Depuis l'origine de la querelle entre le roi Henri II et l'archevêque Thomas jusqu'au meurtre de l'archevêque. 1160-1171Sous le règne de Henri Ier, il y avait à Londres un jeune bourgeois, Saxon d'origine[1], mais assez riche pour faire compagnie avec les Normands de la ville, et que les historiens du temps appellent Gilbert Beket[2]. On peut croire que son vrai nom était Bek, et que les Normands, parmi lesquels il vivait, y joignirent un diminutif qui leur était familier, et en firent Beket, comme les Anglais de race et de langue en faisaient Bekie[3]. Vers l'année 1115, Gilbert Bekie ou Beket prit la croix par un vœu de pénitence ou pour aller courir la fortune au royaume chrétien de Jérusalem. Mais il fut moins heureux en Palestine que les écuyers et les sergents de Normandie ne l'avaient été en Angleterre, et au lieu de devenir, comme eux, puissant et opulent par conquête, il fut pris et réduit en esclavage. Tout malheureux et méprisé qu'il était, l'esclave anglais sut inspirer de l'amour à la fille d'un chef sarrasin. Il s'évada par le secours de cette femme, et revint dans son pays ; mais sa libératrice, ne pouvant vivre sans lui, abandonna bientôt la maison paternelle pour courir à sa recherche. Elle ne savait que deux seuls mots intelligibles pour les habitants de l'Occident : c'étaient Londres et Gilbert[4]. A l'aide du premier, elle passa en Angleterre sur un vaisseau de marchands et de pèlerins ; et, par le moyen du second, courant de rue en rue et répétant Gilbert ! Gilbert ! à la foule qui s'amassait autour d'elle, elle retrouva l'homme qu'elle aimait. Gilbert Beket, après avoir pris sur cet incident merveilleux l'opinion de plusieurs évêques, fit baptiser sa maîtresse, dont il changea le nom sarrasin en celui de Mathilde, et l'épousa. Ce mariage fit. grand bruit par sa singularité, et devint le sujet de plusieurs romances populaires, dont deux, qui se sont conservées jusqu'à nos jours, renferment des détails touchants[5]. Enfin, en l'année 1119, Gilbert et Mathilde eurent un fils, qui fut appelé Thomas Beket, suivant la mode des doubles noms introduite en Angleterre par les Normands. Telle fut, selon le récit de quelques anciens chroniqueurs, la naissance romanesque d'un homme destiné à troubler d'une manière aussi violente qu'imprévue l'arrière-petit-fils de Guillaume le Conquérant dans la jouissance heureuse et paisible de son pouvoir[6]. Cet homme, né pour le tourment de la race anglo-normande, reçut l'éducation la plus propre à lui donner accès auprès des nobles et des grands, et à lui attirer leur faveur. Jeune, on l'envoya en France pour étudier les lois, les sciences et les langues du continent, et perdre l'accent anglais, qui était alors en Angleterre une chose de mauvais ton[7]. Thomas Beket, au retour de ses voyages, se trouva capable de converser et de vivre avec les gens les plus raffinés de la nation dominatrice ; sans choquer leurs oreilles ou leur bon goût par aucun mot ni aucun geste qui rappelât son origine saxonne. Il mit de bonne heure ce talent en usage, et, tout jeune, il s'insinua dans la familiarité d'un des riches barons, qui habitait près de Londres. Il devint son convive de tous les jours et le compagnon de ses plaisirs[8]. Il faisait des courses sur les chevaux de son patron, et chassait avec ses chiens et ses oiseaux, passant la journée dans ces divertissements, interdits à tout Anglais qui n'était ni le serviteur ni le commensal d'un homme d'origine étrangère[9]. Thomas, plein de gaieté et de souplesse, caressant, poli, obséquieux, acquit bientôt une grande réputation dans la haute société normande[10]. L'archevêque de Canterbury, Thibaut, qui, grâce à la primatie instituée par le Conquérant, était la première personne après le roi, entendit parler du jeune Anglais, voulut le voir, et, le trouvant à son gré, se l'attacha. Il lui fit prendre les ordres, le nomma archidiacre de son église métropolitaine, et l'employa dans plusieurs négociations délicates avec la cour de Rome. Sous le règne d'Étienne, l'archidiacre Thomas conduisit auprès du pape Eugène une intrigue des évêques d'Angleterre partisans de Mathilde, pour obtenir de ce pape une défense formelle de sacrer le fils du roi[11]. Lorsque, peu d'années après, le fils de Mathilde eut obtenu la couronne, on lui présenta Thomas Beket comme un zélé serviteur de sa cause pendant le temps de l'usurpation ; car c'est ainsi que le règne d'Étienne était appelé alors par la plupart de ceux qui l'avaient élu, sacré, défendu contre les prétentions de Mathilde[12]. L'archidiacre de Canterbury à plut si fort au nouveau roi, qu'en peu d'années la faveur royale l'éleva au grand office de chancelier d'Angleterre, c'est-à-dire gardien du sceau à trois lions, qui était le signe légal du pouvoir fondé par la conquête. Henri II confia en outre à l'archidiacre l'éducation de son fils aîné, et attacha à ces deux emplois de gros revenus, qui, par un hasard assez étrange, furent assis sur des lieux de funeste mémoire pour un Anglais : c'étaient la prébende de Hastings, la garde du château de Berkhamsted, et le gouvernement de la Tour de Londres[13]. Thomas était le compagnon le plus assidu et le plus intime du roi Henri ; il partageait ses amusements les plus mondains et les plus frivoles[14]. Élevé en dignité au-dessus de tous les Normands d'Angleterre, il affectait de les surpasser en luxe et en pompe seigneuriale. Il entretenait à sa solde sept cents cavaliers complètement armés. Les harnais de ses chevaux étaient couverts d'or et d'argent ; sa vaisselle était magnifique, et il tenait table ouverte pour les personnes de haut rang. Ses pourvoyeurs faisaient venir de loin, à grands frais, les choses les plus rares et les plus délicates[15]. Les comtes et les barons tenaient à honneur de lui rendre visite, et aucun étranger venant à son hôtel ne s'en retournait sans un présent, soit de chiens ou d'oiseaux de chasse, soit de chevaux ou de riches vêtements[16]. Les seigneurs lui envoyaient leurs fils pour servir dans sa maison et être élevés près de lui ; il les gardait quelque temps, puis il les armait chevaliers et, en les congédiant, leur donnait toutes les pièces de l'équipement militaire[17]. Dans sa conduite politique, Thomas se comportait en vrai et loyal chancelier d'Angleterre, selon le sens déjà attaché à ces mots, c'est-à-dire qu'il travaillait de tous ses efforts à maintenir, à augmenter même le pouvoir personnel du roi envers et contre tous les hommes, sans distinction de race ni d'état, Normands ou Saxons, clercs ou laïques. Quoique membre de l'ordre ecclésiastique, il entra plus d'une fois en lutte avec cet ordre, dans l'intérêt du fisc ou de l'échiquier royal. Au temps où le roi Henri II entreprit la guerre contre le comte de Toulouse, on leva en Angleterre, pour les frais de la campagne, la taxe que les Normands appelaient escuage, c'est-à-dire taxe des écus, parce qu'elle était due par tout possesseur d'une terre suffisante à l'entretien d'un homme d'armes qui, dans le délai prescrit par les appels, ne se présentait point à la revue tout armé et l'écu au bras[18]. Les riches prélats et les riches abbés de race normande, dont l'esprit belliqueux s'était calmé depuis qu'il ne s'agissait plus de piller les Saxons, et qu'il n'y avait plus de guerre civile entre les Normands, s'excusèrent de se rendre à l'appel des gens de guerre, parce que, disaient-ils, la sainte Église leur défendait de verser le sang ; ils refusèrent, en outre, par le même motif, de payer la taxe d'absence ; mais le chancelier voulut les y contraindre. Le haut clergé se répandit alors en invectives contre l'audace de Thomas : Gilbert Foliot, évêque de Londres, l'accusa publiquement de plonger l'épée dans le sein de sa mère, l'Église, et l'archevêque Thibaut, quoique son ancien patron, menaça de l'excommunier[19]. Thomas ne s'émut point des censures ecclésiastiques, et peu après il s'y exposa de nouveau, en combattant de sa propre main dans la guerre de Toulouse, et en montant des premiers, tout diacre qu'il était, à l'assaut des forteresses[20]. Un jour, dans une assemblée du clergé, quelques évêques affectèrent d'étaler des maximes d'indépendance exagérées à l'égard du pouvoir royal : le chancelier, qui était présent, les contredit ouvertement, et leur rappela d'un ton sévère qu'ils étaient tenus envers le roi par le même serment que les gens d'épée, par le serment de lui conserver sa vie, ses membres, sa dignité et son honneur[21]. La bonne harmonie qui avait régné dans les premiers temps de la conquête entre les barons et les prélats normands, ou, pour parler le langage du siècle, entre l'empire et le sacerdoce, n'avait pas été de longue durée. A peine installés dans les églises que Guillaume et ses chevaliers leur ouvrirent à coups de lance, les évêques et les abbés venus d'outre-mer devinrent ingrats' envers ceux qui leur avaient donné leurs titres et leurs possessions. En même temps qu'il s'éleva des disputes entre les rois et les barons, il y eut mésintelligence entre les barons et le clergé, entre cet ordre et la royauté : ces trois puissances se divisèrent quand la puissance ennemie de toutes les trois, c'est-à-dire la race anglo-saxonne, eut cessé de se faire craindre. C'était mal à propos que le premier Guillaume avait compté sur une plus longue union quand il donna au corps ecclésiastique établi par la conquête un pouvoir jusqu'alors inconnu en Angleterre. Il croyait obtenir par ce moyen un accroissement de puissance personnelle ; et peut-être eut-il raison pour lui-même, mais il eut tort pour ses successeurs[22]. Le lecteur connaît le décret royal par lequel, détruisant l'ancienne responsabilité des prêtres devant les juges civils, et attribuant aux membres du haut clergé le privilège d'être juges, Guillaume avait institué des cours épiscopales, arbitres de certains procès de laïques et de tous les procès intentés à des clercs. Les clercs normands, clercs de fortune, si l'on peut se servir de ce mot, ne tardèrent pas à étaler en Angleterre les mœurs les plus désordonnées : ils commirent des meurtres, des rapts, des brigandages ; et, comme ils n'étaient justiciables que de leur ordre, rarement ces crimes furent punis : circonstance qui les multiplia d'une manière effrayante. Dans les premières années du règne de Henri II, on comptait près de cent homicides commis par des prêtres encore vivants. Le seul moyen d'arrêter et de punir ces désordres était d'abolir le privilège ecclésiastique établi par le Conquérant, et dont la nécessité temporaire avait cessé, puisque les rébellions des Anglais n'inspiraient plus beaucoup de crainte. C'était une réforme raisonnable ; et en outre, par un motif moins pur, pour l'agrandissement de leurs propres juridictions territoriales, les gens d'épée la désiraient, et blâmaient la loi votée par leurs aïeux dans le grand conseil du roi Guillaume Ier. Dans l'intérêt de la puissance temporelle dont il était le souverain dépositaire, et aussi, on doit le croire, par des motifs de raison et de justice, Henri II songeait à exécuter cette réforme[23] ; mais pour qu'elle s'opérât facilement et sans troubles, il fallait que la primatie de Canterbury, cette espèce de royauté ecclésiastique, tombât entre les mains d'un homme dévoué à la personne du roi, aux intérêts de la puissance royale et à la cause des barons contre les gens d'église. Il fallait, en outre, que cet homme fût peu sensible au plus ou au moins de souffrance des Anglais indigènes ; car l'absurde loi de l'indépendance cléricale, autrefois dirigée spécialement contre la population vaincue, après lui avoir beaucoup nui lorsqu'elle résistait encore, lui était devenue favorable. Tout serf saxon qui parvenait à se faire ordonner prêtre était dès lors à jamais exempt de servitude, parce qu'aucune action intentée contre lui comme esclave fugitif, soit par les baillis royaux, soit par les officiers des seigneurs, ne pouvait le forcer de comparaître devant la justice séculière ; quant à l'autre justice, elle ne consentait point à laisser retourner à la charrue ceux qui étaient devenus les oints du Christ. Les maux de l'asservissement national avaient multiplié en Angleterre le nombre de ces clercs par nécessité, qui n'avaient point d'église, qui vivaient d'aumônes, mais qui, au moins, à la différence de leurs pères et de leurs compatriotes, n'étaient ni attachés à la glèbe, ni parqués dans l'enceinte des villes royales[24]. Le faible espoir de ce recours contre l'oppression étrangère était alors, après les misérables succès de la servilité et de l'adulation, 'la plus brillante perspective pour un homme de race anglaise. Aussi le bas peuple se passionnait-il pour les privilèges cléricaux avec un zèle égal à celui que ses aïeux, dans d'autres temps, eussent déployé contre la résistance du clergé à la loi commune du pays. Le chancelier, qui avait passé sa jeunesse au milieu des gens de haut parage, semblait dégagé de toute espèce d'intérêt de nation pour les opprimés de l'Angleterre. D'un autre côté, toutes ses liaisons d'amitié étaient avec des laïques ; il semblait ne connaître au monde d'autres droits que ceux de la puissance royale ; il était le favori du roi et l'homme le plus habile en affaires : aussi les partisans de la réforme ecclésiastique le jugèrent-ils très-propre à en devenir le principal instrument ; et, bien longtemps avant la mort de l'archevêque Thibaut, c'était déjà le bruit commun â la cour que Thomas Beket obtiendrait la primatie[25]. En l'année 1161, Thibaut mourut ; et aussitôt le roi recommanda son chancelier au choix des évêques, qui rarement hésitaient à élire un candidat ainsi protégé. Cette fois, ils opposèrent une résistance que le pouvoir royal n'était pas habitué à rencontrer de leur part. Ils déclarèrent qu'en leur conscience ils ne croyaient pas pouvoir élever au siège du bienheureux Lanfranc un chasseur et un guerrier de profession, un homme du monde et du bruit[26]. De leur côté, les seigneurs normands qui vivaient hors de l'intimité de la cour, et surtout ceux d'outre-mer, montrèrent une opposition violente à la nomination de Thomas ; la mère du roi fit de grands efforts pour le dissuader du projet de faire le chancelier archevêque[27]. Peut-être ceux qui n'avaient point vu Beket assez souvent ni d'assez près pour avoir en lui pleine confiance éprouvaient-ils une sorte de pressentiment du danger de confier un aussi grand pouvoir à un homme d'origine anglaise ; mais la sécurité du roi était sans bornes. Il s'obstina contre toutes les remontrances, et jura par Dieu que son ami serait primat d'Angleterre. Henri II tenait alors sa cour en Normandie, et Thomas s'y trouvait avec lui. Dans une des conférences qu'ils avaient habituellement ensemble sur les affaires de l'État, le roi lui dit 'qu'il devait se préparer à repasser la mer pour une commission importante. J'obéirai, répondit le chancelier, aussitôt que j'aurai reçu mes instructions. — Quoi ! reprit le roi d'un ton expressif, tu ne devines pas ce dont il s'agit, et que je veux fermement que ce soit toi qui deviennes archevêque ?[28] Thomas se mit à sourire, et levant un pan de son riche habit : Voyez un peu, dit-il, l'homme édifiant, le saint homme que vous voudriez charger de si saintes fonctions. D'ailleurs, vous avez sur les affaires de l'Église des vues auxquelles je ne pourrais me prêter ; et je crois que si je devenais archevêque, nous ne serions bientôt plus amis[29]. Le roi reçut cette réponse comme un simple badinage ; et sur-le-champ l'un de ses justiciers porta de sa part aux évêques d'Angleterre, qui depuis treize mois retardaient l'élection, l'ordre formel de nommer sans délai le candidat de la cour[30]. Les évêques, fléchissant sous ce qu'on appelait alors la main royale, obéirent avec une bonne grâce apparente[31]. Thomas Beket, cinquième primat depuis la conquête, et le premier qui ait été Anglais de race, fut ordonné prêtre le samedi de la Pentecôte de l'année 1162, et le lendemain consacré archevêque par le prélat de Winchester, en présence des quatorze suffragants du siège de Canterbury. Peu de jours après sa consécration, ceux qui le virent ne le reconnaissaient plus. Il avait dépouillé ses riches vêtements, démeublé sa maison somptueuse, rompu avec ses nobles hôtes, et fait amitié avec les pauvres, les mendiants et les Saxons[32]. Comme eux il portait un habit grossier, vivait de légumes et d'eau, avait l'air humble et triste, et c'était pour eux seulement que sa salle de festin était ouverte et son argent prodigué[33]. Jamais changement de vie ne fut plus soudain, et n'excita d'un côté autant de colère, et de l'autre autant d'enthousiasme[34]. Le roi, les comtes, les barons, tous ceux que Beket avait servis autrefois, et qui avaient contribué à son élévation, se crurent indignement trahis. Les évêques et le clergé normand, ses anciens antagonistes, restèrent en suspens et l'observèrent : mais il devint l'idole des gens de basse condition ; les simples moines, le clergé inférieur et les indigènes de tout état virent en lui un frère et un protecteur. L'étonnement et le dépit du roi passèrent toute mesure quand il reçut en. Normandie un message du primat qui lui remettait le sceau royal, et déclarait que, se croyant insuffisant pour son nouvel office, il ne pouvait en cumuler deux[35]. Henri soupçonna d'hostilité cette abdication, par laquelle l'archevêque semblait vouloir s'affranchir de tout lien de dépendance à son égard, et il en eut d'autant plus de ressentiment qu'il s'y était moins attendu. Son amitié se tourna en aversion violente, et, à son retour en Angleterre, il accueillit dédaigneusement son ancien favori, et affecta de mépriser, quand il le vit paraître en froc de moine, celui qu'il avait tant fêté sous l'habit de courtisan normand, avec le poignard au côté, la toque à plumes sur la tête, et les chaussures à longues pointes recourbées en cornes de bélier[36]. Le roi commença dès lors contre l'archevêque un système régulier d'attaques et de vexations personnelles. Il lui enleva l'archidiaconat de Canterbury, qu'il cumulait encore avec le siège épiscopal ; puis il suscita un certain Clérambault, moine de Normandie[37], homme audacieux et de mœurs déréglées, qui avait quitté le froc dans son pays, et que le roi fit abbé du monastère de Saint-Augustin à Canterbury. Clérambault, soutenu par la cour, refusa de prêter serment d'obéissance canonique entre les mains du primat, malgré l'ordre établi autrefois par Lanfranc pour ruiner l'indépendance des moines de Saint-Augustin, lorsque les religieux saxons résistaient encore aux Normands[38]. Le nouvel abbé motiva ce refus sur ce qu'anciennement, c'est-à-dire avant la conquête, son monastère avait joui d'une pleine et entière liberté. Beket revendiqua la prérogative que les premiers rois normands avaient attribuée à son siège, La dispute s'échauffa de part et d'autre, et Clérambault, conseillé par le roi et les courtisans, remit sa cause au jugement du pape. Il y avait dans ce temps deux papes, parce que les cardinaux et les nobles romains n'avaient pu s'accorder pour un choix. Victor était reconnu comme légitime par l'empereur d'Allemagne Frederik, mais désavoué par les rois de France et d'Angleterre, qui reconnaissaient son compétiteur Alexandre, troisième du nom, chassé de Rome par ses adversaires, et réfugié alors en France[39]. C'est à ce dernier que le nouvel abbé de Saint-Augustin adressa une protestation contre le primat d'Angleterre, au nom des antiques libertés de son couvent : chose bizarre, ces mêmes libertés, autrefois anéanties par l'autorité du pape Grégoire VII, dans l'intérêt de la conquête normande, furent déclarées inviolables par le pape Alexandre III, à la requête d'un abbé normand contre un archevêque de race anglaise. Thomas, irrité de sa défaite, rendit aux courtisans attaque pour attaque, et comme ils venaient de se prévaloir contre lui de droits antérieurs à la conquête, lui-même se mit à réclamer tout ce que son église avait perdu depuis l'invasion des Normands. Il somma Gilbert de Clare de restituer au siège de Canterbury la terre de Tumbridge, que son aïeul avait reçue en fief[40], et il éleva des prétentions du même genre contre plusieurs autres barons et contre les officiers du domaine royal[41]. Ces réclamations tendaient, quoique indirectement, à ébranler dans son principe le droit de propriété de toutes les familles anglo-normandes, et pour cette raison elles causèrent une alarme générale. On invoqua la prescription, et Beket répondit nettement qu'il ne connaissait point de prescription pour l'injustice, et que ce qui avait été pris sans bon titre devait être rendu. Les fils des compagnons de Guillaume le Bâtard crurent voir l'âme du roi Harold descendue dans le corps de celui qu'eux-mêmes avaient fait primat. L'archevêque ne leur donna pas le temps de se remettre du premier trouble, et violant encore un des usages les plus respectés depuis la conquête, il plaça un prêtre de son choix dans l'église vacante d'Aynesford, sic la terre du Normand Guillaume, chevalier et tenant en chef du roi[42]. Ce Guillaume, comme tous les Normands, prétendait disposer, et disposait en effet sur son fief, des églises aussi bien que des métairies. Il nommait à son gré les prêtres comme les fermiers, administrant par des hommes de son choix les secours et l'enseignement religieux à ses Saxons, libres ou serfs ; privilège qu'on appelait alors droit de patronage[43]. En vertu de ce droit, Guillaume d'Aynesford chassa le prêtre envoyé chez lui par l'archevêque ; mais Beket excommunia Guillaume pour avoir fait violence à un clerc. Le roi intervint contre le primat ; il se plaignit de ce qu'on avait excommunié, sans l'en prévenir, l'un de ses tenanciers en chef, un homme capable d'être appelé à son conseil et à sa cour, et ‘ayant qualité pour se présenter devant lui en tout temps et en tout lieu ; ce qui avait exposé sa royale personne au péril de communiquer par mégarde avec un excommunié[44]. Puisque je n'ai point été averti, disait Henri II, et puisque ma dignité a été lésée en ce point essentiel, l'excommunication de mon vassal est nulle ; j'exige donc que l'archevêque la rétracte[45]. L'archevêque céda de mauvaise grâce, et la haine du roi s'en aigrit. Dès ce jour, dit-il publiquement, tout est fini entre cet homme et moi[46]. Dans l'année 1164, les justiciers royaux, révoquant de fait l'ancienne loi du Conquérant, citèrent devant leurs assises un prêtre accusé de viol et de meurtre ; mais l'archevêque de Canterbury, comme supérieur ecclésiastique de toute l'Angleterre, déclara la citation nulle, en vertu des privilèges du clergé, aussi anciens dans le pays que ceux de la royauté normande. Il fit saisir par ses propres agents le coupable, qui fut amené devant un tribunal ecclésiastique, privé de sa prébende, battu publiquement de verges, et suspendu de tout office pour plusieurs années[47]. Cette affaire, où la justice fut jusqu'à un certain point respectée, mais où les juges royaux eurent complètement le dessous, fit grand scandale. Les hommes de descendance normande se divisèrent en deux partis, dont l'un approuvait et l'autre blâmait fortement le primat. Les évêques étaient pour lui, et contre lui les gens d'épée, la cour et le roi. Le roi, opiniâtre par caractère, changea tout à coup le différend particulier en question législative ; et, convoquant en assemblée solennelle tous les seigneurs et tous les prélats d'Angleterre, il leur exposa les délits nombreux commis chaque jour par des prêtres. Il ajouta qu'il avait découvert des moyens de réprimer ces délits dans les anciennes coutumes de ses prédécesseurs, et surtout dans celles de Henri Ier, son aïeul. Il demanda, suivant l'usage, à tous les membres de l'assemblée, s'ils ne trouvaient pas bon qu'il fît revivre les coutumes de son aïeul[48]. Les laïques dirent qu'ils le souhaitaient ; mais tous les clercs, et Thomas à leur tête, répondirent : Sauf l'honneur de Dieu et de la sainte Église[49]. — Il y a du venin dans ces paroles, répliqua le roi en colère ; il quitta aussitôt les évêques sans les saluer, et l'affaire demeura indécise[50]. Peu de jours après, Henri II fit appeler séparément auprès de lui l'archevêque d'York, Roger, Robert de Melun, évêque de Hereford, et plusieurs autres prélats d'Angleterre, dont les noms, purement français, indiquent assez l'origine. Par des promesses, de longues explications, et peut-être des insinuations sur les desseins présumés de l'Anglais Beket contre tous les grands d'Angleterre, enfin par plusieurs raisons que les historiens ne détaillent pas, les évêques anglo-normands furent presque tous gagnés au parti du roi[51] : ils promirent de favoriser le rétablissement des prétendues coutumes de Henri Ier, qui, pour dire la vérité, n'en avait jamais pratiqué d'autres que celles de Guillaume le Conquérant, fondateur du privilège ecclésiastique. En outre, et pour la seconde fois depuis ses différends avec le primat, le roi s'adressa au pape Alexandre ; et le pape, complaisant à l'excès, lui donna pleinement raison, sans examiner le fond de l'affaire. Il députa même un messager spécial avec des lettres apostoliques pour enjoindre à tous les prélats, et nommément à celui de Canterbury, d'accepter et d'observer toutes les lois du roi d'Angleterre, quelles qu'elles fussent[52]. Demeuré seul dans son opposition, et privé de tout espoir d'appui, Beket fut contraint de céder. Il alla trouver le roi à sa résidence de Woodstock, et promit, comme les autres évêques, d'observer de bonne foi et sans aucune restriction toutes les lois, qui seraient faites[53]. Pour que cette promesse fût renouvelée authentiquement au sein d'une assemblée solennelle, le roi Henri convoqua, dans le bourg de Clarendon, à peu de distance de Winchester, le grand conseil des Anglo-Normands, archevêques, évêques, abbés, prieurs, comtes, barons et chevaliers[54]. L'assemblée de Clarendon se tint au mois de mars de l'année 1164, sous la présidence de Jean, évêque d'Oxford. Les gens du roi y exposèrent les réformes et les dispositions toutes nouvelles qu'il lui plaisait d'intituler anciennes coutumes et libertés de Henri Ier, son aïeul[55]. Les évêques donnèrent solennellement leur approbation à tout ce qu'ils venaient d'entendre ; mais Beket refusa la sienne, et s'accusa, au contraire, de folie et de faiblesse pour avoir promis d'observer sans réserve les lois du roi, quelles qu'elles fussent[56]. Tout le conseil normand fut en rumeur. Les évêques supplièrent Thomas, et les barons le menacèrent'. Deux chevaliers du Temple lui demandèrent avec larmes de ne point faire déshonneur au roi ; et, pendant que cette scène avait lieu dans la grande salle, on aperçut à travers les portes, dans l'appartement voisin, des hommes qui bouclaient leurs cottes de mailles et ceignaient leurs épées[57]. L'archevêque eut peur, et donna sa parole d'observer sans restriction les coutumes de l'aïeul du roi, ne demandant que la faculté d'examiner plus à loisir et de vérifier ces coutumes[58]. L'assemblée nomma des commissaires chargés de les rédiger par articles, et s'ajourna au lendemain[59]. Vers le soir, l'archevêque se mit en route pour Winchester, où était son logement. Il allait à cheval avec une nombreuse suite de clercs, qui, chemin faisant, causaient ensemble des événements de cette journée. La conversation, d'abord paisible, s'échauffa par degrés, et devint une dispute où chacun prit parti selon son opinion. Les uns louaient la conduite du primat, ou l'excusaient d'avoir cédé à la force des circonstances. D'autres exprimaient leur blâme avec vivacité, disant que la liberté ecclésiastique allait périr en Angleterre par la faute d'un seul homme. Le plus animé de tous était un Saxon appelé Edward Grimm, qui portait la croix de l'archevêque ; emporté par la chaleur du débat, il parlait très-haut et gesticulait beaucoup. Je le vois bien, disait-il, aujourd'hui l'on n'estime plus que ceux qui ont pour les princes une complaisance sans bornes ; mais que deviendra la justice ? qui combattra pour elle, lorsque le chef s'est laissé vaincre, et qu'elles vertus trouverons-nous désormais chez celui qui a perdu le courage ? Ces derniers mots furent entendus de Thomas, que l'agitation et les éclats de voix avaient attiré. A qui en voulez-vous, mon fils ? dit-il au porte-croix. — A vous-même, répondit celui-ci dans une sorte d'enthousiasme ; à vous, qui avez renoncé à votre conscience, en levant la main pour promettre l'observation de ces détestables coutumes. A ce violent reproche, où le sentiment national avait peut-être autant de part que la conviction religieuse, l'archevêque ne s'irrita point, et parut un moment pensif ; puis, s'adressant du ton le plus doux à son compatriote : Mon fils, lui dit-il, vous ayez raison ; j'ai commis une grande faute et je m'en repens[60]. Le lendemain, les prétendues coutumes ou constitutions de Henri Ier furent produites par écrit, divisées en seize articles, qui contenaient un système entier de dispositions contraires aux ordonnances de Guillaume le Conquérant. Il s'y trouvait, en outre, plusieurs règlements spéciaux, dont l'un portait défense d'ordonner prêtres, sans le consentement de leur seigneur, ceux qu'en langue normande on appelait natifs ou naïfs, c'est-à-dire les serfs, qui étaient tous de race indigène[61]. Les évêques furent requis d'apposer leurs sceaux en cire au bas du rôle de parchemin qui contenait les seize articles : ils le firent tous, à l'exception de Thomas, qui, sans rétracter ouvertement sa première adhésion, demanda encore des délais. Mais l'assemblée passa outre, et ce refus de l'archevêque n'empêcha point les nouvelles lois d'être aussitôt promulguées. Il partit de la chancellerie royale des lettres adressées à tous les juges ou justiciers normands d'Angleterre et du continent. Ces lettres leur ordonnaient, au nom de Henri, par la grâce de Dieu roi d'Angleterre, duc de Normandie, duc d'Aquitaine et comte d'Anjou, de faire exécuter et observer par les archevêques, évêques, abbés, prêtres, comtes, barons, citoyens, bourgeois et paysans, les ordonnances décrétées au grand conseil de Clarendon[62]. Une lettre de l'évêque de Poitiers, qui reçut alors de semblables dépêches, apportées dans son diocèse par Simon de Tournebu et Richard de Lucy, justiciers, fait connaître en détail les instructions qu'elles contenaient. Ces instructions sont curieuses à rapprocher des lois publiées quatre-vingts ans auparavant, au nom de Guillaume Ier et de ses barons ; car des deux côtés on trouve les mêmes menaces et les mêmes pénalités sanctionnant des ordres contraires[63]. Ils m'ont défendu, dit l'évêque de Poitiers, d'appeler en cause qui que ce soit de mes diocésains, à la requête d'aucune veuve, d'aucun orphelin, ni d'aucun prêtre, à moins que les officiers du roi ou le seigneur au fief duquel ressortit la cause en litige n'aient fait déni de justice ; ils ont déclaré que si quelqu'un, se rendait à ma sommation, tous ses biens seraient aussitôt confisqués et lui- même emprisonné ; enfin, ils m'ont signifié que si j'excommuniais ceux qui refuseraient de comparaître devant ma justice épiscopale, les excommuniés pourraient, sans nullement déplaire au roi, s'attaquer à ma personne ou à celle de mes clercs, et à mes propres biens ou à ceux de mon église[64]. Du moment que ces lois, faites par des Normands dans un bourg d'Angleterre, furent décrétées comme obligatoires pour les habitants de presque tout l'ouest de la Gaule, Angevins, Manceaux, Bretons, Poitevins et Aquitains, et que ces diverses populations furent en rumeur pour la querelle de Henri II et de l'archevêque Thomas Beket, la cour de Rome se mit à regarder avec plus d'attention une affaire qui, en si peu de temps, avait pris une telle importance. Cette cour, profondément politique, songea dès lors à-retirer le plus grand avantage possible soit de la guerre, soit de la paix. L'archevêque de Rouen, Rotrou, homme moins intéressé que les Normands d'Angleterre dans le conflit.de la royauté et de la primatie anglaise, vint, avec une mission du pape, pour observer les choses de plus près, et proposer, à tout hasard, un accommodement, sous la médiation pontificale[65] ; mais le roi, fier de son triomphe, répondit qu'il n'accepterait cette médiation que dans le cas où le pape confirmerait préalablement par une bulle apostolique les articles de Clarendon[66] ; et le pape, qui pouvait plutôt gagner que perdre au retard, refusa de donner sa sanction jusqu'à ce qu'il fût mieux informé[67]. Alors Henri II, sollicitant, pour la troisième fois,
l'appui de la cour pontificale contre son antagoniste Beket, envoya vers
Alexandre III une ambassade solennelle, lui demandant pour Roger, archevêque
d'York, le titre de légat apostolique en Angleterre, avec le pouvoir de faire
et de défaire, de nommer et de destituer[68]. Alexandre
n'accorda point cette requête ; mais il conféra au roi lui-même, par une
commission en forme, le titre et les droits de légat, avec la toute-puissance
d'agir, excepté en un seul point, qui était la destitution du primat[69]. Le roi, voyant
que l'intention du pape était de ne rien terminer, reçut avec des marques de
dépit cette commission d'un nouveau genre, et la renvoya aussitôt[70]. Nous emploierons nos propres forces, dit-il, et nous croyons qu'elles seront suffisantes pour faire
rentrer dans le devoir ceux qui en veulent à notre honneur. Le primat,
abandonné par les barons et les évêques anglo-normands, et n'ayant plus dans
son parti que de pauvres moines, des bourgeois et des serfs, sentit qu'il
serait trop faible contre son antagoniste s'il demeurait en Angleterre, et
résolut de chercher ailleurs des secours et un asile. Il se rendit au port de
Romney, et monta deux fois sur un vaisseau prêt à partir ; mais deux fois les
vents furent contraires, ou le patron du navire, craignant la colère du roi,
refusa de mettre à la voile[71]. Quelques mois après l'assemblée de Clarendon, Henri II en convoqua une nouvelle à Northampton[72] ; et Thomas reçut, comme les autres évêques, sa lettre de convocation : Il arriva au jour fixé, et prit un logement dans la ville ; mais à peine l'eut-il retenu, que le roi le fit occuper par ses gens et par ses chevaux[73]. Outré de cette vexation, l'archevêque envoya dire qu'il ne se rendrait point au parlement, à moins que sa maison ne fût évacuée par les chevaux et les gens du roi[74]. On la lui rendit en effet ; mais l'incertitude où il était de l'issue que devait avoir cette lutte inégale lui fit craindre de s'y engager plus avant, et quelque humiliant qu'il fût pour lui de supplier un homme qui venait de lui faire insulte, il se rendit à l'hôtel du roi et demanda audience : il attendit inutilement tout le jour, tandis que Henri II se divertissait avec ses faucons et ses chiens[75]. Le lendemain, il revint se placer dans la chapelle du roi pendant la messe, et, au sortir, l'abordant d'un air respectueux, il lui demanda la permission de passer en France[76]. Bien, répondit le roi ; mais avant tout, il faudra que vous me rendiez raison de plusieurs choses, et spécialement du tort que vous avez fait dans votre cour à Jean, mon maréchal[77]. Il y avait, en effet, quelque temps que le Normand Jean, surnommé le Maréchal à cause de son office, était venu devant la cour de justice épiscopale de Canterbury réclamer une terre de l'évêché, qu'il prétendait avoir droit de tenir en fief héréditaire[78]. Les juges avaient rejeté sa réclamation comme mal fondée ; et alors le plaignant avait faussé la cour, c'est-à-dire protesté avec serment qu'elle lui déniait justice[79]. J'avoue, répondit Thomas au roi ; que Jean le Maréchal s'est présenté devant ma cour ; mais loin d'y recevoir aucun tort de moi, c'est lui qui m'a fait injure ; car il a exhibé un volume de plain-chant, et s'est mis à jurer sur ce livre que ma cour était fausse et déniait justice ; tandis que, selon la loi du royaume, quiconque veut fausser la cour d'autrui doit jurer sur les saints Évangiles[80]. Le roi affecta de ne tenir aucun compte de cette excuse. L'accusation de déni de justice portée contre l'archevêque fut poursuivie devant le grand conseil normand, qui le condamna, et, par sa sentence, l'adjugea à la merci du roi, c'est-à-dire adjugea au roi tout ce qu'il lui plairait de prendre sur les biens du condamné[81]. Beket fut d'abord tenté de protester contre cet arrêt, et de fausser jugement, comme on disait alors ; mais la conscience de sa faiblesse le détermina à entrer en composition avec ses juges, et il capitula pour une amende de 500 livres d'argent[82]. Beket retourna à sa maison, le cœur attristé des dégoûts qu'il venait d'éprouver ; le chagrin l'y fit tomber malade[83]. Aussitôt que le roi apprit cette nouvelle, il se hâta de lui envoyer la sommation de comparaître de nouveau dans le délai d'un jour devant l'assemblée de Northampton, pour y rendre compte des fonds et des revenus publics dont il avait eu la gestion pendant qu'il était chancelier[84]. Je suis faible et souffrant, répondit Thomas aux officiers royaux, et d'ailleurs le roi sait, comme moi-même, qu'au jour où je fus consacré archevêque, les barons de son échiquier et Richard de Lucy, grand justicier d'Angleterre, m'ont déclaré quitte de tout compte et de toute réclamation[85]. La citation légale n'en demeura pas moins faite ; mais Thomas négligea de s'y rendre, prétextant sa maladie. Des gens de justice vinrent, à plusieurs reprises, constater à quel point il était incapable de marcher, et lui signifièrent la note des réclamations du roi, montant à quarante-quatre mille marcs[86]. L'archevêque offrit de payer deux mille marcs pour se racheter de ce procès désagréable et intenté de mauvaise foi ; mais Henri II refusa toute espèce d'accommodement ; car ce n'était pas l'argent qui le tentait dans cette affaire. Ou je ne serai plus roi, disait-il, ou cet homme ne sera plus archevêque[87]. Les délais accordés par la loi étaient expirés ; il fallait que Beket se présentât ; et, d'un autre côté, on l'avait averti que, s'il paraissait à la cour, ce ne serait pas sans danger pour sa liberté ou pour sa vie[88]. Dans cette extrémité, recueillant toute sa force d'âme, il résolut de marcher et d'être ferme. Le matin du jour décisif, il célébra la messe de Saint-Étienne, premier martyr, dont l'office commence par ces paroles : Les princes se sont assis en conseil pour délibérer contre moi[89]. Après la messe, il se revêtit de son habit pontifical ; et, ayant pris sa croix d'argent des mains de celui qui la portait d'ordinaire, il se mit en chemin, la porta lui-même dans la main droite, et tenant de la gauche les rênes de son cheval[90]. Seul, et toujours tenant sa croix, il arriva dans la grande salle d'assemblée, traversa la foule, et s'assit[91]. Henri II se tenait alors dans un appartement plus secret avec ses amis particuliers, et s'occupait à discuter dans ce conseil privé les moyens de se défaire de l'archevêque avec le moins d'éclat possible[92]. La nouvelle de l'appareil inattendu avec lequel il venait de faire son entrée troubla le roi et ses conseillers. L'un d'entre eux, Gilbert Foliot, évêque de Londres, sortit en hâte du petit appartement, et marchant vers la place où Thomas était assis : Pourquoi viens-tu ainsi, lui dit-il, armé de ta croix ? Et il saisit la croix pour s'en emparer ; mais le primat la retint fortement[93]. L'archevêque d'York vint alors se joindre à l'évêque de Londres, et dit, en s'adressant à Beket : C'est porter défi au roi, notre seigneur, que de venir en armes à sa cour ; mais le roi a une épée dont la pointe est mieux affilée que celle d'un bâton pastoral[94]. Les autres évêques, témoignant moins de violence, se contentèrent de conseiller à Thomas, au nom de son propre intérêt, de remettre sa dignité d'archevêque à la merci du roi ; mais il ne les écouta point[95]. Pendant que cette scène avait lieu dans la grande salle, Henri II éprouvait un vif dépit de voir son adversaire sous la sauvegarde de ses ornements pontificaux ; les évêques, qui, dans le premier moment, avaient peut-être consenti aux projets de violence formés contre leur collègue, se turent alors, et se gardèrent d'encourager les courtisans à porter la main sur l'étole et sur la croix. Les conseillers du roi ne savaient plus que résoudre, quand l'un d'eux, prenant la parole, dit : Que ne le suspendons-nous de tous ses droits et privilèges par un appel au Saint-Père ? Voilà le moyen de le désarmer[96]. Cet avis, reçu comme un trait de lumière, plut singulièrement au roi, et, par son ordre, l'évêque de Chichester, s'avançant vers Thomas Beket, à la tête de tous les autres, lui parla de la manière suivante[97] : Naguère, tu étais notre archevêque ; mais aujourd'hui nous te désavouons, parce qu'après avoir promis fidélité au roi, notre commun seigneur, et juré de maintenir ses ordonnances, tu t'es efforcé de les détruire. Nous te déclarons donc traître et parjure, et disons hautement que nous n'avons plus à obéir à celui qui s'est parjuré, plaçant notre cause sous l'approbation de notre seigneur le pape, devant qui nous te citons[98]. A cette déclaration, faite avec tout l'appareil des formes légales et toute l'emphase de la confiance, Beket ne répondit que ces seuls mots : J'entends ce que vous dites[99]. La grande assemblée des seigneurs s'ouvrit ensuite, et Gilbert Follet accusa devant elle le ci-devant archevêque d'avoir célébré, en mépris du roi, une messe sacrilège sous l'invocation de l'esprit malin[100] ; puis vint la demande en reddition de comptes sur les revenus de l'office de chancelier, et la réclamation de quarante-quatre mille marcs. Beket refusa de plaider, attestant la déclaration solennelle qui l'avait déchargé autrefois de toute responsabilité ultérieure[101]. Alors le roi, se levant, dit aux barons et aux prélats : Par la foi que vous me devez, faites-moi prompte justice de celui-ci, qui est mon homme lige, et qui, dûment sommé, refuse de répondre en ma cour[102]. Les barons normands allèrent aux voix, et rendirent contre Thomas Beket une sentence d'emprisonnement[103]. Lorsque Robert, comte de Leicester, chargé de lire l'arrêt, prononça, en langue française, les premiers mots de la formule consacrée : Oyez ci le jugement rendu contre vous..., l'archevêque l'interrompit : Comte, lui dit-il, je vous défends, au nom de Dieu tout-puissant, de donner ici jugement contre moi, qui suis votre père spirituel ; j'en appelle au souverain pontife, et vous cite par-devant lui[104]. Après cette sorte de contre-appel au pouvoir que ses adversaires avaient invoqué les premiers, Beket se leva et traversa lentement la foule[105]. Un murmure s'éleva de toutes parts ; les Normands criaient : Le faux traître, le parjure, où va-t-il ? Pourquoi le laisse-t-on aller en paix ? Reste ici, traître, et écoute ton jugement'[106]. Au moment de sortir, l'archevêque se retourna, et regardant froidement autour de lui : Si mon ordre sacré, dit-il, ne me l'interdisait, je saurais répondre par les armes à ceux qui m'appellent traître et parjure[107]. Il monta à cheval, se rendit à la maison où il logeait, fit dresser des tables pour un grand repas, et donna ordre de rassembler tous les pauvres qu'on trouverait dans la ville[108]. Il en vint un grand nombre qu'il fit manger et boire. Il soupa avec eux, et, dans la nuit même, pendant que le roi et les chefs normands prolongeaient leur repas du soir, il quitta Northampton, accompagné de deux frères de l'ordre de Cîteaux, l'un Anglais de race, appelé Skaiman, et l'autre d'origine française, appelé Robert de Caune[109]. Il atteignit, après trois jours de marche, les marais du comté de Lincoln, et s'y cacha dans la cabane d'un ermite. De là, sous un déguisement complet, et sous le faux nom de Dereman, dont la tournure saxonne était une garantie d'obscurité, il gagna Canterbury, puis la côte voisine de Sandwich[110]. On était à la fin de novembre, époque où le passage du détroit devient périlleux. L'archevêque monta sur un petit bateau pour écarter tout soupçon, et, à travers beaucoup de risques, navigua jusqu'au port de Gravelines. Il se rendit ensuite à pied et en mauvais équipage au monastère de Saint-Bertin, dans la ville de Saint-Orner[111]. A la nouvelle de sa fuite, un édit royal fut publié dans toutes les provinces du roi d'Angleterre sur les deux rives de l'Océan. Aux termes de cet édit, tous les parents de Thomas Beket en ligne ascendante et descendante, jusqu'aux vieillards, aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge, étaient condamnés au bannissement[112]. Tous les biens de l'archevêque et de ses adhérents, ou prétendus tels, furent séquestrés entre les mains du roi, qui en fit des présents à ceux dont il avait éprouvé le zèle dans cette affaire[113]. Jean, évêque de Poitiers, suspect d'amitié pour le prélat et de partialité pour sa cause, reçut du poison d'une main inconnue, et n'échappa à la mort que par hasard[114]. Des lettres royales, où Henri II appelait Thomas son adversaire, et défendait de prêter aucun secours ni conseil à lui ou aux siens, furent envoyées d'ans tous les diocèses d'Angleterre[115]. D'autres lettres, adressées au comte de Flandre et à tous les hauts barons de ce pays, les invitaient à se saisir de Thomas, ci-devant archevêque, traître au roi d'Angleterre, et fugitif à mauvais dessein[116]. Enfin l'évêque de Londres, Gilbert Foliot, et Guillaume, comte d'Arundel, se rendirent auprès du roi de France, Louis VII, à son palais de Compiègne, et lui remirent des dépêches scellées du grand sceau d'Angleterre et conçues dans les termes suivants : A son seigneur et ami Louis, roi des Français, Henri, roi d'Angleterre, duc de Normandie, duc d'Aquitaine et comte d'Anjou. Sachez que Thomas, ci-devant
archevêque de Canterbury, après un jugement public, rendu en ma cour par
l'assemblée plénière des barons de mon royaume, a été convaincu de fraude, de
parjure et de trahison envers moi ; qu'ensuite il a fui de mon royaume comme
un traître et à mauvaise intention. Je vous prie donc instamment de ne point
permettre que cet homme, chargé de crimes, ou qui que ce soit de ses
adhérents, séjourne sur vos terres, ni qu'aucun des vôtres prête à mon plus
grand ennemi secours, appui ou conseil ; car je proteste que vos ennemis ou
ceux de votre royaume n'en recevraient aucun de ma part ni de celle de mes
gens. J'attends de vous que vous m'assistiez dans la vengeance de mon honneur,
et dans la punition de mon ennemi, comme vous aimeriez que je fisse moi-même
pour vous, s'il en était besoin[117]. De son asile, à Saint-Bertin, Thomas attendit l'effet des lettres de Henri II au roi de France et au comte de Flandre, pour savoir de quel côté il pourrait se tourner sans péril. Les dangers sont nombreux, le roi a les mains longues — lui écrivait celui de ses amis qu'il avait chargé d'essayer le terrain auprès du roi Louis VII, et de la cour papale, alors établie à Sens[118] —. Je ne suis point encore descendu à l'église romaine, disait le même correspondant, ne voyant pas ce que je pourrais obtenir ; ils feront beaucoup contre vous et peu de chose pour vous. Il leur viendra des hommes puissants, riches, semant à pleines mains l'argent, dont Rome a toujours fait grand sas, et nous, pauvres et sans appui, quel compte les Romains feront-ils de nous ?[119] Vous me mandez de leur offrir deux cents marcs ; mais la partie adverse leur en proposera quatre cents, et je réponds que, par amour pour le roi, et par respect pour ses ambassadeurs, ils aimeront mieux prendre le plus qu'attendre le moins[120]. Le roi de France fit, dès le premier abord, un accueil favorable au messager de Thomas Beket, et, après avoir tenu conseil avec ses barons, il octroya à l'archevêque et à ses compagnons d'exil paix et sécurité dans son royaume, ajoutant gracieusement que c'était un des anciens fleurons de la couronne de France que la protection accordée aux exilés contre leurs persécuteurs[121]. Quant au pape, qui n'avait point alors d'intérêt à
contrarier le roi d'Angleterre, il hésita deux jours entiers à recevoir ceux
qui se rendirent à Sens de la part de l'archevêque ; et quand ils lui
demandèrent pour Thomas une lettre d'invitation à sa cour, il la refusa
positivement[122].
Mais, à l'aide du libre asile que lui accordait le roi de France, Beket vint
à la cour papale sans être invité. Il fut reçu avec froideur par les
cardinaux[123],
dont la plupart alors le traitaient de brouillon, et ; disaient qu'il fallait
réprimer son caractère entreprenant. Il exposa devant eux l'origine et toute
l'histoire de son différend avec Henri II. Je ne me
pique pas de grande sagesse, leur disait-il ; mais
je ne serais pas si fou que de tenir tête à un roi pour des riens. Car sachez
que si j'eusse voulu faire sa volonté en toutes choses, il n'y aurait pas
maintenant dans son royaume de pouvoir égal au mien[124]. Sans prendre
dans la querelle aucun parti décidé, le pape donna au fugitif la permission
de recevoir du roi de France des secours en argent et en vivres[125]. Il lui permit
en outre d'excommunier tous ceux qui avaient saisi et qui retenaient des
biens de son église, à l'exception du roi qui leur en avait fait présent[126]. Enfin, il lui
demanda de réciter en détail les articles de Clarendon, que le pape Alexandre
lui-même, à la sollicitation du roi Henri, avait approuvés, à ce qu'il
parait, sans les bien connaitre. Alexandre jugea cette fois les seize
articles grandement contraires à l'honneur de Dieu et de la sainte Église. Il
les traita d'usurpations tyranniques et reprocha durement à Beket l'adhésion
passagère qu'il y avait autrefois donnée d'après l'injonction formelle d'un
légat pontifical[127]. Le pape
n'excepta de cette réprobation que six articles, parmi lesquels se trouvait
celui qui enlevait aux serfs le droit d'être affranchis en devenant prêtres, et il prononça solennellement
anathème contre les partisans des dix autres[128]. L'archevêque disserta ensuite sur les antiques libertés de l'église de Canterbury, à la cause desquelles il assura qu'il voulait se dévouer ; et, s'accusant d'avoir été intrus dans son siège par la puissance royale, au mépris de ces mêmes libertés, il se démit entre les mains du pape de sa dignité épiscopale[129]. Le pape l'en revêtit de nouveau en prononçant ces paroles : Maintenant, allez apprendre dans la pauvreté à être le consolateur des pauvres[130]. Thomas Beket fut recommandé au supérieur de l'abbaye de Pontigny, sur les confins de la Bourgogne et de la Champagne, pour vivre dans ce couvent, comme simple moine. Il se soumit à tout, prit l'habit des religieux de Cîteaux, et commença à suivre, dans toute sa rigueur, la discipline de la vie monastique[131]. Dans sa retraite de Pontigny, Thomas écrivit beaucoup et reçut beaucoup de lettres. Il en reçut des évêques d'Angleterre et de tout le corps du clergé anglo-normand, qui étaient pleines d'amertume et d'ironie. La renommée nous a porté la nouvelle que, renonçant désormais à machiner des complots contre votre seigneur et roi, vous supportiez humblement la pauvreté à laquelle vous vous êtes réduit, et que vous rachetiez votre vie passée par l'étude et les abstinences. Nous vous en félicitons, et vous conseillons de persévérer dans cette bonne voie[132]. La même lettre lui reprochait, en termes humiliants, la bassesse de sa naissance et son ingratitude envers le roi, qui, du rang de Saxon et d'homme de rien, l'avait élevé jusqu'à lui-même[133]. Tels étaient sur le compte de Beket les propos des évêques et des seigneurs d'Angleterre. Ils s'emportaient contre ce qu'ils appelaient l'insolence du parvenu[134] ; mais, dans les rangs inférieurs, soit des clercs, soit des laïques, on l'aimait, on le plaignait, et l'on faisait, quoique en silence, dit un contemporain, des vœux ardents pour qu'il réussit à tout ce qu'il entreprendrait[135]. En général, il avait pour adhérents tous ceux qui étaient en hostilité avec le gouvernement anglo-normand, soit comme sujets par conquête, soit comme ennemis politiques. Un des hommes qui s'exposèrent le plus courageusement à la persécution pour le suivre, était un Gallois nommé Cuelin[136]. Un Saxon de naissance fut mis en prison et y resta longtemps à cause de lui[137] ; et le poison donné à l'évêque de Poitiers semble prouver qu'on redoutait ses partisans dans les provinces de la Gaule méridionale, qui obéissaient avec peine à un roi de race étrangère ; il avait aussi des amis zélés en Basse-Bretagne ; mais il ne parait point qu'il ait eu de bien chauds partisans en Normandie, où l'obéissance au roi Henri était regardée comme un devoir national. Quant au roi de France, il favorisait l'antagoniste de Henri II par des motifs d'une nature moins élevée, sans affection réelle, et simplement pour susciter des embarras à son rival politique. Dans l'année 1166, Henri II passa d'Angleterre en Normandie, et, à la nouvelle de son embarquement, Thomas sortit du couvent de Pontigny et se rendit à Vézelay, près d'Auxerre. Là, en présence du peuple assemblé dans la principale église, le jour de l'Ascension, il monta en chaire, et, avec le plus grand appareil, au son des cloches et à la lueur des cierges, il prononça un arrêt d'excommunication contre les défenseurs des constitutions de Clarendon, les détenteurs des biens séquestrés de l'église de Canterbury, et ceux qui retenaient des clercs ou des laïques en prison pour sa cause[138]. Beket prononça en outre nominativement la même sentence contre les Normands Richard de Lucy, Jocelin Bailleul, Alain de Neuilly, Renouf de Broc, Hugues de Saint-Clair et Thomas, fils de Bernard, courtisans et favoris du roi[139]. Le roi était alors à Chinon, ville de son comté de Touraine, et, à la nouvelle de ce signe de vie donné par son adversaire, un accès de fureur violente s'empara subitement de lui ; il s'écria tout hors de sens, qu'on voulait lui tuer le corps et l'âme, qu'il était assez malheureux pour n'avoir autour de lui que des traîtres, dont pas un ne songeait à le délivrer des vexations d'un seul homme[140]. Il ôta son chaperon et le jeta par terre, déboucla son baudrier, quitta ses habits, arracha l'étoffe de soie qui couvrait son lit, et s'y roula devant tous les chefs, mordant le matelas et en arrachant avec ses dents la laine et le crin[141]. Revenu un peu à lui-même, il dicta une lettre pour le pape, lui reprochant de protéger les traîtres[142], et il envoya au clergé de la province de Kent l'ordre d'écrire, de son côté, au souverain pontife, qu'on tenait pour nulles les sentences d'excommunication lancées par l'archevêque[143]. Le pape répondit au roi, en le priant de ne communiquer ses lettres à âme qui vive, qu'il était prêt à lui donner pleine satisfaction, et qu'il lui députait deux légats extraordinaires avec pouvoir d'absoudre toutes les personnes excommuniées[144]. En effet, il envoya en Normandie, sous ce titre et avec cette puissance, Guillaume et Othon, prêtres-cardinaux, le premier ouvertement vendu au roi, et le second mal disposé pour l'archevêque[145]. Pendant que ces deux ambassadeurs traversaient la France, publiant sur leur route qu'ils allaient contenter le roi d'Angleterre et confondre son ennemi[146], le pape, de retour en Italie, mandait à Thomas d'avoir toute confiance en eux, et le priait, en récompense de l'attention qu'il avait mise à les choisir favorablement pour sa cause, de s'employer auprès du comte de Flandre à obtenir quelques aumônes pour l'Église romaine[147]. Mais l'archevêque fut averti du peu de foi que méritaient
ces assurances, et se plaignit amèrement, dans une lettre adressée au pape
lui-même, de la fausseté dont on usait à son égard. Il
y a des gens, disait-il, qui prétendent qu'à
dessein vous avez prolongé pendant un an mon exil et celui de mes compagnons
d'infortune, pour faire, à nos dépens, un meilleur traité avec le roi. J'hésite
à le croire ; mais me donner pour juges des hommes tels que vos deux légats,
n'est-ce pas vraiment m'administrer le calice de passion et de mort ?[148] Dans son
indignation, Thomas envoyait à la cour papale des dépêches où il ne ménageait
pas le roi, l'appelant tyran plein de malice ; ces lettres furent livrées ou
peut-être vendues à Henri II par la chancellerie romaine[149]. Avant
d'entrer, selon leur mission, en conférence avec le roi, les légats
invitèrent l'archevêque à une entrevue particulière ; il s'y rendit plein de
défiance et d'un mépris qu'il cachait mal. Les Romains ne l'entretinrent que
de la grandeur et de la puissance du roi
Henri, du bas état dont le roi l'avait tiré, et du péril qu'il y avait pour
lui à braver un homme si puissant et si aimé de la sainte Église[150]. Arrivés en Normandie, les envoyés pontificaux trouvèrent Henri II entouré de seigneurs et de prélats anglo-normands. La discussion s'ouvrit sur les causes de la querelle avec le primat, et Gilbert Foliot, évêque de Londres, prit la parole pour exposer les faits ; il dit que tout le différend provenait d'une somme de quarante-quatre mille marcs, dont l'archevêque s'obstinait à ne vouloir rendre aucun compte, prétendant que sa consécration ecclésiastique l'avait exempté de toute dette, comme le baptême exempte de tout péché[151]. Foliot joignit à ces jeux d'esprit d'autres railleries sur les excommunications prononcées par Beket, disant qu'on ne les recevait point en Angleterre par pure économie de chevaux et d'hommes, attendu qu'elles étaient si nombreuses que quarante courriers ne suffiraient pas à les distribuer toutes[152]. Au moment de la séparation, Henri pria humblement les cardinaux d'intercéder pour lui auprès du pape, afin qu'il le délivrât du tourment que lui causait un seul homme[153]. En prononçant ces mots, les larmes lui vinrent aux yeux ; et celui des deux cardinaux qui était vendu au roi pleura comme par sympathie ; l'autre eut peine à s'empêcher de rire[154]. Quand le pape Alexandre, réconcilié avec tous les Romains par la mort de son compétiteur Victor, fut de retour en Italie, il envoya de Rome à Henri II des lettres dans lesquelles il annonçait que décidément Thomas serait suspendu de toute autorité comme archevêque, jusqu'au jour de sa rentrée en grâce avec le roi[155]. A peu près dans le même temps, un congrès diplomatique se tint à la Ferté-Bernard, en Vendômois, entre les rois d'Angleterre et de France. Le premier y montra publiquement les lettres du pape, en disant d'un air joyeux : Grâce au ciel, voilà notre Hercule sans massue[156]. Il ne peut plus rien désormais contre moi ni contre mes évêques, et ses grandes menaces ne sont que risibles, car je tiens dans ma bourse le pape et tous ses cardinaux[157]. Cette confiance dans le succès de ses intrigues donna au roi d'Angleterre une nouvelle ardeur de persécution contre son antagoniste ; et, peu après, le chapitre général de Cîteaux, de qui dépendait l'abbaye de Pontigny, reçut une dépêche où Henri II signifiait aux prieurs de l'ordre que, s'ils tenaient à leurs possessions en Angleterre, en Normandie, en Anjou et en Aquitaine, ils cessassent de garder chez eux son ennemi[158]. A la réception de cette lettre, il y eut une grande alarme dans le chapitre de Cîteaux. Le supérieur se mit en route vers Pontigny, avec un évêque et plusieurs abbés de l'ordre. Ils vinrent trouver Thomas Beket, et lui dirent d'un ton doux, mais significatif[159] : A Dieu ne plaise que, sur de pareilles injonctions, le chapitre vous congédie ; mais c'est un avertissement que nous venons vous donner, afin que vous-même, dans votre prudence, jugiez ce qu'il y a à faire[160]. Thomas répondit sans hésiter qu'il allait tout disposer pour son départ. Il quitta le monastère de Pontigny au mois de novembre 1168, après deux années de séjour, et écrivit alors au roi de France pour lui demander un autre asile. En recevant sa lettre, le roi s'écria : Ô religion ! religion ! où es-tu ! Voilà que ceux que nous croyions morts pour le siècle bannissent, en vue des choses du siècle, l'exilé pour la cause de Dieu ?[161] Il recueillit l'archevêque sur ses terres, mais ce fut évidemment par politique qu'il se montra, dans cette occasion, plus humain que les moines de Cîteaux. Environ une année après, il y eut un retour de bonne intelligence entre les rois de France et d'Angleterre ; un rendez-vous fut assigné de part et d'autre à Montmirail en Perche, pour convenir des termes de la trêve ; car, depuis que les Normands régnaient en Angleterre, il n'y avait plus de longues paix entre les deux pays[162]. Il se tenait cependant de fréquentes assemblées dans les villes ou près des villes frontières.de la Normandie, du Maine ou de l'Anjou ; et les intérêts opposés s'y discutaient avec d'autant plus de facilité, que les rois et les seigneurs de France et d'Angleterre parlaient exactement la même langue. Les premiers amenèrent avec eux Thomas Beket au congrès de Montmirail. Usant de l'empire que leur donnait sur lui l'état de dépendance où il se trouvait à leur égard, ils l'avaient déterminé à venir faire, sous leur patronage, acte de soumission envers le roi d'Angleterre, pour se réconcilier avec lui[163] ; et l'archevêque avait cédé à ces instances intéressées, par ennui de sa vie errante et de l'humiliation qu'il éprouvait à manger le pain des étrangers[164]. Dès que les deux antagonistes furent en présence l'un de l'autre, Thomas, dépouillant son ancienne fierté, mit un genou en terre, et dit au roi : Seigneur, tout le différend qui, jusqu'à ce jour, a existé entre nous, je le remets ici à votre jugement, comme souverain arbitre en tout point, sauf l'honneur de Dieu 5[165]. Mais au moment où cette restriction fatale sortit de la bouche de l'archevêque, le roi, ne comptant pour rien ni sa démarche ni sa posture suppliante, l'accabla d'un torrent d'injures, l'appela orgueilleux, ingrat, mauvais cœur ; et, se tournant vers le roi de France : Savez-vous, dit-il, ce qui m'arriverait, si je passais sur cette réserve ? Il prétendrait que tout ce qui me plaît et ne lui plan pas est contraire à l'honneur de Dieu ; et, au moyen de ces deux seuls mots, il m'enlèverait tous mes droits. Mais je veux lui faire une concession. Certes, il y a eu avant moi en Angleterre des rois moins puissants que moi, et sans nul doute aussi il y a eu dans le siège de Canterbury des archevêques plus saints que lui ; qu'il agisse seulement avec moi comme le plus saint de ses prédécesseurs en a usé avec le moindre des miens, et je me tiendrai satisfait[166]. A cette proposition évidemment ironique, et qui renfermait pour le moins autant de restriction mentale de la part du roi que Thomas en avait pu mettre dans la clause sauf l'honneur de Dieu, l'assemblée tout entière, Français et Normands, s'écria que c'était bien assez, que le roi s'humiliait assez[167] ; et, comme l'archevêque restait silencieux, le roi de France à son tour lui dit : Hé bien ! qu'attendez-vous ? voilà la paix, la voilà entre vos mains[168]. L'archevêque répondit avec calme qu'il ne pouvait en conscience faire de paix, se livrer lui-même, et aliéner sa liberté d'agir, que sauf l'honneur de Dieu. A ces mots, tous les assistants des deux nations l'accusèrent à qui mieux mieux d'orgueil démesuré, d'outrecuidance, comme on parlait alors[169]. Un des barons français s'écria tout haut que celui qui résistait aux conseils et à la volonté unanime des seigneurs de deux royaumes ne méritait plus d'asile[170]. Les rois remontèrent à cheval sans saluer l'archevêque, qui se retira fort abattu[171]. Personne au nom du roi de France ne lui offrit plus ni gîte ni pain, et, dans son voyage de retour, il fut réduit à vivre des aumônes des prêtres et du peuple[172]. Pour que sa vengeance fût complète, Henri II n'avait besoin que d'un peu plus de décision de la part du pape Alexandre. Afin d'obtenir la destitution qui était l'objet de toutes ses démarches, il épuisa les ressources que lui offrait la diplomatie du temps, ressources beaucoup plus étendues qu'on ne le suppose aujourd'hui. Les villes lombardes, dont la cause nationale était alors unie à celle du pape contre l'empereur Frédéric Ier, reçurent presque toutes des messages du roi d'Angleterre. Il offrit aux Milanais trois mille marcs d'argent et les frais de réparation de leurs murailles, que l'Empereur avait détruites ; aux Crémonais, il proposa trois mille marcs ; aux Parmésans, mille marcs, et autant aux Bolonais, s'ils voulaient s'engager à solliciter auprès d'Alexandre III, leur allié, la dégradation de Beket, ou tout au moins sa translation à un siège épiscopal inférieur[173]. Henri s'adressa en outre aux seigneurs normands de l'Apulie pour qu'ils employassent de même leur crédit en faveur' d'un roi issu de la même race qu'eux[174]. Il promit au pape lui-même autant d'argent qu'il lui en faudrait pour éteindre à Rome les derniers restes du schisme, et de plus dix mille marcs, avec la faculté de disposer absolument de la nomination aux évêchés et aux archevêchés vacants en Angleterre. Cette dernière proposition prouve que, dans son hostilité contre l'archevêque Thomas, Henri II poursuivait alors un tout autre objet que la diminution de l'autorité papale[175]. De nouveaux édits défendirent, sous des peines extrêmement sévères, de laisser arriver sur le sol anglais ni amis ni parents de l'exilé, ni lettres de lui ou de ses amis, ni lettres du pape favorables à sa cause ; ce qu'on devait craindre, dans le cas fort possible de quelque ruse diplomatique de la cour pontificale[176]. Pour correspondre en Angleterre, malgré cette prohibition, l'archevêque et ses amis employèrent le déguisement de noms saxons[177], qui, à cause du bas état de ceux qui les portaient, éveillaient peu l'inquiétude des autorités normandes. Jean de Salisbury, homme qui avait perdu ses biens par attachement pour le primat, et l'un des auteurs les plus spirituels du temps, écrivait sous le nom de Godrik, et s'intitulait chevalier à la solde de la commune de Milan[178]. Comme les Milanais étaient alors en guerre avec l'empereur Frédéric, il mettait dans ses lettres, sur le compte de ce dernier, tout le mal qu'il voulait faire entendre du roi d'Angleterre[179]. Le nombre de ceux que l'autorité normande persécutait à cause de cette affaire fut considérablement augmenté par un décret royal, conçu dans les termes suivants : Que tout Gallois, clerc ou laïque, qui entrera en Angleterre sans lettres de passage du roi, soit saisi et gardé en prison, et que tous les Gallois en général soient chassés des écoles d'Angleterre[180]. Pour découvrir les motifs de cette ordonnance, et bien comprendre d'ailleurs où était le point qui blessait sensiblement les intérêts du roi et des barons anglo-normands dans la résistance de Thomas Beket, il faut que le lecteur tourne un moment ses yeux vers les terres nouvellement conquises sur la nation cambrienne. Le pays de Galles, entamé, comme on l'a vu, par des invasions en différents sens, offrait alors les mêmes scènes d'oppression et de lutte nationale que l'Angleterre avait présentées dans les cinquante premières années de la conquête[181]. Il y avait insurrection journalière contre les conquérants, surtout contre les prêtres venus à la suite des soldats, et qui, soldats eux-mêmes sous un habit de paix, dévoraient avec leurs parents, établis auprès d'eux, ce qu'avait épargné la guerre[182]. S'imposant de force aux indigènes comme pasteurs spirituels, ils venaient, en vertu du brevet d'un roi étranger, s'asseoir à la place d'anciens prélats, élus autrefois par le clergé et le peuple du pays[183]. Recevoir les sacrements de l'Église de la main d'un étranger et d'un ennemi, était pour les Gallois une gêne insupportable et peut-être la plus cruelle des tyrannies de la conquête[184]. Aussi, du moment que l'archevêque anglais Beket eut levé la tête contre le roi d'Angleterre, l'opinion nationale des Cambriens se déclara-t-elle fortement pour l'archevêque, d'abord par cette raison populaire que tout ennemi de l'ennemi est un ami, et ensuite parce qu'un prélat de race saxonne, en lutte avec le petit-fils du vainqueur des Saxons, semblait ; en quelque sorte, le représentant des droits religieux de tous les hommes réunis par force sous la domination normande[185]. Quoique Thomas Beket fût complètement étranger à la nation cambrienne, d'affection comme de naissance ; quoiqu'il n'eût jamais donné le moindre signe d'intérêt pour elle, cette nation l'aimait, et eût aimé de même tout étranger qui, de loin, indirectement, sans nulle intention bienveillante, eût éveillé en elle l'espoir d'obtenir de nouveau des prêtres nés dans son sein et parlant son langage. Ce sentiment patriotique, enraciné chez les habitants du pays de Galles, se manifestait avec une opiniâtreté invincible dans les chapitres ecclésiastiques, où se trouvaient ensemble des étrangers et des indigènes. Presque jamais il n'était possible de déterminer ces derniers à donner leurs suffrages à un homme qui ne fût pas Gallois de race pure, sans mélange de sang étranger[186] ; et, comme le choix de pareils candidats n'était jamais confirmé par le pouvoir royal d'Angleterre, et que d'ailleurs rien ne pouvait vaincre l'obstination des votants, il y avait une sorte de schisme perpétuel : dans la plupart des églises de la Cambrie, schisme plus raisonnable que d'autres qui ont fait plus de bruit dans le monde[187]. C'est ainsi qu'à la cause de l'archevêque Thomas, quel que fût le mobile personnel de cet homme, soit l'ambition, soit l'amour de la résistance et l'entêtement, soit la conscience d'un grand devoir, se joignait de toutes parts une cause nationale, celle des races d'hommes asservis par les aïeux du roi dont il s'était déclaré l'adversaire. L'archevêque, délaissé par le roi de France, son ancien protecteur, et réduit à subsister d'aumônes, vivait à Sens, dans une pauvre hôtellerie. Un jour qu'il était assis dans la salle commune, s'entretenant avec ses compagnons d'exil[188], un serviteur du roi Louis se présenta, et leur dit : Le roi, mon seigneur, vous invite à vous rendre à sa cour. — Hélas ! reprit l'un des assistants, c'est sans doute pour nous bannir. Voilà que l'entrée de deux royaumes va nous être interdite ; et il n'y a pour nous aucun secours à espérer de ces larrons de Romains, qui ne savent que voler les dépouilles du malheureux et de l'innocent[189]. Ils suivirent l'envoyé, tristes et soucieux comme des gens qui prévoient un malheur. Mais, à leur grande surprise, le roi les accueillit avec des signes extraordinaires d'affection et même de tendresse. Il pleura en les voyant venir[190] ; il dit à Thomas : C'est vous, mon père, c'est vous seul qui aviez bien vu ; et nous tous, nous étions des aveugles en vous donnant conseil contre Dieu. Je me repens, mon père, je me repens, et vous promets désormais de ne plus manquer ni à vous ni aux vôtres[191]. La vraie cause de ce retour si prompt et si vif n'était autre qu'un nouveau projet de guerre du roi de France contre Henri II. Le prétexte de cette guerre fut la vengeance exercée par le roi d'Angleterre sur les réfugiés bretons et poitevins que l'autre roi lui avait livrés à condition de les recevoir en grâce. Il est probable qu'en signant la paix à Montmirail, le roi Louis ne s'attendait nullement à l'exécution de cette clause insérée par simple pudeur ; mais peu de temps après, et lorsque Henri II eut fait périr les plus riches d'entre les Poitevins, le roi de France, ayant des raisons d'intérêt pour recommencer la guerre, s'autorisa de la déloyauté de l'Angevin envers les réfugiés[192] ; et son premier acte d'hostilité fut de rendre à Thomas Beket sa protection et ses secours. Henri II se plaignit, par un message exprès, de cette violation flagrante de la paix de Montmirail. Allez, répondit le roi de France au messager, allez dire à votre roi que, s'il tient aux coutumes de son aïeul, je puis bien tenir à mon droit héréditaire de secourir les exilés[193]. Bientôt l'archevêque, reprenant l'offensive, lança de nouveaux arrêts d'excommunication contre les courtisans, les serviteurs et les chapelains du roi d'Angleterre, surtout contre les détenteurs des biens de l'évêché de Canterbury. Il en excommunia un si grand nombre, que, dans le doute où l'on se trouvait si la sentence n'était pas ratifiée secrètement par le pape, il n'y avait plus dans la chapelle du roi personne qui, à l'office de la messe, osât lui donner le baiser de paix[194]. Thomas adressa en outre à l'évêque de Winchester, Henri, frère du roi Étienne, et comme tel ennemi secret de Henri II, un mandement pour interdire en Angleterre toutes les cérémonies religieuses, excepté le baptême des enfants et la confession des mourants, à moins que le roi, dans un délai fixé, ne donnât satisfaction à l'église de Canterbury[195]. Il y eut un prêtre anglais qui, d'après ce mandement, refusa de célébrer la messe ; mais son archidiacre le lui ordonna, ajoutant : Et si l'on venait de la part de l'archevêque vous dire de ne plus manger, est-ce que vous ne mangeriez plus ?[196] La sentence d'interdit, n'ayant obtenu l'assentiment d'aucun évêque en Angleterre, ne fut point exécutée, et l'évêque de Londres partit pour Rome avec des messages et des présents du roi[197]. Il en rapporta, après l'avoir bien payée, une déclaration authentique, affirmant que le pape n'avait point ratifié, et qu'il ne ratifierait point les sentences d'excommunication lancées par l'archevêque. Le pape lui-même écrivit à Beket pour lui ai-donner de révoquer ces sentences dans le plus court délai[198]. Mais la cour de Rome, attentive à se ménager en toute occasion des sûretés personnelles, demanda que les excommuniés, en recevant leur absolution, prêtassent le serment de ne jamais se séparer de l'Église[199]. Tous, et notamment les chapelains du roi, y eussent consenti volontiers ; mais le roi ne le leur permit pas, aimant mieux les laisser, comme on disait alors, sous le glaive de saint Pierre que de s'ôter à lui-même un moyen d'inquiéter l'Église romaine. Pour terminer ce nouveau différend, deux légats, Vivien et Gratien, allèrent trouver Henri à Domfront. Il était à la chasse au moment de leur arrivée, et il quitta la forêt pour les visiter à leur logement[200]. Pendant son entrevue avec eux, toute la troupe des chasseurs, conduite par le jeune Henri, fils aîné du roi, vint à l'hôtellerie des légats, criant et sonnant du cor pour annoncer la prise d'un cerf[201]. Le roi interrompit brusquement son entretien avec les envoyés de Rome, alla aux chasseurs, les complimenta, dit qu'il leur faisait présent de la bête, et retourna ensuite auprès des légats, qui ne se montrèrent offensés ni de ce bizarre incident, ni de la légèreté avec laquelle le roi d'Angleterre les traitait, eux et l'objet de leur mission[202]. Une seconde conférence eut lieu au parc de Bayeux ; le roi s'y rendit à cheval, avec plusieurs' évêques d'Angleterre et de Normandie. Après quelques paroles insignifiantes, il demanda aux légats si décidément ils ne voulaient point absoudre ses courtisans et ses chapelains sans aucune condition[203]. Les légats répondirent que cela ne se pouvait. Par les yeux de Dieu, répliqua le roi, jamais plus de ma vie je n'entendrai parler du pape[204] ; et il courut à son-cheval. Les légats, après avoir fait quelques semblants de résistance, lui accordèrent tout ce qu'il voulait[205]. Ainsi donc, reprit Henri II, vous allez passer en Angleterre pour que l'excommunication soit levée le plus solennellement possible[206]. Les légats hésitèrent à répondre. Hé bien ! dit le roi avec humeur, faites ce qu'il vous plaira ; mais sachez que je ne tiens nul compte de vous ni de vos excommunications, et que je m'en soucie comme d'un œuf[207]. Il remonta précipitamment à cheval ; mais les archevêques et les évêques normands coururent après lui, en criant, pour lui persuader de descendre et de renouer l'entretien. Je sais, je sais aussi bien que vous tout ce qu'ils peuvent faire, disait le roi, toujours marchant ; ils mettront mes terres sous l'interdit ; mais est-ce que moi, qui peux m'emparer d'une ville forte en un jour, je n'aurais pas raison d'un prêtre qui viendrait interdire mon royaume ?[208] A la fin, les esprits se calmant de part et d'autre, on en-vint à une nouvelle discussion sur le différend du roi avec Thomas Beket. Les légats dirent que le pape souhaitait la fin de ce scandale, qu'il ferait beaucoup pour la paix, et s'engagerait à rendre l'archevêque plus docile et plus traitable. Le pape est mon père spirituel, reprit alors le roi, tout à fait radouci, et je consentirai, pour ma part, à faire beaucoup à sa requête ; je rendrai même, s'il le faut, à celui dont nous parlons, son archevêché et mes bonnes grâces, pour lui et pour tous ceux qui, à, cause de lui, se sont fait bannir de mes terres[209]. L'entrevue, où l'on devait convenir des termes de la paix, fut fixée au lendemain ; mais, dans dette conférence, le roi Henri se mit à pratiquer l'expédient des restrictions qu'il reprochait à l'archevêque, et voulut faire inscrire qu'il ne serait tenu à rien que sauf l'honneur et la dignité de son royaume[210]. Les légats refusèrent d'accéder à cette clause inattendue ; mais leur refus modéré, en suspendant la décision de l'affaire, ne troubla point la bonne intelligence qui régnait entre eux et le roi. Ils donnèrent plein pouvoir à Rotrou, archevêque de Rouen, d'aller, par l'autorité du pape, délier de son excommunication Gilbert Foliot, évêque de Londres[211]. Ils envoyèrent en même temps à Thomas des lettres qui lui recommandaient, au nom de l'obéissance qu'il devait à l'Église, l'humilité, la douceur et la circonspection envers le roi[212]. On se rappelle avec combien de soins Guillaume le Bâtard et son conseiller Lanfranc avaient travaillé à établir, pour le maintien de la conquête, la suprématie absolue du siège de Canterbury. On se rappelle aussi que l'un des privilèges attachés â cette suprématie était le droit exclusif de sacrer les rois d'Angleterre, de peur que le métropolitain d'York ne fût quelque jour entraîné, par la rébellion de ses diocésains, â opposer un roi saxon oint et couronné par lui aux rois de la race conquérante[213]. Ce danger n'existant plus, après un siècle de possession, les politiques de la cour de Henri II, afin d'énerver le pouvoir de Thomas Beket, résolurent de faire un roi d'Angleterre, sacré et couronné sans sa participation[214]. Pour exécuter ce dessein, le roi Henri présenta aux barons anglo-normands son fils aîné, et leur exposa que, pour le bien de ses vastes provinces, un collègue dans la royauté lui était devenu nécessaire, et qu'il souhaitait de voir Henri, son fils, décoré du même titre que lui[215]. tes barons n'opposèrent aucun obstacle aux intentions de leur roi, et le jeune homme reçut l'onction royale des mains de l'archevêque d'York, assisté des évêques suffragants de l'archevêché de Canterbury, dans l'église de Westminster, immédiatement dépendante du même archevêché. Toutes ces circonstances constituaient, selon le code ecclésiastique, une complète violation des privilèges de la primatie anglaise[216]. Au festin qui suivit ce couronnement, le roi voulut servir son fils à table, disant, dans l'effusion de sa joie paternelle, que depuis ce jour la royauté cessait de lui appartenir[217]. Il ne s'attendait pas qu'avant peu d'années ce propos, jeté légèrement, serait relevé contre lui-même, et que son propre fils le sommerait de ne plus prendre le titre de roi, puisqu'il l'avait solennellement abdiqué. La violation des anciens droits de la primatie n'eut point lieu sans l'agrément du pape ; car, avant de rien entreprendre, Henri II s'était muni d'une lettre apostolique, qui l'autorisait à faire sacrer son fils comme il voudrait et par qui il voudrait[218]. Mais, comme cette lettre devait rester secrète, la chancellerie romaine ne se fit point scrupule d'envoyer à Thomas Beket une autre lettre, également secrète, dans laquelle le pape protestait que le couronnement du jeune roi par l'archevêque d'York s'était fait malgré lui, et que malgré lui encore l'évêque de Londres avait été relevé de son excommunication[219]. A ces faussetés manifestes, Thomas perdit toute patience ; et il adressa, en son propre nom et au nom de ses compagnons d'exil, à un cardinal romain, appelé Albert, une lettre pleine de reproches, dont l'âcreté passait toute mesure. Je ne sais comment il arrive que,
devant la cour de Rome, ce soit toujours le parti de Dieu qu'on sacrifie ; de
sorte que Barabbas se sauve et que le Christ soit mis à mort. Voici la
septième année que, par l'autorité de cette cour, je continue d'être
proscrit, et l'Église d'être en souffrance. Les malheureux, les exilés, les
innocents sont condamnés devant vous par la seule raison qu'ils sont faibles,
qu'ils sont les pauvres de Jésus-Christ, et qu'ils tiennent à la justice. Je
sais que les envoyés du roi distribuent ou promettent mes dépouilles aux
cardinaux et aux courtisans ; mais que les cardinaux se lèvent contre moi
s'ils le veulent, qu'ils arment non-seulement le roi d'Angleterre, mais le
monde entier pour ma perte, je ne m'écarterai de la fidélité due à l'Église
ni en la vie ni en la mort, remettant ma cause aux mains de Dieu, pour qui je
souffre la proscription et l'exil. J'ai désormais le ferme propos de ne plus
importuner la cour pontificale. Que ceux-là se rendent auprès d'elle, qui se
prévalent de leurs iniquités, et reviennent glorieux d'avoir écrasé la
justice et fait l'innocence prisonnière[220]. Ces accusations énergiques n'étaient pas capables de faire reculer d'un seul pas la diplomatie ultramontaine ; mais des menaces positives du roi de France, alors en rupture ouverte avec l'autre roi, vinrent prêter un appui efficace à la remontrance de l'exilé. J'entends, écrivait Louis VII au pape, j'entends que vous renonciez enfin à vos démarches trompeuses et dilatoires[221]. Le pape Alexandre, qui se disait lui-même placé comme l'enclume entre deux marteaux — c'est ainsi qu'il appelait les deux rois —, voyant que le marteau de France se levait pour frapper, recommença subitement à croire que la cause de l'archevêque était vraiment la cause de Dieu[222]. Il fit parvenir à Thomas un bref de suspension pour l'archevêque d'York et pour tous les prélats qui avaient assisté au couronnement du jeune roi ; il alla jusqu'à menacer Henri II de la censure ecclésiastique, s'il ne faisait promptement droit au primat contre les courtisans détenteurs de ses biens et les évêques usurpateurs de ses privilèges[223]. Henri II, effrayé du bon accord qui régnait entre le pape et le roi de France, céda pour la première fois ; mais ce fut par des motifs d'intérêt, et non par crainte d'un banni que tous ses protecteurs abandonnaient et trahissaient tour à tour. Le roi d'Angleterre annonça donc qu'il voulait entamer définitivement des négociations pour la paix ; l'archevêque d'York, ainsi que les évêques de Londres et de Salisbury, essayèrent de l'en dissuader[224]. Travaillant de tous leurs efforts pour empêcher toute conciliation, ils dirent au roi que la paix ne serait d'aucun avantage pour lui, à moins que les donations faites sur les biens de l'évêché de Canterbury ne fussent ratifiées à jamais ; et l'on sait, ajoutaient-ils, que l'annulation de ces dons royaux sera le point principal des demandes de l'archevêque 2[225]. De graves raisons de politique extérieure déterminèrent Henri II à ne point se rendre à ces conseils, bien qu'ils fussent parfaitement d'accord avec son aversion personnelle contre Thomas Beket. Les négociations commencèrent ; il y eut échange de lettres entre le roi et l'archevêque, indirectement et par des mains tierces, comme entre deux puissances contractantes. Une des lettres de Thomas, rédigée en forme de note diplomatique, mérite d'être citée comme spécimen curieux de la diplomatie du moyen âge. L'archevêque, disait Beket
parlant de lui-même, tient beaucoup à ce que le roi,
si la réconciliation a lieu, lui donne publiquement le baiser de paix ; car
cette formalité est d'un usage solennel chez tous les peuples et dans toutes
les religions, et nulle part, sans elle, il ne se conclut de paix entre
personnes ci-devant ennemies. Le baiser d'un autre que le roi, de son fils, par
exemple, ne répondrait point au but ; car on pourrait en induire que
l'archevêque est rentré en grâce avec le fils plutôt qu'avec le père ; et, si
une fois ce mot était jeté par le monde, quelles ressources ne fournirait-il
pas aux malveillants ! Le roi, de son côté, pourrait prétendre que sin refus
de donner le baiser voulait dire qu'il ne s'engageait point de bon cœur, et,
par la suite, manquer à sa parole sans se croire noté d'infamie. D'ailleurs,
l'archevêque se souvient de ce qui est arrivé à Robert de Silly et aux autres
Poitevins qui firent leur paix à Montmirail ; ils furent reçus en grâce par
le roi d'Angleterre avec le baiser de paix, et pourtant, ni cette marque de
sincérité publiquement donnée, ni la considération due au roi de France,
médiateur dans cette affaire, n'ont pu leur assurer la paix ni la vie. Ce
n'est donc pas trop demander que d'exiger cette garantie, elle-même si peu
sûre[226]. Le 29 juillet de l'année 1170, dans une vaste prairie, entre Freteval et la Ferté-Bernard, il y eut un congrès solennel pour la double pacification du roi de France avec le roi d'Angleterre, et de celui-ci avec Thomas Beket[227]. L'archevêque s'y rendit, et lorsque, après la discussion des affaires politiques, on en vint à parler des siennes, il eut avec son adversaire une conférence à part et en plein champ[228]. L'archevêque demanda au roi, premièrement, qu'il lui fût permis de punir l'injure faite à la dignité de son église par l'archevêque d'York et par ses propres suffragants. Le couronnement de votre fils par un autre que moi, dit-il, a énormément lésé les droits antiques de mon siège. — Mais qui donc, répliqua vivement le roi, a couronné mon bisaïeul Guillaume, le conquérant de l'Angleterre ? n'est-ce pas l'archevêque d'York ?[229] Beket répondit qu'au moment de la conquête, l'Église de Canterbury se trouvait sans légitime pasteur ; qu'elle était, pour ainsi dire, captive sous un certain Stigand, archevêque réprouvé par le pape, et que, dans cette nécessité, il fallait bien que le prélat d'York, dont le titre était meilleur, couronnât le Conquérant[230]. Après cette citation historique, dont le lecteur peut apprécier la justesse, et plusieurs autres propos, le roi promit de faire droit à toutes les plaintes de Thomas ; mais, pour la demande du baiser de paix, il l'écarta poliment, disant à l'archevêque : Nous nous reverrons bientôt en Angleterre, et c'est là que nous nous embrasserons[231]. Au moment de se séparer du roi, Beket le salua en
inclinant le genou ; et, par un retour de courtoisie, qui étonna les
assistants, Henri II, comme il remontait à cheval, lui arrangea et lui tint
l'étrier[232].
Le jour suivant, on crut remarquer entre eux quelque retour de leur ancienne
familiarité[233].
Des messagers royaux portèrent au jeune Henri, collègue et lieutenant de son
père, des lettres conçues en ces termes : Sachez que
Thomas de Canterbury a fait sa paix avec moi, à ma pleine satisfaction. Je
vous demande donc de lui faire tenir, à lui et aux siens, toutes leurs
possessions librement et paisiblement[234]. L'archevêque
retourna à Sens pour se préparer au voyage ; ses amis, pauvres et dispersés
dans différents lieux, préparèrent leur mince bagage, et se réunirent ensuite
pour aller saluer le roi de France, qui, selon leurs propres paroles, ne les
avait point rebutés quand le monde les abandonnait[235]. Vous allez donc partir, dit Louis VII à
l'archevêque : je ne voudrais pas pour mon pesant
d'or vous avoir donné ce conseil ; et, si vous m'en croyez, ne vous fiez
point à votre roi, tant que vous n'aurez pas reçu le baiser de paix[236]. Plusieurs mois s'étaient déjà écoulés depuis l'entrevue de réconciliation, et, malgré les dépêches ostensibles envoyées par le roi en Angleterre, l'on n'apprenait nullement que les détenteurs des biens de l'église de Canterbury eussent été contraints de les restituer ; au contraire, ils se moquaient publiquement de la crédulité et de la simplicité du primat, qui se croyait rentré en grâce. Le Normand Renouf de Broc était allé jusqu'à dire que, si l'archevêque venait en Angleterre, on ne lui laisserait pas le temps d'y manger un pain entier[237]. Thomas reçut en outre, de Rome, des lettres qui l'avertissaient que la paix du roi n'était qu'une paix en paroles, et lui recommandaient, pour sa propre sûreté, d'être humble, patient et circonspect[238]. Il sollicita une seconde entrevue pour s'expliquer avec le roi sur ces nouveaux motifs de plainte, et le rendez-vous eut lieu à Chaumont, près d'Amboise, sous les auspices du comte de Blois[239]. Il n'y eut, cette fois, que de la froideur dans les manières de Henri II, et les gens de sa suite affectèrent de ne pas regarder l'archevêque[240]. La messe qu'on célébra dans la chapelle royale fut une messe de l'office des morts ; elle avait été choisie exprès, parce que, selon cet office, les assistants ne s'offraient point mutuellement le baiser de paix à l'Évangile[241]. L'archevêque et le roi, avant de se quitter, firent quelque route ensemble, et se chargèrent à l'envi de propos amers et de reproches[242]. Au moment de la séparation, Thomas fixa les yeux sur Henri d'une manière expressive, et lui dit, avec une sorte de solennité : Je crois bien que je ne vous reverrai plus. — Me prenez-vous donc pour un traître ? répliqua vivement le roi, qui devina le sens de ces paroles. L'archevêque s'inclina et partit[243]. Dans les divers entretiens qu'ils avaient eus ensemble, le
jour de la réconciliation, Henri II avait promis d'aller à Rouen, à la
rencontre du primat, d'y acquitter pour lui toutes les dettes qu'il avait
contractées dans l'exil, et de l'accompagner ensuite en Angleterre, ou, tout
au moins, de le faire accompagner par l'archevêque de Rouen. Mais, à son
arrivée à Rouen, Beket ne trouva ni le roi, ni l'argent promis, ni aucun
ordre de l'accompagner transmis à l'archevêque[244]. Il emprunta
trois cents livres, et, au moyen de cette somme, il se mit en route vers la
côte voisine de Boulogne. On était alors au mois de novembre, dans la saison
des mauvais temps de mer ; le primat et ses compagnons furent contraints
d'attendre quelques jours au port de Wissant, près de Calais[245]. Une fois
qu'ils se promenaient sur le rivage, ils virent un homme accourir vers eux,
et le prirent d'abord pour le patron de leur vaisseau, venant les avertir de
se préparer au passage[246] ; mais cet
homme leur dit qu'il était clerc et doyen de l'église de Boulogne, et que le
comte, son seigneur, l'envoyait les prévenir de ne point s'embarquer, parce
que des troupes de gens armés se tenaient en observation sur la côte
d'Angleterre, pour saisir ou tuer l'archevêque[247]. Mon fils, répondit Thomas au messager, quand j'aurais la certitude d'être démembré et coupé en
morceau sur l'autre bord, je ne m'arrêterais point dans ma route. C'est assez
de sept ans d'absence pour le pasteur et pour le troupeau[248]. Les voyageurs
s'embarquèrent ; mais, pour tirer quelque profit de l'avertissement qu'ils
venaient de recevoir, ils évitèrent d'entrer dans un port fréquenté, et
prirent terre dans la baie de Sandwich, au lieu qui offrait le moins de distance
de la mer à Canterbury[249]. Malgré leurs précautions, le bruit courut que l'archevêque avait débarqué près de Sandwich. Aussitôt le Normand Gervais, vicomte de Kent, se mit en marche vers cette ville avec tous ses hommes d'armes, accompagné de Renouf de Broc et de Renauld de Garenne, deux seigneurs puissants et les plus mortels ennemis de Beket[250]. Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'a la même nouvelle, les bourgeois de Douvres, hommes de race anglaise, prirent les armes de leur côté pour secourir l'archevêque, et que ceux de Sandwich s'armèrent aussi quand ils virent approcher les cavaliers normands[251]. S'il a eu l'effronterie d'aborder, disait le vicomte Gervais, je lui coupe la tête de ma propre main[252]. L'ardeur des Normands fut un peu ralentie par l'attitude du peuple ; ils S'avancèrent cependant l'épée nue, et Jean, doyen d'Oxford, qui accompagnait le primat, courut au-devant d'eux en criant : Que faites-vous ? Remettez vos épées ; voulez-vous que le roi passe pour un traître ?[253] La multitude s'amassant, les Normands remirent l'épée au fourreau, se contentèrent de visiter les coffres de l'archevêque pour y chercher des brefs du pape, et retournèrent à leurs châteaux[254]. Sur toute la route de Sandwich à Canterbury, les paysans, les ouvriers et les marchands vinrent au-devant de l'archevêque, le saluant, criant et s'attroupant en grand nombre ; mais, des riches, des personnages honorés, des hommes de race normande, presque pas un ne venait voir et féliciter l'exilé[255] ; au contraire, ils s'éloignaient des lieux de son passage, se renfermaient dans leurs maisons fortes, et faisaient courir d'un château à l'autre le bruit que Thomas Beket déchainait les serfs des champs et les tributaires des villes, et qu'il les promenait à sa suite ivres de joie et de frénésie[256]. De sa ville métropolitaine, le primat se rendit à Londres pour saluer le fils de Henri II. Toute la bourgeoisie de la grande cité descendit dans les rues à son passage ; mais un messager royal vint lui barrer le chemin, au nom du jeune roi, et lui signifier l'ordre formel de retourner à Canterbury, avec défense d'en sortir[257]. Dans ce moment, un bourgeois de Londres, enrichi par son commerce malgré les exactions des Normands, s'avançait vers Beket pour lui tendre la main : Et vous aussi, lui dit le messager, vous allez à l'ennemi du roi ?[258]... L'archevêque reçut avec dédain l'injonction de retourner sur ses pas, et dit qu'il ne repartirait point s'il n'était d'ailleurs rappelé à son église par une grande solennité prochaine[259]. En effet, le temps de Noël approchait ; Thomas revint à Canterbury, entouré de pauvres gens qui, à leur propre péril, s'armèrent d'écus et de rances rouillées et l'escortèrent. Ils furent plusieurs fois insultés par des hommes qui semblaient chercher l'occasion d'engager une querelle, afin de fournir aux soldats royaux un prétexte pour intervenir et tuer l'archevêque sans scandale au milieu du tumulte. Mais les Anglais essuyèrent toutes ces provocations avec un sang-froid imperturbable[260]. L'ordre signifié au primat de se renfermer dans l'enceinte des dépendances de son église fut publié à son de cor dans les villes, comme édit de l'autorité publique ; d'autres édits déclarèrent ennemi du roi et du royaume quiconque lui ferait bon visage[261] ; et un grand nombre de citoyens de Londres furent cités devant les juges normands pour répondre sur la charge de trahison envers le roi, à cause de l'accueil fait à l'archevêque dans leur ville[262]. Toutes ces manœuvres des gens en pouvoir firent pressentir à Thomas que sa fin était proche, et il écrivit au pape pour lui demander de faire dire, à son intention, les prières des agonisants[263]. Il monta en chaire, et, devant le peuple assemblé dans la grande église de Canterbury, il prononça un sermon sur ce texte : Je suis venu vers vous pour mourir au milieu de vous[264]. Il faut dire que la cour de Rome, suivant sa politique constante de ne jamais laisser complètement s'éteindre les querelles où elle pouvait intervenir, après avoir envoyé à l'archevêque l'ordre d'absoudre les prélats qui avaient sacré le fils du roi, lui avait donné de nouveau la permission d'excommunier le prélat d'York et de suspendre les autres[265]. C'était Henri II qui, cette fois, était joué par le pape ; car il ignorait entièrement qu'à son départ pour l'Angleterre Thomas fût muni de pareilles lettres[266]. Ce dernier s'était d'abord proposé de les employer comme un simple moyen comminatoire pour contraindre ses ennemis à capituler. Mais la crainte qu'on ne saisît ces papiers à son débarquement le décida plus tard à les faire partir avant lui[267], et ainsi la lettre du pape et les nouvelles sentences d'excommunication devinrent trop tôt publiques ; le ressentiment des évêques, frappés comme à l'improviste, s'irrita au delà de toute mesure. Celui d'York et plusieurs autres, se hâtant de passer le détroit, allèrent trouver Henri II en Normandie, et se présentant devant lui[268] : Nous vous implorons, lui dirent-ils, pour la royauté et pour le sacerdoce ; vos évêques d'Angleterre sont excommuniés parce qu'ils ont, d'après vos ordres, couronné le jeune roi votre fils. — Si cela est, répondit le roi avec un ton qui marquait la surprise, si tous ceux qui ont consenti au sacre de mon fils sont excommuniés, par les yeux de Dieu, je le suis aussi. — Sire, ce n'est pas tout, reprirent les évêques, l'homme qui vous a fait cette injure va mettre le royaume en feu ; il marche avec des troupes de cavaliers et de piétons armés, rôdant autour des forteresses et cherchant à se les faire ouvrir[269]. En entendant cette relation exagérée, le roi fut saisi d'un de ces accès de colère violente auxquels il était sujet[270] ; il changea de couleur, et frappant ses mains l'une contre l'autre : Quoi ! s'écria-t-il, un homme qui a mangé mon pain, un homme qui est venu à ma cour sur un cheval boiteux, lève le pied pour m'en frapper ! Il insulte son roi, la famille royale et tout le royaume, et pas un de ces lâches serviteurs, que je nourris à ma table, n'ira me venger de celui qui me fait un pareil affront ![271] Ces paroles ne sortirent point en vain de la bouche du roi, et quatre chevaliers du palais, Richard le Breton, Hugues de Morville, Guillaume de Traci, et Renault, fils d'Ours, qui les entendirent, se conjurant ensemble à la vie et à la mort, partirent subitement pour l'Angleterre le jour de Noël[272]. On ne s'aperçut point de leur absence ; la cause n'en fut nullement soupçonnée, et même, pendant qu'ils galopaient en toute hâte vers la mer, le conseil des barons de Normandie, assemblé par le roi, nomma trois commissaires chargés d'aller saisir légalement et emprisonner Thomas Beket, comme prévenu de haute trahison[273] ; mais les conjurés, qui avaient les devants, ne laissèrent rien à faire aux commissaires royaux. Cinq jours après la fête de Noël, les quatre chevaliers normands arrivèrent à Canterbury. Cette ville était alors en rumeur, pour de nouvelles excommunications que venait de prononcer l'archevêque contre des hommes qui l'avaient insulté, et notamment contre Renouf de Broc, qui s'était diverti à mutiler un de ses chevaux en lui coupant la queue[274]. Les quatre chevaliers entrèrent à Canterbury avec une troupe de gens d'armes qu'ils avaient rassemblés dans les châteaux sur leur route[275]. Ils requirent d'abord le prévôt de la ville de faire marcher les citoyens en armes, pour le service du roi, à la maison de l'archevêque ; le prévôt refusa, et les Normands lui enjoignirent de prendre au, moins ses mesures pour que de tout le jour aucun bourgeois ne remuât, quoi qu'il pût arriver[276]. Ensuite les quatre conjurés, avec douze de leurs amis, se rendirent à la maison et à l'appartement du primat[277]. Thomas Beket venait d'achever son dîner, et ses serviteurs étaient encore à table ; il salua les Normands à leur entrée, et demanda le sujet de leur visite. Ceux-ci ne lui firent aucune réponse intelligible, s'assirent, et le regardèrent fixement pendant quelques minutes[278]. Renault, fils d'Ours, prit ensuite la parole. Nous venons, dit-il, de la part du roi, pour que les excommuniés soient absous, que les évêques suspendus soient rétablis, et que vous-même rendiez raison de vos desseins contre le roi. — Ce n'est pas moi, répondit Thomas, c'est le souverain pontife qui a excommunié l'archevêque d'York, et qui seul, par conséquent, a droit de l'absoudre. Quant aux autres, je les rétablirai, s'ils veulent me faire leur soumission[279]. — Mais de qui donc, demanda Renault, tenez-vous votre archevêché ? Est-ce du roi ou du pape ? — J'en tiens les droits spirituels de Dieu et du pape, et les droits temporels du roi. — Quoi ! ce n'est pas le roi qui vous a tout donné ? — Nullement, répondit Beket[280]. Les Normands murmurèrent à cette réponse, traitèrent la distinction d'argutie, et firent des mouvements d'impatience, s'agitant sur leurs sièges et tordant leurs gants qu'ils tenaient à la main[281]. Vous me menacez, à ce que je crois, dit le primat, mais c'est inutilement ; quand toutes les épées de l'Angleterre seraient tirées contre ma tête, vous ne gagneriez rien sur moi[282]. — Aussi ferons-nous mieux que menacer, répliqua le fils d'Ours se levant tout à coup ; et les autres le suivirent vers la porte, en criant aux armes[283]. La porte de l'appartement fut fermée aussitôt derrière eux ; Renault s'arma dans l'avant-cour, et prenant une hache des mains d'un charpentier qui travaillait, il frappa contre la porte pour l'ouvrir ou la briser[284]. Les gens de la maison, entendant les coups de hache, supplièrent le primat de se réfugier dans l'église, qui communiquait à son appartement par un cloître ou une galerie ; il ne le voulut point, et on allait l'y entraîner de force[285], quand un des assistants fit remarquer que l'heure des vêpres avait sonné. Puisque c'est l'heure de mon devoir, j'irai à l'église, dit l'archevêque ; et faisant porter sa croix devant lui, il traversa le cloître à pas lents, puis marcha vers le grand autel, séparé de la nef par une grille de fer entr'ouverte[286]. A peine il avait le pied sur les marches de l'autel, que Renault, fils d'Ours, parut à l'autre bout de l'église, revêtu de sa cotte de mailles, tenant à la main sa large épée à deux tranchants, et criant : A moi, à moi, vassaux du roi ![287] Les autres conjurés le suivirent de près, armés comme lui de la tête aux pieds, et brandissant leurs épées[288]. Les gens qui étaient avec le primat voulurent alors fermer la grille du chœur ; lui-même le leur défendit, et il quitta l'autel pour les en empêcher ; ils le supplièrent avec de grandes instances de se mettre en sûreté dans l'église souterraine', ou de monter l'escalier par lequel, à travers beaucoup de détours, on parvenait au faite de l'édifice. Ces deux conseils furent repoussés aussi positivement que les premiers[289]. Pendant ce temps, les hommes armés s'avançaient ; une voix cria : Où est le traître ? Personne ne répondit. — Où est l'archevêque ? — Le voici, répondit Beket ; mais il n'y a pas de traître ici ; que venez-vous faire dans la maison de Dieu avec un pareil vêtement ? Quel est votre dessein ? — Que tu meures. — Je m'y résigne ; vous ne me verrez point fuir devant vos épées ; mais, au nom de Dieu tout-puissant, je vous défends de toucher à aucun de mes compagnons, clerc ou laïque, grand ou petit[290]. Dans ce moment, il reçut par derrière un coup de plat d'épée entre les deux épaules, et celui qui le lui porta lui dit : Fuis, ou tu es mort[291]. Il ne fit pas un mouvement ; les hommes d'armes entreprirent de le tirer hors de l'église, se faisant scrupule de l'y tuer. Il se débattit contre eux, et déclara fermement qu'il ne' sortirait point et les contraindrait à exécuter sur la place leurs intentions ou leurs ordres[292]. Durant cette lutte, les clercs qui accompagnaient le primat s'enfuirent et l'abandonnèrent tous, à l'exception d'un seul : c'était le porte-croix Edward Grim, le même qui avait parlé avec tant de hardiesse après la conférence de Clarendon. Les conjurés le voyant sans armes d'aucune espèce firent peu d'attention à lui, et l'un d'eux, Guillaume de Traci, leva son épée pour frapper l'archevêque à la tête ; mais le fidèle et courageux Saxon étendit aussitôt son bras droit afin de parer le coup : il eut le bras coupé, et Thomas ne reçut qu'une légère blessure[293]. Frappez, frappez, vous autres ! dit le Normand à ses compagnons ; et un second coup, porté à la tête, renversa l'archevêque la face contre terre ; un troisième coup lui fendit le crâne, et il fut asséné avec une telle violence, que l'épée se brisa sur le pavé[294]. Un homme d'armes, appelé Guillaume Maltret, poussa du pied le cadavre immobile, en disant : Qu'ainsi meure le traître qui a troublé le royaume et fait insurger les Anglais[295]. En effet, un historien rapporte que les habitants de Canterbury se soulevaient et se rassemblaient tumultueusement dans les rues[296]. On ne voyait dans ces rassemblements ni un noble ni un riche ; tous se tenaient clos dans leurs maisons et semblaient intimidés de l'effervescence populaire[297]. Des hommes et des femmes, qu'a leurs habits on reconnaissait pour indigènes, coururent vers l'église cathédrale et y entrèrent pêle-mêle. A la vue du cadavre encore étendu près des marches de l'autel, ils pleuraient et criaient qu'ils avaient perdu leur père ; les uns lui baisaient les pieds ou les mains ; d'autres trempaient des linges dans le sang qui couvrait le pavé. De son côté, l'autorité normande ne resta pas inactive, et un édit, proclamé à son de trompe, défendit à qui que ce fût de dire publiquement que Thomas de Canterbury était un martyr[298]. L'archevêque d'York monta en chaire pour annoncer sa mort comme un effet de la vengeance divine, disant qu'il avait péri, comme Pharaon, dans son crime et dans son orgueil[299]. D'autres évêques prêchèrent que le corps du traître ne devait pas reposer en terre sainte, et qu'il fallait le jeter dans le bourbier le plus infect, ou le laisser pourrir au gibet[300]. Il y eut même une tentative faite par des gens armés pour enlever aux clercs de Canterbury le cadavre de l'ennemi du roi normand ; mais ceux-ci furent avertis, et l'ensevelirent précipitamment dans le souterrain de leur église[301]. Ces efforts des hommes puissants pour persécuter jusqu'au delà du tombeau celui qui avait osé leur tenir tête, rendirent sa mémoire plus chère encore à la population opprimée ; elle en fit un saint, au mépris de l'autorité normande, et sans l'aveu de l'Église romaine. Comme autrefois Waltheof, Thomas Beket opéra, sur le lieu de sa mort, des miracles visibles pour les imaginations saxonnes, et dont la nouvelle, accueillie avec enthousiasme, se répandit par toute l'Angleterre[302]. Il s'écoula deux années entières avant que le nouveau saint fût reconnu et canonisé à Rome ; durant tout ce temps ce rie fut pas sans péril que les prêtres qui croyaient en lui le nommèrent dans leurs messes, et que les pauvres et les malades visitèrent sa sépulture[303]. La cause qu'il avait soutenue avec une admirable constance était celle de l'esprit contre la force, des faibles contre les puissants, et en particulier celle des vaincus de la conquête normande. De quelque point de vue qu'on envisage son histoire, cet intérêt tout national s'y trouve ; on peut le subordonner à d'autres, mais on ne saurait le nier. Il est certain que la voix populaire associa dans les mêmes complaintes la mémoire de saint Thomas de Canterbury aux souvenirs de la conquête. On disait, sans fondement peut-être, mais avec une poésie dont le sens n'est pas douteux, que la mort du saint avait été jurée dans le même château et dans la même chambre où fut prêté le serment de Harold, puis le serment de l'armée au bâtard pour l'expédition d'Angleterre[304]. Une chose digne de remarque, c'est que le seul primat.de race normande qui, avant l'Anglais Beket, eût eu quelques démêlés avec la puissance laïque, était un ami des Saxons, et peut-être le seul ami qu'ils aient trouvé dans la race de leurs vainqueurs. Ce fut Anselme, le même qui avait plaidé contre Lanfranc la cause des saints de la vieille Angleterre[305]. Anselme, devenu archevêque, tenta de relever l'ancienne coutume des élections ecclésiastiques contre le droit absolu de nomination royale, introduit par Guillaume le Conquérant. Il eut à combattre à la fois Guillaume le Roux, tous les évêques d'Angleterre, et le pape Urbain, qui soutenait le roi et les évêques[306]. Persécuté en Angleterre et condamné à Rome, il fut contraint de se retirer en France, et de son exil il écrivait ce que Thomas Beket écrivit après lui : Rome aime mieux l'argent que la justice ; il n'y a point de recours auprès d'elle pour qui n'a pas de quoi la payer[307]. Après Anselme, vinrent des archevêques plus dociles aux traditions de la conquête, Raoul, Guillaume de Corbeil et Thibaut, le prédécesseur de Thomas. Aucun d'eux n'essaya d'entrer en opposition avec le pouvoir royal, et le bon accord régna, comme au temps de l'invasion, entre la royauté et le sacerdoce, jusqu'au moment où un Anglais de naissance obtint la primatie. Un fait non moins remarquable, c'est que, peu d'années après la mort de Thomas Beket, il s'éleva dans le pays de Galles un prêtre qui, à son exemple, maïs par des motifs proprement nationaux, et avec une fin moins tragique, lutta contre Henri. II, et surtout contre Jean, son fils et son second successeur. En l'année 1176, le clergé de l'ancienne église métropolitaine de Saint-David, dans la province de Pembroke, choisit pour évêque, sauf l'approbation du roi d'Angleterre, Giraud de Barri, archidiacre, homme de grand savoir et de haute considération, fils d'un Normand, et petit-fils d'un Normand et d'une Galloise[308]. Les membres du chapitre de Saint-David arrêtèrent leur choix sur ce candidat d'origine mixte, parce qu'ils savaient positivement, dit Giraud de Barri lui-même, que jamais le roi ne souffrirait qu'un Cambrien de race pure devint chef de la principale église du pays de Galles[309]. Cette modération fut inutile, et le seul choix d'un homme né dans ce pays, et Gallois par son aïeule, fut regardé comme un acte d'hostilité contre la puissance anglo-normande[310]. Les biens de l'église de Saint-David furent saisis, et les principaux clercs de cette église cités devant le roi en personne, à son palais de Winchester[311]. Henri II leur demanda avec menace comment, d'eux-mêmes et sans son ordre, ils avaient eu la hardiesse non-seulement de choisir un évêque, mais de s'occuper d'élection ; puis, dans sa propre chambre à coucher, il leur enjoignit d'élire, sur l'heure, un moine normand appelé Pierre, qu'ils ne connaissaient point, qu'on ne leur amena point, et dont on leur dit seulement le nom[312]. Ils l'acceptèrent tout tremblants, et retournèrent dans leur pays, où peu de temps après arriva l'évêque Pierre, accompagné de serviteurs et de parents auxquels il fit part des possessions territoriales de l'église de Saint-David, pendant que lui-même faisait passer en Angleterre tout ce qu'il touchait de revenus[313]. Il imposa la taille aux prêtres de cette église, prit la dîme de leurs bestiaux, exigea de tous ses diocésains des aides extraordinaires et des présents aux quatre grandes fêtes de l'année[314]. Il vexa si cruellement les habitants du pays, que, malgré le danger de la résistance à un évêque imposé par les Anglo-Normands, ils le chassèrent de chez eux, après l'avoir souffert huit ans[315]. Pendant que l'élu de Henri II pillait l'église de Saint-David, l'élu du clergé de cette église était réfugié en France, sans nul appui, parce qu'aucun roi ne pensait qu'en protégeant un évêque obscur du petit pays de Galles, il ferait grand tort au roi d'Angleterre. Giraud de Barri, fatigué de l'exil et privé de ressources à l'étranger, résolut de retourner dans son pays. Il attendait, pour quitter Paris, des nouvelles et un envoi d'argent dont le retard le désespérait. Dans sa tristesse, il alla prier et implorer le secours d'en haut à la, chapelle que l'archevêque de Reims, frère du roi Louis VII, avait consacrée à la mémoire de Thomas Beket, comme saint et martyr, dans l'église de Saint-Germain l'Auxerrois[316]. Revenu en Angleterre, l'archidiacre Giraud ne reçut point de mauvais traitements, grâce à son impuissance ; et même, par suite d'une négociation avec le prélat normand que les Gallois avaient chassé de Saint-David, il fut chargé, par intérim, et comme simple vicaire, de l'administration épiscopale. Mais il y renonça bientôt par dégoût des contrariétés que lui suscitait le titulaire, qui, chaque jour, lui envoyait l'ordre de suspendre ou d'excommunier dans le chapitre quelqu'un de ses propres partisans et de ses amis les plus dévoués[317]. C'était le temps où les Normands d'Angleterre venaient d'entreprendre la conquête de l'Irlande. Ils offrirent à Giraud, qu'ils ne voulaient pas laisser devenir métropolitain dans le pays de Galles, trois évêchés et un archevêché dans le pays des Irlandais[318] ; mais, quoique petit-fils de l'un des conquérants de la Cambrie, Giraud ne consentit point à devenir, pour un peuple étranger, un instrument d'oppression. Je refusai, dit-il dans le récit de sa propre vie, parce que les Irlandais, de même que les Gallois, ne prendront jamais pour évêque, à moins d'y être contraints par violence, un homme né hors de chez eux[319]. En l'année 1198, sous le règne de Jean, fils de Henri II, l'évêque normand de Saint-David mourut en. Angleterre ; et alors le chapitre gallois, par un acte unanime de volonté et de courage, nomma, pour la seconde fois, son ancien élu, Giraud de Barri[320]. A cette nouvelle, le roi Jean entra dans une colère violente. Il fit déclarer l'élection nulle par l'archevêque de Canterbury, en vertu de ce droit de suprématie religieuse, sur toute la Bretagne, que les Cambriens avaient refusé si constamment de reconnaître. L'élu de Saint-David nia cette suprématie, déclarant que son église était, de toute antiquité, métropolitaine et libre, sans sujétion envers aucune autre que celle de Rome, et que, par conséquent, aucun primat n'avait le pouvoir de le révoquer[321]. Tel avait été, avant la conquête du pays de Pembroke, sous le règne de Henri Ier, le droit de l'église de Saint-David, héritière de l'antique métropole de Caerleon sur l'Usk. L'une des premières opérations de l'autorité anglo-normande fut, comme on l'a vu plus haut, d'anéantir cette prérogative, et d'enlever ainsi aux Cambriens qui résistaient à la conquête la force morale que leur donnaient l'autonomie religieuse et l'indépendance ecclésiastique[322]. De ma vie je ne permettrai, disait Henri II, que les Gallois aient un archevêque[323]. Ainsi la querelle de privilège élevée entre l'évêque Giraud et le siège de Canterbury n'était autre chose qu'une des faces de la grande question de l'asservissement dû pays de Galles. Une bonne armée pouvait seule trancher le différend ; et Giraud n'avait point d'armée. Il se rendit à Rome auprès du pape, seul supérieur que reconnût son église, et auquel ceux qui l'avaient élu recommandèrent avec confiance leur cause et la sienne. Son espérance était dè voir reconnaître les droits de la métropole cambrienne et d'être lui-même confirmé et consacré archevêque par le souverain pontife[324]. Il trouva à la cour pontificale un commissaire du roi d'Angleterre, qui l'avait devancé, chargé de présents magnifiques pour les conseillers du pape, pour le pape et pour les cardinaux[325]. Mais l'élu de Saint-David n'apportait avec lui que de vieux titres vermoulus, ses œuvres littéraires et les supplications d'un peuple qui n'avait jamais été riche[326]. En attendant que l'ambassadeur du roi Jean, Regnaud Foliot — qui par hasard portait le même nom que l'un des ennemis mortels de Thomas Beket —, fit annuler par le sacré collège l'élection faite à Saint-David, tous les biens de cette église et les propres biens de Giraud de Barri furent séquestrés[327]. Des proclamations déclarèrent traître au roi le soi-disant élu des Cambriens, le téméraire qui voulait soulever contre le roi ses sujets du pays de Galles et former contre lui une confédération des chefs encore indépendants[328]. Raoul de Bienville, bailli de Pembroke, homme doux, et qui ménageait les vaincus, fut destitué de sa charge, et un certain Nicolas Avenel, connu pour son caractère farouche, vint le remplacer[329]. Le grand justicier d'Angleterre adressa au clergé du diocèse de Saint-David des dépêches conçues dans les termes suivants : Sachez que l'archidiacre Giraud est ennemi du roi, et agresseur de la couronne ; et que, si l'un de vous ose entretenir quelque correspondance avec lui, sa maison, sa terre et ses meubles seront livrés au premier occupant[330]. Dans l'intervalle de trois voyages que l'archidiacre fit à Rome, et entre lesquels il fut obligé de se tenir caché par prudence, on lui signifia, à son ancien domicile, des avis menaçants, dont l'un portait ce qui suit : Nous t'ordonnons et te conseillons, si tu aimes ton corps et tes membres, de ne tenir ni chapitres ni synodes en aucun lieu de la terre du roi ; et tiens-toi pour averti que, si tu te mêles de quoi que ce soit qui regarde l'évêché de Saint-David, ton corps, avec tout ce qui t'appartient, en quelque endroit qu'on le trouve, sera mis à la merci du seigneur roi, et sous bonne garde[331]. Après quatre années, pendant lesquelles la cour de Rome
préluda à son jugement définitif par des décisions flottantes et tour à tour
favorables ou contraires à chacune des deux parties, Giraud fut condamné sur
le témoignage de quelques Gallois de basse condition vendus aux
Anglo-Normands, et que Regnaud Foliot avait fait venir, avec grand appareil,
pour déposer contre leur propre pays[332]. La persécution
et la terreur poussèrent même les membres du chapitre de Saint-David à
délaisser l'évêque de leur choix et à reconnaître la suprématie d'une
métropole étrangère. Lorsque Giraud de Barri, après la perte de son procès,
revint dans le pays de Galles, personne n'osait lui ouvrir sa porte ; et l'on
fuyait comme un pestiféré l'homme qui s'était rendu redoutable aux
conquérants[333].
Ceux-ci pourtant ne songèrent point à le poursuivre de leur vengeance, et il
fut seulement cité en Angleterre devant un synode d'évêques pour y recevoir
son arrêt de destitution canonique. Les prélats normands prirent plaisir à
lui adresser des railleries sur ses grands travaux et leur peu de succès. Vous étiez bien fou, lui dit l'évêque d'Ely, de tant vous donner de peines pour procurer à ces gens un
bien dont ils ne se souciaient pas, et pour les rendre libres malgré eux ;
car vous voyez qu'aujourd'hui ils vous désavouent[334]. — Il est vrai, répondit Giraud, et j'étais loin de m'y attendre. Je ne pensais pas que des
clercs gallois, qui, il y a si peu d'années, jouissaient, avec toute leur
nation, d'une liberté originelle, fussent capables de plier sous le joug
comme vos Anglais, qui sont depuis longtemps serfs et subjugués, et pour qui
la servitude est devenue une seconde nature[335]. Giraud de Barri renonça aux affaires ecclésiastiques, et, se livrant tout entier à la culture des lettres, sous le nom de Giraud le Cambrien, il fit comme écrivain élégant plus de bruit dans le monde qu'il n'en avait fait comme antagoniste du pouvoir[336]. En effet, bien peu de gens en Europe, au douzième siècle, s'intéressaient à ce qu'un reste de l'antique population bretonne ne perdit point sa liberté religieuse, et, avec elle, la garantie de son indépendance nationale. Il n'existait guère alors parmi les étrangers de sympathie pour un pareil malheur ; mais, au sein même du pays de Galles, dans la portion du territoire où la terreur des lances normandes n'avait pas encore pénétré, les travaux de Giraud pour la patrie galloise étaient un sujet universel d'entretien et d'éloges. Notre pays, disait le chef de la province de Powis dans une assemblée politique, a soutenu de grands combats contre les hommes de l'Angleterre ; cependant, jamais aucun de nous n'a tant fait contre eux que l'élu de Saint-David ; car il a tenu tête à leur roi, à leur primat, à leurs clercs, à eux tous, pour l'honneur du pays de Galles[337]. A la cour de Lewellyn, prince de la Cambrie septentrionale, dans un festin solennel, un barde se leva, et dit qu'avant de faire entendre un chant nouveau sur l'homme qui avait entrepris de relever la dignité du siège de Saint-David, il proposait à tous les assistants cette question : si, pour une telle entreprise, la gloire devait dépendre du succès[338]. Lewellyn, parlant le premier, répondit en ces termes : Je dis que celui qui a tiré de l'oubli et réclamé contre toute l'Angleterre les droits de Saint-David a fait assez pour sa gloire, quoi qu'il arrive ; car, tant que durera le pays de Galles, sa noble action sera célébrée d'âge en âge par l'histoire écrite et par la bouche de ceux qui chantent[339]. Une grande erreur des historiens au siècle dernier fut le jugement partial et dédaigneux porté alors sur les querelles, entre rois et évêques, qui éclatèrent si fréquemment et causèrent tant de troubles dans les siècles du moyen âge. Dans le récit de la plus tragique de ces luttes, celle de Henri II et de Thomas Beket, nos devanciers n'ont pas hésité à se déclarer sans réserve contre le plus faible et le plus malheureux des deux adversaires. Ils ont complètement oublié, envers un homme assassiné avec des circonstances odieuses, les principes de justice et d'humanité dont ils faisaient profession. Après six siècles, ils ont poursuivi sa mémoire avec une sorte d'acharnement ; et pourtant il n'y avait rien de commun entre la cause des ennemis de Thomas Beket au douzième siècle et celle de la civilisation au dix-huitième. Les résistances épiscopales aux prétentions de la royauté, les litiges ecclésiastiques, les appels au Saint-Siège, n'étaient pas quelque chose d'aussi spécial qu'on se l'est figuré ; à part ce qui touche les droits de la conscience et de la liberté religieuse, il y avait là en jeu des intérêts et des droits d'un autre ordre. A cette chancellerie romaine, centre de la diplomatie du monde chrétien, arrivèrent souvent des pétitions laïques dénonçant au chef de l'Église des griefs purement et profondément nationaux ; mais celles-là, il faut l'avouer, furent pas toujours accueillies par l'autorité pontificale. Ni bulle ni bref du pape Innocent III ne vinrent menacer le fils de Henri II, lorsque sept chefs gallois en appelèrent à ce pape contre les commissaires étrangers que les rois d'Angleterre cantonnaient chez eux sous le nom d'évêques. Ces évêques, venus d'un autre pays, disaient les chefs dans leur supplique, nous haïssent, nous et notre patrie ; ils sont nos ennemis par instinct ; peuvent-ils s'intéresser au bien de nos âmes ? Ce n'est point chez nous qu'ils exercent l'office pastoral ; mais tout ce qu'ils peuvent enlever de notre pays par tous les moyens, même illicites, ils le transportent en Angleterre et ils le dépensent dans les abbayes et les domaines que les rois leur concèdent, afin que là, en sécurité, ils puissent nous excommunier dès qu'ils en reçoivent l'ordre, et, pour ainsi dire, nous lancer le trait par derrière. Chaque fois que les Anglais font contre nous un mouvement hostile, aussitôt l'archevêque de Canterbury met en interdit notre territoire. Il excommunie la population en général, et, nominativement, les chefs qui s'arment pour combattre à sa tête, et il enjoint de faire la même chose à nos évêques qui sont ses créatures et qui, en cela, lui obéissent de grand cœur. Ainsi tous ceux d'entre nous qui, dans la guerre que nous fait une nation ennemie, périssent pour la défense du pays, meurent excommuniés[340]. On ne peut se défendre d'une douloureuse émotion en lisant le tableau de pareilles angoisses nationales ; et ce fut moins de quatre mois après que cette plainte eut retenti comme un cri de détresse dans le consistoire romain que le jugement du pape, cassant l'élection faite à Saint-David, éteignit par le silence la question du droit métropolitain de cette église ; et laissa le pays de Galles gémir sous le joug religieux de l'Angleterre avant d'être tombé entièrement sous sa domination politique[341]. |
[1] Voir aux Pièces justificatives du livre IX, n° 1, une note importante.
[2] Vita et processus sancti Thomæ cantuariensis, seu Quadripartita historia, cap. II, fol. 3.
[3] Jamieson's Popular songs, vol. II, p. 117 et 127.
[4] Vita et processus sancti Thomæ cantuariensis, sea Quadripartita historia, cap. II, fol. 3, verso.
[5] Jamieson's Popular songs, vol. II, p. 117 et 127. — Voyez Pièces justificatives, livre XI, n° 2 et 3.
[6] Gervas. Cantuar., Act. poncif.
cantuar., apud Hist. angl.. Script., col. 1668, ed. Selden.
[7] Willelmi filii Stephani, Vita
S. Thomæ, p. 11, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke. Londini,
1723. — Chron. Johan, Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I,
col. 1056, ed. Selden.
[8] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I, col. 1056,
ed. Selden.
[9] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I, col. 1056,
ed. Selden.
[10] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I, col. 1057
et 1058, ed. Selden.
[11] Gervas. Cantuar., Chron.
apud ibid., col. 1371, ed. Selden.
[12] Voyez plus haut, livre VIII.
[13] Vita B. Thomæ quadripartita, lib. I, cap. V, p. 9.
[14]
Vita B. Thomæ quadripartita, lib. I, cap. IV, p. 8.
[15] Vita B. Thomæ
quadripartita, lib. I, cap. IV, p. 8.
[16] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 14, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[17] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 15. — Voyez Pièces justificatives, livre IX, n° 4.
[18] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. angl. Script., t. II, col. 1381, ed. Selden.
[19] Sharon Turner's History of
England from the norman conquest to the accession of Edward I, p. 202.
[20] Willelmi filii Stephani, Vita S. Thomæ, p. 16, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke. — Vita B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. V, p. 9.
[21] Wilkin's Concilia Magnæ Britanniæ, t. I, p. 431.
[22] Voyez livre VI, t. I.
[23]
Vita D. Thomæ quadripart., lib. I, cap. XVII, p. 33.
[24] Clerici
acephali.
[25] Willelmi filii Stephani, Vita
S. Thomæ, p. 17, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[26] Vita B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. VI, p. 13.
[27] Cleri Angliæ, ad B. Thomam Epist.,
apud Epist. divi Thomæ, lib. I, p. 190, ed. Lupus.
[28] Vita B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. VI, p. 11.
[29] Vita B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. VI, p. 11.
[30] Vita B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. VI, p. 11.
[31] Guillelm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 157, ed. Hearne.
[32] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 24, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke. — Vita B.
Thomæ quadripart., lib. I, cap. VIII-XIII.
[33] Willelmi filii Stephani, Vita
S. Thomæ, p. 24, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[34] Willelmi filii Stephani, Vita
S. Thomæ, p. 27, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke. — Vita B.
Thomæ quadripart., cap. IX, p. 16 et 17.
[35] Vita B. Thome quadripart., lib. I, cap. XVII, p. 32. — Matth. Paris, t. I, p. 98. — Radulf.
de Diceto, Imag. histor., apud Hist. angl. Script., t. I, col.
534, ed. Selden.
[36] Orderic. Vital., Hist. ecclesiast.,
apud Script. rer. normann., passim.
[37] Chron. Willelm. Thorn., apud Hist. angl. Script., t. II, col.
1819, ed. Selden.
[38] Voyez livre VII, t. I.
[39] Gervas. Cantuar., Act. pontific.
cantnar., apud Hist. angl. Script., t. II, col. 1669, ed. Selden.
[40] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1384, ed. Selden.
[41] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1384, ed. Selden.
[42] Radulf. de Diceto, Imag.
histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 536, ed. Selden.
[43] Radulf. de Diceto, Imag.
histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 536, ed. Selden.
[44] Radulf. de Diceto, Imag. histor.,
apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 536, ed. Selden.
[45] Radulf. de Diceto, Imag.
histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 536, ed. Selden.
[46] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 28, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[47] Vita B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. XVII, p. 33.
[48] Vita B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. XIX, p. 31. — Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 31, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[49] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[50] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 31, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[51] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile. — Vita
B. Thomæ quadripart., lib. I, cap. XX, p. 35 et 36.
[52] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[53] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[54] Matth. Paris, t. I, p. 100.
[55] Matth. Paris, t. I, p. 100.
[56] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[57] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. angl. Script., t. II, col. 1386, ed. Selden.
[58] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. angl. Script., t. II, col. 1386, ed. Selden.
[59] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[60] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XV, p. 150.
[61] Neif ou Nief, en anglais moderne, signifie paysan, paysanne.
[62] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. angl. Script., t. II, col. 1399, ed. Selden.
[63] Voyez livre VI.
[64] Johan. Pictav. episc. ad Thomam Epist.,
apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 216.
[65] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[66] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[67] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[68] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[69] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[70] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[71] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 35, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke. — Vita B.
Thomæ quadripart., cap. XXIII, p. 42. — Eduardi Vita S. Thomæ, apud
Surium, De probatis sanctorum vitis, mense decembri, p. 357.
[72] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 35, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke. — Vita B.
Thomæ quadripart, cap XXV, p. 46 et 47.
[73] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[74] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[75] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 36 à 38, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[76] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[77] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[78] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[79] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[80] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[81] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[82] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[83] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[84] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[85] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[86] Episcop. et cleri Angliæ ad
Alexandrum papam Epist., apud Epist divi Thomæ, lib. II, p. 364.
[87] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 39, apud Hist. angl. Script., ed. Sparke.
[88] Roger. de Hoved., Annal., pars
posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[89] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile. —
Willelmi filii Stephani Vita S. Thomæ, p. 40, apud Hist. anglic. Script.
ed. Sparke.
[90] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[91] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[92] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[93] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 493, ed. Savile.
[94] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[95] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[96] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud. Hist. angl. Script., t. II, col. 1392, ed. Selden.
[97] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud. Hist. angl. Script., t. II, col. 1392, ed. Selden.
[98] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud. Hist. angl. Script., t. II, col. 1392, ed. Selden.
[99] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud. Hist. angl. Script., t. II, col. 1392, ed. Selden. — Willelmi
filii Stephani, Vita S. Thomæ, p. 44, apud Hist. anglic. Script.,
ed. Sparke.
[100] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 494, ed. Savile.
[101] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[102] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[103] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[104] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[105] Sharon Turner's History of
England, p. 220.
[106] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[107] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1393, ed. Selden.
[108] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[109] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[110] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 495, ed. Savile.
[111] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. III, p. 64.
[112] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 500, ed. Savile. — Gervas.
Cantuar, Act. poncif. cantuar., apud Hist. anglic. Script., t.
II, col. 1671, ed. Selden.
[113] Epist. Johann. Saresber. ad Johann. Pictav. episc., apud Script. rer.
gallic. et francic., t. XVI, p. 521.
[114] Epist. Johann. Saresber. ad Johann. Pictav. episc., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 521 et 522.
[115] Litteræ Henrici regis, apud Divi Thomæ Epist., lib. I, p. 26.
[116] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. V, p. 67.
[117] Epist. Henrici Angliæ regis ad Ludovicum, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 107.
[118] Epist. Henrici Angliæ regis ad Ludovicum, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 107.
[119] Epist. Henrici Angliæ regis ad Ludovicum, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 107.
[120] Epist. Johann. Saresber. ad. Thomam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 507.
[121] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. VII, p. 71.
[122] Nuncii ad Thomam Epist., apud Divi Thomæ Epist., lib. I, p. 33 et 34.
[123]
Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XI, p. 77.
[124] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XI, p. 77.
[125] Epist. Hervei clerici ad Thomam, apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 240.
[126] Epist. Hervei clerici ad Thomam, apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 244.
[127] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XI, p. 78.
[128] Roger. de Hoved, Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 496, ed. Savile.
[129] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XII, p. 79.
[130] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XII, p. 80.
[131] Gervas Cantuar., Chron.,
apud Hist. anglic. Script., col. 1398, ed. Selden.
[132] Cleri Angliæ ad Thomam Epist.,
apud Divi Thomæ Epist., lib. I, p. 189.
[133] Cleri angliæ ad Thomam Epist.,
apud Divi Thomæ Epist., lib. I, p. 189.
[134] Epist. Arnulphi lexoviensis episc., apud. Acheri Spicilegium, t. III, p. 512 et 513.
[135] Epist. Arnulphi lexoviensis episc., apud. Acheri Spicilegium, t.
III, p. 514.
[136] Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 295, in nota a ad cale. pag.
[137] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum papam, apud Script. rer. gallic et
francic., t. XVI, p. 267.
[138] Matth. Paris, t, I, p. 105. — Epist.
B. Thomæ ad episcopos provinciac Cantiœ, apud Script. rer. rallie. et
francic., t. XVI, p.248.
[139] Matth. Paris, t, I, p. 105.
[140] Epist. Joann. Saresber. ad
Bartholomeum exoniensem episc., apud ibid., p. 519.
[141] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud ibid., p. 257.
[142] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud ibid., p. 256.
[143] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud ibid., p. 265.
[144] Summarium Epist. Alexandri papæ ad Henricum, apud ibid., p. 279.
[145] Epist. Johann. Saresber., apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 578. — Vita D. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXII, p. 90.
[146] Vita D. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXII, p. 90.
[147] Summarium Epist. Alexandri III papæ ad Thomam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 279 ; cf. p. 278.
[148] Epist. Johann. Saresber., apud ibid.,
p. 553.
[149] Epist. Johann Pictav. episc. ad Thomam., apud ibid., p. 282.
[150] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III papam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 297.
[151] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud ibid., p. 301.
[152] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud ibid., p. 301.
[153] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud ibid., p. 302.
[154] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud ibid., p. 302.
[155] Epist. Alexandri III papæ ad Henricum, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 312.
[156] Epist. Alexandri III papæ ad Henricum, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 312, in nota b ad cale. pag.
[157] Epist. Johann. Saresber. ad, magistratum Lombardum, apud ibid., p.
593.
[158] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XVII, p. 85. — Thomæ ad Alexandrum papam et
Alexandri ad universos cistcrciensis ordinis fratres Epist., apud ibid.,
p. 267 et 268. — Gervas. Cantuar., Chron., apud Hist. anglic. Script.,
t. II, col. 1400, ed. Selden.
[159] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XVII, p. 85.
[160] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1401, ed. Selden.
[161] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XVII, p. 85.
[162] Simonis et Ingelberti priorum
Epist. ad Alexandrum III papam, apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 333.
[163] Simonis et Ingelberti priorum
Epist. ad Alexandrum III papam, apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 333.
[164] Simonis et Ingelberti priorum
Epist. ad Alexandrum III papam, apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 333.
[165] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXV, p. 95.
[166] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXV, p. 95.
[167] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXV, p. 96.
[168] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXV, p. 96.
[169] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXV, p. 96.
[170] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXV, p. 96.
[171] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXV, p. 96.
[172] Mss. eod. Biblioth. regiæ, 5320,
quo continetur Vita quadripart, contractior, citatus, apud Script
rer. gallic. et francic., t. XVI, in nota a ad cale., p. 461.
[173] Anonymi Epist., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 602.
[174] Anonymi Epist., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 602.
[175] Anonymi Epist., apud Script.
rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 602.
[176] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1409, ed. Selden.
[177] Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 589, in nota e.
[178] Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 580, in nota e. — Epist. Johann. Saresber., apud ibid., p. 581.
[179]
Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 580, in nota e. — Epist.
Johann. Saresber., apud ibid.,
p. 581.
[180] Gervas. Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1409, ed. Selden.
[181] Voyez plus haut, livre VIII.
[182] Girald. Cambrens., de Jure et statu menevens. eccles. ; Anglia sacra, t. II, p. 535 et p. 534.
[183] Girald. Cambrens., de Jure et statu menevens. eccles. ; Anglia sacra, t. II, passim.
[184] Girald. Cambrens., de Jure et statu menevens. eccles. ; Anglia sacra, t. II, passim.
[185] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 523.
[186] Girald. Cambrens., de Jure et statu menevens. eccles. ; Anglia sacra, t. II, p. 522.
[187] Girald. Cambrens., de Jure et statu menevens. eccles. ; Anglia sacra, t. II, p. 522.
[188] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXVII, p. 98.
[189] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXVII, p. 98.
[190] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. anglic. Script., col. 1406, ed. Selden.
[191] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXVII, p. 99.
[192]
Voyez plus haut, livre VIII. — Gervas. Cantuar., Chron., apud Hist. anglic. Script., t. II, col.
1406 et 1407, ed. Selden.
[193] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap XXVIII, p. 100.
[194] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1407, ed. Selden.
[195] Epist. B. Thomæ ad Winton. episc.,
apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 338 et 339.
[196] Willelmi ad Thomam Epist.,
apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 357.
[197] Epist. B. Thomæ ad Joann. Neapolitanum, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 392.
[198] Epist. Alexandri papæ ad Thomam, apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 368.
[199] Anonymi ad Thomam Epist., apud Script.
fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 370.
[200] Anonymi ad Thomam Epist., apud Script.
fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 370.
[201] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud Script. fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 370.
[202] Anonymi ad Thomam Epist., apud Script.
fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 370.
[203] Anonymi ad Thomam Epist., apud Script.
fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 370.
[204] Anonymi ad Thomam Epist., apud Script.
fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 370.
[205] Anonymi ad Thomam Epist., apud Script.
fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 370.
[206] Anonymi ad Thomam Epist., apud Script.
fer. gallic. et francic., t. XVI, p. 371.
[207] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud Script. rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 371.
[208] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud Script. rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 371.
[209] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud Script. rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 371.
[210] Anonymi ad Thomam Epist.,
apud Script. rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 371.
[211] Epist. Alexandri papæ ad rotomag. et nivern. episc., apud Script. rer.
gallic. et francic., t. XVI, p. 413.
[212] Epist. Alexandri papæ ad rotomag. et nivern. episc., apud Script. rer.
gallic. et francic., t. XVI, p. 393.
[213] Voyez plus haut, livre V, t. I.
[214] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap XXXI, p. 102. — Epist. B. Thomæ ad Winton.
episc., apud Script. rer. gattic. et francic., t. XVI, p. 429.
[215] Vita B. Thomæ guadripart., lib. II, cap. XXXI, p. 102.
[216] Vita B. Thomæ guadripart., lib. II, cap. XXXI, p. 103.
[217] Vita B. Thomæ quadripart., lib. II, cap. XXXI, p. 103.
[218] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III papam ; loc sup. cit., p. 414.
[219] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III papam ; loc sup. cit., p. 430.
[220] Epist. B. Thomm ad Albertum cardinalem, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 416, 417.
[221] Vita B. Thomæ quadripart., Iib. II, cap. XXXII, p. 104.
[222] Epist. Johann. Salisber., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI.
[223] Epist. Alexandri III papæ ad episc. Cantiæ., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 449.
[224] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III, papam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 463.
[225] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III, papam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 463.
[226] Epist. B. Thomæ ad Bernardum nivern, episc., apud Script. rer. gallic.
et francic., t. XVI, p. 424.
[227] Vita B. Thornæ quadripart., lib. III, cap. I, p. 107.
[228] Vita B. Thornæ quadripart., lib. III, cap. I, p. 107.
[229] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III papam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 439.
[230] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III papam, apud Script, rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 439. — Voyez livre III, et livre IV, t. I.
[231] Willelmi filii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 68, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[232] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1412, ed. Selden.
[233] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III papam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 441.
[234] Gervas. Cantuar., Chron.,
apud Hist. anglic. Script., t. II, col 1413, ed. Selden.
[235] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. III, p. 110.
[236] Epist. B. Thomæ ad Willelmum seonnens. archiep., apud Script. rer.
gallic. et francic., t. XVI, p. 400.
[237] Epist. B. Thomæ ad Henricum, apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 460.
[238] Summarium Epist. Petri cardinalis ad Thomam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 455.
[239] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. II, p. 109.
[240] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. II, p. 109.
[241] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. II, p. 109.
[242] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. II, p. 109.
[243] Willelmi filii Stephani, Vita
S. Thomæ, p. 71, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[244] Willelmi filii Stephani, Vita
S. Thomæ, p. 71, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[245] Epist. Johann. Saresber., apud Script. rer. gallic. et francic.,
t. XVI, p. 613.
[246] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. III, p. 110.
[247] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. III, p. 110.
[248] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. III, p. 110.
[249] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. IV, p. 112.
[250] Gervas, Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., col. 1413, ed. Selden.
[251] Gervas, Cantuar. Chron.,
apud Hist. anglic. Script., col. 1413, ed. Selden.
[252] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III, papam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 464.
[253] Epist. Johann. Saresber. ad Petrum abbat. S. Remigii, ibid., p.
613.
[254] Epist. Johann. Saresber. ad Petrum abbat. S. Remigii, ibid., p.
614.
[255] Epist. Joann. Saresber. ad Petrum abbat. S. Remigii, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p. 615.
[256] Willelmi filii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 76, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[257] Epist. Joann. Saresber. ad Petrum
abbat. S. Remigii, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVI, p.
614. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior ; apud Rer. anglic.
Script., p. 521, ed. Savile.
[258] Willelmi filii Stephani, Vita S.
Thomæ, p. 76, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[259] Vita B. Thomæ quatripart., lib. III, cap. IX, p 117.
[260] Willelmi fllii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 77, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[261] Roger. de Hoved., Annal., pars
posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 521, ed. Savile.
[262] Willelmi fllii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 77, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[263] Roger. de Hoved., Annal., pars
posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 521, ed. Savile.
[264] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 521, ed. Savile.
[265] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. IV, p. 112. — Guillelmi Neubrig., de
Reb. anglic., p. 184 et 185, ed. Hearne.
[266] Guillelmi Neubrig., de Reb.
anglic., p. 185, ed. Hearne.
[267] Epist. B. Thomæ ad Alexandrum III, papam, apud Script. rer. gallic. et
francic., t. XVI, p. 464.
[268] Vita B. Thomæ quadripart.,
lib. III, cap. VIII, p. 115.
[269] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. VIII, p. 116.
[270] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. VIII, p. 119.
[271] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XI.
[272] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XII, p. 120.
[273] Willelmi filii Stephani Vita
S. Thomæ, p. 78, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[274] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 521, ed. Savile.
[275] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XII, p. 120 et 121.
[276] Willelmi filii Stephani Vita
S. Thomæ, p. 81, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[277] Willelmi filii Stephani Vita
S. Thomæ, p. 81, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[278] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XII, p. 120 et 121.
[279]
Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XIV, p. 123.
[280] Willelmi filii Stephani Vita
S. Thomæ, p. 82, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[281] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XIV, p. 126.
[282] Willelmi filii Stephani Vita
S. Thomæ, p. 83, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[283] Willelmi filii Stephani Vita
S. Thomæ, p. 83, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[284] Willelmi filii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 84, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[285] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XV, p. 128.
[286] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XV, p. 128. — Willelmi filii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 83, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[287] Willelmi filii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 85, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[288] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XVII, p. 129. — Willelmi filii Stephani Vita S.
Thomæ, p. 85, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[289] Willelmi filii Stephani Vita S.
Thomæ, p 86, apud Hist. anglic. Script., ed. Sparke.
[290] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XVII, p. 130.
[291] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XVII, p. 130.
[292] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XVII, p. 130.
[293] Edwardi Vita S. Thomæ, apud Surium, De probatis sanctorum vitis, mense decembri,
p. 362. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic.
Script., p. 522, ed. Savile. — Vita B. Thomæ quadripart., lib. III,
cap. XVIII, p. 131.
[294] Vita B. Thomæ quadripart., lib. III, cap. XVIII, p. 133.
[295] Guillelm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 723, ed. Hearne, in notis.
[296] Roger. de Hoved., Annal.,
pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 522, ed. Savile.
[297] Fleury, Hist. ecclésiastique,
t. XV, p. 310.
[298] Epist. Joann. Saresber. ad Joann. Pictav.
episc., apud Script. rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 617.
[299] Epist. Joann. Saresber. ad Guillelmum senonens. archiepisc., apud Script.
rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 620.
[300] Epist. Joann. Saresber. ad Joann. Pictav. episc., apud Script. rer.
gallic, et francic., t. XVI, p. 617.
[301] Epist. Joann. Saresber. ad Joann. Pictav. episc., apud Script. rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 617 et 618.
[302] Epist. Joann. Saresber. ad Joann. Pictav. episc., apud Script.
rer. gallic, et francic., t. XVI, p. 617 et 618. — Ejusd. Epist., ad Guillelmum senonens. archiepisc., apud ibid.,
p. 619. — Voyez plus haut, livre V, t. I.
[303] Ejusd. Epist. ad Joann.
pictav. episc., p. 617.
[304] Vie de saint Thomas de Cantorbéry, par Garnier de Pont-Sainte-Maxence, mss. de la Bibliothèque royale, supplément français, n° 2636, fol. 84.
La chambre d'el bure a estrange destinée.
Meinte dure novelle a sovent escultée ;
Reneilz i fu Harald par serement donnée,
L'ost d'Angleterre i fu d'el bastard afiée,
Et la mort saint Thomas afiée et jurée.
[305] Voyez plus haut, livre VII, t. I.
[306] Eadmeri, Hist. nov., p.
21-32, ed. Selden.
[307] Eadmeri, Hist. nov., p. 32, ed. Selden.
[308] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens. eccles. ; Angla sacra, t. II, p. 521. — Son aïeul était Giraud de Winsor, le premier gouverneur du château normand de Pembroke, et son aïeule, Nesta, fille de Rees, chef gallois de la province de Divet.
[309] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens. eccles. ; Angla sacra, t. II, p. 521.
[310] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens. eccles. ; Angla sacra, t. II, p. 521.
[311] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens. eccles. ; Angla sacra, t. II, p. 521.
[312] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 536.
[313] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 538.
[314] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 538.
[315] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 481.
[316] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 479.
[317] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 481.
[318] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 614.
[319] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 614.
[320] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 614.
[321] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 541.
[322] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 544.
[323] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 475.
[324] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 539.
[325] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 582. — De Rebus a se gestis ; ibid., t. II, p. 464.
[326] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 460 et 510.
[327] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 555.
[328] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 555.
[329] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 566.
[330] Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 555 et 556.
[331] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 556.
[332] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 576.
[333] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 603.
[334] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 564.
[335] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 564 et 565.
[336] GIRALDUS CAMBRENSIS, souvent cité plus haut. — Girald. Cambrens., de Rebus a se gestis ; Anglia sacra, t. II, p. 465.
[337] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 559.
[338] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens. eccles., Anglia sacra, t. II, p. 559.
[339] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens. eccles., Anglia sacra, t. II, p. 559.
[340] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 574.
[341] Girald. Cambrens., de Jure et Statu menevens, eccles., Anglia sacra, t. II, p. 593.