expressions les plus affectueuses[24]. Notre frère et co-évêque Patrice nous a tant parlé de votre grandeur, de sa pieuse humilité envers les bons, de sa sévérité envers les méchants et de sa justice envers tous, que, bien que nous ne vous ayons jamais vu, nous vous aimons comme s'il nous avait été donné de vous voir ; et nous désirons vous servir fidèlement et vous, conseiller utilement, comme une personne qu'on a vue et que l'on connaît bien[25]. Aux remontrances déjà faites précédemment sur les mœurs des habitants irlandais ou danois de race, le primat ajoutait des reproches dirigés contre l'église d'Irlande. Il disait que les évêques y étaient sacrés par un seul évêque, que les enfants y étaient baptisés sans l'onction du saint-chrême, que l'ordination y était donnée à prix d'argent par les évêques, et il demandait sans retard la prohibition de ces pratiques sous la menace de châtiments ultérieurs[26]. Si les faits allégués étaient exacts, la censure était juste ; mais elle avait un défaut, celui de venir d'une autorité non compétente, du primat de l'Angleterre devenu chef religieux des colonies scandinaves, contre les droits du primat de l'Irlande, l'archevêque d'Armagh, successeur de saint Patrice, l'apôtre des Irlandais. Désormais l'Église d'Angleterre avait les yeux, et en partie la main, sur celle d'Irlande, et celle-ci devait souffrir du contrôle exercé sur sa discipline par un prélat étranger suspect de malveillance et d'une ambition au service des intérêts de son pays. La question d'une métropole étrangère placée entre l'Église de Rome et l'Église nationale, le conflit de Dol contre Tours pour les Bretons armoricains, de Caerleon contre Canterbury pour les bretons cambriens, de Saint-David contre le même siège pour le pays de Galles, s'élevait, pour l'Irlande, entre la primatie d'Armagh et la primatie anglaise, avec les mêmes conséquences, c'est-à-dire avec un froissement de la susceptibilité nationale, qui devait amener dans la sphère religieuse une réaction du principe d'autonomie et de l'esprit d'indépendance[27]. L'archevêque Lanfranc sacra, en 1085, un nouvel évêque de Dublin, et mourut en 1089[28]. Sous l'épiscopat d'Anselme, son successeur, les habitants de Waterford, ville danoise du royaume de Munster, jusque-là rangés dans le ressort de l'évêché de Dublin, voulurent avoir un évêque à eux, soumis, comme celui de Dublin, l'archevêché de Canterbury. Ce désir, qui n'était qu'un développement de la discipline religieuse adoptée par les colonies danoises depuis leur conversion au christianisme, ne fut point contrarié par l'Église d'Irlande ni par le pouvoir indigène. Au contraire, et probablement pour le bien de la paix entre les deux races, le roi de Munster, le vice-roi de Leinster, et les évêques de ces deux royaumes, appuyèrent de leurs signatures la requête des habitants de Waterford, portée au primat de Canterbury par l'évêque de leur choix dont ils lui demandaient, l'institution canonique[29]. Ainsi, le siège de Canterbury compta dès lors deux suffragants en Irlande, et sa suprématie put paraître, non plus un fait d'exception, mais un droit reconnu successivement. Dans cette situation nouvelle, le langage du primat d'Angleterre envers le clergé irlandais fit un progrès en assurance et en résolution. Il passa chi conseil proprement dit à quelque chose qui tenait le milieu entre le conseil et l'ordre. Dans une lettre aux évêques signataires de la pétition de Waterford, Anselme les invita formellement à recourir à ses décisions dans leurs litiges et dans toutes les causes qui dépasseraient l'autorité que les canons donnent à de simples évêques[30]. Plus tard ; il fit acte de juridiction et de censure contre l'évêque de Dublin et chargea celui de Waterford de la remise de ses lettres et d'un mandat pour admonition à faire de vive voix[31]. Il entra plus avant dans l'examen des vices reprochés à la constitution de l'Église d'Irlande ; il blâma le nombré excessif et la circonscription trop restreinte des évêchés[32]. Enfin, il prit ou se laissa donner le titre de primat de la Bretagne et de toutes les îles qui l'avoisinent, réalisant, au profit de son église anglo-normande, le rêve d'ambition de l'église anglo-saxonne sous l'épiscopat d'Augustin et de ses premiers successeurs[33]. Lorsqu'en l'année 1121, les bourgeois et le clergé de Dublin demandèrent à l'archevêque Raoul, successeur d'Anselme, de sacrer un nouvel évêque élu par eux, leur lettre portait : Sachez que les évêques d'Irlande, et surtout celui qui réside à Armagh, ont à notre égard une extrême jalousie, parce que nous ne voulons pas nous soumettre à leur ordination, mais demeurer toujours sous votre gouvernement[34]. Le douzième siècle, en effet, venait de voir commencer en Irlande une réaction du patriotisme joint à l'esprit de réforme chrétienne. D'une part, la population indigène repoussait avec défiance l'intervention, dans ses affaires religieuses, du primat d'un peuple étranger ; de l'autre, elle était prise d'un désir passionné d'amender elle-même ce qu'on blâmait en elle pour les mœurs et la discipline ecclésiastique, et d'accomplir cette révolution en pleine liberté d'examen dans des conciles nationaux. Un premier synode, composé de laïques et d'ecclésiastiques, s'assembla, en 1112, à Fiodh-Ængusa, dans le royaume de Munster. Murkertach O'Brien, roi de Munster, et les grands de ce royaume, l'évêque de Cashell, cinquante autres évêques, trois cents prêtres et trois mille personnes du clergé inférieur, y assistèrent[35]. Peu de temps après, une assemblée du même genre eut lieu à Rath-Breasail, dans le royaume d'Ulster, sous la présidence de Gillebert, évêque de Limerick, nommé récemment légat du siège apostolique en Irlande, et le premier, à ce qu'il semble, qui ait été décoré de ce titre[36]. Dans le synode de Rath-Breasail, aujourd'hui Clanbrassil, près d'Armagh, une division régulière des diocèses d'Irlande fut établie ; leurs limites respectives furent déterminées, et le nombre des petits sièges épiscopaux et des évêques à titre honorifique, l'un des anciens abus de l'Église d'Irlande, fut en partie corrigé[37]. Dans la lutte d'influence et d'autorité canonique entre le primat d'Armagh et le primat de Canterbury, l'avantage du second sur le premier consistait en ce que son siège était décoré du pallium, ornement qui manquait à l'autre siège. C'est par là qu'il exerçait un prestige capable de lui conquérir des suffragants, même dans les territoires uniquement peuplés d'Irlandais indigènes. Or, le titre de légat pontifical donné à un évêque irlandais rétablissait l'équilibre entre l'Église d'Irlande et la métropole étrangère ; il suppléait au désavantage honorifique de la métropole indigène et, pour un temps du moins, éteignait le schisme de discipline qui divisait l'ancienne population de l'île et les colons de race danoise. Supérieur à l'un comme à l'autre des deux métropolitains, l'évêque irlandais, investi de la légation romaine, commandait à tous au nom du chef de l'Église universelle, sans porter nulle part l'idée blessante du commandement donné par le chef spirituel d'un peuple rival dont l'intérêt pouvait devenir hostile aux intérêts nationaux. C'est de là que vint aux synodes patriotiques tenus par les rois et le clergé d'Irlande le pouvoir de jeter les fondements d'une grande réforme qui bientôt se développa d'elle-même par suite d'une révolution arrivée dans l'église primatiale d'Armagh. Cette église, fondée par saint Patrice, lieu de sa sépulture, et, à ce titre, métropole de toute l'Irlande, était tombée depuis plus d'un siècle sous le joug imposé par l'organisation des clans celtiques[38]. Une puissante famille, celle des Amalgaid, occupait héréditairement la dignité métropolitaine, et ses membres, étroitement ligués, ne souffraient pas qu'elle fût donnée à un homme né hors de leur tribu. Ils soutenaient cette prétention, qu'ils nommaient leur droit, par des menaces d'inimitié mortelle, et, grâce à la crainte qu'ils inspiraient, il s'établit en leur faveur une sorte de prescription étrange[39]. En 1127, cette tribu avait déjà fourni au siège d'Armagh une succession de huit archevêques, tous mariés, mais en même temps lettrés, ce qui était un trait de mœurs par où les dans de l'Irlande se distinguaient de la féodalité germanique[40]. Le dernier d'entre eux, Celse ou Célestin, homme d'un esprit sacerdotal, résolut de rompre lui-même cette scandaleuse coutume. A son lit de mort, il eut le courage d'exproprier sa parenté et de faire un testament où il se donnait pour successeur le prêtre le plus vertueux de son diocèse, Malachy O'Morgair, qui devait être Fun des plus grands saints du siècle, l'ami vénéré de saint Bernard[41]. L'archevêque Celse fit cet acte au nom de l'autorité qu'il tenait comme vicaire de saint Patrice ; il le notifia aux grands et au roi d'Irlande, et le suffrage de tous ceux qui désiraient une réforme ecclésiastique y répondit[42]. Mais l'opposition du clan des Amalgaid ne fut pas vaincue aisément ; ils s'emparèrent d'Armagh et y intronisèrent comme évêque un des leurs, appelé Maurice. Ils tinrent en échec, pendant cinq ans, l'autorité royale, et ce ne fut qu'après ce temps que Malachy, invité par un concile national à prendre possession de son siège, fit son entrée pontificale sous la protection d'une armée conduite par le roi d'Ulster[43]. Sa présence termina le scandale contre lequel avait protesté sa nomination devenue plus tard une élection canonique. Il gagna tous les esprits par sa douceur et ses vertus, et il entreprit d'achever par ses travaux l'œuvre de la réorganisation et de l'affranchissement complet de l'Église d'Irlande. Pour mettre fin au schisme qui existait entre le clergé indigène et celui des colonies danoises, le nouvel archevêque d'Armagh commença par accorder à l'évêque de Dublin le titre de métropolitain que lui refusait impérieusement le primat de Canterbury. Il le détacha ainsi de ce dernier et l'attacha par reconnaissance à la primatie irlandaise. Ensuite, comme celle-ci était, dans l'ordre hiérarchique de l'Église, inférieure à la primatie de Canterbury, parce qu'elle n'avait pas l'usage du pallium romain, il résolut d'aller à Rome demander trois choses : la confirmation, pour le siège de Dublin, du titre de métropole ; la concession du pallium pour le siège d'Armagh, et la même concession pour le nouveau siège archiépiscopal de Dublin. Il obtint la première demande[44], mais non les deux autres, et revint en Irlande investi de l'autorité de légat du Saint-Siège[45], et ayant réussi en partie à soustraire le siège de Dublin à la dépendance de l'église de Canterbury. Ce siège était désormais une métropole placée entre deux primaties et encore soumise, par l'usage, à la plus qualifiée des deux[46]. Enlever tout motif à un usage né de la diversité des races, injurieux pour l'Église d'Irlande et dangereux pour le pays, devint le but de tous les efforts de saint Malachy et l'objet d'un nouveau voyage qu'il fit pour aller trouver en France le pape Innocent II. Il mourut dans ce voyage, au monastère de Clairvaux, n'ayant pas encore eu de réponse définitive, et n'ayant pas eu le temps d'accomplir toute son œuvre à la fois religieuse et patriotique. Cette œuvre se poursuivit après sa mort, et, quelques années plus tard, elle fut non-seulement achevée, mais agrandie par les actes d'un synode national présidé par Chrétien, évêque de Lismore, successeur de saint Malachy dans la légation apostolique, et où vint assister un cardinal romain, nommé Papire. Ce concile, tenu à Kells en 1152, réorganisa complètement l'Église d'Irlande ; il régla définitivement le nombre des évêchés, et, aux deux archevêchés des royaumes d'Ulster et de Leinster, Armagh et Dublin, il en ajouta deux autres, Cashell et Thuam, pour les royaumes de Munster et de Connaught. Le cardinal Papire était porteur de quatre palliums destinés à ces quatre métropoles, qti toutes devaient être soumises à la primatie d'Armagh ; dès lors, en effet, le droit de celle-ci fut reconnu dans l'île entière par le clergé des villes danoises comme par le clergé indigène. L'indépendance religieuse était gagnée pour l'Irlande ; mais cette révolution, à cause de sa grandeur même et par l'éclat qu'elle eut au dehors, fut la source de nouveaux périls, l'occasion indirecte d'événements qui, par une suite de circonstances fatales, aboutirent à la conquête et à l'asservissement du pays. Lorsque Henri, fils de Geoffroy Plante-Genest, fut devenu roi d'Angleterre, il lui vint à l'esprit de signaler son avènement, comme premier roi de race angevine, par une conquête presque aussi importante que celle du Normand Guillaume, son bisaïeul maternel. Il résolut de s'emparer de l'Irlande, et, à l'exemple du conquérant de l'Angleterre, son premier soin fut d'envoyer vers le pape, pour lui proposer de concourir à cette nouvelle entreprise, comme son prédécesseur, Alexandre II, avait pris part à la première[47]. Le pape alors régnant était Adrien IV, homme de naissance anglaise, dont le nom de famille était Brekespeare, et qui, en s'expatriant fort jeune, avait échappé à la condition de misère faite à ses compatriotes. Trop fier pour travailler aux champs ou pour mendier en Angleterre, dit un ancien historien, il prit une résolution hardie, inspirée par la nécessité[48] ; il alla en France, puis en Provence, puis en Italie, entra dans une riche abbaye en qualité de secrétaire, devint abbé, ensuite évêque, et enfin pape[49]. Sur le trône pontifical, Adrien parut avoir oublié tous les ressentiments d'un Anglais contre les oppresseurs de sa nation. Il affectait pour le roi Henri II la plus grande complaisance. Il reçut gracieusement son message relatif au projet de subjuguer l'Irlande, et, d'après l'avis du sacré collège, il y répondit par une bulle, dont voici quelques fragments : Adrien, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son très-cher fils en Jésus-Christ, l'illustre roi des Anglais, salut et bénédiction apostolique... Tu nous as fait savoir, très-cher
fils en Jésus-Christ, que tu voulais entrer dans File d'Hibernie pour en
soumettre le peuple au joug des lois ; y extirper les semences du vice, et
aussi pour y faire payer au bienheureux apôtre Pierre la pension annuelle
d'un denier pour chaque maison... Accordant à
ce louable et pieux désir la faveur qu'il mérite, et à ta requête une réponse
bienveillante, nous tenons pour agréable, qu'afin d'agrandir les limites de
la sainte Église, de borner le cours des vices, de corriger les mœurs,
d'enraciner la vertu et de propager la religion chrétienne, tu fasses ton
entrée dans cette île, et y exécutes, selon ta prudence, tout ce que tu
jugeras à propos pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Que le peuple
de 'cette contrée te reçoive et t'honore comme son seigneur et maitre, sauf
le droit des églises, qui doit rester intact, et aussi la pension annuelle
d'un denier, due par chaque maison au bienheureux Pierre et à la très-sainte
Église romaine... Si donc tu juges à propos de
mettre à exécution ce que tu as conçu dans ta pensée, emploie tes soins à
former ce peuple aux bonnes mœurs, et que, tant par tes efforts que par ceux
d'hommes reconnus suffisants de foi, de parole et de vie, l'Église soit, dans
ce pays, décorée d'un nouveau lustre ; que la religion du Christ y soit
plantée et croisse ; qu'en un mot, toute chose concernant l'honneur de Dieu
et le salut des âmes soit, par ta prudence, ordonnée de telle manière que tu
deviennes digne d'obtenir aux cieux la récompense éternelle, et sur la terre
un nom glorieux dans tous les siècles[50]. Ce flux d'éloquence mystique servait, comme on peut le voir, d'une sorte d'enveloppe décente pour un pacte absolument semblable à celui de Guillaume le Bâtard avec le pape Alexandre II. Henri II se serait probablement hâté d'accomplir, comme Guillaume, son étrange mission religieuse, si une autre conquête, celle de l'Anjou, sur son propre frère Geoffroy, n'eût presque aussitôt détourné son attention. Ensuite il guerroya contre les Bretons et les Poitevins, qui tentaient de soutenir contre lui leur indépendance nationale. Enfin la rivalité du roi de France, qui ne cessait jamais de s'exercer, soit ouvertement, soit en secret, et surtout la longue et sérieuse querelle avec l'archevêque de Canterbury, l'empêchèrent d'aller Conquérir, en Irlande, la royauté polir lui-même, et pour le pape la suprématie absolue jointe à un tribut annuel. Lorsque Adrien IV mourut, sa bulle dormait encore, attendant de l'emploi, au fond du trésor des chartes royales d'Angleterre, et elle y eût peut-être vieilli durant toute la vie du roi, si des événements imprévus n'avaient amené l'occasion de la faire paraître au grand jour. On a vu plus haut comment des aventuriers normands et flamands de naissance avaient conquis le territoire de Pembroke et une portion des côtes occidentales du pays de Galles[51]. En s'établissant sur les domaines usurpés par eux, ces hommes n'avaient point quitté leurs anciennes mœurs pour des habitudes d'ordre et de repos ; ils consommaient au jeu ou en débauches tout le revenu de leurs terres, et les épuisaient au lieu de les améliorer, comptant sur de nouvelles expéditions, plutôt que sur l'économie domestique, pour réparer un jour leur fortune. En un mot, dans la condition de grands propriétaires, de riches seigneurs terriens, pour parler le langage de l'époque, ils avaient conservé le caractère de soldats d'aventure, toujours disposés à tenter les chances de la guerre au dehors, soit pour leur propre compte, soit aux gages d'autrui. C'est sous cet aspect qu'ils se firent remarquer des habitants de l'île d'Érin, qui souvent venaient visiter, pour des affaires de négoce, les côtes du pays de Galles. Pour la première fois alors il se trouvait dans le voisinage de l'Irlande une colonie d'hommes exercés à porter l'armure complète, que, dans ce siècle, on appelait l'armure française[52] ; la vue des cottes de mailles et des grands chevaux flamands des compagnons de Richard Strong-bow, chose nouvelle pour les Irlandais, qui ne connaissaient que les armes légères, leur causa une grande surprise[53]. Les voyageurs et les marchands, à leur retour, firent des récits merveilleux de la force et de l'adresse guerrière des nouveaux habitants de l'ouest de la Grande-Bretagne. Vers l'année 1169, le chef de la province orientale de l'Irlande, Dermot Mac-Morrogh, roi de Leinster, vaincu en guerre par les chefs ses voisins et détrôné par ses propres sujets, s'avisa de passer en Angleterre, puis en Aquitaine, pour y voir le roi Henri II et lui demander un secours capable de le rétablir dans son royaume. Henri II ne lui donna autre chose que des lettres patentes qui l'autorisaient à traiter de gré à gré dans toute l'étendue des possessions anglo-normandes, avec toute personne disposée à s'engager militairement pour sa cause[54]. Muni de ces lettres, Dermot Mac-Morrogh traversa de nouveau l'Angleterre ; niais il ne trouva l'occasion d'en faire un usage utile qu'à son arrivée dans le pays de Pembroke, où il devait s'embarquer pour retourner en Irlande. Les Normands et les Flamands de ce pays s'empressèrent d'accepter les propositions que leur faisait le roi de Leinster. Ils convinrent avec lui du taux de la solde enterre ou en argent, et s'embarquèrent au nombre de quatre cents chevaliers, écuyers et archers, sous la conduite de Robert, fils d'Étienne, Maurice, fils de Giraudet, et Hervé de Mont-Maurice[55]. Ils naviguèrent en droite ligne de la pointe la plus occidentale du pays de Galles à la pointe la plus orientale de 'l'Irlande, et abordèrent près de Wexford, l'une des villes fondées par les Danois durant leurs courses de piraterie et de commerce. Cette ville, qui faisait partie du royaume de Dermot Mac-Morrogh, lui avait été enlevée par l'invasion de ses adversaires et la défection des habitants. Ceux qui la gardaient sortirent à la rencontre de l'armée ennemie ; mais, quand ils virent les armures complètes, les chevaux bardés de fer et l'ordre de bataille, nouveau pour eux, des cavaliers venus du pays de Galles, une sorte de terreur panique les saisit. Quoique beaucoup plus nombreux, ils n'osèrent engager le combat en rase campagne, et brûlant, dans leur retraite, tous les villages voisins, avec les provisions qu'ils ne pouvaient emporter, ils s'enfermèrent dans les murs de Wexford[56]. Dermot et les Normands en firent le siège et livrèrent trois assauts consécutifs avec peu de succès, parce que les grands chevaux, les lances de huit coudées, l'arbalète et les cuirasses de mailles n'avaient de grands avantages qu'en plaine. Mais les intrigues de l'évêque de Wexford, qui eut le crédit de réconcilier les habitants avec leur roi, firent ouvrir les portes à l'allié des étrangers, qui, entré dans la ville sans coup férir, marcha aussitôt, dans la direction du nord-ouest, à la poursuite de ses adversaires et à la délivrance de son royaume[57]. Dans cette expédition, la tactique militaire et l'armure complète de ses alliés lui furent d'un grand secours. Les armes les plus redoutables des habitants d'Érin étaient une petite hache d'acier, de longs javelots et des flèches courtes, mais très-aiguës. Les Normands, que leur vêtement de fer préservait de l'atteinte de cette espèce d'armes, abordaient de près les indigènes, et pendant que le choc de leurs grands dextriers culbutait les petits chevaux des Irlandais, ils attaquaient, avec leurs fortes lances ou leurs larges épées, l'homme qui n'avait pour armure défensive qu'un bouclier de bois léger et de longues tresses de cheveux serrées en nattes des deux côtés de la tête[58]. Tout le pays de Leinster fut reconquis par le fils de Morrogh, qui, ravi du secours prodigieux que lui avaient prêté les Normands, après leur avoir payé leur solde avec fidélité, les invita à demeurer près de lui, et leur offrit, pour les retenir, plus de terres qu'ils n'en possédaient ailleurs[59]. Dans l'effusion de sa reconnaissance, il donna à Robert, fils d'Étienne, et à Maurice, fils de Giraudet, le gouvernement et tout le revenu de la ville de Wexford et de sa banlieue ; à Hervé de Mont-Maurice deux districts sur la côte, entre Wexford et Waterford, et à tous les autres des possessions proportionnées à leur grade et à leur talent militaire[60]. Cet appel des étrangers dans les querelles intérieures du pays, et surtout l'établissement de ces étrangers en colonies permanentes dans les villes et sur le territoire du roi de Leinster, alarma toutes les provinces voisines, et l'inimitié particulière contre Dermot se transforma en hostilité nationale[61]. Il fut mis, comme ennemi public, au ban de la confédération irlandaise, et, au lieu d'un seul roi, presque tous lui déclarèrent la guerre. Les nouveaux colons, voyant leur cause intimement liée à la sienne, résolurent de faire tous leurs efforts pour le soutenir en se défendant eux-mêmes, et au premier bruit de l'orage qui s'amassait, ils envoyèrent quelqu'un des leurs en Angleterre recruter des aventuriers et des vagabonds, normands, français, ou même anglais de race[62]. On leur promettait une solde et des terres ; il en vint un grand nombre que le roi Dermot accueillit comme les premiers, et auxquels il fit, dès le débarquement, une fortune toute différente de leur fortune antérieure, dont le mauvais état se trahissait par les surnoms mêmes de quelques-uns d'entre eux, comme Raymond le Pauvré, qui, sans changer de sobriquet, devint haut et puissant baron sur la côte orientale de l'Irlande[63]. La colonie étrangère, graduellement accrue sous les auspices du chef de Leinster, qui voyait désormais en elle son unique sauvegarde, avait, malgré ses engagements, une tendance à séparer sa cause de celle du roi irlandais, et à former par elle-même une société indépendante. Bientôt les aventuriers dédaignèrent de marcher au combat sous la conduite de celui dont ils recevaient la solde, d'un homme ignorant la tactique, ou, comme on s'exprimait alors, les faits d'armes de la chevalerie. Ils voulurent avoir un capitaine d'une grande réputation en guerre, et invitèrent à venir les commander Richard, fils de Gilbert Strong-bow, et petit-fils du premier comte de Pembroke[64]. Cet homme, fameux entre les descendants des conquérants du pays de Galles, comme celui qui possédait les plus vastes domaines, se trouvait alors tellement appauvri par ses dépenses excessives et si fort inquiété par ses créanciers, que, pour fuir leurs poursuites et réparer sa fortune, il n'hésita pas à se rendre à l'appel des Normands d'Irlande[65]. Sa réputation et son rang lui firent trouver de nombreux compagnons. Il aborda, avec plusieurs vaisseaux, des soldats et des munitions de guerre, au même lieu où les alliés de Dermot avaient débarqué deux ans auparavant, et fut reçu avec de grands honneurs par ses compatriotes et par le roi de Leinster, forcé d'accueillir avec joie ce nouvel ami, qui pouvait devenir un jour redoutable pour lui-même[66]. Richard joignit son armée à la colonie normande, et prenant le commandement de toutes ces forces, il attaqua Waterford, ville du royaume de Mumham ou de Munster, la plus voisine du territoire occupé par les Normands. Cette ville, fondée par les corsaires septentrionaux, comme l'atteste son nom teutonique, fut alors prise d'assaut[67]. Les Normands y laissèrent une garnison, et, se dirigeant vers le nord, ils allèrent attaquer Dyvlin ou Dublin, autre ville fondée par les Danois, la plus grande et la plus riche de la côte orientale[68]. Soutenus par toutes les troupes du roi Dermot, ils prirent Dublin, et se mirent ensuite à faire des excursions en différents sens sur le plat pays, s'emparèrent de plusieurs cantons, s'en assurèrent d'autres par capitulation[69], et jetèrent les fondements de plusieurs châteaux forts, édifices plus rares encore en Irlande qu'ils ne l'avaient été en Angleterre avant la conquête[70]. Les Irlandais, vivement frappés de ce progrès rapide des étrangers, l'attribuèrent à la colère divine ; et, mêlant un sentiment d'humanité à leurs craintes superstitieuses, ils crurent conjurer le fléau qui leur venait d'Angleterre, en affranchissant tous les hommes de race anglaise qui se trouvaient esclaves en Irlande après avoir été enlevés par des pirates ou achetés à prix d'argent[71]. Cette résolution généreuse, décrétée dans un grand conseil des chefs et des évêques du pays, ne fit point tomber l'épée des mains de Richard, fils de Gilbert. Maître du royaume de Leinster, sous le nom de l'Irlandais Dermot, dont il épousa la fille[72], et qui devint le protégé et le vassal de ses anciens soldats à gages, le Normand menaçait de conquérir tout le pays, à l'aide de nouvelles recrues d'aventuriers qu'il appelait à lui d'Angleterre. Mais le bruit de l'accroissement prodigieux de cette nouvelle puissance ; parvenant au roi Henri II, lui inspira une grande jalousie[73]. Jusqu'alors il avait vu. sans peine et même avec satisfaction l'établissement des hommes d'armes de Pembroke sur les côtes de l'Irlande, et leur liaison avec l'un des rois du pays, qui se trouvait, de cette manière, engagé contre ses compatriotes dans une hostilité favorable aux desseins du roi d'Angleterre, si jamais il réalisait son ancien plan de conquête. Mais la possession d'une grande partie de File par un homme de race normande, qui chaque jour augmentait ses forces en ouvrant un asile aux aventuriers, et qui pouvait déjà, s'il le voulait, payer au pape la rente d'un denier par maison, alarma fortement l'ambition du roi[74]. Il fit publier une proclamation menaçante, pour ordonner à tous ceux de ses hommes liges qui séjournaient présentement en Irlande, d'être de retour en Angleterre à la prochaine fête de Pâques, sous peine de forfaiture de tous leurs biens et de bannissement perpétuel. Il défendit en outre qu'aucun vaisseau, parti de ses domaines d'Angleterre ou du continent, abordât en Irlande sous quelque prétexte que ce fût[75]. Cette prohibition arrêta les progrès de Richard Strong-bow, qui se trouva subitement privé de tout nouveau renfort d'hommes, de provisions et d'armes[76]. Faute de hardiesse personnelle, ou de moyens réels pour se maintenir par ses propres forces, Richard essaya de négocier un accommodement avec le roi, et députa vers lui, en Aquitaine, Raymond le Gros, l'un de ses lieutenants[77]. Celui-ci fut mal reçu du roi, qui ne voulut répondre à aucune de ses propositions, ou plutôt y répondit d'une manière assez expressive, en confisquant tous les domaines de Richard en Angleterre et dans le pays de Galles[78]. Dans le même temps, la colonie normande du pays de Leinster essuya une attaque violente de la part des hommes de race danoise établis sur la côte nord-est de l'Irlande, réunis aux Irlandais de race indigène. Les confédérés étaient soutenus par Godred, roi de l'île de Man, Scandinave de nom et d'origine, et chef d'un peuple mélangé de Galles et de Teutons. Ils tentèrent de reprendre Dublin ; les Normands résistèrent ; mais craignant les effets de cette nouvelle ligue formée contre eux dans le dénuement où ils se trouvaient de tout secours extérieur, par suite des ordonnances royales, ils crurent ne pouvoir mieux faire que de se réconcilier avec le roi, à quelque prix que ce fût[79]. Henri II exigea des conditions fort dures ; mais le comte de Pembroke et ses compagnons s'y soumirent. Ils donnèrent au roi la cité de Dublin avec les meilleures des villes qu'ils avaient conquises[80]. Pour prix de cet abandon, le roi rendit à Richard, fils de Gilbert, ses domaines confisqués, et confirma aux Normands d'Irlande leurs possessions territoriales, pour les tenir de lui en fief, sous condition de foi et d'hommage[81]. De chef souverain qu'il était, Richard Strong-bow devint sénéchal du roi d'Angleterre en Irlande ; et le roi lui-même se mit promptement en route pour aller visiter les nouvelles possessions qu'il venait d'acquérir sans aucune peine. Le lieu du rendez-vous assigné à l'armée royale fut la côte occidentale du comté de Pembroke. Avant de monter sur son vaisseau, Henri II fit ses dévotions dans l'église de Saint-David, et recommanda au ciel le voyage qu'il entreprenait, disait-il, pour l'accroissement de la sainte Église[82]. Il prit terre à Waterford, où les chefs normands du royaume de Leinster, et Dermot, fils de Morrogh, encore roi de nom, mais dont la royauté titulaire expirait nécessairement à l'entrée du roi étranger, le reçurent comme, dans ce siècle, les vassaux recevaient un seigneur suzerain[83]. Leurs troupes se joignirent à son armée, qui marcha vers l'ouest, et parvint sans résistance jusqu'à la ville de Cashell. Les habitants de tout le pays voisin, désespérant de tenir tête à de si grandes forces, émigrèrent en foule et se réfugièrent dans fa contrée montagneuse qui est au delà du grand fleuve de Shannon. Les rois des provinces du sud, laissés par cette terreur panique à la merci de l'étranger, furent contraints de se rendre à ses sommations, de lui jurer fidélité et de s'avouer tributaires[84]. Les Normands partagèrent entre eux les terres des Irlandais fugitifs ; et quand ces derniers revinrent poussés par la détresse, les vainqueurs les reçurent à titre de serfs sur la glèbe de leurs propres champs. Des garnisons normandes furent placées dans les villes, des officiers normands remplacèrent les anciens chefs nationaux, et tout un royaume, celui de Cork, fut donné par le roi Henri à Robert, fils d'Étienne, l'un des capitaines d'aventuriers qui lui avaient ouvert si aisément le chemin de l'Irlande[85]. Après avoir ainsi partagé et organisé les provinces du sud, le roi se transporta vers le nord, dans la grande ville de Dublin. Dès qu'il y fut arrivé, au nom de son droit de seigneurie, fondé, à ce qu'il disait, sur une donation de l'Église, il somma tous les rois irlandais de venir à sa cour, afin de lui prêter le serment de foi et d'hommage[86]. Les rois du midi s'y rendirent ; mais celui de la grande province occidentale de Connaught, auquel appartenait alors la suprématie sur tous les autres et le titre national de roi du pays, répondit qu'il ne se rendrait à la cour de personne, puisque lui seul était chef de toute l'Irlande[87]. La hauteur des montagnes et l'étendue des marais de sa province lui permirent de donner impunément cet exemple de fierté patriotique[88]. Ce fut aussi vainement que les sommations du roi d'Angleterre parvinrent dans le nord de l'île : pas un chef de la province de Thuall ou d'Ulster ne vint faire hommage à la cour normande de Dublin, et la souveraineté nominale de Henri II resta bornée par une ligne tirée du nord-est au sud-ouest, depuis l'embouchure de la Boyne jusqu'à celle du Shannon[89]. On éleva à Dublin un palais de bois poli et peint, suivant la mode d'Irlande, et c'est là que passèrent les fêtes de Noël ceux des chefs qui avaient consenti à placer leurs mains, comme vassaux, entre, les mains du roi étranger[90]. Là furent étalées, durant plusieurs jours, toutes les pompes de la royauté normande ; et le peuple irlandais, peuple doux et sociable, ami de la nouveauté et susceptible d'impressions vives, se plut, si l'on en croit les vieux auteurs, à considérer avec des regards curieux l'éclat dont s'entouraient ses maîtres, leurs chevaux, leurs armes et la dorure de leurs habits[91]. Les membres du clergé et surtout les archevêques, installés peu d'années auparavant par les légats pontificaux, jouèrent un grand rôle dans cette soumission au droit de la force. Il est vrai que les prélats des contrées de l'ouest et du nord ne vinrent pas à Dublin, non plus que les chefs politiques de ces contrées ; mais ceux du midi et de l'est jurèrent au roi Henri fidélité envers et contre tous les hommes[92]. Ils adressaient au porteur de la bulle d'Adrien IV ce verset souvent appliqué par le clergé aux conquérants : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Mais Henri II ne se contenta point de ces témoignages précaires d'obéissance et de résignation ; il en exigea de plus durables, et voulut que chacun des évêques irlandais lui remit des lettres signées et scellées en forme de charte authentique, par lesquelles tous déclaraient avoir constitué, de leur propre mouvement, roi et seigneur de l'Irlande, le glorieux Henri, fils de l'Emperesse, et ses héritiers, à tout jamais[93]. Le roi Henri se proposait d'envoyer ces lettres au pape
régnant, Alexandre III, pour obtenir de lui une confirmation authentique de
la bulle du pape Adrien. Afin de, prouver d'une manière éclatante qu'il
songeait à exécuter les clauses stipulées dans cette bulle pour l'avantage de
l'Église romaine, il assembla dans la ville de Cashell un synode d'évêques
irlandais et de prêtres normands, chapelains, abbés ou simples clercs, pour
travailler à l'établissement définitif de la domination papale en Hibernie[94]. Ce synode
prescrivit strictement l'observation des canons prohibitifs du mariage
jusqu'au sixième degré de parenté, loi toute nouvelle pour l'Irlande, où se
contractaient de la manière la plus innocente une foule d'unions réprouvées
par l'Église dans les autres pays chrétiens[95]. On prit encore,
dans l'assemblée de Cashell, d'autres résolutions ayant pour objet de faire
prévaloir la discipline canonique, et l'on décréta que le service des
églisees d'Irlande serait désormais modelé sur celui des églises
d'Angleterre. L'Hibernie, disaient les actes
de ce concile, étant aujourd'hui, par la grâce et la
providence divines, soumise au roi d'Angleterre, il est de toute justice qu'elle
reçoive de ce pays l'ordre et les règles capables de la réformer et d'y
introduire une meilleure façon de vivre[96]. Ces choses se passèrent près de deux années après le meurtre de Thomas Beket, dans un temps où le roi Henri se trouvait ramené par la nécessité politique à, de grandes dispositions d'humilité envers le pape ; tout son ancien orgueil vis-à-vis des cardinaux et des légats, et sa volonté de maintenir, contre le pouvoir épiscopal, Ce qu'il appelait naguère les droits et la dignité de sa couronne, étaient alors évanouis[97]. Le besoin d'obtenir l'aide et l'appui du souverain pontife, pour assurer sa puissance en Irlande, n'était pas la seule cause de ce changement, et la mort du primat de Canterbury y avait aussi contribué. Quelque désir qu'eût le roi d'être délivré de son antagoniste, quelque vivement qu'il eût exprimé ce désir dans ses accès d'irritation, les circonstances de l'assassinat, commis en plein jour, au pied de l'autel, lui déplurent et l'inquiétèrent. Il était fâché, dit un contemporain, de la manière dont le martyre avait eu lieu, et craignait d'être appelé traître pour avoir, à la vue de tout le monde, donné pleine et entière paix au saint homme, et l'avoir presque aussitôt envoyé périr en Angleterre[98]. Les ennemis politiques de Henri II avaient saisi avidement cette accusation de trahison et de parjure ; ils la répandaient avec zèle, et donnaient le nom de pré aux traitres à la prairie où s'était faite la réconciliation du primat et du roi d'Angleterre[99]. Le roi de France s'épuisait en invectives et en messages, pour exciter de toutes parts la haine contre son rival, et surtout pour renouveler le soulèvement des provinces d'Aquitaine et de Bretagne[100]. A l'exemple de la population anglo-saxonne, mais par de tout autres motifs, le roi Louis n'attendit pas un décret de l'Église romaine pour ériger en saint et en martyr celui qu'il avait tour à tour secouru, délaissé et secouru de nouveau, au gré de son propre intérêt. L'impression d'horreur que le meurtre de l'archevêque avait produite sur le continent lui fournit un prétexte pour rompre la trêve avec le roi Henri, et il se flatta d'avoir le souverain pontife pour auxiliaire dans la guerre qu'il voulait recommencer. Que le glaive de saint Pierre, lui écrivait-il, soit tiré du fourreau pour la vengeance du martyr de Canterbury ; car son sang crie au nom de l'Église universelle, et demande satisfaction à l'Église[101]. Thibaut, comte de Blois, vassal du roi de France, et qui désirait arrondir, aux dépens de l'autre roi, ses terres voisines de la Touraine, fut encore plus violent dans les dépêches qu'il envoya au pape. Le sang du juste, disait-il, a été versé ; les chiens de cour, les familiers, les domestiques du roi d'Angleterre se sont faits les ministres de son crime. Très-saint père, le sang du juste crie vers vous ; que le Père tout-puissant vous inspire la volonté et vous communique la force de le venger[102]. Enfin l'archevêque de Sens, qui s'intitulait primat des Gaules, lança un arrêt d'interdit sur toutes les provinces continentales du roi d'Angleterre[103]. C'était un moyen puissant de réveiller dans ces provinces les mécontentements populaires, car l'exécution d'une sentence d'interdit était accompagnée d'un appareil lugubre qui frappait vivement les esprits. On dépouillait les autels, on renversait les crucifix, on tirait de leurs châsses les ossements des saints, et on les dispersait sur le pavé des églises ; on enlevait les portes, qu'on remplaçait par des amas de ronces et d'épines ; et aucune cérémonie religieuse n'avait plus lieu, si ce n'est le baptême des enfants nouveau-nés et la confession des mourants[104]. Les prélats de Normandie, qui n'avaient aucune haine politique contre Henri II, n'exécutèrent point cette sentence ; et l'archevêque de Rouen, qui s'érigeait en primat des provinces continentales soumises au roi d'Angleterre, défendit, par des lettres pastorales, aux évêques d'Anjou, de Bretagne et d'Aquitaine, d'obéir à l'interdit jusqu'à ce qu'il eût été ratifié par le pape[105]. Trois évêques et plusieurs clercs normands partirent en ambassade pour Rome, afin d'y justifier le roi Henri de l'accusation de meurtre et de parjure[106]. Aucun des membres du clergé aquitain ne fut mêlé dans cette affaire, soit que le roi se défiât d'eux, soit qu'ils eussent manifesté des dispositions peu favorables à sa cause. On peut juger de l'esprit qui les animait par la lettre suivante, adressée au roi lui-même par Guillaume de Trahinac, prieur de l'abbaye de Grandmont, près de Limoges, abbaye que Henri II aimait beaucoup, et dont il faisait alors rebâtir l'église. Ah ! seigneur roi, qu'est-ce que j'apprends de vous ? Je ne veux pas que vous ignoriez que, depuis le jour où je sais que vous êtes tombé de chute mortelle, j'ai renvoyé les ouvriers qui bâtissaient à vos gages l'église de notre maison de Grandmont, afin qu'il n'y ait plus rien de commun entre vous et nous'[107]. Pendant que le roi de France et les autres ennemis de Henri II lui imputaient directement le meurtre de l'archevêque de Canterbury, et s'efforçaient de présenter le crime des quatre chevaliers normands comme l'effet d'une mission expresse, les amis du roi essayaient d'accréditer une version toute contraire. Ils voulaient faire passer la mort violente de Thomas Beket pour un simple accident, où la haine du roi n'avait eu aucune espèce de part. Une prétendue narration des faits, rédigée et signée par un évêque, fut envoyée au pape Alexandre III, au nom de tout le clergé de Normandie. Les prélats normands racontaient que, se trouvant un jour réunis auprès du roi pour traiter des affaires de l'Église et de l'État, ils avaient appris inopinément de la bouche de certaines personnes revenant d'Angleterre, que Certains ennemis de l'archevêque, poussés à bout par ses provocations, s'étaient jetés sur lui et l'avaient tué[108] ; qu'on avait caché quelque temps au roi cette fâcheuse nouvelle, mais qu'à la fin elle lui était parvenue, parce qu'on ne pouvait lui laisser ignorer un crime dont la punition lui appartenait par le droit de la puissance et du glaive[109] ; qu'aux premiers mots du triste récit, il s'était répandu en gémissements, et abandonné à une douleur qui mettait à découvert l'âme de l'ami plutôt que celle du prince, paraissant tantôt comme stupéfait, et tantôt jetant des cris et sanglotant[110] ; avait passé trois jours entiers renfermé dans sa chambre, refusant toute nourriture et toute consolation, et paraissant avoir le projet de mettre fin à sa vie[111] : Tellement, ajoutent les narrateurs, que nous, qui d'abord nous lamentions sur le sort du primat, nous commençâmes à désespérer du roi, et à croire que la mort de l'un amènerait malheureusement celle de l'autre. Enfin ses amis intimes se hasardèrent à lui demander ce qui l'affligeait à ce point et l'empêchait de revenir à lui-même. — C'est que je crains, répondit-il, que les auteurs et les complices de cet abominable forfait ne se soient promis l'impunité, se fiant sur mon ancienne rancune, et que ma réputation ne souffre des mauvais propos de mes ennemis, qui ne manqueront pas de m'attribuer tout ; mais, par le Dieu tout-puissant, je n'y ai coopéré en aucune façon, ni de volonté ni de conscience, à moins que l'on ne regarde comme un délit de ma part l'opinion, conservée encore par certains hommes, que j'aimais peu l'archevêque[112]. Ce récit, dans lequel l'exagération des sentiments, l'appareil dramatique, l'affectation de présenter le roi comme l'ami le plus tendre du primat, sont des signes évidents de fausseté, obtint peu de crédit à la cour de Rome et dans le monde. Il n'empêcha point les malveillants de propager la croyance, également fausse, que Thomas avait été tué par l'ordre formel de Henri II. Pour affaiblir ces impressions, le roi prit le parti d'adresser lui-même au pape une relation du meurtre et de ses propres regrets plus conforme à la vérité que celle dès prélats de Normandie, sans cesser pourtant d'être inexacte. Dans cette lettre, le roi d'Angleterre se gardait bien d'avouer que les quatre assassins étaient partis de sa cour, après l'avoir entendu proférer une exclamation de fureur qui pouvait passer pour un ordre, et il exagérait ses bons offices envers le primat, ainsi que les torts de ce dernier. Je lui avais rendu, disait-il, mon amitié et la pleine possession de ses biens ; je lui avais accordé de rentrer en Angleterre honorablement défrayé par moi ; mais, à son retour, au lieu des joies de la paix, il a apporté le glaive et l'incendie. Il a mis en question ma dignité royale, et excommunié sans raison mes plus zélés serviteurs. Alors, ceux qu'il avait excommuniés, et d'autres encore, ne pouvant supporter plus longtemps l'insolence de cet homme, se sont jetés sur lui, et l'ont tué : ce que je ne puis dire sans douleur[113]. La cour de Rome fit d'abord grand bruit de l'attentat sacrilège commis contre l'oint du Seigneur ; et quand les clercs normands, envoyés auprès d'elle, présentèrent leurs lettres de créance et prononcèrent le nom de Henri, par la grâce de Dieu roi d'Angleterre, tous les cardinaux se levèrent en criant : Arrêtez ! en voilà assez ![114] Mais quand, sortis de la salle d'audience, et chacun en particulier, ils eurent vu briller l'or du roi[115], ils devinrent beaucoup plus traitables, et consentirent à ne point le regarder comme directement complice du meurtre. Ainsi, malgré la clameur publique et les instances de ses ennemis, le roi d'Angleterre ne fut point excommunié, et deux légats partirent de Rome pour aller auprès de lui recevoir sa justification et l'absoudre définitivement[116]. Les choses en étaient à ce point, lorsque. Henri II partit pour l'Irlande, et par cette facile conquête fit diversion à ses inquiétudes. Mais ce succès même le plaça dans une nouvelle relation de dépendance à l'égard du pouvoir papal. Au milieu de ses travaux militaires et politiques dans le pays qu'il venait de conquérir, il avait sans cesse les yeux fixés sur l'autre bord de la mer, attendant avec anxiété la venue des ambassadeurs de Rome. Lorsque enfin, dans le carême qui termina l'année 1172, il apprit que les cardinaux Albert et Théodin étaient arrivés en Normandie ; il quitta tout pour se rendre auprès d'eux, et partit, laissant ses conquêtes d'Irlande à la garde de Hugues de Lacy[117]. Le roi Henri avait déjà obtenu de la cour de Rome sa radiation de la liste des personnes excommuniées par le meurtre de Thomas Beket ; mais cette cour, alors souveraine dans de pareilles causes, laissait toujours peser sur lui l'accusation de complicité indirecte[118]. Un pardon absolu et définitif ne devait être prononcé qu'après de nouvelles négociations et de nouveaux sacrifices pécuniaires. Dans le cas où le roi ne souscrirait point aux conditions du traité, les légats étaient chargés de mettre en interdit l'Angleterre et les possessions du continent : ce qui devait ouvrir au roi de France l'entrée de la Bretagne et du Poitou. Mais en revanche, si Henri II se pliait à toutes leurs demandes, les légats devaient forcer le roi de France, par la menace d'une pareille sentence, à conclure aussitôt la paix avec l'autre roi[119]. La première entrevue du roi d'Angleterre avec les deux cardinaux eut lieu dans un couvent près d'Avranches. Les demandes des Romains, qui sentaient la position fâcheuse où se trouvait le roi, furent tellement exorbitantes, que ce dernier, malgré sa résolution de faire beaucoup pour plaire à l'Église, refusa de se soumettre à ce qu'ils lui proposaient. Il leur dit en les quittant : Je retourne en Irlande, où j'ai beaucoup d'affaires ; quant à vous, allez en paix sur mes terres, partout où il vous plaira, et accomplissez votre mission[120]. Mais Henri II ne tarda pas à songer que le poids de ses affaires d'Irlande serait bientôt trop lourd pour lui sans la faveur pontificale ; et, de leur côté, les cardinaux devinrent un peu moins exigeants. On se réunit de nouveau, et après des concessions mutuelles, la paix fut conclue entre la cour de Rome et le roi, qui, selon la relation officielle envoyée par les légats, se montra plein d'humilité, de crainte de Dieu et d'obéissance à l'Église[121]. Les conditions imposées à Henri II furent un tribut en argent pour les frais de la guerre contre les Sarrasins, l'obligation de se rendre en personne à cette guerre, ou de prendre la croix, comme on disait alors, enfin l'abolition des statuts de Clarendon et de toutes les lois, soit anciennes, soit nouvelles, qui seraient condamnées par le pape[122]. En vertu d'un arrangement préalable, le roi se rendit en cérémonie dans la grande église d'Avranches, et, posant la main sur l'Evangile, jura, devant tout le peuple, qu'il n'avait ni ordonné ni voulu la mort de l'archevêque de Canterbury, et que, l'ayant apprise, il en avait ressenti plus de chagrin que de joie[123]. On lui récita les articles de la paix et les promesses qu'il avait faites, et il fit serment de les exécuter toutes de bonne foi et sans mal engin[124]. Henri, son fils aîné et son collègue dans la royauté, le jura en même temps que lui ; et, pour garantie de cette double promesse, on en dressa une charte, au bas de laquelle fut apposé le sceau royal[125]. Ce roi qu'on avait vu naguère si plein de fierté devant la puissance pontificale, engageait les cardinaux à ne l'épargner en rien. Seigneurs légats, leur disait-il, voici mon corps, il est en vos mains ; et sachez pour sûr que, quoi que vous ordonniez, je suis prêt à obéir[126]. Les légats se contentèrent de le faire agenouiller devant eux pour lui donner l'absolution de sa complicité indirecte, l'exemptant de l'obligation de recevoir sur son dos nu les coups de verge qu'on administrait aux pénitents[127]. Le même jour, il expédia en Angleterre des lettres scellées de son grand sceau pour annoncer à tous les évêques qu'ils étaient dorénavant dispensés de leur promesse d'observer les statuts de Clarendon[128], et annoncer à tout le peuple que la paix était rétablie, à l'honneur de Dieu et de l'Église, du roi et du royaume[129]. Un décret pontifical qui déclarait l'archevêque Thomas saint et martyr, et dont les légats s'étaient munis, comme d'une pièce diplomatique nécessaire à leur mission, fut aussi envoyé en Angleterre, avec ordre de le promulguer dans les églises et sur les places publiques, dans tous les lieux où jusqu'à ce moment avaient été fouettés et piloriés ceux qui osaient appeler crime l'assassinat de l'ennemi du roi[130]. A l'arrivée de ces nouvelles et du bref de canonisation, il y eut une grande rumeur parmi les hauts personnages d'Angleterre, laïques et prêtres ; car il s'agissait pour eux de changer subitement de langage et d'opinion, et d'adopter comme un objet de culte public l'homme qu'ils avaient persécuté avec tant d'acharnement. Les comtes, les vicomtes et les barons qui avaient attendu Thomas Beket sur le rivage pour le tuer, les évêques qui l'avaient insulté dans son exil, qui avaient envenimé la haine du roi contre lui, et porté en Normandie la dénonciation qui fut cause de sa mort, s'assemblèrent dans la grande salle de Westminster pour entendre la lecture du bref papal conçu en ces termes : Nous vous avertissons, tous tant que vous êtes, et vous enjoignons par notre autorité apostolique, de célébrer solennellement la mémoire de Thomas, le glorieux martyr de Canterbury, chaque année, au jour de sa passion, afin qu'en lui adressant vos prières et vos vœux, vous obteniez le pardon de vos fautes, et que celui qui vivant a subi l'exil, et mourant a souffert le martyre pour la cause du Christ, étant invoqué par les fidèles, intercède pour nous auprès de Dieu[131]. A peine la lecture de cette lettre était-elle achevée, que
tous les Normands, clercs et laïques, élevèrent ensemble la voix, et
s'écrièrent : Te Deum laudamus[132]. Pendant que
quelques-uns des évêques continuaient de chanter les versets du cantique de
réjouissance, les autres fondaient en larmes, et disaient d'un ton passionné
: Hélas ! malheureux que nous sommes, nous n'avons point
eu pour notre père le respect que nous lui devions, ni dans son exil, ni
quand il revint d'exil, ni même après son retour. Plutôt que de le secourir
dans ses traverses, nous l'avons persécuté obstinément. Nous confessons notre
erreur et notre iniquitét[133]..... Et comme
s'il n'avait pas suffi de ces exclamations individuelles pour prouver au roi
Henri II que ses fidèles évêques d'Angleterre savaient tourner, à point
nommé, au vent de sa volonté royale, ils se concertèrent pour que l'un
d'entre eux, prenant publiquement la parole, prononçât, au nom de tous les
autres, leur confession solennelle[134]. Gilbert
Foliot, évêque de Londres, autrefois le plus ardent persécuteur du primat,
l'homme le plus fortement inculpé auprès de la cour pontificale, pour le rôle
qu'il avait joué dans les persécutions du nouveau saint et dans la
catastrophe qui les avait couronnées, jura publiquement qu'il n'avait
participé à la mort de l'archevêque, ni en action, ni en écrit, ni en paroles[135]. Il était l'un
de ceux qui, par leurs plaintes et par de faux récits, avaient excité si
violemment la colère du roi contre le primat. Mais un serment effaça tout ;
l'Église romaine fut satisfaite, et Foliot garda son archevêché[136]. Les avantages politiques qui devaient résulter de ce grand changement ne tardèrent pas à être obtenus par le roi d'Angleterre. D'abord, par l'entremise des légats, il eut avec le roi de France une entrevue sur la frontière de Normandie, et y conclut la paix à des conditions aussi favorables qu'il pouvait l'espérer[137]. Ensuite, pour prix de l'abandon qu'il venait de faire de ses anciens projets de réforme ecclésiastique, il reçut du pape Alexandre III la bulle suivante, relative aux affaires d'Irlande : Alexandre, évêque, serviteur des
serviteurs de Dieu, à son très-cher et illustre fils Henri, roi d'Angleterre,
salut, grâce et bénédiction apostolique[138]. Attendu que les dons octroyés, pour bonne et valable cause, par nos prédécesseurs, doivent être par nous ratifiés et confirmés, après avoir mûrement pesé et considéré l'octroi et le privilège de possession de la terre d'Hibernie à nous appartenant, délivré par notre prédécesseur Adrien, nous ratifions, confirmons et accordons semblablement ledit octroi et privilège, à la réserve de la pension annuelle d'un denier par chaque maison due à saint Pierre et à l'Église romaine, aussi bien en Hibernie qu'en Angleterre, pourvu toutefois que le peuple d'Hibernie soit réformé dans sa vie et dans ses mœurs abominables, qu'il devienne chrétien de fait comme il l'est de nom, et que l'église de ce pays, aussi désordonnée et grossière que la nation elle-même, soit ramenée sous de meilleures lois[139]... Pour appuyer cette donation d'un peuple entier, corps et biens, une sentence d'excommunication et d'abandon au pouvoir du diable fut lancée contre tout homme qui oserait nier les droits du roi Henri et de ses héritiers sur l'Irlande. Tout semblait donc s'arranger à souhait pour l'arrière-petit-fils du conquérant de l'Angleterre. L'homme qui l'avait importuné pendant neuf ans n'était plus, et le pape, qui s'était servi de l'obstination de cet homme pour alarmer l'ambition du roi, le secondait amicalement dans ses projets de conquête. Pour que rien ne troublât son repos, il le dispensait, par l'absolution, de tout remords qui eût pu inquiéter sa conscience après un meurtre commis, sinon par son ordre, du moins pour lui complaire. Il le dispensait même, implicitement, de l'obligation de punir ceux qui avaient commis ce meurtre par excès de zèle pour son intérêt[140] ; et les quatre Normands Traci, Morville, fils d'Ours, et Le Breton, demeurèrent en sûreté et en paix dans un château royal du nord de l'Angleterre. Nulle justice ne les poursuivit, excepté celle de l'opinion populaire, qui répandait sur eux mille contes sinistres ; par exemple, que les animaux mêmes avaient horreur de leur présence, et que les chiens refusaient de toucher aux restes de leurs repas[141]. En gagnant l'appui du pape contre l'Irlande, Henri II se trouvait, par cet accroissement de puissance à l'extérieur, amplement dédommagé de la diminution de son influence sur les affaires ecclésiastiques ; et rien ne prouve qu'il ne s'y soit pas résigné de bon cœur. Le pur goût du bien n'était pas ce qui l'avait conduit dans ses réformes législatives ; et l'on doit se souvenir qu'une fois déjà il avait proposé au pape de lui abandonner les statuts de Clarendon, et plus encore, si, de son côté, il voulait consentir à sacrifier Thomas Beket[142]. Ainsi, après de longues agitations, Henri II goûtait en paix la joie de l'ambition satisfaite ; mais ce calme ne dura guère, et de nouveaux chagrins, où, par une fatalité bizarre, le souvenir de l'archevêque se trouve encore mêlé, vinrent bientôt affliger le roi. Le lecteur se rappelle que, durant la vie du primat, Henri II, ne pouvant déterminer le pape à lui enlever son titre, avait résolu d'abolir la primatie elle-même, et que, dans cette vue, ii avait fait couronner roi son fils aîné par les mains de l'archevêque d'York[143]. Cette démarche, qui paraissait n'avoir d'importance qu'en ce qu'elle attaquait par sa base la hiérarchie religieuse établie depuis la conquête, eut des suites que personne n'avait prévues. Comme il y avait deux rois d'Angleterre, les courtisans et les flatteurs se partagèrent entre le père et le fils. Les plus jeunes et les plus actifs en intrigues se rangèrent du côté du dernier[144]. Une circonstance particulière lui attira surtout l'affection des Aquitains et des Poitevins, gens habiles, insinuants, persuasifs, avides de nouveautés par caractère, et prompts à saisir tous les moyens d'affaiblir la puissance anglo-normande, à laquelle ils n'obéissaient qu'à regret. Il y avait déjà longtemps que la bonne intelligence n'existait plus entre Éléonore de Guienne et son mari. Celui-ci, une fois en possession des honneurs et des titres que la fille du comte Guillaume lui avait apportés en dot, et pour lesquels seulement, au dire des vieux historiens, il l'avait aimée et épousée[145], s'était mis à entretenir des maîtresses de tout rang et de toute nation. La duchesse d'Aquitaine, passionnée et vindicative comme une femme du Midi, s'efforça d'inspirer à ses fils de l'éloignement pour leur père, et les entoura de soins et de tendresse pour s'en faire un soutien contre lui[146]. Du moment que l'aîné fut entré en partage de la dignité royale, elle lui donna des amis, des conseillers, des confidents intimes, qui, durant les absences nombreuses de Henri II, excitèrent, autant qu'ils purent, l'ambition et l'orgueil du jeune homme[147]. Ils eurent peu de peine à lui persuader que son père, en le faisant couronner roi, avait pleinement abdiqué en sa faveur, que lui seul était roi d'Angleterre, et que nul autre ne devait prendre ce titre, ni exercer le souverain pouvoir[148]. Le vieux roi, c'est le nom qu'on employait alors pour désigner Henri II[149], ne tarda pas à s'apercevoir des mauvaises dispositions où les confidents de son fils s'étudiaient à l'entretenir ; plusieurs fois il le força de changer d'amis et de congédier ceux qu'il aimait le plus[150]. Mais ces mesures, auxquelles les occupations continuelles de Henri II sur le continent, et ensuite en Irlande, ne lui permettaient pas de donner beaucoup de suite, aigrissaient le jeune homme sans le corriger, et lui donnaient une sorte de droit à se dire persécuté et à se plaindre de son père[151]. Les choses en étaient à ce point, lorsque la paix fut rétablie, par l'entremise du pape, entre les rois de France et d'Angleterre. Une des causes de leur dernière brouillerie était que le roi Henri, en faisant couronner son fils par l'archevêque d'York, n'avait point fait alors sacrer de même son épouse Marguerite, fille du roi de France[152]. Ce tort fut réparé à la paix ; et Marguerite, couronnée reine, souhaita de visiter son père à Paris. Henri II, n'ayant aucune raison pour s'opposer à cette demande, laissa le jeune roi accompagner sa femme à la cour de France ; mais, au retour, celui-ci parut plus mécontent que jamais[153] ; il se plaignait d'être roi sans terre et sans trésor, et de n'avoir pas une maison en propre où il pût demeurer avec sa femme[154] ; il alla jusqu'à demander à son père de lui abandonner en toute souveraineté ou le royaume d'Angleterre, ou le duché de Normandie, ou le comté d'Anjou[155]. Le vieux roi lui conseilla de se tranquilliser et d'avoir patience jusqu'au temps où la succession de tous ses États viendrait à lui échoir. Mais cette simple réponse porta au dernier point le mécontentement du jeune homme ; et depuis ce jour, disent les historiens du temps, il n'adressa plus une parole de paix à son père[156]. Henri II, concevant des craintes sur sa conduite, et voulant l'observer de près, le fit voyager avec lui dans la province d'Aquitaine. Ils tinrent leur cour à Limoges, où Raymond, comte de Toulouse, quittant l'alliance du roi de France, vint faire hommage au roi d'Angleterre, suivant la politique flottante des méridionaux, sans cesse ballottés, et passant alternativement de l'un à l'autre des rois leurs ennemis[157]. Le comte Raymond donna fictivement à son nouvel allié le territoire qu'il gouvernait ; puis il le reçut fictivement en fief, et prêta le même serment que le vassal à qui un seigneur concédait réellement quelque terre[158]. Il jura de garder au roi Henri féauté et honneur, de lui donner aide et conseil envers et contre tous, de ne jamais trahir son secret, et de lui révéler, dans l'occasion, le secret de ses ennemis[159]. Lorsque le comte de Toulouse en vint à cette dernière partie du serment d'hommage : J'ai à vous avertir, dit-il au roi, de mettre en sûreté vos châteaux de Poitou et de Guienne, et de vous défier de votre femme et de votre fils[160]. Henri ne laissa rien entrevoir de cette confidence, qui semblait annoncer un complot auquel le comte de Toulouse avait été sollicité de se joindre : seulement il prit prétexte de plusieurs grandes parties de chasse qu'il fit avec des gens dévoués, pour visiter les forteresses du pays, les mettre en état de défense, et s'assurer des hommes qui y commandaient[161]. Au retour de leur voyage en Aquitaine, le roi et son fils s'arrêtèrent à Chinon pour y coucher, et dans la nuit même, le fils, sans avertir son père, le quitta et marcha seul jusqu'à Alençon. Le père se mit à le poursuivre, mais sans pouvoir l'atteindre ; le jeune homme vint à Argentan, et de là passa de nuit sur les terres de France[162]. Dès que le vieux roi l'eut appris, il monta aussitôt à cheval, et parcourut, avec la plus grande vitesse possible, toute la frontière de Normandie, dont il inspecta les places fortes, pour les mettre à l'abri d'un coup de main[163]. Il envoya ensuite des dépêches à tous les châtelains d'Anjou, de Bretagne, d'Aquitaine et d'Angleterre, leur ordonnant de réparer au plus vite et de garder avec soin leurs forts et leurs villes[164]. Des messagers se rendirent aussi près du roi de France, afin d'apprendre quels étaient ses desseins, et de réclamer le fugitif au nom de l'autorité paternelle[165]. Le roi Louis reçut ces ambassadeurs dans sa cour plénière, ayant à sa droite le jeune Henri, revêtu d'ornements royaux. Lorsque les envoyés eurent présenté leurs dépêches, suivant le cérémonial du temps : De la part de qui m'apportez-vous ce message ? leur demanda le roi de France. — De la part de Henri, roi d'Angleterre, duc de Normandie, duc d'Aquitaine, comte des Angevins et des Manceaux. — Cela n'est pas vrai, répondit le roi, car voici à mes côtés Henri, roi d'Angleterre, qui n'a rien à me faire dire par vous. Mais si c'est le père de celui-ci, le ci-devant roi d'Angleterre, à qui vous donnez ces titres, sachez qu'il est mort depuis le jour où son fils porte la couronne ; et s'il se prétend encore roi après avoir, à la face du monde, résigné le royaume entre les mains de son fils, c'est à quoi l'on portera remède avant qu'il soit peu[166]. En effet, le jeune Henri fut reconnu comme seul roi d'Angleterre dans une assemblée générale de tous les barons et évêques du royaume de France[167]. Le roi Louis VII et, après lui, tous les seigneurs, jurèrent la main sur l'Évangile d'aider le fils, de tout leur pouvoir, à conquérir les États de son père[168]. Le roi de France fit fabriquer un grand sceau aux armes d'Angleterre, pour que Henri le Jeune pût apposer ce signe de la légalité sur ses chartes et ses dépêches. Pour premier acte de souveraineté, celui-ci fit des donations de terres et d'honneurs, en Angleterre et sur le continent, aux principaux seigneurs de France et aux autres ennemis de son père[169]. Il confirma au roi d'Écosse les conquêtes que son prédécesseur avait faites dans le Northumberland[170], et donna au comte de Flandre toute la province de Kent, et les châteaux de Douvres et de Rochester ; il donna au comte de Boulogne un grand domaine près de Lincoln, avec le comté de Mortain en Normandie ; enfin, au comte de Blois, Amboise, Château-Regnault et cinq cents livres d'argent sur les revenus de l'Anjou[171]. D'autres donations furent faites à plusieurs barons d'Angleterre et de Normandie, qui avaient promis de se déclarer contre le vieux roi ; et Henri le Jeune[172] envoya des dépêches scellées de son nouveau sceau royal à tous ses amis, à ceux de sa mère, et même au pape, qu'il essaya d'attirer dans ses intérêts par l'offre de plus grands avantages que la cour de Rome n'en retirait alors de son amitié avec Henri II. Cette dernière lettre devait être, en quelque sorte, le manifeste de l'insurrection ; car c'était au souverain pontife que se faisaient alors les appels qui, de, nos jours, s'adressent à l'opinion publique. Une particularité remarquable de ce manifeste, c'est que
Henri le Jeune y prend tous les titres de son père, excepté celui de duc
d'Aquitaine, sans doute pour se mieux concilier la faveur des gens de ce
pays, qui ne voulaient reconnaître de droit sur eux que dans la fille de leur
dernier chef national. Mais une chose plus remarquable encore, c'est l'origine
que le jeune roi attribue à ses différends avec son père, et la manière dont
il se justifie d'avoir violé le commandement de Dieu qui prescrit d'honorer
père et mère. Je passe sous silence, dit la
lettre authentique, les injures qui me sont
personnelles, pour en venir à ce qui a le plus fortement agi sur moi. Les
insignes scélérats qui ont massacré, dans le temple même, mon père
nourricier, le glorieux martyr du Christ, saint Thomas de Canterbury,
demeurent sains et saufs ; ils ont encore racine sur terre ; aucun acte de la
justice royale ne les a poursuivis après un attentat si affreux. Je n'ai pu
souffrir cette négligence, et telle a été la première et la plus forte cause
de la discorde actuelle. Le sang du martyr criait vers moi, je n'ai pu
l'exaucer, je n'ai pu lui rendre la vengeance et les honneurs qui lui étaient
dus ; mais je lui ai du moins rendu mes respects en visitant sa sépulture, à
la vue et au grand étonnement de tout le royaume. Mon père en a conçu beaucoup
de colère contre moi ; mais, certes, je crains peu d'offenser un père quand
il s'agit de la dévotion au Christ, pour lequel on doit abandonner père et
mère. Voilà l'origine de nos dissensions : écoute-moi donc, très-saint père,
et juge ma cause ; car elle sera vraiment juste, si elle est justifiée par
ton autorité apostolique[173]. Pour apprécier à leur juste valeur ces assertions, il suffit de rappeler les ordonnances rendues par le jeune roi lui-même lorsque Thomas Beket vint à Londres. Alors ce fut par son commandement exprès que le séjour de la capitale et de toutes les villes de l'Angleterre, hors celle de Canterbury, fut interdit à l'archevêque, et que tout homme qui lui avait présenté la main en signe de bienvenue fut déclaré ennemi public[174]. Le souvenir de ces faits notoires était encore tout récent dans l'esprit du peuple, et de là vint, sans doute la surprise générale que causa la visite du persécuteur au tombeau du persécuté, si toutefois cette visite elle-même n'est pas une fable. Ace récit, orné de toutes les formules de déférence qui pouvaient flatter l'orgueil du pontife romain, le jeune roi joignit une espèce de plan du nouveau régime qu'il se proposait d'instituer dans les États de son père, si Dieu lui faisait la grâce de les conquérir[175]. Il voulait que les élections ecclésiastiques fussent rétablies dans toute leur liberté, et que la puissance royale ne s'y entremit d'aucune manière ; que les revenus des églises vacantes fussent réservés pour le titulaire futur, et non plus levés pour le fisc, ne pouvant souffrir, disait-il, que les biens de la croix, acquis par le sang du crucifié, devinssent l'aliment du faste, sans lequel les rois ne sauraient vivre[176], que les évêques eussent plein pouvoir d'excommunier et d'interdire, de lier et de délier par tout le royaume, et que jamais aucun membre du clergé rie fût cité devant les juges laïques, comme le Christ devant Pilate[177]. Henri le Jeune offrait encore de joindre à ces dispositions toutes celles qu'il plairait au pape d'y ajouter, et le priait enfin d'écrire officiellement à tout le clergé d'Angleterre que, par l'inspiration de Dieu et l'intercession du nouveau martyr, son roi venait de lui conférer des libertés qui devaient exciter sa joie et sa reconnaissance[178]. Une pareille déclaration eût été en effet d'un grand secours au jeune homme qui, regardant son père comme déjà mort, s'intitulait Henri, troisième du nom. Mais la cour de Rome, trop prudente pour abandonner légèrement le certain pour l'incertain, ne s'empressa point de répondre à cette dépêche, et jusqu'à ce que la fortune se fût prononcée d'une manière plus décisive, elle préféra l'alliance du père à, celle du fils[179]. Outre ce fils, qu'on appelait communément le roi Jeune, en langue normande li reys Josnes et lo reis Joves, dans le dialecte des provinces méridionales[180], le roi d'Angleterre en avait encore trois autres : Richard, que son père, malgré sa jeunesse, avait fait comte de Poitiers, et qu'on nommait Richard de Poitiers ; Geoffroy, comte de Bretagne ; enfin Jean, qu'on surnommait Sans-Terre[181], parce que, seul entre tous, il n'avait ni gouvernement ni province. Ce dernier était en trop bas âge pour prendre partie dans la querelle qui s'élevait entre son père et rainé de ses frères ; mais les deux autres embrassèrent la cause de leur aîné, excités par leur mère et sourdement poussés par leurs vassaux de Poitou et de Bretagne[182]. Il en était de la vaste portion de la Gaule réunie alors sous le pouvoir de Henri II comme il en avait été de la Gaule entière au temps de l'empereur frank Lodewig, vulgairement appelé Louis le Pieux ou le Débonnaire. Les populations qui habitaient au sud de la Loire ne voulaient pas plus être associées à celles qui vivaient au nord de ce fleuve et aux habitants de l'Angleterre, que les Gaulois et les Italiens de l'empire de Karl le Grand n'avaient voulu demeurer unis aux Germains sous le sceptre d'un roi germain[183]. La rébellion des fils de Henri II, coïncidant avec ces répugnances nationales, et s'y associant, comme autrefois celle des enfants de Louis le Débonnaire, ne pouvait manquer de reproduire, quoique sur un théâtre moins vaste, les scènes graves qui signalèrent les discordes de la famille des Césars franks[184]. Une fois l'épée tirée contre le père et le fils, il ne devait plus être permis à aucun d'eux de la remettre à volonté dans le fourreau ; car, entre les deux partis rivaux dans cette guerre domestique, il y avait des nations, des intérêts populaires, incapables de fléchir au gré des retours de l'indulgence paternelle ou du repentir filial. tirs Richard de Poitiers et Geoffroy de Bretagne partirent d'Aquitaine, où ils étaient avec leur mère Éléonore, pour aller rejoindre leur aîné à la cour de France. Tous les deux y arrivèrent sains et saufs ; mais leur mère, qui se disposait à les suivre, fut surprise voyageant en habit d'homme, et jetée dans une prison par l'ordre du roi d'Angleterre[185]. A l'arrivée des deux jeunes frères auprès du roi de France, ce roi leur fit jurer solennellement, comme à l'aîné, de ne jamais conclure ni paix ni trêve avec leur père sans l'entremise des barons de France ; puis la guerre commença sur la frontière de Normandie[186]. Dès que le bruit de ces événements se fut répandu en Angleterre, tout le pays fut en grande rumeur. Beaucoup d'hommes de race normande, et surtout les jeunes gens, se déclarèrent pour le parti des fils[187] ; la population saxonne resta en masse indifférente à cette dispute, et individuellement les serfs et les vassaux anglais s'attachèrent au parti que suivait leur seigneur. Les bourgeois furent enrôlés de gré ou de force dans la cause des comtes ou vicomtes qui gouvernaient les villes, et armés, soit pour le père, soit pour les fils. Henri II était alors en Normandie, et presque chaque jour s'enfuyait d'auprès de lui quelqu'un de ses courtisans les plus intimes, de ceux qu'il avait nourris à sa table, à qui il avait donné de ses propres mains le baudrier de chevalerie[188]. C'était pour lui, dit un contemporain[189], le comble de la douleur et du désespoir, de voir passer l'un après l'autre à ses ennemis les gardes de sa chambre, ceux à qui il avait confié sa personne et sa vie ; car presque chaque nuit il en partait quelqu'un dont on découvrait l'absence à l'appel du matin. Dans cet abandon, et au milieu des dangers qu'il présageait, le roi montrait une sorte de tranquillité apparente. Il se livrait à la chasse plus vivement que de coutume[190] ; il était gai et affable envers les compagnons qui lui restaient, et répondait avec douceur aux demandes de ceux qui, profitant de sa position critique, exigeaient pour leur fidélité des salaires exorbitants[191]. Son plus grand espoir était dans l'appui des étrangers. Il envoya au loin solliciter le secours des rois qui avaient des fils[192]. Il écrivit à Rome pour demander au pape l'excommunication de ses ennemis ; et, afin d'obtenir dans cette cour un crédit supérieur à celui de ses adversaires, il fit au siège apostolique cet aveu de vasselage que Guillaume le Conquérant avait jadis refusé avec tant de hauteur[193]. Sa lettre au pape Alexandre III renfermait les phrases suivantes : Vous que Dieu a élevé à la sublimité des fonctions pastorales, pour donner à son peuple la science du salut ; quoique absent de corps, présent d'esprit, je me jette à vos genoux. A votre juridiction appartient le royaume d'Angleterre, et moi je suis tenu et lié envers vous par toutes les obligations que la loi impose aux feudataires ; que l'Angleterre éprouve donc ce que peut le pontife romain, et si vous n'employez les armes matérielles, défendez au moins avec le glaive spirituel le patrimoine du bienheureux Pierre[194]. Le pape fit droit à cette demande en ratifiant les sentences d'excommunication que les évêques fidèles au roi avaient lancées contre les partisans de ses fils[195]. Il envoya de plus un légat spécial chargé de rétablir la paix domestique, et d'avoir soin que cette paix, quelles qu'en fussent les conditions, produisit quelque nouvel avantage aux princes de l'église romaine. Cependant, d'un côté le roi de France et Henri le Jeune, de l'autre les comtes de Flandre et de Bretagne, passèrent en armes la frontière de Normandie. Le second fils du roi d'Angleterre, Richard, s'était rendu en Poitou ; la plupart des barons de ce pays se soulevèrent pour sa cause, plutôt par haine du père que par amour des fils[196]. Ceux qui, en Bretagne, quelques années auparavant, avaient formé une ligue nationale, renouèrent leur confédération et s'armèrent en apparence pour le comte Geoffroy, mais en réalité pour leur propre indépendance[197]. Attaqué ainsi sur plusieurs points, le roi d'Angleterre n'avait de troupes dans lesquelles il eût pleine confiance qu'un grand corps de ces mercenaires qu'on appelait alors Brabançons, Cotereaux ou Routiers, bandits en temps de paix, soldats en temps de guerre, servant au hasard toutes les causes, aussi braves et mieux disciplinés que les autres milices du temps[198]. Avec une partie de cette armée, Henri II arrêta les progrès du roi de France, et il envoya l'autre partie contre les Bretons révoltés. Ceux-ci furent vaincus en bataille rangée par l'expérience militaire des Brabançons et forcés de se renfermer dans leurs châteaux et dans la ville de Dol, que le roi d'Angleterre assiégea et prit en quelques jours[199]. La défaite des Bretons diminua l'ardeur, non des fils du roi Henri et de leurs partisans normands, angevins ou aquitains, mais du roi de France, qui désirait par-dessus tout conduire cette guerre au moins de frais possible. Craignant d'être obligé à de trop grandes dépenses d'hommes et d'argent, ou. voulant essayer d'autres combinaisons politiques, il dit un jour aux fils révoltés qu'il serait bien fait à eux de se réconcilier avec leur père. Les jeunes princes, contraints par la volonté de leur allié à un soudain retour d'affection filiale, le suivirent au lieu assigné pour les conférences de paix[200]. Non loin de Gisors, dans une vaste plaine, se trouvait un orme gigantesque, dont les branches, à force d'art, étaient ramenées jusqu'à terre, et sous lequel avait lieu, de temps immémorial, les entrevues des ducs de Normandie et des rois de France[201]. C'est là que vinrent les deux rois accompagnés des archevêques, évêques, comtes et barons de leurs terres. Les fils de Henri Il firent leurs demandes, et le père se montra disposé à leur accorder beaucoup. Il offrit à l'aîné la moitié des revenus royaux de l'Angleterre, et quatre bons châteaux forts dans ce pays, s'il y voulait demeurer, ou, s'il l'aimait mieux, trois châteaux en Normandie : un dans le Maine, un dans l'Anjou, un dans la Touraine, avec tous les revenus de ses aïeux les comtes d'Anjou, et la moitié des rentes de Normandie[202]. Il offrit pareillement des terres et des revenus à Richard et à Geoffroy. Mais cette facilité de sa part, et son vif désir de faire cesser à jamais tout motif de querelle entre ses enfants et lui, alarma de nouveau le roi de France[203]. Ce roi cessa de vouloir la paix, et permit aux partisans des fils de Henri II, qui la redoutaient beaucoup, de susciter des obstacles et d'intriguer pour rompre les négociations entamées[204]. L'un de ces hommes, Robert de Beaumont, comte de Leicester, alla jusqu'à dire en face des injures au roi d'Angleterre, et porta la main à son épée[205]. Il fut retenu par les assistants ; mais le tumulte qui suivit cette scène arrêta tout accommodement, et bientôt les hostilités recommencèrent entre le père et les fils. Henri le Jeune et Geoffroy demeurèrent avec le roi de France ; Richard se rendit en Poitou ; et Robert de Beaumont, qui avait mis la main à l'épée contre le roi, alla en Angleterre se joindre à Hugues Bigot, l'un des plus riches barons du pays, et zélé partisan de la rébellion[206]. Avant que le comte Robert eût pu arriver dans sa ville de Leicester, elle fut attaquée par Richard de Lucy, grand justicier du roi. Les hommes d'armes du comte se défendirent vigoureusement et obligèrent les bourgeois saxons de combattre avec eux ; mais une partie du rempart ayant été ruinée, les soldats normands firent leur retraite dans le château de Leicester, abandonnant la ville à elle-même[207]. Les bourgeois continuèrent de résister, ne voulant point se rendre à discrétion à ceux pour lesquels ce n'était que péché véniel de tuer un Anglais en révolte. Obligés enfin de capituler, ils achetèrent pour trois cents livres d'argent la permission de quitter leurs maisons et de se disperser où ils voudraient[208]. Ils cherchèrent un refuge sur les terres des églises : quelques-uns se rendirent au bourg de Saint-Alban, et un grand nombre à celui de Saint-Edmund, martyr de race anglaise, toujours prêt, selon l'opinion populaire, à protéger les hommes de sa nation contre la tyrannie des étrangers[209]. A leur départ, la ville fut démantelée par les troupes royales ; qui enlevèrent les portes et abattirent les murailles[210]. Pendant que les Anglais de Leicester étaient ainsi châtiés de ce que le gouverneur normand avait pris part à la révolte, l'un des lieutenants de ce gouverneur, appelé Anquetil Malory, ayant réuni un assez grand nombre de vassaux et de partisans du comte Robert, attaqua la ville de Northampton, dont le vicomte tenait pour le roi[211]. Ce vicomte força les bourgeois de prendre les armes pour son parti, comme ceux de Leicester avaient été armés de force pour l'autre cause. Un grand nombre furent tués et blessés, et deux cents emmenés prisonniers[212]. Tel est le triste rôle que jouait la population de race anglaise dans la guerre civile des fils de ses vainqueurs. Les fils naturels du roi Henri étaient restés fidèles à leur père, et l'un d'entre eux, Geoffroy, évêque de Lincoln, poussait vivement la guerre, assiégeant les châteaux et les forteresses des barons de l'autre parti[213]. Pendant ce temps, Richard fortifiait pour sa cause les villes et les châteaux du Poitou et de l'Angoumois, et ce fut contre lui que le roi marcha d'abord avec ses fidèles Brabançons, laissant la Normandie, où il avait le plus d'amis, se débattre contre le roi de France. Il mit le siège devant la ville de Saintes, défendue alors par deux châteaux, dont l'un portait le nom de Capitole, reste des souvenirs de l'ancienne Rome, conservés dans plusieurs cités de la Gaule méridionale[214]. Après la prise des forts de Saintes, Henri II attaqua avec ses machines de guerre les deux grosses tours de l'église épis-pale, où les partisans de Richard s'étaient cantonnés[215]. Il s'en empara, ainsi que du fort de Taillebourg et de plusieurs autres châteaux, et dans son retour vers l'Anjou il dévasta toute la frontière du pays des Poitevins, brûlant les maisons et déracinant les vignes et les arbres à fruit[216]. A peine arrivé en Normandie, il apprit que son fils aîné et le comte de Flandre, ayant rassemblé une grande armée navale, se préparaient à descendre en Angleterre[217]. Cette nouvelle le décida à s'embarquer lui-même pour ce pays ; il emmena prisonnières sa femme Éléonore et sa bru Marguerite, fille du roi de France[218]. De Southampton, lieu de son débarquement, le roi se dirigea vers Canterbury, et du plus loin qu'il aperçut l'église métropolitain, c'est-à-dire à trois milles de distance, il descendit de cheval, quitta ses habits de soie, dénoua sa chaussure, et se mit à marcher nu-pieds sur le pavé rocailleux et couvert de boue[219]. Arrivé dans l'église qui renfermait le tombeau de Thomas Beket, il s'y prosterna la face contre terre, pleurant et sanglotant en présence de tout le peuple de la ville, attiré par le son des cloches[220]. L'évêque de Londres, ce même Gilbert Foliot qui avait été le plus grand ennemi de Thomas durant sa vie, et qui, après sa mort, avait voulu le faire jeter dans un bourbier, monta en chaire, et s'adressant à l'assistance : Vous tous ici présents, dit-il, sachez que Henri, roi d'Angleterre, invoquant, pour le salut de son âme, Dieu et le saint martyr, proteste devant vous n'avoir ni ordonné, ni voulu, ni causé sciemment, ni souhaité dans son cœur la mort du martyr. Mais, comme il serait possible que les meurtriers se fussent prévalus de quelques paroles prononcées par lui imprudemment, il déclare implorer sa pénitence des évêques ici rassemblés, et consentir à soumettre sa chair nue à la discipline des verges[221]. En effet, le roi, accompagné d'un grand nombre d'évêques et d'abbés normands, et de tous les clercs normands et saxons du chapitre de Canterbury, se rendit à l'église souterraine, où deux ans auparavant on avait été obligé d'enfermer, comme dans un fort, le cadavre de l'archevêque, pour le Soustraire aux insultes des officiers royaux[222]. Là, s'agenouillant sur la pierre de la tombe et se dépouillant de ses vêtements, il se plaça, le dos nu, dans la posture ou naguère ses justiciers avaient fait placer les Anglais publiquement flagellés pour avoir accueilli Thomas à son retour de l'exil, ou l'avoir honoré comme un saint. Chacun des évêques, dont le rôle était arrangé d'avance, prit un de ces fouets a plusieurs courroies, qui servaient dans les monastères à infliger les corrections ecclésiastiques, et que pour cela on nommait disciplines. Ils en déchargèrent chacun trois ou quatre coups sur les épaules du roi, en disant : De même que le rédempteur a été flagellé pour les péchés des hommes, de même sois-le pour ton propre péché[223]. De la main des évêques la discipline passa dans celle des simples clercs, qui étaient en grand nombre, et la plupart des Anglais de race[224]. Ces fils des serfs de la conquête imprimèrent les marques du fouet sur la chair du petit-fils du Conquérant, non sans en éprouver une secrète joie, que semblent trahir quelques plaisanteries amères consignées dans les récits du temps[225]. Mais ni cette joie ni ce triomphe d'un moment ne pouvaient titre d'aucun fruit pour la population anglaise ; au contraire, cette population était prise pour dupe dans la scène d'hypocrisie que jouait devant elle le roi. de race angevine. Henri II, voyant se tourner contre lui la plus grande partie de ses sujets du continent, avait reconnu la nécessité de se rendre populaire auprès des Saxons, afin de gagner leur appui. Il pensa que quelques coups de discipline seraient peu de chose, s'il pouvait obtenir à ce prix les loyaux services que le bas peuple d'Angleterre avait autrefois rendus à son aïeul Henri Ier[226]. En effet, depuis le meurtre de Thomas Beket, l'amour de ce nouveau martyr était devenu la passion, ou, pour mieux dire, la folie du peuple anglais. Le culte religieux dont on entourait la mémoire de l'archevêque avait affaibli et remplacé presque tous les souvenirs patriotiques. Aucune tradition d'indépendance nationale ne l'emportait sur la vive impression produite par ces neuf années pendant lesquelles un primat de race saxonne avait été l'objet des espérances, des vœux et des entretiens de tout Saxon. Un témoignage éclatant de sympathie avec ce sentiment populaire était donc le meilleur appât que le roi pût offrir alors aux Anglais d'origine pour les attirer à lui, et les rendre, selon les paroles d'un vieil historien, maniables sous le frein et le harnais[227] : voilà la véritable cause du pèlerinage de Henri II à la tombe de celui qu'il avait aimé d'abord comme son compagnons de plaisirs, et qu'ensuite il avait haï mortellement comme son ennemi politique. Après avoir ainsi été fustigé de son plein gré, dit la narration contemporaine, il persévéra dans ses oraisons auprès du saint martyr tout le jour et toute la nuit, ne prit point de nourriture, ne sortit pour aucun besoin ; mais tel il était venu, tel il resta, et ne laissa mettre sous ses genoux aucun tapis ni rien de semblable. Après matines, il fit le tour de l'église supérieure, pria devant tous les autels et toutes les reliques, puis revint au caveau du saint. Le samedi, quand le soleil fut levé, il demanda et entendit la messe ; puis, ayant bu de l'eau bénite du martyr, et en ayant rempli un flacon, il s'éloigna joyeux de Canterbury[228]. Cet appareil de contrition eut un plein succès ; et ce fut avec enthousiasme que les bourgeois des villes et les serfs des campagnes entendirent prêcher dans les églises que le roi s'était réconcilié avec le bienheureux martyr par la pénitence et par les larmes[229]. Il arriva, par hasard, dans le même temps, que Guillaume, roi d'Écosse, qui avait fait une incursion hostile sur le territoire anglais, fut vaincu et fait prisonnier auprès d'Alnwick, dans le Northumberland[230]. La population saxonne, passionnée pour l'honneur de saint Thomas, crut voir dans cette victoire un signe évident de la bienveillance et de la protection du martyr, et dès ce jour elle inclina vers le parti du vieux roi, que le saint paraissait favoriser. Par suite de cette impulsion superstitieuse, les. Anglais indigènes s'enrôlèrent en foule sous la bannière royale, et combattirent avec ardeur contre les complices de la révolte. Tout pauvres et méprisés qu'ils étaient, ils formaient la grande masse des habitants, et rien ne résiste à une pareille force, lorsqu'elle se trouve organisée. Les opposants furent défaits dans toutes les provinces, leurs châteaux pris d'assaut, et un grand nombre de comtes et de barons emmenés prisonniers. On en prit tant, dit un contemporain[231], qu'on avait peine à trouver assez de cordes pour les lier, et assez de prisons pour les enfermer. Cette suite rapide de victoires arrêta le projet de descente en Angleterre formé par Henri le Jeune et par le comte de Flandre[232]. Mais sur le continent, où les populations soumises au roi d'Angleterre n'avaient point pour l'Anglais Beket d'affection nationale, les affaires de Henri II ne prospérèrent pas davantage après sa visite et sa flagellation au tombeau du martyr. Au contraire, les Poitevins et les Bretons se relevèrent alors de leur première défaite et renouèrent plus étroitement leurs associations patriotiques. Eudes de Porrhoët, dont le roi d'Angleterre avait autrefois déshonoré la fille, et qu'ensuite il avait banni, revint d'exil, et rallia de nouveau en Bretagne ceux que fatiguait la domination normande[233]. Les mécontents firent plusieurs coups de main audacieux qui rendirent célèbre dans ce temps la témérité bretonne[234]. En Aquitaine, le parti de Richard reprenait aussi courage, et de nouvelles troupes d'insurgés se rassemblaient dans la partie montueuse du Poitou et du Périgord, sous les mêmes chefs qui, peu d'années auparavant, s'étaient soulevés à l'instigation du roi de France[235]. La haine du pouvoir étranger réunissait autour des seigneurs des châteaux les habitants des villes et des bourgs, hommes libres de corps et de biens ; car la servitude n'existait point au midi de la Loire comme au nord de ce fleuve[236]. Des barons, des châtelains, des fils de châtelains sans patrimoine, suivirent aussi le même parti par un motif moins pur, dans l'espoir de faire fortune à la guerre[237]. Ils commencèrent la campagne en s'attaquant aux riches abbés et aux évêques du pays, dont la plupart, suivant l'esprit de leur ordre, soutenaient la cause du pouvoir établi. Ils pillaient leurs domaines, ou, les arrêtant sur les routes, ils les enfermaient dans quelque château pour les forcer à payer rançon[238]. Parmi ces prisonniers se trouva l'archevêque de Bordeaux, qui, d'après les instructions papales, avait excommunié les ennemis de Henri le père en Aquitaine, comme l'archevêque de Rouen les excommuniait dans la Normandie, l'Anjou et la Bretagne[239]. A la tête des révoltés de la Guyenne figurait, moins par
sa fortune et son rang que par son ardeur infatigable, Bertrand de Born,
seigneur de Haute-Fort, près de Périgueux, homme qui réunissait au plus haut
degré toutes les qualités nécessaires pour jouer un grand rôle au moyen âge[240]. Il était guerrier
et poète, avait un besoin excessif de mouvement et d'émotions ; et tout ce
qu'il sentait en lui d'activité, de talent et d'esprit, il l'employait aux
affaires politiques. Mais cette agitation, en apparence vaine et turbulente,
n'était pas sans objet réel, sans liaison avec le bien du pays où Bertrand de
Born était né. Cet homme extraordinaire semble avoir eu la conviction
profonde que sa patrie, voisine des États des rois de France et d'Angleterre,
ne pouvait échapper aux dangers qui la menaçaient toujours d'un côté ou de
l'autre, que par la guerre entre ses deux ennemis. Telle, en effet, parait
avoir été la pensée qui présida, durant toute la vie de Bertrand, à ses actions
et à sa conduite. En tout temps, dit son
biographe provençal, il voulait que le roi de France
et le roi d'Angleterre eussent guerre ensemble, et si les rois avaient paix
ou trêve, alors il se peinait et se travaillait pour défaire cette paix[241]. Par le même
motif, Bertrand mit en usage tout ce qu'il avait d'adresse pour faire éclore et
envenimer la querelle entre le roi d'Angleterre et ses fils ; il fut l'un de
ceux qui, s'emparant de l'esprit du jeune Henri, éveillèrent son ambition et
le poussèrent à la révolte[242]. Il prit ensuite
un égal ascendant sur les autres fils et même sur le père, toujours à leur
détriment et au profit de l'Aquitaine. C'est le témoignage que rend de lui
son vieux biographe, avec l'orgueil d'un homme du Midi, étalant la
supériorité morale d'un de ses compatriotes sur les rois et les princes du
Nord : Il était maître, toutes fois qu'il voulait,
du roi Henri d'Angleterre et de ses fils, et toujours voulait-il qu'ils
eussent guerre ensemble, le père, et les fils, et les frères, l'un avec
l'autre[243]. Ses efforts, couronnés d'un plein succès, lui acquirent
une célébrité funeste auprès de ceux qui ne voyaient en lui qu'un conseiller
de discordes domestiques, qu'un homme cherchant malicieusement, pour parler
le langage mystique du siècle, à soulever le sang contre la chair, à diviser
le chef et les membres[244]. C'est pour cette
raison que le poète italien, Dante Alighieri, lui fait subir, dans son Enfer,
un châtiment analogue à l'expression figurée par laquelle on désignait sa
faute. Je vis, et il me semble encore le voir, un
tronc sans tête marcher vers nous, et sa tête coupée il la tenait d'une main
par les cheveux, en guise de lanterne... Sache
que je suis Bertrand de Born, celui qui donna au jeune roi de si mauvais
conseils[245]. Mais Bertrand fit plus encore : il ne se contenta
pas de donner au jeune Henri contre son père ces conseils que le poète
appelle mauvais ; il lui en donna de semblables contre son frère Richard ;
et, quand le jeune roi fut mort, à Richard contre le vieux roi ; puis enfin,
quand ce dernier fut mort, à Richard contre le roi de France, et au roi de
France contre Richard. Il ne souffrait pas qu'il y eût entre eux un instant
de bon accord, et les animait l'un contre l'autre par des sirventès ou chants satiriques fort à la mode
dans ce temps[246]. La poésie jouait alors un grand rôle dans les événements politiques des contrées situées au sud de la Loire. Il n'y avait pas une paix, une guerre, une révolte, une transaction diplomatique, qui ne fût annoncée, proclamée, louée ou blâmée en vers. Ces pièces de vers, souvent composées par les hommes mêmes qui avaient pris une part active aux affaires, étaient d'une énergie qu'on a peine à concevoir dans l'état de mollesse où est tombé l'ancien idiome de la Gaule méridionale, depuis que le dialecte français l'a remplacé comme langue littéraire[247]. Les chants des trobadores, ou poètes provençaux[248], toulousains, dauphinois, aquitains, poitevins et limousins, circulant rapidement de château en château et de ville en ville, faisaient à peu près, au douzième siècle, l'office de papiers publics dans le pays compris entre la Vienne, l'Isère, les montagnes d'Auvergne et les deux mers. Il n'y avait point encore dans ce pays d'inquisition religieuse ; on y jugeait librement et ouvertement ce que, dans le reste de la Gaule, on osait à peine examiner. L'influence de l'opinion publique et des passions populaires se faisait sentir partout, dans les cloitres des moines comme dans les châteaux des barons ; et, pour en revenir au sujet de cette histoire, la dispute de Henri II et de ses fils remua d'une manière si vive les hommes de l'Aquitaine, qu'on retrouve l'empreinte de ces émotions dans les écrits, ordinairement peu animés, des chroniqueurs en langue latine. L'un d'eux, habitant ignoré d'un monastère obscur, fie peut s'empêcher d'interrompre son récit pour entonner en prose poétique le chant de guerre des partisans de Richard[249]. Réjouis-toi, pays d'Aquitaine, réjouis-toi, terre de Poitou ; ça le sceptre du roi du Nord s'éloigne. Grâce à l'orgueil de ce roi, la trêve est enfin rompue entre les royaumes de France et d'Angleterre ; l'Angleterre est désolée et la Normandie est en deuil. Nous verrons venir à nous le roi du Sud avec sa grande armée, avec ses arcs et ses flèches. Malheur au roi du Nord, qui a osé lever la lance contre le roi du Sud, son seigneur ; car sa ruine approche, et les étrangers vont dévorer sa terre[250]. Après cette effusion de joie et de haine patriotiques, l'auteur s'adresse à Éléonore, la seule personne de la famille de Henri II qui fût vraiment chère aux Aquitains, parce qu'elle était née parmi eux. Tu as été enlevée de ton pays et emmenée dans la terre étrangère. Élevée dans l'abondance et la délicatesse, tu jouissais d'une liberté royale, tu vivais au sein des richesses, tu te plaisais aux jeux de tes femmes, à leurs chants, au son de la guitare et du tambour ; et maintenant tu te lamentes, tu pleures et te consumes de chagrin. Reviens à tes villes, pauvre prisonnière[251]... Où est ta cour ? où sont tes
jeunes compagnes ? où sont tes conseillers ? Les uns, traînés loin de leur
patrie, ont subi une mort ignominieuse ; d'autres ont été privés de la vue ;
d'autres, bannis, errent en différents lieux. Toi, tu cries, et personne ne
t'écoute, car le roi du Nord te tient resserrée comme une ville qu'on assiège
; crie donc, ne te lasse point de crier ; élève ta voix comme la trompette, pour
que tes fils t'entendent ; car le jour approche où ils te délivreront, où tu
reverras ton pays natal[252]. A ces expressions d'amour pour la fille des anciens chefs nationaux, succède un cri de malédiction contre les villes qui, soit par choix, soit par nécessité, tenaient encore pour le roi de race étrangère, et des exhortations belliqueuses pour celles de l'autre parti, qui étaient menacées d'une attaque des troupes royales. Malheur aux traîtres qui sont en Aquitaine ! car le jour du châtiment est proche. La Rochelle redoute ce jour ; elle double ses murs et ses fossés ; elle se fait ceindre de tous côtés par la mer, et le bruit de ce grand travail va jusqu'au delà des monts. Fuyez devant Richard, duc d'Aquitaine, vous qui habitez ce rivage ; car il renversera les glorieux, il brisera les chars et ceux qui les montent ; il anéantira depuis le plus grand jusqu'au plus petit, tous ceux qui lui refuseront l'entrée de la Saintonge. Malheur à ceux qui vont au roi du Nord pour lui demander du secours ! malheur à vous, riches de La Rochelle, qui vous confiez dans vos richesses ! Le jour viendra où il n'y aura pas de fuite pour vous, où la fuite ne vous sauvera pas ; où la ronce, au lieu d'or, meublera vos maisons ; où l'ortie croîtra sur vos murailles[253]. Et toi, citadelle maritime, dont
les bastions sont élevés et solides, les fils de l'étranger viendront jusqu'à
toi ; mais bientôt ils s'enfuiront tous vers leur pays, en désordre et
couverts de honte. Ne t'épouvante point de leurs menaces, élève hardiment ton
front contre le Nord, tiens-toi sur tes gardes, appuie le pied sur tes retranchements,
appelle tes voisins pour qu'ils viennent en force à ton secours ; range en
cercle autour de tes flancs tous ceux qui habitent dans ton sein et qui
labourent ton territoire, depuis la frontière du sud jusqu'au golfe où
retentit l'Océan[254]. Les succès de la cause royale en Angleterre permirent bientôt à Henri II de repasser le détroit avec ses fidèles Brabançons et un corps de Gallois mercenaires, moins disciplinés eue les Brabançons, mais plus impétueux, et disposés, par la haine même qu'ils portaient au roi, à faire une guerre furieuse à ses fils[255]. Ces hommes, habiles dans l'art des embuscades militaires et de la guerre de parti dans les bois et dans les marais, furent employés en Normandie à intercepter les convois et les vivres de l'armée française, qui alors assiégeait Rouen[256]. Ils y réussirent si bien, à force d'activité et d'adresse, que cette grande armée, craignant la famine, leva subitement le siège et se retira[257]. Sa retraite donna au roi Henri l'avantage de l'offensive. Il reprit pied à pied tout le territoire que ses ennemis avaient occupé durant son absence ; et les Français, fatigués encore une fois des dépenses énormes qu'ils avaient faites inutilement ; déclarèrent de nouveau à Henri le Jeune et à son frère Geoffroy qu'on ne pouvait plus les aider, et que, s'ils désespéraient de soutenir seuls la guerre contre leur père, ils eussent à se réconcilier avec lui[258]. Henri le Jeune et Geoffroy, dont la puissance était peu de chose sans un secours étranger, furent contraints d'obéir. Ils se laissèrent mener à une entrevue des deux rois, où on leur fit faire diplomatiquement des protestations de repentir et de tendresse filiale. L'on convint d'une trêve qui devait donner au roi d'Angleterre le temps d'aller en Poitou obliger, par la force, son fils Richard à se soumettre comme les deux autres[259]. Le roi de France jura de ne plus fournir à Richard aucune espèce de secours, et imposa le même serment aux deux autres frères, Henri et Geoffroy[260]. Richard fut indigné, en apprenant que ses frères et son allié venaient de faire une trêve et l'en avaient exclu. Mais, incapable de résister seul à toutes les forces du roi d'Angleterre, il retourna vers lui, implora son pardon, rendit les villes qu'il avait fortifiées, et, quittant le Poitou, suivit son père sur la frontière de l'Anjou et de la France, où se tint un congrès général ou un parlement pour la paix[261]. Là fut rédigé, sous forme de traité politique, l'acte de réconciliation entre le roi d'Angleterre et ses trois fils. Plaçant leurs mains dans celles de leur père, ils lui prêtèrent le serment d'hommage-lige, forme ordinaire de tout pacte d'alliance entre deux hommes de puissance inégale, et tellement solennelle dans ce siècle, qu'elle établissait entre les contractants des liens réputés plus inviolables que ceux du sang[262]. Des historiens de l'époque ont soin.de faire observer que, si les fils de Henri II s'avouèrent alors ses hommes et lui promirent allégeance, ce fut pour ôter de son esprit tout soupçon défavorable sur la sincérité de leur retour[263]. Cette réconciliation des princes angevins fut un événement funeste pour les diverses populations qui avaient pris part à leurs querelles. Les trois fils, au nom de qui elles s'étaient insurgées, tinrent leur serment d'hommage en livrant ces populations à la vengeance de leur père, et eux-mêmes se chargèrent de l'accomplir[264]. Richard, surtout, plus impérieux et plus dur que ses frères, fit tout le mal qu'il put à ses anciens alliés du Poitou : ceux-ci, réduits au désespoir, maintinrent contre lui la ligue nationale à la tête de laquelle ils l'avaient autrefois placé, et le pressèrent tellement que le roi fut obligé de lui envoyer de grandes forces et d'aller en personne à son secours. L'effervescence des habitants de l'Aquitaine s'accrut avec le danger. D'un bout à l'autre de ce vaste pays éclata une guerre bien plus véritablement patriotique que la première, parce qu'elle se faisait contre la famille tout entière des princes étrangers ; mais, par cette raison même, le succès devait en être plus douteux et les difficultés plus grandes[265]. Durant près de deux années, les princes angevins et les barons d'Aquitaine se livrèrent bataille sur bataille, depuis Limoges jusqu'au pied des Pyrénées, à Taillebourg, à Angoulême, à Agen, à Dax, à Bayonne. Toutes les villes qui avaient suivi le parti des fils du roi furent occupées militairement par les troupes de Richard, et accablées d'impôts en punition de leur révolte[266]. Soit par politique, soit par conscience, Henri le Jeune ne prit aucune part à cette guerre odieuse et déloyale ; il conserva même quelques liaisons d'amitié avec plusieurs des hommes qui autrefois avaient suivi son parti et celui de ses frères. Ainsi il ne perdit point sa popularité dans les provinces du Midi, et cette circonstance fut pour la famille de Henri II un nouveau germe de discorde, que l'habile et infatigable Bertrand de Born travailla de tous ses soins à faire éclore. Tl s'attacha plus que jamais au jeune roi, sur lequel il reprit tout l'ascendant d'un homme à volonté ferme. De cette liaison résulta bientôt une seconde ligue formée contre Richard par les vicomtes de Ventadour, de Limoges, de Turenne, le comte de Périgord, les seigneurs de Montfort et de Gordon, et les bourgeois du pays, sous les auspices de Henri le Jeune et du roi de France[267]. Suivant sa politique ordinaire, ce roi ne prit que des engagements vagues envers les confédérés, mais Henri le Jeune leur fit des promesses positives ; et Bertrand de Born, l'âme de cette confédération, la proclama par une pièce de vers destinée, dit son biographe, à affermir ses amis dans leur commune résolution[268]. Ainsi la guerre recommença en Poitou entre le roi Henri II et le comte Richard. Mais, clés les premières hostilités, Henri le Jeune, manquant à sa parole, ouvrit l'oreille à des propositions d'accommodement avec son frère, et, pour une somme d'argent et une pension annuelle, consentit à s'éloigner du pays et à délaisser les insurgés[269]. Sans plus s'inquiéter d'eux ni de leur sort, il alla dans les cours étrangères, en France, en Provence et en Lombardie, dépenser le prix de sa trahison, et se faire, partout où il séjournait, un grand renom de magnificence et de chevalerie, brillant dans les joutes guerrières, dont la mode commençait à se répandre, tournoyant, se soulassant et dormant, comme dit un ancien historien[270] : Il passa ainsi plus de deux années, pendant lesquelles les barons du Poitou, de l'Angoumois et du Périgord, qui s'étaient conjurés sous ses auspices, eurent à soutenir une rude guerre de la part du comte de Poitiers. Leurs bourgs et leurs châteaux furent assiégés, et leurs terres dévastées par l'incendie[271]. Parmi les villes attaquées, Taillebourg se rendit la dernière, et lorsque tous les barons se furent soumis à Richard, Bertrand de Born résista encore seul dans son château de Haute-Fort[272]. Au milieu de la fatigue et des peines que lui donnait cette résistance désespérée, il conservait assez de liberté d'esprit pour composer des vers sur sa propre situation, et des satires sur la lâcheté du prince qui passait en amusements les jours que ses anciens amis passaient en guerre et en souffrances : Puisque le seigneur Henri n'a plus de terres, puisqu'il n'en veut plus avoir, qu'il soit maintenant le roi des lâches. Car lâche est celui qui vit aux gages et sous la livrée d'un autre. Roi couronné, qui prend solde d'autrui, ressemble mal aux preux du temps passé ; puisqu'il a trompé les Poitevins et leur a menti, qu'il ne compte plus être aimé d'eux[273]. Henri le Jeune fut sensible à ces réprimandes, lorsque, rassasié du plaisir d'être cité comme prodigue et chevalereux, il tourna de nouveau ses regards vers des avantages plus solides de pouvoir et de richesse territoriale. Il revint alors auprès de son père, et se mit à plaider la cause des habitants du Poitou, que Richard accablait, disait-il, de vexations injustes et d'une domination tyrannique[274]. Il alla jusqu'à reprocher au roi de ne les point protéger, comme il le devait, lui qui était leur défenseur naturel[275]. Il accompagna ces plaintes de réclamations personnelles, demandant de nouveau la Normandie, ou quelque autre terre où il pût séjourner d'une manière digne de lui, avec sa femme, et qui lui servit à payer les gages de ses chevaliers et de ses sergents[276]. Henri II refusa d'abord cette demande avec fermeté, et contraignit même le jeune homme à jurer que dorénavant il ne réclamerait rien de plus que cent livres angevines par jour pour sa dépense, et dix livres de la même monnaie pour la dépense de son épouse[277]. Mais les choses ne restèrent pas longtemps à ce point ; Henri le Jeune renouvela ses doléances, et le roi, y cédant cette fois, ordonna à ses deux autres fils de prêter à leur aîné le serment d'hommage pour les comtés de. Poitou et de Bretagne[278]. Geoffroy y consentit ; mais Richard le refusa nettement, et, pour signe de sa volonté ferme de résister à un pareil ordre, il mit en état de défense toutes ses villes et ses châteaux[279]. Henri le Jeune et Geoffroy, son vassal, marchèrent alors contre lui, de l'aveu de leur père ; et, à leur entrée en Aquitaine, le pays s'insurgea de nouveau contre Richard. Les confédérations des villes et des barons se renouèrent, et le roi de France se déclara l'allié du jeune roi et des Aquitains[280]. Henri II, alarmé de- la tournure grave que prenait subitement cette querelle de famille, voulut rappeler ses deux fils ; mais ils lui désobéirent, et persistèrent à guerroyer contre le troisième. Obligé alors de prendre un parti décisif, sous peine de voir triompher l'indépendance du Poitou et les prétentions ambitieuses du roi de France, il joignit ses forces à celles de Richard, et alla en personne mettre le siège devant Limoges, qui avait ouvert ses portes au jeune Henri et à Geoffroy[281]. Ainsi la guerre domestique recommença sous un nouvel aspect. Ce n'étaient plus les trois fils ligués ensemble contre le père, mais l'aîné et le plus jeune combattant contre l'autre fils uni au père. Les historiens du Midi, témoins oculaires de ces événements, paraissent avoir compris la part active qu'y prenaient les populations dont le pays en fut le théâtre, et quels intérêts nationaux étaient en jeu dans ces rivalités toutes personnelles en apparence. Les historiens du Nord, au contraire, n'y voient que la guerre contre nature du père avec les fils, et des frères entre eux, sous l'influence d'une mauvaise destinée qui pesait sur la race des Plante-Genest, en expiation de quelque grand crime. Plusieurs contes sinistres sur l'origine de cette famille passaient de bouche en bouche. On disait qu'Éléonore d'Aquitaine avait eu à la cour de France des liaisons d'amour avec Geoffroy d'Anjou, le père de son mari actuel ; et que ce même Geoffroy avait épousé la fille de Henri Ier, du vivant de l'empereur son mari ; ce qui, dans les idées de l'époque, était une sorte de sacrilège[282]. Enfin, on racontait d'une ancienne comtesse d'Anjou, aïeule du père de Henri II, que son mari, ayant remarqué avec effroi qu'elle allait rarement à l'église, et qu'elle en sortait toujours à la secrète de la messe, s'avisa de l'y faire retenir de force par quatre écuyers ; mais qu'à l'instant de la consécration, la comtesse, jetant le manteau par lequel on la tenait, s'était envolée par une fenêtre et n'avait jamais reparu[283]. Richard de Poitiers, selon un contemporain, avait coutume de rapporter cette aventure, et de dire à, ce propos : Est-il étonnant que, sortis d'une telle souche, nous vivions mal les uns avec les autres ? Ce qui provient du diable doit retourner au diable[284]. Un mois après le renouvellement des hostilités, Henri le Jeune, soit par appréhension des suites de la lutte inégale où il venait de s'engager contre son père et le plus puissant de ses frères, soit par un nouveau retour de tendresse filiale, abandonna encore une fois les Poitevins. Il se rendit au camp de Henri II, lui révéla tous les secrets de la confédération formée contre Richard, et le pria de s'interposer comme médiateur entre son frère et lui[285]. La main posée sur l'Évangile, il jura solennellement que, durant toute sa vie, il ne se séparerait point de Henri, roi d'Angleterre, et lui garderait féauté, comme à son père et à son seigneur[286]. Ce soudain changement de conduite et de parti ne fut pas imité par Geoffroy, qui, plus opiniâtre et plus loyal envers les Aquitains révoltés, demeura avec eux et continua la guerre[287]. Des messagers vinrent alors le trouver de la part du vieux roi, et le pressèrent de mettre fin à un débat qui n'était avantageux qu'aux ennemis communs de sa famille. Entre autres envoyés, vint un clerc normand qui, tenant une croix à la main, supplia le comte Geoffroy d'épargner le sang des chrétiens, et de ne point imiter le crime d'Absalon. — Quoi ! tu voudrais, lui répondit le jeune homme, que je me dessaisisse de mon droit de naissance ? — A Dieu ne plaise, Monseigneur, répliqua le prêtre ; je ne veux rien à votre détriment. — Tu ne comprends pas mes paroles, dit alors le comte de Bretagne ; il est dans la destinée de notre famille que nous ne nous aimions pas l'un l'autre. C'est là notre héritage, et aucun de nous n'y renoncera jamais[288]. Malgré ses trahisons réitérées envers les barons d'Aquitaine, le jeune Henri, homme d'un esprit flottant et incapable d'une décision ferme, conservait encore des liaisons personnelles avec plusieurs des conjurés, et surtout avec Bertrand de Born. Il entreprit de jouer le rôle de médiateur entre eux et son frère Richard, se flattant de l'espoir chimérique d'arranger la querelle nationale, en même temps que la querelle de famille[289]. Dans cette vue, il fit plusieurs démarches auprès des chefs de la ligue du Poitou ; mais il ne reçut d'eux que des réponses fières et nullement pacifiques[290]. Pour dernière tentative, il leur proposa une conférence à Limoges, offrant de s'y rendre de son côté, avec son père, accompagné de peu de monde, pour écarter toute défiance[291]. La ville de Limoges était alors assiégée par le roi d'Angleterre ; on ne sait si les confédérés consentirent formellement à laisser entrer leur ennemi, ou si le jeune homme, empressé de se faire valoir, promit en leur nom plus qu'il ne devait. Quoi qu'il en soit, lorsque Henri II arriva devant les portes de la ville, il les trouva fermées, et reçut du haut des remparts une volée de flèches, dont l'une perça son pourpoint et l'autre blessa un de ses chevaliers à côté de lui[292]. Cette aventure passa pour une méprise, et, à la suite d'une nouvelle explication avec les chefs des insurgés, il fut convenu que le roi entrerait librement dans Limoges pour y parlementer avec son fils Geoffroy. Ils se réunirent en effet sur la grande place du marché ; mais, pendant l'entrevue, les Aquitains qui formaient la garnison du château, ne pouvant voir de sang-froid s'entamer des négociations qui devaient ruiner tous leurs projets d'indépendance, tirèrent de loin sur le vieux roi, qu'ils reconnurent à ses vêtements et à la bannière qu'on portait près de lui[293]. Un des carreaux d'arbalète lancés du haut de la citadelle traversa l'oreille de son cheval[294]. Les larmes lui vinrent aux yeux ; il fit ramasser la flèche, et la présentant à Geoffroy : Parle, mon fils, lui dit-il : que t'a fait ton malheureux père pour mériter que tu fasses de lui un but pour tes archers ?[295] Quels que fussent les torts de Geoffroy envers son père, il n'était point coupable en cette circonstance ; car les archers qui avaient pris le roi d'Angleterre pour but n'étaient point soldats à gages, mais alliés volontaires de son fils. Les écrivains du Nord lui reprochent de ne les avoir point recherchés et punis[296] ; mais il n'avait pas sur eux un pareil droit, et, puisqu'il avait lié sa cause à leur inimitié nationale, il fallait que, bon gré mal gré, il en subit toutes les conséquences. Henri le Jeune, piqué de voir ses efforts échouer contre l'opiniâtreté des Aquitains, déclara qu'ils étaient tous d'obstinés rebelles, et que de sa vie il n'aurait plus ni paix ni trêve avec eux, et serait fidèle à son père en tout temps et en tous lieux[297]. Pour signe de cette soumission, il remit à la garde du roi son cheval et ses armes, et demeura plusieurs jours auprès de lui, dans l'apparence de l'amitié la plus intime[298]. Mais par une sorte de fatalité dans la vie du fils aîné de Henri c'était toujours au moment même où il faisait à un parti les plus grandes protestations de dévouement, qu'il était le plus près de s'en séparer et de s'engager dans le parti contraire. Après avoir, selon les paroles d'un historien du temps, mangé à la même table que son père et mis sa main au même plat[299], il le quitta subitement, se lia de nouveau è ses adversaires, et partit pour Le Dorat, ville des marches de Poitou, où était le grand quartier des insurgés[300]. Il y mangea avec eux, à la même table, comme il avait fait avec le roi, leur jura pareillement loyauté envers et contre tous, et, peu de jours après, il les abandonna pour retourner à l'autre camp[301]. Il y eut de nouvelles scènes de tendresse entre le père et le fils ; celui-ci crut acquitter sa conscience en priant le vieux roi d'être miséricordieux envers les révoltés[302]. Il promit témérairement, en leur nom, la reddition du château de Limoges, et annonça qu'il suffirait d'envoyer des parlementaires à la garnison pour recevoir ses serments et des otages[303]. Mais il n'en fut pas ainsi, et ceux qui vinrent de la part du roi d'Angleterre furent presque tous mis à mort par les Aquitains[304]. D'autres, qu'on envoya en même temps aux quartiers de Geoffroy, pour négocier avec lui, furent attaqués à coups d'épée, en sa présence et sous ses yeux ; deux furent tués, le troisième blessé grièvement, et le quatrième jeté dans l'eau du haut d'un pont[305]. C'est ainsi que l'esprit national, sévèrement et cruellement inflexible, se jouait des espérances des princes et de leurs projets de réconciliation. Très-peu de temps après ces événements, Henri II reçut un message qui lui annonçait que son fils aîné, tombé dangereusement malade à Château-Martel, près de Limoges, demandait à le voir[306]. Le roi, ayant l'esprit encore frappé de ce qui venait d'arriver à ses gens, et de ce qui lui était arrivé à lui-même dans les deux conférences de Limoges, soupçonna quelque embûche de la part des insurgés : il craignit, dit un auteur du temps, la scélératesse de ces conspirateurs[307], et, malgré les assurances du messager, il n'alla point à Château-Martel. Mais bientôt un second envoyé vint lui apprendre que son fils Henri était mort, le onzième jour du mois de juin, dans sa vingt-septième année[308]. Le jeune homme, à ses derniers moments, avait donné de grandes marques de contrition et de repentir : il avait voulu être traîné hors de son lit par une corde et placé sur une couche de cendres[309]. Cette perte imprévue causa au roi une vive affliction et augmenta sa colère contre les Aquitains, sur la perfidie desquels il rejetait le sentiment de timidité qui l'avait retenu loin de son fils mourant[310]. Geoffroy lui-même, touché du deuil de son père, revint alors auprès de lui, et abandonna ses alliés, qui dès lors se trouvèrent seuls en face de la famille dont les divisions avaient fait leur force[311]. Le lendemain des funérailles de Henri le Jeune, le roi d'Angleterre attaqua vivement d'assaut la ville et la forteresse de Limoges ; il s'en empara, ainsi que des châteaux de plusieurs des confédérés, qu'il détruisit de fond en comble[312]. Il poursuivit Bertrand de Born avec plus d'acharnement encore que tous les autres ; car il croyait, dit un ancien récit, que toute la guerre que le jeune roi son fils lui avait faite, Bertrand la lui avait fait faire ; et, pour cela, il vint devant Haute-Fort pour le prendre et le ruiner[313]. Le château de Haute-Fort ne tint pas longtemps contre toutes les forces du roi, unies à celles de ses deux fils, Richard et Geoffroy de Bretagne. Forcé de se rendre à merci, Bertrand de Born fut mené à la tente de son ennemi, qui, avant de prononcer l'arrêt du vainqueur contre le vaincu, voulut goûter quelque temps le plaisir de la vengeance, en traitant avec dérision l'homme qui s'était fait craindre de lui et s'était vanté de ne pas le craindre. Bertrand, lui vous qui prétendiez n'avoir en aucun temps besoin de la moitié de votre sens, sachez que voici une occasion où le tout ne vous ferait pas faute[314]. — Seigneur, répondit l'homme du Midi avec l'assurance habituelle que lui donnait le sentiment de sa supériorité d'esprit, il est vrai que j'ai dit cela, et j'ai dit la vérité. — Et moi, je crois, dit le roi, que votre sens vous a failli[315]. — Oui, seigneur, répliqua Bertrand d'un ton grave, il m'a failli le jour où le vaillant jeune roi votre fils est mort ; ce jour-là j'ai perdu le sens et la raison[316]. Au nom de son fils, qu'il ne s'attendait nullement à entendre prononcer, le roi d'Angleterre fondit en larmes et s'évanouit. Quand il revint à lui, il était tout changé ; ses projets de vengeance avaient disparu, et il ne voyait plus dans l'homme qui était en son pouvoir que l'ancien ami du fils qu'il regrettait. Au lieu de reproches amers et de l'arrêt de mort ou de dépossession auquel Bertrand eût pu s'attendre : Sire Bertrand, sire Bertrand, lui dit-il[317], c'est à bon droit que vous avez perdu le sens pour mon fils ; car il vous voulait du bien plus qu'a homme qui fût au monde ; et moi, pour l'amour de lui, je vous donne la vie, votre avoir et votre château ; je vous rends mon amitié et mes bonnes grâces, et vous octroie cinq cents marcs d'argent pour les dommages que vous avez reçus. Le malheur qui venait de frapper la famille de Henri II réconcilia non-seulement les fils et le père, mais encore le père et la mère, ce qui était plus difficile d'après le genre d'inimitié qui existait entre eux[318]. La tradition vulgaire accuse Éléonore d'avoir fait périr par le poison une des maîtresses de son mari, fille d'un baron anglo-normand, et nommée Rosamonde ou Rosemonde. Il y eut entre les deux époux un retour de bonne intelligence, et la reine d'Angleterre, après un emprisonnement de dix années, fut rendue à la liberté. En sa présence, la paix de la famille fut solennellement jurée et confirmée par écrit et par serment, comme dit un historien du siècle, entre le roi Henri et ses fils Richard, Geoffroy et Jean, dont le -dernier, jusqu'alors, s'était trouvé trop jeune pour jouer un rôle dans leg intrigues de ses frères.[319]. Les chagrins continuels que les révoltes dés autres avaient causés au roi l'avaient conduit à reporter sur Jean sa plus grande affection, et cette préférence même avait contribué à aigrir les trois aînés, et à rendre courts les instants de concorde[320]. Après quelques mois de bonne intelligence, la paix fut de nouveau troublée par l'ambition de Geoffroy. Il demanda le comté d'Anjou, pour le joindre à. son duché de Bretagne, et, ayant essuyé un refus, il passa en France, où, en attendant peut-être l'occasion de recommencer la guerre, il se livra aux amusements de la cour[321]. Renversé de cheval dans un tournoi, il fut foulé sous les pieds des chevaux des autres combattants, et mourut de ses blessures[322]. Après sa mort, ce fut le tour du comte Richard de renouer amitié avec le roi de France, contre la volonté de son père[323]. La couronne de France venait d'échoir à Philippe, deuxième du nom, jeune homme qui affectait pour Richard encore plus d'amitié que son père Louis VII n'en avait témoigné à Henri le Jeune. Chaque jour, dit un historien du temps, ils mangeaient à la même table et au même plat, et, la nuit, ils couchaient dans le même lit 4[324]. Cette grande amitié déplaisait au roi d'Angleterre, et l'inquiétait pour l'avenir. Il envoya en France de nombreux messages pour rappeler son fils auprès de lui : Richard répondait toujours qu'il allait venir, et ne se pressait point[325]. Enfin il se mit en route, comme pour se rendre à la cour de son père ; mais passant par Chinon, où était l'un des trésors royaux, il en enleva la plus grande partie, malgré la résistance des gardiens[326]. Avec cet argent, il alla en Poitou, et se mit à fortifier et à garnir de munitions et d'hommes plusieurs châteaux du pays[327]. Les derniers événements avaient fait succéder une grande apathie à l'ancienne effervescence des Aquitains, et les haines que Richard avait soulevées par son manque de foi et sa dureté étaient encore trop vives pour que les hommes mécontents du gouvernement angevin eussent confiance en lui. Il resta donc seul, et, ne pouvant rien entreprendre sans le concours des barons du pays, il prit le parti de revenir à son père et de lui demander grâce, plutôt par nécessité que de bon cœur[328]. Le vieux roi, qui avait épuisé enfin toutes les formes solennelles de réconciliation entre lui et ses fils, essaya cette fois de lier Richard par un serment sur l'Évangile, qu'il lui fit prêter en présence d'une grande assemblée de clercs et de laïques[329]. La nouvelle tentative ambitieuse du comte de Poitiers, demeurant sans effet, n'entraîna point la rupture de la paix entre les rois de France et d'Angleterre. Ces deux rois étaient convenus depuis longtemps d'avoir une entrevue, où ils régleraient d'une manière définitive les points d'intérêt qui pouvaient renouveler et entretenir leurs mésintelligences. Ils se rendirent, dans le mois de janvier 1187, entre Trie et Gisors, près du Grand-Orme, lieu. ordinaire des conférences politiques. Les conquérants chrétiens de la Syrie et de la Palestine éprouvaient alors de grands revers. Jérusalem et le bois de la vraie croix venaient de retomber au pouvoir des mahométans, commandés par Salah-Eddin, vulgairement nommé Saladin[330]. La perte de cette grande relique excita de nouveau l'enthousiasme pour la croisade, un peu refroidi depuis un demi-siècle. Le pape accablait de messages les princes de la chrétienté, pour les engager à faire la paix entre eux et la guerre aux infidèles. Les cardinaux promettaient de renoncer aux richesses et à tout plaisir, de ne plus recevoir aucun présent et de ne plus monter à cheval tant que la Terre-Sainte ne serait pas reconquise, de se croiser les premiers, et d'aller demandant l'aumône à la tête des nouveaux pèlerins[331]. Des prédicateurs et des missionnaires se rendaient à toutes les cours, à toutes les assemblées des grands et des riches ; et il en vint plusieurs à l'entrevue des rois de France et d'Angleterre, entre autres, Guillaume, archevêque de Tyr, l'un des hommes les plus célèbres du temps par son savoir et son éloquence. Cet homme eut le pouvoir de déterminer les deux rois, jusque-là si inconciliables, à s'accorder pour faire la guerre aux Sarrasins, en ajournant leurs propres différends[332]. Tous deux se conjurèrent, comme frères d'armes, pour la cause de Dieu, et, en signe de leur engagement, reçurent des mains de l'archevêque une croix d'étoffe qu'ils appliquèrent sur leurs habits ; celle du roi de France était rouge et celle du roi d'Angleterre était blanche[333]. En les prenant, ils se signèrent au front, à la bouche et à la poitrine, et firent serment de ne point quitter la croix du Seigneur, ni sur terre ni sur mer, ni en champs ni en villès, jusqu'à leur retour du grand passage[334]. Beaucoup de seigneurs des deux royaumes firent le même vœu, entraînés par l'exemple des rois, par le désir d'obtenir la rémission de tous leurs péchés, par les discours populaires qui roulaient tous sur ce sujet, et même par des chansons en langue vulgaire ou en langue latine, qui circulaient alors[335]. Une de ces dernières, composée par un clerc d'Orléans, et répandue jusqu'en Angleterre, y excita, dit un contemporain, un grand nombre d'hommes à prendre la croix[336] ; bien qu'écrite dans la langue savante, cette pièce de poésie porte une assez forte empreinte des idées et du style de l'époque pour mériter d'être traduite. Le bois de la croix est l'étendard que va suivre l'armée ; il n'a point cédé, il s'est porté en avant par la force de l'Esprit-Saint. Allons à Tyr, c'est le rendez-vous des braves : c'est là que doivent aller ceux qui font tant d'efforts pour acquérir, sans fruit, le et renom de chevalerie. Le bois de la croix est
l'étendard que va suivre l'armée. Mais, pour cette guerre, il
faut des combattants robustes, et non des hommes amollis ; ceux qui soignent
leur corps à grands frais n'achètent point Dieu par des prières. Le bois de la croix, etc. Qui n'a point d'argent,
s'il est fidèle, la foi sincère lui suffira ; c'est assez du corps du
Seigneur pour toute provision de voyage à celui qui défend la croix. Le bois de la croix, etc. Le Christ, en se livrant au
supplice, a fait un prêt au pécheur ; pécheur, si tu ne veux pas mourir pour
celui qui est mort pour toi, tu ne rends pas ce que Dieu t'a prêté. Le bois de la croix, etc. Écoute donc mon conseil ; prends la croix, et dis, en faisant ton vœu : Je me recommande à celui qui est mort pour moi, qui a donné pour moi son corps et sa vie. Le bois de la croix est l'étendard que va suivre l'armée[337]. Le roi d'Angleterre, portant la croix blanche sur l'épaule, se rendit au Mans, où il assembla son conseil pour délibérer sur les moyens de pourvoir aux frais de la guerre sainte à laquelle il venait de s'engager[338]. Il fut décidé que, dans tous les pays soumis à la domination angevine, tout homme serait forcé de livrer la sixième partie de son revenu et de ses biens meubles ; mais que de cette décimation universelle seraient exceptés : les armes, les chevaux et les vêtements des chevaliers ; les chevaux, les livres, les vêtements et tous les ornements des prêtres, ainsi que les joyaux et les pierres précieuses, tant des laïques que des clercs[339]. Il fut établi, en outre, que les clercs, les chevaliers et les sergents d'armes qui prendraient la croix, ne paieraient rien ; mais que les bourgeois et les paysans qui se joindraient à l'armée sans l'exprès consentement de leurs seigneurs n'en paieraient pas moins leur dixième[340]. Le subside, décrété au Mans pour la nouvelle croisade, fut levé sans beaucoup de violence dans l'Anjou, la Normandie et l'Aquitaine. La seule mesure comminatoire employée dans ces divers pays, où la puissance de Henri II était modérée par les traditions d'administration nationale, fut un arrêt d'excommunication lancé par les archevêques et les évêques contre quiconque ne remettrait pas fidèlement sa quote-part aux hommes chargés de recueillir l'impôt[341]. La collecte se fit dans chaque paroisse par une commission composée du prêtre desservant, d'un templier, d'un hospitalier, d'un officier royal, d'un clerc de la chapelle du roi, d'un officier et d'un chapelain du seigneur du lieu[342]. La composition de ce conseil, où des hommes de la localité avaient place, offrait aux habitants quelque garantie d'impartialité et de justice. De plus, si une contestation venait à s'élever sur la quotité de là somme exigée, on devait convoquer quatre ou six personnes notables de la paroisse, pour déclarer, sous le serment, la valeur des biens meubles du contribuable, que leur témoignage devait condamner ou absoudre[343]. Ces précautions usitées, même au moyen âge, dans les contrées où l'administration publique n'était pas proprement un gouvernement de conquête, furent probablement aussi pratiquées en Angleterre à l'égard des comtes, des barons, des chevaliers ; des évêques, en un mot, de tous les hommes de race normande ; mais elles furent complètement omises à l'égard des bourgeois saxons : on les remplaça par une manière de procéder plus expéditive, toute différente, qui mérite d'être remarquée[344]. Le roi Henri passa la mer, et pendant que ses officiers, clercs et laïques, recueillaient, aux termes de ses ordonnances ; l'argent dés possesseurs de terres, il fit dresser une liste des plus riches bourgeois de toutes les villes, et les fit sommer personnellement d'avoir à se présenter devant lui à un jour et dans un lieu qu'il fixait[345]. L'honneur d'être admis en la présence du petit-fils du Conquérant fut de cette manière octroyé à, deux cents bourgeois de Londres, à cent d'York, et à un nombre proportionné d'habitants des autres villes et bourgs[346]. Les lettres de convocation n'admettaient ni excuse ni retard. Ces bourgeois ne vinrent pas tous le même jour ; car le roi Henri n'aimait pas plus que ses aïeux les grands rassemblements d'Anglais[347]. On les reçut par bandes, à différents jours et dans différents lieux[348]. A mesure qu'ils comparaissaient, on leur signifiait par interprète la somme qu'on exigeait d'eux ; et ainsi, dit un contemporain, le roi leur prit à tous la dîme de leurs propriétés, d'après l'estimation des gens de bien qui connaissaient leurs revenus et leurs meubles. Ceux qu'il trouva rebelles, il les fit aussitôt incarcérer, et lés retint dans ses prisons jusqu'à ce qu'ils eussent payé le dernier sou. Semblablement fit-il pour les Juifs d'Angleterre ; ce qui lui procura, des sommes incalculables[349]. Cette assimilation des hommes de race anglaise aux Juifs peut donner la mesure de leur état politique au commencement du second siècle après la conquête. L'on doit observer, en outre, que la convocation des. habitants des villes par le roi, loin d'être un signe de liberté civile, fut, au contraire, dans cette circonstance et dans beaucoup d'autres semblables, une marque de servitude et un moyen de vexation appliqué spécialement aux hommes de condition inférieure. Malgré le traité et le serment des deux rois, ce fut à tout autre chose qu'à reconquérir Jérusalem qu'on employa le taillage des Saxons et des Juifs d'Angleterre, les contributions des nobles de ce pays et celles des provinces du continent. L'antique ennemi ne dormait pas, disent les historiens du siècle, et sa malice ralluma promptement la guerre entre ceux qui venaient de jurer de ne plus porter les armes contre les chrétiens jusqu'à leur retour de la Terre-Sainte[350]. L'occasion de cette rupture fut une querelle d'inféra entre Richard de Poitiers et le comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles. Les Aquitains et les Poitevins, qui avaient repris des forces et de l'énergie depuis leur dernière défaite, profitèrent du trouble causé par cette querelle pour faire de nouveaux complots et de nouvelles ligues contre la puissance anglo-normande. De son côté, le roi de France, suivant la politique de ses aïeux, ne put se défendre d'entrer dans le parti des adversaires des Normands, et d'attaquer dans le Berri les châteaux forts qui relevaient du roi d'Angleterre[351]. Bientôt la guerre S'étendit sur toute la frontière des pays gouvernés par les deux rois. Il y eut de part et d'autre beaucoup de villes prises et reprises, de fermes incendiées, de vignobles dévastés ; enfin les deux puissances rivales, fatiguées de se nuire inutilement, résolurent de traiter pour la paix[352]. Les rois Henri et Philippe se donnèrent un rendez-vous sous le Grand-Orme, entre Trie et Gisors ; Mais ils se quittèrent sans avoir pu s'accorder sur aucun point[353]. Le plus jeune des deux rois, irrité du peu de succès de l'entrevue, s'en prit à l'arbre sous lequel elle avait eu lieu, et le fit abattre, jurant par les saints de France — c'était son serment favori — que jamais plus il ne se tiendrait de parlement à cette place[354]. Durant le cours de la guerre, Richard, contre lequel, du moins en apparence, le roi Philippe l'avait commencée, manifesta subitement quelque tendance à se rapprocher de ce roi, ce qui alarma beaucoup son père. Il alla jusqu'à proposer de soumettre au jugement des barons de France le différend qui existait entre lui et le comte Raymond de Saint-Gilles. Henri II n'y consentit point, et, se défiant de son fils, il ne voulut traiter pour la paix que dans une entrevue personnelle avec Philippe[355]. Dans cette conférence, qui eut lieu près de Bonmoulins, en Normandie, le roi de France fit des propositions où l'intérêt de Richard se trouvait tellement lié au sien, qu'elles semblaient le résultat de quelque pacte secret préalablement conclu entre eux. A l'une des trêves jurées autrefois par Henri II et Louis, père de Philippe, il avait été convenu que Richard épouserait Alix ou Aliz, fille du roi de France, laquelle recevrait pour dot le comté de Vexin, toujours débattu entre les deux couronnes[356]. Pour garantie de l'exécution fidèle de ce traité, Aliz, encore enfant, fut remise entre les mains du roi d'Angleterre, afin qu'il en eût la garde jusqu'à son âge nubile[357]. Mais la guerre avait bientôt éclaté de nouveau, et les fils du roi d'Angleterre s'étant ligués avec le roi de France, le mariage fut différé, sans que pour cela Henri II se dessaisit de la jeune fille qui lui avait été confiée. Il paraissait vouloir la garder comme otage ; mais on croyait généralement que la raison politique n'était pas le seul motif qui la lui faisait retenir captive dans un château d'Angleterre, et qu'il avait conçu pour elfe une violente passion, qu'il satisfit même, disent plusieurs historiens, après la mort de sa maîtresse Rosemonde[358]. Quelques-uns assurent que, dans le temps de la guerre contre ses fils, il avait résolu de prendre Aliz pour épouse, et de répudier Éléonore, afin d'obtenir pour lui-même l'appui que le roi de France prêtait à ses adversaires[359]. Mais ce fut vainement qu'alors il sollicita son divorce auprès de la cour de Rome, et que pour l'obtenir il capta la bienveillance des légats pontificaux[360]. Dans les conférences qu'il avait eues précédemment avec le roi d'Angleterre, Philippe avait plusieurs fois réclamé la conclusion du-mariage de sa sœur Aliz avec le comte de Poitiers, et ce fut la première des conditions qu'il proposa au congrès de Bonmoulins. Il demanda, en outre, que.son futur beau-frère fût déclaré, par avance, héritier de tous les États du roi Henri, et reçût en cette qualité le serment d'hommage des barons d'Angleterre et du continent[361]. Mais Henri II ne voulut point y consentir, craignant le chagrin que lui avait causé autrefois l'élévation prématurée de son fils aîné[362]. A ce refus, Richard, outré de colère, fit de nouveau ce qu'il avait fait tant de fois. En la présence même de son père, se tournant vers le roi de France, et joignant les deux mains entre les siennes, il se déclara son vassal, et lui fit hommage pour les duchés de Normandie, de Bretagne et d'Aquitaine, et pour les comtés de Poitou, d'Anjou et du Maine[363]. Pour ce serment de foi et d'hommage, Philippe lui donna en fief les villes de Châteauroux et d'Issoudun[364]. Cette usurpation de tous les droits paternels sur le continent était le coup le plus sensible que Richard eût encore porté à son père c'était le commencement d'une nouvelle querelle domestique aussi violente que l'avait été la première de toutes, excitée, comme on l'a vu plus haut, par les tentatives d'usurpation de Henri le Jeune. Les populations mécontentes le sentirent, et elles se montrèrent agitées d'un soudain mouvement de révolte. Les barons, qui depuis plus de deux ans se tenaient en repos ; les gens du Poitou, naguère encore ennemis jurés de Richard, se déclarèrent pour sa cause, du moment qu'ils crurent le voir en inimitié mortelle avec le roi[365]. Henri II vint à Saumur faire ses préparatifs de guerre, pendant que ses barons et ses chevaliers le quittaient en foule pour suivre son fils, dont le parti, soutenu par le roi de France et toutes les provinces du Midi, semblait devoir être le plus fort[366]. Le roi d'Angleterre avait pour lui la majorité des Normands, les Angevins, et ceux qu'effrayaient les sentences d'excommunication dont le légat du pape voulut bien lui prêter l'appui. Mais, pendant que les clercs de l'Anjou prononçaient dans leurs églises ces sentences ecclésiastiques, les Bretons, entrant à main armée, dévastaient le pays et attaquaient les lieux forts et les châteaux du roi[367]. Accablé sous la mauvaise fortune qui, depuis si longtemps, le poursuivait presque sans relâche, Henri tomba malade de chagrin, et, ne prenant aucune mesure militaire, laissa aux légats et aux archevêques tout le soin de sa défense. Ils multiplièrent les arrêts d'excommunication et d'interdit, et envoyèrent message sur message à Richard et au roi de France, leur faisant tour à tour des menaces et des caresses[368]. Ils eurent peu d'influence sur l'esprit de Richard, mais davantage sur celui de Philippe, toujours aussi disposé à la paix qu'à la guerre, pourvu qu'il espérât y gagner. Le roi de France consentit donc à tenir avec l'autre roi une conférence, où Richard se rendit bon gré mal gré, et où vinrent Jean d'Anagni, cardinal, légat du pape, et les archevêques de Reims, de Bourbes, de Rouen et de Canterbury[369]. Philippe proposa au roi d'Angleterre à peu près les mêmes conditions qu'a l'entrevue de Bonmoulins, c'est-à-dire le Mariage d'Aliz avec Richard et la désignation de ce dernier comme héritier de tous les domaines de son père, sous la garantie du serment d'hommage de tous les barons d'Angleterre et du continent[370]. Mais Henri II, qui avait encore plus qu'à la conférence précédente sujet de se défier de Richard, refusa de nouveau cette demande, et proposa de marier Aliz avec Jean, son autre fils, qui, jusqu'à ce jour, s'était montré obéissant et bien affectionné envers lui[371]. Il dit que, si l'on approuvait ce mariage, il n'aurait aucune répugnance à déclarer Jean son héritier pour toutes les provinces du continent[372]. Cette proposition tendait à la ruine de Richard, et soit par scrupule d'honneur, soit par défaut de confiance dans le plus jeune des fils de Henri II, le roi de France refusa d'y souscrire et d'abandonner son allié[373]. Le cardinal Jean prit alors la parole polir déclarer que, selon sa mission expresse, il allait mettre le royaume de France sous l'interdit[374]. Seigneur légat, répondit le roi Philippe, rends ton arrêt, s'il te plaît, car je ne le crains point[375]. L'Église romaine n'a aucun droit de sévir contre le royaume de France, ni par interdit, ni autrement, quand le roi juge à propos de s'armer contre des vassaux rebelles pour venger ses propres injures et l'honneur de sa couronne[376] ; d'ailleurs, je vois à ton discours que tu as déjà flairé les sterlings du roi d'Angleterre 6[377]. Richard, dont l'intérêt se trouvait bien plus fortement compromis dans cette affaire, ne s'en tint pas à des railleries contre l'envoyé pontifical ; il tira son épée, et se serait porté à quelque violence si les assistants ne l'eussent retenu[378]. Le vieux roi, forcé de combattre, rassembla son armée ; mais ses meilleurs soldats l'avaient abandonné pour aller se joindre à son fils. Ii perdit en peu de mois les villes du Mans et de Tours avec tout leur territoire ; et pendant que le roi de France l'attaquait en Anjou par la frontière du nord, les Bretons s'avançaient par l'ouest, et les Poitevins par le sud[379]. Sans moyens de défense et sans autorité, affaibli d'esprit et.de corps, il prit le parti de solliciter la paix, en offrant de se résigner à tout[380]. La conférence des deux rois — car il paraît que Richard n'y assista point, et qu'il attendit à l'écart l'issue des négociations — eut lieu dans une plaine entre Tours et Azay-sur-Cher. Les demandes de Philippe furent que le roi d'Angleterre s'avouât expressément son homme-lige, et se remit entre ses mains, à merci et à miséricorde[381] ; qu'Aliz fût donnée en garde à cinq personnes au choix de Richard, jusqu'à son retour de la croisade, où il devait se rendre, avec le roi de France, à la mi-carême[382] ; que le roi d'Angleterre renonçât à tout droit de suzeraineté sur les villes du Berri qui anciennement relevaient des ducs d'Aquitaine, et qu'il payât au roi de France vingt mille marcs d'argent pour la restitution de ses conquêtes[383] ; que tous ceux qui s'étaient attachés au parti du fils contre le père demeurassent vassaux du fils et non du père, à moins que, de leur propre mouvement, ils ne voulussent revenir à ce dernier[384] ; qu'enfin le roi reçût son fils Richard en grâce par le baiser de paix, et abjurât sincèrement et de bon cœur toute rancune et toute animosité contre lui[385]. Il n'y avait pour le vieux roi ni moyen ni espoir d'obtenir des conditions moins dures ; il s'arma donc de patience autant qu'il put, et conversa avec le roi Philippe, écoutant ses paroles d'un air docile, et comme un homme qui reçoit la loi d'un autre. Tous deux étaient à cheval en plein champ ; et, tandis qu'ils s'entretenaient bouche à bouche, dit un historien, il tonna subitement, quoique le ciel fût sans nuages, et la foudre tomba entre eux, sans leur faire aucun mal[386]. Ils se séparèrent aussitôt, extrêmement effrayés l'un et l'autre, et, après un petit intervalle, ils revinrent de nouveau ; mais un second coup de tonnerre, aussi fort que le premier, se fit entendre presque au même moment[387]. Le roi d'Angleterre, que la nécessité où il se trouvait réduit, son chagrin et la faiblesse de sa santé rendaient plus facile à émouvoir, liant peut-être cet accident naturel à 'sa propre destinée, fut tellement troublé, qu'il abandonna les rênes de son cheval et chancela sur la selle, de manière qu'il serait tombé à terre si ceux qui l'entouraient ne l'eussent soutenu[388]. La conférence fut suspendue ; et comme Henri se trouva trop malade pour assister à une seconde entrevue, on lui porta à son quartier les conditions de la paix rédigées par écrit, pour qu'il donnât son consentement formel[389]. Ceux qui vinrent de la part du roi de France le trouvèrent couché sur un lit, et lui lurent le traité de paix article par article. Quand ils en vinrent à celui qui regardait les personnes engagées secrètement ou ostensiblement dans le parti de Richard, le roi demanda leurs noms, pour savoir combien il y avait d'hommes à la foi desquels on l'obligeait à renoncer[390]. Le premier qu'on lui nomma fut Jean, son plus jeune fils. En entendant prononcer ce nom, saisi d'un mouvement presque convulsif, il se leva sur son séant, et, promenant autour de lui des yeux pénétrants et hagards[391] : Est-ce bien vrai, dit-il, que Jean, mon cœur, mon fils de prédilection, celui que j'ai chéri plus que les autres et pour l'amour duquel je me suis attiré tous mes malheurs, s'est aussi séparé de moi ?[392] On lui répondit qu'il en était ainsi, qu'il n'y avait rien de plus vrai. Eh bien, dit-il en retombant sur son lit et en tournant son visage contre le mur, que tout aille dorénavant comme il pourra, je n'ai plus de souci ni de moi ni du monde[393]. Quelques moments après, Richard s'approcha du lit, et demanda à son père le baiser de paix en exécution du traité. Le roi le lui donna avec un air de calme apparent ; mais au moment où Richard s'éloignait, il entendit son père murmurer à voix basse : Si seulement Dieu me faisait la grâce de ne point mourir avant de m'être vengé de toi ![394] A son arrivée au camp français, le comte de Poitiers redit ces paroles au roi Philippe et à ses courtisans, qui tous firent de grands éclats de rire et plaisantèrent sur la bonne paix qui venait de se conclure entre le père et le fils[395]. Le roi d'Angleterre, sentant son mal s'aggraver, se fit transporter à Chinon, où, en peu de jours, il tomba dans un état voisin de la mort. A ses derniers moments, on l'entendait proférer des paroles entrecoupées, qui faisaient allusion à ses malheurs et à la conduite de ses fils : Honte, s'écriait-il, honte à un roi vaincu ! Maudit soit le jour où je suis né, et maudits de Dieu soient les fils que je laisse ![396] Les évêques et les gens de religion qui l'entouraient firent tous leurs efforts pour lui faire rétracter cette Malédiction contre ses enfants ; mais il y persista jusqu'au dernier soupir[397]. Quand il eut expiré, son corps fut traité par ses serviteurs comme l'avait été autrefois celui de Guillaume le Conquérant ; tous l'abandonnèrent, après l'avoir dépouillé de ses derniers vêtements et avoir enlevé ce qu'il y avait de plus précieux dans la chambre et dans la maison[398]. Le roi Henri avait souhaité d'être enterré à Fontevrault, célèbre abbaye de femmes, à quelques lieues au sud de Chinon ; on eut peine à trouver des gens pour l'envelopper d'un linceul et des chevaux pour le transporter[399]. Le cadavre se trouvait déjà déposé dans la grande église de l'abbaye, en attendant, le jour de la sépulture, lorsque le comte Richard apprit par le bruit public la mort de son père[400]. Il vint à l'église, et trouva le roi gisant dans le cercueil, la face découverte, et montrant encore, par la contraction de ses traits, les signes d'une violente agonie. Cette vue causa au comte de Poitiers un frémissement involontaire[401]. Il se mit à genoux et pria devant l'autel ; mais il se leva après quelques moments, après l'intervalle d'un Pater noster, disent les historiens du siècle, et sortit pour ne plus revenir[402]. Les contemporains assurent que, depuis l'instant où Richard entra dans l'église jusqu'à celui où il s'éloigna, le sang ne cessa de couler en abondance des deux narines du mort[403]. Le lendemain de ce jour eut lieu la cérémonie de la sépulture. On voulut décorer le cadavre de quelques-uns des insignes de la royauté ; mais les gardiens du trésor de Chinon les refusèrent, et, après beaucoup de supplications, ils envoyèrent seulement un vieux sceptre et un anneau de peu de valeur[404]. Faute de couronne, on coiffa le roi d'une espèce de diadème fait avec la frange d'or d'un vêtement de femme[405] ; et ce fut dans cet attirail bizarre que Henri, fils de Geoffroy Plante-Genest, roi d'Angleterre, duc de Normandie, d'Aquitaine et de Bretagne, comte de l'Anjou et du Maine, seigneur de Tours et d'Amboise, descendit dans sa dernière demeure. Un auteur contemporain croit voir dans les malheurs de Henri II un signe de vengeance divine contre les Normands, tyrans de l'Angleterre envahie[406]. Il rapproche cette mort misérable de celle de Guillaume le Roux, des fils de Henri Ier, des propres frères de Henri II et de ses deux fils aînés, qui tous périrent de mort violente ou à la fleur de leur âge : Voilà, dit-il, le châtiment de leur règne illégitime[407]. Mais sans admettre cette opinion superstitieuse, il est au moins certain que les malheurs du roi Henri furent une conséquence des événements qui avaient rangé sous sa domination les provinces méridionales de la Gaule. Il s'était réjoui de cet accroissement de puissance comme de la plus haute fortune ; il avait donné à ses fils la patrie d'autrui en apanage, se glorifiant de voir sa famille régner sur plusieurs nations de race et de mœurs différentes, et réunir sous le même sceptre ce qu'avait divisé la nature. Mais la nature ne perdit pas ses droits, et, au premier mouvement que firent les peuples pour ressaisir leur indépendance, la division entra dans la famille du roi étranger, qui vit ses enfants servir à ses propres sujets d'instruments contre lui-même, et qui, ballotté jusqu'à sa dernière heure par la guerre domestique, éprouva en expirant le sentiment le plus amer qu'un homme puisse emporter au tombeau, celui de mourir par un parricide. |
[1] Les Anglo-Saxons orthographiaient Ira-land. — Dans les langues grecque et latine, on disait Ierne, Ierna, Iuvernia, Ouernia, Ibernia.
[2] Voyez plus haut, livre I. — Monachi sangallentis, lib. I, de Gestis Caroli Magni, apud Script. rer. gallic. et francic., t. V, p. 107. — Collectanea de Rebus hibernicis, t. I, p. 112.
[3] Epist. Henrici monachi ad Carolum calvum, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 563.
[4] Girald. Cambrens., Topographie Hiberniæ, apud Camden, Anglica, Normannica, etc., p. 749.
[5] Girald. Cambrens., Topographie Hiberniæ, apud Camden, Anglica, Normannica, etc., p. 749.
[6] Rex Hiberniæ, rex regum, maximus rex ; en irlandais, ardriagh.
[7] Jacobi Waræi, de Hibernia et antiquitatibus ejus Disquisitiones, cap. IV, p. 17.
[8] La mission de saint Patrice, l'apôtre des Irlandais, n'eut lieu que vers l'année 425.
[9]
Girald. Cambrens., Topographia Hiberniæ, apud Camden, Anglica, Normannica,
etc., p. 742. — La même chose avait lieu pour les belles-mères et les
belles-filles. Mais quant au mariage, non-seulement la coutume irlandaise
respectait les prohibitions de l'Église, mais encore elle allait au delà. (Usserius, Veterum epistolarum Hiberniæ
Silloge, p. 56.)
[10] Girald. Cambrens., Topographia Hiberniæ, p. 745, ed. Camden.
[11] Girald. Cambrens., Topographia Hiberniæ, p. 746, ed. Camden. — Cf. ibid., p. 745.
[12] Ex vita B. Mariani abbat. ratispon., apud Ducange, Glossar., verbe Scoti. — Jacobi Waræi, de Hibernia et antiquitatibus ejus Disquisitiones, p. 74.
[13]
Stanihursti Dubliniensis, de Rebus in Hibernia gestis, lib. IV, p. 49. — Voyez Walker's Historical
memoirs of the Irish bards, p. 61.
[14] Livre IV, aux années 1067 et 1068.
[15] Usserius, Veterum epistolarum hibernicarum Sylloge. — A la date de 1081, donnée par l'auteur de ce recueil, j'ai préféré celle que donne Wilkins, Concilia Magnæ Britanniæ, p. 361.
[16] Usserius, Veterum epistolarum
hibernicarum Silloge, p. 52.
[17] Malte-Brun, Géographie, t. II, p. 479. — Jacobi Varæi, de Hibernia et antiquitatibus ejus Disquisitiones, cap. XXIV, p. 126.
[18] La suscription de cette lettre porte : Venerando sanctæ cantuariensis Ecclesiæ metropolitano Lanfranco, clerus et populus Ecclesiæ Dublinensis debitam subjectionem. Il y est dit que l'Église de Dublin est la métropole de l'Irlande, ce qui serait une jactance absurde si ces mots n'étaient pas réduits, pour le sens, à ceux de métropole des colonies danoises de l'Irlande. (Usserius, Veterum epistolarum hibernicarurn Sylloge, p. 48.) — Jacobi Varæi, de Hibernia et antiquitatibus ejus Disquisitiones, cap. XXIV, p. 139.
[19]
Anselm. Cantuariensis
archiepiscopi Epist. ad Samuelem dublinensem episcopum ; Usserius, Veterum
epistolarum hibernicarum Sylloge, p. 69.
[20] Usserius, Veterum
epistolarum hibernicarum Sylloge, p. 48.
[21] Usserius, Veterum
epistolarum hibernicarum Sylloge, p. 48.
[22] Voyez plus haut, livre VI.
[23] Ce dernier nom, comme O'Niel, O'Connor, et les autres de ce genre, était le nom de la tribu, qu'on joignait au nom propre.
[24] La suscription porte : Lanfrancus peccator et indignus sanctæ dorobernensis ecclesiæ archiepiscopus, magnifico Hiberniæ regi Terdelvaco benedictionem, cum servitio et orationibus. (Usserius, Veterum epistolarum hibernicarum Sylloge, p. 50.)
[25] Usserius, Veterum epistolarum
hibernicarum Sylloge, p. 50.
[26] Usserius, Veterum epistolarum
hibernicarum Sylloge, p. 50.
[27] Voyez plus haut, livre I et livre IX.
[28] Jacobi Waræi Disquisitiones, p. 141. — Usserii Sylloge, p. 88.
[29] Usserii Sylloge, p. 64. — Les signatures données par Eadmer. Hist. novorum, sont celles-ci : Ego Murchertachus rex Hiberniæ subscripsi, etc. Donald, qui ne nomme pas son siège, était archevêque d'Armagh depuis 1092.
[30] Usserii Sylloge, p. 63. — Cette lettre, placée par Usserius sous la date circa 1095, a dû être postérieure et non antérieure à la lettre des habitants de Waterford.
[31] Usserii Sylloge, p. 60.
[32] Anselmi arch. cant. Epist. ad Muriardachum regem Hiberniæ. (Ibid., p. 66.)
[33] Notœ Seldeni ad Eadmeri Hist. nov., p. 202. — Voyez plus haut, livre I.
[34] Usserii Sylloge, p. 70.
[35] Wilkins, Concilia Magnæ Britanniæ, p. 392.
[36] S. Bernardi de Vita S. Malachiæ, inter ejus Opera, t. I, col. 668.
[37] Hist. of Ireland, by Th. Moore, p. 390. — S. Bernardi de Vita S. Malachiæ
episcopi, inter ejus Opera, t. I, col. 677.
[38] S. Bernardi Opera, t. I,
col. 667.
[39] S. Bernardi Opera, t. I, col. 667.
[40] S. Bernardi Opera, t. I, col. 667.
[41] S. Bernardi Opera, t. I, col. 667.
[42] S. Bernardi Opera, t. I, col. 667.
[43] S. Bernardi Opera, t. I, col. 667.
[44] S. Bernardi Opera, t. I, col. 674.
[45] S. Bernardi Opera, t. I, col. 674.
[46] S. Bernardi Opera, t. I, col. 674.
[47] Matth. Paris, Hist. Angliæ major,
t. I, p. 95.
[48] Guillelm. Neubrig., de Reg. anglic., p. 121, ed. Hearne.
[49] Guillelm. Neubrig., de Reg.
anglic., p. 120, ed. Hearne.
[50] Rymer, Fœdera, Conventiones,
Litteræ, vol. I, pars I, p. 19.
[51] Voyez plus haut, livre VIII.
[52] Girald. Cambrens., de Illaudabilibus Walliæ ; Anglia sacra, t. II, p. 454.
[53] Girald. Cambrens., Topographia Hiberniæ, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 738. — Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1075, ed. Selden.
[54] Girald. Cambrens. Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 760.
[55] Girald. Cambrens. Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 761. — Chron.
Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[56] Girald. Cambrens. Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 762.
[57] Girald. Cambrens. Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 762.
[58] Girald. Cambrens., Topographia. Hiberniæ. — Spenser's State of Ireland. — Ces tresses de cheveux se nommaient glibs en langue irlandaise.
[59] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[60] Girald. Cambrens. Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 762.
[61] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[62] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p.
498, ed. Gale.
[63] Le Poure, selon la vieille orthographe française. Poer, ou Pawer, est encore aujourd'hui le nom d'une famille noble d'Irlande.
[64] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[65] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[66] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p.
498, ed. Gale. — Girald. Cambrens. Hibernia expugnata, apud Camden, Anglica,
Hibernica, etc., p. 769.
[67] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p.
498, ed. Gale. — Girald. Cambrens. Hibernia expugnata, apud Camden, Anglica,
Hibernica, etc., p. 769.
[68] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[69] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[70] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[71] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 770.
[72] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p.
498, ed. Gale.
[73] Girald. Cambrens., Hibernia expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 770. — Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[74] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 770.
[75] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 770. — Chron.
Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[76] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p.
498, ed. Gale.
[77] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 770.
[78] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[79] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[80] Chron. Walter. Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 498, ed. Gale.
[81] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 775.
[82] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 775.
[83] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 775.
[84] Matth. Paris, t. I, p. 126.
[85] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 776.
[86] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 776.
[87] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1070, ed. Selden.
[88] Matth. Paris, t. I, p. 126.
[89] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 776.
[90] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 528, ed. Savile.
[91] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, p. 776.
[92] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col.
1070, ed. Selden.
[93] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col.
1070, ed. Selden.
[94] Girald. Cambrens, Hibernia expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 776 et 777. — Chron. Johan Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1070, ed. Selden.
[95] Girald. Cambrens. Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 776.
[96] Girald. Cambrens. Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 777.
[97] Voyez plus haut, liv. IX.
[98] Gervas. Canular. Chron., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1419, sd. Selden.
[99] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. I, p. 107.
[100] Voyez plus haut, livre VIII.
[101] Epist. Ludovic. regis ad Alexandr. III papam, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 466.
[102] Epist. Theobaldi ad Alexandr. III papam, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 469.
[103] Epist. Willelmi senon. archiep. ad Alexandri III papam, apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 467 et 475.
[104] Epist. Alexandri papæ III ad rothomag. archiep., apud Script. rer.
gallic. et francic., p. 409.
[105] Epist. Rotrodi rothomag. archiep.,
apud Script. rer. gallic. et francic, p. 477.
[106] Epist. anonymi ad Richardum pictav.
archidiac., apud Script. rer. gallic. et francic., p. 478 et 479.
[107] Epist. Guillelm. Trahinac ad Henricum, apud ibid, p. 471.
[108] Epist. Arnulphi lexov. episc. ad Alexandr. III papam, apud Script. rer. et francic., t. XVI, p. 469.
[109] Epist. Arnulphi lexov. episc. ad Alexandr. III papam, apud Script. rer. et francic., t. XVI, p. 469.
[110] Epist. Arnulphi lexov. episc. ad Alexandr. III papam, apud Script. rer. et francic., t. XVI, p. 469.
[111] Epist. Arnulphi lexov. episc. ad Alexandr. III papam, apud Script. rer. et francic., t. XVI, p. 469.
[112] Epist. Arnulphi lexov. episc. ad Alexandr. III papam, apud Script. rer. et francic., t. XVI, p. 469.
[113] Epist. Henrici regis ad. Alexandr. III papam, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 470.
[114] Epist. Richardi abbatis ad Henricum, apud Script. rer.
gallic. et francic., t. XVI,
p. 477.
[115] Epist. anonymi ad Richardum pictav. archidiac., apud Script. rer.
gallic. et francic., t. XVI, p. 479.
[116] Radulf. de Diceto, Imag. histor.,
apud Hist. anglic. Script., col. 557, ed. Selden.
[117] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 528 et 529, ed. Savile. —
Girald. Cambrens., Hibernia expugnata ; apud Camden, Anglica,
Hibernica, etc., p. 778.
[118] Epist. anonymi ad Richardum Pictav. archidiac., apud Script. rer.
gallic. et francic., t. XVI, p. 479.
[119] Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 749.
[120] Anonymi Epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 484.
[121] Alberti et Theodwini cardinal. Epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI., p. 486.
[122] Anonymi Epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 486.
[123] Anonymi Epist., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 484.
[124] Anonymi Epist., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 485.
[125] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 529, ed. Savile.
[126] Anonymi Epist., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 485.
[127] Anonymi Epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 485.
[128] Alberti et Theodwini cardinal. Epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 486.
[129] Epist. Henrici Angl. regis ad Bartholomœum exoniens. episc., Anonymi
Epist., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 487.
[130] Voyez plus haut, livre IX.
[131] Matth. Paris, t. I, p. 127.
[132] Matth. Paris, t. I, p. 127.
[133] Matth. Paris, t. I, p. 127.
[134] Matth. Paris, t. I, p. 127.
[135] Radulf. de Diceto, Imag. histor.,
apud Hist. anglic. Script., col. 560, ed. Selden. — Matth. Paris,
t. I, p. 127.
[136] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., col. 560, ed. Selden.
[137] Girald. Cambrens., Hibernia expugnata ; apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 779. — Benedict. Petroburg., apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 147.
[138]
Rymer, Fœdera, Conventiones, etc., t. I, pars I, p. 45, ed. Londini, 1816.
[139] Rymer, Fœdera, Conventiones,
etc., t. I, pars I, p. 43. — Chron. Johan. Bromton, apud Hist.
anglic. Script., col. 1071, ed. Selden.
[140] Matth. Paris, t. I, p. 125.
[141] Chron. Johan Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1064, ed. Selden.
[142] Voyez plus haut, livre IX.
[143] Voyez plus haut, livre IX.
[144] Matth. Paris, t. I, p. 128.
[145] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., col. 1371, ed. Selden.
[146] Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 749. — Matth. Paris, t. I, p. 126.
[147] Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 749.
[148]
Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 749. — Guilielm. Neubrig.,
de Reb. anglic., p. 197, ed. Hearne.
[149] Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 749.
[150] Robert de Monte, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII. p. 316.
[151] Robert de Monte, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII. p. 316.
[152] Benedict. Petroburg., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 150.
[153] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 531, ed. Savile.
[154] Benedict. Petroburg., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 150.
[155] Benedict. Petroburg., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 150. — Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p.
534, ed. Savile.
[156] Benedict. Petroburg., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 150.
[157] Gaufredi Vosiensis Chon., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 443.
[158] Gaufredi Vosiensis Chon., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 443.
[159] Formula homagii et ligantiœ ; apud Ducange, Gloss. ad. script. media et infimæ latinitatis.
[160] Gaufredi Vosiensis Chon., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 443.
[161] Gaufredi Vosiensis Chon., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 443.
[162] Radulf. de Diceto, Imag. histor.,
apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 561, ed. Selden.
[163] Radulf. de Diceto, Imag. histor.,
apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 562, ed. Selden.
[164] Benedict. Petroburg., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 150.
[165] Guillelm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 197, ed. Hearne.
[166] Guillelm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 197-198, ed. Hearne.
[167] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 533, ed. Savile.
[168] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 533, ed. Savile.
[169] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 534, ed. Savile.
[170] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 534, ed. Savile.
[171] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 533-534, ed. Savile.
[172] Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, passim.
[173] Henrici, filii Henrici II, ad Alexandrum III papam Epist, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 644-645.
[174] Voyez plus haut, livre IX.
[175] Henrici, filii Henrici II, ad Alexandrum III papam Epist, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 648.
[176] Henrici, filii Henrici II, ad Alexandrum III papam Epist, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 646.
[177] Henrici, filii Henrici II, ad Alexandrum III papam Epist, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 647.
[178] Henrici, filii Henrici II, ad Alexandrum III papam Epist, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 647.
[179] Henrici, filii Henrici II, ad Alexandrum III papam Epist, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 648.
[180] Henrici, filii Henrici II, ad Alexandrum III papam Epist, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 116 et passim.
[181] Gisleberti Montensis Hannon. Chron., ibid., p. 565.
[182] Script rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 641, in notis.
[183] Voyez plus haut, livre II, t. I.
[184] Voyez plus haut, livre II, t. I.
[185] Gervas. Cantuar., apud Hist. Script., t. II, col. 1424, ed. Selden.
[186] Gervas. Cantuar., apud Hist. Script., t. II, col. 1424, ed. Selden.
[187] Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 749.
[188] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1427, ed. Selden.
[189] Girald. Cambrens., Hibernica
expugnata ; apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 782.
[190] Matth. Paris., t. I, p. 123.
[191] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 534, ed. Savile.
[192] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 534, ed. Savile.
[193] Voyez plus haut, livre VI, t. I.
[194] Henrici II ad Alexadrum III papam Epist.,
apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 650.
[195] Rotrodi ad Alienoram Epist.,
ibid., p. 629.
[196] Chron. S. Albini, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 483.
[197]
Chron. S. Albini, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII,
p. 483. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic.
Script., p. 534, ed. Savile.
[198] Benedict. Petroburg., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 155. — Roger. de Hoved., loc. sup. cit. — Coterelli, rutarii ; route, en vieux français, signifie bande.
[199] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 204, ed. Hearne.
[200] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud. Hist. anglic. Script., t. I, col. 582, ed. Selden.
[201] Guillelm. Britonis Philippid.,
lib. III, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 148. —
Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script.,
p. 645, ed, Savile.
[202] Benedict. Petroburg., apud. Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 156.
[203] Benedict. Petroburg., apud. Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 156.
[204] Benedict. Petroburg., apud. Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 156.
[205] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 536, ed, Savile.
[206] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 536, ed. Savile. — Chron.
Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1095, ed. Selden.
[207] Matth. Paris, t. I, p. 128.
[208] Matth. Paris, t. I, p. 128.
[209] Matth. Paris, t. I, p. 128.
[210] Matth. Paris, t. I, p. 128.
[211] Chron. Johan. Bromton, apud. Hist. anglic. Script., t. I, col. 1093, ed. Selden.
[212] Chron. Johan. Bromton, apud. Hist. anglic. Script., t. I, col. 1093, ed. Selden.
[213] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1093, ed. Selden. — Chron. S. Alpha, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 483.
[214] Radulf. de Diceto, Imag. histor.,
apud Hist. anglic., t. I, col. 575, ed. Selden.
[215] Radulf. de Diceto, Imag. histor.,
apud Hist. anglic., t. I, col. 575, ed. Selden.
[216] Benedict. Petroburg., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 158.
[217] Chron. S. Albini, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 484.
[218] Benedict. Petroburg., apud Script.
rer. gallic. et francic.,
t. XIII, p. 159.
[219] Vita B. Thomæ quadripart., lib. IV, cap. V, p. 150. — Matth. Paris, t. I, p. 129 et 130.
[220] Robert. de Monte, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 318.
[221]
Matth. Paris, t. I, p. 130.
[222] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud. Hist. anglic. Script., t. II, col. 1427, ed. Selden.
[223] Matth. Paris, t. I, p. 130. — Robert. de Monte, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 318.
[224] Matth. Paris, t. I, p. 130.
[225] Vita B. Thomæ quadripart., lib. IV, cap. V, p. 150.
[226] Voyez plus haut, livre VII, t. I.
[227] Script. rer. gallic. et francic., t, XVI.
[228] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1427, ed. Selden.
[229] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc. p. 782.
[230] Girald. Cambrens., Hibernia
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc. p. 782.
[231] Girald. Cambrens., Hibernica
expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 782.
[232] Chron. Albini, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 483.
[233] Chron. Albini, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 483. — Voyez plus haut, liv. VIII.
[234] Acheri Spicilegium, t. III,
p. 565.
[235] Chron. S. Albini, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 483.
[236] Gaufredi Vosiensis. Chron., ibid., t. XVIII, p. 216.
[237] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 419.
[238] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 419.
[239] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 419.
[240] Raynouard, Choix des poètes originales des troubadours, t. V, p. 76.
[241] Raynouard, Choix des poètes originales des troubadours, t. V, p. 76.
[242] Raynouard, Choix des poètes originales des troubadours, t. V, p. 76.
[243] Raynouard, Choix des poètes originales des troubadours, t. V, p. 76.
[244] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 534, ed. Savile.
[245] Inferno, canto XXVIII.
[246] Toute pièce de poésie provençale qui traitait un sujet étranger à l'amour s'appelait sirventès, en vieux français serventois, comme étant d'un genre inférieur à la poésie amoureuse ou chevaleresque.
[247] Raynouard, Poésies des troubadours, passim.
[248] Trobaire, dans les cas obliques trabodor, trouveur, inventeur. La population d'outre-Loire, suivant son système de grammaire et de prononciation, disait trouvère à tous les cas.
[249] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 419.
[250] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 419-420.
[251] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 420.
[252] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 420.
[253] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 420-421.
[254] Addenda Chron. Richardi Pictav., apud Script. rer. gallic. et francic., t.
XII, p. 421.
[255] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 540, ed. Savile.
[256] Benedict. Petroburg. apud. Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 160.
[257] Benedict. Petroburg. apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 160 et t. XII, p. 484.
[258] Benedict. Petroburg. apud. Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 160. — Matth. Paris, t. I, p. 131.
[259] Benedict. Petroburg., loc. sup. cit.
[260] Benedict. Petroburg., loc. sup.
cit.
[261] Benedict. Petroburg., loc. sup.
cit.
[262] Guillelm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 227, ed. Hearne.
[263] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 585, ed. Selden.
[264] Benedict. Petroburg, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 173. — Matth. Paris, t. I, P. 131. — Benedict. Petroburg., loc. sup. cit., p. 163.
[265] Benedict. Petroburg, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 164.
[266] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 560-582, ed. Savile. — Benedict. Petroburg., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 165-167.
[267] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 83.
[268] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 83.
[269]
Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 85. —
Matth. Paris, t. I, p. 136.
[270] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 86.
[271]
Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 87. —
Matth. Paris, t. I, p. 136. —
Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t.
I, col. 603, ed. Selden.
[272] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 87.
[273] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. IV, p. 148.
[274] De Orig. comit. andegav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 538.
[275] De Orig. comit. andegav., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 538.
[276] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 616, ed. Savile.
[277] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 616, ed. Savile.
[278] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 618, ed. Savile. — Matth.
Paris, t. I, p. 141.
[279] Matth. Paris, t. I, p. 141. — Roger.
de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p.
618, ed. Savile.
[280] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 618, ed. Savile.
[281] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 616, ed. Savile.
[282] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. angl. Script.,
t. I, col. 1044 et 1045, ed. Selden.
[283] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. angl. Script., t. I, col. 1045, ed. Selden.
[284] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. angl. Script., t. I, col. 1045,
ed. Selden.
[285] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 618, ed. Savile.
[286] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 618, ed. Savile.
[287] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 618, ed. Savile.
[288] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. angl. Script., t. I, col. 1045,
ed. Selden.
[289] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[290] Script. rer. gallic. et francic., t. XIII.
[291] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[292] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[293] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[294] Chron. anonymi Laudunensis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 704.
[295] Chron. anonymi Laudunensis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 704.
[296] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[297] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[298] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[299] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[300] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[301] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 620, ed. Savile.
[302] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 620, ed. Savile.
[303] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 620, ed. Savile.
[304] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[305] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[306] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 619, ed. Savile.
[307] Gruillelm. Neubrig., de
Reb. anglic., p. 278, ed. Hearne.
[308] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 620-623, ed. Savile.
[309] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 620, ed. Savile.
[310] Gruillelm. Neubrig., de
Reb. anglic., p. 278, ed. Hearne.
[311] Gruillelm. Neubrig., de
Reb. anglic., p. 279, ed. Hearne.
[312] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 621, ed. Savile.
[313] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 86.
[314] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 87.
[315] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 87.
[316] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 87.
[317] Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. V, p. 87.
[318] Annales Waverleiens., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 161, ed. Gale.
[319] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 623, ed. Savile.
[320] Benedict. Petroburg., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 150.
[321] Gruillelm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 279, ed. Hearne.
[322] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 631, ed. Savile.
[323] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 631, ed. Savile.
[324] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 634 et 635, ed. Savile.
[325] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 635, ed. Savile.
[326] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 635, ed. Savile.
[327] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 635, ed. Savile.
[328] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 635, ed. Savile.
[329] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 635, ed. Savile.
[330] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 635-640, ed. Savile.
[331] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XV, p. 493.
[332] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 641, ed. Savile.
[333] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 641, ed. Savile.
[334] Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 556, in nota a.
[335] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 641, ed. Savile.
[336] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 639, ed. Savile.
[337] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 639-640, ed. Savile.
[338] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 639, ed. Savile. — Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 163.
[339] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 641, ed. Savile.
[340] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 641, ed. Savile.
[341] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[342] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[343] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 641, ed. Savile.
[344] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[345] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[346] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[347] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[348] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[349] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 642, ed. Savile.
[350] Guillelm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 333, ed. Hearne.
[351] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 644, ed. Savile.
[352] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 644-645,
ed. Savile.
[353] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 645, ed. Savile.
[354] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 645, ed. Savile. — Script. rer. gallic. et francic., de Rege Philippo Augusto, passim.
[355] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 646-649, ed. Savile.
[356] Voyez plus haut, livre VII, t. I.
[357] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1151, ed. Selden.
[358] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1151, ed. Selden.
[359] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1151, ed. Selden.
[360] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. anglic. Script., t. I, col.
1151, ed. Selden.
[361] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 649, ed. Savile.
[362] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 649, ed. Savile.
[363] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 649, ed. Savile.
[364] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 649, ed. Savile.
[365] Matth. Paris, t. I, p. 151.
[366] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[367] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[368] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[369] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[370] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[371] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[372] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[373] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[374] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[375] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[376] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile. — Matth.
Paris, t. I, p. 149.
[377] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 652, ed. Savile.
[378] Matth. Paris, t. I, p. 149.
[379] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 653, ed. Savile.
[380] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 653, ed. Savile.
[381] Girald. Cambrens., de
Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t.
XVIII, p. 154. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer.
anglic. Script., p. 654, ed. Savile.
[382] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 653, ed. Savile.
[383] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 653, ed. Savile.
[384] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 154.
[385] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 155.
[386] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 653, ed. Savile.
[387] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 653 et 654, ed. Savile.
[388] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 653 et 654, ed. Savile.
[389] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 154.
[390] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile.
[391] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 155.
[392] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 155.
[393] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 155.
[394] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 155.
[395] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 155.
[396] Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 155. — Roger. de Hoved. Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile.
[397] Roger. de Hoved. Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile.
[398] Roger. de Hoved. Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile. — Girald. Cambrens., de Instructions principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 157.
[399] Roger. de Hoved. Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile. — Voyez plus haut, livre VII, t. I.
[400] Girald. Cambrens., apud de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158.
[401] Girald. Cambrens., apud de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158.
[402] Girald. Cambrens., apud de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158.
[403] Girald. Cambrens., apud de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158.
[404] Girald. Cambrens., apud de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158.
[405] Girald. Cambrens., de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158. — Chron. Anonyrni Laudunensis, apud ibid., p. 707.
[406] Girald. Cambrens., de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158.
[407] Girald. Cambrens., de Instructione principis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 158.