HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS

TOME PREMIER

 

LIVRE SIXIÈME.

 

 

Depuis la querelle du roi Guillaume avec son fils aîné, Robert, jusqu'au dernier passage de Guillaume sur le continent.

1077-1087

 

Une des phases nécessaires de toute conquête, grande ou petite, c'est que les conquérants se querellent entre eux pour la possession et le partage du bien des vaincus. Les Normands n'échappèrent pas à cette fatalité. Quand il n'y eut plus de rebelles à soumettre, l'Angleterre devint pour ses maîtres une cause de guerres intestines ; et même ce fut dans la nouvelle famille royale, entre le père et son fils aîné, que la dispute éclata d'abord. Ce fils, appelé Robert, et que les Normands surnommaient, dans leur langue, Gamberon ou Courte-Heuse, à cause du peu de longueur de ses jambes[1], avait été, avant la bataille de Hastings, désigné par le duc Guillaume héritier de ses terres et de son titre. Cette désignation s'était faite, selon l'usage, avec le consentement formel des barons de Normandie, qui tous avaient prêté serment au jeune Robert, comme à leur seigneur futur[2]. Lorsque Guillaume fut devenu roi, le jeune homme, dont l'ambition s'était éveillée à la vue des succès de son père, le requit d'abdiquer au moins, en sa faveur, le gouvernement de la Normandie ; mais le roi refusa, voulant garder ensemble son ancien duché et son nouveau royaume[3]. Il s'ensuivit une querelle violente, où les deux plus jeunes frères, Guillaume le Roux et Henri, prirent parti contre leur aîné, sous couleur d'affection filiale, mais réellement pour le supplanter, s'ils le pouvaient, dans la succession que leur père lui avait assurée[4].

Un jour que le roi était à Laigle avec ses fils, Guillaume et Henri vinrent au logement de Robert, dans la maison d'un certain Roger Chaussiègue, et, montant à l'étage supérieur, ils se mirent d'abord à jouer aux dés, à la façon des gens de guerre du temps ; puis ils firent grand bruit et versèrent de l'eau sur Robert et sur ses amis qui étaient au-dessous[5]. Irrité de cet affront, Robert courut, l'épée à la main, sur ses deux frères : il y eut un grand tumulte que le roi calma, non sans peine[6] ; et, dès la nuit suivante, le jeune homme, suivi de tous ses compagnons, sortit de la ville et gagna Rouen, dont il essaya de surprendre la citadelle. Il n'y réussit point ; plusieurs de ses amis furent arrêtés ; lui-même échappa avec quelques autres, et, passant la frontière de Normandie, il se réfugia dans le Perche, où Hugues, neveu d'Aubert de Ribaud, l'accueillit dans ses châteaux de Sorel et de Reymalard[7].

Il y eut ensuite entre le père et le fils une réconciliation qui ne fut pas de longue durée ; car les jeunes, gens qui entouraient ce dernier recommencèrent bientôt à stimuler son ambition par leurs conseils et leurs plaisanteries[8]. Noble fils de roi, lui disaient-ils, il faut que les gens de ton père gardent bien son trésor, puisque tu n'as pas un denier pour donner à ceux qui te suivent. Comment souffres-tu de demeurer si pauvre, lorsque ton père est si riche ? Demande-lui donc une partie de son Angleterre, ou tout au moins le duché de Normandie qu'il fa promis devant tous ses barons[9]. Robert, excité par ces propos et d'autres semblables, alla renouveler son ancienne requête ; mais le roi refusa encore une fois, et l'exhorta, d'un ton paternel, à rentrer dans le devoir, et surtout à faire choix de meilleurs conseillers, de personnes d'un âge mûr, graves et sages, telles que l'archevêque Lanfranc[10]. Seigneur roi, répliqua brusquement Robert, je suis venu ici pour réclamer mon droit, et non pour écouter des sermons ; j'en ai entendu assez, et d'assez ennuyeux, lorsque j'apprenais la grammaire. Réponds-moi donc positivement, afin que je voie ce que j'aurai à faire ; car je suis fermement résolu à ne plus vivre du pain d'autrui, et à n'être aux gages de personne[11].

Le roi répondit, en colère, qu'il ne se dessaisirait point de la Normandie, où il était né, et ne partagerait avec qui que ce fût l'Angleterre, le prix de ses fatigues[12]. Eh bien ! dit Robert, je m'en irai, j'irai servir les étrangers, et peut-être obtiendrai-je chez eux ce qu'on me refuse dans mon pays[13]. Il partit en effet et parcourut la Flandre, la Lorraine, l'Allemagne, puis la France et l'Aquitaine, visitant, dit l'ancien historien, des ducs, des comtes et de riches seigneurs châtelains, leur contant ses griefs, et leur demandant des secours[14] ; mais tout ce qu'il recevait pour le soutien de sa cause, il le donnait à des jongleurs, à des parasites ou à des femmes débauchées, et se trouvait bientôt obligé de mendier de nouveau, ou d'emprunter à grosse usure[15]. Mathilde, sa mère, lui envoyait quelquefois de l'argent à l'insu du roi. Guillaume l'apprit, et le lui défendit ; elle recommença, et le roi irrité lui reprocha, en termes amers, de distribuer à ses ennemis le trésor qu'il lui donnait en garde[16] ; puis il fit arrêter le porteur des présents de Mathilde, avec ordre de lui crever les yeux[17]. C'était un Bas-Breton d'origine, appelé Samson ; il prit la fuite et devint moine, dit la vieille chronique, pour le salut de son âme et de son corps[18].

Après beaucoup de voyages, le jeune Robert se rendit, sous les auspices de Philippe, roi de France, au château de Gerberoy, situé dans le Beauvaisis, sur les confins de la Normandie. Il y fut bien accueilli par Élie, vicomte du château, et par son collègue ; car, dit l'ancien narrateur, c'était la coutume de Gerberoy qu'il y eût deux seigneurs égaux en pouvoir, et qu'on y reçût les fugitifs de tous pays[19]. Là, le fils du conquérant réunit des chevaliers à gages[20] ; il lui en vint de France et de Normandie ; plusieurs hommes d'armes de la maison du roi Guillaume, plusieurs de ceux qui le flattaient chaque jour et vivaient à sa table, quittèrent leurs offices pour se rendre à Gerberoy[21] ; et lui-même alors, passant la mer, vint en personne assiéger le château où son fils s'était renfermé.

Dans une sortie que fit Robert, il engagea le combat, seul à seul, avec un cavalier couvert de son armure, le blessa au bras et le renversa de son cheval, la voix du blessé lui fit reconnaître son père, et aussitôt il mit pied à terre, l'aida à se relever et à se mettre en selle, et le laissa repartir librement[22]. Les chefs et les évêques normands s'employèrent à réconcilier de nouveau le père avec le fils. Mais Guillaume résista d'abord à leurs instances : Pourquoi, leur disait-il, me sollicitez-vous en faveur d'un traître qui a séduit contre moi mes gens de guerre, ceux que j'avais nourris de mon pain, et à qui j'avais donné leurs armes ?[23] Il céda pourtant à la fin ; mais le bon accord entre le père et le fils ne fut pas de longue durée ; Robert s'éloigna pour la troisième fois, alla en pays étranger, et ne revint plus du vivant de son père[24]. Le roi le maudit à son départ ; et les historiens du siècle attribuent à cette malédiction les infortunes qui remplirent toute la vie du fils aîné de Guillaume le Bâtard, infortunes dont la conquête de l'Angleterre fut, comme on voit, la première cause[25].

De ces 'dissensions, qui troublaient le repos du chef des conquérants, le peuple vaincu ne retirait aucun profit ; et si, dans l'absence de Guillaume, la main royale, comme on disait alors, ne pesait plus sur ce peuple, d'autres mains, celles des comtes, vicomtes, juges, prélats et abbés, de race étrangère, lui faisaient sentir leur poids. Parmi les plus impitoyables de ces ministres de la conquête figurait le Lorrain Vaulcher, évêque de Durham, qui, depuis l'exécution de Waltheof, cumulait avec son office ecclésiastique le gouvernement de tout le pays situé entre la Tweed et la Tyne[26]. Les amis du comte-évêque vantaient beaucoup son administration, et le louaient d'être aussi habile à réprimer par le tranchant de l'épée les rébellions des. Anglais, qu'à réformer leurs mœurs par la puissance de ses discours[27]. Ce qu'il y avait de réel, c'est que Vaulcher tourmentait sa province par des exactions insupportables, qu'il permettait à ses officiers de lever, après lui, des tributs pour leur propre compte, et qu'il laissait sas gens d'armes piller et tuer impunément[28]. Parmi ceux qu'ils firent périr sans aucun jugement se trouvait un certain Liulf, homme chéri de toute la contrée, qui s'était retiré à Durham après avoir été dépouillé, par les Normands[29], de tous les biens qu'il possédait au sud de l'Angleterre. Ce meurtre, exécuté avec des circonstances atroces, mit le comble à la haine populaire contre l'évêque lorrain et ses agents. L'ancien esprit du Northumberland se réveilla, et les habitants de cette terre fatale aux étrangers se réunirent, comme au temps de Robert Comine[30].

Ils tinrent de nuit des conférences, et délibérèrent unanimement de venir avec des armes cachées à l'assemblée de justice que tenait de temps en temps l'évêque, à la cour du comté, comme on disait en langue normande[31]. Cette cour se tenait sur les bords de la Tyne, près du château neuf, bâti par les conquérants sur la grande route d'Écosse, clans un lieu appelé en saxon Gotes-Heavd, ou Tête-de-Chèvre[32]. Les Northumbriens s'y rendirent en grand nombre, comme pour adresser à leur seigneur d'humbles et pacifiques requêtes. Ils demandèrent réparation des torts qui leur avaient été faits[33] : Je ne ferai droit, répondit l'évêque, à aucune de ces plaintes, à moins qu'auparavant vous ne me comptiez quatre cents livres d'argent en bonne monnaie[34]. Celui des Saxons qui, sachant le français, parlait au nom de tous les autres, demanda permission de s'entendre avec eux[35], et tous s'éloignèrent un moment, comme pour consulter ensemble sur le payement de la somme demandée ; mais tout à coup l'orateur, qui était le chef du complot, s'écria en langue anglaise : Courtes paroles, bonnes paroles : tuez l'évêque[36]. A ce signal, ils tirèrent leurs armes, se jetèrent sur le Lorrain, le tuèrent, et avec lui une centaine d'hommes de race normande ou flamande[37]. Deux serviteurs, Anglais de nation, furent seuls épargnés par les conjurés[38]. Le soulèvement populaire s'étendit jusqu'à Durham ; la forteresse qu'y avaient bâtie les Normands fut attaquée ; mais la garnison, nombreuse et bien pourvue de munitions, résista aux Northumbriens, qui se dispersèrent, découragés, après un siège de quatre jours[39].

A ce nouveau signe de vie donné par la population du nord, Eudes, évêque de Bayeux, frère du roi et l'un de ses lieutenants en son absence, marcha promptement vers Durham avec une nombreuse armée. Sans prendre le temps ni la peine de faire une enquête sur le soulèvement, il se saisit au hasard d'hommes qui étaient restés dans leurs maisons, et les fit décapiter ou mutiler. D'autres ne rachetèrent leur vie qu'en abandonnant tout ce qu'ils possédaient[40]. L'évêque Eudes pilla l'église de Durham, et enleva ce qui restait des ornements sacrés qu'Eghelwin avait sauvés en les transportant dans l'île de Lindisfarn[41]. Il renouvela dans tout le Northumberland les ravages que son frère y avait faits en l'année 1070 ; et c'est cette seconde dévastation qui, ajoutée à la première, imprima aux contrées du nord de l'Angleterre l'aspect de désolation et de tristesse qu'elles présentaient encore plus d'un siècle après[42]. Ainsi, dit un historien postérieur de soixante-dix années, furent tranchés les nerfs de cette province, jadis si florissante. Ces villes autrefois renommées, ces hautes tours qui menaçaient le ciel, ces campagnes riantes de pâturages et arrosées d'eaux vives, l'étranger qui les voit gémit de pitié ; l'ancien habitant ne les reconnaît plus[43].

Dans ce pays tout ruiné qu'il était, la population, demi-saxonne, demi-danoise, garda longtemps son ancien esprit d'indépendance et de fierté un peu sauvage. Les rois normands successeurs du bâtard habitaient en pleine sûreté les provinces méridionales ; mais ce n'était guère sans appréhension qu'ils voyageaient au delà de l'Humber, et un historien de la fin du douzième siècle assure qu'ils ne visitaient jamais cette partie de leur royaume sans conduire avec eux une armée de soldats aguerris[44]. C'est dans le nord que se conserva le plus longtemps le penchant à la rébellion contre l'ordre social établi par la conquête ; c'est là que se recrutèrent encore pendant plus de deux siècles ces bandes d'outlaws, successeurs politiques des réfugiés du camp d'Ely et des compagnons de Hereward. L'histoire ne les a point compris ; elle les passe sous silence, ou bien, suivant le langage des actes légaux du temps, elle les flétrit d'un nom qui écarte d'eux tout intérêt, du nom de séditieux, de voleurs et de bandits. Mais que ces titres, odieux en apparence, ne nous en imposent point ; dans tout pays subjugué par l'étranger, ils furent ceux des braves qui, en petit nombre, se réfugièrent sur les montagnes et dans les forêts, laissant l'habitation des villes à qui supportait l'esclavage[45]. Si le peuple anglo-saxon n'eut pas le courage de suivre cet exemple, il aima du moins ceux qui le lui donnaient et il les accompagna de ses vœux. Pendant que des ordonnances, rédigées en langue française, prescrivaient à tout habitant des villes et des bourgs d'Angleterre de traquer l'homme mis hors la loi, l'homme des forêts, comme un loup[46], de le poursuivre, de canton en canton, par la huée et par le cri[47], il circulait des chansons anglaises en l'honneur de cet ennemi du pouvoir étranger, qui avait, disait-on, pour trésor la bourse des comtes, et pour troupeaux les daims du roi. Les poètes populaires célébraient ses victoires, ses combats, ses stratagèmes contre les agents de l'autorité. On chantait comment il avait lassé à la course les gens et les chevaux du vicomte, comment il avait pris l'évêque, l'avait rançonné à mille marcs, et forcé d'exécuter un pas de danse dans ses habits pontificaux[48].

L'évêque normand Eudes de Bayeux, après son expédition dans le Northumberland, devint fameux parmi les siens, comme l'un des plus grands dompteurs d'Anglais[49] ; il était chef des juges, ou grand justicier de toute l'Angleterre, comte de Kent et de Hereford, depuis l'emprisonnement de Roger, fils de Guillaume fils d'Osbern. Le renom dont il jouissait l'enorgueillit, et le pouvoir qu'il exerçait en Angleterre et en Normandie excita en lui l'ambition de la plus grande puissance qu'il y eût alors, de la puissance papale. Des devins italiens avaient prédit qu'un pape nommé Eudes succéderait à Grégoire VII[50] ; l'évêque de Bayeux, s'appuyant sur cette prédiction, commença des intrigues à Rome, y acheta un palais, envoya de riches présents à ceux que les gens de l'autre côté des Alpes appelaient encore sénateurs, et chargea de lettres et de dépêches les pèlerins de Normandie et d'Angleterre[51] ; il engagea des barons et des chevaliers normands, entre autres Hugues le Loup, comte de Chester, à le suivre en Italie, pour :lui faire une brillante escorte[52]. Le roi Guillaume, encore en Normandie, fut averti de ces préparatifs, et ils lui déplurent, on ne sait pour quelle raison. Ne se souciant pas que son frère devint pape, il s'embarqua et le surprit en mer, à la hauteur de l'île de Wight[53]. Le roi assembla aussitôt les chefs normands clans cette île, et accusa devant eux l'évêque d'avoir abusé de son pouvoir de juge et de comte ; d'avoir maltraité les Saxons outre mesure, au grand danger de la cause commune[54] ; d'avoir spolié les églises, et enfin d'avoir tenté de séduire et d'emmener hors de l'Angleterre les guerriers sur la foi desquels reposait le salut des conquérants[55]. Considérez ces griefs, dit le roi à l'assemblée, et apprenez-moi comment je dois agir envers un tel frère[56]. Personne n'osa répondre. Qu'on l'arrête donc, reprit Guillaume, et qu'on l'enferme sous bonne garde[57]. Aucun des assistants n'osa mettre la main sur l'évêque. Alors le roi s'avança et le saisit par ses vêtements. Je suis clerc, s'écria Eudes, je suis ministre du Seigneur : le pape seul a droit de me juger[58]. Mais Guillaume, sans lâcher prise, répondit : Ce n'est point un clerc que je juge ; c'est mon comte et mon vassal que j'arrête[59]. Le frère du vainqueur des Anglais fut conduit en Normandie et emprisonné dans une forteresse, peut-être dans celle où languissait encore Wulfnoth, le frère du roi Harold, dont le sort était maintenant pareil au sien, après quinze ans d'une fortune si différente[60].

Les reproches du roi à l'évêque sur sa conduite clans le nord de l'Angleterre, s'ils ne sont pas une invention de l'ancien historien, semblent déceler quelques craintes d'un nouveau soulèvement de ceux qui avaient tué Robert Comine, repris la ville d'York, massacré l'évêque Vaulcher, et qui couraient avec joie à la rencontre de tout ennemi des Normands qui venait descendre sur leurs côtes. Cette crainte n'était pas entièrement vaine ; car plus d'une révolte éclats dans le voisinage de Durham, sous l'épiscopat de Guillaume, successeur du Lorrain[61]. Dans le reste de l'Angleterre, les vaincus montraient moins d'énergie, et plus de résignation à leurs souffrances. Peu de faits positifs sur la nature de ces souffrances sont parvenus jusqu'à nous, et encore se rapportent-ils, pour la plupart, aux misères des gens d'église, la seule classe des opprimés de la vieille Angleterre qui ait trouvé des historiens. Toutefois, ce qu'on. osait contre cette classe privilégiée peut faire conjecturer, par induction, ce qu'avaient à subir les autres classes d'hommes que le scrupule religieux ne protégeait point ; et un trait du régime intérieur d'un monastère anglais, sous le pouvoir d'un abbé normand, dans la seizième année de la conquête, aidera peut-être à deviner le régime des villes et des provinces, sous l'autorité des comtes, des vicomtes et des baillis du roi étranger[62].

Le couvent de Glastonbury, dans la province de Sommerset, après la déposition d'Eghelnoth, son abbé de race saxonne, avait été donné à Toustain, moine de Caen[63]. Toustain, suivant la coutume des autres Normands devenus abbés en Angleterre, avait commencé par diminuer la portion de nourriture de ses religieux, pour les rendre plus maniables ; mais la famine ne fit que les irriter davantage contre le pouvoir de celui qu'ils qualifiaient hautement d'intrus[64]. L'abbé, par esprit national, ou par fantaisie de despotisme, voulait que ces moines saxons apprissent à chanter les offices d'après la méthode d'un musicien fameux dans la ville de Fécamp, et les Saxons, autant par haine de la musique normande que par habitude, tenaient au chant grégorien[65]. Ils reçurent plusieurs fois l'injonction d'y renoncer, ainsi qu'à d'autres anciens usages ; mais ils résistèrent jusqu'au point de déclarer un jour, en plein chapitre, leur ferme résolution de ne pas changer[66]. Le Normand se leva furieux, sortit, et revint aussitôt à la tète d'une compagnie de gens armés de toutes pièces[67].

A cette vue, les moines s'enfuirent vers l'église, et se réfugièrent dans le chœur, dont ils eurent le temps de fermer la porte[68]. Les soldats qui les poursuivaient, se trouvant arrêtés, essayèrent de la forcer. Pendant ce temps, quelques-uns d'entre eux escaladèrent les piliers, et, se plaçant sur les-solives qui couronnaient la clôture du chœur, commencèrent l'attaque de loin et à coups de flèches[69]. Les moines, réfugiés près du maître-autel, se glissaient dessous ou se tapissaient derrière les châsses et les reliquaires, qui, leur servant de rempart, reçurent les flèches lancées contre eux ; le grand crucifix de l'autel en fut hérissé de toutes parts[70]. Bientôt la porte du chœur céda aux efforts de ceux qui l'ébranlaient, et les Saxons, forcés dans leur retraite, furent chargés de près à coups d'épée et de lance ; ils se défendirent le mieux qu'ils purent avec les bancs de bois et les candélabres de métal ; ils blessèrent même quelques soldats[71] ; mais les armes étaient trop inégales : dix -huit d'entre eux furent tués ou blessés mortellement, et leur sang, dit la chronique contemporaine, ruissela sur les degrés de l'autel[72]. Un autre historien annonce qu'il pourrait mentionner beaucoup d'aventures semblables à celle-ci, mais qu'il aime mieux les passer sous silence comme également pénibles à raconter et à entendre[73].

Dans l'année 1083 mourut Mathilde, épouse du roi Guillaume. Un ancien récit dit que les conseils de cette femme adoucirent plus d'une fois l'âme du conquérant ; qu'elle le disposa souvent à la clémence envers les Anglais, mais qu'après sa mort, Guillaume s'abandonna sans réserve à son humeur tyrannique[74]. Les faits manquent pour constater cet accroissement d'oppression et de misère pour le peuple vaincu, et l'imagination ne peut guère y suppléer, car il est difficile d'ajouter un seul degré de plus au malheur des années précédentes. La seule différence qu'on puisse remarquer entre l'époque de la conquête qui suivit la mort de Mathilde et celles que le lecteur a déjà parcourues, c'est que le roi Guillaume, n'ayant plus rien à gagner en pouvoir sur les indigènes, commença dès lors à se créer une domination personnelle sur ses compagnons de victoire. La nécessité eut probablement à cette entreprise autant de part que l'ambition ; et, comme il ne restait plus rien à enlever aux Anglais, le roi se vit obligé dé lever sur les Normands eux-mêmes des contributions pour le maintien de la propriété commune. Dans cette année 1083, il exigea six sous d'argent pour chaque hyde ou charruée de terre, dans tout le royaume, sans distinction de possesseur[75]. Le guerrier normand, usé par vingt ans de combats, se vit contraint de payer, sur les revenus du domaine qu'il avait conquis dans ses jours de force et de jeunesse, la solde d'une nouvelle armée.

De cette époque date l'origine d'un esprit de défiance mutuelle et d'hostilité sourde entre le roi et ses vieux amis. Ils s'accusaient réciproquement d'avarice et d'égoïsme. Guillaume reprochait aux chefs normands de tenir plus à leur bien-être personnel qu'à la sûreté commune, de songer plutôt à bâtir des fermes, à élever des troupeaux, à former des haras, qu'à se tenir prêts contre l'ennemi indigène ou étranger[76]. A leur tour, les chefs reprochaient au roi d'être avide de gain au delà de toute mesure, et de vouloir s'approprier, sous de faux prétextes d'utilité générale, les richesses acquises par le travail de tous. Afin d'asseoir sur une base fixe ses demandes de contributions ou de services d'argent, pour parler le langage du siècle, Guillaume fit faire une grande enquête territoriale, et dresser un registre universel de toutes les mutations de propriété opérées en Angleterre par la conquête ; il voulut savoir en quelles mains, dans toute l'étendue du pays, avaient passé les domaines des Saxons, et combien d'entre eux gardaient encore leurs héritages par suite de traités particuliers conclus avec lui-même ou avec ses barons[77] ; combien, dans chaque domaine rural, il y avait d'arpents de terre ; quel nombre d'arpents pouvait suffire à l'entretien d'un homme d'armes, et quel était le nombre de ces derniers dans chaque province ou comté de l'Angleterre ; à quelle somme montait en gros le produit des cités, des villes, des bourgades, des hameaux ; quelle était exactement la propriété de chaque comte, baron, chevalier, sergent d'armes ; combien chacun avait de. terre, de gens ayant fiefs sur ses terres, de Saxons, de bétail, de charrues[78].

Ce travail, dans lequel des historiens modernes ont cru voir la marque du génie administratif, fut le simple résultat de la position spéciale du roi normand comme chef d'une armée conquérante, et de la nécessité d'établir un ordre quelconque dans le chaos de la conquête. Cela est si vrai, que, dans d'autres conquêtes dont les détails nous ont été transmis, par exemple clans celle de la Grèce par les croisés latins, au treizième siècle, on trouve la même espèce d'enquête faite sur un plan tout semblable par les chefs de l'invasion[79].

En vertu des ordres du roi Guillaume, Henri de Ferrières ; Gaultier Giffard, Adam, frère d'Eudes le sénéchal, et Remi, évêque de Lincoin, ainsi que d'autres personnages pris parmi les gens de justice et les gardiens du trésor royal, se mirent à voyager par tous les comtés de l'Angleterre, établissant dans chaque lieu un peu considérable leur conseil d'enquête[80]. Ils faisaient comparaître devant eux le vicomte normand de chaque province ou de chaque shire saxonne, personnage auquel les Saxons conservaient dans leur langue l'ancien titre de shire-reve, ou sheriff. Ils convoquaient ou faisaient convoquer par le vicomte tous les barons normands dt la province, qui venaient indiquer les bornes précises de leurs possessions et de leurs juridictions territoriales ; puis quelques-uns des hommes de l'enquête, ou des commissaires délégués par eux, se transportaient sur chaque grand domaine et clans chaque district ou centurie, comme s'exprimaient les Saxons. Là, ils faisaient déclarer, sous serment, par les hommes d'armes français de chaque seigneur, et par les habitants anglais de la centurie, combien il y avait, sur le domaine, de possesseurs libres et de fermiers[81] ; quelle portion chacun occupait en propriété pleine ou précaire ; les noms des détenteurs actuels, les noms de ceux qui avaient possédé avant la conquête, et les diverses mutations de propriété survenues depuis : de façon, disent les récits du temps, qu'on exigeait trois déclarations sur chaque terre : ce qu'elle avait été au temps du roi Edward, ce qu'elle avait été quand le roi Guillaume l'avait donnée, et ce qu'elle était au moment présent[82]. Au-dessous de chaque recensement 'particulier on inscrivait cette formule : Voilà, ce qu'ont juré tous les Français et tous les Anglais du canton[83].

Dans chaque bourgade on s'enquérait de ce que les habitants avaient payé d'impôt aux anciens rois, et de ce que le bourg produisait aux officiers du conquérant ; on recherchait combien de maisons la guerre de la conquête ou les constructions de forteresses avaient fait disparaître ; combien de maisons les vainqueurs avaient prises ; combien de familles saxonnes, réduites à l'extrême indigence, étaient hors d'état de rien payer[84]. Dans les cités, on prenait le serment des grandes autorités normandes, qui convoquaient les bourgeois saxons au sein de leur ancienne chambre du conseil, devenue la propriété du roi ou de quelque baron étranger ; enfin, dans les lieux de moindre importance on prenait le serment du préposé ou prévôt royal, du prêtre et de six Saxons ou de six villains de chaque ville, comme s'exprimaient les Normands[85]. Cette recherche dura six années, pendant lesquelles les commissaires du roi Guillaume parcoururent toute l'Angleterre, à l'exception des pays montagneux au nord et à l'ouest de la province d'York, c'est-à-dire des cinq comtés modernes de Durham, Northumberland, Cumberland, Westmoreland et Lancaster[86]. Peut-être cette étendue de pays, cruellement dévastée à deux reprises différentes, n'offrait-elle point assez de terres en valeur, ni des propriétés assez fixement divisées, pour que le cadastre en fût ou utile ou possible à dresser ; peut-être aussi les commissaires normands craignirent-ils, s'ils transportaient leurs assises dans les bourgades de la Northumbrie, d'entendre retentir à leurs oreilles les mots saxons qui avaient été le signal du massacre de l'évêque Vaulcher et de ses cent hommes.

Quoi qu'il en soit, le rôle de cadastre, ou, pour parler l'ancien langage, le terrier de la conquête normande ne fit point mention des domaines conquis au delà de la province d'York. La rédaction de ce rôle pour chaque province qu'il mentionnait fut modelée sur un plan uniforme. Le nom du roi était placé en tète, avec la liste de ses terres et de ses revenus dans la province ; puis venaient à la suite les noms des chefs et des moindres propriétaires, par ordre de grade militaire et de richesse territoriale[87]. Les Saxons épargnés par grâce spéciale dans la grande spoliation ne figuraient qu'aux derniers rangs ; car le petit nombre d'hommes de cette race qui restèrent propriétaires franchement et librement, ou tenants en chefs du roi, comme s'exprimaient les conquérants, ne le furent que pour de minces domaines. Ils furent inscrits à la fin de chaque chapitre sous le titre de thegns du roi[88], ou avec diverses qualifications d'offices domestiques dans la maison royale[89]. Le reste des noms à physionomie anglo-saxonne, épars çà et là dans le rôle, appartient à des fermiers de quelques fractions plus ou moins grandes du domaine des comtes, barons, chevaliers, sergents d'armes ou arbalétriers normands[90].

Telle est la forme du livre authentique, et conservé jusqu'à nos jours, dans lequel ont été puisés la plupart des faits d'expropriations présentés çà et là dans ce récit. Ce livre précieux, où la conquête fut enregistrée tout entière pour que le souvenir ne pût s'en effacer, fut appelé par les Normands le grand rôle, le rôle royal, ou le rôle de Winchester, parce qu'il était conservé dans le trésor de la cathédrale de Winchester[91]. Les Saxons l'appelèrent d'un nom plus solennel, le livre du dernier jugement, Domesday-book, parce qu'il contenait leur sentence d'expropriation irrévocable[92]. Mais si ce livre fut un arrêt de dépossession pour la nation anglaise, il le fut aussi pour quelques-uns des usurpateurs étrangers. Leur chef s'en servit habilement pour opérer à son profit de nombreuses mutations de propriété, et légitimer ses prétentions personnelles sur beaucoup de terres envahies et occupées par d'autres. Il se prétendait propriétaire, par héritage, de tout ce qu'avaient possédé Edward, l'avant-dernier roi des Anglo-Saxons, Harold, le dernier roi, et la famille entière de Harold ; il revendiquait au même titre toutes les propriétés publiques et le haut domaine de toutes les villes, à moins qu'il ne les eût expressément aliénées, soit en entier, soit en partie, par diplôme authentique, par lettre et saisine, comme disaient les juristes normands[93].

Au moment de la victoire, personne n'avait songé aux formalités de lettre et de saisine, et chacun de ceux à qui Guillaume avait dit avant le combat : Ce que je prendrai, vous le prendrez[94], s'était fait sa portion lui-même ; mais, après la conquête, les soldats de l'invasion sentirent peser sur leurs propres têtes une partie de la puissance qu'ils avaient élevée sur celle des Anglais. C'est ainsi que le droit de Guillaume de Garenne sur la terre de deux Anglais libres, dans la province de Norfolk, lui fut contesté, parce que cette terre avait dépendu autrefois d'un manoir royal d'Edward[95] ; il en fut de même d'un domaine d'Eustache, dans la province de Huntingdon, et de quinze acres de terre que tenait Miles dans celle de Berks[96] ; une terre qu'Engelry occupait dans la province d'Essex fut, selon l'expression du grand rôle, saisie en la main du roi, parce qu'Engelry n'envoya personne pour rendre compte de ses titres[97]. Le roi saisit pareillement toutes les terres sur lesquelles il avait prétention, et dont le détenteur, quoique Normand, ne put ou ne voulut pas rendre compte[98].

Une autre prétention de sa part, c'était que chaque domaine qui avait payé au roi Edward quelque rente ou quelque service, lui payât, bien qu'il fût tenu par un Normand, la même rente ou le même service. Cette prétention, fondée sur une succession aux droits d'un roi anglais, que ne pouvaient admettre ceux qui avaient déshérité la race anglaise, fut d'abord mal accueillie par les conquérants. La franchise d'impôts ou de service d'argent, hors quelques contributions volontaires, leur paraissait la prérogative inviolable de leur victoire, et ils regardaient la condition de contribuables par coutume comme l'état spécial de la nation subjuguée[99]. Plusieurs résistèrent aux réclamations du roi, dédaignant de se voir imposer des servitudes personnelles pour la terre qu'ils avaient conquise. Mais il y en eut qui se soumirent ; et leur complaisance, soit volontaire, soit achetée par le roi Guillaume, énerva l'opposition des autres. Raoul de Courbespines refusa longtemps de payer aucune redevance pour les maisons qu'il avait prises dans la ville de Canterbury, et Hugues de Montfort pour les terres qu'il occupait dans la province d'Essex[100]. Ces deux chefs pouvaient être fiers impunément ; mais la fierté des hommes moins puissants et moins considérables fut quelquefois durement punie. Un certain Osbern, dit le Pêcheur, n'ayant point voulu acquitter la rente que sa portion de terre payait anciennement. au roi Edward, comme dépendant de son domaine, fut exproprié par les agents royaux, et sa terre offerte qui voudrait payer pour lui : Raoul Taille-Bois paya, dit le grand rôle, et prit possession du domaine comme forfait par Osbern le Pêcheur[101].

Le roi tâchait aussi de lever sur ses propres compatriotes, dans les villes et les terres de son domaine, l'impôt anciennement établi par la loi saxonne. Quant aux Anglais de ces villes et de ces domaines, outre cet impôt rigoureusement exigé au nom de la coutume du lieu, et souvent doublé ou triplé, ils étaient encore soumis à une redevance éventuelle, arbitraire, inégale, levée capricieusement et durement, que les Normands appelaient taille ou taillage[102]. Le grand rôle donne l'état des bourgeois taillables du roi par cités, par villes et par bourgs : Voici les bourgeois du roi à Colchester[103] : c'est Keolman, qui tient une maison et cinq acres de terre ; Leofwin, qui tient deux maisons et vingt-cinq acres ; Ulfrik, Edwin, Wulfstan, Manwn, etc. Les chefs et les soldats normands levaient aussi la taille sur les Saxons qui leur étaient échus, soit dans les bourgs, soit hors des villes[104]. C'est ce qu'on appelait, dans-le langage des conquérants, avoir un bourgeois ou un Saxon libre ; et, dans ce sens, les hommes libres se comptaient par tête, se vendaient ; se donnaient, s'engageaient, se prêtaient, ou même se divisaient par moitié entre Normands[105]. Le grand rôle dit qu'un certain vicomte avait dans le bourg d'Ipswich deux bourgeois saxons, l'un en prêt et l'autre en nantissement[106] ; et que le roi Guillaume avait, par acte authentique, prêté le Saxon Edwig à Raoul Taille-Bois pour le garder tant qu'il vivrait[107].

Beaucoup de querelles intestines dans la nation des vainqueurs pour la dépouille des vaincus, beaucoup d'invasions de Normands sur Normands, comme s'exprime le rôle d'enquête[108], furent aussi enregistrées dans tous les coins de l'Angleterre. Par exemple, Guillaume de Garenne, dans le comté de Bedford, avait dessaisi Gaultier Espec d'un demi-hyde ou d'un demi-arpent de terre, et lui avait enlevé deux chevaux[109]. Ailleurs, c'était Hugues de Corbon qui avait usurpé sur Roger Bigot la moitié d'un Anglais libre, c'est-à-dire cinq acres de terre. Dans le comté de Hants, Guillaume de La Chesnaye réclamait contre Picot une certaine portion de terre, sous prétexte qu'elle appartenait au Saxon dont il avait pris les biens[110]. Ce dernier fait et beaucoup d'autres du même genre prouvent que les Normands considéraient comme leur propriété légitime tout ce que l'ancien propriétaire aurait pu légalement revendiquer, et que l'envahisseur étranger, se regardant comme un successeur naturel, faisait les mêmes recherches, exerçait les mêmes poursuites civiles qu'eût exercées l'héritier du Saxon[111]. Il appelait en témoignage les habitants anglais du district, pour constater l'étendue des droits que lui avait communiqués sa substitution à la place de l'homme tué ou expulsé par lui[112]. Souvent la mémoire des habitants, troublée par la souffrance et par le fracas de la conquête, répondait mal à ces sortes de demandes ; souvent aussi le Normand qui voulait contester le droit de son compatriote refusait de s'en tenir à la déposition de cette vile populace des vaincus[113]. Dans ce cas, le seul moyen de terminer la dispute était le duel judiciaire entre les parties, ou le jugement devant la cour du roi[114].

Le terrier normand parle, en beaucoup d'endroits, d'envahissements injustes, de saisies, de prétentions injustes[115]. C'est sans doute une chose bizarre que de voir le mot de justice écrit dans le registre d'expropriation de tout un peuple ; et l'on ne comprendrait point ce livre si l'on ne songeait à chaque phrase qu'héritage y signifie spoliation d'un Anglais ; que tout Anglais dépouillé par un Normand prend dès lors le nom de prédécesseur du Normand ; qu'être juste, pour un Normand, c'est s'interdire de toucher au bien de l'Anglais tué ou chassé par un autre, et que le contraire s'appelle injustice, comme le prouve le passage suivant : Dans le comté de Bedford, Raoul Taille-Bois a injustement dessaisi Neel de cinq hydes de terre, faisant notoirement partie de l'héritage de son prédécesseur, et dont la concubine de ce même Neel occupe encore une portion[116].

Quelques Saxons dépossédés osèrent se présenter devant les commissaires de l'enquête pour faire leurs réclamations ; il y en eut même plusieurs d'enregistrées avec des termes de supplication humble que nul des Normands n'employait. Ces hommes se déclaraient pauvres et misérables ; ils en appelaient à la clémence et à la miséricorde du roi[117]. Ceux qui, après beaucoup de bassesses, parvinrent à conserver quelque mince partie de leurs héritages paternels, furent obligés de payer cette grâce par des services dégradants et bizarres, ou la reçurent au titre non moins humiliant d'aumône. Des fils sont inscrits dans le rôle comme tenant par aumône le bien de leurs pères[118]. Des femmes libres gardent leur champ par aumône[119]. Une autre femme reste en jouissance de la terre de son mari, à condition de nourrir les chiens du roi[120]. Enfin une mère et son fils reçoivent en don leur ancien héritage, à condition de dire chaque jour des prières pour l'âme de Richard, fils du roi[121].

Ce Richard, fils de Guillaume le Conquérant, mourut en l'année 1081, froissé par son cheval contre un arbre dans le lieu que les Normands appelaient la Forêt-Neuve[122]. C'était un espace de trente milles, nouvellement planté d'arbres, entre Salisbury et la mer. Cette étendue de terre, avant d'être mise en bois, contenait plus de soixante paroisses que le conquérant détruisit, et dont il chassa les habitants[123]. On ne sait si la raison de cet acte singulier ne fut pas purement politique, et si Guillaume n'eut pas pour objet spécial d'assurer à ses recrues de Normandie un lieu de débarquement sûr, où nul ennemi saxon ne pût se rencontrer ; ou bien si, comme le disent la plupart des anciennes histoires, il ne voulut que satisfaire sa passion et celle de ses fils pour la chasse. C'est à cette passion effrénée qu'on attribue aussi les règlements bizarres et cruels qu'il fit sur le port d'armes dans les forêts d'Angleterre ; mais il y a lieu de penser que ces règlements eurent un motif plus sérieux, et furent dirigés contre les Anglais, qui, sous prétexte de chasse, pouvaient se donner des rendez-vous en armes. Il ordonna, dit une chronique contemporaine, que quiconque tuerait un cerf ou une biche eût les yeux crevés ; la défense faite pour les cerfs s'étendit aux sangliers ; et il fit même des statuts pour que les lièvres fussent à l'abri de tout péril. Ce roi aimait les bêtes sauvages comme s'il eût été leur père[124]. Ces lois, exécutées avec rigueur contre les Saxons, accrurent singulièrement leur misère ; car beaucoup d'entre eux n'avaient plus que la chasse pour unique moyen de subsistance. Les pauvres murmurèrent, ajoute la chronique citée plus haut, mais il ne tenait compte de leur haine, et force leur était d'obéir sous peine de la vie[125].

Guillaume comprit dans son domaine royal toutes les grandes forêts de l'Angleterre, lieux redoutables pour les conquérants, asiles de leurs derniers adversaires. Ces lois, que les historiens saxons ridiculisent en les montrant destinées à garantir la vie des lièvres ; étaient une puissante sauvegarde de la vie des Normands ; et, afin que l'exécution en fût mieux assurée, la chasse dans les forêts royales devint un privilège dont la concession appartenait au roi seul, qui pouvait à son gré l'octroyer ou l'interdire. Plusieurs hauts personnages de race normande, plus sensibles à leur propre gêne qu'à l'intérêt de da conquête, s'irritèrent de cette loi exclusive[126]. Mais, tant que l'esprit de nationalité se conserva parmi les vaincus, ce désir des Normands ne prévalut pas contre la volonté de leurs rois. Soutenus par l'instinct de la nécessité politique, les fils de Guillaume conservèrent aussi exclusivement que lui le privilège de chasse ; et ce ne fut qu'à l'époque où ce privilège cessa d'être nécessaire, que leurs successeurs se virent forcés de l'abdiquer, quelque regret qu'ils en eussent[127].

Alors, c'est-à-dire au treizième siècle, les parcs des propriétaires normands ne furent plus compris dans l'étendue des forêts royales, et le seigneur de chaque domaine obtint la libre jouissance de ses bois ; ses chiens ne furent plus soumis à la mutilation des jambes[128], et les forestiers, verdiers ou regardeurs royaux ne rôdèrent plus sans cesse autour de sa maison pour le surprendre dans quelque délit de chasse et lui faire payer une grosse amende. Au contraire, la garantie de la loi royale pour la conservation du gibier de grande et de petite espèce s'étendit au profit des descendants des riches Normands ; et eux-mêmes eurent des gardes-chasse pour tuer impunément le pauvre Anglais surpris en embuscade contre les daims et les lièvres[129]. Plus tard, le pauvre lui-même, le descendant des Saxons, ayant cessé d'être redoutable aux riches issus de l'autre race, ne fut puni, quand il osa chasser, que d'une seule année d'emprisonnement, à la charge de trouver ensuite douze cautions solvables pour répondre qu'à l'avenir il ne commettrait plus aucun délit ni en parcs, ni en forêts, ni en garennes, ni en viviers, ni en quoi que ce fût, contre la paix du seigneur roi[130].

Pour dernière particularité qu'offre le grand registre de la conquête normande, on y trouve la preuve que le roi Guillaume établit, en loi générale, que tout titre de propriété antérieur à son invasion, et que tout acte de transmission de biens fait par un homme de race anglaise postérieurement à l'invasion, étaient nuls et non avenus, à Moins que lui-même ne les eût formellement ratifiés. Dans la première terreur causée par la conquête, quelques Anglais avaient aliéné une portion de leurs terres aux églises, soit en don réel pour le salut de leur âme et de leur corps, soit en don simulé, afin d'assurer cette portion à leurs fils, si les domaines des saints de l'Angleterre étaient respectés par les Normands. Cette précaution fut inutile, et quand les églises ne purent administrer la preuve. écrite que le roi avait confirmé le don, ou, en d'autres termes, que lui-même l'avait fait, la terre fut saisie à son profit[131]. C'est ce qui arriva pour le domaine d'Ailrik, qui, avant de partir pour la guerre contre les Normands, avait donné son manoir au couvent de Saint-Pierre, dans la province d'Essex, et pour celui d'un certain Edrik, affermé, avant la conquête, au monastère d'Abingdon[132].

Plus d'une fois dans la suite cette loi fut remise en vigueur, et tout titre quelconque de propriété anéanti pour les fils des Anglo-Saxons. C'est un fait attesté par le Normand Richard Lenoir, évêque d'Ely vers le milieu du douzième siècle. Il raconte que les Anglais, journellement dépossédés par leurs seigneurs, adressèrent de grandes plaintes au roi, disant que les mauvais traitements qu'ils avaient à subir de la part de l'autre race, et la haine qu'elle leur portait, ne leur laissaient plus d'Aube ressource que d'abandonner le pays[133]. Après de longues délibérations, les rois et leur conseil décidèrent qu'à l'avenir tout ce qu'un homme de race anglaise obtiendrait des seigneurs, comme salaire de services personnels, ou par suite de conventions légales, lui serait assuré irrévocablement, mais sous la condition qu'il renoncerait à tout droit fondé sur une possession antérieure[134]. Cette décision, ajoute l'évêque d'Ely, fut sage et utile ; et y elle obligea les fils des vaincus à rechercher les bonnes grâces de leurs seigneurs par la soumission, l'obéissance et le dévouement. De sorte qu'aujourd'hui nul Anglais possédant soit un fonds de terre, soit toute autre propriété, n'est propriétaire à titre d'héritage ou de succession paternelle, mais seulement en vertu d'une donation à lui faite en récompense de ses loyaux services[135].

C'est en l'an 1086 que fut achevée la rédaction du Grand Rôle des Normands, du livre de jugement des Saxons ; et, cette même année, eut lieu une grande convocation de tous les chefs des conquérants, laïques ou prêtres. Dans ce conseil furent débattues les réclamations diverses enregistrées clans le rôle d'enquête, et ce débat ne s'acheva point sans querelles entre le roi et ses barons ; ils eurent ensemble de graves entretiens, comme s'exprime la chronique contemporaine, sur l'importante distinction de ce qui devait être définitivement regardé comme légitime dans les prises de possession de la conquête[136]. La plupart des envahissements individuels furent ratifiés, mais quelques-uns ne le furent pas, et il y eut parmi les vainqueurs une minorité mécontente. Plusieurs barons et chevaliers renoncèrent à leur hommage, quittèrent Guillaume et l'Angleterre, et, passant la Tweed, allèrent offrir au roi d'Écosse, Malcolm, le service de leurs chevaux et de leurs armes[137]. Malcolm les accueillit favorablement, comme il avait accueilli avant eux les émigrés saxons, et leur distribua des portions de terre pour lesquelles ils devinrent ses hommes liges, ses soldats envers et contre tous. Ainsi l'Écosse reçut une population toute différente de celles qui s'y étaient mêlées jusque-là. Les Normands, réunis par un exil commun et une hospitalité commune aux Anglais qui naguère avaient fui devant eux, devinrent, sous une bannière nouvelle, leurs compagnons et leurs frères d'armes. L'égalité régna au delà du cours de la Tweed entre deux races d'hommes qui, en deçà du même fleuve, étaient de condition si différente ; il se fit rapidement des uns aux autres un échange mutuel de mœurs et même de langage, et le souvenir de la diversité d'origine ne divisa point leurs fils, parce qu'il ne s'y mêlait aucun souvenir d'injure ni d'oppression étrangère.

Pendant que les conquérants s'occupaient ainsi à régler leurs affaires intérieures, ils furent subitement troublés par une alarme venant du dehors. Le bruit se répandit que mille vaisseaux danois, soixante vaisseaux norvégiens et cent vaisseaux de Flandre, fournis par Robert le Frison, nouveau duc de ce pays, et ennemi des Normands, se rassemblaient dans le golfe de Lymfiord, pour descendre en Angleterre et délivrer le peuple anglo-saxon[138]. Les rois de Danemark, qui, tant de fois depuis vingt années, avaient successivement flatté et trahi les espérances de ce peuple, ne pouvaient, à ce qu'il parait, se résoudre à l'abandonner entièrement. L'insurrection qui, en 1080, causa la mort, de l'évêque de Durham semble avoir été encouragée par l'attente d'un débarquement des hommes du Nord ; car on trouve les Mots suivants dans les dépêches officielles adressées alors à cet évêque : Les Danois viennent : faites garnir avec soin vos châteaux de munitions et d'armes[139]. Les Danois ne vinrent pas, et peut-être les précautions extraordinairement recommandées à cause d'eux à l'évêque Vaulcher furent-elles la cause du peu de succès du soulèvement où il périt.

Mais cette fausse alarme n'était rien auprès de celle qui se répandit en Angleterre dans l'année 1085. La plus grande partie des forces normandes fut promptement dirigée vers l'est ; on plaça des postes sur les côtes ; on mit des croisières en mer ; on entoura de nouveaux ouvrages les forteresses récemment bâties, et l'on releva les murs des anciennes villes démantelées par les conquérants[140]. Le roi Guillaume fit publier en grande hâte par toute la Gaule le ban qu'il avait proclamé, vingt années auparavant, sur le point de passer le détroit. Il promit solde et récompense à tout cavalier ou piéton qui voudrait s'enrôler à son service. Il en arriva de toutes parts un nombre immense. Tous les pays qui avaient fourni des troupes d'invasion pour exécuter la conquête fournirent des garnisons pour la défendre[141]. Les nouveaux soldats furent cantonnés dans les villes et les villages, et les comtes, vicomtes, évêques et abbés normands eurent ordre de les héberger et de les nourrir proportionnellement à l'étendue de leurs juridictions ou de leurs domaines[142]. Pour subvenir aux frais de ce grand armement, on imagina de faire revivre l'ancien impôt appelé danegheld, qui, avant d'être levé par les conquérants scandinaves, l'avait été pour la défense du pays contre leurs invasions[143]. Il fut rétabli à raison de douze deniers d'argent pour cent acres de terre. Les Normands sur lesquels pesa cet impôt s'en firent rembourser le montant par leurs fermiers ou leurs serfs anglo-saxons, qui payèrent ainsi, pour repousser les Danois venant à leur secours, ce que leurs ancêtres avaient jadis payé pour les repousser comme ennemis.

Des détachements de soldats parcoururent en tous sens les contrées du nord-est de l'Angleterre, afin de les dévaster et de les rendre inhabitables, soit pour les Danois, s'ils venaient à y débarquer, soit pour les Anglais mêmes, qu'on soupçonnait de désirer ce débarquement[144]. Il ne resta sur le rivage de la mer, à portée des vaisseaux, ni un homme, ni une bête, ni un arbre à fruit. La population saxonne fut de nécessité refoulée vers l'intérieur, et, pour surcroît de précaution contre la bonne intelligence de Cette population avec les Danois, un ban royal, publié à son de trompe dans tous les lieux voisins de la mer, prescrivit aux hommes de race anglaise de prendre des vêtements normands, des armes normandes, et de se raser la barbe à l'instar des Normands[145]. Cet ordre bizarre avait pour objet d'ôter aux Danois le moyen de distinguer les amis qu'ils venaient secourir des ennemis qu'ils venaient combattre[146].

La crainte qui inspirait ces précautions n'était point sans fondement ; il y avait réellement à l'ancre sur la côte du Danemark une flotte nombreuse destinée pour l'Angleterre. Olaf Kyr, roi de Norvège, fils et successeur de ce Harold qui, ayant voulu conquérir le pays des Anglais, n'y avait obtenu que sept pieds de terre, venait maintenant au secours du peuple qui avait vaincu et tué son père, sans peut-être se rendre bien compte du changement de destinée de ce peuple, et croyant aller venger Harold[147]. Quant au roi de Danemark, Knut, fils de Sven, promoteur de la guerre et chef suprême de l'armement, il comprenait la révolution opérée en Angleterre par la conquête normande, et c'était sciemment qu'il allait secourir les vaincus contre les vainqueurs. Il avait cédé, disent les historiens danois, aux supplications des exilés anglais, à des messages reçus d'Angleterre, et à la pitié que lui inspiraient les misères d'une race d'hommes alliée de la sienne, dont tous les chefs, les riches, les personnages considérables avaient été tués ou bannis, et qui, tout entière, se voyait réduite en servitude sous la race étrangère des Français, qu'on appelait aussi Romains[148].

Ces deux noms étaient en effet les seuls sous lesquels la nation normande fût connue dans le nord de l'Europe, depuis que les derniers restes de la langue danoise avaient péri à Rouen et à Bayeux[149]. Quoique les seigneurs de Normandie pussent encore facilement prouver leur descendance scandinave, en oubliant l'idiome qui était le signe visible de cette descendance, ils avaient perdu leur titre au pacte de famille qui, malgré des hostilités fréquentes, produites par les passions du moment, unissait l'une à l'autre les populations teutoniques. Mais les Anglo-Saxons avaient encore droit au bénéfice de cette fraternité d'origine ; c'est ce que reconnut le roi de Danemark, selon le témoignage des chroniqueurs de sa nation, et si son entreprise n'était pas pure de toute vue d'ambition personnelle, du moins était-elle ennoblie par le sentiment d'un devoir d'humanité et de parenté. Sa flotte fut retenue dans le port plus longtemps qu'il ne l'avait prévu, et, durant ce retard, des émissaires du roi normand, adroits et rusés comme leur maitre, corrompirent avec l'or de l'Angleterre plusieurs des conseillers et des capitaines du Danois[150]. Le retard, d'abord involontaire, fut prolongé par ces intrigues. Les hommes vendus secrètement à Guillaume, et surtout les évêques danois, dont la plupart se laissèrent gagner, réussirent plusieurs fois à empêcher le roi Knut de mettre à la voile, en lui suscitant des embarras et des obstacles imprévus. Pendant ce temps, les soldats, fatigués d'un campement inutile, se plaignaient et murmuraient sous la tente[151]. Ils demandaient qu'on ne se jouât pas d'eux, qu'on les fît partir, ou qu'on les renvoyât dans leurs foyers, à leur labourage et à leur commerce. Ils tinrent des conciliabules, et firent signifier au roi, par les députés qu'ils nommèrent, leur résolution de se débander si l'ordre du départ n'était donné sans plus de délai[152]. Le roi Knut voulut user de rigueur pour rétablir la discipline. Il emprisonna les chefs de cette révolte, et soumit l'armée entière au payement d'une amende par tête. L'exaspération, loin d'être calmée par ces Mesures, s'accrut tellement, qu'au mois de juillet 1086 il y eut une émeute générale où le roi fut tué par les soldats[153] : ce fut le signal d'une guerre civile qui enveloppa tout le Danemark ; et de ce moment le peuple danois, occupé de ses propres querelles, oublia les Anglo-Saxons, leur servitude et leurs maux.

Ce fut la dernière fois que la sympathie des Teutons du Nord s'exerça en faveur de la race teutonique qui habitait l'Angleterre. Par degrés les Anglais, désespérant de leur propre cause, cessèrent de se recommander au souvenir et à la bienveillance des peuples septentrionaux. Les exilés de la conquête moururent dans les pays étrangers et y laissèrent des enfants qui, oubliant la patrie de leurs ancêtres, n'en connurent plus d'autre que la terre où ils étaient nés[154]. Enfin, dans la suite, les ambassadeurs et les voyageurs danois qui se rendaient en Angleterre, n'entendant retentir à leurs oreilles, dans les maisons des grands et des riches, que la langue romane de Normandie, et faisant peu d'attention au langage que parlaient les marchands anglais dans leurs échoppes ou les bouviers dans leurs étables, s'imaginèrent que toute la population du pays était normande, ou que la langue avait changé depuis l'invasion des Normands[155]. En voyant les trouvères français parcourir les châteaux et les villes, et faire les délices de la haute classe en Angleterre, qui eût pu croire, en effet, que, soixante ans auparavant, les scaldes du Nord y avaient joui de la même faveur[156] ? Aussi, dès le douzième siècle, l'Angleterre fut-elle regardée par les nations scandinaves comme un pays de langage absolument étranger. Cette opinion devint si forte, que dans le droit d'aubaine du Danemark et de la Norvège les Anglais furent classés au rang des peuples les plus maltraités. Dans le code qui porte le nom du roi Magnus, à l'article des successions, on rencontre les formules suivantes : Si des hommes de race anglaise ou d'autres encore plus étrangers à nous... si des Anglais ou d'autres hommes parlant un idiome sans aucune ressemblance avec le nôtre[157]... Ce défaut de ressemblance ne pouvait s'entendre de la simple diversité des dialectes ; car, aujourd'hui même, le patois des provinces septentrionales de l'Angleterre est, à la rigueur, intelligible pour un Danois ou un Norvégien[158].

Vers la fin de l'année 1086, il y eut à Salisbury, d'autres disent à Winchester, un rendez-vous général de tous les conquérants ou fils de conquérants. Chaque personnage en dignité, laïque ou prêtre, vint à la tête de ses hommes d'armes et des feudataires de ses domaines. Ils se trouvèrent soixante mille, tous possesseurs au moins d'une portion de terre suffisante pour l'entretien d'un cheval ou d'une armure complète[159]. Ils renouvelèrent successivement au roi Guillaume leur serment de foi et d'hommage, en lui touchant les mains et en prononçant cette formule : De cette heure en avant, je suis votre homme lige, de ma vie et de mes membres ; honneur et foi vous porterai en tout temps, pour la terre que je tiens de vous ; qu'ainsi Dieu me soit en aide[160]. Ensuite la colonie armée se sépara, et ce fut probablement alors que les hérauts du roi publièrent en son nom les ordonnances suivantes[161] :

Nous voulons fermement et ordonnons que les comtes, barons, chevaliers, sergents, et tous les hommes libres de ce royaume, soient et se tiennent convenablement pourvus de chevaux et d'armes pour être prêts à nous faire en tout temps le service légitime qu'ils nous doivent pour leurs domaines et tenures[162].

Nous voulons que tous les hommes libres de ce royaume soient ligués et conjurés comme des frères d'armes pour le défendre, maintenir et garder selon leur pouvoir[163].

Nous voulons que toutes les cités, bourgs, châteaux et cantons de ce royaume soient gardés toutes les nuits, et qu'on y veille à tour de rôle contre les ennemis et les malfaiteurs[164].

Nous voulons que tous les hommes amenés par nous d'outre-mer, ou qui sont venus après nous, soient, par tout le royaume, sous notre paix et protection spéciale ; que si l'un d'eux vient à être tué, son seigneur, dans l'espace de cinq jours, devra s'être saisi du meurtrier ; sinon il nous payera une amende conjointement avec les Anglais du district où le meurtre aura été commis[165].

Nous voulons que les hommes libres de ce royaume tiennent leurs terres et leurs possessions bien et en paix, franches de toute exaction et de tout taillage, de façon qu'il ne leur soit rien pris ni demandé pour le service libre qu'ils nous doivent et sont tenus de nous faire à perpétuité[166].

Nous voulons que tous observent et maintiennent la loi du roi Edward, avec celles que nous avons établies, pour l'avantage des Anglais et le bien commun de tout le royaume[167].

Ce vain nom de loi du roi Edward était tout ce qui restait désormais à la nation anglo-saxonne de son antique existence ; car la condition de chaque individu avait changé par la conquête. Depuis le plus grand jusqu'au plus petit, chaque vaincu avait été rabaissé au-dessous de son état antérieur : le chef avait perdu son pouvoir, le riche ses biens, l'homme libre son indépendance ; et celui que la dure coutume du temps avait fait naître esclave dans la maison d'autrui, devenu serf d'un étranger, n'obtenait plus les ménagements que l'habitude de vivre ensemble et la communauté de langage lui attiraient de la part de son ancien maître[168]. Les villes et les bourgades anglaises étaient affermées par les comtes et les vicomtes normands à des traitants qui les exploitaient en propriétés privées, sans aucun mélange de procédés administratifs. Le roi faisait la même spéculation sur les grandes cités et les immenses terres qui composaient son domaine[169]. Il louait, disent les chroniques, au plus haut prix possible ses villes et ses manoirs ; puis venait un traitant qui proposait davantage, et il lui accordait la ferme ; puis venait un troisième qui haussait le prix, et c'était à ce dernier que définitivement il adjugeait[170]. Il adjugeait au plus offrant, ne s'inquiétant point des crimes énormes que commettaient ses prévôts en levant la taille sur les pauvres gens. Lui et ses barons étaient avares à l'excès, et capables de tout faire s'ils voyaient un écu à gagner[171].

Guillaume avait, pour sa part de conquête, près de quinze cents manoirs ; il était roi d'Angleterre, chef suprême et inamovible des conquérants de ce pays, et pourtant il n'était pas heureux. Dans les cours somptueuses qu'il tenait trois fois l'année, la couronne en tête, soit à Londres, soit à Winchester, soit à Glocester, lorsque les compagnons de sa victoire et les prélats qu'il avait institués venaient se ranger autour de lui, son visage était triste et sévère ; il semblait inquiet et soucieux, et la possibilité d'un changement de fortune assiégeait son esprit[172]. Il doutait de la fidélité de ses Normands et de la soumission du peuple anglais. If se tourmentait de son avenir et de la destinée de ses enfants, et interrogeait sur ses pressentiments les hommes renommés comme sages dans ce siècle où la divination était une partie de la sagesse. Un poète anglo-normand du douzième siècle le représente assis au milieu de ses évêques d'Angleterre et de Normandie, et sollicitant de leur part, avec de puériles instances, quelques éclaircissements sur le sort de sa postérité[173].

Après avoir soumis à un ordre régulier, sinon légitime, les résultats mobiles et turbulents de la conquête, Guillaume quitta une troisième fois l'Angleterre, et traversa le détroit, disent les vieux historiens, chargé d'innombrables malédictions[174]. Il le traversa pour ne le repasser jamais : car la mort, comme on le verra bientôt, le retint sur l'autre rive. Parmi les lois et les ordonnances qu'il laissait à son départ, deux surtout méritent d'être mentionnées comme se rapportant spécialement à la conservation de l'ordre établi par la conquête[175]. La première de ces deux lois, qui n'est que le complément d'une proclamation déjà citée plus haut — si la proclamation elle-même n'en est pas une version double —, avait pour objet de réprimer les assassinats commis contre les membres de la nation victorieuse ; elle était conçue en ces termes : Quand un Français sera tué ou trouvé mort dans quelque canton, les habitants du canton devront saisir et amener le meurtrier dans le délai de huit jours ; sinon ils payeront à frais communs quarante-sept marcs d'argent 3[176]. Un écrivain anglo-normand du douzième siècle fait de la manière suivante l'exposé des motifs de cette loi : Dans les premiers temps du nouvel ordre de choses, ceux des Anglais qu'on laissa vivre dressaient une foule d'embûches aux Normands, massacrant tous ceux qu'ils rencontraient seuls dans les lieux déserts ou écartés. Pour réprimer ces assassinats, le roi Guillaume et ses barons employèrent contre les subjugués les supplices et les tortures. Mais les châtiments produisant peu d'effet, on décréta que tout district, ou, comme on dit en anglais, tout hundred dans lequel un Normand serait trouvé mort, sans que personne y fût soupçonné d'avoir commis l'assassinat, payerait néanmoins au trésor royal une forte somme d'argent. La crainte salutaire de cette punition, infligée à tous les habitants en masse, devait procurer sûreté aux passants, en excitant les hommes du lieu à dénoncer et à livrer le coupable, dont la faute seule causait une perte énorme à tout le voisinage[177].

Pour échapper à cette perte, les habitants du canton dans lequel un Français, c'est-à-dire un Normand de naissance ou un auxiliaire de l'armée normande, était trouvé mort, avaient soin de détruire promptement tous les signes extérieurs capables de prouver que le cadavre était celui d'un Français ; car alors le canton n'était point responsable, et les juges normands ne poursuivaient point d'office. Mais ces juges prévirent la ruse, et la déjouèrent par un genre de procédure assez bizarre. Tout homme trouvé assassiné fut considéré comme Français, à moins que le canton ne prouvât judiciairement qu'il était Saxon de naissance, et il fallait que cette preuve se fit devant le juge royal par serment de deux hommes et de deux femmes les plus proches parents du mort[178]. Sans ces quatre témoins, la qualité d'Anglais, l'anglaiserie, comme disaient les Normands, n'était pas suffisamment constatée, et le canton devait payer l'amende[179]. Près de trois siècles après l'invasion, si l'on en croit les antiquaires, cette enquête se faisait encore en Angleterre sur le cadavre de tout homme assassiné, et, dans le langage légal du temps, on l'appelait démonstration d'anglaiserie[180].

L'autre loi du Conquérant eut pour objet d'accroître d'une manière exorbitante l'autorité des évêques d'Angleterre. Ces évêques étaient tous Normands : leur puissance devait s'exercer tout entière au profit de la conquête ; et de même que les guerriers qui avaient fait cette conquête la maintenaient par l'épée et par la lance, c'était aux gens d'église à la maintenir par l'adresse politique et l'influence religieuse. A ces motifs d'utilité générale, il s'en joignait un autre plus personnel à l'égard du roi Guillaume : d'est que les nouveaux évêques d'Angleterre, bien que installés par le conseil commun de tous les barons et chevaliers normands, avaient été choisis parmi les chapelains, les créatures ou les amis particuliers du roi[181]. Jamais aucune intrigue, du vivant de Guillaume, ne troubla cet arrangement ; jamais il ne rencontra un seul évêque qui eût d'autre volonté que la sienne. La situation, des choses changea, il est vrai, sous les rois ses successeurs ; mais le Conquérant ne pouvait prévoir l'avenir, et l'expérience de tout son règne le justifiait quand il fit l'ordonnance suivante :

Guillaume, roi d'Angleterre, par la grâce de Dieu, aux comtes, vicomtes, et à tous les hommes français et anglais de toute l'Angleterre, salut. Sachez, vous et tous mes autres fidèles, que, du commun conseil des archevêques, évêques, abbés et seigneurs de tout mon royaume, j'ai jugé convenable de réformer les lois épiscopales qui, mal à propos et contre les canons, ont été, jusqu'au temps de ma conquête, en vigueur dans ce pays. J'ordonne que désormais nul évêque ou archidiacre ne se rende plus aux assemblées de justice pour y tenir les plaids des causes épiscopales, et ne soumette plus au jugement des hommes séculiers les procès qui se rapportent au gouvernement des âmes : je veux que quiconque sera interpellé, pour quelque motif que ce soit, par la justice épiscopale, aille à la maison de l'évêque ou au lieu que l'évêque lui-même aura choisi et désigné ; que là il plaide sa cause et fasse droit à Dieu et à l'évêque, non pas selon la loi du pays, mais selon les canons et les décrets épiscopaux[182] ; que si quelqu'un, par excès d'orgueil, refuse de se rendre au tribunal de l'évêque, il sera appelé par une, deux et trois fois ; et si, après trois appels consécutifs, il ne comparait pas, il sera excommunié, et, au besoin, la force et la justice du roi et du vicomte, seront employées contre lui[183].

C'est en vertu de cette loi que s'effectua en Angleterre la séparation des tribunaux civils et des tribunaux ecclésiastiques, et ainsi s'établit pour ces derniers une indépendance absolue de tout pouvoir politique, indépendance qu'ils n'avaient jamais eue dans le temps de la nationalité anglo-saxonne. Alors les évêques étaient obligés de se rendre à l'assemblée de justice, tenue deux fois par an dans chaque province et trois fois par an dans chaque district ; ils joignaient leurs accusations aux accusations portées par les magistrats ordinaires, et jugeaient conjointement avec eux et avec les hommes libres du district les procès où la coutume du siècle leur permettait d'intervenir, ceux des veuves, des orphelins, des gens d'église, et les causes de divorce et de mariage. Pour ces causes, comme pour toutes les autres, il n'y avait qu'une loi, qu'une justice et qu'un tribunal. Seulement, quand on venait à les débattre, l'évêque s'asseyait â côté du sheriff et de l'ealdorman[184] ou ancien de la province ; puis, suivant l'usage ordinaire, des témoins assermentés répondaient sur les faits, et les juges décidaient du droit[185]. Le changement de ces usages nationaux ne date que de la conquête normande. C'est le Conquérant qui, brisant les anciennes pratiques d'égalité civile, donna pouvoir aux membres du haut clergé d'Angleterre de tenir un tribunal dans leur propre maison, et de disposer de la force publique pour y traîner les justiciables[186] ; il soumit ainsi la puissance royale à l'obligation de faire exécuter les arrêts rendus par la puissance ecclésiastique en vertu d'une législation qui n'était pas celle du pays. Guillaume imposa cette gêne à ses successeurs, sciemment et volontairement, par politique et non par dévotion ou par crainte de ses évêques, qui lui étaient tous dévoués[187].

La crainte du pape Grégoire VII n'influa pas davantage sur cette détermination. Car, malgré les services que lui avait rendus autrefois la cour de Rome, le roi normand savait repousser durement ses requêtes quand elles ne lui convenaient pas. Le ton d'une de ses lettres à Grégoire montre avec quelle liberté d'esprit il envisageait les prétentions pontificales et ses propres engagements envers l'Église romaine. Le pape avait à se plaindre de quelque retard dans le payement du denier de saint Pierre, stipulé par le traité d'alliance conclu à Rome en l'année 1066 ; il écrivit pour rappeler à Guillaume cette stipulation, et l'argent fut aussitôt envoyé. Mais ce n'était pas tout ; en levant contre les Anglais la bannière du Saint-Siège, le Conquérant semblait s'être reconnu vassal de l'Église, et Grégoire, s'autorisant de ce fait, n'hésita pas à le sommer de faire hommage de sa conquête, et de prêter le serment de foi et de vasselage entre les mains d'un cardinal. Guillaume répondit en ces termes : Ton légat m'a requis, de ta part, d'envoyer de l'argent à l'Église romaine et de jurer fidélité à toi et à tes successeurs : j'ai admis la première de ces demandes ; pour la seconde, je ne l'admets ni ne veux l'admettre. Je ne veux point te jurer fidélité, parce que je ne l'ai point promis, et qu'aucun de mes prédécesseurs n'a juré fidélité aux tiens[188].

En terminant le récit des événements que le lecteur vient de parcourir, les chroniqueurs de race anglaise se livrent à des regrets vifs et touchants sur les misères de leur nation. Il n'y a point à en douter, s'écrient les uns, Dieu ne veut plus que nous soyons un peuple, que nous ayons l'honneur et la sécurité[189]. D'autres se plaignent de ce que le nom d'Anglais est devenu une injure[190], et ce n'est pas seulement de la plume des contemporains que s'échappent de semblables plaintes : le souvenir d'une grande infortune et d'une grande honte nationale se reproduit de siècle en siècle dans les écrits des enfants des Saxons, quoique plus faiblement à mesure que le temps avance[191]. Au quinzième siècle, on rattachait encore à la conquête la distinction des rangs en Angleterre ; et un historien de couvent, peu suspect de théories révolutionnaires, écrivait ces paroles remarquables : S'il y a chez nous tant de distance entre les conditions diverses, on ne doit point s'en étonner, c'est qu'il y a diversité de races ; et s'il y a parmi nous si peu de confiance et d'affection mutuelle, c'est que nous ne sommes point du même sang[192]. Enfin, un auteur qui vivait au commencement du dix-septième siècle rappelle la conquête normande par ces mots : Souvenir de douleur ; il trouve des expressions tendres en parlant des familles déshéritées alors et tombées depuis dans la classe des pauvres, des ouvriers et des paysans[193] ; c'est le dernier coup d'œil de regret jeté dans le passé sur l'événement qui avait amené en Angleterre des rois, des nobles et des chefs de race étrangère.

Si, résumant en lui-même tous les faits exposés plus haut, le lecteur veut se faire une idée juste de ce qu'était l'Angleterre conquise par Guillaume de Normandie, il faut qu'il se représente non point un simple changement de régime ni le triomphe d'un compétiteur, mais l'intrusion de tout un peuple au sein d'un autre peuple, dissous par le premier, et dont les fractions éparses ne furent admises dans le nouvel ordre social que comme propriétés personnelles, comme vêtement de la terre, pour parler le langage des anciens actes[194]. On ne doit point poser d'un côté Guillaume roi et despote, et de l'autre des sujets grands ou petits, riches ou pauvres, tous habitants de l'Angleterre et par conséquent tous Anglais ; il faut s'imaginer deux nations, les Anglais d'origine et lés Anglais par invasion, divisés sur le même pays, ou plutôt se figurer deux pays dans une condition bien différente : la terre des Normands, riche et franche de taillages ; celle des Saxons, pauvre, serve et grevée de cens ; la première, garnie de vastes hôtels, de châteaux murés et crénelés ; la seconde, parsemée de cabanes de chaume ou de masures dégradées ; celle-là peuplée d'heureux et d'oisifs, de gens de guerre et de cour, de nobles et de chevaliers ; celle-ci peuplée d'hommes de peine et de travail, de fermiers et d'artisans : sur l'une, le luxe et l'insolence ; sur l'autre, la misère et l'envie, non pas l'envie du pauvre à la vue des richesses d'autrui, mais l'envie du dépouillé en présence de ses spoliateurs.

Enfin, pour achever le tableau, ces deux terres sont, en quelque sorte, entrelacées l'une dans l'autre ; elles se touchent par tous les points, et cependant elles sont plus distinctes que si la mer roulait entre elles. Chacune a son idiome à part, idiome étranger pour l'autre ; le français est la langue de la cour, des châteaux, des riches abbayes, de tous les lieux où règnent le luxe et la puissance, tandis que l'ancienne langue du pays reste aux foyers des pauvres et des serfs. Durant longtemps ces deux idiomes se propagèrent sans mélange, et furent, l'un, signe de noblesse, et l'autre, signe de roture. C'est ce qu'expriment avec une sorte d'amertume quelques vers d'un vieux poète qui se plaint de ce que l'Angleterre, de son temps, offre l'étrange spectacle d'un pays qui renie sa propre langue[195].

 

 

 



[1] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 545.

[2] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 545.

[3] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 545.

[4] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 545.

[5] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 545.

[6] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 546.

[7] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 546.

[8] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 569.

[9] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 569.

[10] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 570.

[11] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 570.

[12] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 570.

[13] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 570.

[14] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 570.

[15] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 570.

[16] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 571.

[17] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 571.

[18] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 571.

[19] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 572.

[20] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 572.

[21] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 572.

[22] Chron. saxon., ed. Gilson, p. 184.

[23] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normand., p. 573.

[24] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 573.

[25] Matth. Paris., t. I, p. 10.

[26] Hist. episcop. dunelm. ; Anglia sacra, t. I, p. 703.

[27] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 277, ed. Savile.

[28] Matth. Paris., t. I, p. 10. — Hist. episcop. dunelm. ; Anglia sacra, t. I, p. 703.

[29] Hist. episcop. dunelm., Anglia sacra, t. I, p. 704.

[30] Hist. episcop. dunelm., Anglia sacra, t. I, p. 703. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 110, ed. Savile.

[31] Matth. Paris., t. I, p. 10. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 184.

[32] Florent. Wigorn. Chron., p. 639.

[33] Matth. Paris, t. I, p. 10.

[34] Matth. Paris, t. I, p. 10.

[35] Matth. Paris, t. I, p. 10.

[36] Matth. Paris, t. I, p. 10.

[37] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 184.

[38] Florent. Wigorn. Chron., p. 640.

[39] Florent. Wigorn. Chron., p. 640.

[40] Simeon. Dunelm. Hist. dunelm. eccles., lib. III, apud. Hist. anglic. Script., t. I, col. 48, ed. Selden.

[41] Voyez livre IV.

[42] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 277, ed. Savile.

[43] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 103, ed. Savile.

[44] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. III, prolog., apud Rer. anglic. Script., p. 458, ed. Savile.

[45] Chants populaires de la Grèce moderne, publiés par M. Fauriel, t. 1, Sterghics, chant n° 24.

[46] Les Normands employaient quelquefois le mot saxon francisé utlages, et quelquefois celui de forestiers.

[47] En anglais moderne, by hue and cry.

[48] Ballads of Robin Hoods, Adan Bell, Clym o'the Chlough, etc., passim.

[49] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 282.

[50] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 646.

[51] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 646.

[52] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 646.

[53] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 647.

[54] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 647.

[55] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 647.

[56] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 647.

[57] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 646.

[58] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 646.

[59] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud Script. rer. normann., p. 646.

[60] Voyez livre III.

[61] Annales de Margan, apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 3, ed. Gale.

[62] Adamus de Domeram, ed. Hearne, p. 113.

[63] Voyez livre V.

[64] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 254, ed. Savile.

[65] Willelm. Malmesb., de Antiquit. glaston. eccles., apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 331, ed. Gale.

[66] Willelm. Malmesb., de Antiquit. glaston. eccles., apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 332, ed. Gale.

[67] Willelm. Malmesb., de Antiquit. glaston. eccles., apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 332, ed. Gale.

[68] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 184. — Willelm. Malmesb., de Antiquit. glaston. eccles., apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 332, ed. Gale.

[69] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 184.

[70] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 110, ed Savile.

[71] Henrici Knigthon, de Event. angl., lib. II, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 2352, ed. Selden.

[72] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 185.

[73] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 524.

[74] Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 257.

[75] Matth. Paris., t. I, p. 11.

[76] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 77, ed. Gale.

[77] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 186.

[78] Florent. Wigorn. Chron., p. 229. — Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 257.

[79] Poème sur la conquête de la Morée, ms. de la Bibliothèque royale, traduit et publié par M. Buchon.

[80] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 186.

[81] Ex anoym. mss., apud Selden, prœfat. ad Eadmeri Hist. nov., p. XV.

[82] Ex anoym. mss., apud Selden, prœfat. ad Eadmeri Hist. nov., p. XV.

[83] Ex anoym. mss., apud Selden, prœfat. ad Eadmeri Hist. nov., p. XVI.

[84] Domesday-book, passim.

[85] Ex anoym. mss., apud Selden, prœfat. ad Eadmeri Hist. nov., p. XV.

[86] Domesday-book, vol. II, p. 450.

[87] Liber niger de Scaccario, apud Gloss. Spelmani, verbo Domesday.

[88] Thani regis. (Domesday-book, passim.)

[89] Venatores, accipitrarii, ostiarii, pistores.

[90] Nicolaus balistarius. (Domesday-book.)

[91] Gloss. Spelmani, verbo Domesday. — Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 257.

[92] Gloss. Spelmani, verbo Domesday.

[93] Domesday-book, passim.

[94] Voyez livre III.

[95] Domesday-book, vol. II, p. 172.

[96] Domesday-book, vol. I, fol. 208, recto. — Ibid., fol. 56, recto.

[97] Domesday-book, vol. II, p. 25.

[98] Domesday-book, vol. II, passim.

[99] Consuetudo, custuma, custumarii, coustumes. Ce mot subsiste dans la langue anglaise moderne.

[100] Domesday-book, vol. I, fol. 2, recto. — Ibid., vol. II, p. 2 et seq.

[101] Domesday-book, vol. I, fol. 316, verso.

[102] En latin, tallagium.

[103] Domesday-book, vol. II, p. 104.

[104] Domesday-book, vol. II, p. 341.

[105] Domesday-book, vol. II, p. 337 ; cf. p. 278.

[106] Domesday-book, vol. II, p. 438.

[107] Domesday-book, vol. I, fol. 211, recto.

[108] Domesday-book, vol. I, passim.

[109] Domesday-book, vol. I, fol. 211, recto.

[110] Domesday-book, vol. I, fol. 44, recto.

[111] Domesday-book, vol. I, fol. 215, recto.

[112] Domesday-book, vol. I, fol. 44, recto.

[113] Domesday-book, vol. I, fol. 44, recto.

[114] Domesday-book, vol. I, passim.

[115] Domesday-book, vol. I, passim.

[116] Domesday-book, vol. I, fol. 214, recto.

[117] Domesday-book, vol. I, fol. 203, recto.

[118] Domesday-book, vol. I, fol. 218, recto.

[119] Domesday-book, vol. I, fol. 63, recto.

[120] Domesday-book, vol. I, fol. 57, recto.

[121] Domesday-book, vol. I, fol. 141 recto.

[122] Nove forest. — Voyez Gloss. Spelmani, verbo Foresta.

[123] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. X, apud Script. rer. normann., p. 781.

[124] Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 258.

[125] Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 258. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 191.

[126] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 191.

[127] Blacktone's Comment. on the laws of England, vol. II, p. 415 et suivantes.

[128] Charta Henrici III.

[129] Additamenta ad Matth. Paris., t. I, p. 156.

[130] Additamenta ad Matth. Paris., t. I, p. 156.

[131] Domesday-book, vol. II, p. 13.

[132] Domesday-book, vol. II, p. 14. — Ibid., vol. I, fol. 59, recto.

[133] Dialog. de Scaccario, in notis ad Matth. Paris., t. I, ad initium.

[134] Dialog. de Scaccario, in notis ad Matth. Paris., t. I, ad initium.

[135] Dialog. de Scaccario, in notis ad Matth. Paris., t. I, ad initium.

[136] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 186.

[137] Ellis's Metrical Romances, vol. I, introduction, p. 125.

[138] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 348 et 349. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib VII, apud Script. rer. normann., p. 649. — Florent. Wigorn. Chron., p. 641.

[139] Lanfranci Opera, p. 314.

[140] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 348 et seq.

[141] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 186.

[142] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 186. — Florent. Wigorn. Chron., p. 641.

[143] Wilkins, Concilia Magnæ Britanniæ, t. I, p. 312. — Voyez livre II.

[144] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 186.

[145] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 350.

[146] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 350.

[147] Sagan of Olafe Kyrra, cap. VIII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 185.

[148] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 347.

[149] Voyez livre II.

[150] Hist. S. Canuli regis, apud Script. rer, danic., t. III, p. 351, in notis. — Torfæi, Hist. rer. norveg., lib. VI, t. II, p. 393 et seq.

[151] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 351.

[152] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 351.

[153] Hist. S. Canuti regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 352 et seq.

[154] Pontani Rer. danic. Hist., lib. V, p. 197.

[155] Sagan af Gunnlaugi, cap. VII, p. 87. Hafniæ, 1775.

[156] Sagan af Gunnlaugi, cap. VII, p. 87. Hafniæ, 1775.

[157] Codex juris Islandorum dictus Gragus, tit. de hœredit., cap. VI et XVIII, Dissert. de ling. danic apud Sagan af Gunnlaugi, p. 247.

[158] La principale et presque la seule différence vient des mots français qui s'y sont introduits en grand nombre.

[159] Annales waverleienses, apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 133, ed. Gale. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 187. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apud. Script. rer. normann., p. 649.

[160] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 187. — Matth. Westmonast. Flor. histor., p. 229.

[161] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. VII, apnd Script. rer. normann., p. 649.

[162] Seldini notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 191.

[163] Seldini notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 191.

[164] Seldini notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 191.

[165] Seldini notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 190.

[166] Seldini notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 190.

[167] Seldini notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 192.

[168] Sermo Lupi ad Anglos, apud Hickesii Thesaur. ling. septentrional., t. II, p. 100.

[169] Robert of Gloucester's Chron., p. 378, ed. Hearne.

[170] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 188.

[171] Annales waverleienses, apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 134, ed. Gale. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 112, ed. Savile.

[172] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 190. — Eadmeri Hist. nov., p. 13, ed. Selden.

[173] Continuation du Brut de Wace par un anonyme ; Chroniques anglo-normandes, t. I, p. 80 à 94. — Voyez Pièces justificatives, livre VI, n° I.

[174] Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 258.

[175] Eadmeri Hist. nov., p. 6, ed. Selden.

[176] Leges Willelmi Conquest., Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 90, ed. Gale.

[177] Dialog. de Scaccario, in notis ad Matth. Paris., t. I, ad initium.

[178] Fleta, seu Commentarius juris anglicani, lib. I, cap. XXX, p. 46. Londini, 1685.

[179] Gloss. Spelmani, verbo Englecherie. — Les Normands prononçaient quelquefois Anglech, Englech, pour Anglez, Englez ; Anglécherie, pour Anglezerie.

[180] Présentement d'anglécherie. Voyez Blackstone. — Cette loi ne fut abrogée que par un statut d'Edward III, en l'année 1341.

[181] Voyez Anglia sacra, et Wilkins, Concilia Magnæ Britannicæ, passim.

[182] Seldeni notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 167 et 168. — Monast. anglic., Dugdale, t. III, p. 308.

[183] Charta regis Willelmi primi, apud Wilkins, Concilia Magnæ Britanniæ, t. I, p. 369.

[184] Voyez livre II.

[185] Leges Edgari regis, cap. V ; Seldeni notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 166.

[186] Charta Willelmi redis ; Seldeni notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 167.

[187] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 47. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., passim, apud Script. rer. normann.

[188] Seldeni notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 164.

[189] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 984, ed. Selden. — Matth. Westmonast. Flor. histor., p. 229.

[190] Matth. Paris., t. I, p. 12.

[191] Hearne, notæ ad Guillelm. Neubrig., p. 722.

[192] Henrici Knyghton, de Event. angl., apud Hist. anglic., Script., t. II, col. 2343, ed. Selden.

[193] A restitution of decayed intelligence in antiquities, by Richard Verstegan, p. 175. 1603, in-4°.

[194] Ducange, Gloss. ad script. mediæ et infimæ latinitatis, verbo Vestura. — Gloss. Spelmani, verbo Accola.

[195] Robert of Gloucester's Chronicle, ed. Hearne, p. 364.